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RÉCAPITULATIF DES ŒUVRES ET DES TEXTES1

Épreuve orale anticipée de français – Session 2024


Voie générale
Établissement : Lycée d’enseignement général et technologique Roland Garros, B.P. 461, 97430 Le Tampon
Ville : Le Tampon
NOM Prénom du candidat : Classe : PG9
Date de naissance :

Éventuelle situation particulière du candidat : partie à compléter et à signer par l’enseignant


Justification de la modification apportée au descriptif de la classe :

Points du programme qui n’ont pas pu être étudiés précisément :

PREMIÈRE PARTIE : EXPOSÉ (LECTURE D’UN TEXTE DU DESCRIPTIF, ANALYSE LINÉAIRE,


QUESTION GRAMMATICALE)
Le candidat présente les textes photocopiés, à l’exclusion de tout autre document.

OBJET D ETUDE N 1 La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe sc


Groupement de Textes Parcours associé :
Titre de la séquence 1 : « Corriger les mœurs par le rire» « Rire et savoir »
( Préface du Tartuffe de Molière)

Problématiques :Comment les écrivains contemporains


jouent ils avec leur lecteur ? Et comment , à travers l’ironie
traitent ils de l’importance de la littérature ?
Textes étudiés en Analyse Linéaire
Analyse linéaire n° 1 : « De l’horrible danger de la lecture » Document complémentaire : « Peut on rire de tout ? » Dans le
de Voltaire tribunal des flagrants délires de Desproges
Analyse linéaire n° 2 : article « Littérature » du Désordre
AZERTY de Chevillard
Lecture(s) cursive(s)
- Comme un roman de Pennac
- Jacques le fataliste de Diderot
-Le blanc et le noir de Voltaire
- Le solitaire de Ionesco
- Le vaillant petit tailleur de Chevillard
-Dictionnaire des idées recues de Flaubert

OBJET D ETUDE N 1 La littérature d’idées du XVI au XVIII e sc


Œuvre intégrale : Rabelais , Gargantua Parcours associé : « Rire et savoir »

Titre de la séquence n 2 : « « le rire est le propre de l’Homme » (Rabelais)

Problématiques:Comment le rire interroge t il le savoir ? En quoi rire et savoir


s’inscrivent t’ils dans un idéal humaniste?
Textes étudiés
Analyse linéaire n 1 : Un extrait du prologue
Analyse linéaire n 2 : Un extrait du chp XV
Analyse linéaire n 3 : Un extrait du chp XXIII
Lecture(s) cursive(s)

1
- Comme un roman de Pennac
- Jacques le fataliste de Diderot
-Le blanc et le noir de Voltaire
- Le solitaire de Ionesco
- Le vaillant petit tailleur de Chevillard
--Dictionnaire des idées recues de Flaubert

OBJET D ETUDE N 2 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIe sc


Groupement de textes Parcours associé :
Titre de la séquence 3 : « L’enfer c’est les autres » ( Sartre) « Personnages en marge, plaisirs du
romanesque. »
Problématiques de séquence : Quel regard porte la société sur les
monstres ? Quels liens peuvent s’établir entre deux œuvres romanesques ?
Textes étudiés
Analyse linéaire n° 1 : Portrait de Quasimodo dans Notre Dame de Paris de
Victor Hugo
Analyse linéaire n°2 : Incipit d’Attentat de Nothomb
Lecture(s) cursive(s)
- Attentat de Nothomb
- A rebours de Huysmans
- Le parfum de Süskind
- L’homme qui rit de Hugo
- Frankenstein de Mary Shelley
- Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino

OBJET D ETUDE N 2 Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle


Œuvre intégrale : Abbé Prévost, Manon Lescaut Parcours associé :
« Personnages en marge, plaisirs du
Titre de la séquence 4 : « Le roman, c’est la clef des chambres interdites de romanesque »
notre maison » ( Aragon)

Problématiques : En quoi Manon Lescaut est il un roman de l’affranchissement


des limites ? Comment les personnages s’inscrivent ils en marge : du
sentiment amoureux ?de la religion ? de la famille ?

Textes
Analyse linéaire n°1 : « Enfin n’étant plus le maître (...)s'y exposer
volontairement. »
Analyse linéaire n° 2 : « Tiberge repris-je (...)sont ceux de l’amour »
Analyse linéaire n°3 : « Monsieur, lui dis-je en tremblant(...) Adieu père
barbare et dénaturé ! »
Lecture(s) cursive(s)
- Attentat de Nothomb
- A rebours de Huysmans
- Le parfum de Süskind
- L’homme qui rit de Hugo
- Frankenstein de Mary Shelley
- Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino

OBJET D ETUDE N 3 La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle


Œuvre intégrale : Parcours associé :
Cahiers de Douai de Rimbaud de « Première soirée » à « Ma Bohème » « Emancipations créatrices »
(Fantaisie)

Titre de la séquence 5 : «Plonger (...) au fond de l’inconnu pour trouver du


nouveau » (Baudelaire)

Problématiques :Comment les Cahiers de Douai se présentent ils comme un


recueil de la révolte? Et en quoi montrent ils une force créatrice ?
Textes
Analyse linéaire n° 1 : « Vénus Anadyomène » Document complémentaire : Lettre à Paul
Demeny (lettre du voyant)
Analyse linéaire n° 2 : « Roman»
Lecture(s) cursive(s)
- Amours jaunes de Corbière
- Exercices de style de Queneau
-La fabrique du pré de Ponge
- Poteaux d’angle de Michaux

OBJET D ETUDE N 3 La poésie du XIXe au XXIe sc


Groupement de textes : Parcours associé :
Titre de la séquence 6: «Plonger (…) au fond de l’inconnu pour trouver du « Emancipations créatrices»
nouveau" Baudelaire

Problématiques: Dans quelle mesure les poètes peuvent ils s’émanciper des
sujets traditionnels ?Quelle relation peuvent ils établir entre la laideur et la
création?
Textes étudiés

Analyse linéaire n°1 : « La limace » de Queneau

Lecture(s) cursive(s)
- Amours jaunes de Corbière
- Exercices de style de Queneau
-La fabrique du pré de Ponge
- Poteaux d’angle de Michaux

OBJET D ETUDE n 4 Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Œuvre intégrale : Parcours associé : « Spectacle et comédie »


Molière, Le Malade imaginaire

Titre de la séquence 7 : « Une pièce de théâtre, une comédie, cela doit


penser,cela doit agir, cela doit vivre » (Hugo)

Problématique : Comment la servante est elle l’instrument par lequel


s’implante la fantaisie dans la comédie ballet du Malade imaginaire de
Molière ?

Textes
Analyse linéaire n° 1 :Un extrait de I,5
Analyse linéaire n2 : Un extrait de II,2
Lecture(s) cursive(s)
Alice et autres merveilles de Melquiot
Knock de Jules Romain
Six personnages en quête d’auteur de Pirandello
Le mariage de figaro de Beaumarchais
Paradoxe sur le comédien de Diderot

OBJET D ETUDE n 4 Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle

Groupement de textes Parcours associé : « Spectacle et comédie »


Titre de la séquence 8 : « Le comique , étant l’intuition de
l’absurde, me semble plus désespérant que le tragique »
(Ionesco)
Problématiques : Comment la scène d’exposition
d’une comédie moderne illustre t’elle la fragilité
des liens sociaux? Comment le langage montre
t’il la difficulté à les entretenir ?
Textes
Analyse linéaire n° 1 : scène d’exposition d’Art de
Reza
Lecture(s) cursive(s)
Alice et autres merveilles de Melquiot
Knock de Jules Romain
Six personnages en quête d’auteur de Pirandello
Le mariage de figaro de Beaumarchais
Paradoxe sur le comédien de Diderot

DEUXIÈME PARTIE : PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE CHOISIE PAR LE CANDIDAT ET ENTRETIEN


L’œuvre est choisie parmi celles proposées par l'enseignant au titre des lectures cursives obligatoires ( 4 données durant l’année) .
Les candidats pourront consulter et utiliser l’œuvre étudiée en lecture cursive, afin d’y circuler, de faire référence à un passage
précis, et ainsi démontrer sa maîtrise de l’œuvre lue.

LISTE DES ŒUVRES CHOISIES PAR LES ÉLÈVES

Nom de l’élève Prénom Titre de l’oeuvre Auteur


1

10

12

13

14

15

16

17

18

19

20

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23

24

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Descriptif arrêté à la date du : 01/06/2024


Nom et signature du professeur : CALOTTA Marie-Pierre

Le chef d’établissement :

TEXTES POUR L EXPLICATION LINEAIRE


Objet d’étude n 1 La littérature d’idées GROUPEMENT DE TEXTES

AL 1 « De l'horrible danger de la lecture » de Voltaire


1. Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu Mouphti du saint -Empire Ottoman,lumière des lumières,
élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront sottise (….) il a semblé bon à Mahomet et à
nous de condamner, proscrire, anathématiser la dite infernale invention de l'imprimerie, pour les causes ci-
dessous énoncées.
5. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l'ignorance, qui est la
gardienne et la sauvegarde des États bien policés.
2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d'Occident, il ne s'en trouve quelques-uns sur l'agriculture
et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu'à Dieu
ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur 10. industrie, augmenter
leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d'âme, quelque amour du bien public, sentiments
absolument opposés à la saine doctrine.
3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d'histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation
dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l'imprudence de rendre justice aux bonnes et aux
mauvaises actions, et de recommander l'équité et l'amour de la patrie, ce qui est
15. visiblement contraire aux droits de notre place.
4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte
spécieux, mais punissable, d'éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des
vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.
5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu'ils ont pour Dieu, et en imprimant
20. scandaleusement qu'il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au
grand détriment du salut des âmes.
6° Il arriverait sans doute qu'à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses,
et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait
un attentat énorme contre les ordres de la Providence.

25. A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons
de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur
prenne de s'instruire, nous défendons aux pères et aux mères d'enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour
prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les
mêmes peines ; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité
30. quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et
net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon
l'ancien usage de la Sublime-Porte.

Et pour empêcher qu'il n'entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons
spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l'Occident septentrional ; lequel
médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à
prévenir toute introduction de connaissances dans le pays ; lui donnons
35. pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes
de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu'il
nous plaira.

Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l'an 1143 de l'hégire.

Vocabulaire :
Religieux musulman qui traite aussi les affaires judiciaires et civiles
Anathématiser : mot d'origine religieuse signifiant condamner avec violence, maudire
Sublime porte : porte monumentale d’Istanbul permettant de pénétrer dans le palais du Grand
Vizir
Objet d’étude n 1 : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Parcours « Rire et Savoir »

GROUPEMENT DE TEXTES

Analyse linéaire n 2 Eric chevillard, Le Désordre Azerty, article Littérature.

1. LITTÉRATURE, ma belle, sais-tu que tu emmerdes tout le monde ?


Écrivant cela, un jour, je ne m’excluais pas du nombre. Car pour être la grande affaire de ma vie,
justement parce qu’elle donne à celle-ci sa forme et infléchit son cours, la littérature est aussi le nom
de la malédiction que je dois déjouer. Écrire ou mourir, on connaît ce trille de l’écrivain qui
5. permet de le distinguer du rossignol quand il se cache dans une haie. C’est du pipeau, en effet. Il
vivrait encore sans écrire ; ses organes ne sont pas si impressionnables et craignent plus que cette
menace ou ce péril la fumée d’une seule cigarette.
Or que fait l’écrivain sinon se retirer de la vie pour reformuler incessamment les termes de son
testament, exprimer ses dernières volontés toujours changeantes ? Il mène son existence à
10. contretemps puisque celle-ci ne s’actualisera que dans le futur : quand il sera lu, il aura vécu.
Heureusement qu’il maîtrise la concordance des temps, car n’importe qui d’autre à ce régime serait
dans de beaux draps et une boîte pas vilaine non plus. Écrire est une certaine façon de mourir. C’est
mourir en beauté. C’est prononcer chaque jour depuis le plus jeune âge les paroles solennelles de la
fin. L’écrivain a le scrupule du mot juste parce qu’il se peut – et d’ailleurs, ne l’espère-t-il pas
15. secrètement ? – que la mort le foudroie à chaque instant de sa phrase. Ses mots, il les choisit
donc comme s’il composait son épitaphe dans un dernier souffle.
Un peu schématiquement sans doute, mettons que c’est pour la clarté de ma démonstration, je
distinguerai une littérature qui développe ou qui délaye et une autre qui concentre, qui condense. On
associe volontiers la santé ou la vitalité à la première qui produit des œuvres longues, puissantes,
20. ambitieuses ; l’autre sera vite jugée décadente ou précieuse. Pour ma part, j’ai de la défiance
envers la quantité, l’épaisseur asphyxie. Cette générosité est trop souvent désinvolture,
complaisance et pagaille. Sous prétexte d’en rendre compte, sont introduits dans le livre des pans
entiers de réalité que le lecteur verrait aussi bien de sa fenêtre. Attention au bourgeonnement, dit
Michaux, écrire plutôt pour court-circuiter. La santé, le souffle, ce sont des qualités de sportif, de
25. bienheureux, de crétin radieux, tellement en forme qu’il ne sent rien quand il se brûle et que
tout brûle avec lui.
Aussi étonnant que cela paraisse, la fantaisie, la folie, une forme de baroque s’épanouissent mieux
dans les miniatures. La vie même n’est pas la somme de nos faits et gestes (ces os brandis), de nos
grands emportements spectaculaires, elle est d’abord constituée d’atomes, de cellules, de molécules.
30. Une phrase ramassée comme celle de Ramón Gómez de la Serna – par exemple La main est
une pieuvre qui cherche un trésor au fond des mers – se déploie dans les têtes pensives, invite au
songe mieux que les mille pages où tout est dit, confisqué, verrouillé comme le monde même, sans
issue.
Je voudrais aussi que l’on cesse de confondre le raffinement de la forme et le maniérisme qui, lui,
35. en effet, est toujours ridicule. Mais certains s’imaginent encore qu’un bloc de pages mal
dégrossi arraché au réel par une brute vaudra toujours mieux que la minutieuse intervention du
lettré, comme si ce dernier ne connaissait jamais du monde que les boiseries de son cabinet. Comme
s’il existait encore des cabinets en boiseries ! Comme si la subtilité était un vice de l’intelligence !
J’aime citer cette remarque de Gombrowicz qui à mon sens règle la question : Tout ce qui est pur en
40. fait de style est élaboré. Sachant que cette sophistication qui est un autre nom du style peut être
dans le tour d’esprit de l’écrivain et sa phrase, par conséquent, sortir toute faite de sa fabrique
prodigieuse, immédiatement juste.
Objet d’étude n 1 : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Parcours « Rire et Savoir »

OEUVRE INTEGRALE GARGANTUA DE RABELAIS

Séquence 2 Texte 1 en Analyse linéaire Prologue de l'auteur.

1. Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je
dédie mes écrits ; Alcibiade, dans un dialogue intitulé le Banquet, faisant l'éloge de son précepteur
Socrate, sans conteste le prince des philosophes, déclare entre autres choses qu'il est semblable
aux silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boites, comme celles que nous voyons à
5. présent dans les boutiques des apothicaires, sur lesquelles étaient peintes des figures drôles
et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes batées, boucs volants, cerfs
attelés, et autres figures contrefaites à plaisir pour inciter les gens à rire (comme le fut Silène,
maître du Bacchus). Mais à l'intérieur on conservait les drogues fines, comme le baume, l'ambre
gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix. Alcibiade disait que Socrate leur
10. était semblable, parce qu'à le voir du dehors et à l'évaluer par l'aspect extérieur, vous n'en
auriez pas donné une pelure d'oignon, tant il était laid de corps et d'un maintien ridicule, le nez
pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, le comportement simple, les vêtements d'un
paysan, de condition modeste, malheureux avec les femmes, inapte à toute fonction dans l'état ; et
toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais
15. en ouvrant cette boite, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une
intelligence plus qu'humaine, une force d'âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété
sans égale, une égalité d'âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à
l'égard de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.
A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples, et
20. quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de votre invention,
comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La dignité des braguettes, des pois au lard avec
commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu'on n'y traite que de moqueries, folâtreries et
joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure est sans chercher plus loin, habituellement reçue
comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des
25. hommes. Car vous-mêmes vous dites que l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'un froc
qui au-dedans n'est rien moins que moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui, dans son
courage, n'a rien à voir avec l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser
ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre
valeur que ne le promettait la boite : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre
30. que le titre le prétendait.
ANALYSE LINEAIRE 2 OEUVRE INTEGRALE GARGANTUA

CHAPITRE XV Comment Gargantua fut mis sous la tutelle d'autres


pédagogues.
1. Alors, son père put voir que, sans aucun doute, il étudiait très bien et y consacrait tout son temps;
malgré tout, il ne progressait en rien et, pire encore, il en devenait fou, niais, tout rêveur et radoteur.
Comme il s'en plaignait à Dom Philippe des Marais, vice-roi de Papeligosse, il comprit qu'il vaudrait
mieux qu'il n'apprît rien que d'apprendre de tels livres avec de tels précepteurs, car leur savoir n'était que
5. bêtise et leur sagesse billevesées, abâtardissant les nobles et bons esprits et flétrissant toute fleur de
jeunesse.
« Faites plutôt comme ceci, dit le vice-roi; prenez un de ces jeunes gens d'aujourd'hui, n'eût-il étudié que
pendant deux ans. Si par hasard il n'avait pas un meilleur jugement, un meilleur vocabulaire, un meilleur
style que votre fils, s'il n'avait pas une façon de se présenter meilleure et plus de tenue, je veux bien que
10. vous me considériez comme un trancheur de lard de la Brenne. » L'expérience agréa fort à
Grandgousier, qui commanda qu'ainsi fût fait.
Le soir, au souper, ledit Des Marais fit venir un de ses jeunes pages, originaire de Villegongis, nommé
Eudémon, si bien coiffé, tiré à quatre épingles, pomponné, si digne en son attitude, qu'il ressemblait bien
plus à un petit angelot qu'à un homme. Puis il dit à Grandgousier :
15. « Voyez-vous ce jeune enfant ? Il n'a pas encore douze ans. Voyons, si bon vous semble, la différence
qu'il y a entre la science de vos ahuris de néantologues du temps jadis et celle des jeunes gens
d'aujourd'hui. »
La proposition agréa à Grandgousier, qui demanda que le page fît son exposé. Alors, Eudémon,
demandant la permission du vice-roi son maître, se leva, le bonnet au poing, le visage ouvert, la bouche
20. vermeille, le regard ferme et les yeux posés sur Gargantua avec une modestie juvénile. Il commença
à le louer et à exalter en premier lieu sa vertu et ses bonnes moeurs, en second lieu son savoir, en
troisième lieu sa noblesse, en quatrième lieu sa beauté physique et en cinquième lieu il l'exhortait avec
douceur à vénérer, en lui obéissant en tout, son père, qui prenait un tel soin de lui faire donner une bonne
instruction. Il le priait enfin de vouloir bien le garder comme le dernier de ses serviteurs, car pour l'heure,
25. il ne demandait nul autre don des cieux que de recevoir la grâce de lui complaire par quelque service
qui lui fût agréable. Toute cette déclaration fut prononcée par lui avec des gestes si appropriés, une
élocution si distincte, une voix si pleine d'éloquence, un langage si fleuri, et en un si bon latin qu'il
ressemblait plus à un Gracchus, à un Cicéron ou à un Paul-Emile du temps passé qu'à un jeune homme de
ce siècle.
30. Tout autre fut la contenance de Gargantua, qui se mit à pleurer comme une vache et se cachait le
visage avec son bonnet, et il ne fut pas possible de tirer de lui une parole, pas plus qu'un pet d'un âne
mort.
Son père en fut si irrité qu'il voulut occire Maître Jobelin.
Analyse linéaire 3 OEUVRE INTEGRALE Gargantua

Extrait du chp 23I

1. Ensuite, il le soumit à un rythme de travail tel qu'il ne perdait pas une heure de la journée mais
consacrait au contraire tout son temps aux lettres et aux études libérales.Gargantua s'éveillait donc
vers quatre heures du matin. Pendant qu'on le frictionnait, on lui lisait quelque page des Saintes
Écritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise. Cet office était dévolu à un jeune page
5. natif de Basché, nommé Anagnostes(1). Suivant le thème et le sujet du passage, bien souvent il
s'appliquait à révérer, adorer, prier, et supplier le bon Dieu dont la majesté et les merveilleux
jugements apparaissaient à la lecture. Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions
naturelles. Là, son précepteur répétait ce qu'on avait lu et lui expliquait les passages les plus obscurs et
les plus difficiles.En revenant, ils considéraient l'état du ciel, regardant s'il était comme ils l'avaient
10. remarqué la veille au soir et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune, ce jour-là. Cela fait, il
était habillé, peigné, coiffé, apprêté et parfumé et, pendant ce temps, on lui répétait les leçons de la
veille. Lui-même les récitait par cœur et expliquait des exemples pratiques concernant la condition
humaine; ils poursuivaient quelquefois ce propos pendant deux ou trois heures,mais d'habitude ils
s’arrêtaient quand il était complètement habillé. Ensuite, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la
15. lecture. Cela fait, ils sortaient, toujours en discutant du sujet de la lecture, et allaient faire du sport
au Grand Braque (2)ou dans les prés; ils jouaient à la balle, à la paume, au ballon à trois, s’exerçant
élégamment les corps, comme ils s'étaient auparavant exercé les âmes. Tous leurs jeux n'étaient que
liberté, car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait et ils s'arrêtaient en général quand la sueur
leur coulait par le corps ou qu'ils ressentaient autrement la fatigue. Ils étaient alors très bien essuyés et
20. frottés, ils changeaient de chemise et allaient en attendant, ils récitaient à voix claire et en belle
élocution quelques formules retenues de la leçon. Cependant, Monsieur l'Appétit venait et c'était juste
au bon moment qu'ils s'asseyaient à table.Au début du repas, on lisait quelque plaisante histoire des
gestes anciennes, jusqu'à ce que qu'il eût pris son vin. Alors, si on le jugeait bon, on poursuivait la
lecture, ou ils commençaient à deviser ensemble, joyeusement, parlant pendant les premiers mois des
25. vertus et propriétés, de l'efficacité et de la nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du
vin, de l'eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et leur préparation.
Ce faisant, Gargantua apprit en peu de temps tous les passages relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée,
Dioscorides, Julius Polux, Galien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodores, Aristote, Elien et d'autres
(3). Sur de tels propos, ils faisait souvent, pour plus de sûreté, apporter à table les livres cités plus
30. haut. Gargantua retint si bien et si intégralement les propos tenus, qu'il n'y avait pas alors un seul
médecin qui sût la moitié de ce qu'il avait retenu. Après, ils parlaient des leçons lues dans la matinée
et, terminant le repas par quelque confiture de coings, il se curait les dents avec un brin de lentisque
(4), se lavait les mains et les yeux de belle eau fraîche, et tous rendaient grâce à Dieu par quelques
beaux cantiques à la louange de la munificence et de la bonté divines. Sur ce, on apportait des cartes,
35. non pas pour jouer, mais pour apprendre mille petits amusements et inventions nouvelles qui
relevaient tous de l'arithmétique.Par ce biais, il prit goût à cette science des nombres et, tous les jours,
après le dîner et le souper, il y passait son temps avec autant de plaisir qu'il pouvait en prendre aux dés
et aux cartes. Il en connut si bien la théorie et la pratique que Tunstal l'Anglais (5), qui avait écrit
d'abondance sur le sujet,confessa, que, comparé à Gargantua, il n'y comprenait que le haut-allemand.

1 Anagnostes : mot grec signifiant lecteur


2 Grand Braque : célèbre jeu de Paume parisien
3 Liste de noms d'auteurs anciens, grâce auxquels les humanistes réapprenaient l’histoire naturelle
4 Un brin de lentisque : un grain de girofle
5 Tunstal : évêque connu pour son traité en arithmétique, paru en 1532
OBJET D ETUDE N 2 Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
Parcours : « Personnages en marge et plaisirs du romanesque »

Séquence 3 Groupement de textes Analyse Linéaire n 1


L’action se passe le 6 janvier 1482, jour des Rois et de la fête des Fous ; le peuple de Paris va accorder le
titre de pape des fous à l’homme qui fera la plus belle grimace : les candidats, qui passent leur tête à travers
un cercle de pierre d’une petite chapelle, rivalisent de laideur. Quasimodo participe au concours ; il est un
orphelin difforme recueilli par Frollo ( archidiacre) et vit dans la cathédrale comme sonneur de cloches

1. Noël ! Noël ! Noël ! criait le peuple de toutes parts. C’était une merveilleuse grimace, en effet,
que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Après toutes les figures pentagones,
hexagones et hétéroclites qui s’étaient succédé à cette lucarne sans réaliser cet idéal du grotesque
qui s’était construit dans les imaginations exaltées par l’orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever
5. les suffrages, que la grimace sublime qui venait d’éblouir l’assemblée. Maître Coppenole lui-
même applaudit ; et Coplin Trouillefou, qui avait concouru, et Dieu sait quelle intensité de laideur
son visage pouvait atteindre, s’avoua vaincu. Nous ferons de même. Nous n’essaierons pas de
donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil
gauche obstrué d’un sourcil roux en broussailles tandis que l’œil droit disparaissait entièrement sous
10. une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d’une
forteresse, de cette lèvre calleuse sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d’un
éléphant, de ce menton fourchu, et surtout de la physionomie répandue sur tout cela, de ce mélange
de malice, d’étonnement et de tristesse. Qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble. L’acclamation fut
unanime. On se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous.
15. Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble. La grimace était son visage.
Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux ; entre les
deux épaules une bosse énorme dont le contre-coup se faisait sentir par-devant ; un système de
cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu’elles ne pouvaient se toucher que par les genoux,
et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée ; de
20. larges pieds, des mains monstrueuses ; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure
redoutable de vigueur, d’agilité et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la
force, comme la beauté, résulte de l’harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner.
On eût dit un géant brisé et mal ressoudé. Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la
chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carré par la base, comme dit un grand
25. homme, à son surtout mi-parti rouge et violet, semé de campanilles d’argent, et surtout à la
perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et s’écria d’une voix : - C’est
Quasimodo, le sonneur de cloches ! C’est Quasimodo, le bossu de NotreDame ! Quasimodo le
borgne ! Quasimodo le bancal ! Noël ! Noël !
Victor Hugo, Notre –Dame de Paris, livre I, chapitre 5, 1831
OBJET D ETUDE N 2 Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle

Parcours : « Personnages en marge et plaisirs du romanesque »

Groupement de textes Analyse Linéaire n 2

1. La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c'était moi.
A présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c'est moi. Et tant de hideur a quelque
chose de drôle. Mon surnom arriva très vite. Je devais avoir six ans quand un gosse me cria, dans la
cour : « Quasimodo ! » Fous de joie, les enfants reprirent en chœur : « Quasimodo ! Quasimodo ! »
5. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait jamais entendu parler de Victor Hugo. Mais le nom de
Quasimodo était si bien trouvé qu'il suffisait de l'entendre pour comprendre. On ne m'appela plus
autrement. Personne ne devrait être autorisé à parler de la beauté, à l'exception des horreurs. Je suis
l'être le plus laid que j'aie rencontré : je considère donc que j'ai ce droit. C'est un tel privilège que je
ne regrette pas mon sort. Et puis, il y a une volupté à être hideux. Par exemple, nul n'a autant de
10. plaisir que moi à se balader dans la rue : je scrute les visages des passants, à la recherche de cet
instant sacré où j'entrerai dans leur champ de vision — j'adore leurs réactions, j'adore la terreur de
l'un, la moue révulsée de l'autre, j'adore celui qui détourne le regard tant il est gêné, j'adore la
fascination enfantine de ceux qui ne peuvent me lâcher des yeux. Je voudrais leur crier : « Et
encore, vous ne voyez que ma figure ! Si vous pouviez contempler mon corps, c'est alors que je
15. vous ferais de l'effet. » Il y a quelque chose de mal digéré au sujet de la beauté : tout le monde
est d'accord pour dire que l'aspect extérieur a peu d'importance, que c'est l'âme qui compte, etc. Or,
on continue à porter au pinacle les stars de l'apparence et à renvoyer aux oubliettes les tronches de
mon espèce. Comme quoi les gens mentent. Je me demande s'ils en sont conscients. C'est cela qui
m'énerve : l'idée qu'ils mentent sans le savoir. J'ai envie de leur lancer en pleine figure : « Jouez aux
20. purs esprits si cela vous chante. Affirmez encore que vous ne jugez pas les gens sur leur mine,
si cela vous amuse. Mais ne soyez pas dupes ! » Mon visage ressemble à une oreille. Il est concave
avec d'absurdes boursouflures de cartilages qui, dans les meilleurs des cas, correspondent à des
zones où l'on attend un nez ou une arcade sourcilière, mais qui, le plus souvent, ne correspondent à
aucun relief facial connu. A la place des yeux, je dispose de deux boutonnières flasques qui sont
25. toujours en train de suppurer. Le blanc de mes globes oculaires est injecté de sang, comme
ceux des méchants dans les littératures maoïstes. Des pupilles grisâtres y flottent, tels des poissons
morts. Ma tignasse évoque ces carpettes en acrylique qui ont l'air sales même quand on vient de les
laver. Je me raserais certainement le crâne s'il n'était recouvert d'eczéma. Par un reste de pitié pour
mon entourage, j'ai songé à porter la barbe et la moustache. J'y ai renoncé, car cela ne m'eût pas
30 . dissimulé assez : en vérité, pour être présentable, il eût fallu que la barbe me pousse aussi sur le
front et le nez. Quant à mon expression, si c'en est une, je renvoie à Hugo parlant du bossu de
NotreDame : « La grimace était son visage. »
Objet d’étude n 2 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIeme sc
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Oeuvre Intégrale Manon Lescaut de l’Abbé Prévost

ANALYSE LINEAIRE N 1

1. Enfin, n'étant plus le maître de mon inquiétude, je me promenai à grands pas dans nos
appartements. J'aperçus, dans celui de Manon, une lettre cachetée qui était sur sa table. L'adresse
était à moi, et l'écriture de sa main. Je l'ouvris avec un frisson mortel ; elle était dans ces termes :

Je te jure, mon cher Chevalier, que tu es l'idole de mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que
5. je puisse aimer de la façon dont je t'aime ; mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans
l'état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité ? Crois-tu qu'on puisse être bien
tendre lorsqu'on manque de pain ? La faim me causerait quelque méprise fatale ; je rendrais quelque
jour le dernier soupir, en croyant en pousser un d'amour. Je t'adore, compte là-dessus ; mais laisse-
moi, pour quelque temps, le ménagement de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes
10. filets ! Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra des
nouvelles de ta Manon, et qu'elle a pleuré de la nécessité de te quitter.

Je demeurai, après cette lecture, dans un état qui me serait difficile à décrire car j'ignore encore
aujourd'hui par quelle espèce de sentiments je fus alors agité. Ce fut une de ces situations uniques
auxquelles on n'a rien éprouvé qui soit semblable. On ne saurait les expliquer aux autres, parce
15. qu'ils n'en ont pas l'idée ; et l'on a peine à se les bien démêler à soi-même, parce qu'étant seules
de leur espèce, cela ne se lie à rien dans la mémoire, et ne peut même être rapproché d'aucun
sentiment connu. Cependant, de quelque nature que fussent les miens, il est certain qu'il devait y
entrer de la douleur, du dépit, de la jalousie et de la honte. Heureux s'il n'y fût pas entré encore plus
d'amour ! Elle m'aime, je le veux croire ; mais ne faudrait-il pas, m'écriai-je, qu'elle fût un monstre
20. pour me haïr ? Quels droits eut-on jamais sur un cœur que je n'aie pas sur le sien ? Que me
reste-t-il à faire pour elle, après tout ce que je lui ai sacrifié ? Cependant elle m'abandonne ! et
l'ingrate se croit à couvert de mes reproches en me disant qu'elle ne cesse pas de m'aimer ! Elle
appréhende la faim. Dieu d'amour ! quelle grossièreté de sentiments ! et que c'est répondre mal à ma
délicatesse ! Je ne l'ai pas appréhendée, moi qui m'y expose si volontiers pour elle en renonçant à
25. ma fortune et aux douceurs de la maison de mon père ; moi qui me suis retranché jusqu'au
nécessaire pour satisfaire ses petites humeurs et ses caprices. Elle m'adore, dit-elle. Si tu m'adorais,
ingrate, je sais bien de qui tu aurais pris des conseils ; tu ne m'aurais pas quitté, du moins, sans me
dire adieu. C'est à moi qu'il faut demander quelles peines cruelles on sent à se séparer de ce qu'on
adore. Il faudrait avoir perdu l'esprit pour s'y exposer volontairement.

Extrait de la première partie de Manon Lescaut - L'abbé Prévost


Objet d’étude n 2 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIeme sc
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Oeuvre Intégrale Manon Lescaut de l’Abbé Prévost

ANALYSE LINEAIRE N 2

1. Tiberge, repris-je, qu'il vous est aisé de vaincre, lorsqu'on n'oppose rien à vos armes ! Laissez-
moi raisonner à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu
soit exempt de peines, de traverses et d'inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux
croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ? Direz-vous, comme font les
5. mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l'âme ? Vous n'oseriez le dire ;
c'est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur, que vous relevez tant, est donc mêlé de mille peines, ou
pour parler plus juste, ce n'est qu'un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or si
la force de l'imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu'ils peuvent conduire
à un terme heureux qu'on espère, pourquoi traitez-vous de
10. contradictoire et d'insensée, dans ma conduite, une disposition toute semblable ? J'aime
Manon ; je tends au travers de mille douleurs à vivre heureux et tranquille auprès d'elle. La voie par
où je marche est malheureuse ; mais l'espérance d'arriver à mon terme y répand toujours de la
douceur, et je me croirai trop bien payé, par un moment passé avec elle, de tous les chagrins que
j'essuie pour l'obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté 15. et du mien ; ou s'il
y a quelque différence, elle est encore à mon avantage, car le bonheur que j'espère est proche, et
l'autre est éloigné ; le mien est de la nature des peines, c'est-à-dire sensible au corps, et l'autre est
d'une nature inconnue, qui n'est certaine que par la foi.
Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de deux pas, en me disant, de l'air le plus
sérieux, que, non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c'était 20. un
malheureux sophisme d'impiété et d'irréligion : car cette comparaison, ajouta-t-il, du terme de vos
peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus
monstrueuses. […]
Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant son zèle prêt à se chagriner. L'unique chose que je veux
conclure ici, c'est qu'il n'y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de 25. l'amour,
que de lui en décrier les douceurs et de lui promettre plus de bonheur dans l'exercice de la vertu. De
la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir ; je défie
qu'on s'en forme une autre idée ; or le cœur n'a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que,
de tous les plaisirs, les plus doux sont ceux de l'amour.
Objet d’étude n 3 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIeme sc
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »

Oeuvre Intégrale Manon Lescaut de l’Abbé Prévost

ANALYSE LINEAIRE N 3

1. « Monsieur, lui dis-je en tremblant, vous êtes un bon père. Vous m’avez comblé de grâces, et
vous m’avez pardonné un nombre infini de fautes ; aussi le ciel m’est-il témoin que j’ai pour vous
tous les sentiments du fils le plus tendre et le plus respectueux. Mais il me semble… que votre
rigueur… — Eh bien ! ma rigueur ? interrompit mon père, qui trouvait sans doute que je parlais
5. lentement pour son impatience. — Ah ! monsieur, repris-je, il me semble que votre rigueur est
extrême dans le traitement que vous avez fait à la malheureuse Manon. Vous vous en êtes rapporté à
M. G*** M***. Sa haine vous l’a représentée sous les plus noires couleurs. Vous vous êtes formé
d’elle une affreuse idée. Cependant c’est la plus douce et la plus aimable créature qui fût jamais.
Que n’a-t-il plu au ciel de vous inspirer l’idée de la voir un moment ! Je ne suis pas plus sûr qu’elle
10 . est charmante que je le suis qu’elle vous l’aurait paru. Vous auriez pris parti pour elle ; vous
auriez détesté les noirs artifices de G*** M*** ; vous auriez eu compassion d’elle et de moi.
Hélas ! j’en suis sûr. Votre cœur n’est pas insensible ; vous vous seriez laissé attendrir. »
Il m’interrompit encore, voyant que je parlais avec une ardeur qui ne m’aurait pas permis de finir
sitôt. Il voulut savoir à quoi j’avais dessein d’en venir par un discours si passionné.
15. « À vous demander la vie, répondis-je, que je ne puis conserver un moment si Manon part une
fois pour l’Amérique.
— Non, non, me dit-il d’un ton sévère ; j’aime mieux te voir sans vie que sans sagesse et sans
honneur. — N’allons donc pas plus loin, m’écriai-je en l’arrêtant par le bras ; ôtez-la-moi, cette vie
odieuse et insupportable ; car, dans le désespoir où vous me jetez, la mort sera une faveur pour moi.
20. C’est un présent digne de la main d’un père. » — Je ne te donnerais que ce que tu mérites,
répliqua-t-il. Je connais bien des pères qui n’auraient pas attendu si longtemps pour être eux-mêmes
tes bourreaux ; mais c’est ma bonté excessive qui t’a perdu. »
Je me jetai à ses genoux : « Ah ! s’il vous en reste encore, lui dis-je en les embrassant, ne vous
endurcissez donc pas contre mes pleurs. Songez que je suis votre fils… Hélas ! souvenez-vous de
25 . ma mère. Vous l’aimiez si tendrement ! Auriez-vous souffert qu’on l’eût arrachée de vos bras ?
vous l’auriez défendue jusqu’à la mort. Les autres n’ont-ils pas un cœur comme vous ? Peut-on être
barbare après avoir une fois éprouvé ce que c’est que la tendresse et la douleur ? »
— Ne me parle pas davantage de ta mère, reprit-il d’une voix irritée ; ce souvenir échauffe mon
indignation. Tes désordres la feraient mourir de douleur, si elle eût assez vécu pour les voir.
30 . Finissons cet entretien, ajouta-t-il ; il m’importune et ne me fera point changer de résolution. Je
retourne au logis, je t’ordonne de me suivre. »
Le ton dur et sec avec lequel il m’intima cet ordre me fit trop comprendre que son cœur était
inflexible. Je m’éloignai de quelques pas, dans la crainte qu’il ne lui prît envie de m’arrêter de ses
propres mains. « N’augmentez pas mon désespoir, lui dis-je, en me forçant de vous désobéir. Il est
35. impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive, après la dureté avec laquelle
vous me traitez : ainsi je vous dis un éternel adieu. Ma mort, que vous apprendrez bientôt, ajoutai-je
tristement, vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père. » Comme je me tournais
pour le quitter : « Tu refuses donc de me suivre ? s’écria-t-il avec une vive colère : va, cours à ta
perte. Adieu, fils ingrat et rebelle !
40. — Adieu, lui dis-je dans mon transport ; adieu, père barbare et dénaturé ! »
Objet d'étude 3 : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Parcours : « Emancipations créatrices »

Séquence 5 TEXTE 1

Vénus Anadyomène

Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête


De femme à cheveux bruns fortement pommadés
D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,
Avec des déficits assez mal ravaudés ;
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;
La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;
L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût
Horrible étrangement ; on remarque surtout
Des singularités qu’il faut voir à la loupe…
Les reins portent deux mots gravés: Clara Venus;
– Et tout ce corps remue et tend sa larg e croupe
Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.
Les cahiers de Douai de Rimbaud
Objet d'étude N 3 : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Parcours «Emancipations créatrices »

Oeuvre Intégrale : Cahiers de Douai de Rimbaud

SEQUENCE 5 TEXTE 2 en Analyse Linéaire

I On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.


- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !


L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon


D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.


La sève est du champagne et vous monte à la tête...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête...

III

Le coeur fou robinsonne à travers les romans,


- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,


Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...
IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.


Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire !...

- Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,


Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Parcours « Emancipations créatrices »

GROUPEMENT DE TEXTES

Séquence 6 TEXTE 1 en analyse linéaire « La limace » de Queneau

LA LIMACE
1. Limace pure et sans tache
dont la bave trace dans le dédale des bourraches
son espace tout en surface
limace vorace dont la fringale
5. ravage la salade automnale
limace âme sagace
semblable aux sargasses humaines
limace brave qui perpétue ta race
vivace malgré la haine du campagnard
10. limace trisyllabe limace méconnue
il faut te donner un peu d’affection
pour que tu continues paisiblement ton chemin
et que sur ta face s’efface la trace de ton angoisse
et celle de ta bave aussi
15. sur les soucis
Raymond Queneau
Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
Parcours « Spectacle et comédie»
Oeuvre Intégrale : Le malade imaginaire de Molière

Analyse linéaire n 1

Un extrait de I,5

1. ARGAN. - On dira ce qu'on voudra ; mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que
j'ai donnée.
TOINETTE - Non : je suis sûre qu'elle ne le fera pas.
ARGAN. - Je l'y forcerai bien.
5. TOINETTE. - Elle ne le fera pas , vous dis-je.
ARGAN. - Elle le fera ou je la mettrai dans un couvent.
TOINETTE – Vous ?
ARGAN. - Moi.
TOINETTE. - Bon.
10. ARGAN. - Comment, «bon » ?
TOINETTE. - Vous ne la mettrez point dans un couvent.
ARGAN. - Je ne la mettrai point dans un couvent ?
TOINETTE. - Non.
ARGAN. - Non ?
15. TOINETTE. - Non.
ARGAN. - Ouais! Voici qui est plaisant : je ne mettrai point ma fille dans un couvent, Si je
veux ?
TOINETTE. - Non, vous dis-je.
ARGAN. - Qui m'en empêchera ?
TOINETTE. - Vous-même.
20. ARGAN. - Moi ?
TOINETTE. - Oui, vous n'aurez pas ce cœur-là.
ARGAN. – Je l’aurai.
TOINETTE. - Vous vous moquez.
ARGAN. - Je ne me moque point.
25. TOINETTE - La tendresse paternelle vous prendra.
ARGAN. - Elle ne me prendra point.
TOINETTE - Une petite larme ou deux, des bras jetés tendrement au cou, un «mon petit papa
mignon », prononcé tendrement sera assez pour vous toucher.
ARGAN. - Tout cela ne fera rien.
30. TOINETTE. - Oui, oui.
ARGAN. - Je vous dis que je n'en démordrai point.
TOINETTE. - Bagatelles.
ARGAN. - Il ne faut point dire «bagatelles».
TOINETTE. - Mon Dieu ! Je vous connais, vous êtes bon naturellement.
35. ARGAN, avec emportement - Je ne suis point bon et je suis méchant quand je veux.
TOINETTE. - Doucement, Monsieur vous ne songez pas que vous êtes malade.
ARGAN. - Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.
TOINETTE - Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien.
ARGAN. - Où est-ce donc que nous sommes ? Et quelle audace est-ce là à une coquine de servante
40. de parler de la sorte devant son maître ?
TOINETTE. - Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de
le redresser.
ARGAN court après Toinette.
- Ah! Insolente, il faut que je t'assomme.
45. TOINETTE se sauve de lui
- il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.
-Viens, viens, que je t'apprenne à parler.
TOINETTE, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan.
50 - Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
ARGAN. - Chienne!
TOINETTE. - Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
ARGAN. - Pendarde!
TOINETTE - Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.
55. ARGAN. - Carogne!
TOINETTE. - Et elle m'obéira plutôt qu'à vous.
Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
Parcours « Spectacle et comédie»
Oeuvre Intégrale : Le malade imaginaire de Molière

Analyse linéaire n 2
Un extrait de II,2
ARGAN, TOINETTE, CLÉANTE.

1. ARGAN.- Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma chambre, douze allées, et
douze venues ; mais j’ai oublié à lui demander, si c’est en long, ou en large.
TOINETTE.- Monsieur, voilà un...
ARGAN.- Parle bas, pendarde, tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut
5. point parler si haut à des malades.
TOINETTE.- Je voulais vous dire, Monsieur...
ARGAN.- Parle bas, te dis-je.
TOINETTE.- Monsieur...
Elle fait semblant de parler.
10. ARGAN.- Eh ?
TOINETTE.- Je vous dis que...
Elle fait semblant de parler.
ARGAN.- Qu’est-ce que tu dis ?
TOINETTE, haut.- Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.
15. ARGAN.- Qu’il vienne.
Toinette fait signe à Cléante d’avancer.
CLÉANTE.- Monsieur...
TOINETTE, raillant.- Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur.
CLÉANTE.- Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout et de voir que vous vous portez mieux.
20. TOINETTE, feignant d’être en colère.
- Comment "qu’il se porte mieux" ? Cela est faux, Monsieur se porte toujours mal.
CLÉANTE.- J’ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage.
TOINETTE.- Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont
des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.
25. ARGAN.- Elle a raison.
TOINETTE.- Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres ; mais cela n’empêche pas qu’il
ne soit fort malade.
ARGAN.- Cela est vrai.

Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »


Parcours « Spectacle et comédie»
Oeuvre Intégrale : Le malade imaginaire de Molière

TEXTE 3 AL Un extrait III,10


TOINETTE
1. Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en province, de royaume en royaume,
pour chercher d'illustres matières à ma capacité, pour trouver des malades dignes de m'occuper, capables
d'exercer les grands et beaux secrets que j'ai trouvés dans la médecine. Je dédaigne de m'amuser à ce menus
fatras de maladies ordinaires, à ces bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fièvrotes, à ces vapeurs et
5. à ces migraines. Je veux des maladies d'importance, de bonnes fièvres continues, avec des transports au
cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies
avec des inflammations de poitrine: c'est là que je me plais, c'est là que je triomphe; et je voudrais, monsieur,
que vous eussiez toutes les maladies que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins,
désespéré, à l'agonie, pour vous montrer l'excellence de mes remèdes et l'envie que j'aurais de vous rendre
10. service.
ARGAN
Je vous suis obligé, monsieur, des bontés que vous avez pour moi.
TOINETTE
Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l'on batte comme il faut. Ah! je vous ferai bien aller comme vous
15. devez. Ouais! ce pouls-là fait l'impertinent; je vois bien que vous ne me connaissez pas encore. Qui est
votre médecin?
ARGAN
Monsieur Purgon.
TOINETTE
20. Cet homme-là n'est point écrit sur mes tablettes entre les grands médecins. De quoi dit-il que vous êtes
malade?
ARGAN
Il dit que c'est du foie, et d'autres disent que c'est de la rate.
TOINETTE
25. Ce sont tous des ignorants. C'est du poumon que vous êtes malade.
ARGAN
Du poumon?
TOINETTE
Oui. Que sentez-vous?
30. ARGAN
Je sens de temps en temps des douleurs de tête.
TOINETTE
Justement, le poumon.
ARGAN
35. Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux.
TOINETTE
Le poumon.
ARGAN
J'ai quelquefois des maux de coeur.
40. TOINETTE
Le poumon.
ARGAN
Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.
TOINETTE
45. Le poumon.
ARGAN
Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'étaient des coliques.
TOINETTE
Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez?
50. ARGAN
Oui, monsieur.
TOINETTE
Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin.
ARGAN
55. Oui, monsieur.
TOINETTE
Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous êtes bien aise de dormir?
ARGAN
Oui, monsieur.
60. TOINETTE
Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture?
ARGAN
Il m'ordonne du potage.
TOINETTE
65. Ignorant!
ARGAN
De la volaille.
TOINETTE
Ignorant! (…)
70. ARGAN
Et surtout de boire mon vin fort trempé.
TOINETTE
Ignorantus, ignoranta, Ignorantum. Il faut boire votre vin pur, et, pour épaissir votre sang, qui est trop subtil,
il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande; du gruau et du riz, et des
75. marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer
un de ma main; et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.
ARGAN
Vous m'obligerez beaucoup.
Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
PARCOURS « SPECTACLE ET COMEDIE »
Groupement de Textes

TEXTE 1 AL Scène d’exposition d’Art ( 1994) de Reza


La pièce Art est l'histoire de trois amis de longue date, Serge, Marc et Yvan. Ils
se retrouvent autour de l'achat d'un tableau contemporain, un tableau blanc.

1. Marc, seul.
Marc : Mon ami Serge a acheté un tableau.
C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et
si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.
5. Mon ami Serge est un ami depuis longtemps. C'est un garçon qui a bien réussi, il est médecin
dermatologue et il aime l'art.
Lundi, je suis allé voir le tableau que serge avait acquis samedi mais qu'il convoitait depuis
plusieurs mois.
Un tableau blanc, avec des liserés blancs.

10. Chez serge.


Posée à même le sol, une toile blanche, avec de fins liserés blancs transversaux.
Serge regarde, réjoui, son tableau.
Marc regarde le tableau.
Serge regarde Marc qui regarde le tableau.
15. Un long temps où tous les sentiments se traduisent sans mot.

Marc : Cher ?
Serge : Deux cent mille.
Marc : Deux cent mille ?....
Serge : Handtington me le reprend à vingt-deux.
20. Marc : qui est-ce ?
Serge : Handtington ?!
Marc : Connais pas.
Serge : Handtington ! La galerie Handtington !
Marc : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?....
25. Serge : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui.
Marc : Et pourquoi ce n'est pas Handtington qui l'a acheté ?
Serge : Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. Il faut que le marché
circule.
Marc : Ouais…
30. Serge : Alors ?
Marc : …
Serge : Tu n'es pas bien là. Regarde-le d'ici. Tu aperçois les lignes ?
Marc : Comment s'appelle le…
Serge : Peintre. Antrios.
35. Marc : Connu ?
Serge : Très. Très !
Un temps.
Marc : Serge, tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
Serge : Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
40. Marc : Tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
Serge : J'étais sûr que tu passerais à côté.
Marc : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!

Serge, Comme seul.


Serge : Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j'estime depuis longtemps, belle
45. situation, ingénieur dans l'aéronautique, fait partie de ces intellectuels, nouveaux, qui, non
content d'être ennemis de la modernité, en tirent une vanité incompréhensible.
Il y a depuis peu, chez l'adepte du bon vieux temps, une arrogance vraiment stupéfiante.
Objet d’étude N°4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
PARCOURS « SPECTACLE ET COMEDIE »
Groupement de Textes

TEXTE 2 Analyse Linéaire


Scène d’exposition de Fin de partie (1957) de Beckett

Cette pièce met en scène quatre personnages handicapés physiquement dont les deux
principaux sont Clov, et Hamm, son maître

1. CLOV (regard fixe, voix blanche). — Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps. ) Les grains
s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas.
(Un temps.) On ne peut plus me punir. (Un temps.) Je m'en vais dans ma cuisine, trois mètres sur trois
mètres sur trois mètres, attendre qu'il me siffle. (Un temps.) Ce sont de jolies dimensions, je m'appuierai à
5. la table, je regarderai le mur, en attendant qu'il me siffle.

Il reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient aussitôt, va prendre l'escabeau, sort en emportant
l'escabeau. Un temps. Hamm bouge. Il bâille sous le mouchoir. Il ôte le mouchoir de son visage. Teint très
rouge. Lunettes noires.

HAMM. — À — (bâillements) — à moi. (Un temps.) De jouer. (Il tient à bout de bras le mouchoir
10. ouvert devant lui.) Vieux linge ! (Il ôte ses lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les
remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche du haut de sa robe de
chambre. Il s'éclaircit la gorge, joint les bouts des doigts.) Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus...
plus haute que la mienne ? Sans doute. Autrefois. Mais aujourd'hui ? (Un temps.) Mon père ? (Un temps.)
Ma mère ? (Un temps.) Mon... chien ? (Un temps.) Oh je veux bien qu'ils souffrent autant que de 15. tels
êtres peuvent souffrir. Mais est-ce dire que nos souffrances se valent ? Sans doute. (Un temps.) Non, tout
est a — (bâillements) — bsolu, (fier) plus on est grand et plus on est plein. (Un temps. Morne.) Et plus on est
vide. (Il renifle.) Clov ! (Un temps.) Non, je suis seul. (Un temps.)
Quels rêves — avec un s ! Ces forêts ! (Un temps.) Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi.
(Un temps.) Et cependant j'hésite, j'hésite à... à finir. Oui, c'est bien ça, il est temps que cela finisse 20. et
cependant j'hésite encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.) Oh là là, qu'est-ce que je tiens, je ferais
mieux d'aller me coucher. (Il donne un coup de sifflet. Entre Clov aussitôt. Il s'arrête à côté du fauteuil.) Tu
empestes l'air ! (Un temps.) Prépare-moi, je vais me coucher.

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