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QUESTIONS CHOISIES

ET PERSPECTIVES MODERNES DE CHRISTOLOGIE

INTRODUCTION. ................................................................................................................................... 2

CH 1 – PROBLEMES HERMENEUTIQUES ET METHODOLOGIQUES DE L’EPOQUE MODERNE RELATIFS A LA


CHRISTOLOGIE. 6
1.1 – JESUS HISTORIQUE ET/OU JESUS DE LA FOI ? LE RAPPORT FOI HISTOIRE. ...................................................... 6
1.2 – CHRISTOLOGIE FONCTIONNELLE ET / OU ONTOLOGIQUE. ........................................................................ 17
1.3 - CHRISTOLOGIE D’EN BAS ET/OU CHRISTOLOGIE D’EN HAUT. .................................................................... 21
1.4 - CHRISTOLOGIE THEORETIQUE ET SPECULATIVE ET/OU PRATIQUE ET LIBERATRICE............................................ 23
1.5 - LES THEOLOGIES PLURALISTES DES RELIGIONS ET/OU LA FOI EN CHRIST. ...................................................... 24
1.6 - JESUS CHRIST ET JESA CHRISTA ? ..................................................................................................... 29
1.7 - JESUS HOMME ET JESUS JUIF ? ........................................................................................................ 34
CH II – QUESTIONS CONTROVERSEES DE LA CHRISTOLOGIE CONTEMPORAINE.
PROLEGOMENES: CADRE GENERAL DE L’ŒUVRE ET DE LA FIGURE DE JESUS CHRIST ................................................ 35
2.1 – LE SENS DE JESUS COMME « MESSIE », CHRIST. .................................................................................. 37
2.2 – LA CROIX : EXPIATION POUR NOS PECHES ? ........................................................................................ 39
2.3 – LA QUESTION DE LA PREEXISTENCE : LE CHRIST EST-IL LE FILS ETERNEL DE DIEU ? ......................................... 49
CAP III – ELEMENTS D’UNE CHRISTOLOGIE SYSTEMATIQUE.
3.1 – OBSERVATIONS PRELIMINAIRES. ...................................................................................................... 57
3.2 – LE CHRIST COMME MOUVEMENT DE DIEU VERS LE MONDE ET DU MONDE VERS DIEU. ................................... 57
3.3 - L’ETRE-HOMME, PREMICE DE LA MEDIATION CHRISTOLOGIQUE ENTRE DIEU ET L’HOMME. .............................. 60
3.4 - LA QUESTION DE LA PERSONNALITE HUMAINE DE JESUS CHRIST. ............................................................... 62
CH IV – QUELQUES POINTS PARTICULIERS DE LA CHRISTOLOGIE CONTEMPORAINE
4.1 – LE PROBLEME DE LA CONNAISSANCE ET DE LA CONSCIENCE DE JESUS. ........................................................ 65
4.2 – LE PROBLEME DE LA LIBERTE ET DE SA NON-PECCABILITE ........................................................................ 69
4.3 – LE MOTIF DE L’INCARNATION. ......................................................................................................... 71

ANNEXE : REGARDS SUR L'HISTOIRE DE LA RECHERCHE DU JESUS HISTORIQUE ...................................................... 73

1
Introduction.

Ce cours est un approfondissement sur la Christologie. Elle est importante au plan pratique et
théorique, car la Christologie est centrale dans la théologie. A travers la personne concrète du Christ fut
accomplie le salut de tout le genre humain. Dans aucune autre religion, l’on ne trouve quelque chose de
semblable. Le Christ est « l’universel concret » : une figure concrète et particulière de notre histoire
porte un salut universel. Voilà le scandale de notre foi chrétienne.

L’approche de la théologie fondamentale : ce scandale n’est pas pour autant absurde. L’homme
porte en lui une promesse de dépasser la frontière de la mort. L’homme est en quête de sens, et d’un
amour inconditionnel. Comment alors le Christ peut-il porter le salut ? « Est-il celui qui doit venir ou
devons-nous en attendre un autre ? ». Jésus Christ correspond à la recherche d’absolu de l’homme.

L’approche des sciences des religions est autre : ceux qui ne reconnaissent pas dans le Christ
l’accomplissement de leur être et de leur vie ont néanmoins vis-à-vis du Christ une attitude d’intérêt,
d’ouverture, et en reçoivent quelque chose. Cet intérêt demeure. Jaspers : « Jésus est l’homme le plus
influent de l’histoire mondial ». Jésus incarne cet idéal de l’homme.

Le judaïsme lui-même est interpellé par Jésus. Toutes les aspirations et les paroles de Jésus
accomplissent le meilleur du judaïsme. Buber : quand j’étais enfant, j’ai toujours considéré Jésus comme
frère ainé.

Dans le Coran, Jésus est annoncé comme un grand prophète (plus de 10 % des sourates le cite :
15 sur 114. 93 versets ). Il est un grand prophète de l’islam, né de la vierge marie, symbole de la
soumission totale (islam) à Dieu, et donc vrai musulman ! C’est le plus connu des prophètes après
Mahomet. Son Discours sur la Montagne suscite admiration.

 il apparaît donc que Jésus n’appartient pas seulement aux chrétiens mais à toute l’humanité.

Jésus est enfin une culture de laquelle dépend une grande partie de notre culture. Nombreux sont
ceux qui cherchent en lui un repère : socialistes, bons vivants, …

Notre approche sera dogmatique : nous partons de la foi de l’Eglise. Nous présupposons la foi.
Prenons Mc 8, 27-34 :

«(1) Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages de Césarée de Philippe, et en chemin
il posait à ses disciples cette question: "Qui suis-je, au dire des gens?" 28 Ils lui dirent: "Jean le
Baptiste; pour d'autres, Elie; pour d'autres, un des prophètes" -- 29 "Mais pour vous, leur
demandait-il, qui suis-je?" Pierre lui répond: "Tu es le Christ." 30 Alors il leur enjoignit de ne
parler de lui à personne.
31 (2) Et il commença de leur enseigner: "Le Fils de l'homme doit beaucoup souffrir, être

rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après trois jours, ressusciter;
32 et c'est ouvertement qu'il disait ces choses. Pierre, le tirant à lui, se mit à le morigéner. 33 Mais

2
lui, se retournant et voyant ses disciples, admonesta Pierre et dit: "Passe derrière moi, Satan! car
tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes!"
34 (3) Appelant à lui la foule en même temps que ses disciples, il leur dit: "Si quelqu'un

veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. »

Ces 3 paragraphes furent réunis seulement par Marc.

(1) Jésus interroge ses disciples. C’est lui qui prend l’initiative. Jésus nous interpelle. J’ai à me
prononcer. Qui suis-je ?
Que dit la foule ? les 3 réponses sont liées à l’expérience que la foule a du rabbi de Nazareth,
mais le reportant à des personnes de la Tradition passée : la Baptiste, Elie, un prophète passé… Dans ces
trois réponses, la particularité des réponses est que Jésus est inséré dans un contexte déjà intelligible. Les
personnes ne le comprennent qu’à l’intérieur d’un contexte déjà intellecté.
Et vous, qui dites-vous que je suis ? Vous ne pouvez vous cacher derrière les réponses de la foule.
Chacun doit se prononcer. C’est Pierre qui répond : tu es le Messie. Ainsi, il dit quelque chose de nouveau
(même si la réponse renvoie elle aussi à un contexte passé), et il en assume toute la responsabilité. En
disant « Messie », Pierre affirme que Jésus ne décevra pas l’espérance et l’attente portées par tout le
peuple de Dieu. Jésus répond alors :

(2) il s’insère lui-même comme « Fils de l’homme », donc dans un contexte passé, même si
l’expression est plus mystérieuse. Il est celui qui venant de Dieu devait changer de manière définitive les
cœurs. Mais Jésus lui-même change ce modèle : le Fils de l’homme devra souffrir beaucoup…ressuscitera.
Jésus contredit ainsi tous les cadres interprétatifs inclusifs dans lesquels il était intégré. Il corrige la
conception de Pierre du messie victorieux. Pierre se révolte alors pour que Jésus se conforme à sa
conception à lui : tu es le Messie que je veux, que le peuple attend, un messie victorieux. Jésus lui répond
que cela est satanique, ie réduit à de simples interprétations humaines. Voilà le danger qui repose sur
tous les modèles interprétatifs sur Jésus : plaquer sur Jésus nos propres schémas… Comment éviter ce
danger ?

(3) il s’agit de suivre l’exemple de la Croix. Il s’agit de comprendre ainsi vraiment qui est Jésus,
dans le sacrifice de sa vie et son amour pour les hommes. Le Christ ne correspond pas seulement au gout
de l’homme. Il le met en discussion. Barth : le scandale n’est pas de se scandaliser en face de Jésus mais
dans l’idée d’être d’accord avec lui sans se scandaliser.

 nous comprenons alors mieux ce que signifie : présupposer la foi.

1. Jésus se pose devant l’homme comme celui duquel nous devons attendre la réalisation de nos
désirs. Nous essayons alors de comprendre Jésus ainsi.

2. le phénomène (la réalité telle qu’elle apparaît à l’homme d’elle-même) Jésus est tel qu’il n’est
pas possible de le comprendre à partir de schémas précédents sans les modifier profondément. Il s’agit de
faire l’expérience pour réaliser que les choses ne sont pas comme je les avait pensé d’abord…L’expérience
de l’objet me fait réaliser que l’objet n’était pas comme je le pensais. Ainsi je découvre un Dieu semper
maior. C’est la négativité de l’expérience du phénomène : nos conceptualisations successives procèdent
par négations répétées de l’expérience. Je ne peux me contenter de projeter sur Jésus des idées et

3
représentations préétablies. Je ne peux comprendre Jésus seulement si je demeure ouvert à des
représentations toujours nouvelles sur qui Il est.
Notre Christologie est sans cesse retravaillée. Le phénomène Jésus Christ va au-delà de toutes les
tentatives pour le représenter. Nous ne pouvons le capturer.

3. nous devons être donc avant tout à l’écoute. De quelle façon puis-je faire cette expérience du
phénomène Jésus Christ ? N’est-il rien d’autre qu’une grande personnalité du passé ? KIERKEGAARD dans
Ecole de Christianisme, est une protestation contre la tendance à faire de Jésus une figure du passé : nous
devons être nous les « contemporains du Christ ». Croire dans le Christ signifie lui être contemporains :
être disciple du Seigneur pauvre et rejeté. Il n’y a pas de disciples de premier ou de second rang : ceux qui
l’ont connu au I er siècle, puis nous… Tous nous sommes de premier rang, ie sans intermédiaires, ni
médiation. Nous faisons partie de son histoire.  La réponse à la demande « qui est Jésus ? » ne peut
être donnée que par le croyant, celui qui lui est contemporain. Le Christ ressuscité demeure
contemporain à chacun. La médiation de l’Eglise est une médiation immédiate : celle de l’Esprit Saint. « Là
où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. » « Je suis là tous les jours jusqu’à la
fin du monde ». « je ne vous laisse pas orphelin, le monde ne me voit pas mais vous me verrez… ».
La Parole de Dieu ne renvoie pas à un passé dans la mémoire des apôtres. Elle est vivante parce
que Parole du Dieu Vivant, contemporain. Le Christ devient présent à travers sa Parole. Ces paroles sont
dites chaque fois dans un sens nouveau, si bien qu’elles demeurent sa parole. C’est aujourd’hui que le
Seigneur nous parle. Nous ne pouvons comprendre la Parole de Jésus que si nous la comprenons comme
parole vivante. Ainsi, le pauvre est le sacrement du Christ. HUB : le frère devient pour moi sacrement de la
Parole de Dieu, qui s’offre dans la quotidienneté.
Il y a donc divers modes selon lesquels la présence de Jésus se manifeste dans sa Parole. C’est la
Communauté des fidèles qui la rend présente dans l’histoire. Jésus risque de devenir un « spectre
dogmatique » ( A.V. Harnack ).
Ainsi,
• Il y a des réalités que l’on ne peut rejoindre que si elles sont actuelles, immédiates. A un
aveugle, je ne peux expliquer que très peu ce que sont les couleurs. Il en va de même pour quelqu’un qui
n’aurait jamais reçu de l’amour : je ne peux lui expliquer… L’objet doit actualiser les potentialités
subjectives du sujet connaissant. Si ces potentialités sont absentes…
• Pour comprendre qui est Jésus, je dois rentrer dans cette même immédiateté.
L’accomplissement de toutes mes potentialités se fait vraiment dans le Christ. Il est une réalité effective,
mais doit être vécu au moins en partie comme présent. Le Christ est l’immense présent. Il doit l’être à ma
vie ;
• Néanmoins la christologie n’est pas réservée à celui qui est initié dans la foi. Certes elle est fides
quaerens intellectum. Mais elle attire également des personnes qui ne sont pas chrétiennes : elles en ont
une certaine précompréhension. La théologie peut être aussi intellectus quaerens fidem : une
compréhension intellectuelle de Jésus qui va se compléter à travers la foi. « A vous il a été donné de
comprendre le mystère… » : seuls les disciples peuvent comprendre réellement.
Dans le cas de Jésus, il ne suffit pas de dire ce que disent les autres… je ne peux déléguer à
personne la pratique de la foi, et de l’être-disciple. Le Christ m’interroge personnellement. La
reconnaissance du Christ était au début de l’Eglise étroitement liée au martyre. La Christologie n’est pas
un chapitre de la foi. Elle n’existe pas sans engagement personnel.
 L’attitude fondamentale sera donc de vouloir éviter de réduire Jésus à un objet de
connaissance dogmatique.

4
+ Toute demande est autorisée : « Dieu mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné… ».
- « Dieu mon Dieu » : nous sommes dans la Foi
- « Pourquoi… ? » : la demande elle-même…
 La Foi n’exclut pas la question au contraire. Le questionnement se renouvelle sans cesse.

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CH 1 – Problèmes herméneutiques et méthodologiques de l’époque
moderne relatifs à la christologie.

1.1 – Jésus historique et/ou Jésus de la Foi ? Le rapport Foi - Histoire.

1.1.1 – Des Lumières à Bultmann et le tournant après Bultmann

Longtemps les Ecritures furent réduites à un témoignage historique de Jésus. Le Christ de la foi
correspondait alors strictement au Jésus de l’Histoire.
Dans la théologie moderne, il y a eut une révolution sur ce point. Les Lumières autonomisent la
raison de toutes autorités externes : affranchir la raison. Traditions et Autorités doivent alors se justifier
elles-mêmes. Mêmes les Ecritures doivent passer au crible de la raison. Les autorités ont déformé la figure
du Christ : il s’agit de revenir au vrai Jésus de l’Histoire ; remonter au-delà du dogme irrationnel et de tous
les apports de l’histoire, pour rejoindre la vraie figure de Jésus. ( En fait, plus profondément, le but était
de séparer la personne de Jésus de celle du Christ, Fils de Dieu, Messie attendu et Rédempteur. Se
rapprocher du Jésus de l’histoire se fit donc en passant les Ecritures au crible de la raison. )

• La « Recherche sur la vie de Jésus ».

La Foi en Jésus Christ a-t-elle une base historique suffisante ? ce problème est né durant les
Lumières. C’est la recherche sur la vie de Jésus : Leben Jesu Forschung. Rejoindre le Jésus de l’histoire…

H.R. REIMARUS (XVIII°), Le dessein de Jésus et de ses disciples, publié par Lessing à partir de 1774. Il
fut le premier à reconnaître que le Jésus annoncé par l’Eglise et celui de l’histoire sont divers. C’est donc
la question typique de la modernité que ce rapport. Cette enquête prend alors des voies diverses :

• Sauver une foi en Jésus, homme exemplaire…. Il s’agit de sauver, même de manière vague, une
foi en Jésus, en lui conférant une nouvelle base historique. Et ainsi lui donner une nouvelle interprétation.
Jésus devient homme exemplaire, homme de vertu, prophète de l’image de Dieu Amour, amis des
pauvres… Cette orientation tend à faire du Christ l’homme exemplaire en qui nous pouvons nous fier
comme modèle…
 La foi de l’Eglise en est évidement dénaturée, et Reimarus rejeté, néanmoins demeure la
question du Jésus historique et de l’apport historique de l’Eglise primitive.

6
er
Reimarus : Jésus ≠ Christ (1 à le dire… !)
Jésus = homme exemplaire

David STRAUSS (XIX°), disciple de Hegel. La foi en Jésus est un mythe, ou le résultat de l’esprit
poétique de la Cté chrétienne, et du peuple, projection d’un désir du plus profond de l’âme. En chaque
peuple, il y a cet esprit créatif romantique. Le Christ est le résultat de cet esprit, en qui se concentrent les
désirs éternels de l’homme : désir d’immortalité, de fraternité universelle, … L’Absolu ne peut pas
s’incarner en une personne concrète mais seulement dans l’humanité entière, dans son esprit. C’est
Hegel : l’Histoire dans sa totalité est la manifestation de l’Absolu. Strauss renonce donc à tout
enracinement dans l’Histoire. Ce qui est dit de Jésus est un mythe éternel où se projette les rêves de
l’humanité ( Cf. DREWERMANN). On le voit, le lien s’est encore distendu avec notre foi : l’homme Jésus n’a
plus rien à voir historiquement avec le mythe éternel qui est projeté sur lui par le cœur désirant de
l’homme.

Dans la même direction, L’Ecole Libérale et Ernest RENAN et sa Vie de Jésus (1863). Ce livre
représente un évènement dans le monde littéraire, car il vulgarise cette thèse. Jésus était à l’origine un
moraliste, qui par la suite est devenu un révolutionnaire.

Strauss : Jésus = mythe, projection romantique du désir humain.


(// Drewermann)

Albert SCHWEITZER († 1965) : Histoire de la Recherche sur la Vie de Jésus1, ie, toutes les tentatives
pour trouver le vrai Jésus, qui furent « le plus grand acte de la théologie allemande »... On trouve alors
que tout a été dit sur Jésus, et que l’on en a fait tout. Il est donc impossible de vouloir reconstruire Jésus.
Schweitzer explique que chaque époque n’a fait que projeter sur Jésus simplement sa propre
personnalité, sa propre culture, sa propre attente : « Il n’y a pas d’entreprise plus personnelle que
d’écrire une vie de Jésus » !

"Le Jésus de Nazareth, qui s'est présenté comme Messie, qui a annoncé
l'avènement d'un royaume moral, la réalisation du Royaume des cieux sur
terre et qui est mort sur la croix, pour en quelque sorte consacrer son
oeuvre, ce Jésus n'a jamais existé. Ce n'est qu'une figure projetée par le
rationalisme du XVIIIe siècle, animée ensuite par le libéralisme et revêtue
d'un costume d'époque par la théologie moderne. "

Il observe qu’au centre de la vie de Jésus et de son message, il y a la parousie, attente de la fin du
monde : Jésus attendait la fin du monde comme quelque chose de très proche. Son message devait
préparer les hommes à cette parousie. Si bien qu’il n’est plus possible d’actualiser Jésus comme

1 Geschichte des Leben-Jesu-Forschung

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réformateur social pour notre temps, par exemple, car il s’est trompé lui-même sur cette attente de la
parousie. De plus, personne aujourd’hui ne vit plus dans ce contexte d’attente de la fin du monde.
Dès lors, celui qui recherche le Jésus de l’histoire finit simplement par se trouver soi-même.

Que reste-t-il alors ? Ce Jésus a encore quelque sens ? Jésus demeure un personnage de l’histoire,
duquel sont partis des repères éthiques essentiels de notre humanité : le respect de la vie, la dignité de
tout homme… Schweitzer part ensuite dans la forêt gabonaise… Nous ne pouvons fixer le Christ de la Foi
dans l’histoire.

Schweitzer : Jésus = un ensemble de projections disparates et aujourd’hui


inactualisables. ( + un repère éthique ).

Martin KÄHLER (1835-1912, un peu avant Schweitzer) propose une nouvelle solution ( qui
influencera beaucoup Bultmann, et le XX°) : le soi-disant Jésus historique et le Christ biblique (1892). Quel
est le lien entre Jésus (historique) et le Christ (Fils de Dieu et Sauveur).
Il redéfinit ce qu’est une « personne historique ». Une personne historique est une personne
déterminante pour ses contemporains, qui a marqué l’histoire, par ses actes, paroles, etc…. il gagne donc
l’adhésion, la foi de disciples et – seconde caractéristique majeure – cette foi continue à être professée.
A travers l’histoire des peuples, le Christ réel est le Christ prêché. Ce qui est historique n’est pas le
point concret historique passé de l’existence personnelle : ce qui est historique est l’effet qu’a eu cette
existence. Je dois chercher quels effets ont eu tels ou tels évènements ? Ainsi, le passage du Rubicon par
César (Alea Jacta est) est minime en soi, mais a eu des conséquences énormes dans l’histoire suivante. La
réalité d’un évènement dépend de ses effets dans l’histoire. Je ne peux séparer Jésus de la Cté chrétienne
qui a foi en lui. Voilà le Christ vrai, celui que nous rencontrons dans les Ecritures, car elle comprend la
lumière de l’Histoire et la foi de la Cté Chrétienne.
Il s’agit simplement d’une redéfinition de l’historicité selon l’interprétation : est historique ce qui
est Historique ( ie ce qui a marqué l’Histoire ). Le fait historique n’est pas un point du passé, mais l’effet
de ce point sur le présent.

Kahler : Le Jésus réel, historique = la « personne historique ».


= le Christ efficient dans l’Histoire
= le Christ prêché (/cru) par ses disciples, celui de
l’Evangile (le Christ biblique)

• Rudolf BULTMANN ( 1884-1976).

Cette conception de Kahler fut peu connue, mais reprise par Rudolf BULTMANN, Jésus (1926).
Kahler voyait une connexion, une continuité entre le Jésus historique et le Christ présent aujourd’hui.
Cette continuité entre passé historique (Jésus) et présent historiquement efficace (Christ) est abandonnée
par Bultmann. Selon lui, le Jésus historique est pour nous quasi un inconnu. Mais cela n’est pas un
désavantage, bien au contraire. Il réinterprète 2 Co 5,16 : « Même si nous avons connu le Christ selon la
chair, maintenant ce n'est plus ainsi que nous le connaissons. » et conclut que l’unique Christ réel et
important est celui de l’Eglise, celui en qui est la foi. Bultmann est proche de l’existentialisme

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(Kierkegaard, Heidegger…). Dans l’Ecriture, le Christ s’adresse à moi, et il m’interpelle dans ma vie, il
m’oblige à me situer, à me convertir. C’est de moi qu’il s’agit. Le Christ historique n’est pas premier ; il
suffit de dire qu’il existe réellement (mais l’on ne peut rien dire ni sur sa crucifixion, ni sur sa
Résurrection). Jésus Christ est ressuscité dans le kérygme, ie dans la proclamation de l’Eglise. Le Jésus
historique appartient aux présupposés de la foi, non pas à la foi elle-même ;

Bultmann : Jésus = le Jésus pour moi. (Kant)


( Kahler + Lessing ) = le Jésus enseigné par l’Eglise, et qui m’interpelle.
(existentialisme)
(christologie fonctionnelle. Cf. I.3)

Bultmann eut une influence énorme dans les années 50 et 60s : il permettait de critiquer toute
l’historicité de l’Evangile, car seul compte ce que j’entend de son discours dans ma vie. Ce que Jésus a fait
en soi – tel ou tel miracle, qu’il soit ressuscité, etc… - n’a aucune importance : ce qui est important est le
message qui découle de tout cela, et l’accueil de ce message dans ma vie.
Le kérygme pour Bultmann est essentiellement un appel personnel/existentiel.
( on comprend mieux dans ce contexte Dei Verbum, soulignant que la Révélation n’est pas
d’abord un contenu de doctrine mais une Personne, Dieu lui-même, se révélant en Jésus Christ )

 Quel est le contexte culturel et philosophique de cette pensée ? A l’origine les Lumières. Mais
l’on retrouve aussi l’influence du philosophe LESSING (1729-1781) : la science de l’Histoire ne peut
produire que des résultats seulement hautement probables. L’on ne peut donner sa vie pour une opinion
historique qui n’est que probable ? il y a un « fossé très large » entre des faits historiques mêmes très
probables, et la vérité absolue, ie dogmatique, de la foi.
Ce « fossé très large » est au cœur de toute la problématique christologique actuelle : comment
est-il possible, en partant seulement d’affirmations de caractère historique sur Jésus Christ – seulement
probables – de parvenir à des vérités absolues ?

Lessing : hypothèses historiques / fossé très large / Vérités absolues


très probables

Pour Bultmann, tout se concentre sur le kérygme de l’Eglise, la prédication de l’Eglise.


Le lien est évident avec la philosophie de Kant et sa philosophie de la connaissance : nous ne
pouvons rejoindre la chose en soi, mais seulement le phénomène, la chose pour moi. Le sujet modèle
l’objet connu sur la base de ses conditions subjectives de connaissance. Nous n’avons que l’apparence de
l’objet, et l’objet est toujours conditionné par le sujet connaissant.
Bultmann ne fait que reprendre cela sur le plan théologique. Je ne peux rejoindre l’entité Jésus en
soi, mais seulement à travers la médiation de ma capacité subjective de connaissance, et de
« l’intersubjectivité de la Parole de Dieu », médiatisée par l’Eglise.

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Ainsi, la position la plus radicale fut celle de Rudolf Bultmann, qui plaide pour une séparation
fondamentale entre le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi : seul ce dernier est important pour la foi.
"Ce que Jésus a été, je ne peux et ne veux pas le savoir". Pour Bultmann, chacun est appelé à se décider
existentiellement face à la prédication de Pâques qui réclame notre adhésion au Christ présent ici et
maintenant comme le Seigneur crucifié et ressuscité. Le Jésus de l'histoire est à tout jamais inconnaissable
et, de toute manière, il n'est pas l'objet de la foi. Reprenant à son compte tout en l'interprétant dans un
cadre nouveau, un propos de Paul, Bultmann ne veut plus connaître "Christ selon la chair" : qu'il y ait, ou
non, continuité ou rupture entre le Jésus de l'histoire ou le Christ de la foi, peu importe pour lui : Croire au
Christ présent dans l'Evangile, tel est la seule chose qui compte pour lui. Pour Bultmann, vérité de foi et
vérité historique n'ont rien à faire ensemble sauf à certains moments privilégiés de l'histoire. Bultmann se
situe en fait dans la veine de Kierkegaard. Pour le philosophe danois, "si la génération de cette époque
n'avait rien laissé d'autre derrière elle que ces paroles : Nous avons cru que Dieu s'est montré sous l'aspect
misérable d'un serviteur, en l'année telle et telle, il a enseigné et vécu parmi nous et cela l'a conduit à la
mort - ce serait plus que suffisant. "

• Après Bultmann, la NEW QUEST…

Si l’on accepte la décision de Bultmann, on reste dans le kérygme de l’Eglise, mais l’Eglise
s’identifie complètement avec la Parole de Dieu. Seul est réel le kérygme. Toute l’importance est donnée
à l’Eglise. Elle revêt une importance énorme. S’il en est ainsi, le danger est que l’Eglise gère de façon
autonome la Parole de Dieu, et que cette Parole devienne son bien propre, au lieu de la servir. Cela ouvre
la possibilité de critiquer l’usage que l’Eglise fait de cette Parole de Dieu, au nom du Jésus historique.
Jésus était comme cela, et l’Eglise en a fait cela... ainsi, Hans Kung, qui critique l’Eglise en partant du Jésus
réel et de son Evangile. (id. Schillebeeckx ). Au nom de quoi l’Eglise se permet-elle cette appropriation de
Jésus, et en tire-t-elle son autorité ? Ce que nous rencontrons, est-ce la Révélation de Dieu ou une simple
projection ecclésiale ?

Le climat socio-politique des années 60s : contexte de révolte social. Donc, recours à Jésus comme
réformateur social, et pacifiste. Le Christ du kérygme ne suffit pas. Comment le Jésus de l’époque s’est-il
confronté à la société de son temps ? voilà l’intérêt de l’époque, et ce qui est susceptible d’éclairer la
notre. Bultmann isolait complètement Jésus de l’hébraïsme et du judaïsme de l’époque. Ce qui lie Jésus
au judaïsme ou à l’Eglise primitive devient douteux. Il s’agit de réactualiser Jésus aujourd’hui pour lui
rendre sa pertinence et sa force d’action. L’un des fruits en fut la théologie de la libération, la théologie
féministe, écologiste…

Joachim JEREMIAS prend lui aussi acte de la faillite des vies de Jésus : "le rêve est donc exclu
d'écrire une biographie de Jésus". Il n'en demeure pas moins que nous devons et que nous pouvons
revenir au "Jésus de l'histoire et à sa prédication". Et toute la quête de Jérémias sera marquée par ce
souci de remonter, par-derrière les textes, vers le personnage historique qu'est Jésus de Nazareth, en qui
nous sommes placés devant Dieu lui-même. Le Kérygme certes mais enraciné, en continuité directe avec
l'histoire de l'homme de Nazareth qui constitue la seule source indispensable de la proclamation
apostolique. L'œuvre de Jérémias apparaît comme une quête de proximité avec l'événement premier, le

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moment premier de la foi chrétienne : la prédication de Jésus de Nazareth. Pour cela, il faut ne retenir
que ce qui est radicalement nouveau… Jésus n’était pas un rabbin, un maître de sagesse, un prophète.
Son message contredit tout le contexte de son temps. On ne comprend Jésus que dans le contraste avec
son époque. C’est le «critère de la différenciation» , avec ses risques d’anti-judaïsme.

Jeremias : critère de différenciation

A l'origine de ce que l'on appelle la "New Quest", E. KASEMANN fut l’élève de Bultmann (60s 70s),
mais disant que nous connaissons plus sur le Jésus historique que Bultmann ne le dit, bien plus qu’un
simple squelette de Jésus. Dans l’évènement de la Passion est déjà présent la christologie successive à la
Passion. Il s’agissait alors de « purifier » les Evangiles de tout ce qui pouvait venir du judaïsme et du
christianisme des origines. Cette méthode est problématique : la perception de Jésus est réduite à ce qui
le différencie du contexte dans lequel il vit. Nous sommes alors dans une forme de réalisme qui veut
rencontrer le vrai Jésus.

Ernst Käsemann prend clairement position contre Jérémias. Il lui reproche de rendre la foi
chrétienne dépendante de l'analyse historique. Jérémias n'a pas pris acte des leçons du passé et il
poursuit cette folle prétention d'offrir à notre adoration l'image authentique de Jésus. Il fabrique une
idole. Jérémias assure avoir désormais des critères et des barrières dignes de confiance. Mais la
recherche historique aussi aboutie soit-elle ne peut nous placer devant l'interpellation décisive qui nous
vient de la prédication. Les résultats de la science ne sont pas habilités à susciter notre foi. Dans une
conférence en 1953, Kasemann marque un tournant : « séparer le Christ du kérygme du Jésus de
l’Histoire, c’est courir le risque de transformer le Christ en mythe. Sans recherche historique, on ne peut
plus reconnaître comme Christ de foi le Jésus terrestre. » Je ne peux connaître le Christ de la foi que si j’y
introduit le Jésus de l’Histoire. Sinon je suis dans le mythe. On ne peut saisir Pâques sans le Jésus terrestre
et inversement.

Par rapport à Bultmann, Käsemann insiste cependant sur une réhabilitation de l'histoire comme
instance critique qui évite l'enthousiasme et le spiritualisme. Il ne s'agit pas de rechercher la vérité première
et de fonder sa foi sur des découvertes historiques. Il s'agit d'affirmer que la foi chrétienne est liée à une
réalité historique. Il ne s'agit pas d'un appel au passé pour justifier dogmes ou pratiques, il s'agit d'éviter au
Christianisme de devenir mythe, gnose ou idéologie : le christianisme est un phénomène de part en part
historique. Comme Bultmann, Käsemann ne participe pas d'une vision positiviste de l'histoire. Pour lui, la
recherche du Jésus historique est indispensable pour préserver la théologie et l'Eglise "de cette coïncidence
avec la vérité qui est le secret diabolique de toute appropriation religieuse". En outre, ce n'est pas en
dehors d'une rencontre concrète avec l'histoire que l'on peut appréhender ce dont il est question dans
l'évangile. L'importance de l'histoire tient ici au souci de Käsemann de rompre et avec l'illusion de
l'immédiateté, et avec le risque de réduire le théologique à un espace spécifique. Rompre avec
l'immédiateté dans la mesure où l'histoire rappelle la distance irréversible qui existe entre la vérité croyante
et l'événement qui la fonde. Rompre avec le risque d'isolement dans la mesure où la tâche historique ne
cesse de rappeler que la foi chrétienne est de part en part un phénomène historique appréhendable de la
même manière que tout autre phénomène religieux. D'autre part, l'exégète devra interpréter et donner
sens à la figure de Jésus en fonction de l'espace historique dans lequel il a vécu (distanciation). D'autre part,
"l'avènement ici et maintenant d'une nouvelle figure sera pareillement fonction du lieu et du temps précis
dans lesquels je vis et en dehors desquels elle ne saurait strictement rien signifier" (refus d'un espace
spécifique et hors histoire).

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Ce regain d'intérêt suscité par Käsemann donnera naissance à un certain nombre de
travaux dans les années 60-70. Ce qui les caractérise alors c'est une approche plus modeste : plus question
de reconstituer une "biographie", une "vie" de Jésus. Désormais, l'historien sait qu'il est impossible de
reconstituer précisément l'existence de Jésus dans le détail, hormis son existence en Galilée et sa mort
autour des années 30 de notre ère. Quant à situer telle ou telle de ses paroles dans le cadre de son
existence terrestre, cela est définitivement impossible. On procèdera alors par éclairages successifs sur tel
ou tel aspect du personnage : sa prédication, la question de ses miracles, son débat avec le judaïsme, sa
mort…

• La «THIRD QUEST» (80s), anglo-saxonne : retour à Jésus.

On entre aujourd'hui dans une nouvelle période de la recherche sur le Jésus de l'histoire, sous
l'influence de l'exégèse américaine et, en outre, suite aux découvertes de Qumran. Cette nouvelle étape
se caractérise par une meilleure connaissance de la sociologie de la société et du judaïsme contemporain
de Jésus, et une prise en compte plus importante de la littérature dite apocryphe. Il est encore difficile
d'évaluer les résultats de cette nouvelle impulsion de la recherche. Un point semble ressortir cependant :
par-delà les reconstructions proposées, le débat s'articule autour des notions de continuité/discontinuité
: Jésus est-il en continuité ou en rupture avec son temps ? Un second point peut-être soulevé. La "Third
Quest" s'accompagne d'un regain d'intérêt pour la source Q et l'évangile de Thomas. Le présupposé
implicite est que la vraie fidélité à Jésus est la fidélité à son enseignement, et non au kérygme post-pascal.
Pour beaucoup de chercheurs, surtout en Amérique, les mouvements les plus fidèles à Jésus (= les cercles
porteurs de Q et de Thomas) ont été, au premier siècle, des groupes "non-chrétiens", c'est-à-dire des
groupes dont le lien à Jésus ne passe pas par le message pascal. Conclusion : l'engouement pour le Jésus
historique, la source Q et Thomas, qui va de pair, dans le JESUS SEMINAR, avec une certaine polémique anti-
ecclésiastique, renoue, par-delà les siècles, avec la tradition rationaliste de la fin du XVIIIe.

 ce qui devient prioritaire est l’intérêt de type historico-social. Jésus est compris dans le
contexte de l’hébraïsme, et de l’histoire de son temps. Car je ne peux comprendre qqu’un que dans son
contexte. La différenciation de Jésus de l’hébraïsme est dépassée, mais Jésus est inséré dans ce même
hébraïsme, avec toutes ses sources, y compris les apocryphes. Toutes ces sources éclairent la personne de
Jésus. Apparaissent alors les tensions de la Cté juive de l’époque, et Jésus apparaît comme le rénovateur
de ce contexte messianique et troublé. L’annonce de Jésus est une eschatologie de la restauration du
peuple hébreu.
Dans cette Third Quest, tous les courants sont d’accord pour dire que l’on doit abandonner le
« critère de différenciation » pour adopter le «critère de plausibilité historique». C’est le mouvement
inverse… La recherche historique s’intéresse alors à la question suivante : où trouver exactement le
contexte hébreu de l’époque ? Ce qui est plausible dans le contexte juif peut être correct.
La Third Quest s’affine alors :
Ainsi, par exemple : « et moi, je vous dis que… ». Cette formule est très courante dans les discours
des rabbins de l’époque. Dans le Sermon sur la Montagne, Jésus reprend cette périphrase dans le

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contexte de l’époque ( opposition de deux rabbins), mais en différenciant sa parole de celle de la Torah
donné à Moise. Atténuation et accentuation de la Torah : voilà la spécificité.
De même le double commandement de l’amour. Contextuelle et spécifique en même temps (
dans son universalité : tous sont prochains).
On le voit, sur ces deux exemples, une base contextuelle en fonde la légitimité, et une
particularité en fonde la radicale nouveauté et originalité.

Diverses approches souvent non chrétiennes :


- Robert FUNK, HOLLENBACH et SCHEEHAN : Jésus comme prophète girovague, comme politique...
- J.D. CROSSAN : The Historical Jesus : The Life of a Mediterranean Peasant (1991). Jésus comme
paysan subversif, voire cynique…
Ils se retrouvent depuis 1985 dans le Jesus Seminar.
- JOHN P. MEIER : A marginal Jew: re-thinking the historical Jesus (1991), conclut la foi chrétienne
est une interprétation possible… Jésus échappe à tous les clivages de son temps. Caractère unique de sa
personnalité. Il est inclassable et échappe à ttes catégories. C’est cela qui le spécifie

 Résultats de la Third Quest :


- elle intègre Jésus méthodologiquement dans le contexte culturel, social, religieux de l’hébraisme
de son temps. Gerhard Thiesson décrit longuement tout ce que nous pouvons savoir du Jésus historique (
et c’est relativement important, mais ne comprend que l’aspect humain.)
Le but est de voir Jésus historiquement et théologiquement à l’intérieur du Judaïsme.
- n’est pas mis en relief ce qui est unique en Jésus, sa personne divine, sa mission, son autorité…
c’est la limite de la méthode historique. Pour Thiesson, la question du Jésus historique est une question
scientifique. Seulement la science part toujours d’hypothèses. Nous sommes ramenés à la même
question, donc.
- Il semble donc finalement que la Third Quest elle aussi projette sur Jésus ce qu’elle veut y voir.

Annexe :
• Reprenons synthétiquement : Les critères de reconstruction de la prédication de Jésus
Depuis la fin du mouvement des "Vies de Jésus" on a donc abandonné l'idée
d'élaborer une "biographie" de Jésus. Par contre l'effort porte sur la reconstitution de sa
prédication. Or, dans la mesure où cette prédication nous est parvenue exclusivement
par l'intermédiaire de textes chrétiens (c'est-à-dire présupposant la confession de la
seigneurie pascale du crucifié), la recherche doit user de critères solides permettant de
reconnaître, parmi les énoncés placés dans la bouche de Jésus, ceux qui sont
effectivement des paroles historiques de Jésus (ipsissima verba).

1. Un premier critère consiste à considérer comme authentiques des paroles qui


ne peuvent être expliquées par la théologie de la communauté primitive ou ne
concordent pas, purement et simplement avec le monde juif de l'époque. On appelle ce
premier critère, le "CRITERE DE DISCONTINUITE" (à n'utiliser que de manière positive : il ne
démontre pas l'inauthenticité de tout ce qui établirait une continuité entre Jésus et le
judaïsme de son temps et entre Jésus et le christianisme primitif !). Certes Jésus est juif,
certes encore, la prédication chrétienne s'enracine dans l'enseignement de Jésus. Il
s'agit simplement ici de partir des singularités que l'on peut mettre en évidence. Il

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s'ensuit que lorsqu'une parole de Jésus se trouve attestée dans le monde environnant, il
est impossible de dire avec certitude si Jésus l'a lui-même prononcée ou si elle lui a été
attribuée par la tradition. A l'inverse, certaines paroles comme les antithèses du Sermon
sur la Montagne semblent relever du critère de discontinuité.

2. Un second critère est celui de "L'ATTESTATION MULTIPLE" d'après lequel il faut


considérer comme autentiques les traditions qui sont attestées dans plusieurs sources,
pour autant que leurs "tendances" soient conformes aux énoncés repérés comme
authentiques à l'aide du critère de discontinuité. A titre d'exemple, le logion de Mc 8,38
("Qui a honte de moi et de mes paroles, le fils de l'Homme aura honte de lui quand il
viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges") se retrouve dans une tradition
indépendante (Lc 12,9//Mt 10,33 : "Qui me renie devant les hommes sera renié devant
les anges de Dieu") : si la version de Mc a sans doute une version déjà orientée
christologiquement (idée du "retour" de Jésus), l'essence du logion remonte à Jésus (les
humains seront jugés en fonction de l'attitude qu'ils auront eu à l'égard de sa
prédication).

3. Un troisième critère est le "CRITERE DE COHERENCE" : il faut que l'ensemble des


traditions rassemblées à partir des deux critères précédents possède une cohérence
d'ensemble. Ainsi, le Notre Père qui est une prière juive tout à fait traditionnelle et dont
la formulation ne présente aucune particularité renvoyant spécifiquement à Jésus : dans
la mesure où ses divers énoncés s'intègrent, sans difficulté, au tableau d'ensemble de la
prédication de Jésus reconstruit grâce aux deux critères précédents, on peut considérer
comme tout à fait vraisemblable que la prière, dans son ensemble, remonte à Jésus
(surtout dans sa formulation de Lc 11,2-4). De même, les paraboles : dans la mesure où
elles ne comportent pas de caractéristiques christologiques et/ou ecclésiologiques
évidentes, le critère de cohérence permet d'en considérer la plus grande partie comme
authentique.

4. Un dernier critère, souvent utilisé sans être explicité, est celui "D'EXPLICATION
SUFFISANTE". Il consiste à attribuer à Jésus ce qui est indispensable pour expliquer
certaines données historiques sûres de son destin dans ce monde (comment expliquer
l'opposition des autorités de Jérusalem sans prendre en compte l'hypothèse d'une
liberté de Jésus vis-à-vis de la Loi ou, à tout le moins, une interprétation qui se situait en
écart avec celles des théologiens juifs de son époque).

Tentons rapidement une évaluation, non pas de la pertinence de ses critères (une
pertinence à évaluer au cas par cas), mais de ce qui sous-tend la démarche. Si je vois
bien, il s'agit de donner les moyens d'identifier les paroles supposées remonter au Jésus
de l'histoire. Poussée à l'extrême, cette quête des paroles authentiques produit
l'initiative du Jesus Seminar qui imprime les paroles de Jésus en couleurs différentes
(authentiques : rouges ; inauthentiques : noir ; probables : rose ; incertains : gris), selon
les discussions et les votes à l'intérieur du groupe. On rejoint ici une démarche de type
fondamentaliste : cf. l'édition d'une Bible où les paroles de Jésus sont imprimées en
rouge. Evidemment, dans ce dernier cas toutes les paroles de Jésus sont en rouge, mais
sur le fond la logique est la même : la vérité évangélique est liée à l'authenticité de
chaque parole, au sens qu'elles ont été effectivement prononcées par Jésus. Il faut
entendre ici ce que disait Oscar Cullmann en 1925 : d'une certaine manière, toutes les
paroles de Jésus sont secondaires parce que tout est filtré à travers la communauté, et,
dans le même temps, toutes sont authentiques parce que la communauté, lorsqu'elle a

14
modifié les paroles de Jésus, le fait dans le but de transmettre le message de Jésus (du
moins ce qu'elle en a compris).
• Transition : quel lien entre le Jésus historique et le Christ de la Foi. 3 courants demeurent…

1. les auteurs de l’école historico-critique :

Jésus est le vrai critère de la foi de l’Eglise. La méthode historico-critique doit aider à le purifier de
toutes les falsifications de l’Eglise. Il s’agit de déterrer ce Jésus originel, en purifiant le Christ de la foi de
toutes les projections ultérieures et falsifications ( y compris de l’Eglise, pour les extrémistes de cette
voie. Kung et Schillebeeckx. )

Le Christ de la foi = le Jésus historique reconstruit par la recherche.

2. les fondamentalistes :

Tout ce qui est rapporté dans les Evangiles est vrai historiquement. Le problème soulevé par les
Lumières est ignoré…
Le Christ de la foi = le Jésus historique.

3. la ligne de Bultmann

Ils présupposent un Jésus historique, mais ne s’intéressent qu’au Jésus proclamé par l’Eglise : celui
du kérygme. Poussé à l’extrême, l’on retrouve Strauss ( Jésus est la projection collective d’un mythe) ,
Drewermann (pour qui le Christ est une projection de la psychologie humaine sur le Rabbi Yeshoua)

1.1.2 – Pertinence et Relativité de l’enquête historique : le scandale de l’hapax.

« Le Verbe s’est fait chair »  Le scandale (déjà pour la culture de l’époque) réside dans le fait –
non que Dieu puisse se manifester par un homme – mais qu’il se manifeste d’une manière unique et
irrépétable en Jésus, une personne singulière, historique, locale, unique. C’est l’hapax qui est scandale.
Ce scandale est déjà anticipé dans l’Ancien Testament, où Dieu parle par un peuple particulier,
Israël (Dt 7,6s : « Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu… »), par des prophètes particuliers….
Dieu agit de façon contingente dans l’histoire des hommes.
Tout cela s’accomplit clairement en la personne de Jésus. Et là est la foi des croyants, depuis
l’Eglise primitive jusqu’à nos jours.
La Foi chrétienne est fondée sur une figure historique : elle n’est pas basée sur une doctrine, ni
sur quoique ce soit qui risquerait de s’éloigner de la figure historique du Christ. Elle se fonde sur la figure
historique à travers laquelle Dieu s’est manifesté d’une façon irrépétable et d’une manière définitive.
Là est la spécificité du christianisme, mais aussi sa vulnérabilité face aux autres religions :

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1 – se repose sans cesse la question de la véracité de l’historicité de Jésus
2 – et comment transposer cette personne contingente et historique dans un monde complètement
différent.

A l’inverse de Mahomet ou Bouddha, Jésus ne fait pas que fonder une religion, une doctrine…il en
représente le contenu essentiel.
De sorte que la foi chrétienne n’est pas mythologie.
Mais en même temps demeure le problème de Lessing: comment fonder toute ma vie sur des
faits historiques qui ne sont qu’hautement probables. De sorte que l’on a toujours cherché à voir la foi de
manière indépendante des hasards de l’histoire :
- Lumières : Jésus était l’élément historique à travers lequel la Vérité est apparue dans le
monde. Jésus était le maître qui avait révélé la Vérité. Il avait seulement éveillé, stimulé les hommes à la
Vérité, mais les hommes, par leur raison, auraient pu parvenir par eux-mêmes – par leur raison - à cette
même vérité.
- Bultmann adopte lui une voie diverse : celle d’accrocher la foi, non pas au Jésus
historique, mais bien au kérygme de l’Eglise. // Drewermann, qui fonde la foi sur la simple projection du
désir le plus profond de l’âme humaine.
Toutes ces tentatives sont pour fuir le cœur du problème et la vulnérabilité de notre discours
chrétien.

KASPER : « Les questions historiques émergent inévitablement, si l’on prend au sérieux la


déconcertante concrétude de la foi dans le Christ. Dans ce cas, il n’y a plus aucune place pour une foi pure
de tout ajout historique. Ce contenu centrale de la foi n’est rien d’autre que cette personne historique
déterminée ».

Les Evangiles content une histoire, mais une histoire réinterprétée par l’auteur. De là l’importance
de la recherche historico critique. Nous ne pouvons en faire l’économie, en disant : ‘il suffit de croire dans
le dogme de l’Eglise’. Le dogme lui-même doit pouvoir montrer son enracinement rationnel, et
historique.
Le problème de Lessing est incontournable : comment dépasser le problème de la seule
probabilité historique de Jésus ?

H. VERWEYEN ( Fribourg) ouvre des pistes intéressantes :

- L’objet normal de la recherche historique sont des faits datés : guerres, etc… mais jamais cela n’a
été une personne, qui ait aimé réellement et sans réserve tous les hommes. Pour un tel objet, certes il
faut des preuves tangibles de son existence, mais elle ne suffisent pas à prouver que cette personne était
tout amour. L’amour ne se vérifie pas simplement de manière objective et neutre. Il s’expérimente. Dans
le cas d’une personne du passé ( le Christ), je dois alors aller à la rencontre de personnes qui ont fait
l’expérience de son amour, et rentrer à mon tour dans leur expérience. Alors, le « fossé très large » de
Lessing peut être enjambé.

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Nous ne pouvons pas rejoindre la personne de Jésus en enlevant le mortier de l’interprétation
chrétienne ou des traditions successives, mais seulement à travers le flux vital du moment même où je le
rejoins. C'est-à-dire quand la lumière avec laquelle il fit irruption dans l’histoire, passant à travers ceux qui
en furent illuminés, arrive à nous illuminer nous-mêmes d’une manière propre et directe. Cette lumière
est la foi de l’Eglise. Si bien que l’ancienneté des traditions n’est pas forcement critère de meilleure
authenticité, contrairement à ce que pensait Kung ou Schillebeeckx. ( Jn n’est pas moins fidèle que
Marc…).

Quel but a alors la recherche historique ?


1. « Le Verbe s’est fait chair », et il s’agit de le localiser historiquement.
2. la recherche historique éclaire la foi dans sa plasticité : comment le commencement historique
devint ce qui suivit, c'est-à-dire quelque chose qui perpétua ce commencement et en même temps
prépara le nouveau.
3. elle fait comprendre comment les premiers disciples ont reconnu en Jésus le Fils de Dieu.
L’annonce du Christ serait seulement alors l’annonce de la foi des premiers disciples après Pâques, si l’on
ne pouvait démontrer le fondement historique de Jésus. Certes les Evangiles sont postpascals et à la
lumière du Mystère Pascal, le principe de Pannenberg demeure valide : on peut distinguer la figure du
Christ et les lignes essentielles de son message, du point de vue de l’époque.

Pour ces raisons cette recherche historico-critique est valide. Cependant, la vérité la plus
profonde sur Jésus se trouvera dans les témoignages de vie de l’Ecriture, et dans la Communauté des
croyants.

1.2 – Christologie fonctionnelle et / ou ontologique.

Là encore, il s’agit d’une critique de la doctrine traditionnelle de l’Eglise, en regard des Ecritures,
fondée cette fois sur son contexte philosophique : Platon, puis Aristote. ( critique de Luther, à l’origine,
puis Melanchthon ).

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1.2.1 – Une hellénisation de la foi chrétienne ?

Adolf von HARNACK : « le dogme chrétien ( et les affirmations de foi regardant le Christ en général)
est l’œuvre de l’esprit grec sur le terrain du christianisme ». On a voulu inclure Jésus dans les catégories
ontologiques classiques : nature, etc… l’authenticité du message de l’Evangile se trouve altérée par cette
verbalisation dogmatique. Il s’agit donc de dés-helléniser la foi. ( postérité de Harnack : KUNG et
SCHILLEBEECKX )

Que serait cette hellénisation tant critiquée ?

Le mode de penser grec consiste en Le mode de penser biblique au contraire porte son
l’attention particulière portée à l’essence, à attention sur l’existence, le ‘Dasein’ d’une réalité : il
l’être spécifique (‘Sosein’) d’une réalité. s’applique donc au sujet dynamique, en action.
Cette essence est immuable, et la réalité est
donc pensée sous son mode statique.
Ce que l’objet est en soi. Il s’agit donc, dans la pensée biblique, de voir ce que
l’objet est pour moi et non tant en soi.

Relations sous le mode statique. La Bible pointe les relations sous leur mode personnel.
Le monde est cosmos, nature, espace Le monde est histoire, réalité dynamique inscrite dans le
immuable. temps.

Exemple : le nom de Dieu. Yhvh.


Dans la Bible, il ne s’agit pas d’abord de dire que Dieu est l’être en soi, mais ce qu’il sera pour
nous : « je serais là pour vous. » ( Cf. contexte d’Ex. 3,14 : « les cris des israélites sont montés jusqu’à
moi… »). il s’agit d’une annonce existentielle de Dieu. Déjà la LXX traduit : « Je Suis celui qui Suis »,
soulignant l’immutabilité de son essence.

H. KUNG décrit donc la doctrine ecclésiale sur Jésus Christ comme une hellénisation successive
discutable du message biblique original, transposition discutable dans les catégories ontiques de la
pensée grecque. Notamment le fait de déduire de l’Ecriture la filiation divine de Jésus par exemple ( !), sa
préexistence éternelle, et son essence constituée de l’union de la nature divine et de la nature humaine.
Tout cela relève du mythe, selon lui. Ainsi, par exemple la préexistence du Verbe serait seulement une
affirmation post-pascale pour rendre Jésus vivant et fonder la praxis chrétienne.
Il s’agirait de revenir aux affirmations fonctionnelles bibliques des Ecritures : fonctionnelles parce
que soulignant la fonction, le rôle, la signification, la relation de Jésus vis-à-vis de l’homme. « Qui est Jésus
pour moi ? ». Il s’agirait donc de revenir à cette compréhension première, fonctionnelle de Jésus, non
comme Fils de Dieu préexistant auprès du Père, mais comme « administrateur, porte-voix, ambassadeur
personnel, substitut et représentant de Dieu ». L’appellation qu’il se donne lui-même de Fils de Dieu serait
seulement pour dire qu’il appartenait à Dieu, qu’il était du coté de Dieu, soumis à lui seul et non au
monde ; un peu selon son sens vétéro-testamentaire, donc. C’est l’hellénisation qui a transformé cette
appellation selon ses catégories, et a attribué à Jésus l’essence de Dieu, selon Kung, en faisant un être sur-

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humain. ( De là nait le différent avec le monothéisme juif). Kung reprend Harnack : « Le Christ n’était pas
Dieu, mais Dieu était dans le Christ ».

1.2.2 – Discussion de la thèse de la des-hellénisation

Il n’est pas dit que la rencontre avec la monde culturel grec n’ai pas changé l’expression de la foi :
c’est le propre de la foi biblique chrétienne de s’incarner dans le monde et la culture qui la reçoivent.
C’est l’inculturation, qui découle immédiatement de la prétention universelle de l’Evangile. Cette
hellénisation fut en quelque sorte l’inculturation de la Bible dans la culture grecque. La question est : la foi
en a-t-elle été falsifiée, dénaturée ?

• réponse exégétique : le temps laissé à cette falsification supposée est trop bref.

En effet, la théologie ‘araméenne’ hébraïque de la Cté de Jérusalem est contemporaine de la


théologie ‘grecque’ de St Paul. Il n’y a pas le délai nécessaire pour qu’une telle falsification se fasse, au gré
des traductions et transpositions d’une culture à l’autre. On retrouve les fondements de la théologie
traditionnelle dès les premières années après la Pâques.
Kaseman reconnaît lui-aussi que déjà dans le NT est présupposé la filiation divine de Jésus, dans
son sens métaphysique. On retrouve ainsi la doctrine des deux natures dans l’hymne aux Philippiens (
« de condition divine, il ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu, … ») , au moins
implicitement.

• réponse patristique : la sauvegarde de la singularité christologique.

Le Cardinal GRILLMEIER a répondu clairement à Kung, à partir de la patristique du III° au V° siècle :


les concepts ontologiques utilisés pour l’interprétation de Jésus n’ont pas valeur en soi, mais servent
seulement à assurer, clarifier, approfondir d’avantage ce qui est affirmé dans les Ecritures. Tous les
concepts proposés par Kung ( Jésus comme administrateur, ambassadeur, porte parole, …) était déjà
débattus durant ces siècles, puis rejetés car non suffisamment explicites et surs pour sauvegarder la
spécificité du Christ, telle qu’elle apparaît dans le NT.

• réponse métaphysique : le sens existentiel du Christ pour la vie de l’homme se renforce à partir
d’une telle conceptualisation.

Le Christ n’est en rien un spectre dogmatique (Harnack) ou métaphysique et il n’est pas question
de le présenter comme cela, mais bien avec une pertinence existentielle à l’égard du monde. Cependant
l’on ne peut non plus se limiter à ce seul second aspect, dont les contours seraient trop flous s’ils ne

19
s’enracinent pas objectivement dans la réalité, ie dans une histoire effective. Nous retomberions alors
dans la critique moderne des religions ( Feuerbach ).
Quelque chose qui n’est pas également en soi ne peut avoir aucun sens ni aucune pertinence
pour moi. Quelle serait la valeur de Jésus pour moi, s’il n’est pas en soi ce qu’il affirme d’être. Sa
médiation se doit d’être réelle, enracinée dans l’être, ontologique. Dire ainsi par exemple ‘Jésus est un
homme qui a souffert avec une foi et un abandon exceptionnel à Dieu qu’il considérait comme son Père’,
cela peut se dire de tout homme religieux. Qui est alors Jésus ? où serait sa spécificité ?

• réponse fondamentale : adapter à chaque époque l’intelligence du mystère du Christ.

La foi s’est certes conceptualisée selon l’ontologie grecque : physis, ousia, omoousia, …
La Foi nécessite une reformulation constante, pour s’actualiser, et ne saurait s’enfermer dans des
vieilles formules. C’est précisément le rôle de la Tradition, de la maintenir vivante, actuelle. La question ne
porte donc pas sur la nécessité d’une réinterprétation mais sur la véracité de celle-ci. [ + CTI (1989):
L’interprétation des dogmes ]

 Karl Rahner, à propos de Calcédoine :

« La Tradition conserve sa signification et demeure vivante seulement quand elle est expliquée (…)
non parce qu’il s’agit de formules christologiques fausses, mais justement parce qu’elles doivent être
continuellement repensées et retraduites ».

Ainsi, le dogme n’est jamais l’ultime formule de la foi, mais elle est aussi un début, le début d’une
histoire continuée de reformulations et retraductions. ( De même qu’il n’est pas une formule qui clôt,
mais une formule qui garde ouvert le contenu de la foi, contre une hérésie qui elle la clorait ).

 MYSTERIUM ECCLESIAE (CDF – 1973 – DZ 4530) :

« Concernant… le conditionnement historique des affirmations dogmatiques, il faut observer tout


d’abord que le sens que contiennent les énoncés de foi dépend pour une part de la portée sémantique du
langage utilisé à un certain moment et dans certains circonstances.
Pour cette raison, il s’est déjà présenté dans diverses occasions la nécessité de devoir remplacer
certaines formules par d’autres plus adaptées : en fait, sans une telle transposition ou substitution, l’on
court le risque de comprendre de manière erronée des concepts ou idées du passé, justement parce que
l’on ne vit plus dans le même horizon d’idées ou de pensées. Et le risque est de projeter ses propres
structures conceptuelles et son propre mode de penser sur des formules antiques, en ne reconnaissant plus
la spécificité et la particularité de leur sens ».

Ainsi par exemple, les Conciles christologiques insistent sur les deux natures du Christ, non
seulement pour des raisons ontologiques, mais d’abord sotériologiques : ce qui n’était pas assumé n’est
pas sauvé.

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Au Moyen Age, dans un contexte différent, sont séparées christologie ( / être en soi de Jésus, sa
condition humaine et divine…) et sotériologie ( / rédemption, grâce, …). Ce lien, ce nœud ayant disparu,
l’on ne comprend plus la concrétude de ces concepts et leur centralité pour notre salut.

L’inverse serait également dangereux : réduire la christologie à la sotériologie ( comme TILLICH :


« La christologie est une fonction de la sotériologie »). Le Christ pourrait alors s’élaborer seulement en
fonction des aspirations de salut de l’homme. Dans cette ligne, citons :
- LUTHER déjà et son pro nobis : le Christ est intéressant parce qu’il est pour l’homme.
- MELANCHTHON : « Connaître le Christ, c’est connaître ses bienfaits, non pas comme les
scolastiques spéculer sur sa nature… »
- BULTMANN : « Le Christ m’aide parce qu’il est FdD, ou est-il FdD parce qu’il m’aide ? les
affirmation sur la divinité de Jésus ne regarde pas son essence ou sa nature, mais sont des affirmations
sur son importance pour moi : le Christ est FdD parce qu’il m’aide». L’être FdD est une affirmation
fonctionnelle de l’importance de Jésus pour moi (ie. l’être FdD est fonction de l’importance de Jésus pour
moi).

On voit bien la limite de ces pensées : Jésus est certes important parce qu’il me sauve, mais il me
sauve parce qu’il est Fils de Dieu, en ce sens qu’il a une essence, une nature ontologique qui correspond
et rend possible sa fonction rédemptrice. L’ignorer est ingénu  La sotériologie suit la christologie, qui la
fonde. Comme l’a montré l’exigence d’une responsabilité spéculative de la foi, qui se refuse à n’être
qu’une projection du besoin de salut de l’homme.

1.3 - Christologie d’en bas et/ou Christologie d’en haut.

1.3.1 – le sens du titre.

• La théologie classique – des premiers Conciles à la Modernité – s’efforçait de comprendre le


Christ à partir du Dieu trinitaire, Fils éternel du Père, etc… C’est une christologie d’ « en haut », ou
descendante, ou « de l’incarnation » ( la Personne divine descend, et assume notre chair).

- 1ere raison : la divinisation nécessite une christologie « d’en haut ».


Cette théologie repose sur une exigence sotériologique : Dieu seul peut nous porter à la
divinisation, la participation à la nature divine. Par nous-mêmes, cela n’est pas possible.
Le problème est que pour certains aujourd’hui, cette aspiration à la divinisation n’est plus
plausible : « Aujourd’hui, aucune personne raisonnable ne veut devenir Dieu » ( Kung…). Ainsi la grande
idée de la divinisation de l’homme serait obsolète, car le salut n’est plus vu comme cette divinisation,
participation à la nature divine.

- 2ème raison : le débat historique sur l’humanité du Christ.

21
De plus, à l’époque de cette christologie d’en haut, personne ne remettait en cause la divinité de
Jésus : les questions portaient plutôt sur son humanité. Comment Dieu a-t-il pu devenir homme ?
A partir de la modernité, le débat se porte sur l’homme en général (l’immanence et non plus la
transcendance), et concernant la christologie, il se déplace de l’humanité à la divinité de Jésus : Jésus est-
il Dieu ? Comment dans l’homme Jésus est-il possible que s’exprime le divin ?

• Ainsi, la christologie d’ « en bas » résume toutes ces tentatives pour remonter à Dieu à partir de
l’apparence humaine de Jésus. Que Jésus ait été une personne réelle – le Jésus historique - ne pose pas
de problèmes : le problème est de reconnaître en elle le Fils éternel de Dieu. Il s’agit de remonter de la
nature humaine à la nature divine.
- La 1ère raison est donc seulement contextuelle, le débat de la Modernité s’étant déplacé vers
l’immanence.
- 2ème argument : Les tenants de cette christologie insistent sur le fait que ce fut le cheminement
des apôtres que de remonter au Verbe à partir de l’homme Jésus. Ce serait donc le chemin pris par le
Christ lui-même pour se révéler.
- La 3ème raison serait simplement pastorale : partir de l’homme concret.

1.3.2 – des principes christologiques opposés ?

Ces deux modèles ne s’opposent en rien, mais bien au contraire se réclament l’un l’autre.

Dans l’ordre de la connaissance, nous n’avons pas d’autre moyen pour connaître la Trinité
immanente que la Trinité économique, de connaître la Verbe éternel qu’à partir du Verbe incarné qui le
révèle.
Mais dans l’ordre logique ou ontologique, c’est le Dieu Transcendant qui éclaire le Christ incarné.
Sans voir Jésus comme le Verbe éternel envoyé par le Père, nous ne pouvons non plus
comprendre la portée de son message, ni le salut qu’il apporte. Il demeure un grand homme, un
prophète.

 Le nœud des deux christologies peut être l’évènement de la Résurrection, évènement


historique du Jésus de l’histoire, mais témoignant de son origine anhistorique, éternelle.
Si le fait de la Résurrection nous garantit que la prétention de Jésus à être le Fils de Dieu trouve
une confirmation de la part de Dieu, alors la christologie d’en bas inclus déjà une christologie d’en haut :
je ne peux partir de Jésus (christologie d’en bas) que si je pars de sa prétention à être Fils de Dieu
(christologie d’en haut).
La Résurrection n’est concevable que comme une action indéductible, venant de Dieu,
inexplicable selon d’autres principes : elle demeure un évènement « d’en haut », et cela seul empêche
une exclusive christologie d’en bas. Mais en même temps, cette dernière est nécessaire, car pour
reconnaître le Verbe de Dieu, nous ne pouvons que contempler le Jésus de l’histoire.

 il faut donc cette alternative dialectique entre ces deux méthodes : christologie d’en haut et
d’en bas.

22
Sans cette alternative,
- la christologie d’en haut court toujours le risque de minimiser l’humanité du Christ, le Fils de
Dieu n’étant pas une personne humaine, mais la Seconde Personne divine, qui a assumé la nature
humaine. Cette assomption de la nature humaine peut risquer d’être considérée comme un évènement
seulement extérieur, contingent. Jésus en perd alors sa spécificité. Son humanité ne serait qu’un costume,
un ornement que Dieu aurait pris pour visiter la terre. ( résurgence modaliste… ?).
- A l’inverse la christologie d’en bas peut affirmer que Dieu apparaît dans l’homme Jésus, mais
court toujours le risque de ne plus le reconnaître.

1.4 - Christologie théorétique et spéculative et/ou pratique et libératrice.

Le débat nait dans les pays pauvres, où les spéculations de la théologie européenne semble
parfois bien loin des réalités concrètes des gens, et de leur besoins matériels, sociaux, économiques.
Leonardo BOFF : Jésus est libérateur, c'est-à-dire libérateur d’un oppresseur.
Se déploie ainsi un nouveau horizon herméneutique de la foi, horizon politique, de libération
sociale et économique.
Jon SOBRINO : l’herméneutique ne consiste pas seulement à éclairer les affirmations faites sur le
Christ, mais aussi à les rendre opératives.
Ainsi, dans le contexte sud américain sont réinterprétés nombres de concepts évangéliques :
- le Règne de Dieu devient règne de justice, sans oppression.
- les miracles sont des libérations pour l’homme.
- La Résurrection est l’utopie d’un monde nouveau, où Jésus est de nouveau efficient et
libérateur.

• Critiques :
- certes, cette théologie pointe la nécessité de l’incarnation de notre foi dans la société, en la
transformant. Est soulignée la proximité de Jésus avec les pauvres, et les exclus.
- l’emphase est mise cependant sur le Jésus historique, au détriment du Jésus biblique et ecclésial.
Un fossé se creuse alors entre le dogme et la liturgie, qui est devenu dans le contexte de la théologie de la
libération l’authentique support de cette pratique de la libération sociale, et non plus l’expression vivante
de la foi.

Il faut comprendre que nos théologies respectives sont confrontés à des contextes très
différents :
- Le contexte de notre théologie est le contexte intellectuel d’une théologie qui cherche à justifier
rationnellement sa foi à travers la crise des Lumières et de la Modernité, et d’un monde sécularisé.
- Le contexte en Asie et Amérique latine est celui d’hommes oppressés et pauvres qui cherchent à
voir quelle espérance peut leur ouvrir le Christ.

A nous alors de nous laisser interpeller afin que notre théologie ne soit pas une vérité stérile,
muette. Aux théologiens de la libération de se laisser interpeller par nous afin que la leur ne soit pas
aveugle, poujadiste, et que le Christ soit recherché pour lui-même et pas seulement comme projection
d’un désir de libération économique, désir justifié en soi par ailleurs. Ainsi, Gustavo GUTIERREZ (père de

23
l’expression « théologie de la libération ») commence aujourd’hui sa théologie par la contemplation de la
Parole de Dieu. Seulement dans l’écoute contemplative de la Parole de Dieu, écoute passive et
réceptrice, peuvent être trouvées les bases nécessaires pour, dans un second temps, transformer cette
écoute en praxis.

1.5 - Les théories pluralistes des religions et/ou la foi dans le caractère définitif du
Christ.

• « Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous puissions être sauvés » (Ac. 4,12)

1.5.1 - Les religions non-chrétiennes dans la perspective du Christianisme chez les Pères.

• Les religions non chrétiennes représentent, selon les pères de l’Eglise, la présence universelle de
Dieu sur terre. Pour comprendre cette vision, il faut prendre en compte trois considérations :
1 - Le contexte dans lequel les Pères ont écrit est radicalement différent de notre contexte actuel.
2 - Les opinions des Pères par rapport aux religions non-chrétiennes divergent de nos opinions
aujourd’hui.
3 - Il y a une évidente valorisation par les Pères des événements positifs de la philosophie, qu’ils
reprennent et réutilisent.
Ils en arrivent à la conclusion que la Vérité peut donc être présente dans les autres religions.

ST JUSTIN (†165) attribut toutes les interventions de Dieu dans le monde avant l’Incarnation au
Logos, qui est le FdD et le Christ. L’unique Source de toute la connaissance religieuse est le Logos. Il y a
diverses formes de participation au Logos ( chrétienne, juive, paienne…). Tous ceux qui ont vécu selon le
Verbe sont chrétiens, même s’ils semblaient paiens : Socrate, Héraclite, Abraham, Elie… En toute
personne se trouve les logos spermatikos. Dans les chrétiens, le Christ est dans son intégrité. Les chrétiens
auraient, selon cette théorie, la connaissance parfaite et totale du Christ, et donc par lui de Dieu, alors
que les différentes philosophies et religions n’en ont qu’une connaissance partielle. Le christianisme
existe donc au-delà de ses frontières visibles (celles de l’Eglise), mais jusqu’à l’Incarnation, de manière
fragmentée. (christianisme anonyme… ? Tout possesseur d’une vérité est en quelque sorte une
manifestation du Verbe ? )

ST IRENEE continue sur la voie du Logos Révélateur. L’AT est ainsi plein de Logophanie ou de
Christophanie. Les paroles des prophètes sont déjà Paroles du Christ. le Christ récapitule toute
l’économie du Salut en lui : il est le Logos révélé, mais non visible par tous. C’est en lui que sont toutes les
causes et tous les effets. A travers lui, la révélation du Père est permanente, ce qui implique que pour
nous, la création se poursuit encore.
Les premiers Pères voyait surtout l’action du Logos au sein des philosophies grecques, mais tout
en soulignant l’absolue nouveauté de Dieu dans l’Incarnation (« folie pour les grecs »). Dans la philosophie

24
grecque, la sagesse est attribuée au Logos : il y a donc une participation et une action surnaturelle du
Logos dans la philosophie. Cette révélation continue est comparable à la continuité remarquable entre
l’Ancien et le Nouveau Testament.

CLEMENT D’ALEXANDRIE comparait la philosophie pour les grecs à la Loi pour les juifs, comme moyen
de préparation à l’Evangile. L’on pourrait alors penser les religions modernes comme la continuation de
cette œuvre préparatrice opérée par le Logos, cause interne de la recherche menée par les non-chrétiens,
pour porter au Christ.

AUGUSTIN parle lui de la masse des damnés et de la nécessité absolue de la Grâce. C’est le
principe : extra ecclesia nulla salus. Exclusivisme ecclésiologique.

• Depuis le XVIème siècle, avec la nouveauté de la découverte de l’Amérique, les questions se


sont posées autrement, quant au salut de ceux qui ne connaissaient pas l’Evangile. Dans Vatican II, la
distinction est faite entre la personne et la religion à laquelle il appartient : Un non-chrétien peut trouver
son propre salut, mais les religions non chrétiennes ne peuvent pas l’apporter.
Aujourd’hui, dans le contexte de la mondialisation, le Christianisme devient une tradition
religieuse parmi d’autres.

Reprenons.
1. Certains Pères de l’Eglise avait une grande ouverture quant à l’action de Dieu dans toutes les
religions non chrétiennes. Après Augustin, la situation changea (avec le rapport de force également...)
2. Moyen Age : Pas de salut hors de l’Eglise. C’est l’exclusivisme ecclésiocentrique.
3. Modernité : deux types de réponses à ce débat :

1.5.2 - XX°: la «THEORIE DE L’ACCOMPLISSEMENT » et la « THEORIE DE LA PRESENCE DU CHRIST DANS LES RELIGIONS » (
= DE « L’INCLUSIVISME » )

Reprenons ces 2 théories :

1 – Théorie de l’accomplissement : ceux pour qui les religions humaines ne représentent que le
désir humain universel et naturel de s’unir à Dieu. Jésus et le Christianisme sont alors la réponse de Dieu à
ce désir universel. Les autres religions sont l’expression de la religion naturelle à l’homme. Et le
Christianisme est l’unique religion surnaturelle. C’est la théorie de l’accomplissement , car ces désirs
humains universels sont rejoints et accomplis. Ex. Danielou, Balthasar, Lubac

2 – Théorie de la présence du Christ dans les religions ( inclusivisme ) : les religions humaines
représentent autant de révélations propres de Dieu dans l’histoire de l’homme. Elles sont toutes les
résultats d’une action salvifique de Dieu. Elles conservent aujourd’hui une valeur positive dans l’ordre du
salut. C’est la « théorie de la présence du Christ dans les religions » ou « présence inclusive du Christ ».
Dans toute religion, intervention de Dieu, et valeur médiatrice. Toutes les religions sont surnaturelles. Ex :

25
Rahner, Kung,… C’est l’inclusivisme. Car les religions sont incluses dans le projet universel de salut de
Dieu. C’est dans la ligne du discours de Paul aux athéniens (« le Dieu que vous adorez sans le connaître »)
la position du Concile Vatican II : L’inclusivisme signifie que toute valeur ou vérité religieuse appartenant à
l’histoire de l’humanité peut être incluse en Jésus Christ, appartient d’une certaine façon au Christianisme
(«Tout est à vous, mais vous être aux Christ », dit la 1 Co).  Dans cette seconde voie, le débat s’est donc
déplacé de l’ecclésiologie à la christologie. Comment le Christ rejoint-il ceux qui ne le connaissent pas ?
Y a-t-il alors une certaine relativisation de l’importance de l’Eglise ? C’est le risque.
Ainsi, KUNG : à coté de la voie étroite et extraordinaire de salut qu’est l’Eglise, il y a ces voies
ordinaires de salut que sont les autres religions. Un homme doit se sauver à l’intérieur de la religion qui
lui est accessible culturellement. Toutes les religions sont religions légitimes (Rahner). La voie de l’Eglise
est la « grande voie extraordinaire de salut », dit Kung2. Cette distinction a, selon lui, l’avantage de
souligner la voie d’excellence qu’est l’Eglise.
En réponse :

- EVANGELII NUNTIANDI (1975): Paul VI rappelle que l’Eglise est la voie normale et ordinaire. Car elle
est le moyen révélé et voulu par Jésus Christ. Elle n’est pas, comme le dit Kung, la voie extraordinaire.

E.N. 80 : « Ce salut, Dieu peut l'accomplir en qui Il veut par des voies extraordinaires que
lui seul connaît.[AG 7] Et cependant, si son Fils est venu, ce fut précisément pour nous révéler, par
sa parole et par sa vie, les chemins ordinaires du salut. Et il nous a ordonné de transmettre aux
autres cette révélation avec la même autorité que lui. »

- DOMINUM ET VIVIFICANTEM (1986) : parallèlement ( et comme une nuance), JP II y met en relief


également l’agir de l’Esprit Saint: il se manifeste de manière particulière dans l’Eglise, mais ses actions
sont universelles, et il opère dans les religions et le cœur de tout homme, partout où l’on prie et où l’on
cherche la vérité.

Le pluralisme des religions serait alors le signe de l’agir surabondant de Dieu pour sauver les
hommes. Elles ne sont pas seulement le signe de l’ouverture de l’homme à Dieu, mais aussi le signe de la
présence du Christ partout dans le monde.

Il n’y a pas d’autre nom par lequel nous puissions être sauvé que celui de Jésus, mais cela doit
être compris de manière inclusive. Jésus est l’accomplissement de toute religion.

2 «In opposizione alla via straordinaria della salvezza che è la Chiesa, le religioni del mondo possono essere chiamate le vie ordinarie della

salvezza per l’umanità non cristiana. Dio è il Signore non soltanto della speciale storia della salvezza della Chiesa, ma anche dell’universale
storia della salvezza di tutto il genere umano. Siccome Dio vuole seriamente ed efficacemente che tutti gli uomini siano salvati, che nessuno si
perda se non per sua colpa, ogni uomo è destinato a trovare la salvezza all’interno della propria condizione storica, che significa all’interno del
suo particolare ambiente individuale e sociale, per cui non può semplicemente evadere, ed infine all’interno della religione impostatagli dalla
società. Siccome Dio vuole seriamente ed efficacemente la storia della salvezza dell’intera umanità e società, sebbene Egli non legittimi ogni
elemento di queste religioni, tuttavia sanziona le religioni in quanto tali come strutture sociali, queste sono, seppure in sensi e con gradi differenti,
religioni legittime (espressione presa da K. Rahner). Un uomo deve salvarsi all’interno della religione che gli è resa accessibile nella sua
situazione storica, è dunque suo diritto e dovere cercare Dio all’interno di quella religione in cui il Dio nascosto lo ha già trovato, questo finché
egli non si trovi di fronte in maniera esistenziale di fronte a Gesù Cristo. Le religioni posseggono dunque con le loro forme di credenza e di culto
con le loro categorie e valori, con i loro singoli ordinamenti con la loro esperienza religiosa ed etica una validità relativ, un diritto di esistenza
provvidenziale relativo. Esse sono la via della salvezza nella storia universale della salvezza. La via generale della salvezza possiamo anche dire
mediata attraverso le religioni del mondo, la via della salvezza più comune, ordinaria, in contrasto con la quale la via della salvezza nella Chiesa
appare come un qualcosa di speciale e di straordinario. La via della Chiesa può essere considerata come la grande straordinaria via della
salvezza. La via della salvezza del genere umano al di fuori della Chiesa appare come la via ordinaria, però all’interno della Chiesa come la
grande via straordinaria».

26
Ac 17,23 : le discours de Paul aux athéniens (« celui que vous adorez sans le savoir, je viens vous
l’annoncer »)
Vat. II : l’inclusivisme = toute valeur appartient au christianisme et peut être intégrée au Christ.

1.5.3 - La « NOUVELLE THEORIE DU PLURALISME DES RELIGIONS » ( J. Hick, P. Knitter, Panikkar… )

La conviction que ce soit Jésus qui agit dans toutes les religions (ie inclusivisme) doit être
abandonnée. Il faut passer du christocentrisme au théocentrisme. Le Christ divise : Dieu unit ! Le Christ ne
doit pas constituer le moment central de l’histoire du salut.
Les chrétiens ne peuvent affirmer que Jésus soit la seule norme de Vérité. D’autres rédempteurs
pourraient se montrer tout aussi significatif (J.HICK). Il faut une révolution copernicienne, mettant Dieu au
centre de la Foi. Jésus n’est qu’une fenêtre parmi d’autre à travers laquelle nous pouvons contempler ce
mystère de Dieu. PANIKKAR : le Christ est aussi Buddha, Krishna, ….
Dans le contexte historique du christianisme, il était naturel que la voie de Jésus soit présentée
comme unique. C’était réactif, pour survivre. Les textes du NT ne sont pas des décrets éternels de Dieu,
mais l’expression existentielle d’une adhésion des premiers disciples, un ensemble de témoignages de
fidélité à Dieu devant l’adversité. Mais subjectives.

 Observations critiques :

1 – Derrière cette position pluraliste, il y a de nombreux présupposés philosophiques


(relativisme,…).
2 – Demeure la conviction chrétienne que Dieu s’est exprimé sans réserve et totalement à travers
Jésus : « Qui me voit voit le Père », « Dieu s'est plu à faire habiter en lui toute la Plénitude » (Col)… Seule
une personne peut faire une telle annonce : si Buddha faisait la même, alors d’autres traits de Dieu se
manifesteraient. Et la vraie essence de Dieu demeurerait cachée derrière ces diverses figures partielles le
révélant. Nous ne rencontrerions seulement que des aspects de Dieu, mais jamais Dieu lui-même.
Il y a donc une certaine résurgence du modalisme dans cette Nouvelle Théorie du pluralisme des
religions: ce que nous voyons de Dieu sont seulement des ‘modes’, masques, apparitions scéniques de
Dieu. Dieu resterait hors de l’Histoire humaine.
Sur ce terrain émergent des difficultés propres de la foi chrétienne, où la personne du Christ revêt
une centralité que n’ont ni Buddha, ni Mahomet. Si toutes les religions ont une valeur égale, alors Dieu
s’est révélé à l’homme de manière diverse, et ne se manifeste jamais entièrement. Le contexte moderne –
au nom d’une certaine tolérance – plonge ainsi dans un subjectivisme des religions et de la vérité. A
chacun sa révélation. Cette mentalité est très diffuse.

 Conclusion : Un inclusivisme christocentrique, mais équilibré d’un logo-centrisme et d’une


pneumato-centrisme

27
Sur ce point, la foi chrétienne se différencie de toutes les autres religions. L’alternative en est que
Dieu se soit vraiment montré entièrement dans l’Histoire, de manière historique, dans l’unique Jésus
Christ.

Dieu s’est-il montré entièrement dans le Christ, ou partiellement ?


 La seule voie juste est l’inclusivisme, contre le pluralisme. Le Christocentrisme de l’histoire du
salut n’est pas un christo-monisme : l’action du Verbe (logos) de Dieu et de l’ES sont à prendre en compte.
Dominum et Vivificantem : la grâce porte en soi une caractéristique christologique et pneumatologique.
Jn I : « le Verbe est la lumière véritable qui illumine tout homme ». Toutes les manifestations
divines sont des logophanies, et pas seulement des théophanies. + Présence et activité universelle de l’ES,
dans les personnes, dans les traditions religieuses.
L’action universelle du Verbe et de l’ES se combinent en une unique histoire de salut, autours de
l’évènement central du Christ. Donc le christocentrisme s’équilibre d’un logo-centrisme et d’un
pneumato-centrisme.
L’ES est l’Esprit du Christ.

• la temporalité de la Révélation : le Christ comme eschaton, alpha et oméga.

S’il y a une action salvifique de Dieu avant l’incarnation et à coté de celle-ci, nous rencontrons la
question du temps et de l’éternité. Pour notre connaissance humaine discursive, notre conception du
salut est discursive. Pour Dieu il n’en va pas ainsi. Le Christ est le sommet ou le centre. Non d’abord un
point passé. L’incarnation du Logos est éternellement présente dans la pensée de Dieu.
Le Christ, Verbe incarné est le seul en qui trouve satisfaction l’aspiration humaine. Les religions
anticipent ce don de Dieu dans le Christ, eschaton.

• Que répondre à la « nouvelle théorie du pluralisme des religions » quant à la pastorale du


dialogue inter-religieux ?

MOLTMANN : Est digne du dialogue seule une religion qui se prend au sérieux (!) et ne se renie pas
elle-même. Le christianisme ne peut dialoguer que si elle croit en l’unicité du Christ et se divinité absolue.
Elle a cependant à garder ce trésor qu’est le Christ dans des vases d’argile. Notre foi doit
apprendre à purifier son expression, et trouver les richesses cachées dans le Christ, que peuvent nous
révéler les autres religions.
La « nouvelle théorie du pluralisme » signifie aussi que :
- Dieu ne se révèle jamais entièrement
- et que l’homme n’en est pas digne.
D’une certaine façon, l’homme s’immunise contre la vérité, contre la rencontre totale et définitive
avec celle-ci. La Vérité devient esthétique. Elle n’est pas une devoir qui s’impose absolument. Que vaut
alors le dialogue, dans une telle conception de la Vérité, non normative, où « la communication s’instaure
à travers un échange d’idées qui exclut toute décision sur le sens ultime, la reléguant à la sphère privée » (
Verweyen ).

28
• Que peut apprendre le christianisme des religions ?

La Vérité à laquelle nous nous référons est l’autocommunication de Dieu, déjà depuis l’AT. Elle ne
peut se déterminer de manière atemporelle. Dans le Christ se manifeste cette promesse d’autodonation
de Dieu. « Je suis la Vérité ». Dans le NT, le Christ doit encore régner jusqu’à ce que Dieu ait mis tous ses
ennemis sous ses pieds. L’accomplissement final est encore à venir. C’est le « pas encore » du Règne. La
pleine révélation comme telle présuppose la fin de l’Histoire. Jésus n’est pas une personne privée : il est
le chef du Corps, constitué de membres diverses. Le Christ rejoint sa plénitude seulement quand toute la
réalité se laissera déterminée par Lui. Le Christ a donc un futur devant lui, ouvert, futur de la rencontre
avec le monde entier, explicitement, expressément.
Ce que Jésus est vraiment se manifeste dans le processus historique de l’humanité :
objectivisation de son essence. C’est là que les autres religions ont un rôle important :
 CTI. 1972 - L’unité de la foi et le pluralisme théologique : Les chrétiens doivent être disposés à
apprendre des autres les valeurs positives incluses dans ces traditions, et non encore manifestées dans le
christianisme. Elles sont à même de nous manifester toutes les implications de notre foi, et de nous
interpeller sur celles-ci. Le mystère du Christ est un mystère de récapitulation universel, qui dépasse les
expressions historiques. Dans la science moderne, nous sommes dans une conception évolutive de la
vérité. Or Jésus Christ est Seigneur d’une manière évolutive. Il est l’alpha en progrès vers son oméga.
Devant cette connaissance évolutive du Christ, il demeure le même et en même temps n’est plus le
même : il doit être annoncé partout, mais de sorte qu’il soit accueilli partout. L’annonce de la foi même
s’enrichit alors d’un nouveau matériel pour s’incarner. Les autres religions offrent une nouvelle
grammaire pour son plein déchiffrement.

Le dialogue authentique appartient seulement à l’inclusivisme. Cette position est explicitée dans
le NT avec le rapport au judaïsme, rapport certes unique, mais paradigmatique. Selon Rm 11, l’Eglise ne
peut trouver sa pleine figure que quand Israël aura reconnu le Christ. Cette réintégration du tout dans le
Christ est future. L’Eglise elle-même est donc dans ce « pas encore » de sa catholicité.
Dieu conduit les hommes à lui comme il le veut, réalisant lui-même la synthèse.
La réalité chrétienne est encore dans ses prémisses (Balthasar).

Conclusion :
1- D’un coté, les religions sont des voies légitimes au salut, à travers l’agir du logos et de l’ES.
(inclusivisme)
2- Mais seul le Christ est médiateur entre Dieu et le monde. Il est la Plénitude, et tout trouve en lui
son accomplissement. Cela n’élimine pas le dialogue, mais l’appelle au contraire.

// annexe : Dominus Iesus.

antécédent : CTI - Le christianisme et les religions ( 1976 )


Cause : Ce document vient parce que malheureusement certains théologiens avaient questionné
l’unicité de la médiation salvifique du Christ. Dans le désir d’un dialogue interreligieux.

29
1- position « exclusiviste » = ecclésiocentrisme.
/ abandonnée par tous, refusée par le Magistère ( 1 Tim 2…)

2- position « inclusiviste » = christocentrisme


Comment le Christ inclut tout, et tout le bien qui est hors du christianisme. D’une manière
ou d’une autre besoin de le reconduire au Christ.
C’est la position du Magistère.

3- position « pluraliste » = théocentrisme.


Jésus lui même renvoie au Père, renvoie à Dieu. Il se réfère au Père. Donc il semble que la
même position chrétienne nous renvoie vers le théocentrisme. Le christocentrisme nous porte au
théocentrisme.
La position de l’Eglise catholique est aussi théocentrisme. Aucune incompatibilité.
Mais « Personne ne vient au Père sinon par moi » dit Jésus dans Jean.
Donc le théocentrisme nous porte au christocentrisme également.
Le théocentrisme ne peut jamais se poser comme altérnative au christocentrisme

4 – pneumatocentrisme ?
L’Esprit est universel et nous porte là où il veut. christocentrisme et théocentrisme
s’unirait dans un pneumatocentrisme. Mais le NT ne connaît pas un don du SE hors de la Personne
du Christ, de la Pentecôte. Le don de l’ES est universel, mais vient du Christ ressuscité. La preuve -
1 P 10,11: « l’Esprit du Christ » qui était « dans les prophètes… ». L’Esprit du prophète est déjà celui
du Christ.

DI 12 - . D'autres envisagent encore l'hypothèse d'une économie de l'Esprit Saint


au caractère plus universel que celle du Verbe incarné, crucifié et ressuscité. Cette
affirmation aussi est contraire à la foi catholique, qui considère en revanche l'incarnation
salvifique du Verbe comme un événement trinitaire. Dans le Nouveau Testament le
mystère de Jésus, Verbe incarné, constitue le lieu de la présence du Saint-Esprit et le
principe de son effusion sur l'humanité non seulement aux temps messianiques (cf. Ac
2,32-36; Jn 7,39; 20,22; 1 Co 15,45), mais aussi à l'époque précédant la venue du Christ
dans l'histoire (cf. 1 Co 10,4; 1 Pt 1,10-12).

5 – régnocentrisme ?

De même, celui-ci vient du Christ ( NT ).


-Origène : l’autobasilea
- Hilaire fait le pas allégrement : Jésus se compare au grain de sénevé, au
banquet…

 DI 6 - Est donc contraire à la foi de l'Église la thèse qui soutient le caractère limité,
incomplet et imparfait de la révélation de Jésus-Christ, qui compléterait la révélation
présente dans les autres religions. La cause fondamentale de cette assertion est la
persuasion que la vérité sur Dieu ne pourrait être ni saisie ni manifestée dans sa totalité et
dans sa complétude par aucune religion historique, par le christianisme non plus par
conséquent, et ni même par Jésus-Christ.

30
 universalité salvifique et unique vérité du Christ.

6 – Logocentrisme ?

DI 9 - Dans la réflexion théologique contemporaine, apparaît souvent la conception de


Jésus de Nazareth comme une figure historique particulière, finie, révélatrice du divin
mais sans exclusive, comme complément d'autres présences révélatrices et salvifiques.
L'Infini, l'Absolu, le Mystère ultime de Dieu se manifesterait ainsi à l'humanité sous
maintes formes et par maintes figures historiques: Jésus de Nazareth serait l'une d'entre
elles. Plus concrètement, il serait pour certains l'un des multiples visages que le Logos
aurait pris au cours du temps pour communiquer salvifiquement avec l'humanité.

En outre, pour justifier d'une part l'universalité du salut chrétien et d'autre part le fait du
pluralisme religieux, on propose une économie du Verbe éternel, également valide en
dehors de l'Église et sans rapport avec elle, et une économie du Verbe incarné. La
première aurait une valeur ajoutée d'universalité vis-à-vis de la seconde, limitée aux seuls
chrétiens, mais où la présence de Dieu serait plus complète.


- Dans le premier paragraphe : Jésus est une des formes du Logos.
- second paragraphe : Jésus est LA manifestation du Logos. Pas d’autre. Mais il y a une économie
du Verbe incarné pour les chrétiens, qui renvoie à une économie du Logos comme telle,
universelle celle-là. La première est certes la plus parfaite, intense, mais pas en extension. Cette
seconde thèse, plus modérée, n’est pas acceptable non plus. Mais les deux traduisent une
christologie pauvre, oubliant Calcédoine : le Christ a assumé l’humanité, et l’humanité est entrée
dans la vie trinitaire. Le Verbe comme tel n’existe plus : existe le Verbe incarné. Le Verbe éternel ne
continue pas sa route de son coté, en mettant de coté l’Incarnation ( nestorianisme…). Paul : ne
pas rendre vain la croix du Christ.

• RAHNER a toujours affirmé clairement l’unicité de la médiation salvifique du


Christ. Il est vrai qu’il insiste plus sur l’Incarnation que sur le mystère pascal. Dieu
ne nous aime pas parce que le Christ est mort sur la Croix, mais le Christ est mort
sur la Croix parce que Dieu nous aime.
christianisme anonyme ? terminologie un peu impropre car est chrétien qui
proclame le Christ. il le reconnaît lui-même. De plus, c’est une terminologie ad
intra, car irrespectueuse. Mais par cette terminologie, Rahner se place clairement
dans l’inclusivisme. Là où est le bien, le Christ est présent, également
anonymement. C’est donc l’expression la plus grande de l’inclusivisme. Col. 3,11.
Cela n’a donc rien à voir avec l’affirmation d’une voie diverse à celle du Christ
(comme le disent souvent des commentateurs…) ; Rahner le dit clairement. Pas
d’autre voie.
Rahner : les 3 grands mystères sont Trinité – Christ – Grâce. La grâce est dans le
sens large ( incluant l’Eglise…).
( Là où Rahner a parler des autres religions comme voie de salut, c’était avant la
problématique actuelle pluraliste. Seulement pour dire que les autres religions
pouvaient éveiller la conscience de l’homme à la Vérité. Mais il précise que dans

31
ces religions il y a toujours des éléments bons, où l’Esprit peut être présent, et
d’autres « dépravés », parole forte qu’il employait lui-même ).

• Comment les non-chrétiens sont-ils sauvés par l’Eglise, maintenant ? ( et non plus par
le Christ. qui était une question plus facile).

- Vitali : L’Eglise est instrument et signe de salut pour l’humanité entière. Elle est signe et moyen
pour tous les hommes. « Pas encore » du salut dans le « déjà là » de l’Eglise historique. Le concept
clé est donc celui du « Règne », Eglise visible et invisible, actuelle et future. Hors de l’Eglise
eschatologique, point de salut.
- Ladaria : le Christ et l’Eglise forment une unité. Comment s’articule ceci ?

Règne

christ

Eglise

ceux qui refuse…

// Ratzinger : l’Eglise représente l’humanité devant Dieu.


- JP II (Red. Miss ? ) : cette relation Eglise – humanité est réelle, mais mystérieuse. tenir les deux.
Cependant dans cette relation, nous ne pouvons JAMAIS exclure le Christ.
- Eglise visible / invisible ? cette distinction ne doit pas être forcée. comme pour l’expression
« chrétiens anonymes ».
- mieux de parler de l’Eglise eschatologique, ou céleste.

• médiations subordonnées : « coopération variée de la part des créatures » à « l’unique


médiation du Rédempteur » ( DI 14) : Red. Miss. et Vat. II :

DI 14 - Le Concile Vatican II a d'ailleurs affirmé que « l'unique médiation du Rédempteur


n'exclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en
dépendance de l'unique source ». (LG 62)

 le contexte ici (LG 62) était celui de Marie. En rien il ne s’agit d’une médiation qui remplacerait,
ou qui serait parallèle à celle du Christ. Toute autre médiation est aussi valable : le prêtre, toute
personne bonne qui aide… Nous sommes donc dans un contexte intra-ecclésiale.

DI 14 suite - Il faut élucider le contenu de cette médiation participée, qui doit rester
guidée par le principe de l'unique médiation du Christ: « Le concours de médiations de
types et d'ordres divers n'est pas exclu, mais celles-ci tirent leur sens et leur valeur
uniquement de celle du Christ, et elles ne peuvent être considérées comme parallèles ou
complémentaires ». (Red. Miss. 5 ) Les solutions qui envisageraient une action salvifique

32
de Dieu hors de l'unique médiation du Christ seraient contraires à la foi chrétienne et
catholique.

 Cette deuxième citation est intéressante car le contexte de JP II est ici extra-ecclésial. ( Red.
Missio). Ces médiations peuvent être extérieures à l’Eglise. Ces personnes coopère à l’œuvre
salvifique. A travers ce qu’il y a de bon dans sa religion, et malgré ce qu’il y a de mauvais dans sa
religion.

1.6 - Jésus Christ et Jésa Christa ?

Pourquoi une révélation masculine de Dieu ?

• MARY DALY (Boston College): Attente d’une nouvelle incarnation de Dieu comme femme cette
foi, pour compléter la Révélation. Dieu n’aurait pas encore réussi à se manifester entièrement.

• R. RADFORD RUETHER : un Rédempteur masculin peut sauver aussi des femmes. Car il vient pour
sauver tous les hommes. L’accent est mis sur le fait que Jésus est la force spirituelle de Dieu pour sauver
les plus oppressés, et donc les femmes. La foi en Jésus n’est pas décisive, mais la foi de Jésus, le même foi
que lui, en Dieu provident pour les oppressés.

• D’autres veulent développer une christologie qui ne soit pas centrée sur la personne Jésus mais
sur la cause de Jésus, qui est la relation entre les hommes, l’égalité, la communauté des humains. Cette
cause est Christa. Jésus en est part importante mais non ultime. Christa est donc le pouvoir érotique de la
Sagesse (féminine) de Dieu qui veut se communiquer aux hommes.
Le symbolisme anthropologique Père-Fils peut alors être changer : Jésus est la forme féminine de
la Sophia. La paternité de cette idée revient à la gnose de Soloviev, pour qui la Sophia était comme un
« éternel féminin » en Dieu, idée reprise en partie par Boulgakov.

Même si les théologies féministes sont très diverses, elles sont toutes en lien direct avec la
« nouvelle théorie pluraliste des religions » : la centralité de la figure de Jésus, sous sa masculinité cette
fois, comme limite à l’universalité du salut ? Le scandale porte toujours sur le fait que Dieu ait pu se
révéler d’une manière unique et définitive, historique, dans la personne de Jésus Christ.

• Jésus a vécu la parfaite union de l’esprit et de l’âme, la composante masculine et féminine. Il


avait avec les femmes un rapport plein de compréhension, en contradiction avec l’époque patriarcale. La
femme est valorisée dans l’Evangile, et elle a une participation au ministère de Jésus : elles font parties
des disciples (il est incroyable qu’elles ait pu le suivre (donc lâcher le foyer…), l’écouter enseigner,
etc.…pas de disciples femmes dans le judaïsme). Il y a des paraboles impliquant des femmes : Lc 13 ( le
levain) , Lc 15 ( la monnaie perdue…), où les femmes y sont à l’image de l’agir de Dieu.
Il n’en demeure pas moins que Jésus était homme et non femme. Dieu est pleinement entré dans
notre histoire.

33
1.7 - Jésus homme et Jésus juif ?

L’identité juive de Jésus est de plus en plus soulignée ces dernières décennies.
 Nous professons Jésus l’hébreu, qui en tant que Messie d’Israël, est le Sauveur du monde
(document de l’Eglise protestante).
 Jésus est fils de David et fils d’Abraham : le salut est offert en premier aux juifs. Les chrétiens
bénéficient du salut dans la mesure où ils introduisent leur foi dans l’attente d’Israël.
 Le peuple élu n’a pas perdu son privilège par son refus (Rm 9).
L’accomplissement de l’Alliance est venu de manière imprévisible d’abord, au-delà des attentes
messianiques. Il y a sur-abondance. Mais en même temps, le Règne de Dieu – le shalom universel - ne
s’est pas manifesté encore. Pour de nombreux juifs, la venue du Messie devait coïncider avec la
rédemption du monde.
Ils rappellent donc aux chrétiens et au monde les promesses non encore accomplies. C’est avec la
venue en gloire du Seigneur que ces attentes seront accomplies. Dans sa crucifixion, Jésus s’est montré le
messie des païens, dans sa parousie, il se montrera messie d’Israël (Moltmann). Ils sont comme une épine
dans notre chair, sentinelles nous rappelant le « pas encore » du Royaume.

34
CH II – Questions controversées de la Christologie contemporaine.

Prolégomènes: cadre général de l’œuvre et de la figure de Jésus Christ

• Au centre du message de Jésus est l’annonce du Règne de Dieu, la Basilea.

La souveraineté de Dieu est déjà vétérotestamentaire : la domination de Dieu sur Israël et le


monde. Dieu est le Roi, et il l’est dans l’Histoire. Il protège le pauvre et l’opprimé, console le souffrant….
La Basilea est donc Règne de Justice. C’est la réalisation du Shalom de la fin des temps : paix des cœurs,
paix entre les hommes.
 Ce concept est à la fois théologique et politique.
C’est pourquoi l’objet de la proclamation du Règne est d’abord les pauvres, les anawim.

 La Basilea est donc un concept inclusif, qui inclut toutes les attentes de salut.
Il vaut pour tous les hommes. Il doit donc être communicable à tous. Il doit donc être formulable
pour tous : il traduit la radicale ouverture de l’homme à la transcendance, son espérance radicale, son
aspiration fondamentale au bonheur ; le fait que l’homme se dépasse toujours soi-même dans son désir
de communion avec Dieu qui s’incarne dans la communion avec les autres hommes. C’est le double
commandement d’amour de Jésus. La Basilea est communion. ( JP II , Redemptoris Missio : « La nature du
Règne est la communion de tous les êtres humains entre eux, et avec Dieu » ).

Basilea = Communio

1. Les 12 apôtres et les 12 tribus. L’annonce du RdD est donc liée au fait que Jésus veut rassembler
à lui Israël. Cet agir de Jésus est central. La souveraineté de Dieu ne regarde pas l’être singulier. Elle
concerne le peuple entier, que Jésus veut rassembler en un unique peuple de Dieu. Ainsi, les douze
apôtres représentent les douze tribus d’Israël. Jésus convoque Israël par ces 12 apôtres.

2. Le Pater reprend la sanctification du Nom et la venue du RdD. La « sanctification du Nom »


signifie réunir le peuple de Dieu ( Ez 36,23 : « Je sanctifierai mon grand nom qui a été profané parmi les nations
au milieu desquelles vous l'avez profané. Et les nations sauront que je suis Yahvé -- oracle du Seigneur Yahvé --
quand je ferai éclater ma sainteté, à votre sujet, sous leurs yeux. Alors je vous prendrai parmi les nations, je vous
rassemblerai de tous les pays étrangers et je vous ramènerai vers votre sol. »). C’est Dieu qui sanctifiera son Nom
en réunissant son peuple Israël, et en en faisant l’unique peuple de Dieu. Ceci sera la sanctification du
Nom.
Jésus montre alors que cette réunification du peuple passe par Lui. Communion, paix et justice
entre le peuple de Dieu, que Jésus veut faire autours de Lui ( Mc 3,33: « Quiconque fait la volonté de Dieu,
celui-là m'est un frère et une soeur et une mère. »).Cette réunification du peuple de Dieu est radicale. Elle

35
s’adresse donc prioritairement aux exclus de son époque, mais aussi à tout son peuple divisé, qu’il veut
rassembler sous ses ailes dans une unique grande famille, celle de ses disciples, fils d’un même Abba.

3. Ses miracles aussi vont dans ce sens :


- guérir un lépreux le réintègre dans la société. C’est la raison pour laquelle Jésus
les envoie chez les prêtres, qui entérinaient cette guérison et réintégration.
- Les autres guérisons des aveugles, sourds, etc… leur rendent leurs sens, moyens
de communications avec les autres.
-Les libérations démoniaques va dans le même sens.

 Le sens du Règne de Dieu consiste donc dans la fondation de la Communio de Dieu avec les
hommes, et des hommes entre eux. La Communio est donc le but vers lequel tend toute action de Jésus
(JEREMIAS).

• Dans l’Alliance de l’AT, la dimension verticale ( communion avec Dieu) se complète déjà de la
communion avec le prochain. Les personnes que Dieu appelle (prophètes, Pères…) sont toujours dans ce
but de l’union du Peuple de Dieu : Abraham doit être bénédiction pour tous les hommes de la terre,
Moise, etc..
Le peuple de Dieu, Israël, doit ensuite être bénédiction pour tous les peuples de la terre, appelés
tous à Jérusalem (Is 2).

Jésus manifeste donc l’unité qui est déjà au sein des Personnes divines entre elles :
- Jn 17,21 : « afin que tous soient un. Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi
soient en nous, afin que le monde croie que tu m'as envoyé. » L’unité du Père au Fils doit s’étendre au
monde entier. C’est là l’ultime volonté de Jésus. La gloire de Jésus est dans cette unité au Père, dans leur
amour réciproque avant la fondation du monde, et il l’ouvre à ses disciples : « Je leur ai donné la gloire
que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un: moi en eux et toi en moi, afin qu'ils
soient parfaits dans l'unité ».  Unité de la Création avec le Créateur, et de la Création entre elle, reflet
de la première. Jn : La mort de Jésus vise à réunir en un seul corps les enfants dispersés. Dans les autres
Evangiles, il s’agit également, dans les dernières paroles de Jésus de rassembler, faire des disciples et faire
entrer dans la communion du Dieu trinitaire ( Mt 28…).
- 1 Jn 1,3 : « ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons, afin que vous aussi soyez en
communion avec nous. Quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus Christ. »
- Vatican II reprend ce but ultime de la Création : LG 13 : « faire partie du peuple de Dieu, tous les
hommes sont appelés. C'est pourquoi ce peuple, demeurant un et unique, est destiné à se dilater aux
dimensions de l'univers entier et à toute la suite des siècles pour que s'accomplisse ce que s'est proposé la
volonté de Dieu créant à l'origine la nature humaine dans l'unité, et décidant de rassembler enfin dans
l'unité ses fils dispersés (cf. Jn 11,52 ). »
- Paul VI, Communio et progressio (1961) : le Christ est le « perfectus communicator » qui unit les
hommes entre eux pour les rendre à l’image du Dieu trinitaire.

36
2.1 – Le sens de Jésus comme « Messie », Christ.

2.1.1 – l’idée messianique dans l’AT et dans le premier christianisme.

Le titre est devenu un nom : Jésus le Christ. C’est l’un des titres les plus anciens donnés à Jésus.
Puis à ceux qui croient que Jésus est le Christ.
Dans l’AT, c’est l’ oint, ie charge royale.

Qui professe Jésus comme Christ professe du même coup l’AT, et qui lui retire ce titre en fait un
être sans origine, sans fondement, descendu du ciel comme un ange, … nous tombons alors dans un
mythe gnostique de la rédemption, qui serait coupé de l’histoire du salut.
Ce titre messie l’enracine donc dans l’histoire du Salut, et dans l’AT.
Le messianisme est l’idée centrale de l’hébraïsme ( Buber ), et c’est l’idée qu’Israël a donné au
monde (Gershom Sholem). Messie signifie oint, chargé de la charge royal.
- La déception messianique des rois d’Israël. Tous les rois d’Israël sont des figures du messie, mais
n’épuisent pas les espérances messianiques. Leur histoire est l’histoire de l’échec de l’onction, dit Buber,
car elle n’a pas aboutit à la protection des pauvres et petits, ni à l’union du peuple. L’exil vient alors
couronner cet échec. L’expérience de l’Exode fait comprendre à Israël que Dieu veut libérer son peuple de
toute oppression. Dieu veut être le seul roi du peuple, afin que son peuple ne soit pas oppressé. Le refus
de la monarchie est dans Juges 9,7 (discours de Yotam – refus d’être roi de l’olivier, du figuier…
finalement le buisson d’épine accepte, et couronnera un jour le Roi des rois). Puis la monarchie est
présentée comme cause de la souffrance du peuple. (Cf. élection de Saul contre l’avis de Samuel3 - Cf.
1Sam.8)
- Mais il y a une autre interprétation parallèle de la monarchie : la monarchie y est le don salutaire
de Dieu à son peuple, pour le garder uni et juste. 2 Sam : le roi est « pasteur de mon peuple Israël ». Ps
72 : le roi est don particulier de droit et de justice. Le jugement est quelque chose qui appartient à Dieu
mais qu’il peut déléguer au roi. C’est l’attente d’une façon particulière des pauvres, faibles, et opprimés.
Pour eux, le roi que Dieu leur donne est leur libérateur. Il représente Dieu lui-même dans sa dilection
pour le peuple. Le roi est aussi le représentant du peuple devant Dieu, à l’image du prêtre.
En réunissant ces qualités positives, la royauté peut être comprise comme un mode d’agir
salvifique de Dieu.
Dans l’Orient de l’époque, les rois étaient surtout divinisés. L’influence sur Israël aurait pu faire
que le roi d’Israël se mette à la place de Dieu lui-même. Dans la monarchie pré-exilique, cette influence
est évidente. Ainsi :
Ps 2 : « J'énoncerai le décret de Yahvé: Il m'a dit: "Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai
engendré.

3 1 Sam 8 : Samuel dit: "Voici le droit du roi qui va régner sur vous. Il prendra vos fils et les affectera à sa charrerie et à ses chevaux et ils

courront devant son char. Il les emploiera comme chefs de mille et comme chefs de 50; il leur fera labourer son labour, moissonner sa moisson,
fabriquer ses armes de guerre et les harnais de ses chars. Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères. Il prendra vos
champs, vos vignes et vos oliveraies les meilleures et les donnera à ses officiers. Sur vos cultures et vos vignes, il prélèvera la dîme et la
donnera à ses eunuques et à ses officiers. Les meilleurs de vos serviteurs, de vos servantes et de vos boeufs, et vos ânes, il les prendra et les
fera travailler pour lui. Il prélèvera la dîme sur vos troupeaux et vous-mêmes deviendrez ses esclaves. Ce jour-là, vous pousserez des cris à
cause du roi que vous vous serez choisi, mais Yahvé ne vous répondra pas, ce jour-là!" Le peuple refusa d'écouter Samuel et dit: "Non! Nous
aurons un roi et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations: notre roi nous jugera, il sortira à notre tête et combattra nos combats."
Samuel entendit toutes les paroles du peuple et les redit à l'oreille de Yahvé. Mais Yahvé lui dit: "Satisfais à leur demande et intronise-leur un
roi."

37
Demande, et je te donne les nations pour héritage, pour domaine les extrémités de la
terre;
tu les briseras avec un sceptre de fer, comme vases de potier tu les casseras." »

Ce Ps 2 reprend beaucoup les décrets d’instauration royaux orientaux de l’époque :


- le pharaon est généré de Dieu même.
- la terre entière est soumise à sa souveraineté.
- il lui est conféré la souveraineté sur tous ses ennemis.

Israël le reprend pour montrer que sa royauté n’est pas en dessous de celle de ses voisins.
Cette idéologie monarchique égyptienne est cependant corrigé par Israël : dans le Ps 2, l’accent
est mis sur la charge du roi, et non sur sa nature divine ( le roi est comme un fils adoptif de Dieu). La
dignité du règne d’Israël se fonde sur l’élection de Sion, sur laquelle le roi doit exercer sa charge
salvifique.

 Toutes ces attentes d’un roi idéal sont toujours déçues cependant.
Se développe alors l’espérance messianique. Les Ps royaux sont alors projetés dans le futur,
compris dans un sens messianique. L’attente porte d’abord sur une institution, une ère messianique. Mais
quelques siècles avant le Christ (le règne hasmonéen), il se cristallise sur la figure d’une personne.
L’attente se porte sur une personne. Ainsi, les pharisiens.
Au II av. JC, la figure du messie se précise. Les attentes de salut messianique étaient très précise :
paix, réconciliation, justice… mais aussi communion avec Dieu : Israël est le peuple de Dieu. Les attentes
messianiques sont non pas privées, mais communionelles.

2.1.2 - Jésus et les attentes de son temps


Mc 8 - Pierre lui répond: "Tu es le Christ."
Alors il leur enjoignit de ne parler de lui à personne.
Et il commença de leur enseigner:
"Le Fils de l'homme doit beaucoup souffrir…

Le ministère de Jésus va vers l’accomplissement de cet attente : la réunion des disciples, les
miracles, la réconciliation avec Dieu. Cependant Jésus ne se présente pas comme messie, parce que la
parole était trop ambiguë, et trop politique (zélote), ou religieuse (pharisien, dévotion à la Torah).
Jésus ne confesse pas directement sa messianité en usant la parole. il la reprend de Caiphe, de
Pierre, etc…
- Mc 14 : Jésus répond au Sanhédrin qu’il est le Messie, et que « vous verrez le Fils de Dieu
assis à la droite de Dieu. »
- l’entrée messianique à Jérusalem, dans la symbolique de Za 9,9.
- L’inscription de la Croix : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. Cette inscription correspond au
langage des romains, et est historique. Elle témoigne de la déclaration de Jésus comme messie, Roi
d’Israël.
- Deux autres facteurs internes :
- la résurrection de Jésus, comprise par les premiers témoins comme confirmation
de l’annonce de Jésus. Son activité messianique ont été légitimées par Dieu. En Jésus

38
s’accomplissent d’une manière nouvelle les anciennes attentes. En lui est accompli le
Shalom universel.
- la résurrection des morts, dans la pensée juive, est un évènement universel.
Celle de Jésus marque le début de la résurrection des morts, le fait qu’une ère
eschatologique s’ouvre.

2.1.3 - La christologie de l’élévation.

Dans cette optique, Dieu a élevé Jésus à la divinité par le relèvement d’entre les morts. C’est un
lien direct avec toutes les affirmations bibliques où Dieu parle du messie qui est à sa droite. Dans le
judaïsme, le messie ainsi considéré a un rôle important à jouer à la fin du monde, en vue de la
résurrection des morts.

Dans les Actes des apôtres, on trouve plus particulièrement cette christologie, qui reprend
beaucoup d’éléments originaux de la prédication apostolique. La promesse faite aux pères est réalisée (cf.
Ps 2 : « tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré »). La résurrection vient justifier (rendre
témoignage à) Jésus comme Fils de Dieu. Dans le même sens, le roi-messie (Ps 2,12) en vient à être
identifié avec Jésus, car il accomplit les promesses de l’AT. Cela implique la rédemption pour tous.
• De plus, par la résurrection, Dieu a nommé Jésus Kurios, messie. Ce titre représente l’aspect
eschatologique de la promesse
- cf. Ac 26, 22-23 : « Soutenu par la protection de Dieu, j'ai continué jusqu'à ce jour à rendre mon
témoignage devant petits et grands, sans jamais rien dire en dehors de ce que les Prophètes et Moïse
avaient déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d'entre les morts, il
annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes" ».
La communauté chrétienne a appelée cette réalisation eschatologique, comme en témoigne
l’utilisation du vocable « Marana Tha ». L’attente de la Parousie est de ce fait le résultat de la foi en la
résurrection.
Cette théologie de l’élévation, qui est la plus antique, prend ses racines dans l’AT. Le Christ est
ressuscité par Dieu, et donc il est reconnu comme Roi et comme Messie. C’est la source de l’unité, la
réalisation de la communion parfaite entre l’homme et Dieu. Mais cette théologie de l’élévation a un
complément : la théologie de la croix.

2.2 – La Croix : expiation pour nos péchés ?

Comment comprendre la crucifixion de Jésus ? En quoi fut-elle l’expiation de nos péchés ? En quoi
est-il le « bouc émissaire » de nos péchés ? Que signifie sa mort sur le fond de sa vie et de sa proclamation
unificatrice du Règne ?

39
2.2.1 – Problèmes concernant l’expiation

La modernité rejette l’idée selon laquelle la Croix ait pu nous sauver de la mort éternelle,
conséquence de nos péchés. Comment a-t-il pu souffrir la punition de Dieu pour nous ? L’image d’un Dieu
vengeur de son honneur bafoué, sur son propre fils en devient même chez certains démoniaque.
Nietzsche fait de ce Dieu « l’assoiffé oriental d’honneur », exigeant satisfaction, et Ernst Bloch « le
cannibale qui est au ciel »… !
Le message même de l’amour de Dieu risque de souffrir si ce fait n’est pas interprété de façon
juste (Ratzinger). Affrontons alors les diverses difficultés :

1 – le Dieu vengeur ? pourquoi ne pardonne-t-il pas mais exige réparation ?


2 – l’expiation vicaire ? comment un homme peut-il expier pour un autre ? expiation
vicaire scandaleuse pour Kant notamment : chacun est responsable de soi même et de son agir moral.
3 – Jésus a-t-il compris sa mort comme expiation ? Si l’annonce du Règne est processus
d’unification et de communion, n’est-ce pas en contradiction avec cette idée d’expiation ? S’il fallait sa
mort, pourquoi l’annonce précédente du Règne : la Passion eut suffit ? (von Harnack).

• Pour ces raisons, RAHNER explique dans son Cours fondamental sur la foi que le modèle de
rédemption comme satisfaction vicaire doit être remplacé aujourd’hui, car il semble trop révoltant à bien
des degrés.
 Il oppose alors sa « THEORIE DEMONSTRATIVE DE LA CROIX » à la « THEORIE EFFECTIVE DE LA CROIX» : la
Croix ne produit pas d’effets (ni expiation, ni réconciliation), mais elle démontre, elle révèle. Elle ne fait
pas, mais elle révèle. Elle est d’abord instrument de la révélation de Dieu.
Ainsi dans Jn : La croix, la crucifixion de Jésus concentre en quelque sorte tout le péché du monde,
tout le « non » de l’homme à Dieu, mais en réponse, Jésus l’accueille dans l’amour. Ce « non extrême »
est réintégré dans l’amour miséricordieux du crucifié. La mort sur la Croix n’est pas la cause de notre
Rédemption, comme si elle réparait la soif de réparation de Dieu, mais c’est l’amour du Christ comme
réponse à la Croix qui est révélation que Dieu est déjà et depuis toujours « le Réconcilié », continue
Rahner. Rien ne peut changer l’ éternelle et absolue volonté salvifique de Dieu.
La Croix n’est donc pas « cause effective » de notre rédemption mais elle est « cause finale
symbolique » de la volonté rédemptrice de Dieu, ultime représentation de comment Dieu établit son
rapport avec l’homme. « La vie et la mort de Jésus ont une causalité de type quasi-sacramentelle,
symbolico-réelle » (Rahner).

La Croix « n’obtient » pas le salut, mais « montre » que Dieu l’a toujours voulu.

La contemplation de la Croix nous révèle donc l’amour inconditionnel de Dieu pour nous, et nous
ouvre à cet amour.

40
• Citons brièvement d’autres théories interprétatives de la Croix évitant le modèle expiatoire.

 Jésus meurt comme prophète de la fin des temps. Le prophète doit mourir. ( Lc 11,47 ; Mt
23,29). Le prophète doit mourir pour sa Parole. La Rédemption vient alors du fait que Jésus, prophète
eschatologique, meurt dans le total abandon, la foi totale à Dieu, en réponse à l’infidélité constante
d’Israël.
 autre interprétation : Jésus meurt comme le juste souffrant. Sa patience, sa soumission
condamne la violence de ses adversaires. Il meurt en juste – Cf. Lc.

Mais peut-on cependant conserver une crédibilité au modèle expiatoire ?

2.2.2 – pour une adéquate compréhension du modèle expiatoire

Il s’agit d’abord de comprendre ce qu’est le péché. Il est l’exact contraire de la Communio, point
d’arrivée de la Création et de l’Histoire. Le péché signifie être soi-même son propre centre ( au lieu d’avoir
le Christ comme centre). D’où interruption de tout dialogue avec Dieu, et avec mon proche. Solitude et
Isolement , cor incurvatus in se ipso (cœur replié sur lui-même, dit Augustin), coupé de la communion
vivifiante de Dieu. A cause de l’interconnexion du créé , le péché d’un seul parasite toute la communio, et
contamine du coup toute la Création, qu’il déforme. Ainsi se comprend le péché originel, qui se répand
par contagion. L’homme est victime puis coupable.
Dans l’Ecriture, le péché n’est pas seulement refus de Dieu mais aussi de mon prochain. C’est
pourquoi il n’est pas immédiatement annihilé par le pardon de Dieu. Bien plus, il déforme la Communio
d’amour voulue par Dieu pour la Création, et la met toute entière en péril. Le péché est un danger public.
Voulant se gagner le monde, l’homme perd alors sa propre Vie ( Mc 8,36 : « Que sert à l’homme de
gagner le monde entier, s’il en perd sa propre vie »).
La question est donc la réparation du mal, mais pas du coté de Dieu – qui pardonne – mais du
coté de l’humanité et de l’ordre établi de la Création. Comment rétablir cette communion horizontale,
cette Communio perdue ? Dieu qui respecte notre liberté attend cette réparation de notre liberté, avec
l’aide de sa grâce. Ici s’ouvre l’espace pour une juste interprétation de l’expiation, qui, du point de vue
biblique, n’a rien à voir avec une pénitence visant à apaiser l’humeur d’un Dieu en colère. C’est le
contraire : c’est Yhvh qui fait le sacrifice d’expiation, et qui purifie l’homme ( et non l’homme qui se
purifie lui-même). Le KPR biblique ( qui donne Kippour, pardon) vient d’une racine qui signifie recouvrir,
ôter. Dt 21,8 (contre un homicide impuni) : Accorde à ton peuple l’expiation, « ‘Seigneur, Pardonne à
Israël ton peuple, toi Yahvé qui l'as racheté, et ne laisse pas verser un sang innocent au milieu d'Israël ton
peuple’. Et ce sang leur sera pardonné."». Il s’agit d’arrêter l’infection du péché, de briser le cercle vicieux
du mal en réintégrant le pécheur dans la Communio vitale et en rétablissant ainsi l’ordre de la Création.
Dieu seul peut en donner la possibilité à l’homme.
Le sacrifice dans l’AT est donc cet agir rituel de Dieu, qui avec la coopération de l’homme (les
prêtres) produit l’expiation. Dans le NT, la situation a des similitudes : « Dieu nous réconcilie à lui par le
moyen du Christ » (2 Co 5,18). Et en Rm 3,25 : « Dieu l'a exposé, instrument de propitiation par son propre
sang moyennant la foi; il voulait montrer sa justice, du fait qu'il avait passé condamnation sur les péchés
commis jadis ». Mais la justice est à comprendre comme le fait que Dieu reste fidèle à ses promesses.

41
 Dieu lui-même donne justification à l’homme, et répare la communion brisée.
 Mais cela n’a rien à voir avec la nécessité de satisfaire à un désir vindicatif de Dieu. Au
contraire il transforme en bénédiction une malédiction, et la mort en la vie.
 cette rédemption est « communionelle » : l’homme coopère. ( comme dans l’Ancienne Alliance
).

• En quoi consiste cette co-rédemption de l’homme ? Comment briser le cercle du mal ?

1 - le pécheur reconnaît et confesse sa faute.


2 - briser le cercle vicieux du mal : le péché me coupe de Dieu > il me coupe des autres > me
ferme sur moi > isolement > perte d’authenticité et de sens à mon existence > angoisse >
agressivité : je n’arrive plus à m’approcher des autres avec confiance et amour > péché. etc…
Ce cercle se brise lorsque je refuse les conséquences du péché, et les dépasse. Je ne rends
pas alors le mal.
3 - je rentre de nouveau dans un rapport d’amour et de confiance à Dieu. Communion.

L’animal sacrifié dans l’AT représentait alors le pécheur (il impose les mains à l’animal sacrifié). En
aspergeant de sang l’autel, le pécheur reconnaît publiquement sa faute ( car il voit les conséquences de
son acte : le sang). Il rentre dans une nouvelle communion avec Dieu ( le partage de l’animal dans un
repas commun avec Dieu).
La liturgie est donc le lieu de cette réconciliation renouvelée. C’est dans l’AT le Yom Kippour (Lv
4
16) :

4 Yahvé parla à Moïse après la mort des deux fils d'Aaron qui périrent en présentant devant Yahvé un feu irrégulier. Yahvé dit à Moïse:
Parle à Aaron ton frère: qu'il n'entre pas à n'importe quel moment dans le sanctuaire derrière le voile, en face du propitiatoire qui se trouve sur
l'arche. Il pourrait mourir, car j'apparais au-dessus du propitiatoire dans une nuée.
• Voici comment il pénétrera dans le sanctuaire: avec un taureau destiné à un sacrifice pour le péché et un bélier pour un holocauste. Il revêtira
une tunique de lin consacrée, il portera à même le corps un caleçon de lin, il se ceindra d'une ceinture de lin, il s'enroulera sur la tête un turban
de lin. Ce sont des vêtements sacrés qu'il revêtira après s'être lavé à l'eau.
• Il recevra de la communauté des enfants d'Israël deux boucs destinés à un sacrifice pour le péché et un bélier pour un holocauste.
Après avoir offert le taureau du sacrifice pour son propre péché et fait le rite d'expiation pour lui et pour sa maison, Aaron prendra ces deux
boucs et les placera devant Yahvé à l'entrée de la Tente du Rendez-vous. Il tirera les sorts pour les deux boucs, attribuant un sort à
Yahvé et l'autre à Azazel.
- Aaron offrira le bouc sur lequel est tombé le sort "A Yahvé" et en fera un sacrifice pour le péché.
- Quant au bouc sur lequel est tombé le sort "A Azazel", on le placera vivant devant Yahvé pour faire sur lui le rite d'expiation, pour
l'envoyer à Azazel dans le désert.
Aaron offrira le taureau du sacrifice pour son propre péché, puis il fera le rite d'expiation pour lui et pour sa maison et immolera ce taureau. Il
remplira alors un encensoir avec des charbons ardents pris sur l'autel, de devant Yahvé, et il prendra deux pleines poignées d'encens fin
aromatique. Il portera le tout derrière le rideau, et déposera l'encens sur le feu devant Yahvé; il recouvrira d'un nuage d'encens le propitiatoire
qui est sur le Témoignage, et ne mourra pas. Puis il prendra du sang du taureau et en aspergera avec le doigt le côté oriental du propitiatoire;
devant le propitiatoire il fera de ce sang sept aspersions avec le doigt. Il immolera alors le bouc destiné au sacrifice pour le péché du peuple et il
en portera le sang derrière le rideau. Il procédera avec ce sang comme avec celui du taureau, en faisant des aspersions sur le propitiatoire et
devant celui-ci. Il fera ainsi le rite d'expiation sur le sanctuaire pour les impuretés des Israélites, pour leurs transgressions et pour tous leurs
péchés.
Ainsi procédera-t-il pour la Tente du Rendez-vous qui demeure avec eux au milieu de leurs impuretés. Que personne ne se trouve dans la
Tente du Rendez-vous depuis l'instant où il entrera pour faire l'expiation dans le sanctuaire jusqu'à ce qu'il en sorte!
• Quand il aura fait l'expiation pour lui, pour sa maison et pour toute la communauté d'Israël, il sortira, ira à l'autel qui est devant Yahvé et fera
sur l'autel le rite d'expiation. Il prendra du sang du taureau et du sang du bouc et il en mettra sur les cornes au pourtour de l'autel. De ce sang il
fera sept aspersions sur l'autel avec son doigt. Ainsi le purifiera-t-il et le séparera-t-il des impuretés des enfants d'Israël. Une fois achevée
l'expiation du sanctuaire, de la Tente de Rendez-vous et de l'autel, il fera approcher le bouc encore vivant. Aaron lui posera les deux mains
sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi
chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes
en un lieu aride.
Quand il aura envoyé le bouc au désert, Aaron rentrera dans la Tente du Rendez-vous, retirera les vêtements de lin qu'il avait mis pour entrer
au sanctuaire. Il les déposera là, et se lavera le corps avec de l'eau dans un lieu consacré….(…)

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- le prêtre sacrifie un taureau pour lui et sa famille ( Aaron)
- va dans le Saint des Saints, encense le propitiatoire et l’asperge du sang.
- il immole le bouc choisi pour le peuple et fait comme avec le sang du taureau.
- il confesse trois fois ses péchés sur le bouc immolé.
- puis confesse les péchés du peuple sur le bouc émissaire envoyé dans le désert.

2.2.3 - Jésus et la rémission des péchés

• « Dieu sauve » : la venue du Règne

Jésus est celui par qui « Yhvh Sauve ». Il est celui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1,21).
Et cela non pas en créant un nouveau rite au Temple, dont le rite était considéré de plus en plus comme
illégitime (confisqué par les Hasmonéens, depuis deux siècles). Cela explique aussi le Baptême de
conversion de JB.

La venue du Règne n’est pas une amnistie générale (!) à la manière de Kippour, mais quelque
chose de plus profond. «Satan tombe du ciel comme l’éclair » (Lc 10,18), et débute « une année de grâce
pour le Seigneur» (Lc 4).
 Le pardon des péchés est dépassé par la venue du Règne. « Il y a ici plus grand que le Temple »
( Mt 12,7), car « c’est la miséricorde que je veux, et non les sacrifices » (Mc 12,33). Son corps est le
Temple nouveau. A cela est liée aussi la purification du Temple.

• le rejet du Temple et le culte nouveau

Selon Jésus, le temple est voué à la ruine, et il vient inaugurer un nouveau Règne. Jésus critique
ouvertement le temple, centre de la religion juive, tout comme il s’oppose aux pharisiens et aux prêtres.
Ce faisant, il s’exclut du temple, et il se sépare aussi de la possibilité du Salut offerte par le temple et ce
qu’il symbolise.

Par conséquent, selon, les chercheurs de la “Third Quest”, la Cène n’est plus un repas pascal, car
Jésus aurait brisé le lien avec le temple, mais un repas offert à Dieu. Ce qui en fait un acte fondateur d’un
culte nouveau, culte qui propose le Salut sous une forme différente. La dernière Cène remplace le culte
du temple.
La mort de Jésus est le résultat des tensions suite à toute son action. Il a été tué pour 3 motifs :
- la confrontation avec la Torah
- la confrontation avec le temple (et la hiérarchie qui le représente)
- l’annonce du Royaume de Dieu

Au septième mois, le dixième jour du mois, vous jeûnerez, et ne ferez aucun travail, pas plus le citoyen que l'étranger qui réside parmi vous.
30 C'est en effet en ce jour que l'on fera sur vous le rite d'expiation pour vous purifier. Vous serez purs devant Yahvé de tous vos péchés. 31 Ce
sera pour vous un repos sabbatique et vous jeûnerez. C'est une loi perpétuelle. …

43
Il faut donc comprendre la mort de Jésus comme un sacrifice lié au nouveau culte mis en place, un
culte dans le Temple nouveau, Jésus Christ lui-même.

• la coopération personnelle au règne de la miséricorde.

L’implication de l’homme à ce culte nouveau se fait précisément dans cette réponse de la


miséricorde au mal. ( Cf discours sur la montagne : tendre l’autre joue, laisser son manteau, faire 2000
pas, prier pour les persécuteurs…). 1 Thes 5,15 : « ne rendez pas le mal pour le mal ». Pardonnez et il vous
sera pardonné.

Les hommes peuvent encore refuser ce culte nouveau : à eux alors les « Malheur à vous… » de
Jésus, car l’homme perd tout sens à sa vie…

• l’ultime possibilité : la corédemption (du « petit reste ») pour les pécheurs.

Pour Jésus, il y a encore une dernière possibilité : même si le peuple n’est pas prêt à se convertir,
l’Alliance peut être renouvelé en une personne unique, à la place de tous les autres, de façon vicaire. En
expiant pour les autres, se confiant, se livrant à Dieu. Cette idée de « représentation » , du « petit reste »
juste qui sauve le peuple est vétérotestamentaire, et trouve son sommet dans le Serviteur souffrant. Nous
en trouvons aussi une préfiguration dans le rite du bouc émissaire du Yom Kippour. Jésus, inspiré par le
Père , suit la voie tracée dans l’AT.
Il représente tous les hommes, à cause de la structure communielle de la Création. Ses paroles
durant la Cène montre sa conscience de sa représentation des hommes ( « pour la multitude »). Il prend
« la place » du pécheur, afin que le mal soit paralysé de l’intérieur. Il prend sur lui les csqces du péché. Il
prend sur lui la malédiction du péché (Ga 3).
Jésus tient tête au mal sans occasionner un nouveau mal. Il intercède pour les hommes et se
donne pour eux au Père. Le cercle du mal s’en trouve brisé, sa force désarmée.
La Croix n’est pas seulement un élément de la Révélation de l’Amour radical et inconditionnel du
Père. Cela n’en est qu’un coté. La possibilité de collaborer à la lutte contre le mal en est l’autre. Le Christ
lutte pour nous : il est notre lieu-tenant dans cette lutte, condamnant le péché dans sa chair ( Rm).

• Tout cela est-il valide pour le Jésus de l’histoire, ou est-ce seulement une interprétation
théologique postpascale ?
Bultmann : nous ne pouvons savoir quel sens Jésus donnait à sa mort…
Exégèse : Il y a beaucoup de rajout postpascal, soulignant la mort de Jésus comme expiatoire pour
la multitude. Il aurait surtout insisté sur le Royaume de Dieu.

Dans les dernières années, la perspective a changé cependant : H. Schurmann, Jésus en face de sa
propre mort (1965).
D’autres recherches exégétiques vont dans le même sens, soulignant la mort expiatoire de Jésus.
Quels arguments :
- Jésus se place contre le type d’expiation du Temple, dont il dénonce le mode.
- Jésus savait qu’il se dirigeait vers une mort violente. La tension monte dès le début de son
ministère. Le destin de JB met Jésus devant cette éventualité. Egalement le destin des prophètes de l’AT.

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Ainsi, Jésus considérait en même temps sa mission d’annoncer le Règne, et en même temps le refus du
monde face à cette annonce. Cependant, il comprend que les deux sont liés, et que sa mort est comme
l’inauguration définitive du Règne. Jésus associe l’idée du Règne avec celle de sa mort.
- Mc 10,45 (très antique) : « le Fils de l’homme ne vient pas pour être servi mais pour servir et
donner sa vie pour le rachat d’une multitude ». Sa mission est donc de servir, jusqu’à la mort. Sur ce fond,
les annonces d’Is 43,3 et 53,11.
- Is 43,3 : « Car je suis Yahvé, ton Dieu, le Saint d'Israël, ton sauveur. Pour ta rançon, j'ai donné
l'Egypte, Kush et Séba à ta place. Car tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix et je t'aime. »
 Le texte disait à l’origine (Qumran) dit : « Je donne Ha Adam pour ta rançon. ». Dieu donne son
Serviteur comme rançon pour sauver Israël et le racheter du mal. Dieu nous offre l’homme Jésus afin qu’il
fasse lui l’expiation pour nous.
S’il y a 25 ans encore, on accusait la cté primitive d’avoir projeté sur Jésus l’image du Serviteur
souffrant, a.h. ça n’est plus le cas.

- l’Ultime Cène.
Pour comprendre tout son sens, partir de Mc 14,25 : « je ne boirais plus du fruit de la vigne,
jusqu’à ce que je boive le vin nouveau dans le Règne de Dieu ». Référence directe au Règne de Dieu :
Jésus dans ses dernières heures, reste fidèle à sa mission (la proclamation du Règne), sur de la venue du
Règne. ( Is 25,6 : le banquet est l’évènement final de l’instauration du Règne). Jésus ne renonce pas à sa
mission : le Règne viendra, même s’il doit mourir. Dans Mc et Paul, le sens expiatoire est souligné par le
passage sur le Calice :
- Mc : le sang de l’Alliance versé pour vous.
- Paul : ce Calice est la nouvelle Alliance dans mon sang ( 1 Co 11).

 souligne l’évènement cultuelle de la réconciliation.


Ainsi, en Ex 24, Moise annule les péchés du peuple. Le sang de l’Alliance relève le peuple de son
péché.
« Ceci est mon sang » : Jésus fait comprendre que c’est à travers sa mort que Dieu concèdera son
pardon, sa réconciliation, et dans cette communion, son Règne.
Dans le « pour vous », allusion à Is 53 ( Serviteur souffrant). Buvant tous du même calice, les
disciples participent à cette réconciliation.

 Le déploiement de la vie de Jésus, et la Cène montre donc clairement qu’il ne s’agit pas
seulement d’un rajout de l’Eglise primitive. Jésus entendait bien sa mort comme expiatoire. Dieu montre
sa victoire là où l’on ne l’attendait plus : dans la mort apparente du Christ et l’échec apparent de la
proclamation du Règne. Sa mort est donc le sommet de la mission du Christ dans son annonce du Règne.
Sa passion et sa Croix sont une confession publique du péché et de sa puissance destructive. La Croix est
manifestation et confession du péché : ceci est le péché ( =crucifier Dieu). Tous les péchés du monde s’y
concentrent ( A. Von Speyr). Jésus fait donc ce service de l’expiation vicaire, et le mal est vaincu, et
l’Alliance avec Dieu est définitivement rétablie.
Dans le Christ Jésus, Plus rien ne peut nous séparer de l’Amour de Dieu (Rm 8). Il n’y a plus aucun
espace qui ne soit rempli de son amour. Même quand nous tournons les épaules à Dieu, nous lui faisons
face ( Von Speyr).

45
L’expiation ne fait pas changer d’humeur Dieu, mais offre à l’homme la possibilité d’une
collaboration.
Dans sa personne ( et les deux natures) s’unissent le oui de Dieu à l’homme et le oui de l’homme
à Dieu. Jésus Christ lui-même est ce double mouvement, en personne. Il en résulte un titre christologique
important : il est « médiateur ».

2.2.4 - LE TITRE « MEDIATEUR ».

Dans le milieu grec, le sens est juridique.


Dans le milieu hébreu est soulignée l’infinie transcendance de Dieu, la distance entre l’homme et
Dieu, et donc la nécessité de médiateurs, comme Moise, par exemple. Egalement le roi, le prêtre, le
prophète… et finalement le Serviteur souffrant. Durant la période des Maccabées apparaît l’idée que
cette médiation s’étend à tous les peuples, à travers la médiation du peuple d’Israël lui-même. Le
principe est que Dieu donne son salut à l’homme, par le moyen d’ autres hommes, le « petit reste », les
« justes », les « anawims »… Ceux-ci sont au service de la réconciliation entre Dieu et l’homme.
Deux passages soulignent ce titre :

- 1 Tim 2,5 : « Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ
Jésus, homme lui-même, qui s'est livré en rançon pour tous.»
- He 2,17 : « En conséquence, il a dû devenir en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans
leurs rapports avec Dieu un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple. Car
du fait qu'il a lui-même souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à ceux qui sont éprouvés. »
Le prêtre Jésus est en même temps la victime expiatoire. Il est donc médiateur d’une nouvelle
Alliance. L’idée d’une médiation sacerdotale est présente également ailleurs.
- Ainsi, la prière sacerdotale de Jésus, dans Jn : Jésus est la voie qui conduit au Père.
- 2 Co 5,18 : Dieu s’est réconcilié avec nous à travers le Christ.
- Rm : Dans le Christ, Dieu s’est réconcilié le monde.

2.2.5 - LE TITRE DE « REDEMPTEUR » (…)

2.2.6 - LE TITRE DE « BOUC EMISSAIRE »

R. SCHWAGER, (dans la lignée de René GIRARD). Girard dit cela : dans l’histoire de la religion, et
dans la psychologie, il apparaît qu’en toute Cté, les rivalités et conflits sont résolus en trouvant un bouc
émissaire, sur lequel se concentrent toutes les vengeances et violences. Un bouc émissaire est nécessaire
à toute Communauté pour faire taire sa propre agressivité. La Cté se reforme alors, en dirigeant sur une
même personne toute son agressivité ( ex : les juifs durant la guerre…). Dans cette optique est interprétée
la Passion du Christ : Jésus s’offre comme bouc émissaire à la Cté humaine, pour en retirer l’agressivité.
Dans l’histoire des religions, le choix du bouc émissaire est arbitraire. Dans le cas de Jésus, la situation est
diverse. L’attitude de Jésus provoquait les classes dominantes du pays : pharisiens, sadducéens, romains…

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La violence se devait de se décharger sur lui. Ca n’est pas Dieu qui a chargé sur son Fils les péchés du
monde, mais bien le monde. Nous avons transférés nos péchés sur lui, en le chargeant de toute notre
agressivité. Ce sont les hommes qui font de Jésus le bouc émissaire. Jésus l’accepte : il prend lui-même le
péché sur lui, pour libérer l’homme de la haine. Aucune vengeance de la part de Jésus, mais une seule
réponse d’amour et de pardon : à la malédiction répond la bénédiction, à la haine, l’amour. Seulement
ainsi, la violence peut être dépassée.

Théorie effective (efficiente) de la croix : l’effet de la Croix n’est pas dans le rôle de médiation de
Jésus entre les hommes et Dieu, mais dans le fait qu’elle démasque la violence de l’homme, et montre à
l’homme l’unique moyen pour vaincre la violence par l’amour. Là est l’efficience interne (immanente) de
la croix : rupture du cycle du mal, de la vengeance.

Critique : Cette théorie est-elle pour autant exhaustive ? non, car elle réduit la croix à un
phénomène entre les hommes, qui déchargent leur violence ainsi, et retournent apaisés à leurs affaires…
mais il se passe aussi quelque chose entre Jésus et son Père, et pas seulement entre Jésus et nous. Jésus
établit une « nouvelle Alliance », à la Cène. Cette nouvelle Alliance est bien entre l’homme et Dieu. La
théorie du bouc émissaire est donc immanentiste : elle néglige cet aspect de rétablissement d’une
Alliance nouvelle avec Dieu, et est donc très réductrice. N’importe qui aurait pu faire de même ( Gandhi, J.
Lenon,…).

2.2.7 - LE CONCEPT DE « REPRESENTATION VICAIRE ».

Ce titre de « représentant vicaire » n’est pas biblique, mais est plus récent.
Le péché dans ses conséquences n’est pas éliminé par le seul agir de Dieu, mais aussi par la
possibilité d’une collaboration de l’homme. C’est celle-ci que veut préserver et souligner la conception du
salut du Christ comme représentation vicaire.
Jésus nous porte l’amour du Père, et comme « frère » prend notre place dans la réponse à cet
amour du Père. Jusqu’à où prend-t-il notre place ? nous déresponsabilise-t-il ? Ce concept de
« représentation vicaire » contredit la Modernité sur de nombreux points : comment puis-je être
représenté par un autre devant Dieu, pour ce qui concerne le cœur même de mon être ? Où est alors ma
responsabilité, ma dignité, ma liberté ?

Dans la Bible : L’idée d’un représentant vicaire est présente de manière transversale dans le Bible.
L’homme ne porte pas que lui-même mais il y a une responsabilité collective dans la Bible. Tout être
singulier peut devenir point d’irruption du salut ou de la condamnation pour les autres. C’est valable de
façon plus imminente pour les représentants officiels du peuple : rois, prophètes, prêtres,… les prophètes
souffrent à la place des autres.
Ex : Moise, qui attire sur lui la colère de Dieu, et ne rentre pas en Terre promise.
Ex : le Serviteur, qui porte le péché de beaucoup, et intercède pour les pécheurs
Ex : le martyr des justes ( Mac.).

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C’est l’idée de la « personnalité corporative »: un groupe entier peut agir comme un seul sujet à
travers l’un de ses membres le représentant ( le patriarche, le chef…). Tout est alors condensé en cette
unique personne. Il est symbole de représentation de la Cté. La Cté est représentée en une personne, pas
seulement par une personne (médiation). La personne représentative devient interchangeable avec la Cté
entière : nous n’avons plus ce concept aujourd’hui, sauf dans des petites communautés (familles, amis…),
où celles-ci se sentent représentées par telle ou telle figure de la famille ( le Père ), du groupe… Ce qui est
fait à cette personne est fait à tout le groupe.

L’idée d’une représentation vicaire demeure secondaire cependant. C’est aussi l’un des effets de
la Modernité, et de Kant. La responsabilité est individuelle. Le concept de représentation vicaire semble
donc difficile à rejoindre, du point de vue moderne, où le sujet – le « je » - est absolutisé.

Dans le concept de représentant vicaire, ce que fait l’un devient le destin de l’autre. L’agir de
l’homme y est compris de manière communionnelle : membres d’un même corps, dit Paul. Si un membre
souffre, tous souffrent (1 Co). il s’agit donc de repenser l’individualité humaine, non comme isolée, mais
comme personne, c'est-à-dire « nœud de relations ». Mon agir personnel a des conséquences sur tous
les autres. Dans un certain sens, en moi sont présents tous les autres. La représentation vicaire rejoint son
sommet quand la Cté se sent vraiment représentée dans une personne.
Existe-t-il un homme qui soit constitué de sa relation à tous les autres, et de tous les autres avec
lui ? La Foi répond par la personne de Jésus, qui n’est qu’amour pour tous les hommes. Il se réalise
comme pro-existence pour tous les hommes, morts ou vivants. Il est en relation avec tous les hommes,
« second Adam », si bien que nous sommes « un dans le Christ ». Il se laisse toucher par toutes les
histoires des hommes, leurs joies et leurs peines…

Le représentant rend présent personnellement le représenté, le substitut non. Il tient la place


pour les autres. Le substitut est pièce de rechange, peu importe qui il est. Il n’a pas d’autre importance
que sa fonction.
L’agir du représentant ouvre la voie du peuple qu’il représente, et inaugure alors un agir nouveau.
On le voit clairement en 2 Co 5,14 : « Car l'amour du Christ nous presse, à la pensée que, si un seul est
mort pour tous, alors tous sont morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour
eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux. »
La représentation n’est donc pas substitution ( à notre place ), mais fait en sorte que nous
puissions suivre l’agir du représentant.
Dans une certaine mesure, l’agir vicaire est préparatoire. Il ouvre la voie. Il n’est pas substitutif, ou
magique. Les représentés doivent suivre.

2.2.8 - SYNTHESE : LA SIGNIFICATION DEMONSTRATIVE ET EFFECTIVE DE LA CROIX SE COMPLETENT.

1. Signification démonstrative ( la Croix est REVELATION) : Dieu se révèle lui-même par la Croix. Sa
Révélation est don de lui-même.
2. Signification effective (La Croix est EXPIATION) : elle est démonstration d’amour de la part de
Dieu. Dieu nous sauve effectivement de la mort et du péché par la Croix. La croix signifie ce don.

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 La Croix manifeste et démontre l’amour de Dieu. Il ne donne pas quelque chose sur la Croix,
mais c’est lui-même qu’il donne . Un don est tel que s'il vient accepté. Il se réalise que s'il est accepté,
sinon ca n'est pas un don. C'est un don refusé. Le but est atteint quand l'homme accepte.
Si la croix est le moyen de révélation de Dieu, cette révélation rejoint son but seulement si
l'homme donne une réponse, en se donnant à son tour à Dieu. Cela se vérifie à travers l'homme Jésus,
qui se donne au Père pour l’humanité toute entière, réalisant ainsi l’expiation.
 Il y a donc deux mouvements, descendant et ascendant : révélation de Dieu et coopération de
l'homme. Alors les théories démonstratives et effectives se complètent. La Croix est démonstration de
l’amour de Dieu, et en même temps le ‘lieu’ de la réponse de l’homme à cet amour.

Comment comprendre la Croix aujourd’hui, alors que la notion de sacrifice est devenue
inacceptable pour l’homme moderne ?

- elle sera communément réduite à une émancipation, libération….


- On peut la présenter comme don de sa vie par amour pour ses amis, et à travers eux pour tous
les hommes (Cf. P. Stuhlmacher, exégète protestant. 1988).
- BALTHASAR répond qu’il s’agit seulement de l’aspect démonstratif de la Croix, une « sotériologie
monophysite », car elle oublie l’humanité de Jésus donnant une réponse expiatoire pour tous les
hommes. La dimension du péché en est occultée également.
Il présente alors une théologie qui englobe tout l’abaissement de Dieu – sa kénose – jusqu’à
l’abîme du monde.
Dieu ne devient pas seulement homme, mais il assume la condition d’esclave. L’infiniment riche
entre dans la pauvreté de la Création. Il devient le Dieu souffrant. Dieu souffre. C’est une idée qui reprend
souffle aujourd’hui, face à l’ancienne conception classique de l’impassibilité divine. Encore convient-il de
placer celle-ci au niveau de l’être, mais en lui seul. A ce niveau, la souffrance traduit un manque et donc
une imperfection. Dans l’ordre de l’amour, les choses sont cependant diverses : la souffrance y est le lieu
de la perfection. Qui n’a jamais souffert d’amour n’a pas aimé, peut-on dire. Toute espèce d’amour
consiste dans le fait de se conformer à l’autre. La souffrance de Dieu n’est donc pas une imperfection du
niveau de l’être mais une perfection du niveau de l’amour.

( Rahner : Le Fils est immergé dans notre souffrance. L’ES s’unit à la souffrance de la Création
(Rm), mais maintient dans l’abandon de la Croix le lien avec le Père. Il est le lien qui permet la
résurrection…)

2.3 – La question de la Préexistence : Le Christ est-il le Fils éternel de Dieu ?

2.3.1 - La problématique

Pas de doute sur le fait que Jésus se savait Fils de Dieu.


Que signifie Fils de Dieu ?
Dans l’AT, l’expression est multiple. Israël est « Fils premier né du Seigneur » (Es 4,22). Donc pas
une descendance directe, mais dans un sens d’élection. Celui qui est élu peut s’appeler FdD. Puis par
extension, est FdD le roi ( qui était élu, oint…), également certains justes…

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Ainsi Jésus est appelé FdD, élu de Dieu, juste (Tzadik) selon le sens de l’AT. Mais il est aussi Fils
dans un sens particulier, car il est Messie.
Sa fonction messianique commence avant sa résurrection. Elle commence au Baptême de JB.
Théophanie : « tu es mon Fils bien aimé ». ( // Ps 2, pour l’intronisation d’un roi).
L’appellation FdD pour Jésus équivaut au titre de Messie. Mais il y a plus dans la Personne de
Jésus : dans le NT, le mystère de la filiation divine de Jésus a une origine plus lointaine, au-delà de sa
simple mission messianique.
Cette filiation trouve sa source dans la vie intérieure de Dieu lui-même.

La filiation divine elle-même fut mise en question aujourd’hui :

- W. BOUSSET, 1865-1920, et dans sa lignée BULTMANN : « L’ECOLE DE L’HISTOIRE COMPAREE DES


RELIGIONS ».
Selon cette école, concevoir Jésus comme Fils de Dieu correspond à une hellénisation de la foi
originale, donc à un processus de paganisation du christianisme original. Selon la mythologie grecque,
Zeus donnait naissance à de nombreux fils de Dieu. C’est cette conception des fils de dieux, hommes-
dieux, mourant et ressuscitant – conception reprise aussi des gnoses grecques de l’époque, et religions à
mystère - qui furent, selon Bultmann projetées sur Jésus.

- En réponse à cette école, MARTIN HENGEL, dans Der Sohn Gottes, (le Fils de Dieu), (excellent)
reprend tout ces parallèles avec la mythologie, et montrent qu’ils ne sont en aucun cas pertinents :
1. la plupart de ces parallèles mythologiques que va chercher l’Ecole historique de la
Religion sont post-chrétiens, et donc influencés par notre foi ( et non l’inverse), ou franchement abusifs.
2. dans aucun texte grecque n’est fait mention d’un FdD qui prend sur lui notre destin
humain, nos péchés et souffrances et surtout la mort. C’est une absurdité : pas d’espace pour une figure
divine qui deviendrait homme, et encore moins qui mourrait sur la croix. Celle-ci est communément objet
d’opprobre, de honte. Ainsi, selon Pline le Jeune, la foi chrétienne en un tel homme est une « superstition
démesurément perverse » (superstitio prava immodica), qui devait être punie. Elle n’était acceptable
qu’en en faisant un docétisme.

 Si le concept de la filialité éternelle du Christ ne peut pas être le produit d’une hellénisation de
la foi, comment le christianisme originel fut-il dans la nécessité d’interpréter Jésus selon ce schéma de
préexistence éternel, en pensant que sa nature filiale renvoyait directement à l’éternité de Dieu ? Que
l’humble Rabbi de Nazareth n’était pas seulement FdD dans le sens de Messie, mais Dieu lui-même
préexistant éternellement avec son Abba ?
Nous devons donc faire référence à la tradition juive, dit Hengel.

2.3.2 – La rétrospective biblique : Le Nouveau Testament ( PAUL )

 L’Evangile de Paul : la Filialition divine de Jésus pour la filialité adoptive des croyants.

50
Jésus comme FdD est le cœur du message Paulinien. Cette appellation chez Paul n’est pas
seulement l’attribution d’un titre messianique, mais renvoie bien au Fils que Dieu, envoyé dans le monde
pour nous sauver. C’est le cœur de l’évangile de Paul.
- Rm 1,1-3 : « L’évangile de Dieu (…) concernant son Fils»
- Ga 1,15 : « Mais quand Celui qui dès le sein maternel m'a mis à part et appelé par sa grâce
daigna révéler en moi son Fils pour que je l'annonce parmi les païens… »
- Ga 4,4 : « Mais quand vint la plénitude du temps, Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sujet
de la loi, afin de racheter les sujets de la Loi, afin de nous conférer l'adoption filiale. »

Paul parle bien de la Filialité éternelle de Jésus (et pas seulement messianique). Dieu a envoyé son
Fils afin « que nous devenions fils adoptif, participant de la Gloire divine » (Ga. 4,5 ; Rm 9,4 ; Eph. 1,5).
C’est comme Fils éternel qu’il porte le salut, et pas autrement ( Cf. le ‘afin de’ de Ga. 4,4). Il nous fait
entrer dans cette filialité. C’est le cœur des lettres de Paul.
[ Pourquoi emploie-t-il alors le terme de Kyrios ? Paul emploie Kyrios beaucoup plus souvent que
celui de Fils, simplement pour exprimer la relation entre Jésus et les croyants, alors que Fils de Dieu
exprime la relation de Jésus Christ au Père. ]
Le Fils de Dieu est bien médiateur entre Dieu et les hommes, tel que, en 1 Co 8,6 : « il n'y a qu'un
seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ, par qui
tout existe et par qui nous sommes. ». Il l’était déjà dans l’AT, selon Paul, puisqu’Il était « le Rocher qui
abreuvait Israël dans le désert » (1 Co 10).

- Hymne aux Colossiens : nous sommes en lui, par lui et pour lui. Il n’y a que le Christ (3.11).

- Hymne aux Philippiens :


« Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu.
Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux
hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à
la mort, et à la mort sur une croix! Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui
est au-dessus de tout nom ».
Cet hymne est repris par Paul, quand il écrit vers 55 environ. Cette hymne a donc moins de 20 ans
de plus que la Résurrection du Christ, et parle déjà de la filiation divine. L’hymne est très proche donc de
la Résurrection. Il reprend 3 temps de l’être de Jésus :

a- de nature divine (en morphé théou) : Dieu a une forme (morphé). Quelle est-elle ? Dans l’AT,
cette forme est la Kavod, doxa. Kavod montre le mode de Révélation de Dieu. Ces écrits ne sont pas
métaphysiques, mais fonctionnels : l’hymne veut exprimer le statut de la gloire. Jésus Christ est dans la
Gloire de Dieu, égal à Dieu. En Jn 17,5, Jésus demande au Père : « Et maintenant, Père, glorifie-moi
auprès de toi de la gloire que j'avais auprès de toi, avant que fût le monde. ». En s’incarnant, il perd sa
forme de Dieu, sa gloire.
L’hymne au Ph. continue en disant il ne considère pas cet être égal à Dieu comme un ‘butin’
de guerre (dit le grec, traduit par « ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu »), ie cela ne
lui appartient pas jalousement, mais il divise cet être-égal-à-Dieu avec nous. Cela peut vouloir
souligner aussi la contre-opposition à Adam, qui voulait s’approprier cet être-égal-à-Dieu par ses
propres forces, jalousement. Jésus ne garde pas tout pour lui de la sorte. Il se vide de lui-même. Il

51
renonce à tous les avantages de la Kavod, à tout ce qui appartient au mode d’être de Dieu. Il accepte la
morphé d’esclave.

b- condition d’esclave. Par sa kénose, il se vide de sa forme de Dieu, de sa gloire pour devenir
« en forme d’esclave » ( morphé doulou ) du péché, «semblable aux hommes», comme l’homme lui-
même avait perdu sa liberté première. La kénose va jusqu’au fait d’entrer dans la chair du péché (Rm
8,3). Il répare ainsi la désobéissance d’Adam. Esclave ne renvoie pas seulement au Serviteur Souffrant
d’Is. mais aussi à l’esclavage paulinien du péché. Kénose ne signifie pas seulement devenir homme :
cela serait trop harmonieux !

c- exaltation : « Aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout
nom ». Cette forme première de la christologie comprend donc la christologie de la préexistence. Le
nom au dessus de tout nom exprime la prééminence du pouvoir divin de Jésus. Le Nom équivaut à la
Personne. Ce nom est Kyrios, qui correspond à Yhvh, Adonaï. Is 45 renvoi à la même adoration, due à
Yhvh seul. Cf. aussi Joel 3,5 : « Tous ceux qui invoqueront le nom de Yahvé seront sauvés».

Ainsi, l’appellation Kyrios thématise également la dignité divine de Jésus Christ.

Paul reprend donc ce thème de la préexistence divine de Jésus de la foi des premiers chrétiens.
Mais alors le problème se déplace : Comment les premiers chrétiens pouvaient-ils exprimer cette
préexistence ?

2.3.3 – Dans l’Ancien Testament : Jésus et la « SAGESSE », Jésus et la « PAROLE » (DaBaR)

la « Sagesse » de Dieu. ( // Rouah de Dieu).

• Cf. L’hymne à la Sagesse de PRO 8,22 : la Sagesse existait avant l’œuvre de la Création, et
présente au moment de celle-ci…

Pr. 8,22 : Yahvé m'a créée, prémices de son oeuvre, avant ses oeuvres les plus anciennes.
Dès l'éternité je fus établie, dès le principe, avant l'origine de la terre.
Quand les abîmes n'étaient pas, je fus enfantée, quand n'étaient pas les sources aux eaux
abondantes.
Avant que fussent implantées les montagnes, avant les collines, je fus enfantée;
avant qu'il eût fait la terre et la campagne et les premiers éléments du monde.
Quand il affermit les cieux, j'étais là, quand il traça un cercle à la surface de l'abîme,
quand il condensa les nuées d'en haut,

• Cf. L’Eloge de la Sagesse de SG 7,22 : Salomon l’appelle émanation de la …image de sa bonté5.

5 En Sg 6,12 suivant, la Sagesse prend une figure très christique. Le texte donnerait alors :
« Le Christ se laisse facilement contempler par ceux qui l'aiment, Il se laisse trouver par ceux qui le cherchent. Il prévient ceux qui le désirent en
se faisant connaître le premier. Qui se lève tôt pour le chercher n'aura pas à peiner: il trouvera le Seigneur assis à sa porte. ( Voici que je me
tiens à la porte…). Méditer sur Lui est en effet la perfection de l'intelligence, et qui veille à cause de Lui sera vite exempt de soucis.Car ceux qui

52
Elle est en effet un effluve de la puissance de Dieu,
une émanation toute pure de la gloire du Tout-Puissant;
aussi rien de souillé ne s'introduit en elle.
Car elle est un reflet de la lumière éternelle,
un miroir sans tache de l'activité de Dieu,
une image de sa bonté.
Bien qu'étant seule, elle peut tout,
demeurant en elle-même, elle renouvelle l'univers
et, d'âge en âge passant en des âmes saintes,
elle en fait des amis de Dieu et des prophètes;

L’un des problèmes les plus graves vient de la communication entre l’homme et Dieu. Comment
l’homme et Dieu peuvent-ils se rencontrer ? Idée de l’Alliance entre Dieu et l’homme. Comment est-elle
possible ? Comment cela peut-il se produire ? Si Dieu est si grand, comment peut-il se révéler sans tuer
l’homme : qui veut voir Dieu doit mourir. L’homme peut cependant ne pas être anéanti dans ce face à
face si c’est Dieu lui-même qui s’est anéanti. L’AT cherche à résoudre ce problème avec cette idée de la
Sagesse. Elle est antérieure à la Création, comme une qualité de l’unique Dieu. Dieu se communique lui-
même à l’homme. Cette Sagesse de Dieu descend sur la Mont Sion, la Torah,… La Sagesse est le mode
selon lequel le Dieu transcendant communique à l’homme. Elle n’est pas cependant identique à Dieu lui-
même, ni non plus une créature, mais comme un intermédiaire. Elle est une qualité de Dieu et en cela
n’anéantit pas l’homme dans cette communication.
Toutes les affirmations sur la Sagesse exprime le fait que cette « qualité personnifiée » de Dieu
abandonne la proximité de Dieu pour celle des hommes :

• SI 24 : la Sagesse s’établit dans un point du monde précis, le Mont Sion, où est le trône du Roi-
Messie.

La Sagesse fait son propre éloge, au milieu de son peuple elle montre sa fierté.
Dans l'assemblée du Très-Haut elle ouvre la bouche, devant la Puissance elle montre sa
fierté.
"Je suis issue de la bouche du Très-Haut et comme une vapeur j'ai couvert la terre.
J'ai habité dans les cieux et mon trône était une colonne de nuée.
Seule j'ai fait le tour du cercle des cieux, j'ai parcouru la profondeur des abîmes.
Dans les flots de la mer, sur toute la terre, chez tous les peuples et toutes les nations, j'ai
régné.
Parmi eux tous j'ai cherché le repos, j'ai cherché en quel patrimoine m'installer.
Alors le créateur de l'univers m'a donné un ordre, celui qui m'a créée m'a fait dresser ma
tente,
Il m'a dit: Installe-toi en Jacob, entre dans l'héritage d'Israël.
Avant les siècles, dès le commencement il m'a créée, éternellement je subsisterai.
Dans la Tente sainte, en sa présence, j'ai officié; c'est ainsi qu'en Sion je me suis établie,
et que dans la cité bien-aimée j'ai trouvé mon repos, qu'en Jérusalem j'exerce mon pouvoir.

sont dignes de Lui, c’est Lui-même qui va partout les chercher et sur les sentiers , il leur apparaît avec bienveillance, à chaque pensée Il va au-
devant d'eux. »

53
Je me suis enracinée chez un peuple plein de gloire, dans le domaine du Seigneur, en son
patrimoine.
J'y ai grandi comme le cèdre du Liban, comme le cyprès sur le mont Hermon.

Elle est envoyée par Dieu, semblable à la Shékhina.


 La représentation du Messie qui est Fils de Dieu et celle de la Sagesse qui est née de Dieu avant
tous les temps et est strictement liée à Dieu tout en lui étant distincte, ces deux représentations sont
donc parallèles.

Cette tradition du monde hébraïque sur la Sagesse rejoint un peu celle grecque du LOGOS,
ordonnancement du cosmos, lui donnant ordre, sens et vie. C’est PHILON D’ALEXANDRIE qui souligne ce
parallèle. La Sagesse est le Fils premier né de la Raison divine. Elle est donc Logos, médiateur entre le
Créateur et la Création. Philon fait du logos un ‘second dieu’, ni créé ni incréé, mais messager de Dieu ( Sg
9,4 : la Sagesse est à coté du trône de Dieu. ). Elle n’est pas créée, mais «première à la Création, et au
monde » dit la Bible. De là les verbes de Si et Sg : elle est ‘issue de la bouche du Très Haut’, ‘vapeur’,
‘émanation’, ‘effluve’ , ‘reflet’…

Philon d’Alexandrie : Sagesse hébraïque // Logos grec.

 Elle permet donc de conceptualiser Jésus Christ.

Quel comportement avait Jésus par rapport au monde : Est-il le médiateur universel, ultime et
donc irrépétable ou simplement une médiation de plus, un prophète de plus… ? Prêcher Jésus Christ
comme Fils préexistent de Dieu était une nécessité incontournable. Si Jésus Christ représente la
médiation universelle entre le monde et Dieu, toutes les fonctions de la Sagesse doivent lui être
incorporées dans la prédication de l’Eglise primitive. Ainsi,
2 Co 2,3 : « Dieu, dans lequel se trouvent, cachés, tous les trésors de la sagesse et de la
connaissance! »
Ainsi peut être soulignée l’irrépétabilité de la Révélation de Dieu en Jésus de Nazareth. Dès lors, la
Torah n’est plus l’ultime incarnation de la Sagesse. Et sa fonction salvifique est remise en question. Jésus
Christ a pris la place de la Torah dit Paul, également dans sa fonction salvatrice : la Loi ne sauve pas, c’est
Jésus qui est l’unique Sauveur. C’est Lui le siège de la Sagesse. Il en est l’ultime parole. Et tous nous
sommes créés en lui ( Col. )

2.3.4 – Jésus et la Sagesse.

Autre question : et si l’AT était lui-aussi une spéculation mythologique, projetée par la suite sur
Jésus ? Que vaut cette projection alors d’une mythologie hébraïque cette fois, et non plus grecque, sur
l’homme Jésus ?
La préexistence de Jésus repose aussi sur sa prédication : il s’affirme comme FdD et le montre en
ressuscitant. Il retourne auprès du Père, pour constituer la médiation définitive et eschatologique entre
Dieu et le monde. Il opère effectivement l’éternel réalité de Dieu même. Dieu se donne en Jésus de
manière ontologique. : Jésus est FdD selon un mode ontologique. Prêcher Jésus comme FdD n’est pas une

54
mythologisation (la mort sur la Croix l’empêche) mais la réalisation de tout ce que les religions humaines
cherchent à rejoindre. Jésus n’est pas seulement une figure médiatrice, mais Dieu révèle par lui et en lui
son amour pour tout homme.

Reconnaître Jésus comme FdD se fonde d’abord sur la singularité de son existence, de son
attitude, de sa prédication, de sa Passion.

Cela se concrétise à travers 2 facteurs :

1- Jésus lui-même s’incorpore dans la Tradition sapientielle.


- Mt 11,19 : « La Sagesse fut reconnue par ses œuvres » (Lc 7,37).
- Mt 18,20 : « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom… » // tradition juive : « Quand 10
israéliens sont réunis à méditer sur la Torah, la Shekhina est au milieu d’eux. »
- Mt 11,28 : « Venez à moi, vous qui peinez… », comme la Sagesse qui appelait tous à elle, dans
l’AT.
- Lc 11,31 : « Il y a ici plus que Salomon »( qui est pourtant figure personnificatrice de la Sagesse).

2- Jésus est « DaBaR ».


Le rapport entre Jésus est la tradition sapientielle peut être évidenciée aussi à partir d’une autre
ligne d’interprétation. Jésus est reconnu comme ‘prophète’, sans aucun doute, et se montre tel même s’il
est ‘plus qu’un prophète’. Dt 18,15 : « Yahvé ton Dieu suscitera pour toi, du milieu de toi, parmi tes frères,
un prophète comme moi, que vous écouterez». Ce qui caractérise la foi de l’AT est d’être la religion de la
Parole. Dans sa Parole, Dieu se rapproche des hommes et se communique à eux. Il établit l’Alliance et le
Peuple par sa Parole.
La Parole de Dieu s’incarne cependant dans les évènements de l’histoire, et elle n’est pas
seulement intentionnelle, intellectuelle. Elle s’incarne dans la réalité, et est toujours un évènement
concret. Elle est DaBaR. C’est dans ce contexte de DaBaR qu’il faut comprendre les prophètes, qui portent
et la parole et l’agir de Dieu. La vie des prophètes est la première incarnation de ce DaBaR.
Prenons Osée qui posant des gestes prophétiques est devenu signe de Dieu. Le prophète prend la
place de Dieu dans son histoire avec le peuple. Dieu se manifeste au peuple sous forme humaine dans le
prophète. Il n’est pas que porte parole de Dieu mais aussi son représentant, son ‘incarnation’.
Balthasar : il doit actualiser dans sa propre vie la Parole de Dieu. C’est donc comme un
anticipation de l’incarnation du Christ. Dieu est déjà sur la voie de l’incarnation dans les prophètes.
L’existence du Seigneur est signe de contradiction.
Ainsi aussi, ultime incarnation avant l’Incarnation, le Serviteur du Seigneur – prophète des
prophètes - est archétypique. Souffrant avec Dieu et les hommes. Il est celui qui rétablit l’Alliance. Il est
l’illustration humaine de la sagesse divine. Il incarne Dieu et en prend ressemblance. Dans cette vision
profonde et archétypique du ministère prophétique est ainsi déjà anticipée l’agir de Dieu.

 LOGOS REPREND DONC ‘SAGESSE’ ET ‘DABAR’.

La Parole de Jésus est cependant littéralement parole de Dieu. Le Christ est vraie icône de Dieu. Il
est la forme de Dieu. Le concevoir comme sagesse de Dieu et parole de Dieu – poussée à l’extrême dans
les deux cas - renvoie directement à sa préexistence et son identité au Dieu éternel. Au commencement
étant le Logos, Parole et Sagesse ( Jn I).

55
A nous alors de nous conformer à son image : Rm 8,29 dit « Car ceux que d'avance il a discernés, il
les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères; »

2.3.5 – la Christologie johannique de l’Incarnation

Quelques points seulement. Dans le Prologue et tout l’Evangile, la préexistence du Christ et sa


divinité sont omniprésentes :
- « Tout fut par Lui et sans lui rien de fut »
- « Moi et le Père nous sommes Un ».
- « nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui était tournée vers le Père et qui nous est
apparue» (1 Jn)

2.3.6 – Observation sur la formulation Christologique du Concile de Calcédoine (451)

Calcédoine marque un sommet dans cette élaboration christologique comme Fils éternel de Dieu,
dans la ligne de Jn.

« Un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus Christ, le même parfait en divinité, et
le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé)
d'une âme raisonnable et d'un corps, consubstantiel au Père selon la divinité et le même
consubstantiel à nous selon l'humanité, en tout semblable à nous sauf le péché (voir He
4,15 ), avant les siècles engendré du Père selon la divinité, et aux derniers jours le même
(engendré) pour nous et notre salut de la Vierge Marie, Mère de Dieu selon l'humanité,

un seul et même Christ, Fils, Seigneur, l'unique engendré, reconnu en deux


natures, sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation, la différence
des natures n'étant nullement supprimée à cause de l'union, la propriété de l'une et l'autre
nature étant bien plutôt gardée et concourant à une seule personne et une seule
hypostase, un Christ ne se fractionnant ni se divisant en deux personnes, mais un seul et
même Fils, unique engendré, Dieu Verbe, Seigneur Jésus Christ »

Le Christ est l’éternel FdD, et en même temps notre frère, un homme comme nous. Une personne
en deux natures. Dans une seule hypostase, sans mélanges, confusions, divisions, séparations…
Cette formule christologique est le point clé pour toutes les interprétations successives. A partir
de ce Concile se déploie une christologie systématique.

56
Ch III – Eléments d’une christologie systématique.

3.1 – observations préliminaires.

Dans les Ecritures, pas de formules qui explicitent pleinement la nature du Christ. Nous devons y
arriver à travers la loi de l’analogie, ressemblance avec une dissemblance plus grande encore. Jésus Christ
appartient au mystère de Dieu, et en cela est irréductible à une seule formule, un seul dogme ( pas même
Calcédoine).

Que signifie vraiment « comprendre » ?


Comprendre quelque chose signifie percevoir la vraie position assumée par ce qui doit être
compris dans l’ensemble de la réalité. La réalité – l’être - est un tout unique. Toute la réalité est une,
cohérente, liée entre elle. Je ne comprends quelque chose qu’en rapport avec le tout.
En appliquant cela à la christologie , je ne peux comprendre Jésus Christ si je m’arrête à son être
en soi. Je dois le considérer dans son rapport à la réalité. Le phénomène Jésus ne peut être compris si je
m’arrête à la ‘doctrine des deux natures’ de Calcédoine ou de ‘l’union hypostatique’. Dans ces formules, la
réalité de Jésus Christ est comprise en soi-même, ontologiquement, mais pas dans son actuation
historique, dans son agir. (Ainsi, le rôle de l’ES, par exemple, ignoré par Calcédoine.)
Or l’Ecriture le comprend ainsi, dans sa relation au monde, selon son agir historique. Le discours
dogmatique est alors le fondement ontologique du récit de l’Ecriture. Mais seulement un fondement, et
donc insuffisant pour comprendre le mystère du Christ. La doctrine des deux natures est fluidifiée par le
témoignage de l’Ecriture.

3.2 – Le Christ comme mouvement de Dieu vers le monde et du monde vers Dieu.

3.2.1 – Historicisation de la doctrine des deux natures.

L’Ecriture et la Tradition souligne que Jésus est caractérisée par l’unité d’une double relation qui
lui donne toute son identité. Une double relationalité que nous raconte l’Ecriture. Cette double
relationalité le caractérise.

La première relation est la relation au Père. Il vient du Père.

Jésus   Père (dans l’Esprit Saint )

La seconde relation : il est en relation totale avec l’homme et le monde

Jésus   homme et le monde (dans l’ES)

57
Cette double relation est la pointe spécifique de la doctrine des deux natures. Jésus a un double
être-engendré, un double provenir (lat. nasci), auquel correspond une double nature, etc…
Ces deux relations qui caractérisent le Christ ne sont pas parallèles et disjointes. Elles s’impliquent
et s’intègrent. Elles sont unes et les mêmes. Les deux relations s’entrelacent. Jésus n’est pas celui qui
vient du Père, puis se tourne vers le monde dans un second temps. Pas plus qu’il ne se livre d’abord au
Père, puis au monde.
D’où le dessin ultime :


Père  Jésus  monde.


Jésus est en personne le mouvement de Dieu vers le monde et du monde vers Dieu. Il est celui qui
réunit alors l’humanité dispersée, et l’introduit dans la communion trinitaire. Il est Fils du Père et frère
ainé des hommes. Il est donc l’unité d’une double relation, et cette unité qui le constitue. Il est le
médiateur. Alors on confère un dynamisme à la conception statique de Calcédoine ( ie des deux natures).
C’est ainsi que Jésus est présenté par l’Evangile : Il y vit toute son existence à l’intérieur de ces deux
relations. Pour comprendre Jésus Christ nous devons poser dans un premier temps ce fondement
statique, mais nous ne pouvons y rester, et nous devons donc y introduire une dynamique.
Ce double mouvement n’est pas situé au dehors de l’histoire mais se réalise dans l’Histoire des
hommes. Tout n’est pas accompli le jour de sa naissance sur terre. Ce qu’il est se réalise durant son
existence, jusqu’à sa mort. Alors l’avènement de Dieu au monde et du monde à Dieu vient à sa
conclusion, et c’est à la Croix qu’il est la pleine révélation de Dieu. Le processus de sa solidarisation à nous
s’accomplit dans la Passion, où il se révèle du reste pleinement comme Fils.
Jésus est FdD qui à partir de Dieu vit pour les hommes, et à partir des hommes vit pour Dieu. Il est
essentiellement le médiateur.

W. KASPER, Jésus, le Christ, p.327 : « Jésus est d’après l’Ecriture l’homme pour les autres hommes.
Son essence est oblation et amour. Dans cet amour pour les hommes, il est la forme concrète de présence du
règne de l’amour de Dieu pour nous. Sa participation à l’humanité est donc manifestation (épiphanie) de sa
filiation divine. Sa transcendance par rapport aux autres hommes est l’expression de la transcendance par
rapport à Dieu. De même que par rapport à Dieu, il est entièrement existence dans la réceptivité
(l’obéissance), de même par rapport à nous il est existence dans le don et la représentation. Par cette double
transcendance, il est Médiateur entre Dieu et les hommes. »

3.2.2 – la préexistence du Christ comme présupposé du mouvement de Dieu vers le monde.

Nous cherchons de comprendre mieux la préexistence du Christ. Jésus Christ est toujours
présenté dans une double perspective :
1- En lui nous rencontrons Dieu de manière immédiate ( « moi et le Père nous sommes
un »)
2- Jésus parle et agit en se distinguant du Père : il est l’envoyé du Père , il lui obéit, il prie
le Père, il pleure, se sent abandonné par le Père , etc…

58
D’une part donc est soulignée son unité absolue au Père, mais en même temps il se révèle en face
du Père, et nous offre alors un accès médiat au Père. Le NT nous parle donc d’unité et immédiateté, et en
même temps de médiation et différence.

• Utilité de la médiation ?
Quelle est alors l’utilité de cette médiation qu’est Jésus entre les hommes et le Père ? Jésus n’est-
il pas alors comme un écran au Père ? Pourquoi n’y a-t-il pas seulement l’accès immédiat au Père, sans la
médiation de Jésus Christ.
La médiation n’est pas seulement une forme secondaire, arbitraire, de la Révélation du Père,
forme médiate. Les Ecritures soulignent que Jésus est l’avènement et la manifestation définitive et
absolue de Dieu. Il l’est donc comme médiation. Jésus n’est pas le Père, mais la médiation par laquelle le
Père se communique à nous. Cette médiation fait partie du mystère même de Dieu : Dieu est un Dieu en
qui il y a cette différence. Sa vie intérieure même est médiation, « communion » de personnes diverses,
communion dans laquelle la Vie de Dieu se communique. Le Père est Père parce qu’il possède la vie
divine dans la communion au Fils et à l’ES. La différence entre Jésus et le Père n’est en rien accidentelle,
en rien un degré inférieur de l’être, si bien que la Révélation de Dieu par la médiation du Fils n’est pas
arbitraire, contingente ou imparfaite, mais au contraire parfaite. L’autorévélation de Dieu nécessite cette
modalité médiatrice, car elle fait partie de sa divinité. Dieu est en relation avec le monde, comme il est
relation en soi. L’être parfait de Dieu est différencié en soi, en trois hypostases, pluralité de Personnes.
Dieu se communique en Jésus parce que cette médiation fait partie de l’être éternel de Dieu. Dieu est
relation de Personnes, éternelle. La communion avec Dieu par Jésus est la même communion divine
intratrinitaire. Dieu est identité et différence. La vie de Dieu se réalise dans cet échange des Personnes.

Cela nous est révélé par l’Incarnation. Le Christ médiateur est la Révélation ultime de Dieu. La
préexistence du Fils de Dieu est donc parallèle à la Préexistence de Dieu même, à son éternité. Dieu est
Communion des Personnes. Dans l’histoire de Jésus, Dieu se révèle comme ce qu’il est en soi, échange et
médiation entre Personnes divines. Et cette vie divine s’incarne et se sacramentalise dans l’histoire de
Jésus. Le rapport de Jésus au Père, manifesté dans l’Evangile, rapport qui est à la fois obéissance au Père
et mission pour les hommes, traduit cette vie divine. L’obéissance de Jésus vis-à-vis du Père correspond à
la vie intratrinitaire. Dans la Trinité, le Fils est réception du Père, et référence au Père. Il le réalise comme
homme durant sa vie terrestre. Cette dernière est transposition de l’éternelle histoire divine du Père, Fils
et ES.

3.2.3 – Jésus Christ comme mouvement du monde vers Dieu.

Jésus donne réponse à l’amour du Père. Il provient du Père et se restitue entièrement à lui dans
l’amour. Comme Jésus en vertu de sa nature divine est manifestation de Dieu dans le monde, est en vertu
de sa nature humaine la synthèse de la Création, synthèse qu’il parfait en se restituant par amour au
Père. Ainsi, la Création est appelée à cette réponse amoureuse au Père .

3.2.4 – Caractère kénotique de la médiation christologique entre Dieu et le monde.

La médiation entre Dieu et le monde possède ce caractère essentielle de la kénose, le fait de se


vider ; Le Dieu Tout Puissant fut capable d’accomplir une Création pour l’inclure dans sa vie divine, puis de

59
s’abaisser jusqu’à sa création pour cela. Dieu entre en contact déjà dès l’AT avec la faiblesse de sa
créature. L’Incarnation marque donc un sommet dans ce mouvement kénotique, avec la Passion. Dans
cette kénose, nous rencontrons la vraie toute puissance de Dieu. Il rentre dans le péché de l’homme et du
monde, dans un monde hostile à Dieu. Il en accepte la décadence. Dieu sacrifie son Fils, alors
qu’Abraham lui-même n’eut pas à le faire. Dieu l’a « fait » péché. La Puissance de Dieu se manifeste dans
cette absolue Impuissance du Crucifié. Et c’est là que l’agir de Dieu se manifeste pleinement : sa puissance
agit dans la faiblesse. La Gloire divine s’exprime dans la profondeur abyssale de la Croix.
Le mouvement de Dieu est donc kénotique mais dans la Radicale obéissance du Fils à la Croix, la
réponse du monde (par Jésus) est elle aussi kénotique. Le destin de Jésus est le même que celui du
pécheur.
Jésus est la forme absolue de médiation entre Dieu et le monde, mais une forme caractérisée par
la kénose.
Comment Dieu peut-il se manifester dans une histoire humaine limitée ? L’éternité dans la
temporalité ? L’infini dans le fini ?
Et comment l’humanité peut-elle retourner au Père à travers une unique médiation ? Rahner
essaye de répondre dans son interprétation de Calcédoine. Cf. 3.3

3.3 - L’être-homme, prémices de la médiation christologique entre Dieu et


l’homme.

3.3.1 – L’anthropologie comme « christologie déficiente » (Rahner)

Si l’on comprend l’homme comme un être fini en soi, l’Incarnation de Dieu est impossible et
absurde. En s’incarnant, Dieu devrait devenir fini, ou bien anéantir la finitude de l’homme, et l’homme
même. Cela est rendu possible par le fait que l’homme est image de Dieu, en relation avec Dieu. Ainsi,
quand Dieu s’incarne, il vient « chez les siens », dit le Prologue de Jean. L’homme est fini, mais constitué
de sa relation avec Dieu, ouvert sur l’infini. L’homme a comme point de référence l’infini de Dieu. Il ne
trouve qu’en Dieu la plénitude de son être humain. Dieu est son actualisation et celle-ci ne peut provenir
que de Dieu. Il est Capax infiniti. Il est renvoyé à l’infini mystère de la plénitude de Dieu. Il peut accepter
ou refuser ce mystère. L’être homme s’actualise dans cette relation, et l’Incarnation est
l’accomplissement absolu et irrépétable de l’aspiration de l’homme. Si l’homme se réalise en Dieu, alors
cette transcendance constitutive de la nature humaine trouve son accomplissement dans l’existence de
Jésus entièrement tournée vers le Père. L’actualisation de la nature humaine par l’œuvre de Dieu – dans
l’avènement du Christ – n’est pas en contradiction avec la nature humaine, mais au contraire elle en est la
réalisation maximale. La nature humaine est la grammaire du Verbe, la première ébauche d’une
communication avec Dieu, qui en Jésus Christ s’exprime de façon pleine, définitive.

Cet événement de l’Incarnation et sa portée ne peuvent être compris comme tels qu’a posteriori.
Si l’Incarnation est accueillie, alors elle révèle cette structure transcendantale de la nature humaine, et la
complète. Nous pouvons dire avec Rahner : « fondamentalement, l’être humain existe parce qu’il devait
y avoir l’homme-Dieu ». L’homme est aspiration à Dieu, demande radicale faite à Dieu qui, parce qu’elle a

60
été voulu par Dieu, devait trouver réponse. L’homme-Dieu, Jésus Christ, incarné dans l’Histoire, est la
réponse de Dieu à l’homme. Dieu pouvait assumer une nature humaine parce que « cette nature est par
nature ouverte et se laisse assumer. A la différence de tous les autres êtres, elle seule peut exister dans
cette totale expropriation (de soi vers Dieu ?), atteignant ainsi l’accomplissement de son énigme ».

Vue ainsi, la christologie est une « anthropologie qui se transcende elle-même » (Rahner) :
L’anthropologie est donc une christologie déficiente. Non pas dans le sens que notre être-homme serait
incomplet par rapport à l’être-homme du Christ, mais dans le sens que à travers la médiation de Jésus
Christ, « homme parfait », nous devenons ce qu’Il est : humaine et divin. Nous sommes « christifiés » (
Teilhard de Ch. ) afin de pouvoir entrer en communion avec la vie divine et trinitaire.

3.3.2 – l’être-homme comme l’être-avec-les-hommes.

Comment notre nature humaine peut-elle trouver son accomplissement dans la vie d’un être
singulier ?

Rahner insiste sur le fait que l’être-homme est caractérisée par son être en relation à Dieu. Mais
l’homme n’a pas que Dieu comme référence : il y a aussi le prochain. L’être même de tout homme est
aussi constitué par les autres. Ainsi, la reconnaissance des autres n’est pas une donnée accidentelle pour
l’homme, mais lui appartient de manière spécifique et essentielle. Notre nature a besoin d’être reconnue
par les autres. Pour pouvoir accueillir mon JE, je dois être accueilli par le TU. Je deviens un JE plus unique
et insubstituable (irremplaçable) en l’étant pour le TU. L’homme est tel dans sa relation avec l’autre.
L’homme est «être-avec », un « co-existant ».
- Cf. Le personnalisme
- Cf. aussi la métaphysique d’Aristote, selon laquelle l’âme se réalise en relation avec la totalité de
l’être : « l’âme est d’une certaine façon le tout »
- Cf. ThA : en rentrant en relation avec l’autre, l’homme « retourne à soi-même et se trouve ». Il
se reflète dans l’autre et ainsi s’y retrouve.
Dans le don de moi-même dans l’amour, je trouve toute ma pleine autonomie et ma personnalité.
(c’est vrai empiriquement. Nous nous construisons de la relation à l’autre : grossesse, allaitement,
apprentissage du langage, soins…). Ma vie est ‘Communio’ aux autres.
L’être en relation demeure toujours cependant incomplète, car ma communion avec l’autre est
toujours incomplète. L’être-homme de Jésus l’accomplit parfaitement cet être en communio. Jésus est
capable de réaliser son être homme dans une communion qui embrasse tous les hommes présents et
passés, parce qu’il est soutenu en cela par l’infinie capacité d’amour de la Personne du Verbe, de l’eternel
Fils de Dieu. Jésus donne ainsi sa vie pour tous. Sa Communio ne trouve pas sa source dans une nature
humaine particulière et limitée, mais dans la Source infinie d’amour qu’est la Personne du Fils, dans la
Trinité. La particularité de sa nature humaine vient du fait qu’elle n’est pas personnalisée de manière
humaine mais divine, et donc n’est pas limitée. ( GS 22 : avec l’Incarnation, le FdD s’est uni à tous les
hommes…). Si bien que chacun de nous peut dire comme Paul : « Le Christ m’a aimé et s’est livré pour
moi »(Ga 2,20). Alors nous pouvons devenir tous comme Jésus des hommes parfaits, divinisés en Lui.
Jésus Christ homme singulier détermine ainsi l’être de tous les hommes.

61
3.4 - La question de la personnalité humaine de Jésus Christ.

Dans la Tradition, la personne de Jésus Christ est celle divine du Verbe. Mais s’il n’est pas
personne humaine, son être homme n’en est-il pas limité ?

3.4.1 - Evolution du sens du mot « personne »

Aujourd’hui, « personne » renvoie à un centre de conscience, à un «centre d’activité


psychologique conscient et libre». Jésus naturellement rentre dans une telle définition : il avait une âme
humaine, une conscience humaine, une liberté humaine, selon Constantinople III (680)6.

Dans le passé, le concept était beaucoup plus ontologique : le noyau profond de l’homme.

Aujourd’hui, nous devons comprendre la conception antique ontologique de la personne.

Prenons une analogie. Dans l’homme, nous voyons une différence entre notre pensée et nos
sentiments : Il y a en nous un JE qui pense, et un JE qui sent. Dans les deux cas je dis « JE ». mais les deux
sont pourtant diverses. Mon JE le plus profond (ontologique) n’est pas celui qui pense, ni celui qui sent ou
perçoit, car je suis capable de me penser pensant ou de me penser sentant. J’ai donc une réflexivité sur
ces deux JE qui m’indique que mon noyau ontologique est plus profond encore : « je pense que cela est
juste, mais je sens que non… ». Ce JE effectif est donc plus profond que ces deux formes de conscience du
JE. Cela ne signifie pas qu’il soit une troisième composante, mais qu’il s’exprime selon ces modalités du JE
pensant et sentant, et ainsi en fait l’unité. Mon JE effectif est ontologiquement antérieur d’une certaine
façon à ce dédoublement de ma conscience (en JE pensant et JE sentant), puisqu’il fonde leur unité.

Ainsi, le concept antique et médiéval du « personne » n’est pas seulement le JE psychologique et


conscient. C’est le JE qui donne unité à l’être, et qui est donc plus profond que le simple niveau de la
conscience.

 Dans la perspective du concept classique de Personne (ontologique), l’unique centre


ontologique de Jésus ne peut être constitué à partir de la personne finie (i.e. de la conscience humaine),
mais seulement de l’éternel Fils de Dieu. Sinon il ne pourrait y avoir d’unité en Lui, car coexisteraient deux
personnes séparées ( la Personne divine du Verbe, et la personne humaine de Jésus). Au niveau conscient,
cela serait alors un dialogue interne schizophrénique.

6 Nous proclamons de la même manière en lui, selon l'enseignement des saints Pères, deux volontés ou vouloirs naturels et deux activités
naturelles, sans division, sans changement, sans partage et sans confusion. Les deux vouloirs naturels ne sont pas, comme l'ont dit les
hérétiques impies, opposés l'un à l'autre, loin de là. Mais son vouloir humain suit son vouloir divin et tout-puissant, il ne lui résiste pas et ne
s'oppose pas à lui, il s'y soumet plutôt. Il fallait que le vouloir de la chair fût mû et fût soumis au vouloir divin, selon le très sage Athanase. Car de
même que sa chair est dite et qu'elle est la chair du Dieu Verbe, de même le vouloir naturel de sa chair est dit et il est le propre vouloir du Dieu
Verbe, comme lui-même déclare : " Je suis descendu du ciel, non pour faire mon vouloir, mais le vouloir du Père qui m'a envoyé " Jn 6,38 .

62
Donc en disant une seule personne en Jésus (celle du Verbe éternel), il s’agit de cette conception
ontologique. Il n’y a pas de personne humaine en Jésus, mais seulement une Nature humaine (assumée
par le Verbe éternel) , dans cette conception ontologique pré-moderne de la Personne. Dans la
conception moderne, c’est faux, car il y a une conscience humaine en Lui, une personne-comme-centre-
d’activité-psychologique-conscient-et-libre.

3.4.2 – Sur le concept d’ « humanité complète ».

Ce serait faux de déduire que du fait qu’en Jésus il n’y ait pas de personne (au sens ontologique)
humaine, ses actions et paroles humaines ne proviendraient pas du noyau de l’homme Jésus, mais de
l’extérieur, c'est-à-dire du Verbe éternel. Au contraire, ces actions appartiennent à la pleine humanité de
Jésus, en tant qu’elle est assumée par le Verbe divin, par la Personne divine. En Jésus, la centralité de la
personne, le fondement ultime de sa personne n’est pas contraposée ni opposée à la Personne du Logos,
mais c’est la Personne du Logos qui accueille au centre de sa propre Personne la dimension humaine
de Jésus. (il ne faut pas imaginer la Personne du Verbe comme extérieure, au dessus de la nature
humaine, l’animant comme une marionnette, mais dans et par (« comme en un Temple » , expression un
peu dangereuse car de Nestorius…) cette nature humaine (Cf. Ephèse).

Durant l’incarnation,
LA PERSONNE DU VERBE
SE MANIFESTE, SE SACRAMENTALISE, S’EXPRIME
PAR LA NATURE HUMAINE,
et pas ailleurs7.

Si l’on veut dire que Jésus était une « personne comme nous », il faut ajouter immédiatement que
cette personne ne s’oppose en RIEN à celle du Verbe, sinon il serait deux personnes. Nulle part dans
l’Ecriture, l’homme Jésus s’oppose au Logos divin, comme il peut le faire avec le Père (qu’il prie, etc…mais
il ne prie jamais le Fils de Dieu). Si l’on veut dire que « Jésus était ‘une personne humaine comme nous’ »,
il faut ajouter que cette ‘personnalité humaine’ appliquée à Jésus a comme fondement ultime de son être
le fait qu’en elle se réalise – de façon humaine – la personne éternel du Fils de Dieu. ( autrement dit, elle
n’est pas comme nous…).

« Jésus était ‘une personne humaine comme nous’ »


Si et Seulement Si : ‘personne’ est fondée ultimement sur l’être de la Personne divine ( le
Verbe)

Dans la personne humaine de Jésus se réalise la Personne divine. Le fondement ultime de l’unité
de Jésus est constitué de la Personne même du Fils de Dieu.

7 Dire : « la Personne du Verbe subsiste PAR la nature humaine » peut être ambigu.

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 La conclusion est que la « personne humaine » de Jésus est la Personne divine du Logos : « LA
NATURE HUMAINE DE JESUS FORME UNE « PERSONNE HUMAINE» DANS LE LOGOS ET A TRAVERS LE LOGOS, ET SUBSISTE
AINSI, ET NON A TRAVERS ELLE-MEME » ( Scheeben).

Le Logos ainsi ne détruit rien de la nature humaine qu’il assume mais au contraire l’accomplit
pleinement : la nature humaine possède toujours un centre d’activité, d’une personne. Mais ce centre
d’activité de la nature humaine ne subsiste que parce qu’assumé par l’être du Fils de Dieu.

A l’humanité de Jésus ne manque rien, parce que, dans la Personne du Verbe, il y a aussi d’une
certaine façon la nature humaine. Plus encore, ce qui dans une personne demeure indéterminé et indéfini
devient déterminé et définit d’une manière complète dans l’union personnelle de Jésus avec le Logos.
Tout ce qui appartient à l’existence humaine est ainsi appelée à être « personnalisé » en Dieu. L’homme
devient pleinement homme en ce qu’il est lui aussi ‘assumé’ par le Verbe, accueilli personnellement dans
la communion des Personnes divines ( TU pour Dieu). A travers l’esprit filial, le Fils de Dieu veut devenir la
force qui, d’une manière définitive et eschatologique, forme la personne en chaque homme.

En Jésus il n’y a qu’une personne, un seul JE, qui est la Personne du FdD, et en même temps, qui
est le facteur de la nature humaine qui forme la personne. Pour cette raison, il y a en lui un seul JE : le JE
du Fils de Dieu devenu homme. Dans sa conscience de JE, Jésus ne saute pas d’une identité à l’autre. Par
exemple quand il dit « j’ai soif » ce serait le JE humain, et en disant « le Père et moi, nous sommes uns »,
ce serait le JE divin ! absurde.

Il n’y a pas deux JE alternatifs. Il y a plutôt cette tension , que nous ressentons aussi en nous d’une
certaine façon, par la présence de Dieu en nous. Ainsi en nous : le JE est actif selon des modes différents (
le JE pensant et le JE sentant). C’est le même JE qui s’exprime dans des modalités différentes. Quand je
dis « j’ai soif », j’exprime une sensation personnelle, mais qui n’implique pas mon JE le plus profond, qui
peut très bien ignorer cette sensation de soif (par ascèse par exemple…). A d’autres moments, c’est ce JE
profond qui s’exprime ( devant la mort par exemple…). En Jésus, idem, analogiquement bien-sur : il n’y a
pas de dissolution de l’unité du JE, mais celui-ci s’exprime selon des modalités diverses.

 Le JE de Jésus est le JE du Fils de Dieu qui se réalise concrètement à travers une histoire
humaine concrète, et sans sortir de cette histoire ( sinon il y aurait un JE non humanisé à coté de l’autre ).
L’unique JE de Jésus est le JE du Fils de Dieu fait homme, qui transmet dans une authentique histoire
humaine, ce qui est divin en Lui, dans l’éternelle communion avec le Père et l’Esprit Saint.

64
Ch IV – Quelques points particuliers de la christologie contemporaine

4.1 – le problème de la connaissance et de la conscience de Jésus.

Si – de manière diverse avec notre hypothèse de travail précédente – nous considérons les
natures humaine et divine de Jésus comme 2 composants ontologiques strictement juxtaposés dans la
personne de l’homme-Dieu, alors en découlent des conséquences sur la connaissance et conscience de
Jésus :

En effet, dans la mesure où la conscience est en fonction de la nature, cela signifierait qu’en Jésus
il y aurait 2 consciences sur 2 plans différents.

1 - Sur le plan divin, cette conscience et connaissance serait continuellement dans la vision
béatifique et l’omniscience divine. Alors la connaissance divine de Jésus est totale dès le début de
l’Incarnation, dès le sein de Marie : « vision béatifique » de Dieu. Et donc aucun progrès de la
connaissance possible durant sa vie, puisqu’il possèderait l’omniscience divine depuis le début. Aucune
forme d’ignorance d’aucune sorte. Même le rêve lui serait impossible, puisque la conscience y est mise en
veille. (//Christ comprehensor )

2 - Parallèlement, concernant alors sa conscience et connaissance humaine : à cause de son être


homme, il doit acquérir diverses connaissances. Il possède une « science acquise » ou
«science expérimentale » (expression scolastique). ( // Christ viator)
 Nous aurions deux types complètement opposés entre eux de connaissance et conscience.

3 - Certains théologiens scolastiques admettent alors un troisième type de connaissance : la


« science infuse ». Celle-ci serait un peu comme celle de ces hommes d’exceptions ( génies, prophètes,
visionnaires, artistes, saints…) auxquels Dieu donna par grâce une connaissance quasi sans efforts, pur
don infus. Jésus étant l’homme parfait aurait possédé de manière exorbitante cette science infuse.

 Le résultat en serait 3 formes de conscience et connaissance de Jésus : la psychologie de Jésus


devient alors incompréhensible…
Déjà avec deux niveaux de connaissance, Jésus est omniscient et dans la vision béatifique, mais en
même temps contraint d’apprendre à parler, lire et conter, etc… il ne connaît ni le jour ni l’heure de la
Parousie (Mt 13,32), et crie vers le Père son abandon ( Mt 27,46), mais en même temps serait dans la
constante vision de Dieu.

Malgré cette difficulté, cette opinion est majoritaire dans l’histoire de la christologie, soutenue
par le fait que cette superposition de deux plans de connaissances et consciences diverses est ce que nous
présente le NT. Dans les synoptiques nous est présenté surtout un homme semblable aux autres, dont la
connaissance progresse, etc... Dans l’évangile de Jean au contraire, il semble qu’il ait une connaissance

65
bien supérieure aux autres : il connaît Nathanael avant de l’avoir rencontré, il affirme « avant qu’Abraham
soit, je fus… », ou bien encore « moi et le Père , nous sommes uns ». Nous devons donc accepter ces deux
niveaux de connaissance et conscience, s’il sont dans les Ecritures.

Dans la pratique, l’accent a été mis cependant surtout sur la connaissance divine : Jésus est
omniscient. Dans la foi populaire, la forme de connaissance humaine de Jésus fut beaucoup interprétée :
on disait que quand Jésus reconnaissait son ignorance (Mt 13,32), il parlait en notre nom… ! ou bien qu’il
feignait l’humilité, ou jouait la pédagogie. Ou que ce fut une impression des hommes que Jésus devait
encore progresser. Pour la tradition théologique fut toujours présente l’image d’un Jésus omniscient, en
pleine vision béatifique de Dieu, et cela dès la mangeoire.... Dans cette interprétation, l’être homme de
Jésus en est beaucoup réduit (tendance monophysique) : nous avons « une parodie d’être-homme »
(Maritain). Le problème est que nous serions en pleine contradiction avec le Jésus des Evangile ( Lc 2,52 :
Il « croît en âge et sagesse » / il interroge : « Qui m’a touché ? », « Où l’avez-vous mis ? »…). Si Jésus se
trouve toujours dans la vision béatifique, il est de plus difficile de comprendre la Passion, les tentations…

Par contre, si l’on prend comme base interprétative notre option précédente, alors beaucoup de
points sont plus clairs. Cette base est la suivante :
1- avec deux natures, il ne faut pas comprendre 2 composants ontologiques statiques
juxtaposés mais deux ensembles en relation en qui Jésus vit
2 – Les deux natures ne sont pas simplement juxtaposées : CE QUE JESUS VIT COMME HOMME
EST L’EXPRESSION SACRAMENTELLE, LA MANIFESTATION DE CE QUE L’ETERNEL FILS DE DIEU VIT DEPUIS L’ETERNITE DIVINE
DANS LA VIE TRINITAIRE DIVINE. Jésus Christ traduit ce qu’il est comme FdD éternel dans une nature humaine,
dans un être-homme, et cela parfaitement8.

Schématiquement, on disait classiquement que l’unique Personne divine existait en deux natures,
et que Jésus connaissait alternativement parfois comme homme, parfois comme Dieu, dans une sorte
d’oscillation perpétuelle.
Dans notre interprétation dynamique, la Personne divine du Logos se sacramentalise, se
manifeste, se transmet dans une existence humaine : ce que Jésus vivait comme Verbe éternel, il le vit
durant l’Incarnation comme homme dans une existence authentiquement humaine.

 Comment cela se transposerait-il au niveau de la connaissance de Jésus ?


Dans sa vie trinitaire, tout ce qu’est le Fils, tout ce qu’il sait et veut, il le reçoit du Père.

Jn 5,19 : « En vérité je vous le dit, le Fils ne peut rien faire de lui-même,


qu’il ne le voie faire au Père…Car le P aime le F et lui montre tout ce
qu’il fait. »

L’être du Fils est entièrement à partir du Père, et tourné vers le Père. Sa connaissance consiste
dans cet être à l’écoute, dans la vision du Père. Si nous admettons que le FdD transpose dans une nature
humaine tout ce qu’il vit comme éternel Fils du Père, son savoir et sa connaissance proviennent du Père,

8W. KASPER, Le Dieu des Chrétiens , p. 437 : « A la question Quel est le sujet qui parle en Jésus Christ ? [Rahner] répond avec raison, qu’on doit
attribuer à Jésus une authentique conscience de soi humaine créée, si on ne eut pas tomber dans une nouvelle forme de monophysisme. Mais
ce qui n’apparaît pas clairement chez lui, c’est que ce moi humain subsiste dans l’hypostase du Logos, de telle sorte qu’en Jésus Christ c’est le
Logos lui-même qui parle et qui agit et même que dans l’homme Jésus, Dieu n’est pas simplement présent de façon unique et indépassable,
mais que Jésus est le Fils de Dieu (KR., Schriften, t.9, 210) »

66
mais sous forme humaine (graduelle, discursive, …). Tout devient transmis du Père dans une vraie histoire
humaine, et rien par ailleurs. Tout provient du Père , mais non plus d’une manière immédiate : d’une
manière humaine, historique. Le Fils de Dieu s’est immergé entièrement dans notre humanité, pas
partiellement. Ainsi, l’historicité de la connaissance est réelle en Jésus : obscurité, gradualité, etc… autant
de conditions qu’accepte le FdD en s’incarnant. ( Et Jésus ne dit plus alternativement : « je veux connaitre
comme Dieu », « je veux connaître comme homme »… )
Il renonce à son savoir humain pour accueillir une connaissance humaine. Sa relation au Père se
déroule et s’accomplit entièrement sur l’unique plan humain : ignorance, dialectique des demandes et
réponses, apprentissage, expérience,
Comment est-ce possible ? Comment peut-il « mettre à part » sa connaissance divine (Balthasar) ?
Peut-il se séparer de la splendeur de sa gloire divine ? l’Ecriture répond oui. Et il l’a fait. Il a pu renoncer à
son savoir.

Prenons une image : nous pouvons concentrer tout notre intérêt sur un objet, en mettant le reste
au second plan. Ainsi, je peux être impliqué dans une mission apostolique extrême qui me ferait oublier
ma culture et ma science. Ou me concentrer entièrement sur la personne que j’aime au point d’oublier
tout le reste, ou du moins de le reléguer au second plan : le visage aimé a le monopole du visage, si bien
qu’ « aimer, c’est ne plus aimer personne », dit le poète.
Une autre analogie serait celle de l’acteur, qui devient le rôle qu’il interprète. Il « oublie » sa
propre identité.
Bien-sûr, à chaque fois, ces analogies appellent une plus grande dissimilitude (Latran IV).

 Dans la vie interne de la Trinité, le Fils reçoit tout du Père (conscience et connaissance) : il ne
possède pas sa propre conscience de soi, mais la reçoit du Père (idem pour la connaissance). Après
l’Incarnation, rien ne change, et il reçoit toujours tout du Père, mais DE MANIERE HUMAINE, SELON UNE
MODALITE HUMAINE, c'est-à-dire selon des structures historiques et temporelles, limitées, structures qui
caractérisent notre nature humaine. Ainsi, sa conscience et connaissance se forment de manière
entièrement humaine. Il devient peu à peu conscient de sa relation au Père.
Plus il réfléchit sur lui-même, plus il prend conscience de sa mission particulière. A cause de cette
acceptation, la connaissance et la conscience purement humaine se trouvent ex-haussées au-delà d’elles-
mêmes, car la forme humaine de Jésus est unie au Logos. Certes Jésus de Nazareth ne pouvait pas être
inconscient de son origine divine, et de sa mission particulière. Mais la connaissance de soi-même n’est
pas toujours active : quand je fais plusieurs choses à la fois, je ne suis pas conscient de tout ce que je fais (
ex : je ne suis pas conscient que je respire quand je parle, etc…). Il y a donc comme une gradualité de la
conscience, sur le fond d’une conscience pleine mais souvent reléguée, justement parce que trop ample.
Ainsi, chacun de nous savons de nous-mêmes bien plus que ce que nous savons actuellement, de façon
implicite9. De même, ce que je connais d’un être aimé dépasse de beaucoup ce que je peux en dire.
RAHNER parle de connaissance implicite. L’autoconscience de Jésus possède une histoire, dit
Rahner. Il fait des expériences… cette conscience est le fruit de la volonté du Père . La particularité de
Jésus est qu’Il est constitué de sa relation unique au Père, qui l’envoie pour le salut des hommes. Cette

9 Bergson explique ainsi le rôle du cerveau dont la fonction serait d’opérer dans la masse immense de ma mémoire l’extraction (la
conscientisation) des seuls contenus dont j’ai strictement besoin pour vivre le moment présent, faisant émerger ce contenu à la surface de ma
conscience. Le cerveau conscientise pragmatiquement ma mémoire.

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relation unique de Jésus au Père se manifeste dans l’histoire de sa vie. Elle devient manifestée de manière
toujours plus profonde10.
La vision béatifique de Jésus n’est pas celle du ciel, mais une connaissance jamais remise en cause
de la proximité du Père. Même s’il croyait, espérait, etc…
Dans ce mode de voir, le NT se comprend alors simplement : connaissance progressive de Jésus,
foi de Jésus, obéissance de Jésus, … Jésus comprend toujours plus profondément sa relation au Père
comme Fils, et pleinement à la fin, à la Passion. Tout le savoir de Jésus accomplit un parcours historique. Il
est constant mais évolue, s’explicite.
Ce genre unique de conscience est explicité dans Jn : la connaissance donné au Fils par le Père
pour pouvoir accomplir sa mission.
La psychologie de Jésus que nous ne pouvons qu’approcher, prend alors sens. Pas deux
connaissances et consciences juxtaposées. La connaissance de l’éternel FdD s’incarne dans les structures
humaines de l’être homme.

[ CEC 473 – « la nature humaine du FdD, non par elle-même mais par son union au Verbe, connaissait et
manifestait en elle tout ce qui convient à Dieu » ( Maxime le Confesseur). La thèse est classifiée souvent sententia
certa, ou seulement sententia fidei proxima. ( ie une vérité proche de la foi, au seuil d’être un dogme formel). ]

[ Excursus : le document de la Commission Théologie Internationale (CTI) de 1986 sur la conscience de


Jésus
En 1986 parait un document de la Commission Théologie Internationale avec le titre : « La conscience que
Jésus avait de lui-même et de sa mission ». Il ne s’agit pas ici directement de la thématique du « je », mais de la
conscience de Jésus d’être Fils de Dieu et d’avoir la mission de délivrer les hommes. Mais cela touche notre
thématique. La CTI résume le document en quatre thèses :
1 - « La vie de Jésus témoigne la conscience de sa propre relation filiale au Père. Son comportement et ses
paroles, qui sont ceux du « serviteur » souffrant, impliquent une autorité qui dépasse celle des anciens prophètes et
qui appartiennent à Dieu seul. Jésus puisait une telle incomparable autorité de son singulier rapport avec Dieu qu’il
appelle « mon Père ». Il avait conscience d’être le Fils unique de Dieu et, en ce sens, d’être lui-même Dieu ».
2 - « Jésus connaissait le but de sa mission : annoncer le Règne de Dieu et le rendre présent dans sa
personne, dans ses actes et dans ses paroles, afin que le monde soit réconcilié avec Dieu et rénové. Il a librement
accepté la volonté du Père : donner sa propre vie pour le salut de tous les hommes : il se savait envoyé par le Père
pour servir et donner sa propre vie pour « beaucoup » (Mc 14,24) ».
3 - « Pour réaliser sa mission salvifique, Jésus a voulu réunir les hommes en vue du Règne et les convoqua
autour de Lui. A telle fin Jésus a accompli des actes concrets dont la seule interprétation possible, si pris dans leur
ensemble, est la préparation de l’Eglise qui sera définitivement constituée à l’époque des évènements pascals et de
la Pentecôte. Il est donc nécessaire d’affirmer que Jésus a voulu fonder l’Eglise ».
4 - « La conscience, que Christ a d’être envoyé par le Père pour le salut du monde et pour la convocation de
tous les hommes dans le peuple de Dieu, implique, en mode mystérieux, l’amour de tous les hommes, ainsi que
nous pouvons tous dire : « le Fils de Dieu m’a aimé et s’est donné lui-même pour moi » (Ga 2,20) ». ]

10 RAHNER : Avant la Pâques, Jésus avait une vision immédiate de Dieu, comme horizon transcendantal athématique qui doit se thématiser dans
l’expérience. ( on retrouve l’anthropologie transcendantale de Rahner : dans l’horizon de l’être absolu l’homme connaît déjà depuis toujours (en
mode athématique) le mystère de Dieu).

68
4.2 – le problème de la liberté et de sa non-peccabilité

Nous resterons dans notre interprétation concernant les deux natures.

Constantinople III condamne l’opinion de ceux qui pensait une seule volonté dans le Christ ( la
divine ) : il possède aussi une liberté humaine, et en cela était un ‘homme libre’ ( // principe des
cappadociens : tout ce qui n’est pas assumé n’est pas sauvé).
Cependant apparaît le risque alors d’un conflit entre l’ être-Fils de Jésus, et son
autodétermination. Aurait-il pu pécher ?
Jésus n’a pas péché (1 P 2,22 / He 4,15 / 2 Co 5,21 : « Celui qui n'avait pas connu le péché, Il l'a
fait péché pour nous, afin qu'en lui nous devenions justice de Dieu.»), et c’est pour cela qu’est brisée la
Loi du péché. Le fait que Jésus n’a pas connu le péché ne veut pas dire que son être homme ne s’est pas
soumis au risque que notre nature comporte. Jésus a parcouru la voie de l’absolue fidélité au Père au
milieu de ces risques, justement, i.e. à travers les tentations. Comment se concilie alors sa sainteté avec
sa liberté ? Et s’il n’avait pas résisté à la tentation ? Jésus ne pouvait ontologiquement pas pécher : son
être est entièrement assumé dans sa relation filiale au Père : il est donc exclut qu’il eut pu faire des choix
contraires à Dieu. Pas d’espace pour d’autres possibilités, selon lesquelles Jésus aurait pu choisir comme
homme autonome opposé à Dieu.

Mais alors quel sens a la Liberté ?

MAXIME LE CONFESSEUR nous rappelle ce qu’est la liberté. A partir de la Création, la libre volonté de
l’homme tend spontanément à s’accorder avec la volonté de Dieu. Il est créé pour la grâce depuis le
début ; il y trouve son libre accomplissement. Il s’y réalise. Initialement, l’homme est créé librement
tourné et attiré par Dieu. Il apporte sa liberté au service de Dieu. La Liberté consiste à se réaliser soi-
même. L’acte fondamental de la liberté : accepter la situation initiale dans laquelle Dieu nous a créé. Mais
nous pouvons aussi choisir contre Dieu, choisir le mal. (Augustin oppose ainsi le libre arbitre – possibilité
de choisir entre bien et mal – et la Liberté – capacité à choisir le Bien). En Jésus, cela n’est pas possible,
mais ne signifie pas que Jésus soit privée d’une liberté humaine. La liberté ne consiste pas à faire des
choix opposés à la volonté de Dieu, mais à être « ex-haussée » dans la pleine acceptation de la volonté de
Dieu. La liberté ne consiste pas à pouvoir choisir le mal, mais dans notre capacité à choisir le bien. Ainsi,
au ciel, nous serons pleinement libres. L’unique aliénation est le péché. Si je ne suis pas « aliéné » ( i.e.
« chassé hors de moi-même »), alors je suis pleinement moi-même, et je suis pleinement moi-même si je
suis pleinement déterminé par Dieu. Ainsi, si je dis par exemple : « je ne peux trahir un ami », cela
n’exprime pas un manque de liberté en moi, bien au contraire.
Ma liberté fondamentale consiste à être moi-même, et je suis pleinement moi-même quand je me
laisse déterminer par Dieu.
Nous avons le devoir d’accomplir notre liberté. L’homme en recherche de soi-même doit prendre
des décisions entre tant de possibilités diverses. Dans tous les cas, la liberté n’est pas le pur libre-arbitre.
Plus je connais ma véritable vocation, alors moins j’ai d’alternatives, et plus je suis libre (ex : les vœux).
Dans le Christ, la volonté humaine qu’il assume est antérieure au Péché Originel (il assume notre
condition en tout excepté le péché) et donc entièrement orientée vers le Bien, vers Dieu. La volonté
humaine de Jésus est diverse de la notre, car la notre oublie son fondement en Dieu, son orientation

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fondamentale vers Dieu. Cela ne signifie pas qu’il ne fut pas tenté, mais en résistant à la tentation, il
réalise son être-homme.
La nature humaine est la manifestation sacramentelle de sa nature divine. Pas deux volontés
juxtaposées.
La relation de l’homme-Dieu avec le Père s’accomplit dans une vraie histoire dramatique de la
volonté, et de la liberté. Les premiers chrétiens exprimaient l’idée que Dieu agissait selon la même
manière en nous à travers notre liberté. Jésus n’est pas un simple moyen de Dieu, mais le médiateur
personnel du salut : il doit parcourir la voie de l’obéissance, à travers un monde rebelle à Dieu. Il doit
chercher et suivre librement sa vie pour accomplir notre salut. Sa Sainteté est dans son libre être Fils
dans un monde de péché.
Ainsi nous est révélée toute la pleine dimension de notre liberté. Contre cette argumentation, l’on
pourrait soutenir que la liberté de Jésus est diverse de la notre. Alors nous nous tromperions aussi sur
nous-mêmes : je peux faire ce que je veux, de toute façon cela finira bien... Mais la personne de l’homme
Dieu s’est totalement transposée dans la nature humaine.
 La personne du FdD se réalise dans une vraie liberté humaine. ( un peu comme le fiat de Marie
est lui aussi pleinement libre, dans ce sens plein de la Liberté. )

[ CEC 475 « l'Eglise a confessé au sixième concile oecuménique (Cc. Constantinople III en 681) que le Christ
possède deux volontés et deux opérations naturelles, divines et humaines, non pas opposées, mais coopérantes, de
sorte que le Verbe fait chair a voulu humainement dans l'obéissance à son Père tout ce qu'il a décidé divinement
avec le Père et le Saint-Esprit pour notre salut (cf. DS 556-559 ). La volonté humaine du Christ "suit sa volonté divine,
sans être en résistance ni en opposition vis-à-vis d'elle, mais bien plutôt en étant subordonnée à cette volonté toute-
puissante" ( DS 556 ). » ]

PRECISIONS tirées de J.H NICOLAS, Synthèse Dogmatique, 410 :


« Tant l’ange que n’importe quelle créature rationnelle, si on la considère en sa nature, peut pécher ; et si
une créature quelconque est telle qu’elle ne puisse pas pécher, elle tient cela d’un don de la grâce » (ST I,63,1).
Ne devrait-on pas, en vertu de ce principe universel, dire que Jésus, considéré en sa nature humaine, est
radicalement capable de pécher ? Cela ne fait-il pas partie de la « condition humaine » qu’il a assumée pour assurer
le pleine « vérité » de l’incarnation ? Mais que peut signifier pour le Christ la formule « considéré en sa nature
humaine » ? Nous avons vu que cette nature humaine de Jésus n’existe, n’est réelle, que comme appartenant au
Verbe, comme la nature selon laquelle le Verbe est un homme. Or, cela, nous l’avons vu aussi, est déjà une grâce, la
plus haute de toutes, la « grâce d’union ». Si on oppose, comme le fait ThA ci-dessus, nature à grâce (ce qu’une
personne créé a par nature, et ce qu’elle a par grâce), il est contradictoire de parler du Verbe considéré en sa seule
nature humaine, puisque cette nature humaine, je ne puis la considérer à part de la grâce qui en fait la nature du
Verbe. C’est cette grâce qui rend impeccable l’homme Jésus.
Il en va tout autrement des saint, y compris de la Vierge. Pour elle, on peut considérer ce qu’elle a par grâce
(sa parfaite innocence et sa préservation absolue du péché) et ce qu’elle a par nature : une peccabilité radicale.

Le « foyer de péché », la concupiscence » présuppose la peccabilité : elle est la peccabilité, non encore
actualisée en un péché déterminé, mais accentuée par une propension positive au péché (alors que de soi, la
peccabilité est seulement une non-impossibilité de pécher).
Pourtant, ne rencontrons-nous pas encore là le problème de la vérité de l’Incarnation ? Jésus est-il un
homme comme nous s’il n’a pas connu notre plus grande épreuve, la lutte morale contre le péché qui nous obsède ?
Il faut réfléchir encore au sens d’une telle lutte. Elle tire sa valeur humaine de la victoire totale ou partielle à
quoi elle aboutit, non de la situation de conflit et d’incertitude dont elle part. Le plus vraiment homme n’est pas le
pécheur, mais celui qui a triomphé en soi du péché. C’est cette situation qui est celle du Christ dès le premier
instant. Le Christ n’a pas eu à lutter contre le péché en lui-même, puisque, dès le premier instant de son existence

70
humaine, il est parfaitement innocent, juste, saint de la sainteté même de Dieu que le Verbe porte avec lui, en lui,
qu’il ne saurait ni perdre ni diminuer en devenant un homme. Mais dès ce premier instant, il est saint humainement,
c'est-à-dire en tant qu’homme, le péché étant exclu de son esprit d’homme. Plus que vaincu, puisque n’ayant pas à
s’insinuer en lui, et donc n’ayant pas à être chassé. C’est à partir de cette domination absolue en lui-même sur le
péché que Jésus triomphe dans le monde : c'est-à-dire dans l’humanité en général et en chacun des hommes qui
accepte la grâce qui vient de lui.

4.3 – Le motif de l’incarnation.

Pourquoi Dieu s’est fait homme ?

Dans les Ecritures, nous trouvons deux voies :

1/ pour nous sauver du péché, de la corruption, et nous faire participant de la vie divine.
- Mt : Jésus signifie « Celui qui libère son peuple du péché »
- Jn 3,17 : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour que le monde soit sauvé »
- 1 Tim 1,15 : « Dieu est venu dans le monde pour sauver les pécheurs… »

2/ l’autre voie ne fait pas référence au péché. Le motif de l’incarnation est dans le
prolongement de celui de la Création, qui est de rendre pleine gloire de Dieu.
- Col 1,15 : « image du Dieu invisible, car en Lui tout fut créé… »
Dans le Christ, la création trouve sa synthèse, son but, son vrai sens, et sa consistance.
- Prologue de Jn.

En reprenant ces deux types d’interprétation : l’Incarnation faisait déjà partie du plan de Dieu
quand il fit son œuvre de Création. Car la Création est en vue de la vie divine ? nous serions donc en
quelques sortes dans une Création en deux temps… ? ou l’Incarnation n’est-elle qu’en vertu du péché ?
BALTHASAR et GUARDINI : Dieu a pu courir le risque de créer des êtres libres seulement parce que
depuis le début il assume la responsabilité de l’accomplissement de la liberté. A partir du moment de la
création, Dieu s’engageait à réparer toutes les conséquences éventuelles de cette liberté donnée à sa
créature. L’incarnation de Dieu dépend du péché de l’homme, mais plus profondément encore de
l’Alliance, qui débute à la Création, ou pour le dire autrement de la fidélité de Dieu, quoi qu’il arrive. Le
motif ultime est cette fidélité de Dieu à son don, quoiqu’il arrive.

Ces questions sont-elles seulement spéculatives … ?

THOMAS D’AQUIN soutient que la seule cause que nous connaissons est que l’Incarnation de Dieu à
pour but de sauver le monde (motif 1 : le péché). ST IIIa : Tout ce qui provient de la liberté de Dieu nous
est connu que par l’Ecriture. Or dans l’Ecriture, le motif de l’Incarnation est la Rédemption. ThA montre ici

71
tout son réalisme. C’est à l’occasion du péché qu’eut lieu l’Incarnation. C’est le felix culpa pascal.
Quelques années avant, ThA était encore ouvert à l’autre hypothèse.

LES SCOTISTES ont l’autre hypothèse, inspirée de la patristique grecque. Seulement en raison de
l’Incarnation, la création rejoint son but : la pleine glorification de Dieu. Le Christ est le plérome de la
création. La Création a pour but la Glorification du Christus Totus. L’Incarnation ne dépend pas du péché.
Si c’était le cas, l’Incarnation serait un évènement casuel, contingent. En fait le péché a seulement changé
le mode de l’incarnation : le Christ a du venir selon le mode kénotique.

 Seule l’hypothèse scotiste est valable, semble-t-il. Si la structure de notre être trouve son
accomplissement dans le Christ, alors la Création a été créée comme grammaire de l’Incarnation. Si Dieu
crée à travers sa Parole, et que tout est créé en vu du Christ, alors l’Incarnation fait partie de ce plan.
L’Incarnation est éternelle comme l’est le projet de Dieu de porter l’univers en Lui. La Création est
orientée depuis le début en vue de ce Plérome, i.e. de la Communio de l’univers en lui et avec le Dieu
trinitaire, i.e. du « Règne ». La Création était déjà structurée en mode communionnelle :
- avec le Créateur. Accomplissement.
- en elle, la Création est communionnelle : tout y est relatif. La Création est un réseau de relation.
C’est vrai par excellence pour l’homme.
Ces communions horizontales et verticales n’en sont qu’une, bien évidemment. Plus je me lie à
Dieu, plus je me lie au monde et à mon prochain. En cela Jésus Christ devait aussi être le réconciliateur,
avec Dieu et avec les hommes entre eux. Dieu ne pouvait se manifester qu’ainsi dans la Création.

A partir de ces considérations, nous voyons le point focal de la christologie :

LE CHRIST EST CELUI QUI VIENT DE DIEU ET VA VERS LES

HOMMES, ET AU MILIEU DES HOMMES, LES ORIENTE VERS LE PERE ,

ET LES RELIE EN COMMUNION ENTRE EUX.

_____________________________________________

72
motivation : il convient de répondre aux
Annexe : Regards sur l'histoire exigences du monde moderne qui ne peut se
contenter, alors que se développent partout
de la recherche du Jésus les sciences historiques et l'étude critique de
l'histoire, de l'affirmation massive et
historique indiscutable de la vérité éternelle de
témoignages dont on découvre par ailleurs
(protestant) l'enracinement culturel et la dimension
apologétique. D'autre part, et par voie de
conséquence, il s'agit de polémiquer contre
La visée de ce regard synthétique, donc une tradition dogmatique ecclésiale pré-
forcément un peu caricatural, est de souligner critique qui identifie purement et simplement
les antécédents (partie I), les critères le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi et qui
méthodologiques (partie II) et les grands axes refuse d'appliquer aux textes bibliques les
ainsi que l'état actuel (partie III) de la acquis de la science. Cette lutte contre le
recherche du Jésus historique. Pour chacun dogmatisme de l'Eglise par une critique serrée
des points évoqués, nous tenterons de des textes bibliques consiste en fait à
souligner les enjeux théologiques ou remplacer le dogme ecclésiastique par le
herméneutiques qui les présupposent ou en dogme de l'Aufklärung : la raison souveraine
découlent. est érigée en magistère souverain.

I. Un bref aperçu de l'histoire de 1. 2 Le XIXe siècle


la recherche
Le mouvement des "Vies de
1. 1 Le siècle des Lumières Jésus" et le libéralisme
L'émergence d'une lecture véritablement Pour l'exégèse rationaliste du XVIIIe siècle, il
historique et critique naît d'une rupture s'agissait de retrouver le "noyau pur" des
épistémologique qui a lieu au siècle des textes bibliques, et tout particulièrement des
Lumières 1. Elle coïncide avec la prise de évangiles, dans un refus de l'héritage chrétien.
conscience qu'un écart existe entre les Lorsque la démarche de recherche critique du
élaborations de la dogmatique ecclésiastique Jésus de l'histoire ne s'est pas articulée à un
à partir des témoignages bibliques (les tel refus, elle s'est épanouie dans la voie qui
évangiles en particulier) et les résultats fut celle du libéralisme théologique et du
auxquels permet d'aboutir une critique serrée mouvement dit des "Vies de Jésus". Le XIXe
des textes bibliques. La Bible n'est pas ce siècle va voir s'épanouir, sous l'influence de la
document historique fiable sur lequel on théologie libérale allemande, la recherche sur
s'appuie depuis des siècles pour élaborer la le Jésus historique. La période est connue
vérité du christianisme. Appliqué à la personne comme celle du développement de ce que l'on
de Jésus, on prend conscience que le Jésus de appellera plus tard l'historicisme : l'histoire
l'histoire n'est pas identique au Christ du étant seule capable, dans cette optique,
dogme traditionnel. Les textes bibliques ne d'établir ou d'expliquer la vérité. Les
peuvent plus être considérés, sans autres, publications se multiplient (en France,
comme des témoignages historiques fiables et l'ouvrage de Renan est le plus célèbre mais,
autorisés. plus près de nous, les travaux d'un Maurice
Goguel sont sans doute ce que cette voie de
L'exégèse historico-critique est donc recherche a donné de meilleur). Etroitement
directement fille des Lumières et du lié à ce mouvement, le développement de la
rationalisme (l'Aufklärung du XVIIIe siècle). La critique des sources des évangiles. L'essor de
recherche est alors guidée par une double ce mouvement des "Vies de Jésus" est

73
d'ailleurs lié à l'adhésion de l'ensemble des car le non-historique se manifeste partout
chercheurs à la théorie des deux sources. (cf. dans les Evangiles - et apologètes libéraux -
cahier n°202 décembre 2000 p. I exposant la l'explication "naturelle" des Evangiles les prive
source des Paroles Logia et les credo primitifs. de leur sens qui est fondamentalement
NDLR) "mythique" -. A la différence de Strauss, Baur
porte un point de vue historique sur ce
Ce qui caractérise cette période, "c'est la processus : la "critique historique" telle que la
recherche d'un Jésus dans les limites de la comprend Baur, permet alors de situer les
raison, dépouillé de ses attributs divins mais écrits bibliques dans le cadre d'un processus
en même temps chargé de valeurs capables de développement historique.
d'en faire encore un point de repère aussi
pour la conscience moderne. Mais la difficulté La courte période d'existence de l'école de
qu'éprouve cette dernière à relier une vérité Tübingen est inversement proportionnelle à
éternelle à un événement historique l'influence qu'elle aura dans la recherche
contingent, d'après la formulation célèbre de allemande, jusque chez ses détracteurs qui se
G. E. Lessing, engendre une oscillation situent tant du côté des exégètes libéraux que
incessante, où tantôt l'un, tantôt l'autre des du côté de l'orthodoxie dogmatique.
deux éléments s'en retrouve sacrifié"2.

La quête du Jésus historique est marquée par 1. 3. La recherche au tournant


un positivisme scientifique et historique qui du XXe siècle
laisse croire qu'un travail sérieux et appliqué
sur les textes bibliques permettra de dégager, Au tournant du siècle, la recherche va prendre
derrière les interprétations théologiques une autre direction sous l'impulsion de deux
secondaires, la figure authentique de Jésus travaux majeurs.
avant que l'Eglise ne s'en empare pour en faire
une construction dogmatique et idéologique. - En 1901 paraît l'ouvrage de W. WREDE, Das
Ce Jésus est "le"génie religieux" dans lequel Messiasgeheimnis in den Evangelien. Depuis
les potentialités de l'esprit humain se sont l'adhésion de la plupart des chercheurs à
levées plus haut, en parvenant à saisir ces l'hypothèse de la théorie des deux sources, on
valeurs et à les livrer à notre civilisation d'une considère Marc comme plus primitif donc
manière efficace et définitive"3.L'école de susceptible de nous conduire plus directement
Tübingen au Jésus de l'histoire. Pour Wrede qui adhère à
la théorie des deux sources, Marc n'en est pas
Dans les années 1830-1850, "l'école de moins le produit de la communauté et les
Tübingen" se présente comme un hapax dans incohérences de sa construction (avant tout
cette recherche unanime du Jésus de l'histoire. théologique) ne s'expliquent pas par son
Elle va d'ailleurs susciter un nouvel élan dans caractère primitif ou plus près de la réalité
la recherche. Ses représentants les plus historique, c'est-à-dire émanant d'une
célèbres (David Friedrich STRAUSS et Ferdinand authentique tradition de la vie de Jésus. Au
Christian Baur qui utilise après 1840 la contraire, ces incohérences signalent que
conception hégélienne du développement diverses traditions et tendances ont contribué
historique) se situent en fait en opposition au à façonner l'évangile. Marc, comme les autres,
consensus existant. Pour Baur, les textes du est le produit de l'apologétique ecclésiaste
Nouveau Testament, même passés au crible (qui construit en particulier le thème du secret
d'une critique serrée, ne sont pas des témoins messianique pour tenter d'expliquer la
de la vie de Jésus mais des textes théologiques distance qui existe entre le Jésus de l'histoire
qui racontent les conflits des premiers n'ayant jamais eu conscience d'être le Messie
chrétiens entre eux (Tendenzkritik). L'école de et le Jésus de la foi proclamé Seigneur
Tübingen renvoie dos-à-dos dogmaticiens - si ressuscité).
la vérité des Evangiles est fondée sur leur
vérité historique alors qu'il n'y a pas de vérité

74
- En 1906, A. SCHWEITZER fait paraître son Pâques qui réclame notre adhésion au Christ
histoire des vies de Jésus (Geschichte der présent ici et maintenant comme le Seigneur
Leben-Jesu-Forschung)4. Il conclut une crucifié et ressuscité. Le Jésus de l'histoire est
rétrospective de près de 150 années de à tout jamais inconnaissable et, de toute
travaux par cette phrase désormais célèbre : manière, il n'est pas l'objet de la foi.
Reprenant à son compte tout en l'interprétant
"Le Jésus de Nazareth, qui s'est dans un cadre nouveau, un propos de Paul,
présenté comme Messie, qui a annoncé Bultmann ne veut plus connaître "Christ selon
l'avènement d'un royaume moral, la la chair" : qu'il y ait, ou non, continuité ou
réalisation du Royaume des cieux sur rupture entre le Jésus de l'histoire ou le Christ
terre et qui est mort sur la croix, pour de la foi, peu importe pour lui : Croire au
en quelque sorte consacrer son oeuvre, Christ présent dans l'Evangile, tel est la seule
ce Jésus n'a jamais existé. Ce n'est chose qui compte pour lui. Pour Bultmann,
qu'une figure projetée par le vérité de foi et vérité historique n'ont rien à
rationalisme du XVIIIe siècle, animée faire ensemble sauf à certains moments
ensuite par le libéralisme et revêtue privilégiés de l'histoire. Bultmann se situe en
d'un costume d'époque par la théologie fait dans la veine de Kierkegaard. Pour le
moderne. "5 philosophe danois, "si la génération de cette
époque n'avait rien laissé d'autre derrière elle
On découvre ainsi que la lecture n'est jamais
que ces paroles : Nous avons cru que Dieu
innocente : chacun en effet, avant mais aussi
s'est montré sous l'aspect misérable d'un
après Schweitzer, propose, à l'instar des
serviteur, en l'année telle et telle, il a enseigné
évangélistes, sa compréhension, son
et vécu parmi nous et cela l'a conduit à la mort
interprétation de Jésus, "son" Jésus :
- ce serait plus que suffisant. "7 La foi
humaniste, libéral, révolutionnaire zélote,
chrétienne exige certes que l'on se prononce
poète, philosophe, moraliste. . . conservateur
au sujet de son fondement historique. Il faut
ou politiquement de gauche, révolutionnaire
donc, aujourd'hui encore, réaffirmer la
latino-américain, hippie ou écologiste.
nécessité du fait de l'existence de Jésus. Mais
Ces deux ouvrages constituent véritablement il n'en découle pas, pour autant, que le choix
un tournant dans l'histoire de l'exégèse au sujet de la vérité de tel événement
moderne. Ce tournant se fait sur le mode historique soit fonction de l'histoire.
continuité/rupture : d'une part, outre la
Face à ce radicalisme, Joachim JEREMIAS 8
continuité épistémologique essentielle,
prend lui aussi acte de la faillite des vies de
l'exégèse scientifique des synoptiques adhère
Jésus : "le rêve est donc exclu d'écrire une
dans sa grande majorité à la théorie des deux
biographie de Jésus". Il n'en demeure pas
sources, l'un des acquis de la critique des
moins que nous devons et que nous pouvons
sources ; d'autre part, ce qui avait suscité la
revenir au "Jésus de l'histoire et à sa
recherche des sources des évangiles, à savoir
prédication". Et toute la quête de Jérémias
la quête du Jésus historique, se trouve
sera marquée par ce souci de remonter, par-
fondamentalement questionné. La recherche
derrière les textes, vers le personnage
se trouve réorientée de façon nouvelle, sur la
historique qu'est Jésus de Nazareth, en qui
base des acquis précédents.
nous sommes placés devant Dieu lui-même. Le
La position la plus radicale est celle de Rudolf Kérygme certes mais enraciné, en continuité
BULTMANN 6. Celui-ci plaide pour une directe avec l'histoire de l'homme de Nazareth
séparation fondamentale entre le Jésus de qui constitue la seule source indispensable de
l'histoire et le Christ de la foi : seul ce dernier la proclamation apostolique. L'oeuvre de
est important pour la foi. "Ce que Jésus a été, Jérémias apparaît comme une quête de
je ne peux et ne veux pas le savoir". Pour proximité avec l'événement premier, le
Bultmann, chacun est appelé à se décider moment premier de la foi chrétienne : la
existentiellement face à la prédication de prédication de Jésus de Nazareth.

75
1. 4. La "nouvelle recherche" phénomène historique appréhendable de la
même manière que tout autre phénomène
du Jésus de l'histoire religieux. D'autre part, l'exégète devra
interpréter et donner sens à la figure de Jésus
A l'origine de ce que l'on appelle la "NEW
en fonction de l'espace historique dans lequel
QUEST", Ernst KÄSEMANN 9. Il prend clairement
il a vécu (distanciation). D'autre part,
position contre Jérémias. Il lui reproche de
"l'avènement ici et maintenant d'une nouvelle
rendre la foi chrétienne dépendante de
figure sera pareillement fonction du lieu et du
l'analyse historique. Jérémias n'a pas pris acte
temps précis dans lesquels je vis et en dehors
des leçons du passé et il poursuit cette folle
desquels elle ne saurait strictement rien
prétention d'offrir à notre adoration l'image
signifier"11 (refus d'un espace spécifique et
authentique de Jésus. Il fabrique une idole
hors histoire).
Jérémias assure avoir désormais des critères et
des barrières dignes de confiance. Mais la Ce regain d'intérêt suscité par Käsemann
recherche historique aussi aboutie soit-elle ne donnera naissance à un certain nombre de
peut nous placer devant l'interpellation travaux dans les années 60-70. Ce qui les
décisive qui nous vient de la prédication. Les caractérise alors c'est une approche plus
résultats de la science ne sont pas habilités à modeste : plus question de reconstituer une
susciter notre foi. "biographie", une "vie" de Jésus. Désormais,
l'historien sait qu'il est impossible de
Par rapport à Bultmann, Käsemann insiste
reconstituer précisément l'existence de Jésus
cependant sur une réhabilitation de l'histoire
dans le détail, hormis son existence en Galilée
comme instance critique qui évite
et sa mort autour des années 30 de notre ère.
l'enthousiasme et le spiritualisme. Il ne s'agit
Quant à situer telle ou telle de ses paroles
pas de rechercher la vérité première et de
dans le cadre de son existence terrestre, cela
fonder sa foi sur des découvertes historiques.
est définitivement impossible. On procèdera
Il s'agit d'affirmer que la foi chrétienne est liée
alors par éclairages successifs sur tel ou tel
à une réalité historique. Il ne s'agit pas d'un
aspect du personnage : sa prédication, la
appel au passé pour justifier dogmes ou
question de ses miracles, son débat avec le
pratiques, il s'agit d'éviter au Christianisme de
judaïsme, sa mort… 12
devenir mythe, gnose ou idéologie : le
christianisme est un phénomène de part en
13
part historique. Comme Bultmann, Käsemann 1. 5. La "Third Quest"
ne participe pas d'une vision positiviste de
l'histoire. Pour lui, la recherche du Jésus On entre aujourd'hui dans une nouvelle
historique est indispensable pour préserver la période de la recherche sur le Jésus de
théologie et l'Eglise "de cette coïncidence avec l'histoire, sous l'influence de l'exégèse
la vérité qui est le secret diabolique de toute américaine et, en outre, suite aux découvertes
appropriation religieuse"10. En outre, ce n'est de Qumran. Cette nouvelle étape se
pas en dehors d'une rencontre concrète avec caractérise par une meilleure connaissance de
l'histoire que l'on peut appréhender ce dont il la sociologie de la société et du judaïsme
est question dans l'évangile. L'importance de contemporain de Jésus, et une prise en
l'histoire tient ici au souci de Käsemann de compte plus importante de la littérature dite
rompre et avec l'illusion de l'immédiateté, et apocryphe. Il est encore difficile d'évaluer les
avec le risque de réduire le théologique à un résultats de cette nouvelle impulsion de la
espace spécifique. Rompre avec l'immédiateté recherche. Un point semble ressortir
dans la mesure où l'histoire rappelle la cependant : par-delà les reconstructions
distance irréversible qui existe entre la vérité proposées, le débat s'articule autour des
croyante et l'événement qui la fonde. Rompre notions de continuité/discontinuité : Jésus est-
avec le risque d'isolement dans la mesure où il en continuité ou en rupture avec son temps
la tâche historique ne cesse de rappeler que la ? Un second point peut-être soulevé. La "Third
foi chrétienne est de part en part un Quest" s'accompagne d'un regain d'intérêt

76
pour la source Q et l'évangile de Thomas. Le est impossible de dire avec certitude si Jésus
présupposé implicite est que la vraie fidélité à l'a lui-même prononcée ou si elle lui a été
Jésus est la fidélité à son enseignement, et non attribuée par la tradition. A l'inverse, certaines
au kérygme post-pascal. Pour beaucoup de paroles comme les antithèses du Sermon sur
chercheurs, surtout en Amérique, les la Montagne semblent relever du critère de
mouvements les plus fidèles à Jésus (= les discontinuité.
cercles porteurs de Q et de Thomas) ont été,
au premier siècle, des groupes "non- Un second critère est celui de "L'ATTESTATION
chrétiens", c'est-à-dire des groupes dont le MULTIPLE" d'après lequel il faut considérer

lien à Jésus ne passe pas par le message comme autentiques les traditions qui sont
pascal. Conclusion : l'engouement pour le attestées dans plusieurs sources, pour autant
Jésus historique, la source Q et Thomas, qui va que leurs "tendances" soient conformes aux
de pair, dans le JESUS SEMINAR, avec une énoncés repérés comme authentiques à l'aide
certaine polémique anti-ecclésiastique, du critère de discontinuité. A titre d'exemple,
renoue, par-delà les siècles, avec la tradition le logion de Mc 8,38 ("Qui a honte de moi et
rationaliste de la fin du XVIIIe. de mes paroles, le fils de l'Homme aura honte
de lui quand il viendra dans la gloire de son
Père avec les saints anges") se retrouve dans
II. Les critères de reconstruction une tradition indépendante (Lc 12,9//Mt 10,33
de la prédication de Jésus : "Qui me renie devant les hommes sera renié
devant les anges de Dieu") : si la version de Mc
Depuis la fin du mouvement des "Vies de a sans doute une version déjà orientée
Jésus" on a donc abandonné l'idée d'élaborer christologiquement (idée du "retour" de
une "biographie" de Jésus. Par contre l'effort Jésus), l'essence du logion remonte à Jésus (les
porte sur la reconstitution de sa prédication. humains seront jugés en fonction de l'attitude
Or, dans la mesure où cette prédication nous qu'ils auront eu à l'égard de sa prédication).
est parvenue exclusivement par
l'intermédiaire de textes chrétiens (c'est-à-dire Un troisième critère est le "CRITERE DE
présupposant la confession de la seigneurie COHERENCE" : il faut que l'ensemble des
pascale du crucifié), la recherche doit user de traditions rassemblées à partir des deux
critères solides permettant de reconnaître, critères précédents possède une cohérence
parmi les énoncés placés dans la bouche de d'ensemble. Ainsi, le Notre Père qui est une
Jésus, ceux qui sont effectivement des paroles prière juive tout à fait traditionnelle et dont la
historiques de Jésus (des ipsissima verba). formulation ne présente aucune particularité
renvoyant spécifiquement à Jésus : dans la
Un premier critère consiste à considérer mesure où ses divers énoncés s'intègrent, sans
comme authentiques des paroles qui ne difficulté, au tableau d'ensemble de la
peuvent être expliquées par la théologie de la prédication de Jésus reconstruit grâce aux
communauté primitive ou ne concordent pas, deux critères précédents, on peut considérer
purement et simplement avec le monde juif de comme tout à fait vraisemblable que la prière,
l'époque. On appelle ce critère, le "CRITERE DE dans son ensemble, remonte à Jésus (surtout
DISCONTINUITE" (à n'utiliser que de manière dans sa formulation de Lc 11,2-4). De même,
positive : il ne démontre pas l'inauthenticité les paraboles : dans la mesure où elles ne
de tout ce qui établirait une continuité entre comportent pas de caractéristiques
Jésus et le judaïsme de son temps et entre christologiques et/ou ecclésiologiques
Jésus et le christianisme primitif !). Certes évidentes, le critère de cohérence permet d'en
Jésus est juif, certes encore, la prédication considérer la plus grande partie comme
chrétienne s'enracine dans l'enseignement de authentique.
Jésus. Il s'agit simplement ici de partir des
singularités que l'on peut mettre en évidence. Un dernier critère, souvent utilisé sans être
Il s'ensuit que lorsqu'une parole de Jésus se explicité, est celui "D'EXPLICATION SUFFISANTE". Il
trouve attestée dans le monde environnant, il consiste à attribuer à Jésus ce qui est

77
indispensable pour expliquer certaines ses récits c'est remettre en cause la foi
données historiques sûres de son destin dans chrétienne) et la position rationaliste (tout ceci
ce monde (comment expliquer l'opposition n'est que contes pieux) l'historien critique est
des autorités de Jérusalem sans prendre en appelé à se situer autrement. Ces récits
compte l'hypothèse d'une liberté de Jésus vis- relèvent d'un genre littéraire couramment
à-vis de la Loi ou, à tout le moins, une utilisé à l'époque pour relater la naissance
interprétation qui se situait en écart avec d'un héros (Hercule, la haggadah du petit
celles des théologiens juifs de son époque). Moïse). Ils ne sont pas historiques mais
théologiques ("théologouméné") ; deux
Tentons rapidement une évaluation, non pas généalogies différentes ; des informations
de la pertinence de ses critères (une contradictoires. Ils nous disent la conviction de
pertinence à évaluer au cas par cas), mais de croyants en la divinité et l'humanité de Jésus
ce qui sous-tend la démarche. Si je vois bien, il mais ne nous racontent pas sa naissance. Pour
s'agit de donner les moyens d'identifier les autant, il y a un substrat historique minimum :
paroles supposées remonter au Jésus de Jésus, fils de Joseph et Marie ; originaire de
l'histoire. Poussée à l'extrême, cette quête des Nazareth en Galilée ; tribu de Juda (cf. Paul, au
paroles authentiques produit l'initiative du début de l'épître aux Romains). La question en
Jesus Seminar qui imprime les paroles de Jésus arrière-plan est ici celle du lien entre vérité et
en couleurs différentes (authentiques : rouges historicité d'un texte : qu'est-ce qui fait la
; inauthentiques : noir ; probables : rose ; pertinence d'un récit ? Qu'est-ce qui fait sa
incertains : gris), selon les discussions et les vérité ? Quel type de "vérité" sommes-nous
votes à l'intérieur du groupe. On rejoint ici une appelés à chercher dans un texte biblique ?
démarche de type fondamentaliste : cf.
l'édition d'une Bible où les paroles de Jésus 2. Les évangiles nous renseignent sur le monde
sont imprimées en rouge. Evidemment, dans où vivait Jésus. La difficulté réside dans le fait
ce dernier cas toutes les paroles de Jésus sont que les évangiles sont écrits après 70 : c'est
en rouge, mais sur le fond la logique est la donc à partir d'une situation qui a
même : la vérité évangélique est liée à notablement changé qu'est interprété le
l'authenticité de chaque parole, au sens contexte religieux dans lequel a évolué Jésus.
qu'elles ont été effectivement prononcées par Il n'en reste pas moins vrai, qu'aidé des
Jésus. Il faut entendre ici ce que disait Oscar témoignages de Flavius Josèphe et des textes
Cullmann en 192514 : d'une certaine manière, de Qumran ainsi que, plus généralement, des
toutes les paroles de Jésus sont secondaires textes du Judaïsme hellénistique, il est
parce que tout est filtré à travers la possible de se faire une idée de la société
communauté, et, dans le même temps, toutes palestinienne d'avant 70. Un monde juif sous
sont authentiques parce que la communauté, protectorat romain. Le judaïsme est pluriel
lorsqu'elle a modifié les paroles de Jésus, le (pharisiens, sadducéens, Esséniens, zélotes,
fait dans le but de transmettre le message de mouvements prophétiques divers. . . ). Jésus
Jésus (du moins ce qu'elle en a compris). ne peut être rapproché d'aucun de ces
groupes même s'il est en discussion serrée
avec les pharisiens et sans doute si certaines
III. Etat actuel de la recherche de ces attitudes le rapprochent du type des
Il s'agit ici, modestement, de lister les mouvements prophétiques. Pour beaucoup de
principaux "dossiers" que la recherche travaille chercheurs aujourd'hui, Jésus est un juif
actuellement et de tenter de dire quelles sont marginal comme il en existait beaucoup,
les questions en discussion et avec elles le proche du "peuple de la terre", à l'origine
débat de fond qui est induit. disciple de Jean-Baptiste puis s'étant séparé
de lui. Ici se profile une double question : celle
1. Deux des quatre évangiles nous rapportent de la diversité des judaïsmes au premier siècle
un récit de l'enfance de Jésus. Entre la position et de l'appartenance de Jésus à l'un de ses
fondamentaliste (ne pas croire la littéralité de courants ; et puis la question de ce que

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j'appellerai l'articulation Rome/Jérusalem, ou quand, devant Dieu, elle établit des barrières
encore Hellénisme/Judaïsme. Et l'on sait que, entre les hommes (cf. Les controverses sur le
depuis 2000 ans, le christianisme hésite sabbat). D'une certaine manière Jésus
constamment entre ces deux pôles. relativise la Loi par rapport à la volonté de
Dieu (cf. la péricope sur le divorce). La
3. D'après les évangiles synoptiques, la question surgit alors inévitablement : d'où lui
prédication de Jésus est centrée autour de vient cette autorité ? Un blasphémateur diront
l'annonce de l'imminence du Règne de Dieu. les uns. L'envoyé de Dieu diront les autres. La
Les nombreuses paraboles dont témoignent croix pour les uns, le confession de foi pour les
les évangiles attestent de sa conviction que autres. La question en arrière-plan de ce débat
Dieu désormais se donne à connaître à ceux est ici celle du lien entre Jésus et le monde juif
qui l'écoutent. Dans une période de ferveur de son temps : est-il en continuité avec celui-ci
apocalyptique, de nombreux prophètes se (cf. Jacques le "frère du Seigneur") ou en
levaient pour annoncer la fin des temps et rupture (cf. Paul) ?
l'urgence de la conversion. Jésus s'est compris
comme un témoin privilégié du Dieu qui 5. Les évangiles nous présentent Jésus comme
réclamait de chacun une décision : un faiseur de miracles. Pour interpréter ce
"Convertissez-vous le Règne de Dieu s'est point il faut se poser deux questions :
approché". La question n'en reste pas moins
posée par les chercheurs : Jésus est-il un - Quel sens donnons-nous au terme "miracle"
maître qui propose une philosophie, un mode ? Pour nous, un miracle est un fait
de vie permettant de trouver la sagesse et la extraordinaire qui bouleverse les lois de la
vérité (un "cynique" par exemple) ? Ou est-il nature. La question est celle de la possibilité
plutôt l'annonciateur du temps de la grâce de du miracle, et conjointement l'existence du
Dieu, une grâce qui suppose un jugement sur surnaturel. Un juif contemporain des
la vie de l'homme et le salut de celui qui évangélistes dira qu'un miracle c'est une
écoute la parole prononcée sur sa vie ? La intervention de Dieu pour sauver son peuple.
question est ici celle de la place de C'est donc la signification du fait qui sera
l'eschatologie et de la pensée apocalyptique d'abord recherchée : est miraculeux un fait qui
dans la vie du Jésus de l'histoire. . . et au-delà, rapporte un acte de la grâce libératrice de
dans le christianisme. Dieu. Le miracle est alors un signe.

4. Jésus et la Loi : un thème récurrent dans les - Quels sont les différents types de miracle
évangiles. Dans le Judaïsme de l'époque dont parlent les évangiles. D'un côté les récits
traversé par la question de l'autorité (qui la de miracles dits de la nature et de l'autre, les
possède : pharisiens, sadducéens, Esséniens, récits de guérison et les exorcismes. Les
zélotes ?), Jésus dit en substance, il n'y a plus à premiers réfléchissent à l'identité de Jésus : il
en appeler à la parole des prêtres. Dieu se est celui qui a, comme Dieu, le pouvoir sur les
donne à connaître à quiconque entend la éléments. Le substrat historique de ces
parole du Règne qui vient. Il affirme aussi que miracles est difficile à situer : comme les
Dieu se donne à connaître à quiconque se sait "récits de l'enfance" ils relèvent plus du
et se reconnaît pécheur ("je ne suis pas venu "théologouméné", de la mise en récit d'une
appeler les justes mais les pécheurs"). Jésus conviction théologique. Pour les autres
déclare ainsi une parole d'autorité ("vous avez miracles, une investigation historique permet
entendu qu'il a été dit, mais moi je vous dis") de conclure que Jésus a été un thaumaturge.
par-delà la tradition des anciens. Il prétend, Par ses gestes il manifestait l'intervention
dans sa parole, réinterpréter la Loi dans son libératrice de Dieu pour son peuple. Par la
intention profonde : la Loi se résume dans le guérison, la grâce de Dieu libérait des
double commandement d'amour, de Dieu et déterminismes.
du prochain. A cause de cela il est parfois
Ici le débat est celui de notre compréhension
nécessaire de la contester dans sa littéralité
de la rationalité : les sciences humaines nous

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ont appris que la parole peut véritablement 8. "Il est ressuscité". Autant les traditions sur
guérir les corps (je veux dire physiquement) et, sa mort sont cohérentes, autant les récits de
par ailleurs, que ce que nous pouvons résurrection sont pluriels et divers. L'historien
constater avec notre raison humaine n'est pas ne peut se prononcer sur le fait historique de
le tout de la réalité et de la vérité de la résurrection. Elle ne relève pas du fait
l'existence. constatable par un témoin non concerné et
neutre. Elle est une conviction qui relève de la
6. Jésus a-t-il eu conscience d'être le Messie ? foi. Dire Jésus est ressuscité c'est affirmer que
L'historien doit procéder avec beaucoup de Dieu est solidaire du crucifié. Qu'il était avec
prudence. Les nombreux titres christologiques lui dans la mort et qu'il est Seigneur
que les évangiles attribuent à Jésus sont des désormais. L'événement de la Résurrection,
interprétations post-pascales. Historiquement, c'est l'expérience de la foi. Ici le travail de
il est vraisemblable que Jésus a surtout été l'historien s'arrête. Le croyant prend le relais.
désigné par d'autres comme Messie et qu'il L'historien peut par contre, constater les effets
n'a, pour parler de lui, utilisé aucun des titres historiques de la proclamation du ressuscité.
christologiques mentionnés dans les évangiles. Le croyant lui, peut se dire que la seule
Il est vraisemblable qu'il avait conscience explication totalement satisfaisante de ces
d'une relation particulière à Dieu et d'une éléments épars qu'il aura rassemblé est celle
mission spécifique. Jésus se considérait sans que donnent les évangélistes. Il confesse alors
doute comme un prophète de la fin des temps. que le témoignage des évangiles est ce qui
Dans sa parole Dieu et son Royaume étaient constitue, pour lui, l'accès principal sinon
proches. Une chose semble acquise : ceux qui unique à Jésus le Christ. Martin Luther ne
l'ont condamné étaient convaincus qu'il disait-il pas déjà : "Il vaut beaucoup mieux
usurpait une identité (envoyé de Dieu). Ses pour toi que le Christ vienne par l'Evangile. S'il
disciples étaient convaincus du contraire. Il est entrait maintenant par la porte, il se trouverait
difficile, pour l'historien d'en dire plus. chez toi, et tu ne le reconnaîtrais pas !"15
Derrière la question de savoir ce que Jésus
pensait de lui-même, c'est le débat autour de Elian Cuvillier
la christologie qui est en jeu. Deux 1 Une rupture sans doute préparée, à des degrès
christologies sont ici implicitement en conflit : divers, par la Renaisance, la Réforme et
une "basse" christologie selon laquelle Jésus l'émergence de la critique historique sous
est devenu Messie à la résurrection et une l'impulsion, par exemple, d'un Richard Simon.
"haute" christologie qui interprète déjà 2 V. FUSCO, "La quête du Jésus historique" dans
l'existence du Jésus terrestre en termes Jésus de Nazareth. Nouvelles approches d'une
messianiques. énigme, Genève : Labor et Fides, 1998, p. 27-28.
3 Ibid. , p. 30.
7. La mort de Jésus par le supplice de la 4 Seconde édition révisée en 1913 ; l'ouvrage
crucifixion est le fait de l'autorité romaine sur existe en traduction anglaise et italienne ; en
dénonciation des autorités religieuses juives. Il français existe seulement la conclusion (cf. note 5).
est mort comme un agitateur politico-religieux 5 A. SCHWEITZER, "Histoire des recherches sur la
vie de Jésus : Considération finale", ETR 69 (1994),
dans l'indifférence la plus totale (seuls
p. 153. L'utilisation qui a été faite par cette phrase
quelques-uns de ses compagnons et quelques n'est sans doute pas celle que Schweitzer
femmes ont dû se lamenter sur sa fin). Cette envisageait. Ce dernier ne plaidait pas pour
mort, il a sans doute pressenti qu'il n'y l'abandon de la recherche du Jésus historique mais
échapperait pas et il en a accepté la pour la prise en compte de la dimension
perspective. De là, sans doute, est née l'idée, eschatologique de sa prédication comme en
fondamentale dans la foi chrétienne, de la témoigne sa propre enquête sur la question : Le
mort de Jésus "pour nous". C'est ici la question secret historique de la vie de Jésus, Paris, 1961
de l'interprétation de la mort de Jésus qui est (original allemand 1901) ; c. également une "Lettre
en jeu. inédite", ETR 65 (1985), p. 163.
6 R. BULTMANN, Jésus, Paris : Seuil 1968.

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7 Cité par J. A. ROBINSON, Le Kérygme de l'Eglise et
le Jésus de l'histoire, Genève : Labor et Fides, 1961,
70, note 5.
8 J. JEREMIAS, Le problème du Jésus historique,
Paris, 1968 (original all. 1961).
9 E. KÄSEMANN, "Le problème du Jésus
historique", Essais Exégétiques, Neuchâtel :
Delachaux et Niestlé, 1972, p. 145-173.
10 P. GISEL, Vérité et Histoire. La théologie dans la
modernité, Paris : Beauchesne, 1983, p. 123.
11 Ibid, 125.
12 Caractéristiques, à cet égard, les ouvrages de E.
TROCME, Jésus de Nazareth vu par les témoins de
sa vie, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1971, et
Ch. PERROT, Jésus et l'histoire, Paris : Desclée,
1979,19932.
13 D. MARGUERAT, "La "troisième quête du Jésus
de l'histoire", RSR 87 (1999), p. 397-421.
14 O. CULLMANN, "Les récentes études sur la
formation de la tradition évangélique", RHPR 5
(1925), p. 459-477.
15 WA 10, III, 92,11, cité par Daniel MARGUERAT,
op. cit. , p. 421.

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