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1
- Comme un roman de Pennac
- Jacques le fataliste de Diderot
-Le blanc et le noir de Voltaire
- Le solitaire de Ionesco
- Le vaillant petit tailleur de Chevillard
--Dictionnaire des idées recues de Flaubert
Textes
Analyse linéaire n°1 : « Enfin n’étant plus le maître (...)s'y exposer
volontairement. »
Analyse linéaire n° 2 : « Tiberge repris-je (...)sont ceux de l’amour »
Analyse linéaire n°3 : « Monsieur, lui dis-je en tremblant(...) Adieu père
barbare et dénaturé ! »
Lecture(s) cursive(s)
- Attentat de Nothomb
- A rebours de Huysmans
- Le parfum de Süskind
- L’homme qui rit de Hugo
- Frankenstein de Mary Shelley
- Si par une nuit d’hiver un voyageur de Calvino
Problématiques: Dans quelle mesure les poètes peuvent ils s’émanciper des
sujets traditionnels ?Quelle relation peuvent ils établir entre la laideur et la
création?
Textes étudiés
Lecture(s) cursive(s)
- Amours jaunes de Corbière
- Exercices de style de Queneau
-La fabrique du pré de Ponge
- Poteaux d’angle de Michaux
Textes
Analyse linéaire n° 1 :Un extrait de I,5
Analyse linéaire n2 : Un extrait de II,2
Lecture(s) cursive(s)
Alice et autres merveilles de Melquiot
Knock de Jules Romain
Six personnages en quête d’auteur de Pirandello
Le mariage de figaro de Beaumarchais
Paradoxe sur le comédien de Diderot
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Le chef d’établissement :
25. A ces causes et autres, pour l'édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons
de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur
prenne de s'instruire, nous défendons aux pères et aux mères d'enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour
prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les
mêmes peines ; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité
30. quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et
net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon
l'ancien usage de la Sublime-Porte.
Et pour empêcher qu'il n'entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons
spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l'Occident septentrional ; lequel
médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à
prévenir toute introduction de connaissances dans le pays ; lui donnons
35. pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes
de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu'il
nous plaira.
Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l'an 1143 de l'hégire.
Vocabulaire :
Religieux musulman qui traite aussi les affaires judiciaires et civiles
Anathématiser : mot d'origine religieuse signifiant condamner avec violence, maudire
Sublime porte : porte monumentale d’Istanbul permettant de pénétrer dans le palais du Grand
Vizir
Objet d’étude n 1 : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Parcours « Rire et Savoir »
GROUPEMENT DE TEXTES
1. Buveurs très illustres, et vous vérolés très précieux, car c'est à vous, non aux autres, que je
dédie mes écrits ; Alcibiade, dans un dialogue intitulé le Banquet, faisant l'éloge de son précepteur
Socrate, sans conteste le prince des philosophes, déclare entre autres choses qu'il est semblable
aux silènes. Les Silènes étaient jadis de petites boites, comme celles que nous voyons à
5. présent dans les boutiques des apothicaires, sur lesquelles étaient peintes des figures drôles
et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes batées, boucs volants, cerfs
attelés, et autres figures contrefaites à plaisir pour inciter les gens à rire (comme le fut Silène,
maître du Bacchus). Mais à l'intérieur on conservait les drogues fines, comme le baume, l'ambre
gris, l'amome, la civette, les pierreries et autres choses de prix. Alcibiade disait que Socrate leur
10. était semblable, parce qu'à le voir du dehors et à l'évaluer par l'aspect extérieur, vous n'en
auriez pas donné une pelure d'oignon, tant il était laid de corps et d'un maintien ridicule, le nez
pointu, le regard d'un taureau, le visage d'un fou, le comportement simple, les vêtements d'un
paysan, de condition modeste, malheureux avec les femmes, inapte à toute fonction dans l'état ; et
toujours riant, trinquant avec chacun, toujours se moquant, toujours cachant son divin savoir. Mais
15. en ouvrant cette boite, vous y auriez trouvé une céleste et inappréciable drogue : une
intelligence plus qu'humaine, une force d'âme merveilleuse, un courage invincible, une sobriété
sans égale, une égalité d'âme sans faille, une assurance parfaite, un détachement incroyable à
l'égard de tout ce pour quoi les humains veillent, courent, travaillent, naviguent et bataillent.
A quoi tend, à votre avis, ce prélude et coup d'essai ? C'est que vous, mes bons disciples, et
20. quelques autres fous oisifs, en lisant les joyeux titres de quelques livres de votre invention,
comme Gargantua, Pantagruel, Fesse pinte, La dignité des braguettes, des pois au lard avec
commentaire, etc., vous pensez trop facilement qu'on n'y traite que de moqueries, folâtreries et
joyeux mensonges, puisque l'enseigne extérieure est sans chercher plus loin, habituellement reçue
comme moquerie et plaisanterie. Mais il ne faut pas considérer si légèrement les œuvres des
25. hommes. Car vous-mêmes vous dites que l'habit ne fait pas le moine, et tel est vêtu d'un froc
qui au-dedans n'est rien moins que moine, et tel est vêtu d'une cape espagnole qui, dans son
courage, n'a rien à voir avec l'Espagne. C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser
ce qui y est traité. Alors vous reconnaîtrez que la drogue qui y est contenue est d'une tout autre
valeur que ne le promettait la boite : c'est-à-dire que les matières ici traitées ne sont pas si folâtre
30. que le titre le prétendait.
ANALYSE LINEAIRE 2 OEUVRE INTEGRALE GARGANTUA
1. Ensuite, il le soumit à un rythme de travail tel qu'il ne perdait pas une heure de la journée mais
consacrait au contraire tout son temps aux lettres et aux études libérales.Gargantua s'éveillait donc
vers quatre heures du matin. Pendant qu'on le frictionnait, on lui lisait quelque page des Saintes
Écritures, à voix haute et claire, avec la prononciation requise. Cet office était dévolu à un jeune page
5. natif de Basché, nommé Anagnostes(1). Suivant le thème et le sujet du passage, bien souvent il
s'appliquait à révérer, adorer, prier, et supplier le bon Dieu dont la majesté et les merveilleux
jugements apparaissaient à la lecture. Puis il allait aux lieux secrets excréter le produit des digestions
naturelles. Là, son précepteur répétait ce qu'on avait lu et lui expliquait les passages les plus obscurs et
les plus difficiles.En revenant, ils considéraient l'état du ciel, regardant s'il était comme ils l'avaient
10. remarqué la veille au soir et en quels signes entrait le soleil, et aussi la lune, ce jour-là. Cela fait, il
était habillé, peigné, coiffé, apprêté et parfumé et, pendant ce temps, on lui répétait les leçons de la
veille. Lui-même les récitait par cœur et expliquait des exemples pratiques concernant la condition
humaine; ils poursuivaient quelquefois ce propos pendant deux ou trois heures,mais d'habitude ils
s’arrêtaient quand il était complètement habillé. Ensuite, pendant trois bonnes heures, on lui faisait la
15. lecture. Cela fait, ils sortaient, toujours en discutant du sujet de la lecture, et allaient faire du sport
au Grand Braque (2)ou dans les prés; ils jouaient à la balle, à la paume, au ballon à trois, s’exerçant
élégamment les corps, comme ils s'étaient auparavant exercé les âmes. Tous leurs jeux n'étaient que
liberté, car ils abandonnaient la partie quand il leur plaisait et ils s'arrêtaient en général quand la sueur
leur coulait par le corps ou qu'ils ressentaient autrement la fatigue. Ils étaient alors très bien essuyés et
20. frottés, ils changeaient de chemise et allaient en attendant, ils récitaient à voix claire et en belle
élocution quelques formules retenues de la leçon. Cependant, Monsieur l'Appétit venait et c'était juste
au bon moment qu'ils s'asseyaient à table.Au début du repas, on lisait quelque plaisante histoire des
gestes anciennes, jusqu'à ce que qu'il eût pris son vin. Alors, si on le jugeait bon, on poursuivait la
lecture, ou ils commençaient à deviser ensemble, joyeusement, parlant pendant les premiers mois des
25. vertus et propriétés, de l'efficacité et de la nature de tout ce qui leur était servi à table : du pain, du
vin, de l'eau, du sel, des viandes, des poissons, des fruits, des herbes, des racines et leur préparation.
Ce faisant, Gargantua apprit en peu de temps tous les passages relatifs à ce sujet dans Pline, Athénée,
Dioscorides, Julius Polux, Galien, Porphyre, Oppien, Polybe, Héliodores, Aristote, Elien et d'autres
(3). Sur de tels propos, ils faisait souvent, pour plus de sûreté, apporter à table les livres cités plus
30. haut. Gargantua retint si bien et si intégralement les propos tenus, qu'il n'y avait pas alors un seul
médecin qui sût la moitié de ce qu'il avait retenu. Après, ils parlaient des leçons lues dans la matinée
et, terminant le repas par quelque confiture de coings, il se curait les dents avec un brin de lentisque
(4), se lavait les mains et les yeux de belle eau fraîche, et tous rendaient grâce à Dieu par quelques
beaux cantiques à la louange de la munificence et de la bonté divines. Sur ce, on apportait des cartes,
35. non pas pour jouer, mais pour apprendre mille petits amusements et inventions nouvelles qui
relevaient tous de l'arithmétique.Par ce biais, il prit goût à cette science des nombres et, tous les jours,
après le dîner et le souper, il y passait son temps avec autant de plaisir qu'il pouvait en prendre aux dés
et aux cartes. Il en connut si bien la théorie et la pratique que Tunstal l'Anglais (5), qui avait écrit
d'abondance sur le sujet,confessa, que, comparé à Gargantua, il n'y comprenait que le haut-allemand.
1. Noël ! Noël ! Noël ! criait le peuple de toutes parts. C’était une merveilleuse grimace, en effet,
que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la rosace. Après toutes les figures pentagones,
hexagones et hétéroclites qui s’étaient succédé à cette lucarne sans réaliser cet idéal du grotesque
qui s’était construit dans les imaginations exaltées par l’orgie, il ne fallait rien moins, pour enlever
5. les suffrages, que la grimace sublime qui venait d’éblouir l’assemblée. Maître Coppenole lui-
même applaudit ; et Coplin Trouillefou, qui avait concouru, et Dieu sait quelle intensité de laideur
son visage pouvait atteindre, s’avoua vaincu. Nous ferons de même. Nous n’essaierons pas de
donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche en fer à cheval, de ce petit œil
gauche obstrué d’un sourcil roux en broussailles tandis que l’œil droit disparaissait entièrement sous
10. une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées çà et là, comme les créneaux d’une
forteresse, de cette lèvre calleuse sur laquelle une de ces dents empiétait comme la défense d’un
éléphant, de ce menton fourchu, et surtout de la physionomie répandue sur tout cela, de ce mélange
de malice, d’étonnement et de tristesse. Qu’on rêve, si l’on peut, cet ensemble. L’acclamation fut
unanime. On se précipita vers la chapelle. On en fit sortir en triomphe le bienheureux pape des fous.
15. Mais c’est alors que la surprise et l’admiration furent à leur comble. La grimace était son visage.
Ou plutôt toute sa personne était une grimace. Une grosse tête hérissée de cheveux roux ; entre les
deux épaules une bosse énorme dont le contre-coup se faisait sentir par-devant ; un système de
cuisses et de jambes si étrangement fourvoyées qu’elles ne pouvaient se toucher que par les genoux,
et, vues de face, ressemblaient à deux croissants de faucilles qui se rejoignent par la poignée ; de
20. larges pieds, des mains monstrueuses ; et, avec toute cette difformité, je ne sais quelle allure
redoutable de vigueur, d’agilité et de courage ; étrange exception à la règle éternelle qui veut que la
force, comme la beauté, résulte de l’harmonie. Tel était le pape que les fous venaient de se donner.
On eût dit un géant brisé et mal ressoudé. Quand cette espèce de cyclope parut sur le seuil de la
chapelle, immobile, trapu, et presque aussi large que haut, carré par la base, comme dit un grand
25. homme, à son surtout mi-parti rouge et violet, semé de campanilles d’argent, et surtout à la
perfection de sa laideur, la populace le reconnut sur-le-champ, et s’écria d’une voix : - C’est
Quasimodo, le sonneur de cloches ! C’est Quasimodo, le bossu de NotreDame ! Quasimodo le
borgne ! Quasimodo le bancal ! Noël ! Noël !
Victor Hugo, Notre –Dame de Paris, livre I, chapitre 5, 1831
OBJET D ETUDE N 2 Le roman et le récit du Moyen Âge au XXIe siècle
1. La première fois que je me vis dans un miroir, je ris : je ne croyais pas que c'était moi.
A présent, quand je regarde mon reflet, je ris : je sais que c'est moi. Et tant de hideur a quelque
chose de drôle. Mon surnom arriva très vite. Je devais avoir six ans quand un gosse me cria, dans la
cour : « Quasimodo ! » Fous de joie, les enfants reprirent en chœur : « Quasimodo ! Quasimodo ! »
5. Pourtant, aucun d'entre eux n'avait jamais entendu parler de Victor Hugo. Mais le nom de
Quasimodo était si bien trouvé qu'il suffisait de l'entendre pour comprendre. On ne m'appela plus
autrement. Personne ne devrait être autorisé à parler de la beauté, à l'exception des horreurs. Je suis
l'être le plus laid que j'aie rencontré : je considère donc que j'ai ce droit. C'est un tel privilège que je
ne regrette pas mon sort. Et puis, il y a une volupté à être hideux. Par exemple, nul n'a autant de
10. plaisir que moi à se balader dans la rue : je scrute les visages des passants, à la recherche de cet
instant sacré où j'entrerai dans leur champ de vision — j'adore leurs réactions, j'adore la terreur de
l'un, la moue révulsée de l'autre, j'adore celui qui détourne le regard tant il est gêné, j'adore la
fascination enfantine de ceux qui ne peuvent me lâcher des yeux. Je voudrais leur crier : « Et
encore, vous ne voyez que ma figure ! Si vous pouviez contempler mon corps, c'est alors que je
15. vous ferais de l'effet. » Il y a quelque chose de mal digéré au sujet de la beauté : tout le monde
est d'accord pour dire que l'aspect extérieur a peu d'importance, que c'est l'âme qui compte, etc. Or,
on continue à porter au pinacle les stars de l'apparence et à renvoyer aux oubliettes les tronches de
mon espèce. Comme quoi les gens mentent. Je me demande s'ils en sont conscients. C'est cela qui
m'énerve : l'idée qu'ils mentent sans le savoir. J'ai envie de leur lancer en pleine figure : « Jouez aux
20. purs esprits si cela vous chante. Affirmez encore que vous ne jugez pas les gens sur leur mine,
si cela vous amuse. Mais ne soyez pas dupes ! » Mon visage ressemble à une oreille. Il est concave
avec d'absurdes boursouflures de cartilages qui, dans les meilleurs des cas, correspondent à des
zones où l'on attend un nez ou une arcade sourcilière, mais qui, le plus souvent, ne correspondent à
aucun relief facial connu. A la place des yeux, je dispose de deux boutonnières flasques qui sont
25. toujours en train de suppurer. Le blanc de mes globes oculaires est injecté de sang, comme
ceux des méchants dans les littératures maoïstes. Des pupilles grisâtres y flottent, tels des poissons
morts. Ma tignasse évoque ces carpettes en acrylique qui ont l'air sales même quand on vient de les
laver. Je me raserais certainement le crâne s'il n'était recouvert d'eczéma. Par un reste de pitié pour
mon entourage, j'ai songé à porter la barbe et la moustache. J'y ai renoncé, car cela ne m'eût pas
30 . dissimulé assez : en vérité, pour être présentable, il eût fallu que la barbe me pousse aussi sur le
front et le nez. Quant à mon expression, si c'en est une, je renvoie à Hugo parlant du bossu de
NotreDame : « La grimace était son visage. »
Objet d’étude n 2 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIeme sc
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
ANALYSE LINEAIRE N 1
1. Enfin, n'étant plus le maître de mon inquiétude, je me promenai à grands pas dans nos
appartements. J'aperçus, dans celui de Manon, une lettre cachetée qui était sur sa table. L'adresse
était à moi, et l'écriture de sa main. Je l'ouvris avec un frisson mortel ; elle était dans ces termes :
Je te jure, mon cher Chevalier, que tu es l'idole de mon cœur, et qu'il n'y a que toi au monde que
5. je puisse aimer de la façon dont je t'aime ; mais ne vois-tu pas, ma pauvre chère âme, que, dans
l'état où nous sommes réduits, c'est une sotte vertu que la fidélité ? Crois-tu qu'on puisse être bien
tendre lorsqu'on manque de pain ? La faim me causerait quelque méprise fatale ; je rendrais quelque
jour le dernier soupir, en croyant en pousser un d'amour. Je t'adore, compte là-dessus ; mais laisse-
moi, pour quelque temps, le ménagement de notre fortune. Malheur à qui va tomber dans mes
10. filets ! Je travaille pour rendre mon Chevalier riche et heureux. Mon frère t'apprendra des
nouvelles de ta Manon, et qu'elle a pleuré de la nécessité de te quitter.
Je demeurai, après cette lecture, dans un état qui me serait difficile à décrire car j'ignore encore
aujourd'hui par quelle espèce de sentiments je fus alors agité. Ce fut une de ces situations uniques
auxquelles on n'a rien éprouvé qui soit semblable. On ne saurait les expliquer aux autres, parce
15. qu'ils n'en ont pas l'idée ; et l'on a peine à se les bien démêler à soi-même, parce qu'étant seules
de leur espèce, cela ne se lie à rien dans la mémoire, et ne peut même être rapproché d'aucun
sentiment connu. Cependant, de quelque nature que fussent les miens, il est certain qu'il devait y
entrer de la douleur, du dépit, de la jalousie et de la honte. Heureux s'il n'y fût pas entré encore plus
d'amour ! Elle m'aime, je le veux croire ; mais ne faudrait-il pas, m'écriai-je, qu'elle fût un monstre
20. pour me haïr ? Quels droits eut-on jamais sur un cœur que je n'aie pas sur le sien ? Que me
reste-t-il à faire pour elle, après tout ce que je lui ai sacrifié ? Cependant elle m'abandonne ! et
l'ingrate se croit à couvert de mes reproches en me disant qu'elle ne cesse pas de m'aimer ! Elle
appréhende la faim. Dieu d'amour ! quelle grossièreté de sentiments ! et que c'est répondre mal à ma
délicatesse ! Je ne l'ai pas appréhendée, moi qui m'y expose si volontiers pour elle en renonçant à
25. ma fortune et aux douceurs de la maison de mon père ; moi qui me suis retranché jusqu'au
nécessaire pour satisfaire ses petites humeurs et ses caprices. Elle m'adore, dit-elle. Si tu m'adorais,
ingrate, je sais bien de qui tu aurais pris des conseils ; tu ne m'aurais pas quitté, du moins, sans me
dire adieu. C'est à moi qu'il faut demander quelles peines cruelles on sent à se séparer de ce qu'on
adore. Il faudrait avoir perdu l'esprit pour s'y exposer volontairement.
ANALYSE LINEAIRE N 2
1. Tiberge, repris-je, qu'il vous est aisé de vaincre, lorsqu'on n'oppose rien à vos armes ! Laissez-
moi raisonner à mon tour. Pouvez-vous prétendre que ce que vous appelez le bonheur de la vertu
soit exempt de peines, de traverses et d'inquiétudes ? Quel nom donnerez-vous à la prison, aux
croix, aux supplices et aux tortures des tyrans ? Direz-vous, comme font les
5. mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l'âme ? Vous n'oseriez le dire ;
c'est un paradoxe insoutenable. Ce bonheur, que vous relevez tant, est donc mêlé de mille peines, ou
pour parler plus juste, ce n'est qu'un tissu de malheurs au travers desquels on tend à la félicité. Or si
la force de l'imagination fait trouver du plaisir dans ces maux mêmes, parce qu'ils peuvent conduire
à un terme heureux qu'on espère, pourquoi traitez-vous de
10. contradictoire et d'insensée, dans ma conduite, une disposition toute semblable ? J'aime
Manon ; je tends au travers de mille douleurs à vivre heureux et tranquille auprès d'elle. La voie par
où je marche est malheureuse ; mais l'espérance d'arriver à mon terme y répand toujours de la
douceur, et je me croirai trop bien payé, par un moment passé avec elle, de tous les chagrins que
j'essuie pour l'obtenir. Toutes choses me paraissent donc égales de votre côté 15. et du mien ; ou s'il
y a quelque différence, elle est encore à mon avantage, car le bonheur que j'espère est proche, et
l'autre est éloigné ; le mien est de la nature des peines, c'est-à-dire sensible au corps, et l'autre est
d'une nature inconnue, qui n'est certaine que par la foi.
Tiberge parut effrayé de ce raisonnement. Il recula de deux pas, en me disant, de l'air le plus
sérieux, que, non seulement ce que je venais de dire blessait le bon sens, mais que c'était 20. un
malheureux sophisme d'impiété et d'irréligion : car cette comparaison, ajouta-t-il, du terme de vos
peines avec celui qui est proposé par la religion, est une idée des plus libertines et des plus
monstrueuses. […]
Ne vous alarmez pas, ajoutai-je en voyant son zèle prêt à se chagriner. L'unique chose que je veux
conclure ici, c'est qu'il n'y a point de plus mauvaise méthode pour dégoûter un cœur de 25. l'amour,
que de lui en décrier les douceurs et de lui promettre plus de bonheur dans l'exercice de la vertu. De
la manière dont nous sommes faits, il est certain que notre félicité consiste dans le plaisir ; je défie
qu'on s'en forme une autre idée ; or le cœur n'a pas besoin de se consulter longtemps pour sentir que,
de tous les plaisirs, les plus doux sont ceux de l'amour.
Objet d’étude n 3 Le roman et le récit du Moyen Age au XXIeme sc
Parcours : « Personnages en marge, plaisirs du romanesque »
ANALYSE LINEAIRE N 3
1. « Monsieur, lui dis-je en tremblant, vous êtes un bon père. Vous m’avez comblé de grâces, et
vous m’avez pardonné un nombre infini de fautes ; aussi le ciel m’est-il témoin que j’ai pour vous
tous les sentiments du fils le plus tendre et le plus respectueux. Mais il me semble… que votre
rigueur… — Eh bien ! ma rigueur ? interrompit mon père, qui trouvait sans doute que je parlais
5. lentement pour son impatience. — Ah ! monsieur, repris-je, il me semble que votre rigueur est
extrême dans le traitement que vous avez fait à la malheureuse Manon. Vous vous en êtes rapporté à
M. G*** M***. Sa haine vous l’a représentée sous les plus noires couleurs. Vous vous êtes formé
d’elle une affreuse idée. Cependant c’est la plus douce et la plus aimable créature qui fût jamais.
Que n’a-t-il plu au ciel de vous inspirer l’idée de la voir un moment ! Je ne suis pas plus sûr qu’elle
10 . est charmante que je le suis qu’elle vous l’aurait paru. Vous auriez pris parti pour elle ; vous
auriez détesté les noirs artifices de G*** M*** ; vous auriez eu compassion d’elle et de moi.
Hélas ! j’en suis sûr. Votre cœur n’est pas insensible ; vous vous seriez laissé attendrir. »
Il m’interrompit encore, voyant que je parlais avec une ardeur qui ne m’aurait pas permis de finir
sitôt. Il voulut savoir à quoi j’avais dessein d’en venir par un discours si passionné.
15. « À vous demander la vie, répondis-je, que je ne puis conserver un moment si Manon part une
fois pour l’Amérique.
— Non, non, me dit-il d’un ton sévère ; j’aime mieux te voir sans vie que sans sagesse et sans
honneur. — N’allons donc pas plus loin, m’écriai-je en l’arrêtant par le bras ; ôtez-la-moi, cette vie
odieuse et insupportable ; car, dans le désespoir où vous me jetez, la mort sera une faveur pour moi.
20. C’est un présent digne de la main d’un père. » — Je ne te donnerais que ce que tu mérites,
répliqua-t-il. Je connais bien des pères qui n’auraient pas attendu si longtemps pour être eux-mêmes
tes bourreaux ; mais c’est ma bonté excessive qui t’a perdu. »
Je me jetai à ses genoux : « Ah ! s’il vous en reste encore, lui dis-je en les embrassant, ne vous
endurcissez donc pas contre mes pleurs. Songez que je suis votre fils… Hélas ! souvenez-vous de
25 . ma mère. Vous l’aimiez si tendrement ! Auriez-vous souffert qu’on l’eût arrachée de vos bras ?
vous l’auriez défendue jusqu’à la mort. Les autres n’ont-ils pas un cœur comme vous ? Peut-on être
barbare après avoir une fois éprouvé ce que c’est que la tendresse et la douleur ? »
— Ne me parle pas davantage de ta mère, reprit-il d’une voix irritée ; ce souvenir échauffe mon
indignation. Tes désordres la feraient mourir de douleur, si elle eût assez vécu pour les voir.
30 . Finissons cet entretien, ajouta-t-il ; il m’importune et ne me fera point changer de résolution. Je
retourne au logis, je t’ordonne de me suivre. »
Le ton dur et sec avec lequel il m’intima cet ordre me fit trop comprendre que son cœur était
inflexible. Je m’éloignai de quelques pas, dans la crainte qu’il ne lui prît envie de m’arrêter de ses
propres mains. « N’augmentez pas mon désespoir, lui dis-je, en me forçant de vous désobéir. Il est
35. impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive, après la dureté avec laquelle
vous me traitez : ainsi je vous dis un éternel adieu. Ma mort, que vous apprendrez bientôt, ajoutai-je
tristement, vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père. » Comme je me tournais
pour le quitter : « Tu refuses donc de me suivre ? s’écria-t-il avec une vive colère : va, cours à ta
perte. Adieu, fils ingrat et rebelle !
40. — Adieu, lui dis-je dans mon transport ; adieu, père barbare et dénaturé ! »
Objet d'étude 3 : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle
Parcours : « Emancipations créatrices »
Séquence 5 TEXTE 1
Vénus Anadyomène
II
III
GROUPEMENT DE TEXTES
LA LIMACE
1. Limace pure et sans tache
dont la bave trace dans le dédale des bourraches
son espace tout en surface
limace vorace dont la fringale
5. ravage la salade automnale
limace âme sagace
semblable aux sargasses humaines
limace brave qui perpétue ta race
vivace malgré la haine du campagnard
10. limace trisyllabe limace méconnue
il faut te donner un peu d’affection
pour que tu continues paisiblement ton chemin
et que sur ta face s’efface la trace de ton angoisse
et celle de ta bave aussi
15. sur les soucis
Raymond Queneau
Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
Parcours « Spectacle et comédie»
Oeuvre Intégrale : Le malade imaginaire de Molière
Analyse linéaire n 1
Un extrait de I,5
1. ARGAN. - On dira ce qu'on voudra ; mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que
j'ai donnée.
TOINETTE - Non : je suis sûre qu'elle ne le fera pas.
ARGAN. - Je l'y forcerai bien.
5. TOINETTE. - Elle ne le fera pas , vous dis-je.
ARGAN. - Elle le fera ou je la mettrai dans un couvent.
TOINETTE – Vous ?
ARGAN. - Moi.
TOINETTE. - Bon.
10. ARGAN. - Comment, «bon » ?
TOINETTE. - Vous ne la mettrez point dans un couvent.
ARGAN. - Je ne la mettrai point dans un couvent ?
TOINETTE. - Non.
ARGAN. - Non ?
15. TOINETTE. - Non.
ARGAN. - Ouais! Voici qui est plaisant : je ne mettrai point ma fille dans un couvent, Si je
veux ?
TOINETTE. - Non, vous dis-je.
ARGAN. - Qui m'en empêchera ?
TOINETTE. - Vous-même.
20. ARGAN. - Moi ?
TOINETTE. - Oui, vous n'aurez pas ce cœur-là.
ARGAN. – Je l’aurai.
TOINETTE. - Vous vous moquez.
ARGAN. - Je ne me moque point.
25. TOINETTE - La tendresse paternelle vous prendra.
ARGAN. - Elle ne me prendra point.
TOINETTE - Une petite larme ou deux, des bras jetés tendrement au cou, un «mon petit papa
mignon », prononcé tendrement sera assez pour vous toucher.
ARGAN. - Tout cela ne fera rien.
30. TOINETTE. - Oui, oui.
ARGAN. - Je vous dis que je n'en démordrai point.
TOINETTE. - Bagatelles.
ARGAN. - Il ne faut point dire «bagatelles».
TOINETTE. - Mon Dieu ! Je vous connais, vous êtes bon naturellement.
35. ARGAN, avec emportement - Je ne suis point bon et je suis méchant quand je veux.
TOINETTE. - Doucement, Monsieur vous ne songez pas que vous êtes malade.
ARGAN. - Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.
TOINETTE - Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien.
ARGAN. - Où est-ce donc que nous sommes ? Et quelle audace est-ce là à une coquine de servante
40. de parler de la sorte devant son maître ?
TOINETTE. - Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de
le redresser.
ARGAN court après Toinette.
- Ah! Insolente, il faut que je t'assomme.
45. TOINETTE se sauve de lui
- il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.
-Viens, viens, que je t'apprenne à parler.
TOINETTE, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan.
50 - Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.
ARGAN. - Chienne!
TOINETTE. - Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.
ARGAN. - Pendarde!
TOINETTE - Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.
55. ARGAN. - Carogne!
TOINETTE. - Et elle m'obéira plutôt qu'à vous.
Objet d’étude N4 « Le théâtre du XVIIeme au XXIe siècle »
Parcours « Spectacle et comédie»
Oeuvre Intégrale : Le malade imaginaire de Molière
Analyse linéaire n 2
Un extrait de II,2
ARGAN, TOINETTE, CLÉANTE.
1. ARGAN.- Monsieur Purgon m’a dit de me promener le matin dans ma chambre, douze allées, et
douze venues ; mais j’ai oublié à lui demander, si c’est en long, ou en large.
TOINETTE.- Monsieur, voilà un...
ARGAN.- Parle bas, pendarde, tu viens m’ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu’il ne faut
5. point parler si haut à des malades.
TOINETTE.- Je voulais vous dire, Monsieur...
ARGAN.- Parle bas, te dis-je.
TOINETTE.- Monsieur...
Elle fait semblant de parler.
10. ARGAN.- Eh ?
TOINETTE.- Je vous dis que...
Elle fait semblant de parler.
ARGAN.- Qu’est-ce que tu dis ?
TOINETTE, haut.- Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous.
15. ARGAN.- Qu’il vienne.
Toinette fait signe à Cléante d’avancer.
CLÉANTE.- Monsieur...
TOINETTE, raillant.- Ne parlez pas si haut, de peur d’ébranler le cerveau de Monsieur.
CLÉANTE.- Monsieur, je suis ravi de vous trouver debout et de voir que vous vous portez mieux.
20. TOINETTE, feignant d’être en colère.
- Comment "qu’il se porte mieux" ? Cela est faux, Monsieur se porte toujours mal.
CLÉANTE.- J’ai ouï dire que Monsieur était mieux, et je lui trouve bon visage.
TOINETTE.- Que voulez-vous dire avec votre bon visage ? Monsieur l’a fort mauvais, et ce sont
des impertinents qui vous ont dit qu’il était mieux. Il ne s’est jamais si mal porté.
25. ARGAN.- Elle a raison.
TOINETTE.- Il marche, dort, mange, et boit tout comme les autres ; mais cela n’empêche pas qu’il
ne soit fort malade.
ARGAN.- Cela est vrai.
1. Marc, seul.
Marc : Mon ami Serge a acheté un tableau.
C'est une toile d'environ un mètre soixante sur un mètre vingt, peinte en blanc. Le fond est blanc et
si on cligne des yeux, on peut apercevoir de fins liserés blancs transversaux.
5. Mon ami Serge est un ami depuis longtemps. C'est un garçon qui a bien réussi, il est médecin
dermatologue et il aime l'art.
Lundi, je suis allé voir le tableau que serge avait acquis samedi mais qu'il convoitait depuis
plusieurs mois.
Un tableau blanc, avec des liserés blancs.
Marc : Cher ?
Serge : Deux cent mille.
Marc : Deux cent mille ?....
Serge : Handtington me le reprend à vingt-deux.
20. Marc : qui est-ce ?
Serge : Handtington ?!
Marc : Connais pas.
Serge : Handtington ! La galerie Handtington !
Marc : La galerie Handtington te le reprend à vingt-deux ?....
25. Serge : Non, pas la galerie. Lui. Handtington lui-même. Pour lui.
Marc : Et pourquoi ce n'est pas Handtington qui l'a acheté ?
Serge : Parce que tous ces gens ont intérêt à vendre à des particuliers. Il faut que le marché
circule.
Marc : Ouais…
30. Serge : Alors ?
Marc : …
Serge : Tu n'es pas bien là. Regarde-le d'ici. Tu aperçois les lignes ?
Marc : Comment s'appelle le…
Serge : Peintre. Antrios.
35. Marc : Connu ?
Serge : Très. Très !
Un temps.
Marc : Serge, tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs ?
Serge : Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
40. Marc : Tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
Serge : J'étais sûr que tu passerais à côté.
Marc : Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!
Cette pièce met en scène quatre personnages handicapés physiquement dont les deux
principaux sont Clov, et Hamm, son maître
1. CLOV (regard fixe, voix blanche). — Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir. (Un temps. ) Les grains
s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas.
(Un temps.) On ne peut plus me punir. (Un temps.) Je m'en vais dans ma cuisine, trois mètres sur trois
mètres sur trois mètres, attendre qu'il me siffle. (Un temps.) Ce sont de jolies dimensions, je m'appuierai à
5. la table, je regarderai le mur, en attendant qu'il me siffle.
Il reste un moment immobile. Puis il sort. Il revient aussitôt, va prendre l'escabeau, sort en emportant
l'escabeau. Un temps. Hamm bouge. Il bâille sous le mouchoir. Il ôte le mouchoir de son visage. Teint très
rouge. Lunettes noires.
HAMM. — À — (bâillements) — à moi. (Un temps.) De jouer. (Il tient à bout de bras le mouchoir
10. ouvert devant lui.) Vieux linge ! (Il ôte ses lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les
remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche du haut de sa robe de
chambre. Il s'éclaircit la gorge, joint les bouts des doigts.) Peut-il y a — (bâillements) — y avoir misère plus...
plus haute que la mienne ? Sans doute. Autrefois. Mais aujourd'hui ? (Un temps.) Mon père ? (Un temps.)
Ma mère ? (Un temps.) Mon... chien ? (Un temps.) Oh je veux bien qu'ils souffrent autant que de 15. tels
êtres peuvent souffrir. Mais est-ce dire que nos souffrances se valent ? Sans doute. (Un temps.) Non, tout
est a — (bâillements) — bsolu, (fier) plus on est grand et plus on est plein. (Un temps. Morne.) Et plus on est
vide. (Il renifle.) Clov ! (Un temps.) Non, je suis seul. (Un temps.)
Quels rêves — avec un s ! Ces forêts ! (Un temps.) Assez, il est temps que cela finisse, dans le refuge aussi.
(Un temps.) Et cependant j'hésite, j'hésite à... à finir. Oui, c'est bien ça, il est temps que cela finisse 20. et
cependant j'hésite encore à — (bâillements) — à finir. (Bâillements.) Oh là là, qu'est-ce que je tiens, je ferais
mieux d'aller me coucher. (Il donne un coup de sifflet. Entre Clov aussitôt. Il s'arrête à côté du fauteuil.) Tu
empestes l'air ! (Un temps.) Prépare-moi, je vais me coucher.