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Cycle de préparation à l’agrégation /Marrakech

Janvier 2024
Agrégation de français.
Œuvre au programme : Les Soleils des Indépendances, Ahmadou Kourouma, Seuil, 1976
Leçon littéraire sur : FamaDombouya
Par Boulfassa Hicham

Introduction

Gregor Samsa, Don quichotte, Hamlet, Raskolnikov, Meursault, Emma Bovary ou Etienne Rastignac. Ces
noms n’ont pas besoin d’être présentés aux lecteurs ordinaires. Ils ont pu transcender les temps pour
devenir des légendes immortelles. Pourtant, ces noms n’ont jamais existé dans la réalité matérielle, leur
présence ne dépasse pas les diamètres rectangulaires d’une page d’un roman. Ils vivent dans un autre
univers, celui de leur démiurge. Dans son esprit et c’est à lui-seul le mérite de leur esquisser un portrait
moral, des traits physiques, des paroles, une existence et une mort. Parfois même, ces êtres en papier
prennent une vie de plus en plus autonome et se détachent de leur créateur. Pour passer de l’autre côté
du miroir et façonner notre perception du réel. Ainsi ont-ils intégré notre langage de tous les jours pour
introduire des qualités morales ou physique : Roméo est devenu l’archétype de l’amour, un Tartuffe image
même de la fourberie, Donquichotte de l’idéalisme jusqu’au comte de Dracula qui est maintenant à la
limite de la vraisemblance puisque beaucoup pensent en son existence réelle.

Il est d’autant plus intrigant de constater que ces personnages ont quitté le domaine fictif des livres pour
s'inscrire dans notre mémoire collective. Cependant que veut dire cette appellation PERSONNAGE ; Selon
le Littré, le terme "personnage" est polysémique, faisant référence à divers concepts :

1. Dignité ecclésiastique, cure, etc. (sens du bas-latin personaticum)

2. Aujourd'hui, par extension, personne considérable, célèbre, en parlant des hommes.

3. Personne fictive, homme ou femme, mise en action dans un ouvrage dramatique.

4. Rôle que l'on joue dans la société, dans le monde, dans la vie.

5. Personnage allégorique, être métaphysique ou inanimé que la poésie ou la peinture personnifie.

ÉTYMOLOGIE Du bas-lat. personatioum, qui vient de persona, personne. Bien que persōna, signifiant
masque, tienne d'abord au théâtre, néanmoins le premier sens que la langue française en ait tiré est celui
de personne ecclésiastique."

Au milieu de toutes ces figures emblématiques du roman mondial émerge un personnage qui vient de
l’hémisphère sud de notre monde. Un visage qui porte les traits de tout un continent, dans ses moments
de force mais surtout dans ses heures de faiblesse et de déchéance. FamaDombouya ; le héros du roman
de l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma‘’Les Soleils des Indépendances’’ écrit en 1976. Bien que le
personnage de Fama partage les mêmes fonctions au sein du roman avec ses prédécesseurs à savoir :
porter de nobles aspirations que la réalité déçoit, assumer un statut de chevalier solitaire incompris ou
mourir tragiquement, il est le représentant de toutes des générations d’africains qui ont subi de plein fouet
la violence de la colonisation. Non seulement dans son aspect de présence spatiale d’un conquérant plus
fort mais en tant qu’humiliation. Oui,l’humiliation d’une culture ancestrale qui a toujours pris source dans
son environnement naturel. FamaDombouya est le personnage qui veut rétablir cette Afrique-là.Cette vie
qui s’appuie sur l’harmonie entre les quatre éléments : l’humain, l’animal, le floral et l’astral. Toutes ces
structures millénaires allaient s’écrouler sous la violence de cette rencontre deux mondes. Un monde
européen colonialiste et expansionniste et un autre qui a gardé des formes primitives d’une vie humaine.

Dans le sillage de la littérature francophone africaine, marquée par une quête identitaire, un engagement
politique et une forte présence de tradition et d’oralité, les Soleils des Indépendances ne peut pas dévier
de tout un courant qui est le fruit amer de la colonisation. Comment donc le personnage de Fama, à
travers la trame narrative du roman, par son aspect réactionnaire et contestataire, est une métaphore
tout d’abord du refus d’abdiquer aux nouvelles structures sociales établies et ensuite des désillusions
qui ont suivi les indépendances ?

Dans l’espoir de jeter de la lumière à ces questionnements. Notre analyse se déploiera en trois moments
distincts. Tout d’abord, nous allonsmettre en exergue l’aspect protestataire de Fama, soutenu par bon
nombre d’actions et d’attitudes dans le récit ; puis nous allons résumer sa situation réelle qui le mène à
mener une existence fictionnelle, en déphasage avec la réalité et finalement nous allons voir comment
Fama est une allégorie de la déchéance de toutes une culture destinée à disparaitre.

Plan

1. FamaDombouya le chevalier qui refuse de devenir valet.


a. Les origines d’un prince autoproclamé
b. Un personnage aux allures picaresque.
c. Le refus du nouvel ordre établi et l’engagement politique.
2. FamaDombouya entre idéal et réel
a. De la panthère à l’hyène, chronique d’une déchéance inéluctable.
b. Fama coupable d’avoir rêvé.
c. La mort de Fama où quand la réalité écarte l’imaginaire
3. Fama, Témoin des Impasses d'une Renaissance Africaine
a. Fama, le déclin d’un mode de vie
b. Un personnage en proie à une rigidité idéologique
c. Fama sous Les soleils sombres des servitudes.

1. FamaDombouya le chevalier qui refuse de devenir valet.

En ouvrant le roman des Soleils des Indépendances, on fait vite immersion dans un monde qui n’existe
plus. Comme si on avait attendu une semaine pour narré cette histoire de la mort d’Ibrahima Koné
dans l’Incipit. Et c’est aussi la situation de notre héros Fama. Sa gloire a déjà pris fin avec les Soleils des
indépendances, néanmoins sa prise de conscience de sa réalité sera le chemin que suivra la trame
narrative du roman.

a. Les origines d’un prince autoproclamé

L’auteur des Soleils des Indépendances nous présente son personnage principal au milieu d’une
atmosphère funèbre. Le temps où les morts quittent les vivants, un moment de transition vers l’au-
delà. C’est d’autant plus important que c’est l’occasion d’une transition sociale pendant laquelle la
famille se restructure et où les rôles changent. Après tout juste sept paragraphes, le lecteur rencontre
FamaDombouya, Dieu créa le monde le 7 ème jour et Kourouma nous présente au 7 ème paragraphe, toute
une coïncidence !. Ainsi : p11

FamaDoumbouya ! Vrai Doumbouya, père Doumbouya, mère Doumbouya, dernier et légitime


descendant des princes Doumbouya du Horodougou…

Un texte paratactique dans lequel les mots de liaison s’éclipsent laissant place à l’entrechoque brutal
entre les propositions et créant une tonalité hachée et brusque. En filigrane, l’auteur inscrit son héros
dans une lignée noble, l’héritier d’une dynastie glorieuse. Le dernier et légitime Doumouya ajoute une
autre responsabilité sur le dos du personnage : Conserver cet héritage ancestral de l’extinction.

Toutefois, c’est dans les pages 96 e 97 où Fama fait un travail de conscience en réfléchissant sur son
sort. Le doute laisse place à la certitude :

Es-tu, oui ou non, le dernier, le dernier descendant de Souleymane Doumbouya ? Ces soleils sur les
têtes, ces politiciens, tous ces voleurs et menteurs, tous ces déhontés, ne sont-ils pas le désert
bâtard où doit mourir le fleuve Doumbouya ? Et Fama commença de penser à l’histoire de la
dynastie pour interpréter les choses, faire l’exégèse des dires afin de trouver sa propre destinée.

Voilà comment FamaDoumbouya, allait faire le va et vient entre le passé et le présent pour se rendre
compte de son état actuel. Il cherche à donner sens à son existence. Les interrogations remettent en
question son statut autoproclamé. Tout indique que les contextes historiques et politiques ont bien
changé. Les soleils des indépendances sont fatalement l’embouchure désertique où se déversent la
rivière de sa lignée noble. Fama est un marécage dans lequel se décomposera progressivement cette
culture.

A travers ce voyage dans le temps et dans l’espace se dessine une figure presque picaresque de
Fama dans une quête de sens et d’identité.

b. Un personnage aux allures picaresque

Le lecteur ordinaire de l’œuvre d’Ahmadou Kourouma les Soleils des Indépendances ne peut pas être
échapper à la tentative d’ une comparaison entre le personnage de Fama et d’autres de ses confrères.
Notamment, le personnage de Donquichotte. En effet le héros de Miguel de Cervantès voit le monde
au prisme de ses lectures tandis que celui de Kourouma le perçoit à travers le filtre du passé. Un passé
qui est toujours présent dans chaque instant de son présent et qui l’empêche même de voir.

En effet, Fama est un chevalier qui doit défendre une structure sociale ancestral sur laquelle repose
toute une culture africaine. Ce qu’on peut remarquer lors de la dispute avec le griot lors des funérailles
d’Ibrahima Koné page 13

Les princes du Horodougou avaient été associés avec les Keita. Fama demanda au griot de se
répéter. Celui-ci hésita. […] C’était un affront, un affront à faire éclater les pupilles. Qui donc avait
associé Doumbouya et Keita ? […] D’un ton ferme, coléreux, et indigné, Fama demanda au griot de
se répéter.

A l’image de Donquichotte, Fama reste un noble refusant de vivre dans ce présent imposé par les
Soleils des Indépendances. Il voulait perpétuer un mode de vie ancien nonobstant l’évolution
historique. Ce choix de vie traverse le texte d’Ahmadou Kourouma. Son personnage est le porte-
drapeau de cette dignité chevaleresque africaine condamnée à l’extinction.Bâtard de griot ! Plus de
vrai griot ; les réels sont morts avec les grands maîtres de guerre d’avant la conquête des Toubabs.
(p. 14), « des descendants de grands guerriers » (p. 18), « les griots et les griottes chantaient la
pérennité et la puissance des Doumbouya » (p. 21). P157« Mais un Doumbouya, un vrai, ne donne
pas le dos au danger »

Fama ne peut pas oublier ce passé glorieux des Doumbouya ;ilne pourra jamais accepter d’être le
témoin passif des désordres causés par la colonisation de son territoire. Il se démarque non seulement
par son attitude chevaleresque et nobiliaires mais aussi par ses paroles contestataires ; ‘’Bâtard de
bâtardise’’, ‘’fils de chien’’, ‘’fils d’esclave ‘’ les insultes de Fama ne sont qu’une expression de sa
frustration face à l'échec de ses aspirations idéalistes et de sa lutte pour restaurer une époque révolue.

Cette attitude don-quichottesque et contestataireallait nous introduire une autre facette de ce


personnage, celle du militantisme politique.

c. L’engagement politique suivi de remords

Ironie du sort, FamaDoumbouya est l’architecte de son propre malheur. Il était un fervent défenseurs de la
délivrance des jougs de la colonisation en s’inscrivant dans la résistance armée contre les conquérants. Les
Soleils des Indépendances est en quelque sorte le résultat de ses efforts au côté des forces anti-coloniales,
p24 : Comme une nuée de sauterelles les Indépendances tombèrent sur l’Afrique à la suite des soleils de
la politique. Fama avait comme le petit rat de marigot creusé le trou pour le serpent avaleur de rats, ses
efforts étaient devenus la cause de sa perte car comme la feuille avec laquelle on a fini de se torcher, les
Indépendances une fois acquises, Fama fut oublié et jeté aux mouches.

Les images exposées par Ahmadou Kourouma dans ce paragraphe sont assez significatives. Les sauterelles
qui s’abattent sur l’Afrique souligne la nature dévastatrice des métamorphoses subies par le continent et
ajoute une nuance religieuse aux propos de l’auteur. En fait, les sauterelles sont souvent associées au
châtiment divin comme dans le cas du pharaon qui refuse de libérer les israélites de l’Egypte. Ainsi ; cela
montre que même Dieu dans son firmament n’accepte pas ce qui se passe à l’ici-bas. Les Soleils des
Indépendances s’avère donc une sorte de malédiction. Le recours à l’animalisation de Fama en le
comparant à un rongeur vivant sous terre ne peut qu’accentuer la déchéance du personnage principale.
C’est lui qui a ouvert la voie aux soleils des Indépendances de se lever sur l’Afrique.

Kourouma accentue la dégradation symbolique de Fama en le comparant à un papier toilette qu’on jette
après son usage. Evidemment, l’image scatologique frôle la provocation est acquis une dimension
répugnante. La comparaison avec un objet aussi éphémère et déprécié que le papier toilette renvoie la
manière dont Fama est traité une fois que ses services ont été utilisés, évoquant une idée de rejet et
d'oubli.p23‘’Et des remords ! Fama bouillait de remords pour avoir tant combattu et détesté les Français
un peu comme la petite herbe qui a grogné parce que le fromager absorbait tout le soleil ; le fromager
abattu, elle a reçu tout son soleil mais aussi le grand vent qui l’a cassée’’.Fama pensait que l’abolition de
la colonisation lui portait bien-être, pis encore cela a même nourri ses regrets d’avoir lutté contre les
français.

FamaDombouya, protagoniste des 'Soleils des Indépendances' d'Ahmadou Kourouma, incarne une dualité
entre ses aspirations idéalistes, symbolisées par son engagement chevaleresque, et les dures réalités qui
façonnent sa destinée. Il oscille cultuellement entre idéal souhaité est une réalité imposée.

2. FamaDombouya entre idéal et réel

Tout le talent d’Ahmadou Kourouma semble dans cette capacité à proposer un personnage incapable de
saisir son vrai état. Tout le monde est en effet conscient de la déconnexion de Fama du contexte réel sauf
lui-même. Le lecteur, le narrateur et aussi les personnages qui l’entourent dans la diégèse savent à quel
point FamaDoumbouya continue à vivre dans un imaginaire révolu

a. De la panthère à l’hyène, chronique d’une déchéance inéluctable.

Les Soleils des Indépendances n’ont pas seulement renversé l’ordre sociales établis mais aussi les totems
associés à chaque clan. De ce fait, les malinkés de la capitale n’ont plus l’aura qu’ils avaient auparavant ;
maintenant, ils sont ruinés et déchus au plus bas de la société et trainent avec eux le destin de toute une
communauté culturelle et ethnique. Il était temps, vraiment temps de s’apitoyer sur le sort du dernier et
légitime Doumbouya ! P17 Le narrateur sollicite le lecteur de faire acte de compassion à l’égard de la
situation du protagoniste. En fait, tout le drame de Fama vient de cette comparaison entre un passé
glorieux et un présent déshonorant. D’ailleurs le texte se structure sur cette dichotomie pour renforcer la
charge émotionnelle chez le lecteur. P21

Oh ! Horodougou ! tu manquais à cette ville et tout ce qui avait permis à Fama de vivre une enfance
heureuse de prince manquait aussi (le soleil, l’honneur et l’or).

Fama habitait la capitale mais son pays natal l’habite. Il est entre deux temps et deux espaces. Entre la
capitale symbole de la modernité imposée par l’arrivée des occidentaux. Cette capitale même qui cristallise
les divisions sociales et les transposent sur le terrain. Entre un quartier nègre et un quartier blanc les
contrastes sont flagrants. Cependant, FamaDoumbouya reste fidèle à sa terre natale le Horodougou. A
cette vie teinte de joie. Ces réminiscences ne font qu’attiser sa colère et l’enfoncer de plus en plus dans le
déshonneur et la marginalisation. P11

Un prince Doumbouya ! Totem panthère faisait bande avec les hyènes. Ah ! les soleils des
Indépendances !Le "prince Doumbouya", représentant d'une lignée noble et porte-étendard d'une culture
ancestrale, est comparé à un totem panthère, une figure emblématique associée à la force, à la dignité, et à la
protection spirituelle du clan. Cependant, avec l'avènement des "soleils des Indépendances", la réalité post-coloniale
se révèle être un tournant dévastateur.

Le totem panthère, symbole ancestral de puissance et de noblesse, subit une métamorphose inattendue et
tragique en hyène. L'hyène, souvent perçue comme un charognard associé à la saleté, à la ruse et à la
déchéance, incarne ici la dégradation subie par la culture africaine sous l'influence de la colonisation. La
métamorphose suggère un renversement des valeurs, où la noblesse originelle est altérée et remplacée
par une image négative et dégradante.

En cheminant entre les pages du roman, la descente en enfer pour Fama s’annonce inévitable et se dessine
de plus en plus claire. Dernier signe de cela, c’est sa privation même de rêver.

b. Fama coupable d’avoir rêvé.

On aura beau enchainer FamaDoumbouya, cependant les Soleils des Indépendances ne peuvent pas
l’empêcher de rêver. Il était humilié, moqué, mépriser et écraser dans le nouvel ordre social et politique
mais il a toujours gardé cette fierté qui caractérise les nobles. Après les troubles politiques qui ont touché
la capitales, les nouvelles autorités des Soleils des Indépendances voient leur pouvoir menacer. Et là
commence une série d'arrestations injustes, de persécutions arbitraires à l'encontre de ceux qui sont
perçus comme une menace pour l'établissement en place.Fama est accusé de ne pas informer ces
autorités de son rêve. P166

Que lui reprochait-on ? Il avait rêvé, et il pouvait jurer sur le Coran même, il n’avait fait que cela ; il
n’avait participé à aucune autre action. Le jour du jugement, il allait commencer par dire : « Écoutez ce
proverbe bien connu : l’esclave appartient à son maître ; mais le maître des rêves de l’esclave est
l’esclave seul. »

Le rêve constitue un espace intime où l’homme cherche à s’enfuir de la contrainte de la réalité. Le rêve
pour Fama est un outil pour exprimer son abdication au nouvel ordre établi. Alors que le prophète Joseph a
été persécuté pour avoir partagé ses rêves avec ses frères,FamaDoumbouya est persécuté pour avoir rêvé.
Dans les pays africains d’après les Indépendances, le simple acte de rêver devient subversif et peut
entraîner des conséquences. Fama n’est qu’un exemple de centaines de milliers de prisonniers politiques
qui ont péri dans les prisons des Soleils des Indépendances. Alors que l'esclave peut être sous le contrôle
physique de son maître, son monde onirique reste le dernier refuge où il peut exercer une certaine
autonomie et échapper à l'emprise du maître. Ainsi, comme un acte de résistance et de défiance
FamaDoumbouya revendique sa souveraineté sur son propre monde intérieur, représenté par ses rêves.
Même si les autorités cherchent à contrôler tous les aspects de sa vie, y compris ses pensées et ses rêves,
Fama déclare que dans le royaume des rêves, il est le seul maître.

Alors que FamaDombouya persiste à rêver malgré les entraves, l'inexorable réalité se dévoile dans l'ombre
de sa mort, illustrant le moment où la cruauté du monde écarte implacablement son univers imaginaire.

c. La mort de Fama où quand la réalité écarte l’imaginaire

Fama incarne à la fois la condition tragique et absurde de l’homme africain qu’Ahmadou Kourouma se
délecte à le tourner en dérision. D’ailleurs en plus de le condamner à la misère durant toute l’œuvre,
l’auteur le prive de descendance comme s’il voulait le punir d’un acte que ces ancêtres ont commis à
l’aune des tragédies grecs. Fama est stérile et ne peut pas avoir d’enfant qui portait son nom et
pérennisent la dynastie des Dombouya. Sa mort alors acquiert alors une dimension tragique et ironique,
soulignant la condamnation implacable d'une lignée noble et la dérision délibérée que l'auteur lui réserve.

Après être gracié et libérer de la prison, FamaDoumbouya, et à l’exception de tous les détenus libérer ne
sera reçu de personne puisque ses deux femmes, toutes les deux s’absentent et le laissant seul faire face à
son destin. La mort de Fama, bien qu’elle soit prévisible et suivra un enchainement logique : tout d’abord il
n’écoute pas les conseils de Bala d’effectuer le dernier voyage vers la capitale : p146 Un voyage au
mauvais sort, c’est un accident grave et stupide, ou une terrible maladie, ou la mort, ou une intrigue…
p147des nuages assombrirent le ciel vers le milieu du jour, des tonnerres grondèrent et moururent du
côté où était parti Fama. En vérité, un maléfique déplacement !

Le refus de suivre les recommandations est dû à l’aveuglement qui caractérise les héros tragiques qui
refuse de voir la mort qui les pourchasse. Puis viennent la scène finale aux frontières p193 :Fama gisait
toujours sous le pont... Tout le Horodougou était inconsolable, parce que la dynastie Doumbouya
finissait.Fama en refusant d’obtempérer aux ordres des grades frontaliers déclare sa non reconnaissance
des frontières tracés par les Soleils des Indépendances qui démembre son territoire en deux. Une mort
sous le pont qui symbolise la communication et le passage entre deux espaces, d’autant plus que cette
zone où l’auteur choisit pour faire périr son héros est un espace neutre entre deux pays. Comme si Fama
n’a plus de place sur terre qui peut l’accueillir.

1. Fama, Témoin des Impasses d'une Renaissance Africaine

L’horizon s’annonce néfaste pour FamaDoumbouya. D’échec en échec, sa vie ressemble à une longue
agonie ; un long supplice qui s’accentue crescendo au fur et à mesure que se fin s’approche. D’ailleurs,
l’auteur ne lui offre que 196 pages. Une vie assez courte, d’autant plus que la voix de Fama est presque
confisquée par un narrateur qui occupe l’espace textuel au détriment du ce qui doit être un héro.
a. Fama, le déclin d’un mode de vie

La colonisation est le visage monstrueux de l’humanité. Les puissances coloniales ont défiguré l’Afrique,
ont commis des crimes contre l’humanité, contre la culture, les langues, des crimes contre la vie tout
simplement. FamaDoumbouya semble piégé sous les Soleils des Indépendances. Lui, qui autrefois bénéficie
de la total liberté de se déplacer dans son territoire le Houroudougou doit maintenant passer par des
frontières. Ces nouvelles bordures tracées par des étrangers qui ont traversé la mer pour venir opprimer
une autre humanité. Les nouveaux découpages de territoire ont poussé les populations a quitté leur
contrée et cela a entrainé la séparation de communautés et la création de nations artificielles, contribuant
à des conflits sociaux et politiques persistants.

Ceci dit, Fama ne reconnait pas ces nouveaux états artificiels. Il utilise un vocabulaire précolonial : Côte
d’Ebêne, Houroudougou, Tougoubala. Il n’accepte jamais la carte d’identité et ne l’a jamais montré aux
gardes frontaliers affichant ainsi un acte de résistance au pouvoir.

Les structures de gouvernances traditionnelles ont été démantelées pour le profit de nouvelles pouvoirs
légués par le colonisateur à savoir le parti unique. P133

… depuis que le monde existe, les choses importantes et sérieuses se palabrent dans la cour des
Doumbouya. Les assis se levèrent, serrèrent les mains des arrivants et en bon musulman chacun s’enquit
des nouvelles de la famille de l’autre.

Les traditions malinkés existent depuis l’aube du temps, Avant l'arrivée des religions monothéistes, les
Malinkés pratiquaient des religions traditionnelles animistes. Ils croyaient en un dieu suprême, souvent
associé au créateur du monde, et en une multitude d'esprits, chacun ayant un rôle spécifique dans la vie
quotidienne. L’Islam a pu intégrer ces structures tout en adaptant ces percepts à l’espace et à la culture
locale. Comme le témoigne la forte présence de Balla le sorcier le seul ‘’infidèle’’ du village et son rôle dans
la vie de Fama. La vie sociale malinké est souvent centrée sur la famille élargie et la communauté. Les liens
familiaux sont essentiels, et les responsabilités sont partagées au sein de la communauté.

La mort de Fama, la vie de Fama et les peines de Fama sonnent le glas de cette existence détruite par
l’arrivée des colons et ensuite l’instauration des nouveaux régimes.

b. Un personnage en proie à une passivité et une rigidité idéologique

Le personnage est un phénomène sémiotique pensait Philippe Hamon dans la mesure où l’on peut
l’étudier à travers des signes (signifiant et signifié). Dans le cas de FamaDombouya, au-delà de la personne
physique elle-même, marquée par la stérilité et d’impuissance ‘’, deux caractéristiques du contexte
culturel, politique et social dont souffre sa communauté et en général tout le pays. L’hyène a beau être
édentée, sa bouche ne sera jamais un chemin de passage pour le cabrin est le dicton malinké qui peut
résumer le statut réfractaire de notre personnage. Insurgé contre l’abâtardissement des traditions,
intolérant face aux déshonneur fait à ses ancêtres et aussi désobéissant à l’égard du pouvoir politique
post-indépendant.

Il n’empêche que ces traits révèle un personnage d’une extrême obstination politique. Un homme d’une
idéologie rigide incapable de s’adapter aux nouvelles situations, d’ailleurs beaucoup de zones d’ombres
laisse apparaitre ce côté passif et désintéressée de Fama : C’était un éhonté de mari qui ne fait honneur de
ses devoirs conjugaux, aux yeux de Salimata sa femme. D’ailleurs, c’est elle qui travaille, qui est dans
l’action, dans la dynamique de la vie tandis que lui ne fait que mendier et vivre dans son passé mythifié.
P181

Fama allait encore commettre une faute. Où partait-il ? Maintenant qu’il pouvait tout avoir, pourquoi ne
voulait-il pas continuer la fête comme les autres ?... Bakary — Ecoute, Fama ! On ne part pas quand on a
la possibilité d’avoir l’argent, d’avoir une situation, d’être quelqu’un, d’être utile aux amis et aux
parents. Que feras-tu à Togobala ? La chefferie est morte.

Faman’est pas dans sa premeière faute selon le narrateu ; l’adverbe encore vient souligner la récurrence
des erreurs du protagoniste. D’ailleurs même l’espace ne lui laisse pas le choix. Dans le roman, il y a une
dichotomie spéciale dans laquelle oscille Fama c’est la capitale ou le Togobala. Les choix sont tellement
restreints. Un va et vient entre ville et campagne et aussi entre passé et présent. La question rhétorique
où partirait-il ? fait allusion à l’absurdité de son voyage au moment où il peut avoir une nouvelle place sous
les Soleils des indépendances. Par nostalgie, dogmatisme où lâcheté il laisse tout le monde et décide de
regarder derrière lui..

a. Fama sous Les soleils sombres des servitudes.

Avec les Indépendances des pays africains souffles les vents d’espoirs. Espoirs d’un avenir meilleur où les
populations de ce continent peuvent aussi bénéficier des fruits de l’évolution de l’humanité aux niveaux de
droits de l’homme : la liberté, la démocratie et la dignité. Profiter du développent économique, de la
prospérité et la richesse de ces pays. Entreprendre un avenir promettant pour les générations de jeunes
africains aspirant à un futur porteur de rêve et belles attentes. Tout cela part en éclat, FamaDombouya
n’est qu’une des facettes de l’échec de tout un continent de monter dans le train de la modernité tout en
restant fier de son patrimoine culturel et historique. P132

La colonisation, les commandants, les réquisitions, les épidémies, les sécheresses, les Indépendances, le
parti unique et la révolution sont exactement des enfants de la même couche, des étrangers au
Horodougou, des sortes de malédictions inventées par le diable .

Ce qui arrive à l’Afrique ne peut pas être l’œuvre de Dieu mais celui d’un diable. C’est une série infernale
de causes historique qui se termine par un sentiment d’amertume transposé dans l’être et le paraitre de
FamaDoumbouya dernier symbole d’une Afrique fier et en harmonie avec ses traditions. L’occupation
étrangère laissera progressivement place à la gente militaire qui a pris le soin de réprimer toute opposition
politique. Ceci s’ajoute à la confiscation des territoires et des richesses de la population civile par les
autorités au moment même, par ironie du sort, les épidémies ravagent tout le continent tuant des millions
d’être humain : Paludisme, choléra, Ebola et Sida. Comme s’il s’agit d’un vengeance diabolique insatiable,
tout concoure à enfoncer encore plus cette population dans la désolation et la mort.

C’est un ouvrage maléfique qui condamne tout un continent et met en péril son présent son présent et son
avenir.

CONCLUSION

Les feuilles du roman défilent sous nos yeux, Fama est mort ; il nous quitte à la dernière page du roman
P196. La temporalité narrative s’arrête et avec le temps s’arrête l’histoire, il n’y a plus place à lire plus. La
dernière image qui vient s’ancrer et se figer dans nos esprits est sombre et sinistre. On ferme le livre et
Fama surgit de nouveau, il est là. Ce personnage que nous avons suivi durant toute la trame narrative des
soleils des Indépendances, qui nous a choqué parfois par ses paroles déplacées, nous a fait rire, nous a
ému par son destin tragique. Mais surtout qui nous a pousser à réfléchir sur des sujets plus dérangeant liés
à notre existence, notre rapport à notre culture, notre histoire et à la politique.

À l'instar de Kourouma, d'autres écrivains ont également su utiliser habilement des personnages pour
incarner des idées de la déchéance d’une culture à cause de la colonisation extérieure et ce qui l’avait suivi.
Avant lui, en 1958, l’écrivain nigérien Chinua Achebe a écrit un roman intitulé ‘’Tout s’effondre » qui
racontait l’histoire d'Okonkwo, un notable au sein de son clan, Chinua Achebe explore le choc culturel
provoqué par l'arrivée des Britanniques chez les Igbos à la fin du XIXe siècle, marquant le début de la
colonisation du Nigeria. Auparavant relativement isolés, les habitants de la forêt équatoriale envisageaient
un monde façonné par leurs propres croyances en de multiples dieux, le culte des ancêtres, des rites et des
tabous. L'avènement des Européens, introduisant le christianisme, perturbe profondément ces traditions,
d'où le titre du roman, inspiré d'un poème de Yeats. Toutefois, contrairement à FamaDoumbouya, Chinua
Achebe ne romantise pas le passé. La rupture du fils d'Okonkwo avec les pratiques villageoises, motivée
par le sacrifice humain subi par son meilleur ami, crée une fissure dans l'unité du clan, soulignant les
complexités et les contradictions de la société précoloniale.

MERCI

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