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P U B L I C A T I O N S DE
LA S O R B O N N E
" LITTÉRATURES " -13

JEAN-PIERRE G I U S T O

RIMBAUD
CRÉATEUR
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RIMBAUD CRÉATEUR
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PUBLICATIONS DE LA SORBONNE
Série « Littératures » — 13

Université Paris I V

JEAN-PIERRE GIUSTO
Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure
Docteur ès lettres
Professeur à l' Université de Valenciennes

RIMBAUD
CRÉATEUR

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S DE FRANCE
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A Lepti-Mineille

ISBN 2 13 036358 x

1 édition : 2 trimestre 1980


© Presses Universitaires de France, 1980
108, Bd Saint-Germain, 75006 Paris
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AVANT-PROPOS

Les lectures de Rimbaud sont nombreuses. Si, pendant longtemps, les


problèmes de la signification furent au centre des préoccupations cri-
tiques — et l'on peut citer ici deux grilles de lecture célèbres : la grille
cabbalistique et la grille érotique — ils ne se posent plus désormais avec la
même acuité : tant de tentatives qui séduisirent un instant pour subir de
plus en plus gravement l'épreuve du doute, et tant de mises en garde sur
le danger de manquer le texte en tentant de retrouver les canons d 'une
lecture logique.
Un excès entraîne son inverse : du texte entièrement crypté on passe
au texte ludique, autothématique, de l'écriture du XIX siècle à la première
manifestation de ce que tendrait à être l'écriture de la fin du XX siècle.
Qu'un tel jeu de bascule soit possible marque, cependant, avec netteté
une caractéristique importante de ce texte : sa malléabilité, ou mieux son
ouverture.
En fait la question peut se résumer simplement : avons-nous affaire à
une écriture de la synthèse ou de l'oxymore ? Si l'ellipse et la synthèse
permettent de rendre compte du texte de façon satisfaisante, Rimbaud,
tout en révolutionnant l'écriture poétique de son temps, demeure un poète
du XIX siècle ; si l'hypothèse de l'oxymore s'impose, Rimbaud est notre
contemporain.
La nécessité de reprendre l'analyse du texte, de tous les textes, devient
manifeste : ce n'est pas sur une pièce que l'on pourra conclure mais en
reprenant l'ensemble de la réflexion et de la pratique de Rimbaud. Tel est
notre propos. D'une part, comprendre ce qu'a voulu Rimbaud, d'autre
part, relever certaines caractéristiques d'écriture qui permettent d'élaborer
une méthode pour approcher ce que le texte met en jeu : le but conscient
et la genèse de l' « image », du poème dans ses séquences de signifiants.
D'emblée se pose une question qui a intimidé pendant vingt ans la
critique : la chronologie de l'œuvre. Les Illuminations sont-elles antérieures
ou postérieures à Une Saison en Enfer ? Là encore, les passions apaisées et
l'itinéraire biographique et spirituel de Rimbaud prêtant moins aux
récupérations romantiques, le problème est plus ressenti comme un piège
que comme un préalable à toute enquête. Il semble bien qu'il faille analyser
d'abord le texte et formuler sur ce point l'hypothèse la plus vraisemblable
à partir de ce que révèle l'analyse, la critique externe ne conduisant à
aucune certitude.

Quel est le projet de Rimbaud ? Le poète s'explique à plusieurs reprises :


en 1871 dans les Lettres de mai dites du Voyant, dans un poème comme Ce
qu'on dit au poète à propos de fleurs et d'une certaine façon encore dans
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Voyelles et Le Bateau Ivre ; en 1873, Une Saison en Enfer décrit et juge la


tentative.
Comme l'œuvre de Rimbaud présente de nombreuses coupures — qu'y
a-t-il de commun entre un poème de 1870, un de 1871, de 1872 ou un
poème en prose, au moins en apparence ? — la tentation fut grande de
réduire la portée de ces textes théoriques ou descriptifs : les Lettres du
Voyant sont écrites sous le coup de l'émotion soulevée par la Commune,
Une Saison en Enfer suit le fameux coup de revolver.
Notre analyse s'efforcera au contraire de montrer comment on voit
naître dans les poèmes de 1870 et de l'hiver 1870-1871 les préoccupations
qui conduisent à la rédaction des lettres de mai, d'analyser les relations
qui existent entre le propos de Rimbaud dans ces lettres et les poèmes qu'il
joint à ses envois puis qu'il compose durant l'été 1871, de marquer dans
quel état d'incertitude se trouve le poète lorsqu'il part pour Paris quant à
la forme que pourra prendre son écriture — et non quant au contenu — ce
qui permet d'apprécier l'influence que Verlaine va exercer sur le jeune
homme, de noter qu'en 1872 les nouveautés formelles des poèmes en vers
orchestrent un propos dans la suite même de 1871, que la leçon de Verlaine
est vite abandonnée pour conduire à l'aventure nouvelle du poème en
prose, et que la méditation inscrite dans les Illuminations est fort proche,
bien souvent, des poèmes en vers de 1872. Reste ensuite à préciser le
statut d'un texte comme Une Saison en Enfer.
Il y a un contenu dans l'œuvre de Rimbaud : quelle que soit l'impor-
tance de l'innovation formelle, il convient de ne pas le négliger. Bien des
textes prétendus visionnaires ou incohérents apparaissent, en fait, comme
des autobiographies symboliques, ou des pastiches critiques. A coup sûr
l'écriture des poèmes en vers de 1872 relève de l'ellipse et repose sur une
structure logique. Bien des poèmes en prose se donnent comme des bilans
et font référence à une expérience précise. Il n'y a pas une clef pour lire
Rimbaud. L'hétérogénéité formelle est grande, au sein même d'un recueil
comme Illuminations. Il convient de ne laisser passer aucun élément du
message qui s'y trouve consigné et d'apprécier les efforts qui tendent à
découvrir les lois de cette langue de l'autre, but que Rimbaud s'assigne
en mai 1871.

Peut-on à travers la diversité de la production de Rimbaud découvrir


un trait caractéristique de son écriture ? En 1870, le poète utilise les grands
modèles de son temps : Hugo et les parnassiens. Avec la guerre Rimbaud
s'engage dans des cadres stricts et contraignants tels que le sonnet, il
commence à faire de l'image à la façon des caricaturistes. La préoccupa-
tion matérialiste apparaît durant l'hiver 1870-1871, ce qui conduit
Rimbaud à « retourner » la poésie de son temps : les Rêves comparés aux
excréments brûlent et demandent à être ravalés comme une salive, la
tristesse est semblable à une sécrétion végétale maladive, l'oraison du
poète ne fait qu'un avec l'acte de « pisser », le sonnet Oraison du Soir se
désigne ainsi métaphoriquement dans son inspiration et sa nature comme
une sécrétion toute physiologique : plus de muse ni d'idéal, tout est
matière. Les vers de 1871 répondent au même propos : il s'agit de casser
les jambes au lyrisme traditionnel en empruntant ses propres mètres,
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d'introduire un vocabulaire scientifique, technique, populaire, voire ordu-


rier dans la maison de gaze de la poésie, de traiter les grands thèmes dans
la violence et la dérision : Rimbaud substitue au blanc d 'une culture son
noir. L'exercice accompli, reste à découvrir la nouvelle langue. Cinq
textes de la fin de 1871 et de 1872 indiquent dans quelle direction se tourne
le poète : Voyelles est un exercice d'associations sur un système défini au
préalable dans son arbitraire et tendant à faire se rejoindre dans une unité
matérielle toutes les réalités du monde et de l'homme, Le Bateau Ivre
fournit les images du monde de vigueur où pourrait s'exercer la « liberté
libre », Bruxelles se fonde sur des associations libres pour gagner des
régions d'extase et d'indicible, Mémoire intériorise le procédé de l 'associa-
tion, les images d'eau et d'enfance se succèdent et s'engendrent l' une
l'autre, le poète descend dans ses « profondeurs », L'Eternité enfin pro-
clame une révélation qui trouve immédiatement en correspondance une
image qui associe le soleil et la mer :
Elle est retrouvée.
Quoi ? — L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Le principe de l'association est ainsi au cœur de la pratique tendant à
découvrir la langue de l'autre. Dans les poèmes en prose les séquences de
signifiants répondent — sur le mode de L'Eternité — à un tel appel des
mots entre eux : « La pavillon en viande saignante sur la soie des mers et
des fleurs arctiques... »
Pour comprendre ce que l'association met en jeu, pour lire son dyna-
misme, pour approcher le registre de l'image, sa nature et par là même
le dynamisme du poème dans son engendrement, il convient donc de
définir une méthode susceptible de lire ce que nous appellerons la dyna-
mique de l'imaginaire. Il s'agit d'interroger le mot de Rimbaud, de lire
sa puissance créatrice dans le champ associatif qui lui est propre au sein
de l'œuvre, de faire apparaître les grandes figures de l'imaginaire dans
lesquelles il travaille. Par là peut se préciser la nature du poème en prose,
d'un texte qui donne plaisir à son scripteur — parfois même, comme dans
Being Beauteous le métamorphose — et peut conduire à une vision, voire
à une prophétie sur le travail nouveau, le corps nouveau ou le Génie.
Ainsi, la seule lecture du projet de Rimbaud et l'analyse de l'écriture
qui conduit à interroger l'association dans cette œuvre nous éloignent de
l'hypothèse purement ludique récemment développée par M. Atle Kittang.
Ce qui se joue dans l'écriture de Rimbaud est une naissance au bonheur,
à la libération, susceptible d'être traduite en révélation à l'humanité qui
souffre dans l'ignorance de sa fin.
Notre travail s'ouvrira ainsi sur l'établissement d'une batterie de
champs associatifs autour d'un certain nombre de mots clefs de la phrase
rimbaldienne. L'approche se trouve à la rencontre de la critique théma-
tique et de la psychocritique. Plus que le thème de la femme, du soleil
ou de la fleur, le champ associatif de ces mots permet de saisir quels sont
les registres de l'angoisse et ceux de la libération, l'alchimie de l'imaginaire
qui arrache à l'angoisse et ouvre les régions de la vigueur retrouvée. C'est
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la dimension du désir et du plaisir qui se trouve ici explorée. Il est clair,


même si nous n'employons pas le terme, que nous sommes du côté de
l'inconscient : que nous articulons l'inconscient dans la description
thématique.
L'ensemble des champs associatifs nous permet ainsi de définir la
nature de l'écriture de Rimbaud, ce qu'elle met en jeu, de répondre à la
véritable question préalable que pose le texte à son critique : qu'est-ce
que ce texte et, plus précisément, qu'est-ce qu'une illumination ?

Suit l'analyse des poèmes : comment prennent place les images de la


symbolique intérieure dès 1870, le discours de Rimbaud et ses essais
techniques jusqu'au poème charnière Ce qu'on dit au poète à propos de
fleurs : traduction poétique des lettres de mai 1871 qui annonce les
illuminations.
Sous une forme loufoque le texte adressé à Théodore de Banville
durant l'été 1871 fixe les objectifs de la poésie nouvelle : il s'agira d'une
poésie du réel, d'une poésie susceptible de dire le réel dans la magie de sa
métamorphose. Dans ce texte prennent naissance, sur le mode de la provo-
cation, les premiers êtres de rêverie qui peupleront et animeront les poèmes
en prose : la fleur pierre précieuse, la fleur de la force, dépassement du réel
tel que le créent la science et la technologie, révélation du réel tel que le
poète le donne à jouir à son lecteur.
Désormais la poésie de Rimbaud travaillera sur ces êtres de rêverie
dont les champs associatifs nous ont appris la nature et la force créatrice.
Qu'entendons-nous par « êtres de rêverie » ? Les figures suceptibles d'être
appelées par les mots étudiés dans leur champ associatif : la fleur et sa
minéralisation, la mer dans sa relation avec le soleil, le bohémien ou le
vogueur de l'eau claire et de l'eau sombre — images sans cesse convoquées
dans la poésie de Rimbaud, images dont le traitement connaît la plus
grande variété. C'est ce traitement qui retient plus spécialement notre
attention dans l'analyse des poèmes en vers de 1872 et des illuminations.
Une telle description est susceptible de définir la nature du texte que
l'on interroge.
Dans les poèmes en vers de 1872 ces êtres de rêverie sont appelés en
tant qu'éléments de décor dans un paysage qui se lit symboliquement :
paysage de l'inspiration mièvre ou de l'inspiration susceptible de faire
gagner les régions de la vigueur dans Larme, paysages des boissons offertes
au poète dans Comédie de la Soif, ou encore menu des Fêtes de la Faim.
Dans Illuminations tantôt l'être de rêverie apparaît à l'occasion d'un
décor dressé pour faire de l'image (Après le Déluge), tantôt est le centre
même autour duquel s'organise l'image (Mystique), tantôt fonde le décor
à partir duquel prend naissance une nouvelle figure souvent anthropo-
morphique (Fairy), ou bien scande les séquences de signifiants lorsque
dans un univers éclaté le poète dit douceur et extase (Barbare), ou encore
se donne lui-même dans un éclatement qui fait naître le scripteur à un
autre corps (Being Beauteous). L'écriture de Rimbaud apparaît ainsi tout
entière comme une conquête de la libération sur l'angoisse. A l'occasion
de cette libération le poète devient prophète : si son écriture le fait naître
à la vigueur, cette vigueur est le signe même du réel occulté par nos
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civilisations ou nos cultures, le réel auquel l'humanité est appelée à parti-


ciper. Le poème Villes, premier du titre dans les éditions habituelles, est
très significatif de ce mouvement : après une série d'évocations de fêtes
de l'homme dans ses mythes et de fêtes de l'univers, Rimbaud désigne ces
régions retrouvées comme le cadre du « travail nouveau » qui attend
l' homme réconcilié avec le rêve, le désir. Inversement un poème comme Génie
se donne tout entier comme célébration du principe d'amour et de force
auquel l'homme participe dans un discours abstrait et en final un décor est
évoqué en équivalence, décor réunissant tout un ensemble d'êtres de rêverie.
L'hétérogénéité de l'écriture des poèmes en prose se trouve ainsi
réduite : une de ses lois est le maniement des êtres de rêverie. A tel type
de travail ou de mise en scène correspond tel rendement.
Il existe cependant un certain nombre de poèmes en prose où le poète
se met à distance de son écriture : Rimbaud analyse l'expérience, et par-
fois s'en moque. Le genre du conte ou de l'énigme intervient ici. Il arrive
même à Rimbaud de parodier ses propres techniques pour dénoncer la
vision (Dévotion). Dès le recueil Illuminations apparaissent des textes
critiques à l'égard de la voyance : un processus de liquidation auquel
répond Une Saison en Enfer.

Nous rejetons en conclusion l'analyse de cet ouvrage. Texte ambigu


dans ses intentions, texte très fabriqué comme en témoigne Délires II,
il nous retient essentiellement pour les indications qu'il peut livrer sur
l'itinéraire qui a été suivi et les perspectives qui s'ouvrent. Il apparaît
que si Rimbaud dit adieu à la voyance et à son écriture il ne renie cepen-
dant pas l'espoir auquel la vision l'a fait naître : le poète ne sera plus
« en avant » de l'action mais dans l'action, le poète ou plutôt l'homme. La
seule nouvelle inspiration qu'on puisse dégager de ces lignes serait celle
d un réalisme dont les poèmes en prose Ouvriers ou Vagabonds pourraient
fournir les rares exemples. Le point de chronologie se trouve ainsi réglé au
terme de l'analyse sur le mode de la plus grande vraisemblance : il est
beaucoup plus vraisemblable que la presque totalité des poèmes en prose
a été composée avant Une Saison en Enfer — même s'ils ne sont retrans-
crits qu 'en 1874 — que l'inverse. Les illuminations quêtent « l'heure du
désir et de la satisfaction essentiels » et ne sont point du côté de l' « homme
de constitution ordinaire », les illuminations ne sont point de simples
objets esthétiques où Rimbaud saurait saluer la beauté : elles sont autant
d' aventures, autant d 'actes dans une foi mystique accordée au langage.
En cela Rimbaud révolutionne l'écriture poétique mais demeure un poète
du XIX siècle. S'il ouvre le champ à d'autres « horribles travailleurs », ses
préoccupations ne sont pas celles de notre fin de siècle : la poésie de Rim-
baud demeure force de vie, absolument irrécupérable.

Qu'on nous permette de remercier ici tous ceux qui par leur attention
et leurs critiques ont permis que ce travail soit conduit jusqu'en ses
conclusions : MM. Jacques Robichez, Robert Mauzi, Pierre Brunel,
Mme Suzanne Briet, MM. Louis Forestier et Michel Décaudin, et d'adresser
un salut filial à l'initiateur : Jean-Pierre Richard, comme à tous nos
devanciers en rimbalderies.
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PREMIÈRE PARTIE

L'HALLUCINATION DES MOTS


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PRINCIPES POUR L'ÉTABLISSEMENT


DES CHAMPS ASSOCIATIFS

Avant de relire l'ensemble de l'œuvre de Rimbaud, nous allons tenter


dans cette première partie de définir la dynamique qui emporte les termes
dans leurs associations pour établir ce que nous appellerons l'écriture de
l' « autre ». Nous demanderons à cette dynamique de nous expliquer ce
qui se joue dans ces plages des poèmes en prose, ou en vers, où le texte ne
paraît plus qu'un assemblage de signifiants emportés dans la joie vers la
profération du réel.
Une telle description passe par l'établissement d'une série de champs
associatifs qui regrouperont les différents termes associés à tel ou tel mot
dans l'ensemble de la production rimbaldienne. Quels mots doivent être
relevés dans le cadre de cette étude ? Une évidence de départ : ceux qui se
trouvent convoqués dans cette écriture de l' « autre » : « mer » et « soleil »,
bien sûr, « fleur », « glace », « neige », « pôle », « ciel », « étoile », « ange ».
Bref, les mots concrets qui reviennent le plus souvent pour établir ces
séquences de signifiants qu'on a appelées parfois des « images ». Nous
avons pensé qu'il ne fallait pas exclure pour autant certains mots abstraits
qui servent de référence constante au poète : le mot « force », par exemple,
ou encore « femme », « homme », « Dieu », « nature », « science », « patience ».
En somme le fond du vocabulaire de Rimbaud.
Pour tous ces mots il fallut, en un premier temps, établir le relevé
exhaustif de leurs apparitions au fil de l'œuvre. A chaque fois nous avons
noté de façon étendue le contexte dans lequel le mot apparaît.
Ce travail achevé il fallait définir des principes simples à partir des-
quels on peut établir que tel mot est associé au mot étudié. Nous pouvions
immédiatement regrouper autour de notre terme les mots qui lui répon-
daient par opposition, ou se trouvaient appelés dans le cadre d'une méta-
phore ou d'une comparaison. Par exemple, si l'on étudie le mot « Femme »,
on peut dire que dans Sensation :
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, heureux comme avec une femme.
le mot « nature » est associé au mot « femme », puisqu'une comparaison lie
ces deux termes. Nous avons appelé ce type d'associations : association
directe. Il s'agit de l'ensemble des termes qui, dans l'œuvre, qualifient ou
se donnent comme équivalents du mot étudié : un rapport « direct » existe
entre eux. Il nous a paru également possible de réunir dans ce groupe
l'ensemble des mots qui appartiennent avec notre terme à une même série
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qui a même fonction grammaticale dans la phrase, pour peu que tous ces
mots aient même valeur sémantique : chacun des termes de la série se
donnant comme équivalent de l'autre. Soit Soleil et Chair :
Kallipyge la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses
« fleurs » est associé directement à « femme ».
Puisque nous établissions toutes les équivalences apparues dans
l'œuvre pour tel ou tel mot, la question se posait de savoir si nous ne devions
opérer ce travail que dans les séquences où le mot lui-même apparaît, ou si
nous pouvions également tenir compte d'autres contextes où le mot n'est
pas présent, mais se trouve sous-entendu, ou implicitement concerné.
Prenons en exemple le poème Les Premières Communions. La jeune femme
« au matin de la nuit d'amour » dit à son amant :
Et moi, je suis malade : Oh ! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés !
dans la suite de son discours elle explique aux « hommes » la triste condition
de la femme :
Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse,
Et que tous nos élans vers vous sont des erreurs !
Cette jeune femme parle à son amant au nom des femmes s'adressant
aux hommes. « Morts des eaux nocturnes abreuvés » en renvoyant à cette
jeune femme renvoie donc simultanément aux « femmes ». Cette image
est autant associée à cette amante qu'à la femme, il n'y a donc aucune
raison, lorsqu'on étudie le mot « femme », de n'en pas tenir compte sous
prétexte que le terme lui-même est absent du contexte. Nous avons appelé
ce type d'associations : association médiate : par la médiation de la jeune
femme, l'image « Morts des eaux nocturnes abreuvés » est associée à la
« femme ». L'association médiate nous permet ainsi d'ajouter aux associa-
tions directes l'ensemble des termes que l'œuvre de Rimbaud nous donne
comme équivalents du mot étudié.
Prenons un autre exemple : dans le poème Soleil et Chair nous lisons :
Le soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie...
et quelques vers plus bas :
Je regrette les temps...
Où, debout sur la plaine, il (Pan) entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante
« Pan » est associé médiatement à « soleil » : la terre ravie répond à
l'amour que lui verse le soleil, de la même façon que la nature vivante fait
écho au « grand hymne d'amour » de Pan.
Si, par ces associations directes et médiates, nous avons regroupé tout
un ensemble de termes autour de notre mot, nous n'avons pas pour autant
organisé un champ associatif tel qu'il puisse éclairer la dynamique qui
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emporte le mot dans l'écriture. Nous obtenons des ensembles composites,


qui laissent entrevoir différentes séries associatives autour de notre mot
mais qui restent à préciser.
Nous faisons alors intervenir un troisième type d'associations : face
au mot étudié, il s'agit de regrouper les termes qui lui sont liés soit par
l 'action, soit dans les oppositions que peut établir le texte ; les séries asso-
ciatives établies à partir des associations directes et médiates trouvent
ainsi leurs valeurs précises, et le fonctionnement de l'une par rapport à
l' autre s'éclaire. Reprenons les deux vers que nous citions de Soleil et Chair :
Le soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie...
« terre » étant lié par l'action à « soleil », lui est associé indirectement.
Ces trois types d'associations organisent le champ associatif du mot
dans l'œuvre de Rimbaud. Par le jeu qu'ils entretiennent entre eux, ils
dessinent des séries structurées. L'association indirecte permet de préciser
quel type de dynamisme régit chaque série et l'ensemble du champ de
son côté laisse apparaître le dynamisme qui joue entre les séries. Dans cer-
tains types d'associations le mot apparaît avec sa puissance tantôt posi-
tive, tantôt négative. Au fil de l'établissement des différents champs
associatifs se laisse dessiner la dynamique d'ensemble qui emporte les
mots pour arracher le poète à l'angoisse et le conduire à la profération qui
dit avant tout sa propre libération de l'angoisse.
Prenons le champ associatif du mot femme : les associations directes
et médiates sont extrêmement diverses et sémantiquement opposées, les
associations indirectes nous permettent de structurer cet ensemble selon
trois grandes séries : celle de la femme-terre, associée indirectement au
bohémien à la marche amoureuse et conquérante, celle de la femme-eau
claire associée indirectement au poète lui-même sous le symbole du canot
immobile prisonnier de l'eau sombre et celle de la femme-nuit que rejette
orgueilleusement le jeune homme dans le poème Les Sœurs de Charité. Les
associations indirectes de la série femme - terre - nature - fleur, etc., per-
mettent de saisir le dynamisme positif dont ces associations sont por-
teuses, celles de la série « femme - eau claire - soie - pucelle, etc. » la tension
qu'elles peuvent recéler, etc.
Un tel champ associatif, pris isolément, n'est pas cependant directe-
ment opérationnel sur les mots qu'il a permis de regrouper. Le champ
associatif, pris isolément, dessine plutôt une sorte de thématique dyna-
mique qui nous permet de lire les différentes figures de la femme, de la
fleur, du soleil, etc., dans l'imaginaire de Rimbaud et le fonctionnement
de ces diverses figures. Les différents champs associatifs, en revanche,
permettent de revenir sur les mots convoqués dans chacun d'entre eux
et d en comprendre la « syntaxe » lorsqu'ils se trouvent appelés dans ces
séquences de signifiants constitutives de l'écriture de l' « autre ».
L'enquête que nous nous proposons peut paraître, au premier abord,
immense et une question se pose : à quel moment peut-on la juger achevée
et conduisant à des conclusions qui emportent la conviction ?
En fait, le piège se referme vite, plus vite même que nous ne le pensions
en abordant ce travail.
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Notre démarche était nécessairement empirique. Très vite nous avons


reconnu qu'une multiplicité de mots n'offrait pas de véritables pistes pour
répondre à notre question — et ce fut le cas pour la plupart des mots
abstraits que nous avons étudiés. En revanche, et ce fut une surprise, le
mot « femme » nous apparut vite essentiel pour éclairer cette dynamique
de l'écriture (alors qu'il n'en est rien pour le mot « homme » — il faut, ici,
établir le champ associatif du mot « soleil »). Notre investigation nous
permit de cerner quatre mots dont les champs associatifs indiquaient les
tensions que résout l'écriture de l' « autre » pour libérer le poète de l'an-
goisse et les passages possibles de telle série associative à telle autre — ce
que Bachelard analysait comme des « charnières du rêve » : il s'agit des
mots « femme », « soleil », « ciel » et « étoile ». Une dynamique apparaissait
à partir des champs associatifs des mots « femme » et « soleil » où le poète
s'inscrit sans cesse, soit par son « je », soit sous diverses figures : bohémien,
faune, canot, etc., dynamique propre à saisir sous quelles figures se livre
l'angoisse du poète. Avec les champs associatifs des mots « ciel » et « étoile »
nous pouvions voir naître les jeux de substitutions de tel registre à tel
autre indiquant dans quelles directions Rimbaud par l'écriture se libère de
son angoisse. Ces quatre champs associatifs nous mettaient, en quelque
sorte, au cœur de la question.
Une première synthèse était alors possible au niveau des diverses images
sous lesquelles se reconnaît le poète dans ces différents champs. L'analyse
de ces images — des contextes dans lesquels elles apparaissent et se
métamorphosent — nous permit de saisir une grande ligne directrice
entraînant tout le système associatif qui préside à l' « hallucination des
mots ». La rêverie rimbaldienne — un peu comme la rêverie de Poe, telle
que G. Bachelard l'a analysée dans L'Eau et les Rêves, mais en inversant
les pôles — semblait tendre à quitter le registre de la liquidité pour une
métamorphose générale en lumière dans le registre ouranien.
Une nouvelle série de champs associatifs permit de préciser cette
dynamique : nous voyions se résoudre dans ces différents champs, et dans
cette direction, les tensions repérées dans « femme » et « soleil », nous
voyions s'organiser à propos de tel ou tel concret les substitutions apparues
dans « ciel » et « étoile ». Les mots « fleur », « mer », « nuit », « neige », et
« eau » suffirent à mettre en évidence ce jeu continu de l'écriture rimbal-
dienne tendant à l'universelle métamorphose en lumière.
L'ensemble des registres dont nous disposions alors et cette dyna-
mique d'ensemble nous permettaient d'aborder l'écriture de l' « autre »,
de l'analyser. Nous pouvions retourner aux associations établies par le
poète entre ses mots, en utilisant tout le matériel réuni dans nos différents
champs associatifs.
Il est intéressant de noter que l'établissement de nos constellations de
termes se laisse organiser dans la suite même de la chronologie de l'œuvre,
soit : 1870-1871-1872 et Illuminations (c'est-à-dire à partir de 1872). La
dynamique métamorphosante dans son dernier mouvement d'assomption
dans la lumière culmine dans les Illuminations, auparavant s'organisent
les divers registres dans leurs oppositions et les différentes substitutions
susceptibles de les résoudre. C'est dans la forme du poème en prose que
l'écriture mène à son terme l'évolution associative des mots.
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PARAGRAPHE 1

L e mot « F e m m e » et s o n c h a m p a s s o c i a t i f
d a n s l ' œ u v r e de R i m b a u d

Nous établissons en premier lieu la constellation de termes associés au


mot « Femme » dans l'œuvre de Rimbaud car notre relevé d'ensemble des
apparitions du mot dans les poèmes montre que la plupart des termes
constitutifs de l'écriture de l' « autre » lui sont liés. L'établissement des
champs associatifs des mots « Soleil », « Ciel », « Etoile », l'étude des diffé-
rentes images où apparaît le poète au travers de ces champs montreront la
valeur fondamentale de l'organisation de ces termes autour du mot
« Femme ».
Nous commenterons, en cette première occasion, la cohésion de cha-
cune des séries établies, livrant par là le travail qui préside à l'organisation
du champ associatif. Nous nous en abstiendrons pour les autres mots, afin
d'alléger la présentation. Le point de départ de l'analyse, son organisation
ensuite suivront, dans l'ordre chronologique, les différents textes où le
mot « femme » apparaît (avec majuscule ou minuscule, au pluriel ou au
singulier, précédé de l'article défini ou indéfini) et les différentes séries se
dégageront progressivement, alors que pour l'étude des autres mots nous
partirons directement des séries préalablement constituées.

a) « Sensation » (mars 1870)


La strophe 2 de ce poème :
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j' irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature — heureux comme avec une femme.
permet d'établir le mot « Nature » en association directe avec le mot
femme » : les deux termes sont liés, en effet, par une comparaison : et le
mot « bo hémien » en association indirecte : le « je » du poème comparé au
bohémien va par la nature comparée à une femme, bohémien et femme sont
mis en rapport par l 'action, de plus une structure formelle les lie étroite-
ment : les deux termes apparaissent dans deux comparaisons introduites
par « comme », toutes deux en fin de deux vers contigus.
Le poème Sensation engage une série associative pour le mot « femme »
où n'apparaît aucune tension : bien au contraire le rapport entre les asso-
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ciations directes et indirectes est heureux. Face à la femme-nature nous


trouvons le poète sous l'image d'un bohémien à la marche errante, certes,
mais conquérante : ce qui se marque dans l'emploi du futur et de la pre-
mière personne. Ce « bohémien » est plein d'amour. Dynamisme confiant
et amour apparaissent donc dans cette première série associative.

b) « Soleil et Chair » (avril 1870)


Ce long poème est riche d'associations diverses pour notre mot. Les
premiers vers nous livrent un système qui développe celui que nous avons
repéré dans Sensation :
Le Soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang ;
Que son immense sein, soulevé par une âme,
Est d'amour comme Dieu, de chair comme la femme...
Le mot « terre » est ici associé directement au mot « femme » : le sein
de la terre est de chair comme la femme — la comparaison établit cette
association. La femme-terre de Soleil et Chair est à placer dans le même
groupe que la « femme-nature » de Sensation. Cette « femme-terre » a en
association indirecte le « Soleil » qui verse son amour brûlant. Le système
« femme-terre/soleil » fonctionne comme le groupe « femme-nature/bohé-
mien » : même rapport amoureux, même dynamisme dans ces deux figures.
Cette femme-terre, femme fécondée, est la femme de la fertilité, la déesse-
mère : le sein de la terre, de chair comme la femme, « renferme, gros de
sève et de rayons, / le grand fourmillement de tous les embryons ! ». Cette
femme-terre est à la fois « Vénus » et « Cybèle » : les deux déesses se trouvent
immédiatement invoquées dans la suite du poème :
— 0 Vénus, ô Déesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse...
Je regrette les temps de la grande Cybèle
Qu'on disait parcourir, gigantesquement belle,
Sur un grand char d'airain, les splendides cités;
Son double sein versait dans les immensités
Le pur ruissellement de la vie infinie.
Les termes Femme-terre-Vénus-Cybèle se trouvent ainsi étroitement
associés dans le premier poème de Soleil et Chair. La confusion entre
Cybèle et Vénus, présente dans le grand mouvement oratoire scandé par
l'expression « je regrette... », est encore marquée en fin de cette première
partie :
Oh ! si l'homme puisait encore à la mamelle,
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle;
S'il n'avait pas laissé l'immortelle Astarté
Qui jadis, émergeant dans l'immense clarté
Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume
Montra son nombril rose où vint neiger l'écume...
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Vénus de la mer est assimilée à Gaia, à Cybèle, déesse de la terre .


fusion — outre le fait qu'elle renvoie à un très ancien syncrétisme
surprend pas chez Rimbaud qui dans plusieurs poèmes a orc hes tré
rencontre de la terre et de la mer, un système d 'échange entre ces deux
éléments : ainsi dans l'illumination Marine ou encore dans l' expression la
« terre fond » que nous trouvons dans Qu'est-ce pour nous mon cœur...
Le soleil est en association indirecte dans ce système mais il n 'est pas
le seul terme à fonctionner ainsi dans le groupe. Il faut faire intervenir les
associations indirectes de Vénus et de Cybèle et l'ensemble des mots qui
fonctionnent comme le mot soleil dans ce premier déve loppement du
poème. Nous relevons tout d'abord les satyres et faunes, et Pan
— O Vénus, ô Déesse!
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
Et dans les nénuphars baisaient la Nymphe blonde !
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers !
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre;
Où, baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d 'amour;
Où, debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante...
Sous l'invocation à Vénus nous voyons satyres, faunes et Pan « verser »
l'amour à la terre ravie : qu'il s'agisse des rameaux, de la nymphe surprise
dans les nénuphars, du sol ou de la nature vivante : tous ces termes sont en
association médiate avec le soleil. Ils rejoignent donc en association indi-
recte notre ensemble : femme - terre - Vénus - Cybèle. Nous obtenons la
série : femme - terre - Vénus - Cybèle / Soleil - Satyres - faunes - Pan, qui
ne fait que développer la série repérée dans Sensation : femme - nature /
bohémien. On peut ajouter, enfin, à cette suite d'associations indirectes, le
mot « homme », « homme » à la fois « petit enfant », « fort », « chaste » et
« doux ». Nous lisons, en effet, que « l'Homme suçait heureux » la « mamelle
bénie » de Cybèle, « Comme un petit enfant ». Alors : « Parce qu'il était fort,
l'Homme était chaste et doux ». Que l' « Homme » soit alors enfant — ce
qui le rattache encore au bohémien de Sensation — se comprend aisément
de ce que Cybèle comme Vénus sont célébrées dans ce texte comme
« mères » :
Grande mère des dieux et des hommes, Cybèle
Je crois en toi ! je crois en toi ! Divine mère
Aphrodité marine!...
qu'il soit simultanément « fort, chaste et doux » se comprend encore dans
ce contexte puisque le rapport qui lie le soleil, les satyres, les faunes et Pan
à la terre, à la nature et à la femme est un rapport de possession heureuse
où s'expriment l'épanouissement et la joie. Mais ces qualificatifs trouvent
leur commentaire complet dans la deuxième partie du poème.
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On peut immédiatement noter que dans la suite du poème la série


Femme - terre - Vénus - Cybèle est développée encore par « fleur » : nous
lisons en effet vers 48 :
Chair, Marbre, Fleur, Vénus, c'est en toi que je crois !
et au début de la quatrième partie du poème :
Kallipyge la blanche et le petit Eros
Effleureront, couverts de la neige des roses,
Les femmes et les fleurs sous leurs beaux pieds écloses !
« fleur » est associé directement à la fois à Vénus et à « femme ». Mais cette
série qui s'enrichit encore des mots « idole » et « virginité » s'oppose dans la
deuxième partie de Soleil et Chair à un nouveau système d'associations qui
ne rencontre en rien celui que nous cernons depuis Sensation. Nous lisons :
Et l'Idole où lu mis tant de virginité,
où tu divinisas notre argile, la Femme,
Afin que l'Homme pût éclairer sa pauvre âme
Et monter lentement, dans un immense amour,
de la prison terrestre à la beauté du jour,
La Femme ne sait plus même être courtisane !
La femme idole et virginité s'oppose à la femme courtisane. Si la pre-
mière série rejoint notre système, avec en association indirecte l'homme qui
« éclaire sa pauvre âme », la seconde introduit une qualification nouvelle
avec en association indirecte l'homme enfermé dans la « prison terrestre »
et incapable d'accéder à la « beauté du jour ». C'est cet homme qui s'oppose
à l'homme-enfant à la fois fort, chaste et doux de notre groupe initial.
Tel est l'homme de ce monde face à la femme de ce monde :
Oui, l'Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste
Il a des vêtements, parce qu'il n'est plus chaste,
Parce qu'il a sali son fier buste de dieu,
Et qu'il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps Olympien aux servitudes sales !
couple en tout point opposé à celui de la femme - Vénus - Cybèle en
rapport avec le soleil et Pan, avec l'Homme de la lumière, de la force et
de la chasteté.
Nous verrons toute la portée de cette opposition et combien elle nous
permettra d'éclairer la dynamique de l'écriture de l' « autre ».
Soleil et Chair fait apparaître deux séries d'associations bien structurées :
— groupe de la clarté : « Femme - Terre - Vénus - Cybèle - Fleur - Idole -
Virginité / Soleil - Satyres - Faunes - Pan - Homme fort - Homme-
enfant ».
Le rapport entre ces termes est amoureux et harmonieux et rejoint le
groupe repéré dans Sensation : « Femme-Nature / Bohémien ».
— groupe obscur : « Femme-courtisane / Homme rabougri en quête de
Lumière.
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c) « Les Sœurs de Charité » (printemps 1871)


La série associative que nous livre ce poème développe le second groupe
repéré dans Soleil et Chair. Nous relèverons tout d'abord les associations
directes contenues dans le texte :
Mais, ô Femme, monceau d'entrailles, pitié douce,
Tu n'es jamais la Sœur de Charité, jamais ;
Ni regard noir, ni ventre où dort une ombre rousse,
Ni doigts légers, ni seins splendidement formés.
Aveugle irréveillée aux immenses prunelles,
Tout notre embrassement n'est qu'une question :
C'es toi qui pends à nous, porteuse de mamelles,
Nous te berçons, charmante et grave Passion.
Tes haines, les torpeurs fixes, tes défaillances,
Et les brutalités souffertes autrefois,
Tu nous rends tout, ô Nuit pourtant sans malveillances,
Comme un excès de sang épanché tous les mois.
« Aveugle », « Passion », « Nuit » — termes apposés à « Femme » — sont
en association directe avec notre mot.
A cette femme s'oppose un « jeune homme » qualifié de façons diverses :
il est « adoré » par un « Génie inconnu » en « Perse », « pareil aux jeunes
mers, pleurs des nuits estivales / Qui se retournent sur des lits de dia-
mants », la « question » qu'il pose à la femme reste sans réponse. Le jeune
homme congédie cette femme. Alors :
Viennent la Muse verte et la justice ardente
Le déchirer de leur auguste obsession.
Le « sombre savant d'orgueil » ne trouve pas de réponse à son exigence
d'amour science, il ne lui reste plus qu'à souhaiter la mort.
Nous obtenons ainsi le couple antagoniste : « Femme - Aveugle - Pas-
sion - Nuit / jeune homme adoré par un Génie de Perse - Jeunes Mers
pleurs des nuits estivales - Question - Amour - Muse verte - Justice
ardente - Science ».
N o us pouvons rapprocher cette série du pôle obscur repéré dans Soleil
eC
tha:ri « Femme - courtisane / Homme en quête de lumière ». Dans
SoeC
ltiharil a femme est un obstacle pour l'homme en quête de lumière.
L esSœurs de Charité constitue un réquisitoire contre cette femme : le
j eunehomme rejette avec mépris sens pouvoir cependant atteindre la

science .Ilsedessine donc dans le champ associatif du mot « Femme » une


seconde figure féminine, opposée en tout point à celle de la femme-terre :
nous appelerons cette série, celle de la « femme-nuit ». Le champ associatif
d u m o t em f me présente un conflit entre deux séries associatives : la série
constitutive du groupe « femme-terre » marquée par un rapport amoureux
entre les associations directes, et médiates d'une part et les associations
nidreicets del'autre, de l' autre, et la série constitutive du groupe « femme-nuit »
marquée par une tension entre les unes et les autres, tension qui se traduit
par le rejet et le mépris.
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d) « Les Premières Communions » (juillet 1871)


Dans la huitième partie du poème, la « première communiante »
devenue jeune femme dit à son amant :
... Oh! je veux qu'on me couche
Parmi les Morts des eaux nocturnes abreuvés
elle définit alors la situation de la femme face aux hommes :
Hommes ! qui songez peu que la plus amoureuse
Est, sous sa conscience aux ignobles terreurs,
La plus prostituée et la plus douloureuse...
Le scrupule religieux de la femme l'empêche de rejoindre l'homme dans
l'amour physique. La femme doit donc être rangée parmi les « Morts des
eaux nocturnes abreuvés », femme qui se juge comme prostituée. Nous
pouvons ranger cette association médiate du mot « femme » dans la série
de la femme-nuit, femme-courtisane relevée dans Soleil et Chair et Les
Sœurs de Charité : la morte abreuvée d'eau nocturne ne peut plus répondre
à l'amour de l'homme, de même que l'aveugle, la femme-nuit ne peut
satisfaire le jeune homme ni la courtisane élever l'homme à la lumière.
Notre association médiate fait intervenir de plus dans cette série de
l'obscurité un liquide sombre, une eau de la nuit. Reste à l'amant à « rêver
au blanc million des Maries ». Face à la femme-nuit l'homme apparaît
donc déçu, en rupture avec cette trahison de la grande Vénus. Rêveur de
clarté, il n'a rien à attendre de cette femme.

e) « Mémoire » (printemps 1872)


Dans ce poème s'organise une troisième série associative autour du
mot « femme » : le liquide, apparu dans l'association médiate de la femme-
nuit, est ici l'élément essentiel.
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes;
La soie, en foule et de lys pur, des oriflammes
sous les murs dont quelque pucelle eut la défense;
l'ébat des anges ; — Non...
Les corps de femmes constituent une équivalence de l'eau claire.
« Femme » est alors lié directement à « blancheur » et « assaut au soleil ».
Nous obtenons la série : « Femme - blancheur - assaut au soleil - eau claire »
termes tous en association directe, et nous pouvons rapprocher les autres
équivalences de l'eau claire : « soie, lys, oriflamme, pucelle, ange » et « sel
des larmes d'enfance ».
Le rapport amoureux qui existe entre cette femme - eau claire et le
soleil nous rappelle l'heureux dynamisme qui se manifeste entre la femme -
terre - nature et le soleil. On ne peut cependant regrouper cette série avec
le groupe de Sensation et de Soleil et Chair, les associations indirectes, en
effet, établissent cette nouvelle série dans sa spécificité. A l'eau claire le
poème Mémoire oppose le courant d'or et ses diverses associations :
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... Non... le courant d'or en marche,


meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe — Elle
sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel de lit, appelle
pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche.
Le courant d'or aux bras d'herbe noirs, en harmonie avec un « Ciel
bleu » qui est « ciel de lit », et avec l'ombre associée à des rideaux, s'oppose
donc brutalement à l'eau claire qui vient d'être évoquée. Deux strophes
plus bas le « courant d'or » admet pour équivalence :
Le souci d'eau — t a foi conjugale, ô l'Epouse! —
qui « de son terne miroir, jalouse / Au ciel gris de chaleur la Sphère rose
et chère ».
A l'eau claire qui, comme la terre, est en rapport harmonieux avec le
soleil, s'oppose un courant d'or - souci d'eau qui jalouse l'astre de vie.
Ce courant d'or - souci d'eau, foi conjugale de l'Epouse, s'identifie ensuite
à Madame (dans laquelle on reconnaît généralement la mère du poète) :
Madame se tient trop debout dans la prairie
prochaine où neigent les fils du travail; l'ombrelle
aux doigts ; foulant l'ombrelle; trop fière pour elle;...
... Hélas, Lui, comme
mille anges blancs qui se séparent sur la route,
s'éloigne par-delà la montagne ! Elle, toute
froide, et noire, court ! après le départ de l'homme!
Le soleil - homme abandonne Madame - rivière, froide et noire, le
courant d'or au ciel de lit et au rideau, le courant d'or - souci d'eau, foi
conjugale de l'Epouse, contraire même de l'eau claire assaut au soleil.
Dernier élément associé à ce courant d'or : le poète lui-même, en fin
de poème, sous l'image du canot immobile :
Jouet de cet œil d'eau morne, je n'y puis prendre,
ô canot immobile! oh! bras trop courts! ni l'une
ni l'autre fleur : ni la jaune qui m'importune,
là; ni la bleue, amie à l'eau couleur de cendre...
Mon canot, toujours fixe; et sa chaîne tirée
Au fond de cet œil d'eau sans bords — à quelle boue ?
Nous obtenons ainsi pour le poème Mémoire le système suivant :
« Femme - eau claire - blancheur - assaut au soleil - sel des larmes d'en-
fance - soie - lys - oriflamme - pucelle - ange / Courant d'or - bras noirs - ciel
bleu-ciel de lit-ombre-souci d'eau-épouse-madame-canot immobile. »
Cette eau sombre opposée à l'eau claire fait songer à la femme-nuit dont
la série laisse apparaître les « eaux nocturnes », tandis que l'eau claire et
son assaut au soleil évoqueraient la femme-terre. Les trois séries que nous
voyons apparaître dans le champ associatif du mot « femme » ne sont donc
pas fermées totalement sur elles-mêmes. Chacune, cependant, a sa spéci-
ficité : à une femme - eau claire s'oppose une Epouse et Rimbaud canot
immobile, alors que la femme - terre s'ouvre large à la marche conqué-
rante de Rimbaud - bohémien et que le jeune homme orgueilleux — autre
figure du poète — rejette la femme-nuit.
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f) « Les Déserts de l'Amour », second rêve (1871 ou 1872)


Celle fois, c'est la Femme que j'ai vue dans la ville, et à qui j'ai
parlé et qui me parle... et elle mondaine qui se donnait... alors la
femme disparut... je fus devant les vitrages de là où elle va, tous les
soirs... Elle n'est pas revenue, et ne reviendra jamais, l'Adorable
qui s'était rendue chez moi...
L'action et le décor propres à la « Femme » du rêve nous livrent « parole »
et « vitrage » en association directe : cette femme « mondaine » est « ado-
rable ». Elle se livre et le rêveur ne peut répondre à l'invite, elle devient
alors insaisissable à jamais.
La parole de cette femme l'oppose au silence de la femme-nuit.
« Vitrage » suggère la transparence et nous fait songer à l'eau claire,
d'autant plus que le poète face à cette femme nous apparaît lié à la nuit et
étouffant dans la neige — doublet du canot immobile de Mémoire :
Je sortis dans la ville sans fin. 0 fatigue! Noyé dans la nuit
sourde et dans la fuite du bonheur. C'était comme une nuit d'hiver,
avec une neige pour étouffer le monde décidément. Les amis, auxquels
je criais : où reste-t-elle, répondaient faussement. Je fus devant les
vitrages de là où elle va tous les soirs...
L'opposition est nette entre le décor extérieur de nuit et de neige étouf-
fante qui est celui du poète et ces vitrages derrière lesquels se trouve la
femme désirée et inaccessible. Dans Mémoire, de même, le « je » canot
immobile prisonnier de l'eau sombre a les bras trop courts et ne peut
cueillir les fleurs qui l'attirent. Même misère et même désespoir dans les
deux textes :
Je courais dans un jardin enseveli. On m'a repoussé. Je pleurais
énormément, à tout cela. Enfin, je suis descendu dans un lieu plein
de poussière, et, assis sur des charpentes, j ' a i laissé finir toutes les
larmes de mon corps avec cette nuit.
Jardin enseveli, lieu plein de poussière, prostration dans la nuit :
autant d'éléments parallèles à l'ancre du canot retenue au fond de l'eau
« à quelle boue ? ».
La femme qui parle, la femme au vitrage dans Les Déserts de l'Amour
peut donc être rangée dans la série de la femme - eau claire. Ce mot
« vitrage » est d'ailleurs associé à l'eau claire dans un autre texte de
Rimbaud, Après le Déluge, où le poète évoque une « grande maison de
vitres encore ruisselante » de l'eau claire du déluge.
Notre texte permet de préciser le rapport entre les associations directes
et médiates, d'une part, et les associations indirectes de la série « femme -
eau claire ». Il y a impuissance et stagnation du côté de l'eau sombre. Nous
cernons, ici, le milieu privilégié de l'angoisse du poète. Face à la femme -
eau claire le poète se trouve associé à « madame » sous l'image du canot
ou de l'étouffement et de l'ensevelissement. Il s'exprime, ici, un désir qui
ne peut recevoir de réponse.
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g) « Bottom » (« Illuminations »)
Le mot « femme » n'est pas présent dans ce poème en prose de Rimbaud,
nous pouvons, cependant, repérer certaines associations médiates pour
notre terme.
On peut noter, en effet, une similarité de rapport entre le poète et la
« femme » du second rêve des fragments Les Déserts de l'Amour, et celui
du « je » de l'illumination avec Madame. Dans les deux textes le héros
n'arrive pas à posséder la femme qui s'offre : qu'il se traîne sans vigueur
sur un tapis dans un cas, ou qu'il se tienne « gros ours » au pied du lit à
baldaquin de la dame dans l'autre, après avoir traîné l'aile « en gros
oiseau gris bleu... dans les ombres de la soirée ». Même fuite dans les deux
cas après l'échec : dans la nuit ou la neige, ou sous forme d'âne « clairon-
nant et brandissant son grief ». Même chagrin, qu'il s'exprime par des
larmes ou que le poil de l'ours soit « chenu de chagrin ».
Madame de Bottom présente donc la même série sémantique en asso-
ciation indirecte que la femme du second rêve. La liquidité et l'éclat ne
sont d'ailleurs pas absents du décor qui entoure Madame : il est question de
« cristaux », « d'argent » et d' « aquarium ardent » dans la chambre.
Madame est associée directement à « réalité » dans le poème en prose :
« La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère, — je me
trouvai néanmoins chez Madame. » « Néanmoins » établit le rapport entre
« réalité » et « Madame ». « Madame - réalité » a en association indirecte le
« grand caractère » du poète.
Cette association indirecte parait sémantiquement en contradiction
avec l'ensemble que nous avons repéré face à la femme - eau claire. Tous
les termes disaient, en ce lieu, la douleur, la stagnation, la question déses-
pérée. « Grand caractère » (expression qui peut ici être ironique) nous
renvoie plutôt aux associations indirectes de la femme-nuit où nous
voyons le « jeune homme » signifier orgueilleusement son congé à la femme.
Le système défini dans Bottom nous indique donc que nous ne devons
Pas être dupes des séries que nous avons établies. Elles ne fonctionnent pas
isolément les unes par rapport aux autres. Un jeu d'échange apparaît
de l' une à l'autre — ce que nous indiquait déjà l'association médiate
relevée dans Les Premières Communions où l'on voyait la femme-nuit
mêlée à la liquidité sombre qui s'oppose à la femme - eau claire. Nous
remarquons ici que les associations indirectes de la femme - eau claire peu-
vent rencontrer celles de la femme-nuit. Chaque série a un dynamisme qui
lui est propre, mais il existe également un dynamisme d'une série à l'autre.
Le champ associatif du mot « femme » s'organise donc, à travers
ensemble de l'œuvre de Rimbaud, selon trois grandes séries :
1) La série de la « femme-terre » avec en association indirecte le poète sous
l' image du bohémien à la marche amoureuse et conquérante (1870).
2) La série de la «Femme-Nuit »avec en association indirecte un jeune homme
orgueilleux qui lui signifie son congé (série développée surtout en 1871).
3) La série de la « Femme - Eau claire » avec en association indirecte
Rimbaud et son adoration impuissante. Madame, la mère du poète,
froide et noire, se mêle à cette série (1872).
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On peut reconnaître facilement à travers ces séries certaines images


archétypiques de la femme. Nous avons vu que les deux derniers groupes
présentent plusieurs points de coïncidence. Au niveau archétypique la
femme-nuit et la femme - eau sombre ne font qu'un, femme à la fois
courtisane et castratrice : image de la mère terrible, telle que Gilbert
Durand a pu l'analyser. « Madame » qui de son ombrelle « foule » l'ombelle
« trop fière pour elle » est directement liée à l'eau sombre qui engloutit le
poète et l'empêche de rejoindre la femme - eau claire qu'il désire. Quant à
la série de la femme-nature elle projette « la grande image maternelle par
le moyen terme de la substance, de la materia primordiale tantôt marine,
tantôt tellurique ». Cybèle et Vénus sont convoquées dans cette série.
M. G. Durand cite Przyluski qui, par l'analyse étymologique, relie la
grande déesse Artémis-Ardvi et Tanaï-Danaï : on toucherait alors à une
réalité commune préaryenne et présémitique, déesse personnifiant à la fois
la terre féconde et les eaux fertilisantes : Terre mère et Vénus marine. Cet
« abyssus féminisé et maternel... est l'archétype de la descente et du retour
aux sources originelles du bonheur ». Le champ associatif s'inscrit donc
dans des registres précis de l'imaginaire.
L'organisation de ces diverses images de la femme au travers de
l'œuvre de Rimbaud peut suggérer encore l'analyse établie par
M. G. Deleuze de la femme dans le masochisme : entre l'image de la païenne
(la femme-nature) et de la sadique (femme-nuit) l'image privilégiée du
masochiste est celle de la femme glace (la femme - eau claire). Nous verrons
que l'illumination Fairy est une image très exacte de la femme du maso-
chiste, telle que M. G. Deleuze a pu la décrire.
Notre champ associatif permet de définir le contexte où apparaît l'an-
goisse du poète : c'est-à-dire la liquidité sombre ; le registre de la femme face
auquel il peut se redresser fièrement : celui de la femme-nuit, femme-
courtisane, Vénus de ce monde dégénérée et méprisable, qui ne peut plus
apporter à l'homme l'amour ni la science ; le groupe, enfin, où l'homme-
enfant associé au soleil connaît un rapport harmonieux avec la femme -
Cybèle - Vénus. Cette organisation fait apparaître le dynamisme propre du
mot femme dans l'œuvre de Rimbaud : selon les mots qui lui sont associés
peut se manifester soit l'angoisse du poète, soit la joie, soit la démarche
du « grand caractère ». Un système d'échange existe entre les différentes
séries : Rimbaud peut s'arracher à la stagnation qu'il connaît face à la
femme - eau claire en se dissociant de l'eau sombre, qui n'est plus que
celle de la femme-nuit, de la femme de ce monde que l'on peut rejeter.
Il conviendra d'examiner dans la suite de notre travail quels peuvent être
les rapports entre le « jeune homme » « sombre savant d'orgueil » dans Les
Sœurs de Charité et le bohémien solaire de la femme-nature.
On a remarqué que la femme-nature et la femme - eau claire sont en
rapport harmonieux avec le soleil, que dans un cas le poète se reconnaît
dans le soleil, alors que dans l'autre le divorce s'établit : Rimbaud parti-
cipant de l'eau sombre est abandonné par la « Sphère rose et chère ».
L'établissement du champ associatif du mot soleil doit nous permettre
de préciser cette tension. Notre lecture du champ associatif du mot femme
nécessite l'établissement d'autres constellations.
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FEMME
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PARAGRAPHE 2

L e mot « Soleil » et s o n c h a m p a s s o c i a t i f
d a n s l ' œ u v r e de R i m b a u d

Le champ s'organise selon les rapports que le mot « Soleil » entretient


avec deux associations indirectes fondamentales : c'est-à-dire le mot
« Terre » et le mot « Eau ». La plupart des associations directes, indirectes
ou médiates se laissent regrouper dans ces deux directions. Deux groupes
échappent à ce système : dans l'un nous relevons une série d'associations
directes qui qualifient banalement le soleil, dans l'autre — toujours sur le
mode direct — une série très originale. Il ne se présente alors aucun rap-
port particulier entre ce soleil et la terre ou l'eau.
Nous dégagerons immédiatement le groupe autonome d'associations
qui disent le soleil dans sa lumière, sa chaleur ou sa force. On peut relever
ici trois associations directes :
— Dans le premier texte en prose de 1864 : Le soleil était encore chaud,
on lit :
... le soleil, flambeau terrestre, s'éteignait en laissant échapper
de son corps de feu une dernière et faible lueur...
En dehors de l'apposition, toute conventionnelle, on établit « corps
de feu » en association directe avec « soleil ».
— Dans L'Orgie Parisienne de 1871 :
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares
« soleil » a en association directe : « poumons ardents ».
— Dans Une Saison en Enfer, enfin, on peut lire :
Je me traînais dans les ruelles puantes et, les yeux fermés, je
m'offrais au soleil, dieu de feu
« dieu de feu » par l'apposition est donc lié à « soleil ».
Ces associations nous permettent de situer le « ciel » en association
médiate avec notre mot.
Le ciel de Rimbaud est, en effet, par nature, clair et flamboyant.
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Lorsqu'il est noir c'est qu'il est occupé par la nuit : ainsi dans Les Pre-
mières Communions :
La Nuit vient, noir pirate aux cieux d'or débarquant.
L'or est la couleur propre du ciel, le noir lui vient d'un autre élément
qui se glisse en lui.
Les qualifications du ciel rimbaldien sont les suivantes :
Le Bateau Ivre :
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braise
Moi qui trouais le ciel rougeoyant...
Quand les juillets faisaient crouler à coups de trique
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs...
Michel et Christine :
Mais moi, Seigneur, voici que mon Esprit vole,
Après les cieux glacés de rouge...
Villes I :
Sur les passerelles de l'abîme et les toits des auberges l'ardeur
du ciel pavoise les mâts.
Cette similitude des associations directes du mot « ciel » et du mot
« soleil » nous permet de placer « ciel » en association médiate avec le
« soleil ». Nous verrons, en établissant le champ associatif du mot « ciel »,
que ce mot fonctionne pour une part de la même façon que le mot « soleil ».
Nous obtenons donc en première série dans notre constellation :
« Soleil - Corps de feu - Poumons ardents - Dieu de feu - Ciel (associa-
tion médiate).
Envisageons, maintenant, le grand système associatif du mot « soleil »
lorsqu'il est en association indirecte avec le mot « terre ».

I / Le mot « Soleil » dans son association indirecte


avec le mot « Terre »

Nous analyserons, tout d'abord, les associations directes de notre


terme dans cette relation, puis les associations médiates.

a) Associations directes
On lit dans Soleil et Chair :
Le soleil, le foyer de tendresse et de vie,
Verse l'amour brûlant à la terre ravie,
Et, quand on est couché sur la vallée, on sent
Que la terre est nubile et déborde de sang...
Le « Soleil » apparaît donc comme « le foyer de tendresse et de vie », il
porte en lui « l'amour » que reçoit avidement la terre.
L'association du mot « amour » avec « Soleil » n'est pas seulement liée
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au rapport entre le soleil et la terre, nous la retrouvons, par exemple, en


dehors de ce contexte, dans Les Mains de Jeanne-Marie :
Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d'amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
A travers Paris insurgé!

b) Associations médiales
On relève un grand nombre d'associations médiates pour le mot
« soleil » dans son rapport avec la terre.
Dans Soleil et Chair :
Je regrette les temps où la sève du monde,
L'eau du fleuve, le sang rose des arbres verts
Dans les veines de Pan mettaient un univers!
Où le sol palpitait, vert, sous ses pieds de chèvre;
Où baisant mollement le clair syrinx, sa lèvre
Modulait sous le ciel le grand hymne d'amour ;
Où debout sur la plaine, il entendait autour
Répondre à son appel la Nature vivante...
Pan frappe du pied le sol qui répond de façon vivante à cette secousse,
il chante l'amour à la Nature qui reprend son chant : il se présente donc
comme un équivalent du soleil qui verse l'amour brûlant à la terre ravie.
Au groupe « Soleil/Terre » répond le groupe « Pan/Nature ».
Il faut donc rapprocher également de notre mot, « Satyres » et «Faunes »,
autres figures de Pan dans le même développement :
Je regrette les temps de l'antique jeunesse,
Des satyres lascifs, des faunes animaux,
Dieux qui mordaient d'amour l'écorce des rameaux
El dans les nénufars baisaient la nymphe blonde !
La morsure et le baiser, l'écorce des rameaux et la nymphe corres-
pondent au sol palpitant sous le pied de Pan, à son chant d'amour qui est
baiser (« baisant mollement le clair syrinx ») et à la nature « vivante »
qui répond à son appel.
Soleil et Chair nous donne une dernière association médiate :
Le grand ciel est ouvert ! Les mystères sont morts
Devant Homme, debout, qui croise ses bras forts
Dans l'immense splendeur de la riche nature !
Il chante... et le bois chante, et le fleuve murmure
Un chant plein de bonheur qui monte vers le jour!...
C'esl la rédemplion ! c'est l'amour! c'est l'amour !...
Cet « homme debout » est une autre image de Pan et du soleil : nous
retrouvons, en effet, ce même chant d'amour repris en chœur par la nature.
En dehors du système liant le soleil à la terre, on trouve d'ailleurs dans
Le Forgeron l'homme « fier et fort » en association avec le soleil :
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Nous allions, fiers et forts et ça nous battait là...


Nous marchions au soleil, front haut — comme cela —
Dans Paris ! On venait devant nos vestes sales.
Enfin ! Nous nous sentions Hommes !...
Soleil et Chair nous permet donc d'établir la série suivante : « Soleil,
Tendresse, Vie, Amour, Pan, Satyre, Faune, Homme debout / Terre -
Femme - Nature. »
L'œuvre de Rimbaud nous présente diverses autres figures solaires
— toutes, donc, associées médiatement à notre mot. Le bohémien de
Sensation dans sa marche amoureuse par la nature-femme est une image
solaire comparable à celle des faunes et satyres de Soleil et Chair.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme.
Le faune de Tête de Faune est à ranger dans la même série :
Un faune effaré montre ses deux yeux
Et mord les fleurs rouges de ses dents blanches.
Brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux,
Sa lèvre éclate en rires sous les branches.

De même que les faunes de Soleil et Chair mordaient l'écorce des


rameaux et baisaient la nymphe blonde, celui-ci mord les fleurs rouges.
La lèvre de ce faune est « brunie et sanglante ainsi qu'un vin vieux ». Ce
vin est associé à la vigueur dans Ma Bohème :
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur...
« Vin » et « vigueur » participent aux images du faune et du bohémien,
renvoient à la force du soleil. Le bohémien de Ma Bohème est lié à l'image
solaire — sans en représenter comme celui de « Sensation », nous le verrons,
un pur équivalent : le décor de la « fantaisie » est tout différent de celui du
bohémien dans la nature-femme.
Associé également à la série — mais faisant intervenir d'autres élé-
ments qu'il faudra préciser — nous trouvons le « Fils de Pan » de l'illu-
mination Antique :
Gracieux fils de Pan ! Autour de ton front couronné de fleurettes
et de baies tes yeux, des boules précieuses, remuent. Tachées de lies
brunes, tes joues se creusent. Tes crocs luisent. Ta poitrine ressemble
à une cithare, des tintements circulent dans les bras blonds. Ton
cœur bal dans ce ventre où dort le double sexe...

Image du faune, image solaire, le « fils de Pan » porte sur ses joues les
marques de la vigueur : « lies brunes », et ses crocs luisent comme les dents
blanches éclatantes du faune de Tête de Faune. La notation nouvelle est
celle du double sexe, et l'on apprend ensuite qu'il s'agit, comme dans Ma
Bohème, d'une promenade nocturne : « Promène-toi, la nuit, en mouvant
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doucement cette cuisse, cette seconde cuisse et cette jambe de gauche. »


De toute évidence Ma Bohème et Antique font intervenir des éléments
nouveaux dans l'image solaire. Nous pouvons les placer en association
médiate avec le soleil, mais ils renvoient simultanément à d'autres
associations.
L'illumination Vagabonds nous permet de ranger dans cette série le
« fils du soleil », que serait déjà Rimbaud, état dont il voudrait faire
bénéficier aussi Verlaine :
« J'avais en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de le
rendre à son état primitif de fils du Soleil, et nous errions, nourris du vin
des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la
formule. » Le vin marque encore ce couple d'errants en quête d'une filiation
pure avec le soleil.
L'expression « étincelle d'or de la lumière nature » que nous trouvons
dans Alchimie du verbe appelant l'or, la lumière et le mot nature fait partie
du système que nous établissons, mais comme dans Ma Bohème ou Antique
il s'agit d'un ensemble complexe où l'obscurité est convoquée (« J'écartai
du ciel l'azur qui est du noir ») : l'image solaire est ici complexe.
Le mot « Soleil » dans son rapport avec le mot « terre » présente donc :
— en association directe : « Tendresse - Vie - Amour » ;
— en association médiate : « Pan - Satyres - Faunes - Homme debout -
Bohémien - Faune (Tête de Faune) - Vin - Vigueur - Fils de Pan - Fils
du Soleil - Etincelle d'or de la lumière nature ».

Dans ce système la Terre a pour synonymes constants : Femme et


Nature.
On peut remarquer que dans ce système le poète apparaît comme exact
équivalent du soleil sous les traits du « bohémien » de Sensation. Il est
marqué par le vin et la vigueur, comme les faunes ou le fils de Pan, dans
Ma Bohème ou Vagabonds. Il devient « étincelle d'or de la lumière nature ».
Dans cette série solaire le poète connaît donc une certaine aisance : il
peut s'assimiler au soleil. Mais certaines figures de cette série confrontent
l'obscurité à l'éclat et l'image devient alors plus complexe : l'étoile se
dessine. Etoile dans Ma bohème :
... Mon auberge était à la Grande-Ourse.
— Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur...
Etoile liée à l' « étincelle d'or » d'Une Saison en Enfer. Et l'on peut se
demander si le fils de Pan de l'illumination Antique n'est pas une sorte
d'étoile dans la nuit : il retient, en effet, toutes les notations lumineuses
dans ce nocturne, ses yeux sont des boules précieuses, ses joues sont
tachées de lie brune et ses crocs luisent dans l'obscurité.
Lorsque l'obscurité apparaît, l'image solaire se mêle donc à l'image
stellaire. Le rapport dynamique qui dans la clarté existe entre le soleil
et la terre, Pan et la nature, les faunes et les fleurs, tend à disparaître dans
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le nocturne : le bohémien de Ma Bohème écoute assis les étoiles, le fils de


Pan a le double sexe et promène dans la nuit, en quelque sorte, son
autosuffisance. Ces éléments montrent donc l'intrusion dans le rapport
soleil - terre d'autres registres : intrusion qui nous intéresse au premier
chef puisqu'elle témoigne de ce dynamisme qui agit entre nos séries
associatives et qui doit nous renseigner sur la dynamique de l'écriture
rimbaldienne. Il nous faudra donc interroger le mot « Etoile » dans l'en-
semble du vocabulaire rimbaldien.
Nous pouvons faire ici une première remarque : la vigueur est associée
aux différentes images associées médiatement au soleil dans son rapport
avec la terre, cette vigueur est elle-même liée à l'étoile — mais cette fois
dans un rapport avec l'eau. On lit, en effet, dans Le Bateau Ivre :
J ' a i vu des archipels sidéraux! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
— Est-ce en ces nuits sans fond que tu dors et t'exiles
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?
la future « vigueur » est donc liée directement aux étoiles, « million
d'oiseaux d'or ». Il existe donc un rapport entre l'étoile et le soleil, mais
il nous faut changer d'élément : passer de la terre à l'eau. G. Bachelard
a relevé le même passage chez Poe, en analysant justement l'île - étoile,
« star - isle » : « On ne donnera jamais trop d'attention à ces doubles images
comme celle d'île - étoile dans une psychologie de l'imagination. Elles sont
comme des charnières du rêve qui, par elles, change de registre, change
de matière. Ici, à cette charnière, l'eau prend le ciel... » (L'Eau et les
Rêves). Le système associatif liant le soleil à l'eau nous apportera quelques
éléments de réponse.

II / Le « Soleil » dans son association indirecte


avec le mot « E a u »

Nous repérons cette association dans trois textes de Rimbaud : Le


Dormeur du Val, Mémoire et Belh-Saida.

a) « Le Dormeur du Val »
En association directe avec l'eau claire — le soleil et l'eau claire ont
a même fonction grammaticale dans la phrase —, le soleil s'oppose au
dormeur du val étendu mort dans l'herbe :
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent, où le soleil, de la montagne fière,
Luit; c'est un petit val qui mousse de rayons.
Le soleil resplendissant accompagné de l'eau claire ivre de mouvement
s'opeosoppose au soldat mort, définitivement immobile. Cette liaison entre le
soleil et l'eau claire se retrouve dans Mémoire : l'eau claire est associée tout
d abord à « l'ébat des anges », puis le soleil assimilé à « milles anges blancs ».
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b) « Mémoire »
Dans la première strophe du poème le « soleil » est en rapport avec
l'eau claire, dans la suite il l'est avec l'eau sombre.
— Rapport avec l'eau claire :
Le mot « Soleil » est en association indirecte avec « blancheurs des corps
de femme », expression associée directement à « eau claire ».
L'eau claire; comme le sel des larmes d'enfance,
L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes
Cette relation de l'eau claire au soleil est dynamique : il y a assaut de
la femme et de l'eau claire vers le soleil. Assaut présent encore dans le
poème L'Eternité, il ne s'agit plus là de l'eau claire mais de la mer :
Elle est retrouvée
Quoi ? — L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
L'eau claire, signe de vie dans Le Dormeur du Val, comme le soleil,
se trouve donc appelée par celui-ci. J. P. Richard a remarqué le dynamisme
de bas en haut du déluge dans l'œuvre de Rimbaud :
Eaux et tristesses, montez et relevez les déluges
lit-on dans l'illumination Après le Déluge et dans Enfance I il est question
du déluge qui « sourd des prés ». Ce déluge est d'eau claire : « clair déluge »
est-il dit dans cette dernière illumination. Ce rapport de l'eau claire avec
le soleil n'est pas sans rappeler celui de la terre avec l'astre : la terre
frémit en recevant l'amour du soleil. Une nuance cependant : l'eau claire
est animée d'un dynamisme plus puissant, il s'agit d'un véritable jaillis-
sement vers le soleil. On peut noter que le passage de l'élément terre à
l'élément eau est un passage à l'eau claire dans cette poésie : dans Qu'est-ce
pour nous mon cœur...
O malheur ! je me sens frémir, la vieille terre,
Sur moi de plus en plus à vous ! la terre fond.
la terre devient eau à la fin d'un poème de révolte où Rimbaud souhaite
la fin de notre monde misérable. Cette liquéfaction est à rapprocher du
déluge invoqué dans Après le Déluge pour détruire notre civilisation — et il
s'agit d'eau claire.
L'illumination Marine mêle de façon continue la terre et la mer :
Les chars d'argent et de cuivre —
Les proues d'acier et d'argent —
Battent l'écume, —
Soulèvent les souches des ronces...
Cette eau associée sans cesse à la terre est assimilée à des « tourbillons
de lumière ».
Il y a donc un rapport entre la terre et l'eau claire chez Rimbaud. Ces
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Peu importe que le texte de Rimbaud se rebelle toujours


contre toutes ses lectures. Et c'est plutôt tant mieux. Le lecteur
doit bien reconnaître sa part.
Cette nouvelle lecture s'efforce de bien distinguer dans une
production si diverse ce qui est de l'ordre du discours et ce qui a
pour intention de nous faire entrer dans une « comédie magné-
tique » propre à nous métamorphoser, à nous faire sentir l'homme
nouveau.

Mais si l'illumination tend à cet effet, c'est qu'elle métamor-


phose le poète lui-même. Telle est la dynamique que l'on étudie
ici en premier lieu. Le champ associatif défini par l'auteur n'est
ni un thème, ni un « réseau associatif » comme pouvait l'établir
Charles Mauron. Il dégage des champs de forces, là où peuvent
se lire les composantes de l'angoisse et la démarche libératrice.
L'énergie n'est pas tout dans un tel texte. Elle épouse des
structures et l'analyse vise ensuite à éclairer les différentes
combinatoires.

Voici un travail qui éclaire l'harmonie sur laquelle le chaos


peut prendre forme, l'harmonie qui préside encore au neuf, à
l'inouï.

Jean-Pierre Giusto est professeur à l'Université de Valen-


ciennes.

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Programme de génération ‒ Louis Eveillard
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