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16/11/2022 10:15 Le critère du métaphysique chez Wolff | Cairn.

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Le critère du métaphysique chez Wolff


Pourquoi une Psychologie empirique au sein de la métaphysique ?
Thierry Arnaud
Dans
Archives de Philosophie
2002/1 (Tome 65), pages 35 à 46

Article

Q u’est-ce qui fait que la métaphysique, chez Wolff, est métaphysique ?


Autrement dit, quel est le (ou quels sont les) critère(s) du métaphysique comme
tel ? Telle est la question que j’aborderai ici pour commencer à éclairer l’essence
1

de la métaphysique wolffienne, et en particulier de la Métaphysique allemande (1719) [1].


Sachant que la métaphysique wolffienne comprend plusieurs parties (on verra
lesquelles), sachant que ces parties correspondent en général à différents objets,
qu’est-ce qui fait que telle ou telle partie, ou tel ou tel objet, est admis au titre de ces
parties et/ou de ces objets ? Qu’est-ce qui permet à Wolff de distinguer (deutlich
machen ) ce qui relève du métaphysique de ce qui n’en relève pas ? Sachant que « la
connaissance distincte (deutliche Erkenntnis) d’une chose est l’intelligence (Verstand)
de celle-ci » [2], cette question nous paraît particulièrement appropriée pour accéder à
l’intelligence de la métaphysique wolffienne.

On a souvent répété, après Wolff lui-même [3], que sa philosophie, dont la 2


métaphysique assure le fond, était systématique. Il doit donc y avoir, au sein même
de sa métaphysique, une unité organique du système. Sur le fond de cette remarque, la
question se répète : comment l’unité du système est-elle articulée au critère du
métaphysique ? Y a-t-il, chez Wolff, une telle articulation ? Est-ce le critère du
métaphysique comme tel qui assure la cohérence du système métaphysique, lequel
n’est qu’une partie du système complet de la science ? Le fond architectonique de la
métaphysique s’étend-il jusqu’à la considération de son (ou de ses) objet(s), ou n’est-
elle qu’un ensemble de propositions bien liées dont les parties qui constituent cet
ensemble n’ont pas de réelle légitimité ou sont « légitimées » de façon extrinsèque ?

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Pour commencer à répondre à ces questions, nous nous proposons ici de suivre le fil 3
directeur de la psychologie empirique [4]. En effet, peut-on manquer de s’étonner de
voir figurer une discipline relevant de l’expérience
à l’intérieur d’un domaine
semblant devoir l’exclure de par sa nature même ? Y aurait-il une expérience
métaphysique chez Wolff ? Quand on sait que Wolff a qualifié sa cosmologie générale,
laquelle est une partie de la métaphysique, de « transcendantale » [5], on peut être
tenté de se demander ce que vient faire l’empirique dans le transcendantal, ou le
transcendantal dans l’empirique ? Y aurait-il chez Wolff une transcendance dans
l’immanence ?

Cette dernière question ne vaut qu’à condition que le critère du métaphysique soit, 4
précisément, le transcendantal. Or, en va-t-il ainsi dans la métaphysique
wolffienne ?

La question de la présence de la psychologie empirique, quant à elle, redouble 5


d’importance quand on sait que Wolff a maintenu cette étrange présence dans son
Opus metaphysicum – en latin donc –, même si elle a, apparemment au moins, changé
de rang dans le système, après les remarques que lui ont adressées ses disciples
Thümmig et Bilfinger (le premier dès 1724, soit quatre ans après la publication de
Métaphysique allemande, le second en 1725) [6]. Même si, en effet, après ces remarques,
Wolff admet que la psychologie empirique doit prendre place après la cosmologie
générale (ou « transcendantale ») parce qu’il faut respecter ce qu’il appellera « la loi
suprême de la méthode philosophique » [7], la psychologie empirique n’en est pas
pour autant exclue de la métaphysique. Elle prend même place, dans le corpus
métaphysique latin avant la Psychologia rationalis et la Theologia naturalis. Il faut dire
que ni Thümmig, ni Bilfinger ne lui avaient d’ailleurs suggéré de l’en exclure.

Pour répondre à la question de la présence de la psychologie empirique dans la 6


métaphysique wolffienne, il semble d’abord nécessaire de donner quelques repères
en exposant les grandes lignes de celle-ci. J’exposerai, pour ce faire, la structure de la
Métaphysique allemande et j’essaierai de dégager ce qui en constitue la cohérence.

LES GRANDES LIGNES DE LA MÉTAPHYSIQUE


WOLFFIENNE.

Au § 79, du Discursus praeliminaris de philosophia in genere (1728), Wolff définit ainsi la 7


métaphysique :

« L’ontologie, la cosmologie générale et la pneumatique sont désignées par la 8


dénomination commune de métaphysique. Par conséquent, la métaphysique est la
science de l’étant, du monde en général et des esprits (scientia entis, mundi in genere,
[8]
atque spirituum ).   »

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Si la métaphysique wolffienne comprend trois types d’objets, elle ne comprend pas 9


pour autant trois chapitres. La Métaphysique allemande, publiée fin 1719 (soit sept ans
après la Logique allemande), en comporte six, dont les cinq derniers correspondent à
des traités particuliers, plus développés, de sa Métaphysique latine, laquelle sera
publiée plus tard, traité après traité, à destination de toute l’Europe savante :

–   Chapitre I. Comment nous connaissons que nous sommes et en quoi cette
connaissance nous est utile (Wie wir erkennen, daß wir sind, und was uns diese
Erkenntnis nützt) (§§ 1-9).
–   Chapitre II. Des premiers principes de notre connaissance et de toutes choses
en général (Von den ersten Gründen unserer Erkenntnis und allen Dingen überhaupt)
(§§ 10-190). Correspond à la Philosophia prima sive Ontologia de la Métaphysique
latine (1729) [9].
–   Chapitre III. De l’âme en général, c’est-à-dire de ce que nous en percevons (Von
der Seele überhaupt, was wir nehmlich von ihr wahrnehmen ) (§§ 191-539). Correspond
à la Psychologia empirica (1732).
–   Chapitre IV. Du monde (Von der Welt) (§§ 540-725). Correspond à la Cosmologia
generalis (1731).
–   Chapitre V. De l’essence de l’âme et d’un esprit en général (Von dem Wesen der
Seele und eines Geistes überhaupt) (§§ 727-927). Correspond à la Psychologia rationalis
(1734).
–   Chapitre VI. De DIEU (Von GOTT) (§§ 928-1089). Correspond à la Theologia
naturalis (1736-1737).

Parmi ces six chapitres, le premier et le troisième se distinguent par leur taille. Le 10
premier ne compte pas plus de 9 paragraphes (5 pages), tandis que le troisième
(Psychologie empirique), qui est le plus long (223 pages), en compte 348. Les autres
chapitres comptent entre 161 et 185 paragraphes.

On voit qu’à ces six chapitres correspondent quatre objets, lesquels sont les objets de la 11
métaphysique. Ces objets sont ceux qui ressortissent à l’ontologie d’une part et à la
psychologie, à la cosmologie et à la théologie d’autre part; ce sont les objets de la
chose en général, de l’âme humaine, du monde et de Dieu. L’âme humaine et Dieu
correspondent, en tant qu’esprits, à la pneumatologie dont il est question, on l’a vu,
au § 79 du Discursus praeliminaris de philosophia in genere.

Ceci posé, comment la cohérence de cette Métaphysique allemande


est-elle assurée ? Il 12
faut, pour répondre à cette question, l’examiner chapitre après chapitre.

Le premier chapitre ne se présente pas comme ayant une correspondance avec l’un 13
des quatre objets de la métaphysique. Il ne traite ni de l’étant en tant que tel, ni de
l’âme, ni du monde, ni de Dieu. Intitulé « Comment nous connaissons que nous
sommes et en quoi cette connaissance nous est utile (Wie wir erkennen, daß wir sind,
und was uns diese Erkenntnis nützt) » (§ 1-9), il contient ce qu’il faut bien appeler un

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[10]
« cogito remanié » (C. Weber   ), lequel est le point de départ de toute la Métaphysique
allemande. Il est important, de ce point de vue, de citer largement ce premier très
court chapitre.

Wolff intitule son § 1 « Comment nous connaissons que nous sommes ». Toutefois, il 14
ne donne, dans ce premier paragraphe, qu’une première explication, laquelle sera
amplifiée au § 5.

Nous sommes conscients de nous-mêmes et des autres choses; quiconque n’est pas 15
dépourvu de ses sens (seiner Sinnen ) ne peut en douter. Celui qui voudrait le nier
prétendrait autrement qu’il ne jugerait à part soi et serait bientôt convaincu que sa
feinte était insensée. Comment, en effet, voudrait-il nier ou douter de quelque
chose s’il n’était pas conscient de lui-même et d’autres choses ? Celui qui est
conscient de ce qu’il nie ou de ce dont il doute, celui-là est. Et par conséquent, il est
clair que nous sommes (und demnach ist klar, daß wir sind).

Au § 2, il se demande si l’on a « des raisons de poser une telle question » : 16

Certains s’étonneront peut-être que je prouve d’abord que nous sommes; d’autres, 17
qui n’accèdent pas aux explications ni aux preuves à cause de leur intelligence
superficielle, iront jusqu’à en rire. Car aucun homme n’a jamais existé sous le soleil
qui nie une pareille chose...

Wolff donne alors deux raisons que l’on a, selon lui, de se poser cette question (§§ 3- 18
4) :

19

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J’espère qu’ils cesseront bientôt de s’étonner, quand je leur montrerai les causes
qui m’ont motivé à agir ainsi. Dans les Prolégomènes à la philosophie qui se trouvent
[11]
au début de mes Pensées rationnelles sur les forces de l’entendement humain  , on
remarque (§ 5) qu’un philosophe ne doit pas seulement savoir que quelque chose
est possible ou advient (geschehe) mais qu’il doit aussi pouvoir montrer la raison
pour laquelle cette chose est possible ou advient. Puisque maintenant nous avons
une certitude du fait que nous sommes et que cette certitude est telle que nous ne
pouvons en douter en aucune manière (§ 1), il reste donc à montrer (...), puisque
nous avons l’intention de traiter ici de philosophie, (...) d’où vient une si grande
certitude.

La seconde raison est que cette recherche a une très grande utilité. Car si je sais
pourquoi nous avons une si grande certitude de ce que nous sommes, alors je
connais comment une chose doit être faite (beschaffen ) pour que je la connaisse
d’une manière aussi certaine que je connais que moi-même je suis. Et c’est là une
grande chose que de pouvoir parler sans crainte de vérités importantes : elles sont
aussi certaines que je suis, ou bien encore : je connais aussi certainement qu’elles
sont que je sais que je suis. Or, cela nous est particulièrement approprié ici,
puisque nous avons l’intention de conduire à une certitude indubitable la
connaissance naturelle de Dieu et de l’âme, ainsi que du monde et de toutes choses
en général.

Ensuite (§ 5), Wolff, très conséquemment, propose une « Réflexion sur la manière 20
que nous avons de connaître que nous sommes ». Il développe donc ce qu’il vient
d’exposer au § 1, puis (§ 6), il s’interroge sur la nature du raisonnement par lequel
cette connaissance apparaît :

Afin de conquérir cet avantage, il nous faut réfléchir plus précisément à la manière 21
(Art und Weise) par laquelle nous connaissons que nous sommes. Si nous le faisons
maintenant, nous trouvons que notre connaissance est constituée de la manière
suivante : 1. Nous éprouvons (wir erfahren ) de façon irréfutable (unwidersprechlich )
que nous sommes nous-mêmes conscients de nous et d’autres choses (§ 1 huj., § 1,
ch. 5 de la Log.). 2. Il est clair pour nous que celui qui est conscient de lui et d’autres
choses est. Par conséquent, 3., nous sommes certains que nous sommes.

Si nous voulons connaître distinctement (deutlich ) comment nous sommes, par ces
raisons, conduits devant le fait que nous sommes, nous devons alors remarquer
que le syllogisme (Schluss) suivant est caché (steckt) dans ces pensées :

Celui qui est conscient de lui-même et d’autres choses, celui-là est.

Nous sommes conscients de nous-mêmes et d’autres choses.

Donc nous sommes (also sind wir).

Ensuite Wolff montre que nous avons affaire à un syllogisme dont la majeure est un 22
axiome (Grundsatz) et la mineure « une expérience indubitable », que ce
raisonnement est une démonstration et que « tout ce qui est droitement démontré

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est aussi certain que le fait que nous sommes car ce qui est démontré est prouvé
(erwiesen ) de la même façon que nous sommes » (§ 8). Enfin, puisque cette
démonstration est une démonstration qui repose sur les mêmes raisonnements que
les démonstrations géométriques, tout ce qui est démontré de façon géométrique est
aussi certain que nous sommes (§ 9).

On ne retrouvera pas, plus tard, lorsque Wolff rédigera sa Métaphysique latine, la 23


présence de ce cogito (ou, plus justement, de ce cogitamus) en première place, mais
seulement dans la Psychologia empirica, ce premier chapitre entretenant une relation
de premier ordre avec le troisième.

Il nous paraît particulièrement clair que ce chapitre est déterminant par rapport au 24
reste de la Métaphysique allemande, contrairement à ce que soutient Ch. A. Corr dans
son introduction à l’édition reprographiée de chez Olms. Il y indique en effet :

« L’importance de ce chapitre par rapport au reste de la Métaphysique n’est pas tout 25


à fait claire (not fully clear), et cette approche sera abandonnée dans les volumes
[12]
latins ultérieurs. » 

S’il est vrai qu’aucun volume de la Métaphysique latine ne correspondra à ce premier 26


chapitre, celui-ci est lié aux autres chapitres de la Métaphysique allemande. Il y a,
contrairement à ce que dit Corr, une continuité très visible entre le premier et le
deuxième chapitre, comme entre le premier et tous les autres chapitres de la
métaphysique. Cette continuité est celle par laquelle toute la métaphysique
wolffienne est enracinée dans l’expérience du cogito. Après avoir dégagé, comme
Descartes, le fond indubitable de tout l’édifice de la métaphysique et, par voie de
conséquence, de toute la philosophie, Wolff en vient, très logiquement, à examiner
quels sont les premiers principes de notre connaissance (§§ 10-44).

Le deuxième chapitre, intitulé « Des premiers principes de notre connaissance et de 27


toutes choses en général » (§§ 10-190) est, selon M. Wundt, « de loin le chapitre le
plus important et le plus instructif parce qu’il se tient à la place de l’ancienne
ontologie, la doctrine de l’étant et de ses affections. » [13] En effet, lorsque Wolff parle
de « toutes choses en général » (allen Dingen überhaupt), ainsi que cette expression
apparaît dans le titre, il parle de l’étant en tant qu’étant (ens qua ens). Méditer sur
« toutes choses en général » est pour lui une façon de méditer sur la chose en tant
qu’elle est chose [14]. La chose en tant que chose n’est pas moins générale que l’étant
en tant qu’étant. Il y a une équivalence entre chose et étant, entre Ding et ens.
D’ailleurs, lorsque Wolff traduira en latin en 1730 sa Logique allemande
(1712), il rendra
Ding par ens dès lors qu’il sera question d’ontologie. On reconnaît ici la parenté avec
la définition de l’étant donnée par Aristote en Métaphysique B 4 : « l’étant est ce qu’il y
a de plus universel » [15].

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En quoi consiste cette ontologie ? Il s’y trouve, comme le titre l’indique, deux choses 28
principales : « Des premiers principes de notre connaissance et de toutes choses en
général ». Il ne faut pas se méprendre sur ce que dit le titre de ce chapitre : il n’y est
pas question d’une part des premiers principes de notre connaissance et, d’autre
part, des premiers principes de toutes choses en général. L’allemand est ici plus
précis que le français : il y est question d’une part des premiers principes de notre
connaissance et, d’autre part, de toutes choses en général. Avant d’en venir à « toutes
choses en général », c’est-à-dire à l’étant en tant qu’étant, il faut en passer par une
gnoséologie. Ceci n’est pas sans importance : il y a d’abord des principes du
connaître et, sur cette base, une connaissance de la Chose (Ding). Autrement dit, on
en passe d’abord par une expérience – celle du connaître – puis, sur cette base, on
accède à l’étant en tant qu’étant (deuxième partie de ce second chapitre). L’ontologie
wolffienne est ainsi une ontologie de la connaissance, une gnoséontologie : une
ontologie de l’étant (et non de l’être) en tant qu’être pensé; plus exactement en tant
qu’étant pensable.

En effet, si l’ontologie wolffienne est une ontologie de la connaissance, c’est aussi 29


une ontologie du possible. L’étant que je peux penser, c’est-à-dire dont j’ai une possible
notion, ne répugne pas à l’existence parce qu’il n’est pas impossiblement pensable,
sachant qu’est impossiblement pensable ce qui n’est pas en accord avec le principe
de contradiction. Or, c’est avec l’énoncé du principe de contradiction que Wolff
ouvre son ontologie (§ 10). Or, le lien entre ce premier moment de l’ontologie et le
premier chapitre est manifeste dès le début de ce § 10 :

Lorsque nous connaissons que nous sommes conscients de nous et d’autres 30


choses, et que nous admettons cela comme certain, cela ne peut être, en fait, que
parce qu’il nous est impossible de penser que nous sommes en même temps
conscients et non conscients de nous.

De même, lorsque Wolff commence, au § 45, à exposer son « ontologie du réel » 31


(Wundt), c’est-à-dire sa doctrine des choses extérieures et de leurs relations (§§ 45-
190), autrement dit lorsqu’il commence la seconde partie de ce second chapitre
gnoséontologique, la première chose qu’il fait consiste à retourner à la source,
laquelle est l’expérience du cogitamus :

« Si nous faisons attention à nous, nous trouvons que beaucoup de choses sont 32
conscientes pour nous en tant qu’extérieures à nous. »

Par ailleurs, il commence son troisième chapitre, lequel correspond à la Psychologie 33


empirique, de la manière suivante :

34

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Je ne vise pas encore ici à montrer ce qu’est l’âme ni comment les modifications
(Veränderungen ) surviennent en elles; mon propos est ici simplement de décrire
(erzählen ) ce que nous percevons d’elle dans l’expérience quotidienne. Je ne veux en
outre rien convoquer ici d’autre que ce que chacun peut connaître par l’attention
qu’il se porte.

... Il est à noter que par âme, j’entends cette chose (Ding) qui est consciente de soi
et d’autres choses hors de soi, dans la mesure où nous sommes conscients de nous-
mêmes et d’autres choses comme étant extérieures à nous.

De même, au début de la Cosmologie générale (quatrième chapitre), Wolff indique 35


que si nous voulons nous former un concept juste du monde, « nous devons porter
notre attention sur celui qui se tient devant nous » (§ 542), c’est-à-dire (bien que
Wolff ne l’indique pas ici explicitement) à nos cogitata.

Au début de la Psychologie rationnelle (cinquième chapitre), § 727 (premier 36


paragraphe du chapitre) :

J’ai certes déjà largement traité de l’âme dans le Troisième chapitre, mais je ne l’ai 37
fait que dans la mesure où nous percevons ses effets et où nous pouvons parvenir à
un concept distinct de ceux-ci (§ 191). Maintenant, nous devons rechercher en quoi
consiste l’essence de l’âme et d’un esprit en général, et comment ce que nous
percevons d’elle et que nous avons noté plus haut trouve sa raison ici. Il sera donc
encore traité de l’âme, mais en cela l’expérience ne nous conduira pas de la même
façon. De la sorte, on voit que ce qui, au sujet de l’âme, a été plus haut tiré de
l’expérience, est la pierre de touche de ce qu’on enseigne ici quant à sa nature et à
son essence, ainsi que des effets qui y trouvent leur raison. A l’inverse, ce qui est ici
enseigné n’est en aucune manière la pierre de touche de ce que l’expérience nous
enseigne.

Il est donc clair que bien que Wolff commence ici l’exposé d’une psycho-logie a priori, 38
l’expérience reste d’une importance décisive. Ce chapitre trouve donc dans ce qui a
été dit dans le troisième et dans le premier sa pierre de touche et ses fondements. La
conscience est le point de départ de Wolff dans la Métaphysique allemande. Il s’en
explique d’ailleurs dans le paragraphe suivant (§ 728), intitulé « Pourquoi nous
faisons de la conscience le commencement ». Il y rappelle que :

La première chose que nous avons remarquée est que nous sommes conscients de 39
nous-mêmes et d’autres choses hors de nous-mêmes... (§ 1)

Enfin, au tout début du dernier chapitre, De Dieu, (§ 928), Wolff fait une nouvelle fois 40
retour au § 1 pour y asseoir la démonstration du fait qu’il y a un être nécessaire qui
est Dieu :

41

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« Nous sommes (§ 1). Tout ce qui est a sa raison suffisante par laquelle (warum ) elle
est plutôt qu’elle n’est pas (§ 30) : nous devons donc avoir une raison suffisante par
laquelle nous sommes... »

Wolff respecte donc bien l’ordre des chapitres, ainsi qu’il l’annonçait dès la première 42
préface de la Métaphysique allemande :

« Tandis que j’écrivais ce livre, je me suis constamment mis dans la situation de 43


celui qui ne connaîtrait encore rien de ces choses et qui ne devrait les découvrir
que par la méditation. Par suite on trouvera toutes les matières dans l’ordre dans
lequel elles se peuvent progressivement découvrir les unes à partir des autres.
Celui qui y prend garde pourra indiquer la raison pour laquelle à cet article cet
autre fait suite et trouver de l’ordre dans ce qui, sinon, devrait lui en apparaître
dépourvu. Mais de même que nous avons écrit ce livre en liant constamment une
vérité avec l’autre, on doit le lire en suivant un ordre continu du début jusqu’à la
fin. »

De même, Wolff indiquera dans le Discursus praeliminaris : 44

« Les parties de la métaphysique doivent être ordonnées d’une manière telle que 45
celles qui viennent d’abord soient celles à partir desquelles les autres tirent leurs
[16]
principes. »  (§ 87)

« L’ordre des parties de la philosophie consiste en ce que celles d’où les autres
dérivent leurs principes viennent en premier » (Discursus praeliminaris, § 87)

« Toutes les matières », comme dit Wolff dans sa première préface, sont bien « dans 46
l’ordre dans lequel elles se peuvent progressivement découvrir les unes à partir des
autres ». Et c’est du cogitamus que toutes les parties de la Métaphysique allemande
tirent leurs principes.

On pourra enfin opposer à Corr que Wolff indique expressis verbis au § 4 le rapport 47
qu’entretient ce premier chapitre avec tout le reste de la Métaphysique allemande (cf.
ci-dessus).

Autrement dit, l’expérience du cogitamus est bien la racine de toute la métaphysique, 48


et, par delà, de toute la philosophie wolffienne, du moins pour ce qui concerne la
position de Wolff à l’époque de la Métaphysique allemande. La disparition, dans la
Métaphysique latine, du « cogito remanié » à la première place signe certainement un
abandon du cartésianisme de la première période, et fait sans doute, comme le
suggère M. Wundt [17], de la Métaphysique allemande une métaphysique « plus
moderne » que la Métaphysique latine [18]. Toutefois, il n’est pas certain que l’on
puisse vraiment parler de « périodes » puisque Wolff ne fera jamais disparaître le
premier chapitre des diverses éditions corrigées qu’il fera paraître par la suite (12

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éditions, toutes n’étant pas corrigées), alors que sa Métaphysique latine ne suivra pas
cet ordre. Il maintient donc une position « cartésienne » en un temps où, par
ailleurs, il peut sembler qu’il en va autrement.

Cette présentation schématique étant faite, en quoi avons-nous avancé dans notre 49
question initiale ? En quoi cette présentation nous permet-elle de comprendre la
raison de la présence de la psychologie empirique dans la métaphysique ?

Il nous semble que nous pouvons risquer ici la réponse suivante. La psychologie 50
expérimentale fait partie de la métaphysique parce qu’il y a chez Wolff une puissante
influence de la pensée cartésienne : la psychologie empirique est la science du cogito.
Or ce que nous trouvons dans le cogito, ou plutôt dans le « cogitamus », est décisif pour
tout ce qui suit : il y a un ordre de la découverte de tout ce qui appartient à la
métaphysique et comme tout ce qui y est découvert l’est à partir de cette expérience
primitive qu’est la conscience « de nous-mêmes et des autres choses » (première
phrase du § 1 de la Métaphysique allemande), on peut penser qu’il s’impose de traiter
de la science de cette chose (Ding) qui est conscience d’elle-même et d’autres choses
dans le cadre de la Haupt-Wissenschaft (métaphysique). Il devait sans doute
apparaître inimaginable à Wolff de ne pas faire figurer dans la métaphysique la
science de cet étant qui a conscience de soi (âme) et à partir de quoi s’élève la totalité
du savoir philosophique. On rapprochera de cette idée ce qu’écrit Wolff au § 111 de
son Discursus praeliminaris. Traitant du « fondement et [de la] définition de la
psychologie empirique », il y indique tout d’abord que « la raison de ce qui est
possible au travers de l’âme humaine doit être donnée dans la psychologie ». Il ajoute
que la certitude de la logique, de l’art de découvrir et de la philosophie pratique, « qui
dirigent, pour ainsi dire, les actions de l’homme, doit être pour nous une
préoccupation centrale » ( je souligne). Or, les principes des démonstrations à l’œuvre
dans ces disciplines « sont tirés de la psychologie ». De là Wolff peut affirmer qu’« il
est (...) clair que la psychologie empirique correspond à la physique expérimentale et
qu’elle appartient à la philosophie expérimentale. » A ce stade, si l’on ne savait pas
que la psychologie empirique faisait partie de la métaphysique, on s’attendrait à ce
que Wolff la range parmi ce qu’il appelle les connaissances historiques, puisqu’il
classe ce qu’il appelle la physique expérimentale parmi elles. Mais il n’en fait rien.
Tout au contraire, « il est clair, pour lui, (...) que la psychologie empirique n’est pas
une partie de l’histoire comme c’est le cas de la physique expérimentale traitée à [sa]
façon ». Pourquoi ? Parce qu’elle ne se borne pas à inventorier ce qui est observé dans
l’âme, comme le font les disciplines relevant de la connaissance historique (§§ 1-2).
Que fait donc la psychologie empirique, dont Wolff nous dit qu’elle mérite de figurer
parmi les disciplines philosophiques, c’est-à-dire parmi les disciplines qui
découvrent « la connaissance (cognitio) de la raison des choses qui sont et
adviennent » [19] ? Réponse : « les concepts des facultés et des dispositions (habitus) y
sont formés, ainsi que d’autres principes établis; on y donne également la raison de

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beaucoup de choses, ce qui appartient sans nul doute à la connaissance


philosophique (...) et ne peut en aucun cas être compté au nombre des connaissances
simplement historiques. »

S’il est donc clair que, pour Wolff, la psychologie empirique entre de plein droit 51
parmi les connaissances philosophiques, contrairement à ce qu’il appelle « la
physique expérimentale traitée à [sa] façon », cela ne nous dit pas pour autant
pourquoi il la fait figurer parmi les disciplines métaphysiques, toute connaissance
philosophique n’étant pas ipso facto connaissance métaphysique. Nous ne pouvons ici
que suggérer, à partir de ce que nous venons d’exposer de sa Métaphysique allemande,
ainsi que de ce passage du Discursus praeliminaris, que la psychologie empirique fait
partie de la métaphysique à cause du rôle central que joue l’expérience du cogitamus
dans la construction du système en question.

Cette raison principale n’est sans doute pas incompatible avec une seconde raison : 52
l’âme humaine, selon Wolff, contrairement à celle des bêtes, est immortelle [20]. A la
toute fin de la cinquième partie (psychologie rationnelle) de sa Métaphysique
allemande, juste avant d’ouvrir sa doctrine naturelle de Dieu (qui commence au §
928), Wolff explique que « les âmes des hommes sont immortelles, mais non celles
des animaux » (§ 926). Cette différence va de pair avec une autre différence que
Wolff a précisée aux §§ 892-893, savoir que l’âme humaine est capable de distinction
(Deutlichkeit) alors que l’âme des bêtes ne s’élève pas au-dessus du niveau de la
clarté [21]. Cette deuxième raison qui semble devoir justifier la présence de la
psychologie dans la métaphysique consiste en la dignité de son objet : l’âme humaine
est plus proche de l’Esprit qu’est Dieu que de l’âme des bêtes. De ce point de vue,
Wolff serait ici le continuateur d’une certaine tradition en matière de métaphysique
spéciale, celle, par exemple, d’un Micraelius, qui plaçait l’étude des âmes au rang des
objets de la metaphysica specialis, à côté des anges et de Dieu (Wolff étant l’inventeur
de la cosmologie rationnelle). Toutefois, cette seconde raison n’en est pas vraiment
une puisqu’elle ne justifie que la présence de la psychologie dans la métaphysique,
mais non pas de la psychologie empirique.

Nous dirons donc que cette seconde raison ne joue qu’un rôle périphérique par 53
rapport à la première.

Notes

[1] Vernünftige Gedancken von Gott, der Welt und der Seele des Menschen, auch allen Dingen
überhaupt, Renger, Halle, 1720 (la Préface de cette première édition étant datée du
23 décembre 1719). On trouvera un reprint de la onzième édition (1751) chez G.
Olms, Hildesheim, 1983. Pour désigner cette Métaphysique allemande, nous
utiliserons désormais l’abréviation MA. La Métaphysique allemande a connu douze
éditions succesives du vivant de son auteur.

[2] MA, § 278. (traduction française de W. Feuerhahn, J.-F. Goubet, J.-P. Paccioni et
moi-même, à paraître aux éditions Vrin).

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[3] Cf. notamment son opuscule De differentia intellectus systematici & non systematici,
paru en 1729 dans les Horae Subsecivae Marburgenses, chez Renger, Francfort &
Leipzig. Reprint dans Ch. W OLFF, G.W., Abt. II, Bd. 34.1, édité par J. Ecole, chez G.
Olms, Hildesheim, 1983. Une traduction française de cet écrit est en cours en
collaboration avec W. Feuerhahn, J.-F. Goubet et J.-P. Paccioni.

[4] Nous commençons donc ici une étude appelée à de plus amples développements.

[5] Cf. Discursus praeliminaris de philosophia in genere, § 78 : « Il existe (...) une
considération (contemplatio) générale du monde, laquelle explique ce que le monde
existant a en commun avec tout autre monde possible. Cette partie de la
philosophie qui développe ces concepts généraux, lesquels sont en partie abstraits,
je la nomme cosmologie générale ou transcendantale. Et je définis la cosmologie générale
comme la science du monde en général ». Le Discursus praeliminaris de philosophia in
genere (à l’avenir : DP) a été publié en tête de la Philosophia rationalis sive Logica,
methodo scientifica pertractata et ad usum scientiarum atque vitae aptata, à Francfort et
Leipzig en 1728. Reprint chez G. Olms, Hildesheim, 1983.

[6] L. P. THÜMMIG, Institutiones philosophiae Wolffianae, Frankfurt/Main & Leipzig,


1725-1726, reprint Hildesheim, 1982, vol. I, p. 71s; G. B. BILFINGER, Diluciationes
philosophicae de Deo, Anima, Mundo et generalibus rerum affectionibus, Tübingen, 1725,
reprint
Hildesheim, 1983.

[7] DP, § 133 : « La loi suprême de la méthode philosophique consiste en ce que doit
d’abord venir ce par quoi ce qui suit est compris et garanti. »

[8] En1712, dans son Vorbericht von der Weltweisheit (lequel ouvre sa Logique allemande),
Wolff distinguait trois parties dans la métaphysique : « La Science première, la
Doctrine de l’esprit et la Doctrine naturelle de Dieu constituent ensemble la
Métaphysique, ou Science Première (Haupt-Wissenschaft). » (§ 14). Cf. Vernünftige
Gedancken von den Kräften des menschlichen Verstandes und ihrem richtigen Gebrauche in
Erkenntnis der Wahrheit, Halle, 1712. Reprint chez G. Olms, Hildesheim, 1978, avec
une introduction et des notes de H. W. Arndt. La Logique allemande de Wolff
connaîtra quatorze éditions successives; Wolff en donnera lui-même une
traduction latine; Jean Deschamps en proposera une traduction en français
(Berlin, Haude, 1736) sous le titre Logique, ou réflexions sur les forces de l’entendement
humain et sur leur légitime usage dans la connaissance de la vérité.

[9] D’après J. Ecole, l’Ontologia, bien que datée de 1730, est parue en 1729. Cf. de ce
point de vue : J. ECOLE, « Des rapports de l’expérience et de la raison dans l’analyse
de l’âme ou la Psychologia empirica de Christian Wolff », Giornale di metafisica, 1969 /
4-6, p. 499-531.

[10] Article « Wolff », Encyclopédie philosophique universelle, III : « Les œuvres


philosophiques », PUF, Paris, 1992, p. 1554.

[11] Il s’agit de sa Logique allemande.

[12] Ch. A. CORR, Introduction à la Métaphysique allemande, p. 13*.

[13] M. W UNDT, Die deutsche Schulphilosophie im Zeitalter der Aufklärung, J. C. B. Mohr


(P. Siebeck), Tübingen, 1945, p. 160.

[14] Cf. HONNEFELDER, Scientia transcendens, p. 343.

[15] ARISTOTE, Métaphysique, B 4,1001 a 21.

[16] DP, § 99.


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[17] Op. cit., p. 159.

[18] Wolff défendra d’ailleurs, dans sa Métaphysique latine, la priorité du principe de


contradiction vis-à-vis du cogito cartésien. Cf. à ce sujet Ontologia, notamment § 55,
p. 38-39.

[19] DP, § 6.

[20] MA, § 925-927.

[21] Wolff reprend ici, à sa manière, la doctrine des degrés de la connaissance exposée
par Leibniz dans ses Méditations sur la connaissance, la vérité et les idées (cf. ses
Opuscules philosophiques choisis traduits et publiés par P. Schrecker chez Vrin, 1978,
p. 9-16).

Plan
LES GRANDES LIGNES DE LA MÉTAPHYSIQUE WOLFFIENNE.

Auteur
Thierry Arnaud

CERPHI, groupe de travail sur La philosophie allemande au XVIIIe siècle

Mis en ligne sur Cairn.info le 01/06/2008


https://doi.org/10.3917/aphi.651.0035


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