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14 La vraie histoire des colonies > VERSION PAPIER ÉPUISÉE 31 Russie-Ukraine, l'histoire tragique sous nos yeux 10,90€
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SOMMAIRE
« Il n’est de richesse que d’hommes. » Jean Bodin

EN COUVERTURE
Benoît XVI, la passion
de la Vérité 20
Le pape
de la réconciliation 28
L’incompris médiatique 30
MAX ROSSI/REUTERS

JOËL SAGET/AFP
Notre opinion Valeur sûre; Livres; Expositions;
par François d’Orcival 4 Théâtre & Musique; Cinéma;
Télévision 61
En bref 67
COULISSES POLITIQUES
Les “marcheurs”
bons et loyaux promus HISTOIRE
le 1er janvier 8 Quand le XXIe siècle
Vu sur Le Club VA ÉCONOMIE était encore “le futur” 68
Le ministère de la Justice Agnès Verdier-Molinié: L’énigme de la semaine /
sous surveillance privée 14 « 2023, année des risques L’éphéméride 71
Le trait de la semaine budgétaires et fiscaux » 42
par Deligne 15 En bref 47
« Parler de plein emploi ART DE VIVRE
relève de la supercherie » 48 Quelles galettes, saperlipopette! 72
ÉDITOS Patrimoine 49 Automobile 74
Alexandra Martin; Bourse 50 Gastronomie / En bref 76
Sébastien Laye; Jeux 78
père Danziec 16

ENQUÊTE L’incorrect
SOCIÉTÉ L’ombre de Samuel Paty Douglas Murray 81
« Il n’y a pas une dégradation plane sur Montauban 52
généralisée
de l’environnement » 32 Le Forum
CULTURE Courrier des lecteurs 86
Le justicier de la raison 56
MONDE Au pays des “khmers verts” 58 La lettre de M. de Rastignac 89
L’heure des choix pour Le crétin ambulant 59
nos armées en Afrique 36 Le mausolée Mon grain de sel
En bref / L’image 40 de la langue française 60 par Franck Ferrand 90
CE NUMÉRO COMPORTE DEUX ENCARTS JETÉS : CHÉQUIER AVEC ENVELOPPE T RETOUR SÉLECT’ PRESSE.
CRÉDIT DE COUVERTURE : ALESSIA GIULIANI/AFP.

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 3

 NOTRE OPINION
Par François d’Orcival, de l’Institut
“Une réforme trop longtemps repoussée”
Il n’y a de majorité absolue à l’Assemblée nationale que grâce aux députés LR.
Les voici au cœur du débat sur les retraites.
S
oixante-cinq ans, ce n’est pas un totem, a dit Éli-
sabeth Borne, ce mardi, au micro de France Info.
On comprend que le projet de loi qu’elle va présen-
ter le 10 janvier prévoira de porter l’âge de départ
à la retraite à 64 ans. Et qu’il sera accompagné par
une autre clause de cette mise à jour: le maintien des qua-
rante-trois années de cotisations.
Reprenons: l’âge de la retraite sera bien de 64 ans, la
durée de cotisation de quarante-trois annuités. Or, c’est
très exactement le dispositif que votaient les sénateurs, le
samedi 12 novembre dernier, par 195 voix contre 130. C’est-
à-dire par l’ensemble des sénateurs Les Républicains (LR)
et du groupe de l’Union centriste… La gauche votait contre
et l’on se demandait ce que feraient les quelques sénateurs
portant les couleurs d’Emmanuel Macron. « Par cet amen-
dement, vous connaissez notre position », dit le sénateur
(LR) des Deux-Sèvres Philippe Mouiller, en s’adressant au
représentant du gouvernement. « N’anticipons pas les débats
que nous aurons prochainement », lui répond Jean-Chris-
tophe Combe, le ministre des Solidarités, de l’Autonomie
et des Personnes handicapées, qui admet évidemment que
le gouvernement et la majorité sénatoriale se rejoignent sur
l’objectif et les thèmes du débat. C’est, deux mois plus tard,
ce qu’Élisabeth Borne devait admettre, ce jeudi, en rece-
vant à l’hôtel de Matignon le président du groupe LR au
Sénat, Bruno Retailleau.
N ouveau projet de loi de mise à jour, d’actualisation? On
verra bien. Le texte d’origine portait la signature de
Jean-Marc Ayrault, Premier ministre de François Hol-
lande, et de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales
et de la Santé. Daté du 18 septembre 2013, il comportait
deux parties: 34 articles modifiant le code de la sécurité
sociale, et 34 autres articles d’un second projet de loi « garan-
tissant l’avenir et la justice du système de retraites ».
Il était question de diagnostic, d’état des lieux, de
concertation, de pistes envisagées, d’évolution de la société,
PATRICK IAFRATE
de visibilité et, pour finir, de stabilité. Votée le 18 décembre
2013, la loi Touraine sera entrée en vigueur en 2020…
Qu’en sera-t-il cette fois? Emmanuel Macron nous promet
4 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
la mise en œuvre du nouveau projet de loi au mois de sep-
tembre prochain, cela fera dix ans d’écart avec le vote du
texte précédent.
Élisabeth Borne ne peut faire autrement que de s’ins-
crire dans la continuité de la loi de Marisol Touraine. Elle
va donc présenter la semaine prochaine deux textes, corri-
geant l’un et l’autre les précédents.
COMMENT Le premier concerne le code de la
IMAGINER QUE sécurité sociale, le second est un
projet de loi confirmant le premier.
LES ÉLUS LR DE Marisol Touraine n’avait pas eu la
L’ASSEMBLÉE moindre difficulté pour faire voter
NE VOTENT PAS ses textes: le gouvernement Ayrault
disposait de la majorité absolue à
COMME CEUX l’Assemblée (et même, à l’époque,
DU SÉNAT ? au Sénat — mais c’était secondaire).
Élisabeth Borne n’a pas les mêmes
facilités. Car elle n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée.
Certes, pour la seule partie “sécurité sociale” de son pro-
jet (celle du projet de loi de financement de la sécurité sociale
rectificatif), elle peut procéder comme elle l’a fait déjà dix
fois au cours de la session précédente, en ayant recours à
l’article 49-3, qui l’exonère du vote de l’Assemblée.
M ais il y a le second texte, celui qui est de portée géné-
rale et a besoin d’un vote, conformément à la Consti-
tution. Et là, elle ne peut y échapper: il lui faut les
voix du groupe LR, puisque la gauche et le Rassemblement
national sont tout aussi hostiles à cette réforme des retraites…
Or, qui pilotent ces voix LR? Olivier Marleix, président du
groupe à l’Assemblée, et Éric Ciotti, président du parti Les
Républicains, les deux qu’Élisabeth Borne a également
reçus en tête à tête.
Et c’est là que l’on retrouve les sénateurs de la même
famille des Républicains. Comment imaginer que leurs
élus de l’Assemblée ne votent pas comme leurs confrères
du Sénat? Et viennent démentir ce qu’ils avaient approuvé
dans le programme de la campagne présidentielle de Valé-
rie Pécresse: les retraites, « une réforme trop longtemps
repoussée »… •
 BARBARA VIOLLET
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La rédaction de Valeurs actuelles

6 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

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COULISSES POLITIQUES
LÉGION D’HONNEUR
Les “marcheurs” bons et loyaux promus le 1er janvier
es copains d’abord. La cuvée
2023 de la Légion d’honneur
fait la part belle aux proches
du président. Le haut commissaire
au Plan François Bayrou
et l’ancien président de l’Assem-
blée nationale Richard Ferrand,
deux habitués des dîners straté-
giques régulièrement organisés
par Emmanuel Macron à l’Élysée,
sont ainsi récompensés pour leur
soutien durable au chef de l’État.
La nouvelle promotion met égale-
ment les “recasés” de la Macronie
à l’honneur. L’ex-ministre
de l’Intérieur Christophe Casta-
ner, parachuté par décret prési-
dentiel au conseil de surveillance
du Grand Port maritime
de Marseille (GPMM) et à la tête
des Autoroutes et tunnel du Mont-
Blanc (ATMB), est nommé au
grade de chevalier de la Légion
d’honneur. Destin similaire pour
Emmanuelle Wargon, ancienne
Une éviction qui passe mal
T andis que ses collègues étaient
récompensés, Gérald Darmanin
jouait au pompier de service. Depuis
Mayotte, le ministre de l’Intérieur,
le teint marqué par sa visite de l’archi-
pel, doit justifier le limogeage de Marie
Lajus, préfète d’Indre-et-Loire. « Un
représentant de la République doit être
absolument inattaquable et respec-
table. Lorsque je considère que ce n’est
pas le cas, je prends mes responsabili-
tés de chef de l’administration », élude
le premier flic de France au micro
de BFMTV. Comment expliquer cette
éviction? Les détracteurs de la préfète
parlent d’une erreur de casting,
8 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
EN HAUSSE
Goldman
Indéboulonnable,
JACQUES WITT/SIPA
le chanteur reste la
personnalité préférée
des Français d’après le classement
annuel du Journal du Dimanche.
Jancovici
Avec sa bande
dessinée le Monde
sans fin, l’ingénieur
pronucléaire signe le plus gros
PATRICK HERTZOG/AFP ; ALEXIS SCIARD/IP3 PRESS/MAXPPP ; SP/ASSEMBLÉE NATIONALE ; JULIEN DE ROSA/AFP ; VINCENT ISORE/IP3 PRESS/MAXPPP ; THOMAS SAMSON/AFP
succès littéraire de 2022
Emmanuel Macron. Savoir remercier (514000 exemplaires vendus).
les “copains”.
Gonzalez
ministre chargée du Logement, Le député RN
dont la nomination, en août der- et doyen
nier, à la Commission de régula- de l’Assemblée
tion de l’énergie (CRE) avait nationale, pied-noir né à Oran,
entraîné colère et crispation dans devient vice-président du groupe
l’opposition. Président de la région d’amitié France-Algérie.
Paca, Renaud Muselier est,
lui, promu officier, un mois à peine EN BAISSE
après avoir officiellement rejoint
Renaissance. Emmanuel Macron Sy
sait se montrer généreux. L’acteur dénonce
l’attitude des Français
qui se sentent, selon
lui, plus concernés par la guerre
dénoncent ses accointances un peu trop
prononcées avec les élus socialistes et
en Ukraine que par les conflits
africains.
écologistes de la région. Ceux-ci montent
au créneau pour la défendre. Ici, une tri-
bune dans le Monde signée par la séna-
Pierre-Marie
La maire écologiste
trice PS de la Charente Nicole Bonnefoy du XIIe arrondis-
et une pétition en ligne. Là, un article sement de Paris
du Canard enchaîné qui avance une tout est critiquée pour s’être rendue
autre hypothèse. La préfète paierait son en avion à New York pour
opposition à la construction d’un impor- les fêtes de fin d’année.
tant incubateur de start-up. Ce projet,
soutenu par les élus de la majorité locale, Faure
pourrait s’installer dans le parc Pour ses vœux
du château Louise de La Vallière, classé du 31 décembre,
monument historique. « Il y a beaucoup le premier secrétaire
de mensonges qui sont dits et ce n’est du PS s’est mis en scène dans
pas digne de ceux qui servent l’État », une vidéo (ratée) dans laquelle
rétorque Gérald Darmanin. il s’essaie au “Macronpoly”.
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de compétition. Il vit dans une ferme-
auberge des Vosges et attend que l’argent
tombe
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américaine Samantha-Sun Lopez est
invitée au salon du livre
re d’Épinal,
co
il accouche d’une idée désastreuse :
la kidnapper pour obtenir une rançon.
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 COULISSES POLITIQUES
Les politiques
ne font plus vendre
h! qu’il semble déjà loin le temps
où Nicolas Sarkozy pouvait
vendre 250000 exemplaires de son
Temps des tempêtes! Des chiffres
à faire désormais pâlir les politiques
qui s’essaient au travail de la plume.
Cette année, François Hollande
a bataillé pour atteindre le seuil
des 10000 ventes avec Bouleverse-
ments (Stock). Un score
ISORE MORIN/IP3 PRESS/MAXPPP
presque honorable
au vu des résultats
de la concurrence. Avec
son pamphlet contre Éric
Zemmour, son ancien
Premier ministre Manuel
Valls dépasse à peine
les 1200 ventes. Famélique, certes,
mais toujours mieux qu’Aymeric
Caron. Le député antispéciste a vendu
moins de 500 exemplaires de son livre
contre la corrida, Abolition (Robert
Laffont). Son collègue de la Nupes
Aurélien Taché (photo) se contente,
lui, de 50 lecteurs pour son Voyage
d’un homme libre au pays de l’absolu-
tisme (Seuil). Tout ce beau monde
s’incline pourtant devant Jean-Chris-
tophe Cambadélis. L’ancien patron
du PS a écoulé… 2 exemplaires du Big
Bang social-démocrate (VA Éditions).
Veritas tantam
d’Olivier de Kersauson
Le Cherche Midi,
208 pages, 18,90 €.
Certes, Olivier de Ker-
sauson publie beaucoup. Certes,
la philosophie n’est pas sa forma-
tion. Certes, il y a quelque chose
de redondant à lire au fil des ans
ses aphorismes, et la puissance nar-
10 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
JACQUES WITT/SIPA
Vers un non-débat sur
la réforme des retraites…
V ous reprendrez bien un peu
de 49.3? L’hypothèse d’un
énième recours à l’alinéa de la dis-
corde semble faire son chemin
au sein du gouvernement. Pour pou-
voir mettre en place la réforme
des retraites dès l’été 2023 et ainsi
atteindre l’objectif fixé par Emma-
nuel Macron, l’exécutif pourrait être
tenté par un tour de passe-passe
législatif: intégrer les mesures essen-
tielles dans un projet de loi de finan-
cement de la Sécurité sociale rectifi-
catif (PLFSSR) présenté début février
devant le Parlement. Projet qui
échapperait donc à la limite d’utilisa-
tion de l’article 49.3 fixé par la Consti-
tution (un par session parlementaire,
hors projets de loi de finances
ou de financement de la Sécurité
sociale). Le gouvernement se paierait
alors le luxe de garder un 49.3
sous le coude pour les autres débats
LE LIVRE DE LA SEMAINE
rative d’Ocean’s Songs s’est diluée.
Mais le bougre a du ressort. Et son
dernier opus vous embarque une
fois de plus, avec sa recette infail-
lible: un anticonformisme sans
parti politique, une forme de droite
un peu anar, un côté réac mais tout
sauf nostalgique. Le pronom “iel”
se fait étriller, comme beaucoup
d’autres dérives de notre temps:
« De nos jours, la plupart des indi-
Élisabeth Borne à l’Assemblée.
Le passe-passe du 49.3.
à venir cette année, par exemple
celui à prévoir sur le projet de loi
immigration attendu prochainement
à l’Assemblée nationale.
… ou un accord
avec Les Républicains ?
L a Macronie, “en même temps”,
sait aussi qu’un nouveau recours
à l’article controversé sur un sujet
aussi explosif que celui du report
de l’âge légal de départ à la retraite
pourrait suffire à réveiller la vindicte
populaire. Pour compléter sa majorité
relative, l’exécutif ne cache
pas sa volonté de travailler avec
Les Républicains, dont les positions
sur la question des retraites n’appa-
raissent pas complètement incompa-
tibles avec l’agenda du gouverne-
ment. À condition que le parti
tranche ses incessantes divisions
internes. Comptes d’apothicaire:
Éric Ciotti est favorable à un report
progressif du départ à la retraite
à 63 ans en 2027, là où les sénateurs
et leur chef de file Bruno Retailleau
poussent, eux, pour 64 ans. Quant
à Aurélien Pradié, troisième homme
à l’issue du dernier vote interne,
celui-ci souhaite se concentrer sur
la durée de cotisation. Bon courage.
vidus se regroupent par souf-
frances, réelles ou supposées, subo-
dorées. » Les wokes prennent ici
la mer par paquets: « Chez nous,
on construit des mémoriaux pour
rassurer ceux qui ont subi l’escla-
vage il y a quatre cents ans,
mais on oublie les gens qui ont été
massacrés systématiquement
au nom de leur religion ou de leur
refus d’adhésion républicaine. »
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COULISSES POLITIQUES
ANNIVERSAIRE
Un réveillon tranquille,
vraiment?
érald Darmanin est un
ministre visiblement comblé.
Son année 2023 démarre par une
bonne nouvelle: la quasi-absence
de débordements en marge des fes-
tivités de la Saint-Sylvestre. Le
patron de la place Beauvau a tenu
des propos encourageants sur le
front de la lutte contre l’insécurité
dès le lendemain: « Le nombre de
véhicules brûlés est en diminution
historique de 21 % par rapport
à l’année précédente. […] Par ail-
leurs, les policiers et gendarmes
ont réalisé 490 interpellations
(441 en 2021), soit une hausse
de 11 %. » Ces chiffres sont certes
éloquents. Mais, dans les faits, la
soirée du 31 décembre est malheu-
reusement marquée par la banali-
sation des actes de violence. Selon
nos informations, de source poli-
cière, le bilan en Seine-Saint-Denis
est de 15 véhicules incendiés et
14 feux de poubelles. Les forces de
l’ordre ont subi 233 tirs de mortiers
alors que 57 personnes ont été
interpellées. Dans les Yvelines,
39 faits de violences urbaines, dont
22 véhicules incendiés, 13 poubelles
et 8 attaques de policiers ont été
recensés. Ils ont d’ailleurs arrêté
15 personnes en lien avec ces vio-
lences. Dans les métropoles, à
Bardella “chouchou”
des médias
A vec 68 apparitions médiatiques
sur l’année 2022, le nouveau
12 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Politiquemedia. Il détrône un autre
“bon client”, le ministre délégué
chargé des Comptes publics,
Gabriel Attal (60), relégué cette
année à la deuxième place d’un
podium complété par le commu-
SEBASTIEN BOZON/AFP
niste Fabien Roussel (56). Bras armé
de Marine Le Pen pendant la cam-
pagne présidentielle, Jordan
Bardella a également bénéficié
d’une exposition renforcée par
Voitures calcinées la nuit du 31 décembre. son duel face à Louis Aliot (10e du
“Il ne s’est rien passé (rires).” classement) lors du congrès du RN
en novembre dernier. Pour 2023,
Bordeaux et à Nantes notamment, la composition de son équipe
les fonctionnaires et militaires ont “interventions publiques”, qui
dû faire face à des affrontements, prépare ses fiches thématiques
avec des jets de cocktails Molotov et autres éléments de langage à ses
et le recours à des objets pyrotech- côtés, est légère-
niques. Des violences sporadiques ment modifiée.
ont ainsi émaillé le pays. Des guets- Pour pallier les
apens, avec tirs de mortiers et jets absences de son
BARBARA VIOLLET
de projectiles, ont été organisés collaborateur
dans les communes de Bourg- Pierre-Romain
en-Bresse (Ain), Amiens (Picardie), Thionnet, désor-
Mutzig (Bas-Rhin) et La Rochelle mais occupé par la
(Charente-Maritime). Sans oublier gestion du nouveau Rassemblement
les attaques contre un commissa- national de la jeunesse, Jordan
riat à Toulouse et une caserne Bardella a récemment fait appel
de gendarmerie à Pierrelatte, dans à un autre conseiller de longue
le département de la Drôme. Pour date, la discrète plume de ses dis-
rappel, quelque 90000 agents ont cours, Donatien Veret. S’il ne
été mobilisés dans toute la France, devrait pas y avoir de changement
dont 5400 à Paris, pour contenir de rythme majeur à prévoir pour
les débordements lors de cette nuit le jeune président, dont la percée
du Nouvel An. Un policier nous populaire reste intimement liée
confie, non sans ironie, sa vision à son aisance (et omniprésence)
des événements: « Il ne s’est rien médiatique, ce dernier s’est
passé (rires). Un jour normal dans en revanche fixé un objectif pour
une France tranquille. » l’année: convaincre Éric Dupond-
Moretti de le retrouver, face à face,
pour un débat télévisé sur la « jus-
président du Rassemblement
national truste la première place
tice et la violence dans la société ».
La proposition est sur la table du
du classement des personnalités garde des Sceaux, qui avait décliné
politiques les plus conviées
sur les plateaux, selon le site
une offre similaire il y a de cela
quelques mois.
Pages coordonnées par Sébastien Lignier
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VU SUR LE CLUB VA
LE PLUS LU DE LA SEMAINE…
L’annexe de la chancellerie, dans le XIXe à Paris. Une société privée protège le personnel.
Le ministère de la Justice
sous surveillance privée
S ur le parvis de la station Rosa-
Parks, dans le XIXe arrondisse-
ment de Paris, deux silhouettes
figées détonnent parmi les
passants pressés. Impassibles,
elles scrutent discrètement les
voyageurs qui sortent du RER.
Selon nos informations, le minis-
tère de la Justice a engagé des
agents privés pour assurer la sécu-
rité de ses employés. Depuis 2015,
la majeure partie des salariés
des services centraux de la chan-
cellerie travaille dans les locaux
du bâtiment Millénaire 3, non loin
de la porte d’Aubervilliers.
Ces services ont dû quitter leurs
confortables bureaux de la place
Vendôme pour ces locaux proches
de la “colline du crack” et ses
Les regrets des ex-trans
J’ ai foutu ma vie en l’air. Les
transgenres repentis sont de
plus en plus nombreux à dénoncer
les changements corporels irréver-
sibles qu’ils ont subis en prenant des
hormones du sexe opposé. « Est-ce
que les gens savent que c’est le même
traitement utilisé pour procéder
à la castration chimique des pédo-
philes? », interroge Sarah Eliz Har,
une youtubeuse américaine. Les
14 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Retrouvez ici, chaque semaine,
le meilleur du site valeursactuelles.com
LA VIDÉO VA
VA+
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Noël à l’alsacienne,
la France de Charlotte,
migrants. « La sûreté se dégrade épisode 1
au fil de la journée, témoigne
un membre du personnel. Le soir,
Retrouvez le premier épisode
de la France de Charlotte
c’est le no man’s land, il y a une
ambiance de guerre civile. »
De la gare au métro, pas une rue
à Strasbourg sur notre offre
Rejoindre.
n’échappe à la ronde des agents, MORCEAUX CHOISIS
six au total, répartis en trois
binômes, quadrillant le périmètre Alexandre Del Valle
à l’entour. Chez les fonctionnaires, Le géopolitologue sur
on ironise ou critique l’appel le scandale du “Qatargate” :
à une entreprise privée pour « Malgré ses liens
pallier l’absence de la police dans avec Al-Qaïda en Syrie ou
le quartier. L’affaire coûterait les talibans afghans, le Qatar
250000 euros par an aux contri- a réussi à “nettoyer”
buables et le résultat ne semble sa réputation, à obtenir
pas à la hauteur. « On recourt des exemptions de taxes
à nos propres moyens pour être immobilières, la Coupe du monde
PHOTOS : DAMIEN GRENON/PHOTO12 VIA AFP - ROMAIN ROUGER - JEAN-FRANCOIS MONIER/AFP
en sécurité », déplore un employé. de football et carte blanche
N’osant plus prendre d’objets de pour financer l’islamisation. »
valeur dans sa sacoche, il a troqué
son ordinateur portable pour une Stanislas Rigault
bombe lacrymogène. Le vice-président de
Reconquête ! sur le site
Fdesouche :
“détransitionneurs” mettent aussi
en cause la légèreté de médecins
« Fdesouche est une caisse de
résonance essentielle aujourd’hui.
qui ne s’attardent pas sur la santé
mentale de leurs patients. « Est-il
surprenant que des adolescents
Le nombre d’affaires qu’ils ont
mis sur le devant de la scène
est considérable. »
veuillent changer de genre quand
ce discours est normalisé dans Isabelle
les écoles? », remarque Oli London, Raimond-Pavero
cet influenceur britannique défiguré La sénatrice Les Républicains
par de multiples opérations. de l’Indre-et-Loire sur les
Transfuge woke, il condamne grèves de la SNCF :
désormais l’idéologie trans et son « Je pense qu’il y a d’autres façons
influence néfaste sur la société. de réagir. »
POLITIQUE / LE TRAIT DE LA SEMAINE

VALEURS ACTUELLES — 15
5 janvier 2023 — VALEURS
ÉDITOS

Benoît XVI, tourné vers le Seigneur

Le pape émérite, rappelé à Dieu samedi
dernier, aura marqué l’Église tant par
son humilité que par la puissance
de son enseignement. Son orientation
à Dieu aura été la clef de son pontificat
et le fil rouge de sa vie. Sans aucun
doute continueront de germer les fruits
de la génération BenoîtXVI.
Par le père Danziec*
contours de la réunion interreligieuse d’Assise en 1986:
«Une chose est de “prier ensemble”, une autre “d’être
ensemble pour prier” », expliquait-il.
À l’occasion du grand jubilé de l’an 2000, il prenait l’ini-
tiative d’un document majeur sur le Christ, unique sau-
veur des hommes: Dominus Iesus. Inlassablement, en ser-
viteur fidèle, il s’était attaché à rappeler — et au besoin
défendre — l’enseignement immuable de l’Église du Christ.
C’était Ratzinger.
Les mêmes qui fustigent les stéréotypes de race n’hési-
tèrent pas à le caricaturer en “panzer Kardinal”. Sa voix
était pourtant fluette et son tempérament, timide et réservé,
le portait à la retenue. Dans sa germanité, il avait du reste

S
puisé le meilleur: il appréciait la bière et se détendait en
es cheveux étaient d’un blanc immaculé, il avait le jouant du Mozart au piano. C’était Joseph.
regard d’un enfant et la foi pure d’un premier com- À son élection, nombre d’observateurs doutèrent fort
muniant. Ses yeux clairs pétillaient de bienveillance de sa capacité à susciter de l’enthousiasme. À les entendre,
et sa douceur engageait à le suivre. Sa bonté confon- les baptisés, encore tout étourdis
dante avait saisi petits et puissants quand sa délica- PREMIER du pontificat hors-norme de Jean-
tesse était reconnue au-delà des couloirs du Vatican. PaulII, s’ennuieraient devant ce
Sa prodigieuse érudition aurait pu intimider ses inter- PONTIFE DE pape allemand. Les catholiques
locuteurs, il savait au contraire la mettre à leur service. L’ÈRE FACEBOOK du monde entier fuiraient ce pon-
Comme l’offrande partagée d’un nard précieux. À l’heure
de la retraite et d’un repos bien mérité, lui, l’amoureux du
ET À POSSÉDER tife conservateur. Ce fut l’exact
inverse. Le père Guy Gilbert, le
silence et des bibliothèques, avait porté le fardeau de suc- UN COMPTE fameux curé des loubards, admet-
céder à un pape aux mille voyages, expert en captation des
projecteurs. Il avait accepté de conduire les destinées de
TWITTER, IL LUI tait au détour d’une interview :
« On allait voir Jean-PaulII. On
la catholicité, puis surprit son monde par sa renonciation. IMPORTAIT vient écouter BenoîtXVI. » Tout est
En se vouant à la discrétion, à l’étude et à la prière, il offrait D’ALERTER SES là. Jean-PaulII avait pèleriné à tra-
une ultime leçon: on pouvait tout posséder et tout redon-
ner. Jusqu’à s’effacer. C’était Benoît XVI.
CONTEM- vers tout l’univers en faisant flot-
ter sa soutane blanche sur les cinq
La providence avait juxtaposé sa vie à l’intensité de celle PORAINS continents. BenoîtXVI a fait pèle-
de l’Église. Du concile Vatican II, vécu en tant que jeune
expert théologien, il avait rapidement diagnostiqué l’éten-
DEVANT riner les intelligences par la dif-
fusion de sa pensée lumineuse aux
due d’un écartèlement interne, entre ruptures et conti- L’IMPASSE quatre coins du monde.
nuité. Au début des années quatre-vingt, répondant à l’in- INTELLEC- Premier pontife de l’ère Facebook
sistance de Jean-Paul II, il prenait la tête de la congrégation et à posséder un compte Twitter,
pour la Doctrine de la foi, celle qui garde et protège les TUELLE DU il lui importait d’alerter ses contem-
dogmes. Il cherchait la paix doctrinale, voyant en elle la RELATIVISME. porains devant l’impasse intellec-
garantie constitutive de l’ordre ecclésial. En 1983, à Lyon tuelle du relativisme: la loi de Dieu,
et Paris, il désavouait le catéchisme déstructuré Pierres qu’on appelle aussi loi naturelle, « est en définitive le seul
vivantes promu par l’épiscopat français. Il rappelait à rempart valide contre l’arbitraire du pouvoir ou des trom-
l’ordre, en 1984, la théologie de la libération, en raison de peries de la manipulation idéologique », affirmait-il.
ses inspirations ouvertement marxistes. Son pontificat ne fut ni une transition ni une parenthèse.
Afin d’empêcher l’assertion relativiste qui consiste à dire Il fut celui d’une orientation résolue vers le Seigneur. La
que toutes les religions se valent, il tentait de préciser les puissance de sa réflexion était tout habitée d’une pensée

16 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023


simple: l’urgence de renouer avec le Christ, socle de toute
justice, de toute culture, de toute harmonie et, en fin de
compte, de toute raison de vivre.
Lors de sa messe d’intronisation, le 24 avril 2005, il sup-
pliait l’assistance: « Priez pour moi, pour que j’apprenne
toujours plus à aimer le Seigneur. » Se tourner toujours
plus vers le Seigneur fut, ainsi, l’âme de son ministère pétri-
nien. Une règle de vie — toute bénédictine — propre à main-
tenir les cœurs fermes dans la foi et à redresser une Église
en crise. Orientation à Dieu dans la profession sans équi-
voque du Credo. Orientation à Dieu dans le soin porté à la
Délinquance juvénile: l’urgence d’agir
Lutter efficacement contre ce fléau suppose
de passer d’une société de l’impunité
à une société de la responsabilité.
Par Alexandra Martin*
L
a violence des mineurs est au cœur même du malaise
civique qui affecte notre pays. Le constat est sans
appel : les infractions imputables aux adolescents
sont de plus en plus fréquentes, de plus en plus vio-
lentes et commises de plus en plus jeune.
Les chiffres avancés par le ministre de l’Intérieur sont
impressionnants: 200000 mineurs seraient mis en cause
chaque année. Même si les statistiques en la matière sont
difficiles à recouper, on note que 20 % des faits de délin-
quance générale, 48 % des violences sexuelles sur mineurs,
40 % des vols violents et 30 % des coups et blessures
volontaires sur des jeunes sont commis par des mineurs.
Nous sommes bien au-delà de ce qui relève de l’émo-
tion suscitée par de tels comportements, mais face à un
véritable défi sociétal et civilisationnel : celui de l’auto-
rité pour que chacun puisse vivre librement dans une
société plus sûre, celui de la responsabilité pour que la
culture de l’excuse ne soit plus la règle. L’agresseur ne
doit pas être “victimisé” mais rendu responsable de ses
actes face à ses victimes, et rendre compte à la société.
Depuis 2017, le domaine régalien est l’angle mort de
la présidence d’Emmanuel Macron. De nombreux dis-
cours et textes se sont succédé ces dernières années :
Beauvau de la sécurité, loi pour la confiance en la jus-
tice et plus récemment la loi Lopmi, sans jamais parve-
nir à apporter des réponses claires et effectives à ce phé-
ÉDITOS
liturgie et au culte dû au Très-Haut. Orientation à Dieu dans
la reconnaissance de la splendeur de sa création. Orienta-
tion à Dieu dans le respect de son décalogue.
Pour nous tourner, à notre tour, vers le Seigneur, on ne
saurait se lasser de replonger dans ses encycliques, ses
catéchèses, ses interventions, ses homélies, ses discours.
Tout cela, bien sûr, c’était Joseph, c’était Ratzinger, c’était
BenoîtXVI. Mais bien plus encore, ce corpus lumineux
nous fait dire que, oui, vraiment, c’était un pape. Dans
toute sa mesure. •
* Le père Danziec est chroniqueur à “Valeurs actuelles”.
nomène de délinquance juvénile. Il n’est plus l’heure du
théâtre politique, il est temps d’agir. Face à un senti-
ment d’impunité, il est urgent de rétablir l’autorité de
l’État, de la police, de la justice, de l’école et des parents.
Aujourd’hui, et cela est de plus en plus manifeste à
travers les études et enquêtes en la matière, le jeune
délinquant est très souvent indifférent au risque de sanc-
tion qu’il encourt, aux conséquences de ses actes. La
notion de bien et de mal paraît même régulièrement lui
échapper. Aussi, je crois indispensable que la sanction
soit connue par l’intermédiaire
NOUS SOMMES d’un rappel civique au cours de
FACE À UN la scolarité.
Même si la transgression des
VÉRITABLE DÉFI règles est tentante pour les jeunes,
SOCIÉTAL ET le respect de l’autre et de la loi
doit être la pierre angulaire d’une
CIVILISATION- société civilisée, et inculqué par
NEL: CELUI les parents.
C’est pourquoi, j’ai déposé une
DE L’AUTORITÉ proposition de loi visant à ren-
POUR QUE forcer la lutte contre la délin-
CHACUN PUISSE quance des mineurs, coécrite
avec David Lisnard, maire de
VIVRE LIBRE- Cannes (Alpes-Maritimes) et pré-
MENT DANS sident de l’Association des maires
de France (AMF). Cette proposi-
UNE SOCIÉTÉ tion prévoit la levée de l’excuse
PLUS SÛRE. de minorité à 13 ans au lieu de 16
actuellement dans des cas d’une
gravité exceptionnelle, et une augmentation de la peine
encourue par ces jeunes (cette excuse de minorité serait
abaisssée à 20 % de la sanction applicable à un adulte,
alors qu’elle en représente 50 % aujourd’hui). •
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 17
ÉDITOS
En outre, nous voulons créer une nouvelle infraction,
qui serait autonome de celle imputable au mineur. Elle
engagerait la responsabilité pénale des titulaires de l’au-
torité parentale, en faisant courir le risque d’un empri-
sonnement (deux ans) et d’une forte amende (30000 euros)
aux parents qui se montrent défaillants dans l’éduca-
tion de leurs enfants.
Le “quoi-qu’il-en-
coûte”, un tonneau
des Danaïdes
La politique du chéquier est un cautère
dont les Français devront tôt ou tard
payer le prix.
Par Sébastien Laye*
L
a hâte engendre en tout l’erreur, et de l’erreur sort
bien souvent le désastre. Nos dirigeants auraient eu
en tête cette réflexion d’Hérodote, que la trajectoire
de notre économie en 2023 eût été fort différente.
En 2020, face à une contraction du PIB de près de
8 % engendrée par les confinements, alors que notre éco-
nomie était au bord de l’abysse, une intervention massive
des États et une injection de quantités astronomiques de
monnaie pouvait être justifiée pour quelques mois : ce
pari était cependant audacieux et hâtif, alors qu’en Europe
et singulièrement en France, la stimulation monétaire et
budgétaire était de mise depuis cinq ans déjà.
Le terme de “quoi-qu’il-en-coûte” du président Macron
n’était que la reprise du “whatever it takes” de Mario
Draghi, plusieurs années auparavant. Nihil novi sub sole.
Juste avant le Covid, notre dette tutoyait les 100 % du PIB
et nous ne parvenions presque jamais à respecter la
moindre discipline budgétaire. Lorsque les vannes furent
lâchées en 2020, le risque d’inflation était patent dès la
fin de l’année. Or notre gouvernement, confortablement
installé dans le laxisme monétaire et budgétaire, puis
devant subitement au printemps 2022 faire face à une
seconde crise longtemps niée, celle du pouvoir d’achat,
n’est jamais sorti de ces mesures d’exception.
Nous vivons depuis 2020 largement au-dessus de nos
moyens, avec comme conséquence cette terrible inflation
18 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Car si l’école instruit — et il faut faire de l’instruction
publique l’une des priorités absolues des prochaines
années —, l’éducation des enfants est de la responsabi-
lité des parents et certains doivent en prendre conscience.
* Alexandra Martin est députée LR des Alpes-Maritimes
•
et l’initiatrice d’une proposition de loi visant
à renforcer la lutte contre la délinquance des mineurs.
qui fait basculer des Français dans la pauvreté. L’infla-
tion pour 2022 s’élève à 7 %, un peu moins que la moyenne
européenne, mais la différence vient d’une budgétisation
de l’inflation par des mesures dispendieuses. Elles sont
toutes justifiées par l’urgence, alléger la facture de l’élec-
tricité, celle du carburant, puis maintenant celle du chauf-
fage au bois… mais au lieu de juguler l’inflation, on se
contente d’appliquer des cautères dont les Français paie-
ront toujours in fine le prix.
Pendant ce temps, la dette accumulée coûte de plus en
plus cher avec la remontée des taux d’intérêt. D’ici trois
ans, le coût annuel du service de la dette devrait presque
doubler, sauf à imaginer une nouvelle baisse brutale des
taux. Trouver chaque année 10 milliards d’euros de plus
au budget confinera à un exercice périlleux d’équilibriste.
La restructuration de notre État,
NOUS VIVONS jamais foncièrement engagée
DEPUIS 2020 depuis vingt ans, risque de se
faire soudainement par la force
LARGEMENT des choses.
AU-DESSUS DE Le mur de la réalité n’est jamais
apprécié des gouvernants, non
NOS MOYENS, plus que les lois d’airain de l’éco-
AVEC COMME nomie. Mais nos dirigeants se
grandiraient en tenant enfin un
CONSÉQUENCE discours de vérité aux Français.
CETTE TERRIBLE Pinay, Barre, Fillon ont eu jadis
ce courage et aucun spin doctor,
INFLATION QUI conseiller en communication ou
FAIT BASCULER visiteur du soir ne sortira le gou-
DES FRANÇAIS vernement français du guêpier
dans lequel il s’est engoncé, fai-
DANS LA sant miroiter aux Français cet
PAUVRETÉ. éternel soutien financier de
l’argent magique. En politique
économique, il faut tenir avec courage sa ligne de crête:
nous avons plus que jamais besoin d’artisans besogneux
à la barre, non de prestidigitateurs. Ils existent et sont
toujours prêts à aider leur pays. •
* Sébastien Laye est chef d’entreprise et directeur d’études
économiques à l’Institut Thomas More.
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de l’interminable guerre civile libyenne. Ce onzième numéro
de Spectacle du monde nous mène également en Grèce,
nouveau point d’appui des Américains en Europe, lève le voile
sur l’identité du successeur de Xi Jinping et nous conduit dans
les arcanes de la diplomatie française.
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5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 19

EN COUVERTURE

Benoît XVI,
la passion de la Vérité
Décédé le 31 décembre, à 95 ans, Joseph Ratzinger a consacré sa vie au Christ et a marqué
l’histoire par un pontificat bref, secoué de crises mais extraordinairement fécond.

Par Laurent Dandrieu

20 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023


MAX ROSSI/REUTERS
Q
uand tu étais jeune, tu mettais
ta ceinture toi-même pour aller
là où tu voulais; quand tu seras
vieux, tu étendras les mains,
et c’est un autre qui te mettra
ta ceinture, pour t’emmener là où tu
ne voudrais pas aller. S’il n’aura pas
connu le martyre physique que pro-
phétisait cette parole de Jésus à saint
Pierre, Joseph Ratzinger, au cours de
sa longue existence, n’a cessé de médi-
ter ce passage de l’Évangile selon saint
Jean qu’il aimait à citer dans ses homé-
lies, et notamment lors des obsèques
de son prédécesseur Jean-Paul II. Car,
si sa volonté de mettre sa vie au ser-
Le nouveau pape salue la foule au soir
de son élection, le 19 avril 2005.
Un pontificat de refondation de la foi.
vice de l’Église a bien trouvé son abou-
tissement dans un pontificat où il s’est
employé inlassablement, de toutes ses
forces de « simple et humble ouvrier
dans la vigne du Seigneur » comme il
s’est présenté le soir de son élection,
à mettre le Christ au centre de toutes
choses, Dieu aura bien conduit là où
il ne voulait pas aller celui qui se serait
volontiers contenté d’une vie de pro-
fesseur et de théologien, à l’écart des
foules et de l’agitation du monde comme
des critiques qui n’ont cessé de le cari-
caturer en doctrinaire intransigeant
et réactionnaire. Mais ces épreuves
mêmes, il les aura acceptées comme
autant de gages d’obéissance à la volonté
de Dieu, conscient que Celui-ci ne les
aura permises que pour son bien ultime,
comme il en a témoigné dans le testa-
ment spirituel rendu public après sa
mort : « Avant tout, je remercie Dieu
lui-même, le dispensateur de tous dons
et bienfaits, qui m’a donné la vie et
m’a guidé à travers divers moments
de confusion, me relevant toujours
quand je commençais à glisser et me
redonnant toujours la lumière de son
visage. Avec le recul, je vois et com-
prends que même les passages sombres
et éprouvants de ce voyage ont été pour
mon salut et que c’est précisément là
qu’Il m’a bien guidé. »
C’est à bon droit, sans doute, que
Nicolas Diat a pu intituler sa biogra-
phie de Benoît XVI l’Homme qui ne
voulait pas être pape — pas plus, en
vérité, qu’il ne voulut être évêque,
cardinal ou membre de la curie. Mais
c’est peut-être justement parce qu’il
aura vécu toutes ces responsabilités
comme une contrainte offerte à Dieu,
dans un esprit de sacrifice et de ser-
vice, qu’il aura pu accomplir une œuvre
aussi formidablement féconde. Et que,
plus le temps passe, plus on s’aperçoit
que son pontificat, qui a pu laisser sur
le moment un goût de cendres, en
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 21
28 Le pape
de la réconciliation
30 L’incompris médiatique
raison du “coup de tonnerre” de la
renonciation finale, aura été un grand
moment de l’histoire de l’Église ; comme
cet homme, modeste malgré l’écla-
tante supériorité de son intelligence,
qui toute sa vie n’aura cherché qu’à
se faire oublier pour mieux rendre
honneur au Christ, en aura été l’une
des plus belles figures contemporaines.
Au départ, comme souvent, il y a
une famille très pieuse. Joseph Rat-
zinger naît le 16 avril 1927 à Marktl am
Inn, un village de Bavière, d’un père
gendarme et d’une mère cuisinière.
Le frère aîné, Georg, sera ordonné
prêtre en même temps que lui; quant
à Maria, la grande sœur, elle ne se
mariera pas et consacrera sa vie à
épauler le ministère de Joseph. L’en-
fance se passe dans une Allemagne en
crise, rapidement troublée par l’arri-
vée d’Hitler au pouvoir. Dès qu’il le
peut, le père prend une retraite anti-
cipée pour ne pas être mêlé aux basses
œuvres du régime.
Un professeur enthousiasmant
Élève brillant, Joseph rejoint Georg
au petit séminaire, à l’âge de 12 ans.
En 1941, à 14 ans, il est inscrit d’office
dans la Hitlerjugend. En 1943, il est
mobilisé, avec d’autres lycéens, pour
servir dans la défense antiaérienne de
Munich. S’ensuivent une période de •
VERBATIM
“Ainsi, aujourd’hui, je voudrais,
avec une grande force et une grande
conviction, à partir d’une longue
expérience de vie personnelle, vous
dire, à vous les jeunes: n’ayez pas peur
du Christ! Il n’enlève rien et il donne
tout. Celui qui se donne à lui reçoit
le centuple. Oui, ouvrez, ouvrez tout
grand les portes au Christ — et vous
trouverez la vraie vie.”
Messe inaugurale, 24 avril 2005.
 L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
Avec son frère Georg (à gauche), le jour de leur ordination
sacerdotale, le 29 juin 1951. Une vie donnée à Dieu.
AFP
travail obligatoire en Autriche, puis,
après avoir refusé d’intégrer la SS en
arguant de sa qualité de futur prêtre,
la mobilisation, en décembre 1944. Une
désertion quelques jours avant la capi-
tulation, puis deux mois de captivité
sous garde américaine complètent son
expérience de la guerre. Il a 18 ans.
Cette participation involontaire et
modeste à l’effort de guerre allemand
VERBATIM
“À l’approche de l’heure du juge-
ment, la grâce d’être chrétien me
devient toujours plus claire. Être
chrétien me donne la connaissance,
bien plus, l’amitié avec le juge de ma
vie et me permet de traverser avec
confiance la porte obscure de la mort.
À ce propos me revient sans cesse
22 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
n’empêchera pas certains de pratiquer
l’amalgame envers le “Panzerkardi-
nal”, ou même, lors de son élection au
trône de Pierre, de le soupçonner de
complaisance avec le nazisme. Calom-
nies absurdes dont Joseph Ratzinger
refusera toujours de se défendre; mais
dès la première année de son pontifi-
cat, il béatifiera Mgr von Galen, figure
la plus éminente de la résistance de
à l’esprit ce que Jean rapporte
au début de l’Apocalypse: il voit
le Fils de l’homme dans toute
sa grandeur et tombe à ses pieds
comme mort. Mais Lui, posant
sur lui sa main droite, lui dit:
« Ne crains pas! C’est moi… »”
Lettre ouverte du 8 février 2022.
l’Église allemande au nazisme. Si l’ex-
périence de la guerre eut une incidence
sur son destin, ce fut de renforcer encore
sa vocation sacerdotale et de stimuler
sa réflexion sur la nécessité de guider
la conscience par la lumière de la vérité.
Avant d’être ordonné prêtre, le jeune
Ratzinger doit répondre à deux ques-
tions intimes: il parvient, à la veille de
son ordination diaconale, à accepter le
renoncement au mariage ; puis à se
convaincre que sa vocation n’est pas
seulement déterminée par son goût de
l’étude théologique mais répond bien
au désir de servir l’Église et le Christ.
Ordonné prêtre le 29 juin 1951 dans la
cathédrale de Freising, il rapportera
avoir vu « un petit oiseau, sans doute
une alouette, s’élever du maître-autel
dans la cathédrale et lancer ses trilles
en un chant d’allégresse », comme pour
lui confirmer qu’il avait fait le bon choix.
Nommé professeur au séminaire, il
réveille l’enthousiasme des étudiants,
comme il le fera partout où il ensei-
gnera, par la clarté et la profondeur de
ses cours, jointes à une grande liberté
de ton. Dès les débuts sont présentes
les qualités qui feront de Ratzinger un
immense théologien en même temps
qu’un grand prédicateur: une quête
inlassable pour approfondir la vérité
sans jamais la tenir pour établie ou
acquise ; une limpidité de pensée et de
style qui entraîne l’auditeur ou le lec-
teur, avec la facilité de l’évidence, au
cœur des questions les plus ardues.
Docteur en 1953, Ratzinger devient
vite un professeur en vue, que les plus
grandes universités allemandes se dis-
putent: il enseignera à Bonn, Münster,
Tübingen, Ratisbonne… Parmi ses
thèmes de prédilection: concilier « le
Dieu de la foi et le Dieu des philosophes »,
mais aussi la Tradition comme appro-
fondissement continuel de la révéla-
tion divine. Ce dernier thème, il va
pouvoir le mettre en pratique lors du
concile Vatican II (1962-1965), où sa
réputation croissante incite le cardinal
Frings, archevêque de Cologne, à le
choisir comme conseiller théologique.
 L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
Avec Jean-Paul II, le 5 novembre 1979. À cette époque, le cardinal Ratzinger
a refusé de le rejoindre à Rome, préférant rester archevêque de Munich.

Ses contributions se révéleront déci-

sives, notamment sur la question de la
liberté religieuse ou de la collégialité.
Paradoxe: le futur Benoît XVI, qui sera
souvent dépeint en ultraconservateur,
voire en réactionnaire, est alors perçu
comme un progressiste.
Revenant au soir de sa vie sur cette
période, Benoît XVI assumera l’étiquette
pour le Ratzinger d’alors, tout en expri-
mant un remords: « Nous n’avons cer-
tainement pas évalué correctement […]
les répercussions concrètes » des évo-
lutions théologiques envisagées. Dès
1965, il ose publiquement « se deman-
der si, en définitive, la situation n’était
pas meilleure sous le régime des pré-
tendus conservateurs qu’elle ne peut
l’être sous le pouvoir du progressisme ».
Il s’inquiète de la façon dont certains
veulent appliquer le Concile, notam-
ment en matière de liturgie (laquelle,
très vite, « a commencé à s’effriter et à
céder à l’arbitraire »), prétendant en
faire un simple point de départ à une
révolution permanente, à une “nou-

velle Église” convertie à la modernité
plutôt qu’à la vérité. Dans un célèbre
discours à la curie, le 22 décembre
2005, Benoît XVI dénoncera ceux qui
se réclament d’un pseudo-“esprit du
Concile” pour en faire un instrument
de rupture, quand lui affirme que la
seule lecture qui peut en être faite est
celle d’une « herméneutique de la conti-
nuité ». Dans Entretien sur la foi, en
1985, il ira jusqu’à dire que le Concile
a été suivi d’« un processus progressif
de décadence ».
L’indispensable bras droit de Jean-Paul II
S’il y a un “virage” conservateur de
Ratzinger, mai 1968 y a certainement
contribué, en ancrant sa conviction
que, dans une société en voie de sécu-
larisation accélérée, l’Église allait
devenir une « minorité créative » qui,
pour survivre, devrait se recentrer sur
l’essentiel. Nommé archevêque de
Munich et Freising par Paul VI en 1977,
il songe à refuser, mais son confesseur
lui enjoint d’accepter. Choisissant
comme devise épiscopale “Collabora-
teur de la vérité”, il met sur son blason
l’ours qui, selon la légende, après avoir
dévoré l’âne qui portait les bagages
de saint Corbinien, fondateur du dio-
cèse de Freising, fut contraint par
celui-ci de prendre son fardeau: manière
d’illustrer le poids qu’est pour le nouvel
évêque la charge qu’on lui impose…
Fait exceptionnel: tout juste trois mois
plus tard, il est créé cardinal, à 50 ans,
ce qui lui permettra de prendre part
aux deux conclaves qui suivront la
mort de Paul VI et déboucheront sur
le pontificat de Jean-Paul II.
Dès son élection, le pape songe à
faire venir Ratzinger à Rome pour
l’épauler, mais celui-ci argue de sa
récente nomination à Munich et de sa
volonté de ne pas faire d’infidélité à sa
chère Bavière pour refuser. Mais lorsque,
KNA-BILD/REUTERS
après l’attentat du 13 mai 1981 qui fail-
lit lui coûter la vie, Jean-Paul II renou-
velle sa demande, Ratzinger n’ose plus
refuser. Il devient donc préfet de la
congrégation pour la Doctrine de la
foi, poste qu’il occupera sans disconti-
nuer jusqu’à la mort de Jean-Paul II, en
2005. Celui-ci lui a demandé de “posi-
tiver” la fonction, de l’orienter vers une
proclamation de la vérité et plus seu-
lement une condamnation des erreurs.
Reste que celle-ci fait aussi partie du
job, et Ratzinger acceptera par avance,
avec courage, de jouer le mauvais rôle.
Condamnation de la théologie de la
libération, convocations à Rome de
théologiens catholiques qui prennent
des libertés avec les dogmes, rappel de
l’interdiction de la communion des
divorcés-remariés ou de l’impossibilité
pour les catholiques de collaborer à •

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 23

 L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
Le 8 avril 2005, il célèbre les obsèques de Jean-Paul II.
Son homélie fera forte impression sur les cardinaux.
PATRICK HERTZOG/AFP
un avortement, condamnation du rela-
tivisme religieux et rappel que l’Église
du Christ est la voie universelle du
salut : autant de prises de position
fermes qui contribuent à installer la
légende noire d’un “PanzerKardinal”
implacable. Le rappel, après la publi-
cation du nouveau code de droit cano-
nique en 1983, que la condamnation
de la franc-maçonnerie reste inchan-
gée, vaudra à Ratzinger, selon le vati-
caniste Andrea Tornielli, l’hostilité
persistante des loges.
Pourtant, Ratzinger reçoit et consulte
énormément, et tous ceux qui travaillent
avec lui sont amenés, au contraire de
sa légende noire, à souligner son ouver-
ture d’esprit, sa capacité d’écoute et de
dialogue. Déjà naît le décalage entre
l’image extérieure et médiatique, qui
le présente comme une personne dure,
fermée et implacable, et la bonté, la
douceur et la profonde humilité que
ressentent tous ceux qui l’approchent:
décalage que l’exposition publique de
son accession au pontificat ne suffira
pas à combler.
Le travail accompli durant ces vingt-
EVARISTO SA/AFP
trois ans comme bras droit de Jean-
Paul II est considérable : d’abord
critiqué comme l’instrument d’un reca-
drage théologique, le Catéchisme de
24 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
l’Église catholique, publié en 1992,
connaît un succès planétaire. Sa proxi-
mité avec le pape lui permet aussi d’ap-
porter sa pierre à la réflexion théologique
de celui-ci, sensible dans des textes
comme la Splendeur de la vérité ou Foi
et Raison. Et c’est dès les années 1990
que, contre une bonne partie de la
curie, Ratzinger entreprend courageu-
sement une lutte implacable contre la
pédophilie dans l’Église.
Dans les dernières années, l’affai-
blissement physique de Jean-Paul II
fait de Ratzinger le véritable pilier
du pontificat et, lors du désarroi pro-
fond suscité par la fin de ce règne de
vingt-six ans, une sorte de refuge.
VERBATIM
“Il n’y a pas
l’intelligence
puis l’amour :
il y a l’amour
riche d’intelli-
gence et l’intel-
ligence pleine
d’amour.”
(Encyclique
la Charité
dans la vérité.)
Au Brésil, en mai 2007.
D’autant que, élu en 2002 doyen du
Collège des cardinaux, c’est lui qui
est chargé d’organiser la transition
à la mort du pape polonais. Et que
ses méditations du Vendredi saint,
moins d’un mois auparavant, avaient
brossé de la situation un tableau apo-
calyptique : Ratzinger avait évoqué
les « souillures dans l’Église », qu’il
avait comparée « à une barque prête
à couler, qui prend l’eau de toutes
parts », un champ où « il y a plus
d’ivraie que de bon grain »…
Si elle apparaît aux médias, tou-
jours prompts à souhaiter un pape
sécularisé, comme une trop mauvaise
nouvelle pour être probable, son élec-
tion, où son principal concurrent
semble être un certain Jorge Mario
Bergoglio, futur pape François, se pré-
sente donc aux cardinaux comme une
évidence et prend moins de vingt-
quatre heures. Dans son homélie d’in-
tronisation, Benoît XVI avait voulu
rassurer ceux qui craignaient que le
nouveau pape impose “sa ligne”: « Mon
véritable programme de gouverne-
ment est de ne pas faire ma volonté,
de ne pas poursuivre mes idées, mais,
avec toute l’Église, de me mettre à
l’écoute de la parole et de la volonté
du Seigneur. » Mais il avait aussi rap-
pelé que le pape est un pasteur qui,
comme le Christ, doit être prêt à sacri-
fier sa vie pour ses brebis, et imploré
les fidèles: « Priez pour moi, afin que
je ne me dérobe pas, par peur, devant
les loups. » Benoît XVI savait que son
pontificat serait une lutte continuelle,
non seulement contre les traditionnels
ennemis de l’Église mais aussi contre
les forces d’autodissolution de celle-
ci et les « fumées de Satan » qui, selon
le diagnostic de Paul VI, s’étaient intro-
duites dans l’Église.
Pourtant, les débuts du pontificat
semblèrent démentir cette vision pes-
simiste : à Cologne en 2005, puis à
Sydney en 2008, Benoît XVI passait
avec succès le test des JMJ, montrant
qu’il était capable de susciter l’enthou-
siasme de la jeunesse et aussi de cana-
 L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
Élu pape, il prend le nom de Benoît, en hommage à Benoît XV,
pape de la paix, mais aussi au fondateur du monachisme occidental.

liser l’ardeur de celle-ci, en renforçant

la dimension catéchétique de l’événe-
ment et en installant en son centre
une adoration eucharistique: le silence
recueilli avec lequel, à Madrid en 2011,
deux millions de jeunes adorèrent
l’hostie consacrée, après un orage tor-
rentiel que le pape avait tenu à affron-
ter en leur compagnie, restera comme
l’un des temps forts de son pontificat.
Des voyages réussis (Pologne, Espagne),
des audiences romaines où la qualité
des prédications séduit des foules
record (4 millions la première année),
l’évidente simplicité d’un homme gêné
d’attirer les feux de la rampe, sa ges-
tion courageuse et pleine d’humanité
des affaires de pédophilie, où il met
en place une politique de “tolérance
zéro” et rencontre de nombreuses vic-
times, sa manière de ne pas imposer
ses orientations mais de montrer hum-
blement la voie par l’exemple, comme
en matière de liturgie où il ne se lance
pas dans une ambitieuse “réforme de
la réforme” mais impressionne par
des offices pleins d’élévation où le célé-
brant s’efface derrière le Christ, tout
cela donne l’impression d’un règne
parti sur de bons rails.

De violentes oppositions internes
Les choses se gâtent en 2006 où, à
l’occasion d’un voyage en Bavière, il
prononce à Ratisbonne une leçon uni-
versitaire dont une phrase sur le rap-
port de l’islam à la violence, isolée de
son contexte, déclenche la colère,
allant jusqu’au meurtre, du monde
musulman. Qu’importe que Benoît XVI,
visitant la Turquie quelques semaines
plus tard, prouve magistralement sa
capacité à maintenir le dialogue inter-
religieux en le plaçant non plus sous
le signe d’un consensus creux mais
de la vérité ; qu’importe qu’un cer-
tain nombre d’intellectuels musul-
mans l’aient remercié pour les avoir
incités à une salutaire remise en ques-
tion : voilà Benoît XVI durablement
caricaturé en partisan du “choc des
civilisations”.
En 2007, c’est sa décision de libéra-
liser l’usage de la messe traditionnelle
qui déclenche « une dure opposition »,
selon ses propres mots, de nombre
d’évêques, qui l’interprètent comme une
concession aux “intégristes”: Mgr Lus-
tiger, archevêque émérite de Paris, et
Mgr Ricard, président de la Conférence
des évêques de France, vont à Rome
tenter d’infléchir Benoît XVI. Celui-ci
tient bon, mais sa décision restera lettre
morte dans beaucoup de diocèses. Sur-
tout, la levée, dans le but de favoriser la
réconciliation avec les lefebvristes, des
excommunications pesant sur les quatre
évêques traditionalistes de la Frater-
FILIPO MONTEFORTE/AFP
nité Saint-Pie-X, le 21 janvier 2009,
déclenche une réplique médiatique
immédiate : une télévision suédoise,
qui depuis des mois gardait en réserve
une interview dans laquelle l’un d’entre
eux, Mgr Williamson, tenait des propos
révisionnistes minimisant l’ampleur
de la Shoah, décide de la diffuser aus-
sitôt. Benoît XVI devient alors, média-
tiquement, celui qui a voulu réintroduire
l’antisémitisme dans l’Église. Et, dans
une lettre aux évêques où il s’explique
sur l’affaire, le pape déplorera « que
même des catholiques […] aient pensé
devoir [l]’offenser avec une hostilité
prête à se manifester ». •

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 25

L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
En mars 2009, c’est encore une phrase
détournée de son contexte qui pollue
son voyage en Afrique: pour avoir dit,
dans l’avion qui le conduisait au Came-
roun, qu’une sexualité responsable était
UN FAUTEUIL POUR DEUX
Inédite, la coexistence de deux papes
a été marquée par une grande
cordialité. Ne manquant jamais une
occasion de lui rendre hommage,
François a témoigné les plus grands
égards à Benoît, qui l’avait assuré
de « [s]on respect et [s]on obéissance
inconditionnels ». Mais alors qu’on
croyait que François ne toucherait
pas à l’héritage de son prédécesseur
du vivant de celui-ci, bientôt le pape
régnant n’a plus hésité à prendre
le contrepied du pape émérite,
en matière de morale ou de liturgie.
26 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Message “urbi et orbi”, Pâques 2007. Tout au long
du pontificat, Benoît XVI a attiré des foules innombrables.
plus efficace que le préservatif pour
vaincre le sida, Benoît XVI se trouvait
travesti, comme avant lui Jean-Paul II,
en complice de l’épidémie. C’est l’époque
où Alain Juppé estimait que « ce pape
Pourtant Benoît n’a jamais eu un mot
contre François. À deux reprises,
il est toutefois sorti de sa réserve.
En mars 2018, quand le responsable
de la communication vaticane avait
tronqué une lettre de Benoît XVI
pour faire croire qu’il soutenait
la publication d’un livre de théolo-
giens favorables à François, dont
certains avaient ardemment com-
battu son propre pontificat, le pape
émérite avait vigoureusement
protesté, entraînant le renvoi
du responsable en question.
L’OSSERVATORE ROMANO/AP/SIPA
commence à poser un vrai problème »…
Il n’y a pas jusqu’aux cas anciens de pédo-
philie, qui remontent à la surface en
partie à cause de l’acharnement de
Benoît XVI à faire toute la lumière sur
Et en janvier 2020, il publia un livre
avec le cardinal Sarah en défense
du célibat sacerdotal, alors que
l’on prêtait à François l’intention
de faire des entorses à ce principe
— auxquelles il renonça finalement.
Mais lorsqu’en juillet 2021 François
abolit le motu proprio par lequel
il avait libéralisé l’usage du rite tra-
ditionnel, Benoît, fidèle à son vœu
d’obéissance, n’eut pas un mot de
protestation, quelque douloureuse
qu’ait dû être pour lui cette décision
de son successeur. L. D.

ces souillures, qui ne soient retenus à sa
charge, et dans lesquels on essaie de
l’impliquer, lui ou son frère Georg.
Toutes ces affaires montreront com-
ment Benoît XVI, mal informé et mol-
lement défendu par la curie, est isolé
dans sa volonté de réformer l’Église et
mal entouré, en partie par sa faute: son
manque de discernement dans le choix
des hommes, sa profonde bonté qui
l’incite à ne pas voir le mal chez les
autres et à ne pas désavouer ceux qui
lui ont fait défaut (ainsi l’incompétent
secrétaire d’État Bertone, maintenu à
son poste contre vents et marées malgré
son incapacité à protéger le pape des
attaques internes ou externes) consti-
tuent, selon un cardinal, « le vrai drame
de son pontificat ». Et la source directe
du dernier scandale de son règne: l’af-
faire VatiLeaks.
Éviter à l’Église une vacance du pouvoir
Révélé en mai 2012, ce vol de documents
dans le bureau du pape, qui se sont
retrouvés dans un livre à charge sur les
dysfonctionnements du Vatican, avait
sans doute pour but de déstabiliser le
cardinal Bertone. Il révélera surtout que
la curie était plus occupée à se déchi-
rer qu’à faire bloc autour de la volonté
de Benoît XVI de régénérer l’Église.
L’imposant rapport établi à la suite de
cette affaire par trois cardinaux, que
seuls Benoît XVI et son successeur ont
lu, a peut-être ouvert les yeux du pape
sur les trahisons opérées par certains
de ceux qu’il considérait comme ses
meilleurs soutiens, et joué un rôle dans
la décision de sa renonciation.
Annoncée par surprise, en latin, au
détour d’un banal consistoire, le 11 février
2013, celle-ci fait l’effet d’une bombe.
Un tel acte ne s’étant plus produit depuis
1415, nul n’avait pris au sérieux les inter-
views de Benoît XVI l’évoquant, ni prêté
attention au fait qu’en 2009, en visite
à la ville italienne de L’Aquila, il avait
déposé son pallium, ornement qui sym-
bolise la fonction pontificale, sur la
tombe de son prédécesseur Célestin V,
qui avait renoncé à sa charge en 1294
L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
François célèbre le 65e anniversaire
de l’ordination de Benoît XVI, le 28 juin 2016.
pour revenir à sa vie d’ermite. Les spé-
culations sur les raisons de cette déci-
sion iront bon train et les théories
complotistes les plus folles se feront
jour. La version de Benoît XVI, elle, n’a
pas varié : exténué au retour de son
voyage au Mexique, en 2012, le pape
avait constaté, avec son médecin, que
son cœur ne supporterait pas un nou-
veau déplacement transatlantique à
l’occasion des JMJ, prévues pour l’été
2013 au Brésil. Laisser un tel événement
se dérouler sans le pape, c’était rentrer
POUR EN SAVOIR PLUS
Serviteur de Dieu et de l’humanité,
la biographie de Benoît XVI,
d’Elio Guerriero, Mame, 2017.
L’Homme qui ne voulait pas être
pape, histoire secrète d’un règne,
de Nicolas Diat, Albin Michel, 2014.
Benoît XVI, une vie, tomes I et II,
de Peter Seewald, Chora, 2022.
Trois livres d’entretiens
de Benoît XVI avec Peter Seewald:
le Sel de la terre,
Flammarion/Cerf, 2005;
Lumière du monde,
Bayard, 2011;
Dernières Conversations,
Fayard, 2016.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 27
OSSERVATORE ROMANO/AFP
dans un pontificat au ralenti. Or, s’il est
admiratif de la façon dont Jean-Paul II
a transformé la fin de son pontificat en
plaidoyer pour la dignité de la souf-
france, il sait aussi que son charisme
n’est pas celui-là; et il a constaté de ses
yeux le prix que l’Église devait payer à
une forme de vacance du pouvoir.
Cette fin de pontificat avortée et l’élec-
tion d’un successeur si différent de lui,
sur le fond et sur la forme, laisseront à
beaucoup de fidèles un goût amer d’ina-
chevé. Pourtant, l’aura que le pape émé-
rite, désormais abîmé dans la prière
dans la réclusion du monastère Mater
Ecclesia, dans les jardins du Vatican,
aura conservée aux yeux de nombre de
fidèles et de jeunes prêtres, témoigne de
la fécondité d’une vie qui aura été pour
beaucoup un trésor inépuisable de nour-
riture spirituelle. Et à mesure que les
polémiques s’éloignent dans le temps,
émerge avec d’autant plus de netteté la
richesse d’un pontificat capital, où les
crises n’ont surgi que parce que le pape
avait choisi de saisir les problèmes à bras-
le-corps, quoi qu’il en coûte. Et l’image
d’un pape qui aura tenu bon, “devant
les loups”, pour réenraciner l’Église dans
le Christ et la laisser plus « affermie dans
la foi », apte à remplir sa mission de
•
constituer « le sel de la terre ». •
L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
Le pape de la
réconciliation
Souvent caricaturé en pape intransigeant, Benoît XVI fut
en réalité obsédé par l’unité de l’Église et par un dialogue
en vérité avec les incroyants et les autres religions.
Par Laurent Dandrieu
Q
ue retenir, à grands traits, de ces
presque huit années de pontifi-
cat où les polémiques et les scan-
dales médiatiques ont souvent
masqué le travail de fond? Sans
doute l’action inlassable du pape pour
réduire les fractures internes de l’Église
etcellesquil’opposentaumondemoderne.
Réconcilier les chrétiens avec
les fondamentaux de leur foi
Dans un article de 1958, Joseph Ratzinger
déplorait déjà l’affadissement de la foi
catholique, au point que l’Église deve-
nait « chaque jour davantage » une
« Église de païens ». En lançant, en
octobre 2012, l’Année de la foi, initia-
tive qui aurait pu paraître comme un
truisme, Benoît XVI précisait: « Depuis
le commencement de mon ministère
comme Successeur de Pierre, j’ai rappelé
l’exigence de redécouvrir le chemin de
la foi. » Pas de nouvelle évangélisation,
CONTRE LA DICTATURE DU RELATIVISME
“Posséder une foi claire, selon
le Credo de l’Église, est souvent
défini comme du fondamenta-
lisme. Tandis que le relativisme,
c’est-à-dire se laisser entraîner
‘à tout vent de la doctrine’,
apparaît comme l’unique attitude
à la hauteur de l’époque actuelle.
L’on est en train de mettre sur pied
une dictature du relativisme qui
28 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
pas de remise en ordre de l’Église pos-
sibles sans une redécouverte préalable
du sacré. Là où Jean-Paul II mettait en
avant la morale, Benoît XVI parlera plus
volontiers sacrements et théologie; là
où son prédécesseur privilégiait l’élan,
il favorisera l’intériorité. Par ses ency-
cliques (sur la charité, sur l’espérance,
puis celle sur la foi, qu’il laissera à son
successeur le soin d’achever), ses livres
(son Jésus de Nazareth, Flammarion),
ses enseignements très didactiques,
Benoît XVI aura fait de son pontificat
une longue et sublime catéchèse. En
matière de liturgie, il a replacé au centre
de l’autel un énorme crucifix, pour bien
signifier que le centre de la messe était
le sacrifice du Christ, pas la personne
du prêtre ni la communauté des fidèles.
Dès les Journées mondiales de la jeu-
nesse de Cologne, en 2005, où il a intro-
duit l’adoration du Christ présent dans
l’hostie, le ton était donné par le thème
ne reconnaît rien comme définitif
et qui donne comme mesure ultime
uniquement son propre ego
et ses désirs. Nous possédons,
en revanche, une autre mesure :
le Fils de Dieu, l’homme véritable.
C’est lui la mesure du véritable
humanisme.”
Extrait de l’homélie de la messe
d’ouverture du conclave, 18 avril 2005.
de la manifestation : “Nous sommes
venus l’adorer.”
Réconcilier la foi et la raison
Au Collège des Bernardins, le 12 sep-
tembre 2008, un parterre d’intellectuels
et d’artistes parisiens des plus divers était
tout étonné de se trouver sous le charme
d’un austère professeur, venu leur parler
« des origines de la théologie occidentale
et des racines de la culture européenne ».
On était là au cœur intime du projet de
Benoît XVI: pour lui, on ne pourra réévan-
géliser le monde moderne que si l’on par-
vient à lui faire comprendre que la foi
n’est pas l’ennemie de la raison. Plus
encore: que la raison, en tournant le dos
à la foi, est infidèle à elle-même. « Une
culturepurementpositiviste,quirenver-
rait dans le domaine subjectif, comme
non scientifique, la question concernant
Dieu,seraitlacapitulationdelaraison »,
concluait-il aux Bernardins.
Réconcilier
les chrétiens entre eux
Pour Benoît XVI, les divisions entre chré-
tiens sont l’un des principaux obstacles
à l’annonce de l’Évangile. Parce qu’il ne
voulait plus se contenter d’un optimisme
factice mâtiné derelativisme etde“baisers
Lamourette”, on a caricaturé Benoît XVI
en fossoyeur de l’œcuménisme alors qu’il
le refondait sur un dialogue exigeant,
mené en vérité et sans concessions. La
méthode a porté ses fruits: accueil dans
l’Église catholique de nombreux angli-
cans, en 2009, nets progrès théologiques
aussi bien avec les protestants qu’avec
les orthodoxes. Avec ces derniers, un
dégel spectaculaire a préparé la voie à
la rencontre historique, en 2016, entre
le pape François et le patriarche Cyrille
de Moscou. Au sein de l’Église catho-
lique, Benoît XVI n’a pas voulu se rési-
gner, quoi qu’il lui en ait coûté en termes
de polémiques, à la division avec les tra-
ditionalistes lefebvristes ou à la margi-
nalisation par les évêques diocésains
des traditionalistes reconnus par Rome.
Là encore, ses efforts incessants, quoique
non couronnés de succès, pour parve-
 À Saint-Pierre, lors de la vigile
de Pâques 2005. “Rappeler l’exigence
de redécouvrir le chemin de la foi.”

nir à un accord avec la Fraternité Saint-

Pie-X ont préparé les ouvertures effectuées
par François à leur encontre. Comme
Benoît XVI l’avait dit à Lourdes devant
les évêques de France: « Nul n’est de trop
dans l’Église. »

Réconcilier l’Église
avec elle-même
Le 22 décembre 2005, devant la curie,
Benoît XVI livrait sa lecture de Vatican II
et recadrait ceux qui avaient voulu y
voir une “rupture”, quand il ne pouvait
être lu qu’en termes de continuité. Il n’y
a pas une “Église d’avant” et une “Église
d’après”, mais une seule Église qui ne
peut se réformer que dans la fidélité à
la Tradition. C’est dans cette optique
que le pape a voulu réaffirmer, par son
motu proprio Summorum Pontificum,
de juillet 2007, que la nouvelle liturgie
promulguée par Paul VI ne pouvait pas
être comprise comme une condamna-
tion de la liturgie traditionnelle et a donc
redonné très largement droit de cité à
celle-ci, tout en réorientant le rite nou-
veau vers plus de solennité.

Redonner à l’Église
le courage de la vérité
Refusant toute démagogie, Benoît XVI
n’a jamais cherché à plaire à tout prix. À
chacune des crises qui ont secoué son
pontificat, le pape a laissé passer l’orage,
ajustant ses propos mais ne reculant pas,
profitant de la tourmente pour faire réflé-
chir et préciser les positions — plutôt
que d’éviter les crises à tout prix, les uti-
liser pour susciter le débat et entrer en
conversation avec le monde, non pas sur
le mode de la soumission servile ou de
la confusion mais pour entamer un dia-
logueenvérité.Lorsdesonultimeaudience
place Saint-Pierre, devant une foule
immense venue rendre au pape prêt à
ERIC VANDEVILLE/GAMMA-TAPHO

céder la place un ultime hommage,

Benoît XVI a évoqué ces crises en se com-
parant aux « apôtres dans la barque sur
le lac de Galilée »: secoué par l’orage
mais animé de la conviction profonde
que c’est le Christ qui conduit la barque
et qu’Il ne la laissera pas couler. • •

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 29

L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
L’incompris
médiatique
Joseph Ratzinger était insulté, le pape Benoît XVI
était sans cesse attaqué, mais son enseignement
n’a jamais varié. À l’heure de la mort, il reste l’exemple
édifiant et les écrits lumineux.
Par Charlotte d’Ornellas
L
a mort de Benoît XVI a fait l’effet
d’une sorte d’objet médiatique
difficile à appréhender… La nou-
velle est omniprésente, mais elle
n’est pas vraiment traitée: trop
difficile à saisir par ce monde média-
tique qui aura jalonné son pontificat
d’attaques approximatives. Que dire de
ce chef d’État qui n’en était plus un?
30 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Comment commenter la mort d’un pape
qui avait renoncé à sa charge? Quelle
anecdote raconter sur cette personna-
lité particulièrement effacée derrière
une fonction incomprise ? Comment
intéresser le monde à un pontificat
consacré à l’enseignement des Pères de
l’Église et à l’unité des chrétiens? Com-
ment décrire dans le relativisme choisi
00_Légende 00_Légende italique
ANTONIO CALANNI/AP/SIPA
celui qui exigeait d’être un bon « coo-
pérateur de la vérité »? Comment com-
prendre cette intelligence soucieuse de
réconcilier foi et raison dans un monde
qui prétend rejeter la première au nom
de la seconde ? Le commentaire est
devenu moins hostile à l’heure de la
mort, certaines marques de civilité
demeurent. Mais il fut laconique, et
souvent imprécis. Les plus factuels ont
salué un « grand théologien »; les plus
paresseux ont mollement égrené les
critiques habituelles.
Benoît XVI aurait été plus ou moins
nazi, jamais lavé de cette accusation
infamante et fausse. Il a été enrôlé de
force dans les Jeunesses hitlériennes,
comme tous les petits Allemands de sa
génération. Ses parents ont refusé
l’argent distribué à l’occasion malgré
leur pauvreté, précisément parce que
leur foi catholique les obligeait à refu-
ser le nazisme. Le futur pape a même
déserté, subi l’emprisonnement. On
l’écrit, mais on laisse le doute perdu-
rer. Cela aide malhonnêtement à dia-

Pendant son pontificat, Benoît XVI aura essuyé
de nombreuses polémiques abusives dans les médias.
boliser son souci d’assurer la conti-
nuité de l’être historique de l’Église…
Et on répète, sans peur du ridicule,
que le pape Benoît XVI était particu-
lièrement rigide sur l’avortement ou
l’euthanasie comme si l’on s’étonnait
encore qu’un pape soit catholique.
Comme si l’on refusait qu’existe une
autre anthropologie que celle du pro-
gressisme occidental.
Benoît XVI n’a jamais été un com-
municant et peu l’ont été pour lui.
Depuis le premier jour, ses propos sont
déformés, instrumentalisés et retour-
nés contre lui. D’une citation extraite
d’un enseignement magistral à Ratis-
bonne sur l’articulation entre foi et rai-
son, les médias réussissent à générer
une crise internationale alors que
Benoît XVI interroge la place de la vio-
lence dans l’islam. On retiendra qu’il
était islamophobe. D’un enseignement
lumineux aux Collège des Bernardins
devant le monde de la culture, on ne
relayera quasiment rien.
Le relativisme choisit l’agressivité
pour se défendre
En Afrique, le pape affirme, digne chef
de l’Église, que les campagnes contre
le sida seulement fondées sur la distri-
bution de préservatifs « aggravent le
problème ». Il appelle de ses vœux une
éducation à la sexualité, à la fidélité, à
la responsabilité, à l’amour véritable…
L’AFP provoque l’indignation en fai-
sant dire au pape que l’utilisation du
préservatif « aggrave le problème du
sida ». Il ne l’a jamais dit mais qu’im-
porte, pendant que tous s’indignent,
personne ne l’écoute. On retiendra qu’il
était inconscient.
Certains lui prêtent même un orgueil
déniché dans son respect de la pompe
ecclésiastique: personne n’a l’idée de
déceler l’humilité nécessaire pour s’ef-
facer à ce point derrière une fonction
dessinée par les siècles. On retiendra
qu’il était rétrograde.
Le relativisme choisit l’agressivité
pour se défendre, rejeter l’existence et
l’unicité de la Vérité. Mais Joseph Rat-
L’ÉVÉNEMENT / ADIEU À BENOÎT XVI
SA PUISSANCE
INTELLECTUELLE A
PERMIS AU MAÎTRE DE
THÉOLOGIE DE LAISSER
UN ENSEIGNEMENT
D’UNE RICHESSE INOUÏE
POUR L’ÉGLISE.
MAIS LE COMMENTAIRE
MÉDIATIQUE
CROIT DEVOIR
S’EN AFFRANCHIR.
zinger avait prévenu lors de son pre-
mier cours de très jeune professeur en
affirmant que « la vérité est une per-
sonne, et c’est par l’amour que l’on par-
vient jusqu’à elle »; il n’avait pas dévié
en ouvrant le conclave qui allait abou-
tir à son élection: « La miséricorde du
Christ n’est pas une grâce à bon mar-
ché, elle ne suppose pas la banalisa-
tion du mal. » Pour un monde qui peine
à concevoir l’existence même du bien
et du mal, le programme est chargé.
Alors que dire de plus au moment de
l’adieu? On découvre une ignorance
totale du personnage, qui s’ajoute à une
inculture croissante des affaires de
l’Église. Voilà un monde médiatique
— et dans une certaine mesure poli-
tique — devenu inapte au commentaire.
Sa puissance intellectuelle a permis
au maître de théologie de laisser un
enseignement d’une richesse inouïe
pour l’Église. Mais le commentaire
médiatique croit devoir s’en affranchir.
Comment appréhender ce pape si attelé
à des tâches internes, aussi bien dans
l’enseignement que dans la perfection
d’une Église composée d’hommes
pécheurs? Benoît XVI répétait réguliè-
rement que « la plus grande persécu-
tion de l’Église ne vient pas d’ennemis
extérieursmaisnaîtdupéchédel’Église »,
alors il n’a pas reculé: son courage l’a
poussé à ouvrir les dossiers des finances
et de la pédophilie dans l’Église sans
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 31
l’ombre d’une compromission. Sa dis-
crétion et son éloignement du pouvoir
ont voilé cette action aux yeux d’un
monde médiatique paresseux: même
ces sujets que la presse commente lar-
gement n’auront pas fait la une.
La seule chose unanimement saluée,
c’est la renonciation à sa charge pon-
tificale, pourtant justifiée par l’ame-
nuisement des forces si nécessaires
pour faire face aux attaques internes
et externes contre l’Église, justement.
Ceux qui l’ont lu et écouté saluent
une puissance indéniable
Sa discrétion avait pris le dessus, mal-
gré quelques contributions distillées,
pendant sa retraite, à la réconciliation
de la tradition catholique avec la moder-
nité. Au sein de l’Église comme dans le
monde. Il a médité, continué à écrire.
Et prié, sans cesse, occupant ses jour-
nées d’activités trop décalées pour cet
Occident ivre de son horizon stricte-
ment sécularisé.
Comment s’étonner du relatif silence
qui accompagne sa mort? Si Benoît XVI
pointait avec inquiétude l’errance d’une
époque privée de la clé de compréhen-
sion du monde, certains de ses contem-
porains semblaient lui donner raison
en se déchaînant sans précision contre
ce qu’ils jugeaient dépassé. Qu’aurait
pu dire la culture contemporaine sur
ce pape qui a lutté de toutes ses forces
contre le rejet de la foi et du sacré, qui
n’a cessé de rappeler l’exigence chré-
tienne des fins dernières, de la vie éter-
nelle?
Ces questions demeurent pourtant.
Il n’est pas trop tard pour s’y intéresser
vraiment. Ceux qui ont rencontré
Benoît XVI décrivent une bonté natu-
relle inspirante; ceux qui l’ont écouté et
côtoyé retiennent l’exemple de ce « ser-
viteur bon et fidèle » en toutes circons-
tances; ceux qui l’ont lu saluent une puis-
sance indéniable. Au-delà de l’exemple,
ses écrits s’attardent sur l’immensité de
l’amour de Dieu et sa parfaite compati-
bilité avec l’intelligence des hommes:
trésors toujours accessibles. •
SOCIÉTÉ

“Il n’y a pas une

dégradation généralisée
de l’environnement”
Une étude publiée par Action Écologie explique en quoi les principales annonces
faites au sujet du déclin des populations d’animaux sont trompeuses.
Ses auteurs, Bertrand Alliot, porte-parole d’Action Écologie, et Christian Lévêque,
spécialiste des questions de biodiversité, nous expliquent pourquoi la réalité
est loin d’être aussi sombre qu’on voudrait nous le faire croire.

Propos recueillis par Mickaël Fonton

Qu’est-il ressorti
de la Cop15 consacrée
à la biodiversité,
qui s’est tenue à Montréal ?
Christian Lévêque Comme à chaque
réunion de la Cop, on fait le constat
que les objectifs n’ont pas été atteints
et on propose des plans d’action de
plus en plus coercitifs qui ne seront
pas appliqués. Quand on résume
l’enjeu de la protection de la biodi-
versité à l’extension des aires pro-
tégées, on ne peut que s’attendre à
des échecs.
Dans votre étude, vous commencez
par rappeler la distinction entre
espèce disparue et espèce éteinte;
en quoi la précision des mots
est-elle ici importante?
C. L. Une espèce éteinte est une espèce
qui n’existe plus. Une espèce disparue

32 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 Un chevreuil à l’orée du bois.
Quoique très peuplée et très urbanisée,
la France constitue un espace
très accueillant pour quantité
d’espèces sauvages.
“danger critique”, mais cela a souvent
peu de signification. La grue cendrée
est, par exemple, classée en France “en
danger critique”, mais c’est une espèce
qui se reproduit essentiellement hors de
France, en Europe du Nord et du Nord-
Est. Sa population a beaucoup augmenté,
ce qui a incité quelques couples à venir
s’installer dans notre pays. On voit donc
qu’être classé “en danger critique” en
FRANCOIS FAUCON/ALAMY STOCK PHOTO
France n’est pas un drame pour cette
espèce. En fait, il existe un nombre
important d’espèces menacées qui sont,
chez nous, en limite de leur aire de répar-
tition mondiale. Nous révélons par
exemple que 93 % des espèces d’oiseaux
menacées de France ne sont pas mena-
cées à l’échelle mondiale. En multipliant
les listes rouges régionales à l’infini, on
est un terme ambigu qui peut signifier peut multiplier à l’infini les sources d’in-
à la fois que l’espèce est éteinte ou qu’elle quiétude. L’UICN et les ONG profitent
a “disparu” d’un endroit donné, alors de la méconnaissance du public des sub-
qu’elle est toujours présente ailleurs. tilités de leurs indicateurs pour produire
C’est sur cette ambiguïté que jouent les à la pelle des mauvaises nouvelles.
mouvements militants pour alimenter
les discours catastrophistes. Qu’est-ce que le “turnover
des espèces”?
Les catégories des listes rouges C. L. Le turnover signifie que dans un
de l’Union internationale pour système écologique, des espèces peuvent
la conservation de la nature (UICN) disparaître de ce système (sans être pour
ne favorisent-elles pas la tendance autant éteintes…) alors que d’autres
au catastrophisme des médias? viennent s’y installer. Autrement dit, un
Bertrand Alliot L’UICN est connue pour système écologique peut, au cours du
avoir développé des listes rouges. Ce temps, toujours héberger le même nombre
sont des listes qui classent les espèces d’espèces, mais une partie de ces espèces
en différentes catégories dont les prin- a été remplacée par d’autres.
cipales sont: “préoccupation mineure”,
“quasi menacée”, “vulnérable”, “en dan- Les espèces endémiques aux îles
ger”, “en danger critique”. Si une espèce sont-elles surreprésentées
est classée dans une des trois dernières dans les phénomènes d’extinction?
catégories, elle est considérée comme C. L. Les espèces insulaires endémiques
“menacée”. Le problème est que la liste qui ont évolué en l’absence de préda-
mondiale, la seule qui est vraiment teurs sont plus sensibles que d’autres à
importante, est déclinée en listes rouges l’introduction de prédateurs comme les
régionales. Il en existe par exemple pour chats, les chiens et les rats. En raison de
l’Europe ou pour la France. Dans ces leur petit nombre, elles sont aussi plus
listes rouges régionales, certaines espèces vulnérables à la chasse comme le montre
vont être classées “en danger” ou en l’exemple du dodo de l’île Maurice. Une
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 33
DR
CHRISTIAN LÉVÊQUE :
“IL EST TROP SOUVENT
FAIT RÉFÉRENCE À UNE
NATURE FICTIVE
QUI N’A JAMAIS EXISTÉ.”
étude a recensé les extinctions de mam-
mifères et d’oiseaux depuis l’an 1500 dans
les îles et en milieu continental. Sur les
continents, six espèces d’oiseaux et
trois de mammifères sont enregistrées
comme éteintes, contre respectivement
123 et 58 sur les îles. Autrement dit, 95 %
des espèces qui sont éteintes sont des
espèces insulaires. Aussi regrettable
soit-il, il s’agit donc d’un problème loca-
lisé. Cela relativise les propos alarmistes
des mouvements militants qui tendent
à en faire un problème global.
Sur le sujet (très connu) des abeilles
mellifères, pourquoi dites-vous
qu’il faut raison garder?
C. L. Pour les militants écologistes, il
s’agit de démontrer à tout prix que la
mortalité des abeilles résulte de l’utili-
sation des pesticides en général et des
néonicotinoïdes en particulier. Or, dif-
férents travaux ont démontré que ceux-
ci n’étaient qu’un élément parmi d’autres
et parfois même qu’ils étaient accusés
à tort. En réalité, les causes de morta-
lité des abeilles sont multiples. Les
recherches réalisées sur cette question
montrent que les maladies parasitaires
dues à des pathogènes introduits par les
apiculteurs sont une des causes princi-
pales de mortalité. Il faut y ajouter la
présence de prédateurs tels que le fre- •
SOCIÉTÉ / ENTRETIEN
lon asiatique. On a aussi constaté que
les abeilles pouvaient souffrir d’un
manque de nourriture en certaines sai-
sons. Il faut rappeler à ce propos que les
abeilles sont des animaux d’élevage et
que les concentrations de ruches en cer-
tains endroits outrepassent les capaci-
tés d’accueil du milieu. On peut dire qu’il
y a surpâturage et on soupçonne même
qu’il y a concurrence avec les nombreuses
autres espèces de pollinisateurs. Autre-
ment dit, les surpopulations d’abeilles
pourraient être un des facteurs d’éro-
sion d’autres populations d’insectes!
Que nous indique l’excellente santé
des oiseaux d’eau, de certains
rapaces, des loutres, des castors,
des chevreuils?
B. A. Lorsque vous laissez tranquilles
certaines espèces, leur population aug-
menterapidement.Àunecertaineépoque,
il y avait une élimination systématique
d’espèces qui étaient considérées comme
nuisibles et leurs populations restaient
par conséquent réduites. À partir du
moment où elles ont été protégées ou
réintroduites et qu’elles ont acquis un
statut de protection, elles ont pu aug-
menter rapidement leurs effectifs. C’est
ce qui s’est passé en France après les lois
de protection de la nature, dans les
années 1970 notamment. Cela signifie
que les milieux naturels, malgré tout ce
qu’on peut entendre, sont favorables
pour que les espèces se développent et
donc qu’il n’y a pas une dégradation
généralisée de l’environnement.
34 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Une loutre sur la berge. Comme les castors,
les phoques, les sangliers, elles ont vu leur
population exploser en quelques décennies.
dans notre pays et dans le monde en
général. Certains mouvements politiques
veulent culpabiliser l’homme alors que
ce dernier peut produire le meilleur, y
NEYDTSTOCK/GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO
compris dans la protection de l’environ-
nement. On oublie qu’en France, beau-
coup de sites les plus fameux pour obser-
verlesoiseauxsontdescréationshumaines
— comme la Camargue, par exemple.
Ne commet-on pas une erreur
en sacralisant l’idée d’une nature
vierge et immuable?
C. L. L’espace naturel qui s’oppose à l’es-
L’action de l’homme peut être néfaste, pace artificiel est un lieu vierge de tout
mais elle peut aussi être positive, aménagement. Là-dessus vient se gref-
voire cruciale, pour certaines fer l’idée assez répandue que la nature
espèces; pourquoi ne retenir que créée par Dieu est nécessairement par-
le mauvais côté des choses? faite et que toute atteinte à son intégrité
B. A. On retient le mauvais côté des choses est une transgression. En laïcisant la
car, contrairement aux discours opti- nature, l’écologie a pérennisé ce para-
mistes, les discours pessimistes per- digme de l’équilibre de la nature qui s’est
mettent une chose: imaginer une réac- décliné par la métaphore de la machine:
tion qui peut créer l’enthousiasme. C’est toutes les espèces sont nécessaires au
comme dans les films d’Hollywood, il fonctionnement d’un écosystème comme
faut bien créer du malheur ou du dan- les pièces d’une machine le sont pour
ger pour que le scénario soit intéres- que celle-ci fonctionne. Ces idées sont à
sant. Avec Action Écologie, cependant, l’origine de la distinction entre une nature
nous voulons rassembler les Français supposée originelle, parée de toutes les
autour de l’idée que tout ne va pas mal vertus par les écologistes, et une nature
anthropisée qu’ils considèrent comme
dégradée par rapport à l’original. Voilà
le paradigme qui sert d’acte d’accusa-
tion contre l’espèce humaine. Dans de
nombreux projets de restauration, on
fait ainsi référence implicitement à cette
nature fictive. De fait, cette nature n’a
jamais existé en Europe, où le monde
vivant a été en perpétuel changement
sous l’effet des fluctuations climatiques
qui ont entraîné d’importants boulever-
sements. Qui plus est, depuis des millé-
naires, les humains ont modifié les sys-
DR
tèmes écologiques, pour des usages
BERTRAND ALLIOT : agricoles notamment, de telle sorte que
ce que nous appelons “nature” est une
“93 % DES ESPÈCES entité hybride coconstruite par des pro-
D’OISEAUX MENACÉES DE cessus spontanés, les variations du cli-
mat et les aménagements anthropiques
FRANCE NE LE SONT PAS qui ont créé des systèmes écologiques
À L’ÉCHELLE MONDIALE.” différents de ceux qui se seraient consti-
tués spontanément.
 SOCIÉTÉ / ENTRETIEN

Comment expliquer l’audience
d’organismes (WWF, Greenpeace) dont
le travail peut être sujet à caution?
B. A. Certaines ONG ont été créées pour
sauver les pandas, les éléphants ou les
baleines. Elles bénéficient toujours d’une
aura, car on les associe encore aux nobles
causes des origines. Pourtant, souvent
entre les mains de militants politiques,
elles sont prises aujourd’hui dans une
spirale de catastrophisme et d’exagéra-
tions. Elles font dire aux données ce
qu’elles veulent et ne cessent de tordre
la réalité pour amener vers elles de l’at-
tention et des fonds… Mais force est de
constater que leur monopole s’effrite
peu à peu. Ici et là, des voix s’élèvent
pour exprimer des points de vue scep-
tiques sur les conséquences des poli-
tiques qu’elles préconisent, comme pour
les questions énergétiques.
Faut-il croire que cette science
dont elles ne cessent de se réclamer
n’intéresse pas véritablement
ces personnes?
B. A. Disons que la science les intéresse
parce qu’elle est devenue un “outil”
bien utile pour faire taire tout débat.
On fait comme si la science disait le vrai
ou le faux, ce qui permet assez rapide-
ment de dériver vers la question du bien
et du mal et très rapidement vers des
considérations morales. En réalité, les
recherches scientifiques décrivent sou-
vent une réalité complexe. Sur la bio-
diversité, les conclusions des travaux
scientifiques font état, pour les plus
honnêtes, d’un manque criant d’obser-
vations à long terme et de données
nécessaires pour interpréter celles qui
existent. La science, dans ce contexte,
ne dit aucune vérité révélée ou défini-
tive. Dans les sociétés occidentales, sur
les thèmes écologiques, nous vivons
dans une ambiance un peu mystique
où on aime mélanger “Mère Nature” et
“la science”, qui sont en fait les deux
faces d’une même irrationalité. Les
ONG sont embarquées malgré elles par
cette vague mystique, mais elles font
aussi tout pour la faire gonfler. Un jour,
j’ai interpellé le président d’une grande
ONG française parce que je trouvais
que le contenu d’un communiqué était
caricatural et outrancier. Il m’a simple-
ment répondu: « On peut violer un peu
la réalité pourvu qu’on lui fasse de
beaux enfants. » Je crois que cette
réponse résume bien l’état d’esprit des
ONG environnementales. •
“Érosion de la biodiversité, enjeux et débats”,
de Christian Lévêque, Iste Éditions.

Publi-rédactionnel

Les Nouvelles Fables du pays francien
André Maïsseu
LA FOURMI ET LA CIGALE
La fourmi laborieuse vaquait à mille tâches.
Labourant, défrichant, cultivant et binant,
Peinant pour quelques francs, travaillant sans
relâche,
Alors que la cigale se dorait en glandant,
Traficotait, fourguait et quand venait midi
S’en allait dérober le repas de Fourmi.
« Oh là, que fais-tu donc, tu pilles mon dîner !
Tu pourrais travailler plutôt que chaparder.
C’est très simple, il suffit de traverser la rue
Pour trouver du boulot parmi tous les métiers
Qui sont dits en tension. » « Mais pour qui me
prends-tu ?
Point ne suis-je un dhimmi, devant courber l’échine
Devant des mécréants. Mire un peu ta trombine :
On ne devient pas riche comme il t’est advenu
Sans avoir exploité de pauvres pucerons.
Tu devrais pour cela payer une rançon. »
La fourmi s’indigna : « Je besogne sans cesse,
Je n’ai point de repos tandis que tu paresses. »
Cigale de répondre : « Dans toute société
Chacun à sa mission : Toi, tu remplis les caisses,
Quant à moi, je les vide. Mais je sais la portée
Du mot “fraternité”. Nous allons partager.
Je ne prendrai pas tout, conserve les corvées.
Les tracas, les impôts ; je garde les loisirs,
Le bonheur, les délices, la joie et les plaisirs.
Tu pourras gadouiller dans la frugalité
Alors que grâce à toi, je pourrai m’éclater
Dans les flots harmonieux de la prospérité. »
MORALITÉ
« Celui qui travaille mange la paille ; celui qui ne
fait rien mange le foin. »

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 35

MONDE Le 15 août 2022, les derniers militaires de la force
Barkhane ont quitté la plate-forme de Gao, au Mali,
mettant fin à neuf ans d’opérations quasi
ininterrompues dans le pays. Six mois plus tard,
la situation sécuritaire est “catastrophique”.

L’heure des choix

pour nos armées
en Afrique
Courage, fuyons! Invoquant l’échec malien,
des voix au sein de l’exécutif plaident pour la fermeture
de nos bases africaines. En abandonnant son rôle
historique de pourvoyeur de sécurité, plutôt que
de chercher à le réinventer, la France perdrait
le dernier pan intact de son influence sur le continent.
Au moment où ses compétiteurs s’y bousculent.

Par Mériadec Raffray

D
epuis le 15 décembre, le dra-
peau français ne flotte plus au-
dessus du camp M’Poko, à Ban-
gui. Ce jour-là, nos 130 derniers
coopérants militaires sur place
décollent pour Paris. Fin de la paren-
thèse du “réengagement” en Répu-
blique centrafricaine ouverte par Emma-
nuel Macron en 2019. À l’époque, il était
urgent de contrer l’influence russe gran-
dissante dans l’ex-territoire français,
pivot de l’Afrique centrale. Aujourd’hui,
pour justifier ce revirement, l’Élysée
invoque l’impossible cohabitation avec
les mercenaires russes de la fameuse
milice Wagner. Leur “éthique” est pro-
blématique. Ils ont fini par évincer les
conseillers français auprès du président
Faustin-Archange Touadéra.
Entre Paris et Bangui, certes, la
confiance a disparu. La réalité est aussi
qu’entre-temps, le Tchad a supplanté
la Centrafrique comme plate-forme
stratégique pour nos armées. En haut
lieu, celle-ci n’intéresse plus. Dont acte.
Accessoirement, c’est tout de même la
France qui a introduit la Russie dans
son pré carré. En 2016, quand il est
mis fin à l’opération Sangaris qui a
endigué la guerre civile, Paris initie
en forme de compensation une mis-
sion européenne chargée de remettre
sur pied les forces armées centrafri-
caines, les Faca. Or, Bruxelles refuse
d’acquérir des armes pour les équiper:
D’AUCUNS VOUDRAIENT
FAIRE CROIRE — ET LA
RUE EST PLUTÔT
ENCLINE À LE PENSER —
QUE VLADIMIR POUTINE
AURAIT RÉUSSI
À METTRE
LA FRANCE DEHORS.
c’est contraire à sa philosophie (qui,
depuis, a su évoluer, comme le montre
le dossier ukrainien). Touadéra se
retourne vers Paris, qui botte en touche
et l’oriente vers Moscou. Un an plus
tard, le président centrafricain tend
les bras aux éléments russes chassés
de leur base historique de Khartoum,
au Soudan.
Il n’y a pas qu’en Centrafrique que
les Russes ont bon dos, vu de Paris. Au
Mali, que la France a également quitté,
en août dernier, d’aucuns voudraient
faire croire — et la rue est plutôt encline
à le penser — que Vladimir Poutine
aurait réussi à mettre la France dehors,
après neuf ans d’opérations contre les
“groupes terroristes armés”. En
décembre 2021, Paris s’indignait du
débarquement dans la capitale des

36 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023


premiers contingents de Wagner, mais
ne tenta rien pour l’empêcher. Quelques
coups de canon les auraient fait déguer-
pir, acquiescent nos généraux. Que
fait-on ? demandèrent d’ailleurs les
opérationnels de veille au Centre de
planification et de conduite des opé-
rations (CPCO), le cœur du réacteur
nucléaire de l’état-major des armées,
à Paris. Rien, leur répondit Florence
Parly, alors ministre.
Pourquoi la fin de Barkhane
ne résoudra rien
Et pour cause. Emmanuel Macron avait
annoncé, à l’été 2021, « la transforma-
tion profonde » de l’opération Barkhane
dans la bande saharo-sahélienne (la
BSS). Le président voulait régler son
avenir avant la présidentielle. Il est
presque parvenu à s’en débarrasser,
mais à quel prix. Six mois après le
départ de la France, la situation sécu-
ritaire est « catastrophique » au Mali,
avoue-t-on du côté de l’hôtel de Brienne.
À l’est, dans la “zone des trois fron-
tières”, le redoutable État islamique
dans le grand Sahara (EIGS), affilié à
Dae’ch, attire de nouveau les combat-
tants du Maghreb et du Moyen-Orient,
impose sa loi jusqu’au Niger et au Bur-
kina Faso. Au nord, les Touareg djiha-
distes d’Iyad Ag Ghali, l’intouchable
chef du Groupe de soutien à l’islam et
aux musulmans (GSIM), la franchise
d’Al-Qaïda, étendent leur mainmise
sur le centre du pays. Les opération-
nels évoquent l’hypothèse de devoir
un jour réintervenir pour sauver nos
ressortissants à Bamako ou ailleurs.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 37
ÉTAT-MAJOR DES ARMÉES/AFP
Cette évolution, souligne-t-on du côté
de Balard, démontre a posteriori l’uti-
lité tactique du dispositif français dans
la BSS. Barkhane, qui a compté jusqu’à
5000 hommes, a empêché les djihadistes
de prendre l’ascendant sur les armées
locales, éliminé les uns après les autres
quasi tous leurs chefs. Mais son action
avait atteint ses limites. Inlassablement,
les katibas renaissaient de leurs cendres.
Otages ou complices, les populations
continuaient à faire allégeance à leurs
porte-drapeaux politiques et religieux.
Les succès militaires ne débouchent
jamais sur un rétablissement durable
de l’État dans les campagnes, encore
moins sur le développement économique.
« Au Mali, on ne se mêle pas de poli-
tique, on fait la guerre au terrorisme »,
répétaient en boucle les communicants •
 MONDE
Le colonel malien Assimi Goïta, aux côtés de son homme lige, Bah N’Daw, qui fut président par intérim durant un an.
La stratégie de cavalier seul du nouvel homme fort du Mali a mis l’Élysée au défi de clarifier la sienne.
AMADOU KEITA/REUTERS
parisiens, dans la droite ligne du mot
d’ordre de François Hollande, qui
ordonna l’opération Serval en 2013.
Très vite après son élection, Emma-
nuel Macron perçoit bien le danger de
cette “opex” (opération extérieure) à
rallonge. Il ajoute : notre diplomatie
doit s’effacer derrière celle de Bruxelles.
La mécanique du multilatéralisme et
surtout les euros de l’Union européenne
allaient tout résoudre. En août 2020,
à l’insu des Français, le colonel malien
Assimi Goïta écarte le vieux président
Ibrahim Boubacar Keïta du pouvoir.
La population reproche à celui qui
avait été remis en selle par Paris en
2013 son inaction et sa corruption. Un
an plus tard, le militaire prend direc-
tement en main les rênes du pouvoir.
La stratégie de cavalier seul du nou-
vel homme fort de Bamako mettait
l’Élysée au défi de clarifier la sienne.
Le président français a saisi l’occasion
de sortir nos soldats du piège malien,
où ils devenaient les boucs émissaires
de tous les échecs. Désormais “réarti-
culée” autour de Niamey, au Niger voi-
sin, où le président Mohamed Bazoum
38 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
compte sur elle pour épauler ses sol-
dats aux prises avec l’EIGS, notre force
d’intervention au Sahel aligne encore
quelque 3000 hommes et de puissants
moyens de projection (une flotte d’hé-
licoptères), de renseignement et d’ap-
pui feu (des chasseurs et des drones
Reaper). Jusqu’à quand?
Localisé à N’Djamena, au Tchad, où
le même président Macron adoubait,
en 2021, sans ergoter sur les canons
démocratiques, le fils du défunt pré-
sident Idriss Déby — il était impossible
TOUT LE SAHEL
EST “EN VOIE DE
SYRIANISATION”,
ALERTE LE DERNIER
RAPPORT DE L’INSTITUT
DE VEILLE ET D’ÉTUDE
DES RELATIONS
INTERNATIONALES
ET STRATÉGIQUES.
de laisser ce verrou stratégique implo-
ser —, l’ex-quartier général de Barkhane
est en cours de transfert à Niamey. Au
Burkina Faso, la présence du détache-
ment des forces spéciales de l’opéra-
tion Sabre, à Ouagadougou, est en sus-
pens depuis le coup d’État, en septembre,
du capitaine Ibrahim Traoré, que la
France refuse de soutenir; elle redoute
les manifestations antifrançaises.
Ce qu’il reste d’État burkinabé ne
contrôle plus que la moitié du terri-
toire. Toute la zone est « en voie de
syrianisation », alerte le dernier rap-
port de l’Institut de veille et d’étude
des relations internationales et straté-
giques (Iveris). La menace touche désor-
mais les États bordant le golfe de Gui-
née. Du Nigeria, où le président a
interrogé la communauté internatio-
nale sur l’afflux dans la région du lac
Tchad d’armes occidentales destinées
à l’Ukraine, jusqu’à la Côte d’Ivoire,
dont le nord est déjà gangrené par les
métastases djihadistes.
Pourtant, une partie des conseillers
d’Emmanuel Macron souhaite profiter
de la réorganisation en cours au Sahel
 MONDE
Florence Parly, ex-ministre des Armées, avec Emmanuel et Brigitte Macron. Les Africains en veulent à la France en particulier d’avoir
déstabilisé la Libye. Et aujourd’hui de distribuer à l’Ukraine les armes qu’ils réclamaient pour se défendre contre les djihadistes…

pour alléger, voire supprimer nos bases

permanentes dans cette zone: celles de
Côte d’Ivoire (950 hommes), du Séné-
gal (350 hommes) et du Gabon
(350 hommes); seul le contingent sta-
tionné à Djibouti (1450 hommes) échap-
perait à la purge. Derrière cette vieille
idée se cachent souvent des arrière-pen-
sées inavouables: réaliser des écono-
mies à moindres frais; neutraliser un
frein à l’otanisation des armées… Ses
partisans avancent qu’il n’y a plus que
des coups politiques à prendre dans ces
pays. Envoûtée ici par les anticolonia-
listes, là par les islamistes, la rue conteste
de plus en plus les hommes forts en
place, qui vont remettre prochainement
en jeu leurs mandats; en 2023 pour Ali
Bongo, au Gabon, en 2024 pour Macky
Sall, au Sénégal, et en 2025 pour Alas-
sane Ouattara, en Côte d’Ivoire.

Nos armées sous la pression

d’injonctions contradictoires
Nos militaires ont le sentiment de rece-
voir des injonctions contradictoires:

« On nous demande de partir avant
qu’il ne soit trop tard et on exige tou-
jours de nous d’être capables d’éva-
cuer nos ressortissants, de contrer l’in-
fluence russe, de faire œuvre de
prévention en formant et en entraî-
nant les armées locales. » En renon-
çant à son rôle de pourvoyeur histo-
rique de sécurité en Afrique, la France
se priverait à coup sûr du dernier pan
intact de son influence sur ce conti-
nent qui comptera 2,5 milliards d’ha-
bitants en 2050. Bien plus que l’hydre
islamiste, les élites militaro-sécuri-
taires, à l’unisson, craignent par-des-
sus tout ses conséquences: les vagues
migratoires massives provoquées par
l’explosion de l’insécurité et la faillite
des États encore viables.
La nature ayant horreur du vide,
en cas de départ, l’armée française
serait immédiatement remplacée par
d’autres. C’est ce qu’a explicitement
dit l’Ivoirien Ouattara aux officiels
français venus le sonder avant Noël.
Sont candidats les Russes, bien sûr,
mais aussi les Turcs, les Chinois, les
Indiens, les Pakistanais et d’autres
encore, sans compter les Américains,
en embuscade. En novembre, à Paris,
dans un cercle de grands patrons fran-
çais actifs en Afrique, Lassina Zerbo,
ancien Premier ministre burkinabé,
expliquait: « Les manifestants à Oua-
gadougou ont faim, ils s’attaquent
aux intérêts français car quelqu’un a
allumé cette mèche. Mais le sentiment
antifrançais n’est pas ancré dans le
pays profond, qui a surtout l’impres-
sion d’être abandonné à son sort par
ceux qui peuvent encore l’aider. »
Les Africains en veulent aux Euro-
péens, et à la France en particulier,
d’avoir favorisé l’avancée des djiha-
distes au Sahel en déstabilisant la Libye
de Kadhafi. Aujourd’hui, ils ne com-
prennent pas que Paris se dépouille de
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 39
LUDOVIC MARIN/AFP
ses armes pour aider les Ukrainiens
alors qu’il a refusé d’équiper leurs
armées. Sauf cas particulier (le Mali),
ni les dirigeants ni la rue africaine ne
demandent le départ des militaires
français. Au contraire.
Peut-être est-il grand temps de réin-
venter notre action sur le continent.
En intégrant, par exemple, les res-
sources du privé, bien seul face à une
concurrence internationale féroce,
comme ces pépites qui fournissent de
la formation et des écoles militaires
clés en main aux États. Et, surtout, en
assumant sur le continent une poli-
tique de “compétition” et de “confron-
tation”, pour reprendre les concepts à
la mode lorsqu’il s’agit d’évoquer la
Russie en Europe de l’Est ; là où la
France exerce encore son autonomie
stratégique. •
MONDE / EN BREF
LA CROATIE, PRINCIPALE PORTE Israël a conduit des centaines
DE L’IMMIGRATION ILLÉGALE ? d’opérations de ce type, exploitant
toutes les fenêtres d’opportunité
En ce début d’année, la Croatie au pays de Bachar al-Assad,
a rejoint la zone euro et l’espace où Moscou s’apprête à ouvrir
Schengen. Depuis son entrée un nouveau round de négociations
dans l’Union européenne, en 2013, entre les frères ennemis turcs
elle appliquait de facto les règles et syriens. Le 28 décembre, les deux
de Schengen à ses 1 350 kilomètres ministres de la Défense étaient
de frontières, qui courent principa- à Moscou pour des discussions
lement le long de la Bosnie. qualifiées de “positives”. Une réu-
De l’aveu des autorités elles-mêmes, nion tripartite au sommet devait
l’immigration illégale à travers se tenir le 4 janvier.
ses frontières a augmenté de 150 %
en 2022, mettant fin à une relative
accalmie due à la période Covid. BOLSONARO S’EN VA,
Au total, quelque 30 000 personnes PELÉ S’ÉTEINT, LULA REVIENT
ont ainsi transité illégalement
via la Croatie. De là à ce que le pays Le président brésilien
AKG-IMAGES / ULLSTEIN BILD
devienne rapidement la principale sortant a préféré
porte d’entrée de l’Union, il n’y a quitter le pays vers
qu’un pas. les États-Unis plutôt
que de remettre
son écharpe à Lula,
DAMAS ENTRE FRAPPES ISRAÉLIENNES fraîchement réélu
ET NÉGOCIATIONS À MOSCOU d’une courte majorité malgré les
prévisions des sondages. Bolsonaro
L’aéroport de Damas a été mis manque aussi un grand moment de
hors service par un bombardement communion populaire: le 2 janvier,
israélien le 1er janvier. Tsahal a les Brésiliens se sont massivement
une nouvelle fois visé les installa- rassemblés pour un hommage
tions de groupes pro-iraniens, au roi Pelé (photo), icône mondiale
dont le Hezbollah. Depuis le début du football, triple champion
de la guerre civile syrienne, en 2011, du monde.
LA PERSONNALITÉ DE LA SEMAINE
ULF KRISTERSSON pendant six mois. Le 1er janvier,
JONATHAN NACKSTRAND/AFP
À CONTRE-EMPLOI la Suède a pris la présidence
POUR SIX MOIS tournante de l’Union. À son pro-
À LA TÊTE DE L’EUROPE gramme, la définition d’une nou-
velle politique migratoire pour
les 27, mais aussi une Europe
« plus verte, plus sûre et plus
libre ». Parallèlement Kristersson
Élu en octobre dernier avec sera chargé de préserver
les voix de la droite dure (le parti la fragile unité européenne
des Démocrates de Suède), sur la politique des sanctions
le Premier ministre suédois, issu contre la Russie, notamment lors
de la droite modérée, va diriger du sommet Union européenne-
également l’agenda européen Ukraine du 3 février prochain.
40 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
LE CHIFFRE
8,35
C’est, en milliards d’euros,
le montant des armes exportées
par l’Allemagne en 2022.
Berlin se classe à la 5e place,
derrière les États-Unis, la Russie,
la France et la Chine. L’Ukraine
est le premier client de Berlin,
avec 2,24 milliards d’euros
de matériels commandés.
EN ARMÉNIE, LATCHINE
TOUJOURS BLOQUÉ
Alors que le seul passage terrestre
entre l’Arménie et la république
autoproclamée d’Artsakh est blo-
qué depuis près d’un mois, privant
la population des biens de première
nécessité, l’Azerbaïdjan a annoncé
qu’il voulait ouvrir un corridor
lui permettant un accès direct
à la province du Nakhitchevan,
passant par le territoire de l’Armé-
nie. Un nouveau casus belli entre
les deux voisins.
Un job un peu à contre-emploi
pour cet ancien communicant
bon teint de 59 ans, qui se veut
rassurant sur l’engagement de
la Suède dans l’agenda européen
et atlantique: outre ses alliés
politiques, il doit compter avec
une opinion publique peu moti-
vée par la question européenne.
À telle enseigne que les grand-
messes seront délocalisées hors
du centre de Stockholm — pour
ne pas déranger la vie quoti-
dienne de ses habitants.
 MONDE / L’IMAGE

GRÈVES HISTORIQUES AU ROYAUME-UNI

Agents de l’Eurostar, infirmières (une première historique), postiers et même la police des frontières:
commencé en décembre, un mouvement de grèves a paralysé le Royaume-Uni pendant les fêtes.
Dans l’urgence, le gouvernement a fait appel à 1200 militaires pour assurer le service des ambulances
DAN KITWOOD/GETTY IMAGES/AFP

et le contrôle aux frontières. Le conflit social n’en est qu’à ses débuts. La prochaine grande grève est prévue
vendredi et samedi. Seuls 20 % des trains devraient circuler. Depuis septembre, les syndicats revendiquent
des revalorisations salariales alors que l’inflation galopante (11 %), en partie due à l’explosion non compensée
par l’État des factures énergétiques (multipliées par trois), frappe de plein fouet le pouvoir d’achat des
ménages britanniques. Le gouvernement du millionnaire Rishi Sunak travaille sur une législation antigrève.

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 41

ÉCONOMIE & ENTREPRISES
“2023, année des risques
budgétaires et fiscaux”
Comptes publics, réformes inexistantes, pénurie d’électricité, risques de hausses
d’impôts… Agnès Verdier-Molinié, la directrice de la Fondation iFrap et auteur du
Vrai état de la France (L’Observatoire) prévient que le “réveil pourrait être difficile”.
Propos recueillis par Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya
Quel bilan tirez-vous de la politique
économique française en 2022?
Qu’est-ce qui a été le plus frappant?
En 2022, le plus frappant est que nous
sommes passés à côté des sujets impor-
tants de la présidentielle. Pris en sand-
wich entre la longue traîne du Covid
et ses derniers soubresauts technocra-
tiques et liberticides et le début de la
guerre en Ukraine, jamais il n’a été fait
le point sur l’état réel du pays. Sur le
déficit chronique ou sur la dette avec
le fait qu’on s’endette pour fonction-
ner et pas pour investir, etc.
À l’occasion du coup de projecteur
que donne le contexte international
sur le sujet défense, nous nous sommes
aperçus tout à coup que nous votions
des crédits pour les équipements mili-
taires mais sans les décaisser. La Fon-
dation iFrap avait tiré la première la
sonnette d’alarme en la matière pour
montrer que, depuis 2009, plus de
50 milliards d’investissements en défense
avaient été votés sans être dépensés
dans les faits… Bref, on a continué à
mettre les dossiers sous le tapis et à ne
les ressortir que pour des raisons de
pure arithmétique politique quand
cela arrangeait, comme, par exemple,
le sujet de la dette tout d’un coup brandi
42 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Agnès Verdier-Molinié. Jamais depuis les années 1990, les prélèvements
obligatoires en part de PIB n’ont été aussi hauts qu’en 2022.
par la majorité pendant la campagne
des législatives pour faire plus sérieux
par rapport aux programmes de la
Nupes ou du RN… alors que tout allait,
soi-disant, très bien pendant la prési-
dentielle.
On peut comprendre que l’agenda
politique ne soit pas toujours celui des
intérêts de la France, mais un tel déca-
lage peut nous déstabiliser. Ajoutons
que 2022 a été l’année où, en part de
PIB, les prélèvements obligatoires ont
été les plus hauts depuis les années
1990 : grâce à, ou à cause de, l’infla-
tion, les Français et leurs entreprises
continuent de crouler sous les impôts,
taxes et cotisations tout en entendant
sempiternellement que la pression fis-
cale baisse.
“LES PREMIERS MOIS
DU QUINQUENNAT
SONT ÉTONNANTS
PAR LE MANQUE
DE RÉFORMES DE FOND.
QU’A-T-ON VOTÉ DEPUIS
MAI ? QUASI RIEN.”
Le nouveau quinquennat
suit la même voie?
Les premiers mois sont étonnants par
leur manque de réformes de fond.
Qu’a-t-on voté depuis mai dernier ?
Quasi rien. Il y a évidemment l’excuse
de la majorité relative, mais c’est une
faute politique de ne pas constituer
tout de suite des majorités ad hoc
pour faire passer les réformes les plus
urgentes. C’était la logique et c’était
possible, d’autant plus qu’en commis-
sion mixte paritaire, là où se joue
l’avenir des textes législatifs, si on
additionne droite et centre, il y a clai-
rement une majorité…
Nous attendons toujours les moda-
lités de la réforme des retraites. Chaque
jour compte, car les marchés qui nous
financent vont finir par s’impatien-
ter et les taux vont continuer à monter,
quoi qu’en pensent les dépensiers.
Nous avons dépassé le seuil des 3 %
sur la dette à 10 ans, au plus haut
depuis 2012.
Faut-il justement s’inquiéter
du report de la réforme des retraites?
Est-ce le prélude à d’autres délais?
Bien sûr qu’il faut s’en inquiéter! Car
en attendant, aucune réforme de fond

ne se fait. Et qu’on ne nous dise pas
que la réforme de l’assurance chômage
est une réforme de fond. Elle ne tien-
dra que quelques mois avant la remon-
tée des chiffres du chômage sous
l’influence de la mauvaise croissance
— voire de la récession — que nous
aurons probablement en 2023.
En matière de retraites, la mesure
la plus importante à prendre, tout le
monde la connaît et tous les autres
pays l’ont déjà fait, c’est décaler l’âge
de départ à 65 ans, n’en déplaise aux
nouveaux convertis qui pensent que
63 ans suffiraient. C’est faux et c’est
d’autant plus faux que les déficits actuels
des régimes de retraite publics sont
cachés et qu’ils pèsent de l’ordre de
30 milliards d’euros par an. Ensuite,
il faudrait revoir le mode de calcul des
pensions publiques, qui fait que nous
payons avec nos impôts les pensions
publiques en plus de cotiser pour les
nôtres… Il est temps de créer au mini-
mum une vraie caisse de retraite
publique.
Attention également aux fausses
réformes comme une simple accélé-
ration de la réforme Touraine : en
augmentant le nombre de trimestres
à cotiser, on favoriserait énormément
les agents publics, qui ont déjà en
moyenne beaucoup plus de trimestres
cotisés, grâce à l’emploi à vie et aux
bonifications, que les salariés du privé.
Le premier quinquennat d’Emma-
nuel Macron est-il meilleur
ou pire que ceux de Nicolas Sarkozy
et de François Hollande?
En matière de dérapage des dépenses
publiques, le quinquennat qui vient
de passer est clairement le pire des
trois… avec 43,7 milliards de dépenses
de plus par an en moyenne par rap-
port à ce qui avait été voté initiale-
ment, Emmanuel Macron surclasse
largement Nicolas Sarkozy et Fran-
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 43
JOËL SAGET/AFP
çois Hollande, qui étaient à + 35,9 mil-
liards et + 16,8 milliards respective-
ment. Si l’on considère l’évolution des
dépenses publiques totales en points
de PIB, le score d’Emmanuel Macron
s’améliore : Nicolas Sarkozy arrive en
tête avec une augmentation des
dépenses publiques (hors crédits
d’impôts) de 3,7 points, contre
2,5 points pour Emmanuel Macron et
enfin une baisse sous François Hol-
lande de 0,4 point. S’agissant des pré-
lèvements obligatoires Nicolas Sar-
kozy et François Hollande les ont tous
les deux augmentés (de 2,3 points au
total) et Emmanuel Macron les a bais-
sés de 0,8 point entre 2017 et 2021,
mais cette baisse a été totalement
annulée en 2022. Enfin, concernant
le chômage, il augmente sous Nico-
las Sarkozy (+ 1 point du taux de chô-
mage), contre + 0,3 point pour Fran-
çois Hollande et – 1,6 point pour
Emmanuel Macron. •
 ÉCONOMIE & ENTREPRISES
Emmanuel Macron. Sa présidence exacerbe inutilement
les tensions entre les riches et les pauvres.
GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

Emmanuel Macron est-il, comme on
le prétend, le président des riches?
Sa présidence a inutilement exacerbé
les tensions entre les plus riches et
les plus pauvres. On n’avait pas besoin
de cela. Pourquoi décider que la taxe
d’habitation serait supprimée au
départ pour 80 % des ménages et pas
les plus aisés ? Idem pour la CSG, qui
augmente pour ceux qui gagnent plus
de 2 000 euros par mois et pas pour
les autres. Et pourtant, les derniers
rapports de l’Insee tapent sur les plus
riches qui bénéficient désormais de
ma baisse de la taxe d’habitation en
faisant l’impasse sur le fait qu’elle a
bénéficié les années précédentes aux
plus modestes. C’est ubuesque quand
on sait qu’environ la moitié de la
recette totale des impôts directs des
ménages est payée par les 10 % qui
gagnent le plus…
Cela donne l’impression qu’on est
riche au-dessus de 2000 euros par mois…
Avec François Hollande on était riche à
partir de 4000 euros… Sous le prochain
président ce sera 1000 euros? Pourquoi
mener des politiques qui opposent?
Cela n’a pas de sens sinon de détour-
ner des vrais sujets: nous nous appau-
vrissons en France collectivement.
Nous ne sommes plus que 23e mondial
en richesse nationale par habitant et
ça, c’est un vrai sujet. C’est le résultat
d’un modèle social qui a la tête à l’envers:
le travail n’est plus le moyen évident
de subsister. L’État s’est substitué pour
donner des revenus à la place du tra-
vail en s’endettant sans exiger de retour
au travail. Et de plus en plus de nos
concitoyens qui ne veulent pas de ce
modèle quittent la France. Les fronta-
liers qui travaillent de l’autre côté de
la frontière sont de plus en plus nom-
breux, en augmentation de 15 % ces

44 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023


dernières années, pour atteindre
442 000 en 2021. C’est gigantesque.
Quoi qu’on en dise, à bas bruit, les
talents, ceux qu’on appelle aussi de
plus en plus abusivement les riches,
continuent de quitter la France. Atten-
tion, le réveil pourrait être difficile.
Indexer les salaires sur l’inflation,
vraie ou fausse bonne idée?
Ceux qui proposent cela ne le pro-
posent que quand il y a de l’inflation.
Quand il n’y en a pas, ils sont bien
contents que les salaires augmentent
au-delà de l’inflation via la négocia-
tion individuelle et collective. Par ail-
leurs, les salaires et primes ont déjà
massivement augmenté en 2022 et,
quand on fera les comptes, on verra
qu’en moyenne c’est peu ou prou au
niveau de l’inflation. Les entreprises
qui ne peuvent pas augmenter les
salaires autant que l’inflation sont
des petites entreprises dont les diri-
geants expliquent très bien que s’ils
s’alignent sur l’inflation, ils devront
supprimer des emplois. C’est ce qu’on
souhaite vraiment ?
Dette qui s’envole, chômage plus
élevé qu’ailleurs, valse des impôts,
prélèvements obligatoires record,
insécurité grandissante, poids
des 35 heures… Y a-t-il des raisons
d’espérer pour la France?
Bien sûr. C’est justement parce que
nous avons autant de boulets bureau-
cratiques, fiscaux et normatifs que
nous pouvons espérer un rebond
incroyable quand on daignera enfin
nous enlever nos entraves! Cela deman-
dera du courage pour enlever toutes
les couches de bureaucratie et de normes
qui étouffent notre créativité et nos
investissements.
Beaucoup de nos compatriotes sont
à des postes publics et parapublics stra-
tégiques d’où ils voient crûment les
erreurs et folies que nous faisons sur la
dette, sur le nucléaire, sur la gestion des
effectifs publics. Mais ils ne disent rien
aujourd’hui car leurs postes dépendent
ÉCONOMIE & ENTREPRISES
“C’EST PARCE QUE NOUS
AVONS AUTANT DE
BOULETS FISCAUX,
BUREAUCRATIQUES ET
NORMATIFS QUE NOUS
POUVONS ESPÉRER UN
REBOND INCROYABLE.”
de nominations politiques. Ils ne finiront
par parler que lorsqu’ils ne seront plus
en poste… Il devrait y avoir une incita-
tion à la transparence sur la gestion
publique et non l’inverse. La Fondation
iFrap travaille tous les jours pour faire
la lumière sur les failles de la gestion
publique qui restent dans l’ombre.
Pourquoi affirmez-vous
que la France est le passager
clandestin de la zone euro?
Parce que nous bénéficions des taux
bas et qu’en toute logique, étant donné
l’état de nos finances publiques, cela
ne reflète pas notre santé économique
et financière. Anesthésiés par ces taux,
nos politiques n’ont aucune incitation
pour effectuer les réformes néces-
saires. Même la réforme des retraites
ressemble à un éternel alibi brandi
par le gouvernement pour rassurer
les marchés et nos partenaires sans
être dévoilée. Attention, car l’Alle-
magne va emprunter beaucoup plus
l’an prochain et la Banque centrale
européenne (BCE) se délester d’une
partie des dettes publiques de son
bilan et les taux pourraient bel et bien
diverger beaucoup plus entre la France
et l’Allemagne dans les mois qui
viennent. La France ne pourra plus
alors jouer la carte du passager clan-
destin et devra embrayer dès 2023 sur
un plan de réformes sous peine de
voir exploser le coût annuel de sa dette
et dans la foulée le poids de l’impôt.
Croyez-vous aux promesses
de réindustrialisation,
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 45
surtout à une époque d’inflation
des coûts de l’énergie?
Nous risquons surtout de vivre une
phase de désindustrialisation supplé-
mentaire à cause des pénuries d’élec-
tricité et de son coût. Ce risque ne vient
pas de la guerre en Ukraine, mais des
choix catastrophiques qui ont été faits
dans le nucléaire ces dernières années
au détriment des Français et de leurs
entreprises. Qui pouvait croire que fer-
mer 12 réacteurs soit une bonne idée?
Que repousser, pendant le Covid, la
maintenance des centrales à plus tard
était le bon choix? Au fil des ans, nous
avons perdu le bon sens énergétique.
Nous avons été leurrés par des rapports
publics, notamment celui de RTE, en
2017, qui ont avancé que nous allions
baisser notre consommation d’énergie
de 50 % en 2050. Cela a permis de faire
croire qu’on pouvait fermer des réac-
teurs alors que c’était erroné. Le rap-
port RTE sur les futurs énergétiques
2050 dit maintenant que nous allons
augmenter de 36 % notre consomma-
tion d’électricité, voire de 58 % en cas
de réindustrialisation! Il était morti-
fère de considérer que nous allions bais-
ser notre consommation d’électricité.
Dans nos études de la Fondation
iFrap, nous tirons la sonnette d’alarme
depuis des années sur les risques de
coupures de courant et de black-out,
mais nous n’avons rencontré que de la
condescendance et du déni.
Cela dit, il ne faut pas baisser les
bras sur la réindustrialisation. Conti-
nuons à réclamer la réouverture, au
plus vite, de nos réacteurs à l’arrêt,
et à en construire de nouveaux. Il faut
aussi se poser la question pour Fes-
senheim, même si sa réouverture prend
trois ans. Même chose pour la cen-
trale à charbon du Havre et se poser
aussi la question des gisements fran-
çais de gaz de schiste (qui existent au
niveau des anciennes mines de char-
bon) plutôt que d’acheter celui des
Américains.
Se pose toujours la question de la
compétitivité-coût, comme nous l’avons •
ÉCONOMIE & ENTREPRISES
montré dans notre dernière étude de
la Fondation: l’écart de compétitivité
est plombé en France pour nos entre-
prises par près de 148 milliards de pré-
lèvements obligatoires en plus par an
par rapport à la zone euro hors France.
Les baisses d’impôts et de taxes de pro-
duction des dernières années ont à
peine réduit l’écart. Il faut faire beau-
coup plus si nous voulons produire en
France et assumer que cela passera à
un moment par plus de production de
CO2 par habitant qu’aujourd’hui (de
l’ordre de 2 tonnes par habitant) tout
en réduisant l’empreinte carbone “mon-
diale” de la France de 1,3 tonne par
habitant grâce à la baisse des impor-
tations et à l’amélioration de notre
balance commerciale. N’oublions pas
que notre bilan carbone est déjà un
des meilleurs du monde et que vouloir
le réduire coûte que coûte et le plus
rapidement possible équivaut à mettre
à genoux notre économie.
46 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Manifestation contre le projet de réforme des retraites.
La première mesure à prendre serait de décaler l’âge de départ à 65 ans.
Que conviendrait-il de faire
pour augmenter le pouvoir
d’achat des Français?
L’inflation est une catastrophe pour les
ménages et pour les entreprises. Renon-
cer à la combattre assez, en remontant
trop tard et trop faiblement les taux de
la BCE, comme c’est le cas depuis des
mois parce que les pays endettés de la
zone euro — dont la France — veulent
continuer à dépenser sans compter en
ayant paradoxalement peur d’une crise
des dettes publiques en Europe, est très
“VOULOIR RÉDUIRE
NOTRE BILAN CARBONE,
UN DES MEILLEURS
AU MONDE, ÉQUIVAUT
À METTRE À GENOUX
NOTRE ÉCONOMIE.”
ALAIN PITTON/NURPHOTO/AFP
dangereux. Dans un premier temps,
laisser aux Français le fruit de leur tra-
vail. Quand un patron français paye
100 euros, le salarié a 46 euros dans la
poche alors que la moyenne de l’Union
européenne est de 58 euros! Si nous
étions dans la moyenne de la zone euro,
ce serait un pouvoir d’achat supplé-
mentaire de l’ordre de 25 milliards
d’euros par an qui arriverait dans la
poche de nos concitoyens. Cela demande
de baisser les dépenses sociales et les
dépenses de fonctionnement de nos
administrations. Mais il est dommage
que, quand on parle de pouvoir d’achat,
on ne parle jamais du fait que c’est uni-
quement en France que les adminis-
trations publiques prennent à la source
plus de 50 % du pouvoir d’achat des
Français.
Faire des chèques (énergie, bois…)
pour améliorer le pouvoir d’achat et
masquer l’envolée des prix est une
solution très court-termiste. •

IMMOBILIER
La fin de l’abondance
C’ est à l’image d’une aire de
retournement au sommet
de la montagne, une nouvelle
piste glissante dont la pente reste
à définir. Cela s’illustre par les
statistiques publiées, mardi 3 jan-
vier, par le réseau Century 21.
« Le marché immobilier a pivoté
à l’été, juge le président du réseau,
Charles Marinakis. 2021 était
l’année de tous les records, 2022
marque un retournement. »
Le nombre de transactions, qui
avait atteint un niveau record à
1,177 million de biens échangés en
2021, a chuté, selon Century 21,
de 8,2 % pour les maisons (– 0,2 %
pour les appartements). En cause,
la menace de récession écono-
mique et la baisse du pouvoir
d’achat immobilier consécutive
à la hausse des taux d’intérêt,
qui ont plus que doublé en un an
(passant de 1,07 % à 2,25 % en
novembre). « Le nombre de com-
promis annulés au motif de refus
de prêt a doublé entre le premier
et le second semestre », observe
Charles Marinakis. Si le marché
NAISSANCE DE LA BANQUE SG
Le 1er janvier, la banque SG, née
de la fusion des réseaux France de
la Société générale et du Crédit du
Nord, a vu le jour. « L’ensemble des
clients bénéficieront d’un nombre de
points de vente accru, multiplié par
plus de deux pour les clients issus du
groupe Crédit du Nord et augmenté
de 15 % pour les clients de Société
générale », explique le nouveau
groupe. Cette fusion, annoncée en
2020 et pour laquelle quatre accords
ont été signés avec les organisations
syndicales, se concrétisera, au
ÉCONOMIE & ENTREPRISES / EN BREF
AUTOMOBILE
LA MOROSITÉ CONTINUE
La Plateforme automobile a fait ses
THIERRY STEFANOPOULOS/REA
comptes. En 2022, 1529035 véhicules
neufs ont été immatriculés, soit
un recul de 7,8 % en un an. Un chiffre
proche de celui de 1974. Le record
de 2,2 millions atteint en 2019 est
désormais bien loin. Stellantis
reste le premier constructeur avec
478040 véhicules vendus, soit une
part de marché d’un peu plus de 31 %.
Renault suit avec 369432 ventes
Selon Charles Marinakis, président (part de marché de 24 %). Le groupe
de Century 21, “l’année 2022 marque Volkswagen est le troisième vendeur
un retournement du marché”. en France. Tous trois reculent en un
an. En cause, un manque de compo-
a reculé en volume, les prix, en sants électroniques qui a pesé sur les
revanche, ont poursuivi leur chaînes de fabrication. Les voitures
ascension, s’adjugeant sur l’année électriques continuent leurs percées:
7,2 % pour les maisons et 4 % pour une voiture neuve sur cinq vendues
les appartements. « À des records aujourd’hui fonctionne avec ce type
historiques, les prix ont atteint un de motorisation ou est hybride
pic durant l’été pour commencer rechargeable. Fin novembre 2022,
à décroître au second semestre », on comptait plus de 1 million de véhi-
poursuit Charles Marinakis. Dans cules de ce type en France (+ 40 %
les trois métropoles de Paris, Lyon par rapport à fin décembre 2021).
et Bordeaux, ils finissent même
dans le rouge; dans la capitale,
où ils refluent de 2,4 % sur l’année, L’exemplaire du Figaro, du Monde
le prix au mètre carré est passé et des Échos vaut désormais
en septembre sous le seuil des 3,40 euros, quand la Croix et
10000 euros. Comme un symbole. Libération atteignent de leur côté
2,70 euros et l’Équipe monte
à 2,30 euros. Le tout avec une
premier semestre, par les migrations pagination qui a diminué en
informatiques des banques du moyenne de 20 %. Ces hausses sont
groupe Crédit du Nord vers le la conséquence de l’inflation du prix
système d’information de Société de la tonne de papier. À 900 euros,
générale, tandis que les agences il a presque doublé en un an. Le fort
seront regroupées entre le second accroissement des autres coûts en
semestre 2023 et la fin de 2025. 2022, notamment l’énergie, explique
aussi la revalorisation des tarifs
de la presse quotidienne nationale et
L’INFORMATION, UN PRODUIT régionale. Le surcoût total s’élèverait
DE LUXE EN 2023 ? pour ces entreprises de presse à
150 millions d’euros. De quoi encore
Les acheteurs de quotidiens réduire les tirages et fragiliser le
nationaux et régionaux en sont pour modèle économique de cette famille
leurs frais: le prix de leur journal a de presse dans laquelle le papier
subi une augmentation significative. reste largement prédominant.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 47
ÉCONOMIE & ENTREPRISES
“Parler de plein
emploi relève
de la supercherie”
Florent Ly-Machabert, agrégé de sciences
économiques et sociales et major de l’École des hautes
études commerciales, analyse les effets de la nouvelle
réforme de l’assurance chômage.
Propos recueillis par Éric Revel
Que pensez-vous de la réforme
de l’assurance chômage dont on
connaît maintenant les modalités?
Elle s’inscrit dans le contexte d’une
réforme menée par Emmanuel Macron
lors de son précédent mandat et qui a
consisté à restreindre les conditions
d’ouverture de droits et à modifier les
règles de calcul de l’allocation versée.
Promesse de campagne du président-
candidat en 2022: la modulation de la
durée d’indemnisation en fonction de
la conjoncture économique (donc, du
taux de chômage). Les précédentes
mesures ont eu un impact sur un chô-
meur sur deux: 9 % ont été radiés de
Pôle emploi du fait de la durée de coti-
sation exigée, 16 % ont vu leur alloca-
tion baisser de 20 %. Cette réforme a
eu un effet comptable et financier posi-
tif sur les comptes sociaux. Mais à quel
prix ? L’allocation moyenne s’élève à
1170 euros nets mensuels (moins que
le Smic), 30 % des chômeurs ne sont
pas indemnisés et un chômeur sur trois
perçoit moins de 1000 euros.
La baisse des indemnités répondra-
t-elle aux manques de main-d’œuvre
dans les secteurs en tension?
Des estimations empiriques ont montré
que les actifs inoccupés sont davan-
48 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
DR
“UNE PRÉVISION
AU DOIGT MOUILLÉ QUI
SEMBLE FAIRE L’IMPASSE
SUR LES PERSPECTIVES
DE STAGFLATION.”
tage incités à reprendre un emploi
lorsque leur allocation baisse que lorsque
c’est la durée. Il faut tenir compte de
la possibilité d’un recours à des reve-
nus de transfert “concurrents”, non
contributifs, à l’instar de la prime d’ac-
tivité et du RSA. En théorie, tous les
dispositifs assurantiels souffrent d’un
“aléa moral”: désincitation du chômeur
indemnisé à retrouver rapidement un
emploi ou du salarié en poste, indem-
nisable, à conserver le sien. En pra-
tique, les changements qu’introduit la
réforme sont de nature à réduire le
délai au terme duquel le chômeur
reprend un emploi. Il subsiste une forte
incertitude empirique quant à l’am-
pleur de cet effet positif.
Le gouvernement prévoit que
150000 personnes pourraient
retrouver le chemin de l’emploi…
Cette prévision au doigt mouillé semble
faire l’impasse sur les perspectives de
stagflation française dès à présent et
pour 2023. Oser convoquer les mânes,
comme le fait Bruno Le Maire, des
Trente Glorieuses et du plein emploi
dans ce contexte relève de la super-
cherie pure et simple.
L’année 2023 risque de voir l’éco-
nomie française basculer dans
la récession. Le taux de chômage
repartirait à la hausse sans déclen-
cher le “cliquet des 9 %” pour réta-
blir le niveau d’indemnités. Doit-on
s’attendre à une augmentation
du nombre de travailleurs pauvres?
Dans le numéro 11 de Finance & Tic, le
mensuel de Samarie & Cie, nous avons
contesté le fait que la France ait un
taux de chômage à 7,6 % en novembre
2021, après dix-huit mois de chaos éco-
nomique. Tel que calculé par l’Insee,
il prend en compte les chômeurs de
catégorie A. On fait fi des catégories
B, C, D et E. Avec 6,5 millions de chô-
meurs en France métropolitaine, le
taux de chômage avoisine 14 %. Le “cli-
quet des 9 %” est atteint, ce qui trahit
l’objectif du texte: faire des économies
au détriment d’assurés qui ont cotisé.
Le gouvernement travaille à raboter
de façon paramétrique l’indemnisa-
tion au lieu de réfléchir aux conditions
de la création d’emplois pérennes, qua-
lifiés, non délocalisables. •
Retrouvez l’intégralité de cet entretien
sur www.valeursactuelles.com.

Le mariage, la solution
patrimoniale la plus
protectrice
Par Finance média France
E xonération de droits de succes-
sion et abattement de
80724 euros sur les donations… Du
point de vue fiscal, un partenaire
de pacs et un conjoint sont logés
à la même enseigne. Toutefois, la
protection de la famille ne dépend
pas que des aspects fiscaux. Beau-
coup l’oublient, mais les enjeux
civils sont tout aussi importants,
sinon plus. Certes, le pacs apparaît
comme un moindre mal face au
concubinage, dans lequel les deux
concubins sont vus comme de par-
faits étrangers (lire ci-dessous).
Mais en matière de couverture
de l’être cher, le mariage reste bel
et bien le meilleur choix. Selon le
contrat retenu, le mariage permet
notamment d’introduire des
poches de communauté. Avec le
pacs, seules deux règles de gestion
du patrimoine sont envisageables:
Attention aux pièges
du concubinage
B ien qu’évoqué par le code civil
(article 515-8), le concubinage
n’est au regard du droit rien d’autre
qu’une « union de fait ». Certes, la
jurisprudence accorde au concubin
quelques avantages, comme celui
de reprendre à son nom un bail en
cours. Mais ces cas demeurent sym-
boliques et par principe les concu-
bins sont deux étrangers n’ayant
aucun droit ou devoir l’un envers
l’autre. Cela n’est pas sans consé-
quence au plan patrimonial. En cas
de décès, le concubin ne bénéficie
PATRIMOINE
DROIT DE LA FAMILLE
Le conjoint a lui aussi une priorité
DJEDZURA/GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO
sur le logement (droit d’un an
ou droit viager sur option), mais
bénéficie en outre de droits auto-
matiques sur la succession: par
exemple, le quart en pleine pro-
priété ou la totalité en usufruit en
présence d’enfants tous communs
(article 757 du code civil). Bien
entendu, il est possible d’attribuer
des biens à un partenaire de pacs.
Néanmoins, il faut y penser en
amont via un testament et l’attri-
bution ne peut dépasser la quotité
disponible, c’est-à-dire la part qui
n’est pas réservée à certains héri-
tiers protégés (la moitié des biens
en présence d’un enfant, un tiers
avec deux enfants…). Là encore,
le mariage est plus protecteur,
puisqu’il permet d’offrir par
contrat ou pendant le mariage
Le mariage, la meilleure garantie des droits accrus au conjoint,
pour l’être cher. par exemple un quart des biens
en pleine propriété plus les trois
la séparation ou l’indivision. En cas quarts en usufruit (article 1094-1
de décès, le partenaire de pacs du code civil). Enfin, n’oublions pas
n’a quant à lui aucun droit légal, à que contrairement au partenaire
l’exception d’un droit au logement de pacs, le conjoint peut prétendre
d’un an sur la résidence principale. à une pension de réversion. •
d’aucune priorité sur la succession Les situations de concubinage
du défunt. En cas d’achat d’un bien
immobilier à deux, le survivant
méritent donc une attention parti-
culière et peuvent justifier de faire
peut par exemple se retrouver
en indivision avec la famille de son
concubin (sans garantie de bonne
appel aux conseils d’un profession-
nel. Pour un achat immobilier à
deux, la solution pourra passer par
entente). Un testament peut bien un pacte tontinier (assurant la
entendu remédier à ces situations, pleine propriété au survivant) ou
mais avec deux inconvénients. par une société civile immobilière
D’une part, l’attribution ne peut avec un démembrement croisé des
amputer la part des héritiers réser- parts (garantissant l’usufruit au
vataires (ceux qui ont droit à une survivant). D’une manière générale
part minimale, comme les enfants). et en cas de patrimoine conséquent,
D’autre part, cette attribution coûte il est également recommandé d’uti-
cher, puisque la taxation est ici de liser l’assurance vie afin d’offrir
60 % après application d’un abatte- au concubin un capital exonéré
ment anecdotique de 1 594 euros. et hors successions au plan civil. •
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 49
 BOURSE
LES INDICATEURS PHARES
Cac 40 S&P500
6 594 pts 3 839 pts
CERCLE DES FISCALISTES
FISCALITÉ
Par Philippe Bruneau
Président du Cercle
des fiscalistes
Excès de pouvoir
Ministre des Collectivités
territoriales, Caroline
Cayeux a récemment été
obligée de démissionner
parce que la Haute Autorité
pour la transparence de
la vie publique a émis
de sérieuses réserves sur la
valeur qu’elle avait donnée
à deux de ses immeubles.
La personne publique
contrôlée par cet organisme
encourt des poursuites
pénales si elle omet de décla-
rer une partie de son patri-
moine ou fournit de celui-ci
une évaluation mensongère.
Chacun sait, en particulier
tout redevable de l’Ifi,
combien est sujette à discus-
sion la fixation de la valeur
de marché d’un immeuble.
Ériger en mensonge une
estimation jugée insuffisante
aurait du sens s’il existait
en la matière une vérité
objective. Mais tel n’est pas
le cas et, de surcroît, c’est au
fisc qu’il appartient de régler
cette question sous le
contrôle du juge de l’impôt.
Chacun son rôle. Celui de la
Haute Autorité est de s’assu-
rer que la personne publique
n’a pas profité de son mandat
à des fins personnelles et non
de faire de la police fiscale.
50 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Baril de brent
85,44 $
LA REVUE DES MARCHÉS présentée par
2023, une année encore volatile
Q ue nous réserve le nouveau
millésime? Le traditionnel
exercice de projection n’a sans
doute jamais été aussi difficile, après
une année 2022 ponctuée de chocs
géopolitiques, monétaires et infla-
tionnistes d’une rare intensité. Grâce
à la résilience des valeurs du luxe
(LVMH, Hermès, Kering, L’Oréal) et
de l’énergie (TotalEnergies), l’indice
Cac40 est parvenu l’an dernier
à plutôt bien tirer son épingle du jeu
en limitant son recul à 9,5 %. Mais
la nouvelle année s’annonce pleine de
défis. Tout d’abord, celui concernant
la maîtrise de l’inflation. Si l’amorce
de sa décrue aux États-Unis et plus
récemment en zone euro est encou-
rageante, l’inflation demeure trop
élevée et sa trajectoire dépendra
étroitement des conséquences du
conflit en Ukraine sur les prix de
l’énergie et plus globalement de la
LA VALEUR DE LA SEMAINE
Lagardère, à suivre
L a situation spéciale de ce holding
présent dans l’édition et les bou-
tiques sur les lieux de transport offre
une opportunité. En cours de rap-
prochement avec Vivendi, contrôlé
à 29,46 % par Vincent Bolloré,
Lagardère a fait l’objet d’une pre-
mière OPA en juin dernier à un prix
de 25,50 euros (y compris un divi-
dende de 0,50 euro). Un groupe d’ac-
tionnaires totalisant 22 % du capital,
dont font partie le patron de LVMH,
Bernard Arnault, et Arnaud Lagar-
dère, se sont engagés à apporter
leurs titres d’ici au 15 décembre 2023
à un prix de 24,10 euros. Les autres
actionnaires (18 % du tour de table
OAT 10 ans
2,96 %
Jeudi 9 janvier 2019 • 1506 ISSN 0986 - 6957
réouverture de l’économie chinoise.
Ensuite, un gros effort dans la nor-
malisation des politiques monétaires
a déjà été réalisé mais les banquiers
centraux risquent de continuer
de faire preuve de fermeté. Quitte
à faire basculer temporairement les
économies américaine et européenne
en récession. La question est de
savoir quelle sera l’ampleur de ce
ralentissement. Elle devrait agiter
régulièrement les marchés. Reste
que la remontée des taux d’intérêt
et le recul des indices en 2022 ont
sensiblement dégonflé les ratios
de valorisation des actions. À moins
de 12fois les profits pour cette année,
les sociétés du Cac40 ne sont pas
chères en comparaison avec un
multiple moyen de 15,5fois observé
sur très longue période (2008-2021).
Des forces de rappel existent et le
pire n’est jamais sûr. •
avec Qatar Holding) ont choisi pour
l’instant de ne pas répondre aux
offres de Vivendi. Mais il y a fort à
parier que, le moment venu, Vincent
Bolloré cherchera à retirer de la cote
l’action Lagardère. Il devra alors y
mettre le prix. •
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L’ombre de
Samuel Paty plane
sur Montauban
Confrontés à la prolifération des tenues islamiques, des professeurs du lycée Antoine-
Bourdelle tentent de veiller au respect de la laïcité malgré une hiérarchie frileuse.
Un exemple symptomatique du danger communautariste dans l’enseignement public.
Par Nicolas Boutin

52 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 Le lycée Antoine-Bourdelle à Montauban,
quatrième plus grand de France,
est un cas typique de l’entrisme islamiste
en milieu scolaire.
rappelant l’esprit de la loi de 1905 et de
celle du 15 mars 2004, venue “débar-
rasser” l’école de tout prosélytisme.
Quant à Sarah El Haïry, elle participe
à la “fête de la laïcité” avec les élèves
du lycée Diderot à Paris.
Si la secrétaire d’État affiche comme
objectif de “sensibiliser” les élèves, à
Montauban, dans le Tarn-et-Garonne,
l’attention se porte sur… les professeurs.
Au lycée Antoine-Bourdelle, ces der-
niers sont convoqués à une journée de
formation obligatoire, tandis que les
élèves restent chez eux. Le rectorat veut
prendre le temps de décrypter les méca-
nismes de l’intolérance avec 10 groupes
de 30 professeurs. Une journée com-
plète, aux accents très politiques.
Comme dans un cours d’éducation
civique, les participants ont droit au
MATHIEU FERRI/RADIO FRANCE/MAXPPP
rappel des valeurs de la République,
apprenant à agir contre le racisme et
l’antisémitisme. Après analyse de l’as-
pect juridique du “blasphème” à partir
des unes de Charlie Hebdo et du jour-
nal danois Jyllands-Posten représen-
tant Mahomet, les 25 critères de
discrimination interdits par la loi sont
rappelés. Parmi eux, l’“identité de
V
endredi 9 décembre 2022. Le genre” différenciée du sexe, les “mœurs”
gouvernement veut profiter de illustrées par un piercing au nez, la
cette Journée nationale de la laï- capacité à s’exprimer dans une langue
cité, célébrant l’anniversaire de étrangère au milieu des classiques
l’adoption de la loi de 1905 de “nationalité”, “religion” et “prétendue
séparation des Églises et de l’État, pour race”. Sur un schéma, dont nous nous
sensibiliser les élèves aux principes de sommes procuré une copie, les ensei-
la République. Depuis le début de l’an- gnants se voient aussi expliquer le « pro-
née scolaire, les atteintes à la laïcité se cessus de haine », symbolisé par cinq
multiplient dans les établissements roues connectées comme les rouages
publics. Le ministère de l’Éducation d’une même machine. Le formateur
nationale a recensé 720 signalements démontre que les stéréotypes entraînent
dans les écoles, collèges et lycées en des préjugés qui permettent la stigma-
octobre 2022 en France, en hausse de tisation, puis la discrimination menant
130 % par rapport à septembre. Le à l’exclusion et à l’élimination.
ministre Pap Ndiaye et la secrétaire À propos de la laïcité, le document
d’État à la Jeunesse Sarah El Haïry précise qu’elle n’est « ni religieuse ni
passent donc à l’offensive. Pap Ndiaye antireligieuse ». Les formateurs
publie une vidéo sur les réseaux sociaux n’abordent d’ailleurs jamais la problé-
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 53
ENQUÊTE
matique de la montée de l’islamisme
dans les établissements scolaires. Ils
font plutôt la différence entre laïcisa-
tion et sécularisation, prenant comme
exemples les États-Unis, le Portugal, le
Danemark ou même le Vatican, bien
loin de la Tchétchénie ou du Maroc,
deux pays d’où est originaire une large
partie de la population lycéenne locale.
Reste l’avant-dernière des 28 diaposi-
tives, enfin consacrée à la radicalisa-
tion. Quelques lignes inspirées du
sociologue Farhad Khosrokhavar qui
n’évoquent jamais les revendications
communautaires et religieuses.
Désamorcer les polémiques
Si cet établissement bénéficie d’un trai-
tement particulier de la part du recto-
rat, c’est parce que le quatrième plus
grand lycée de France s’est retrouvé
sous le feu des projecteurs. Comme l’a
révélé Marianne, une altercation entre
une élève vêtue d’une abaya, une robe
longue, large et sombre portée par les
femmes dans les pays musulmans, et
une professeur d’espagnol a éclaté début
octobre. La scène, filmée, a été publiée
sur les réseaux sociaux, accompagnée
d’une pétition et d’un appel à la mobi-
lisation « pour la liberté du choix ves-
timentaire et contre l’islamophobie »,
le 9 novembre dernier.
Cette médiatisation a attiré l’atten-
tion sur ce lycée de plus de 2500élèves.
Les atteintes à la laïcité y sont pour-
tant récurrentes. Depuis septembre,
plusieurs rapports rédigés par des ensei-
gnants font état de voiles repliés sur
les épaules, de manches longues tirées
au maximum malgré les fortes tempé-
ratures, d’élèves tournant le dos dès
lors que l’on parle de laïcité, etc. Un
professeur de français a été repris par
un élève pour avoir qualifié Balzac de
« génie créateur ». « Vous ne pouvez pas
dire ça! Il n’y a que Dieu qui est créa-
teur », lui a répondu le lycéen. •
ENQUÊTE

Des prières sont également organi-

sées aux intercours, l’alarme du por-
table servant d’appel à la prière. Des
enseignants évoquent la présence d’une
« police des mœurs » aux abords du
lycée, reprenant les jeunes filles sur
leur tenue, la couleur ou la longueur
de leur jupe; une complémentarité se
dessine entre les filles qui « affichent
l’idéologie » par leurs vêtements et les
garçons qui tiennent « les discours dog-
matiques en classe pour mettre en dif-
ficulté les enseignants ». Des faits
susceptibles de remonter à la direction
interne du lycée, puis d’être transmis
au directeur académique des services
de l’Éducation nationale (DASEN), qui
joue le rôle d’interface chargée d’aler-
ter le rectorat et la préfecture.
Mais, selon plusieurs sources internes,
la direction se montrerait parfois fri-
leuse à l’idée d’ébruiter ces faits auprès de heurter l’élève en question, l’ensei- tions pouvant se faire jour ». Il se fonde
de la hiérarchie. Pourtant, le fossé gnant renonce alors à instaurer le sur la loi du 15 mars 2004 interdisant
continue de se creuser entre des pro- débat, « l’école de la République ne tient aux élèves le port des tenues et signes
fesseurs garants de la neutralité et des plus son rôle », s’alarme l’un d’eux. manifestant ostensiblement leur appar-
élèves qui ne cessent d’adopter des pos- tenance religieuse, ainsi que sur la juris-
tures communautaristes. « On voit les Un protocole “punitif” prudence qui en a découlé. Le protocole
étapes s’enchaîner, l’idéologie d’un Pour tenter d’apporter des éléments de rappelle la définition de la notion de
groupe social basé sur un fond reli- réponse aux enseignants, l’académie de tenue ou de signe religieux « par desti-
gieux se développer, alimentée par Toulouse a diffusé un protocole, par nation », dès lors qu’« un bandana, un
l’homophobie, l’antisémitisme, et contre l’intermédiaire de Fabrice Pappola, réfé- bonnet ou l’association d’un bandana
l’égalité homme-femme », s’inquiète un rent académique “valeurs de la Répu- et d’une tunique longue de couleur
professeur, qui note de plus en plus de blique”, dont nous nous sommes procuré sombre [sont] portés par des élèves de
questions « très structurées » liées aux un exemplaire. « Un point d’appui » censé confession musulmane, dans la mesure
dogmes islamiques en cours. Pour éviter correspondre « à la majorité des situa- où leur port dans l’établissement sco-
laire était régulier et assorti du refus
d’un changement de tenue ».
PETIT SCHÉMA DE RÉÉDUCATION DES PROFESSEURS Lorsqu’il y a atteinte à la loi de 2004,
une « phase de dialogue » doit être
ouverte durant un délai « raisonnable »,
estimé à deux semaines. « Dans la plu-
part des cas, ce dialogue s’avère suffi-
sant pour éclairer l’élève et sa famille
sur les motifs de cette décision et ainsi
aboutir à une issue favorable »; dans
SOURCE : ACADÉMIE DE TOULOUSE

le cas contraire un conseil de discipline

est convoqué. Le protocole édicte la
conduite à tenir dans trois situations
différentes: le port par un élève d’une
tenue ou d’un signe dont la dimension
religieuse est établie, à l’entrée d’un
établissement scolaire public, puis à

54 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023


JULIETTE AVOT/SIPA
l’intérieur de l’enceinte, et enfin le port
par un élève d’une tenue ou d’un signe
dont la dimension religieuse est « ques-
tionnée mais n’est pas formellement
établie » par la loi ou la jurisprudence.
Dans ce troisième scénario, tout
repose sur « l’intentionnalité du por-
teur ». « L’abaya peut constituer “une
tenue culturelle” licite, si l’élève qui la
porte ne lui confère aucune dimension
renvoyant à son identité religieuse »,
écrit le référent aux “valeurs de la
République”. « En cas de refus constaté,
l’élève doit être une nouvelle fois informé
que sa tenue soulève des interroga-
tions et que, pour les lever, il convient
qu’il se présente le lendemain dans
l’établissement sans porter l’élément
problématique », poursuit-il.
Un protocole insuffisant, affirme un
enseignant, pour qui lui et ses collè-
gues portent la charge de “prouver l’in-
tentionnalité”. Après un nouveau rapport
transmis par une professeur, une réu-
nion avec des membres de l’équipe aca-
démique “valeurs de la République”
devait permettre d’éclairer et d’épau-
ler les enseignants. « On a plutôt l’im-
pression d’être muselés », s’insurge l’un
d’eux. « Ce protocole est un écran de
fumée », renchérit une de ses collègues
Pap Ndiaye. Le ministre de l’Éducation nationale,
qui joue l’apaisement, a promis de “surveiller très
attentivement” la situation sur place.
de l’académie de Toulouse, qui souligne
que, depuis sa réception, « plus aucun
enseignant n’a fait remonter d’inci-
dent ». « Faire remonter un rapport,
c’est s’exposer à la vindicte commu-
nautariste des familles », conclut-elle.
Une enseignante menacée
Depuis la diffusion de la vidéo sur les
réseaux sociaux, la professeur d’espa-
gnol continue d’exercer au sein du lycée,
contre vents et marées. Avec un aplomb
sans faille, elle refuse de laisser l’isla-
misme gagner du terrain. Même si, pour
cela, elle doit vivre sous protection poli-
cière, bénéficiant de rondes autour de
son domicile, après des menaces pos-
tées sur Internet. Deux ans après l’as-
sassinat de Samuel Paty devant son
collège, par un terroriste tchétchène,
son souvenir plane sur ses collègues.
« Rien n’a évolué depuis l’attentat de
2020 », assure une enseignante. « La
hiérarchie compte sur le devoir de
réserve pour étouffer l’affaire », dénonce-
t-elle. Contactée, la direction du lycée
nous a renvoyé vers le rectorat, qui n’a
pas répondu à nos sollicitations.
Selon nos informations, le proviseur
a accompagné la professeur d’espagnol
au commissariat quand elle a déposé
plainte mais n’aurait pas lui-même porté
plainte contre l’élève. La confiance est
rompue entre la hiérarchie et les ensei-
gnants, qui se sentent « stigmatisés »
pour avoir fait leur travail. Ils sont une
vingtaine à tenter de « tenir le bastion ».
Deux clans s’affrontent dans la salle des
professeurs: ceux alertant sur l’implan-
tation de l’islamisme et ceux estimant
que leurs collègues font du zèle. Sur le
AU-DELÀ DU LYCÉE
ANTOINE-BOURDELLE,
LE PHÉNOMÈNE
S’EXPORTE DANS
LES ÉCOLES PRIMAIRES
DE LA VILLE.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 55
ENQUÊTE
tableau de la pièce, l’un d’eux a écrit:
« Notre diversité (vestimentaire) est une
richesse », quelques jours après l’affaire
touchant la professeur d’espagnol. Un
clivage entre la “laïcité ouverte”, chère
à Aristide Briand, qui laisse place au
religieux dans la sphère publique, et la
“laïcité séparation”, défendue en 1905
par Émile Combes, qui demande un
devoir de discrétion.
Montauban, terreau de l’islamisme ?
Dans cette ville ciblée par Mohammed
Merah en 2012 et qui comptait une
soixantaine de fichésS en 2020, selon
nos informations, les autorités s’in-
quiètent de la montée du sentiment
“identitaire” dans la communauté musul-
mane. « L’Éducation nationale n’est pas
préparée aux groupes de revendication
religieuse, elle préfère minimiser le phé-
nomène », déplore Gérard Catala, adjoint
au maire, délégué à la sécurité à la
Mairie de Montauban et ancien gen-
darme spécialisé dans le renseigne-
ment sur le terrorisme islamiste.
Au-delà du lycée Antoine-Bourdelle,
le phénomène s’exporte dans les écoles
primaires. « On a vu des élèves de 8ans
faire la prière dans la cour de récréa-
tion », alerte l’élu. Les familles des deux
meneurs identifiés doivent être convo-
quées devant le conseil pour les droits
et les devoirs des familles (CDDF), pré-
sidé par la maire LR de Montauban,
Brigitte Barèges. Une première pour
des enfants aussi jeunes. « On ressent
dans cette ville moyenne les problèmes
nationaux », explique Gérard Catala.
Désormais, il reste à l’Éducation natio-
nale à « sortir du déni », en s’appuyant
sur les remontées de terrain, implore
l’adjoint au maire, qui espère que « des
solutions rationnelles et pérennes »
soient trouvées.
En attendant, le recteur de l’acadé-
mie de Toulouse a déclaré dans un
journal local que le « problème est déjà
réglé » au lycée Bourdelle. Quant au
ministre Pap Ndiaye, il jugeait en
novembre dernier la situation « bien
meilleure qu’avant les vacances ». •
CULTURE
Le justicier
de la raison
La Bibliothèque des classiques rassemble en un volume
illustré les enquêtes de Sherlock Holmes par Arthur
Conan Doyle. L’occasion de revenir aux sources d’un
mythe qui n’a cessé de proliférer.
Par Morgane Afif
I
l pleut sur Londres tandis que le
brouillard s’étend dans les avenues
la capitale, couvrant la ville de son
teint blafard. Derrière la fumée d’une
pipe calebasse en bruyère émerge la
silhouette d’un homme, casquette à
double visière en tweed sur la tête et
houppelande beige sur les épaules. Loupe
à la main, Sherlock Holmes traque, sur
l’air mélancolique d’un concerto pour
violon de Mendelssohn, l’assassin ou le
voleur, toujours accompagné par Wat-
son, narrateur béotien dont l’esprit obtus
aiguise celui du prince de la déduction
tout en occultant sa pensée.
Comme le lecteur, d’ailleurs, Watson
ne comprend jamais vraiment ce que
le détective est en train de faire, jusqu’à
l’extrême affûtage de l’intuition qui
toujours résout le mystère. C’est à Sid-
ney Paget que l’on doit la silhouette
reconnaissable entre mille du détec-
tive: c’est lui qui le dote de ses attributs
pittoresques, indissociables d’une fic-
tion devenue légende. Ses illustrations,
ici, accompagnent les péripéties du
locataire de Baker Street dans un ouvrage
relié et doré sur tranche. Chaque nou-
velle déploie les aventures de l’enquê-
teur et sa personnalité excentrique,
Don Quichotte d’une époque flam-
boyante où les bonnes gens s’enca-
56 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
naillent dans les pubs qui exhalent
l’opium.
Arthur Conan Doyle a moins de 30 ans
lorsqu’il invente son héros, Sherlock
Holmes, sorte de Socrate victorien, dans
l’ébauche d’un premier récit au titre
énigmatique, Une étude en rouge. Son
personnage, alors, n’est qu’une sorte
BRIDGEMAN IMAGES
CONAN DOYLE DEVAIT
LE RATIONALISME DE
SHERLOCK À SES ÉTUDES
DE MÉDECINE.
d’intelligence pure débarrassée des sco-
ries qui forment les aspérités d’une per-
sonnalité sensible, seul moyen de résoudre
avec maestria et élégance les mystères
de ses soixante enquêtes éthérées :
la Chambre scellée, où le meurtre a été
commis dans une pièce sans issue; le Dia-
dème de béryls, qui conte la résolution
du vol d’un bien national, ou encore
les Six Napoléons, nouvelle dans laquelle
un fou détruit les bustes de l’Empereur
sans raison apparente.
Cet art de la déduction, Arthur Conan
Doyle le tient de ses études de médecine,
qui ont formé ses capacités d’analyse et
d’inférence. Diplôme en poche, le doc-
teur s’embarque en direction de l’Afrique,
où l’ésotérisme et le spiritisme imprègnent
sa pensée, puis, plus tard, son œuvre,
une fois revenu en Angleterre, à South-
sea, dans le Hampshire. C’est là qu’il
s’essaye à l’écriture comme passe-temps,
en plus d’une brillante carrière
d’ophtalmologue.
Ses premiers textes, d’ailleurs, mettent
en scène les apports de la science à la
lutte contre le crime. Malgré le refus de
plusieurs éditeurs qui dédaignent les
enquêtes loufoques de Sherlock Holmes,
le succès, finalement, survient en 1891,
faisant entrer le limier de Baker Street
dans le mythe.
Le cinéma et la télévision, depuis, en
prolongent l’existence grâce à l’extraor-
dinaire plasticité d’un personnage qui
dépasse son auteur et son époque: Sher-
lock Holmes est immortel sous les traits
de Robert Stephens, Jeremy Brett, Robert
Downey Jr., Benedict Cumberbatch, sans
oublier le plus emblématique d’entre
eux, Basil Rathbone. Orson Welles lui-
même se réapproprie le personnage avec
The Immortal Sherlock Holmes. A-t-on
vu héros plus populaire?
Dans ses nouvelles, Conan Doyle
n’hésite pas à recourir à l’irrationnel,
convaincu que l’esprit humain peut en
percer les mystères. La pensée positiviste
 Basil Rathbone dans “les Aventures
de Sherlock Holmes” (1939), le deuxième
des quatorze films où il incarna
le célèbre détective, dont il reste
l’interprète archétypal.

pétrit dès lors toute l’œuvre, jusqu’à

influencer Scotland Yard et le père de
la police scientifique, Edmond Locard.
Parfois, pourtant, la raison s’épuise
et laisse place au mystère. « Jusqu’ici,
constate Holmes dans le Chien des Bas-
kerville, j’ai borné mes investigations
aux choses de ce monde. Dans la limite
de mes faibles moyens, j’ai combattu le
mal… Mais ce serait une tâche bien ambi-
tieuse que de s’attaquer au démon lui-
même. » Holmes devient alors le génie
lancé aux trousses du mal qu’incarne le
perfide Moriarty, mal qui culmine pré-
cisément dans le Chien des Baskerville,
là « où l’esprit du mal chemine ». Là, le
méchant est diablement séduisant,
comme le jeune Stapleton qui orchestre
avec froideur les meurtres attribués à
ALLSTAR/20TH CENTURY FOX/PHOTO12

la malédiction, « un être infiniment

patient, diaboliquement rusé, qui dis-
simulait une âme de meurtrier sous un
visage souriant », et le macabre point
sans supplanter le récit.

Holmes s’intéresse moins à la morale

qu’à la vérité des faits
C’est Moriarty lui-même qui semble
triompher dans le Problème final en qui se succèdent dans le cabinet du rôle d’amoureux. Il ne m’a jamais parlé
poussant Sherlock Holmes du haut des détective. Ce qui importe à celui-ci, d’ail- d’amour qu’avec un geste de mépris et
chutes de Reichenbach, dans les Alpes leurs, n’est pas tant la morale que la un sourire railleur. Pour lui qui a mis-
bernoises, pour débarrasser enfin Conan vérité des faits et il vient au secours des sion d’observer et de déduire, la passion
Doyle d’un personnage devenu trop tourmentés plus par rigueur et justice chez les autres est un recours puissant;
encombrant. « Là au fond de ce gouffre que par charité. elle détermine sans cesse les mobiles
écumant reposait à tout jamais le plus Holmes est l’image même du mystère secretsquiontportél’accuséàsoncrime;
dangereux criminel de son époque à côté qu’il veut percer. De lui, on ne sait presque mais le logicien de profession aurait
du plus vaillant défenseur de la loi, […] rien et les rares détails que l’on connaît grand tort de se laisser envahir par le
un homme que je regarderai toujours sont moins dus à Conan Doyle qu’à Paget, sentiment […] qui pourrait influer sur
comme le plus digne et le plus sage de
son temps. »
qui fige à tout jamais l’image média-
tique du célèbre détective. « Tous les
ses déductions. » •
Le tollé est sans précédent et les lec- sentiments violents et [l’amour] en par-
teurs, fous de rage, poussent l’auteur à ticulier sont contraires à son caractère
ressusciter son héros, comme un deus froid, méthodique et admirablement “Sherlock Holmes,
ex machina surgissant sur la scène après équilibré, constate l’auteur dans Un scan- l’intégrale illustrée”,
un subterfuge dont on peine à cacher dale en Bohème. Holmes est bien la d’Arthur Conan Doyle,
les ficelles. Moriarty règne sur le crime, machine animée et observatrice la plus La Bibliothèque
comme une araignée tissant sa toile et parfaite qu’on puisse rencontrer, mais des classiques,
nécrosant toutes les couches de la société je ne vois pas mon personnage dans le 944 pages, 39 €.

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 57

 CULTURE
SP/FRANCESCA MANTOVANI
Au pays des
“khmers verts”
Avec Collapsus, la Série noire passe au vert.
Dans ce thriller politique dystopique, Thomas Bronnec
imagine un écologiste radical élu à la présidence,
plongeant la France dans la dictature au nom du Bien.
Par Alfred Lévy
L
es Initiés, En pays conquis ou la
Meute: Thomas Bronnec est un
maître du polar politique. Et son
dernier roman ne vient pas infir-
mer ce jugement. Situé dans un
futur proche, en France, « un pays anes-
thésié par des décennies d’impuissance
politique, sorti exsangue de trop nom-
breuses années sous Covid », Collapsus
s’ouvre par une scène d’une incroyable
violence, secouant le lecteur comme
certaines images de Bac Nord.
Après ce prologue, le décor est planté:
quatre ans de pouvoir ont usé Pierre
Savidan. Ancien gourou star du monde
veggie tendance sectaire, il est arrivé
au pouvoir un peu par hasard. Fondant
sa politique sur l’urgence écologique,
il proclame ex cathedra ce qu’est le
Bien et ce qu’est le Mal : « Prendre la
voiture? C’est mal. Prendre l’avion?
C’est mal. Manger de la viande? C’est
58 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
mal. Boire de l’alcool? C’est mal. Et
même faire un enfant, c’est mal. »
Grignotant petit à petit les libertés
individuelles, son gouvernement met
en place un SEI (Scoring écologique
individuel), système permettant d’éva-
luer l’intensité vertueuse des compor-
tements de tous les citoyens : « En
fonction de ses modes de transport, de
son emploi, de son régime alimentaire,
de ses revenus, de la composition de
son foyer, de l’ensemble de ses actions
au quotidien, chacun peut désormais
disposer d’une note qui évolue au gré
d’un algorithme. »
Et gare aux mauvais élèves! Ils voient
le montant de leurs impôts exploser
mais peuvent regagner des points en
participant au Paire (Programme d’ac-
cueil individualisé et de réaffiliation
écologique), dans ce qui s’apparente à
des camps de rééducation idéologique
Thomas Bronnec,
un maître du polar politique.
que n’auraient pas désavoués les maos
de la grande époque. Mais la colère
gronde face à une société de plus en
plus totalitaire.
Les dérives effrayantes de l’écologie
considérée comme seul absolu
Si certains épisodes imaginés par
Thomas Bronnec sont désopilants
— un spectacle burlesque en diable
présenté aux stagiaires du Paire —, la
plupart font froid dans le dos. Le génie
du romancier est en outre de compo-
ser une belle galerie de portraits, du
grand patron Olivier Fleurance — diri-
geant La Compagnie du Lait, il va
prendre la tête de la fronde — à une
jeune stagiaire un peu cruche, Mathilde
Lascaux, qui vit une histoire d’amour
avec le président (qui « n’est pas un
très bon coup »), en passant par le duo
féminin qui conseille Pierre Savidan:
la brutale Fanny Roussel, son âme
damnée, et Lisa Viansson, sa « caution
morale, le chaînon manquant entre le
monde d’avant et celui d’après ».
Dans l’ombre s’ébat un aréopage
d’hommes politiques et autres hauts
fonctionnaires, dont les comporte-
ments illustrent le spectre complet des
réactions humaines face à un pouvoir
oppressif: complicité, compromission,
flagornerie, opportunisme, veulerie,
peur… Révolte, moins souvent.
Le lecteur n’aura guère de peine à
rapprocher ces personnages de fiction
d’autres bien réels. Reste que Collap-
sus sonne comme un effrayant aver-
tissement, mettant chacun face aux
dérives possibles de l’écologie consi-
dérée comme seul absolu, et, par rico-
chet, comme un éloge du juste milieu
aristotélicien. •
“Collapsus”,
de Thomas Bronnec,
Gallimard,
480 pages, 20 €.

Le crétin ambulant
Les six novellas mettant en scène Chien Brun,
le personnage fétiche de Jim Harrison, sont rééditées.
Un hymne à la liberté ancré dans le nord du Michigan.
Par Olivier Maulin
J
im Harrison était un ogre qui
aimait boire et manger, chasser
et pêcher, et observer les jolies
femmes. À la fin de sa vie, il res-
semblait à une grosse tortue. Il
vivait entre le Montana, l’Arizona et le
Michigan, où il était né en 1937, et venait
parfois à Paris répondre à l’invitation
de ses lecteurs et s’offrir des gueule-
tons. On pouvait alors le voir attablé
dans un restaurant du Quartier latin
avec un magnum de vin rouge. Il est
mort en 2016 après avoir écrit une qua-
rantaine d’ouvrages dont Légendes
d’automne et Dalva.
Dans la Femme aux lucioles (1990),
il inventait dans une grosse nouvelle
le personnage de Chien Brun, une sorte
de vagabond vivant dans la péninsule
nord du Michigan, cette zone froide et
inhospitalière de marais et de forêts
de l’extrémité nord des États-Unis,
située entre les lacs Michigan et Supé-
rieur, à la frontière du Canada. Durant
vingt-cinq ans, il donnera cinq suites
à son histoire, jusqu’à créer cette petite
saga aujourd’hui rééditée en un volume
dans les traductions de Brice Mat-
thieussent.
Jim Harrison réunit Thoreau et
Kerouac. Les grands espaces et la
défonce. L’arrière-plan social des six
nouvelles, c’est la pauvreté de cette
région déshéritée, mais pas question
pour autant de donner dans le misé-
rabilisme. Chacun se débrouille et
Chien Brun le premier. Ce « crétin
ambulant » qui passe des jours dans
la forêt à braconner et à dormir dans
sa peau d’ours considère que ses besoins
CULTURE
SOPHIE BASSOULS/BRIDGEMAN IMAGES
sont satisfaits quand il peut se payer
un pack de bières et se faire griller une
truite sur des braises. Il n’a pas de
numéro de Sécurité sociale, pas de toit
fixe, ne vit que pour une chose: séduire
des femmes de petite vertu; à vrai dire,
c’est un sacré obsédé sexuel.
Chien Brun mime des transes chamaniques
pour séduire de jeunes ethnologues
Il rafistole des chalets, pille les épaves
du lac Supérieur pour revendre les
objets nautiques aux marchands d’anti-
quités, remontera même le corps d’un
vieux chef indien conservé par le froid
À TRAVERS CHIEN
qu’il tentera de conduire à Chicago BRUN, JIM HARRISON
dans un camion frigorifique volé. Il MANIFESTE
coupe aussi du bois pour son “oncle”
Delmore, un Indien chippewa. Lui- UN GOÛT SAUVAGE
même est orphelin de père et de mère, POUR LA LIBERTÉ.
et blanc, même s’il se fait régulière-
ment passer pour un indigène, mimant
des transes chamaniques où il se trans- d’œil les tanières d’ours et imite à la
forme en condor pour séduire des perfection cinquante cris d’oiseaux.
jeunes ethnologues en goguette. L’une L’innocence selon Jim Harrison. Quand
d’elles, Shelley, réussira à lui extor- les services de l’État voudront la placer
quer le lieu d’un site funéraire qu’il dans une institution spécialisée, Chien
a découvert par hasard, « le site Brun s’enfuira au Canada avec elle. On
Hopewell le plus au nord qu’on ait l’aura compris, la liberté a un goût déli-
jamais trouvé », qu’elle compte fouil- cieusement sauvage et archaïque chez
ler, au grand dam d’une bande de
militants gauchistes indiens.
Jim Harrison. •
L’un des personnages les plus tou-
chants est la petite Baie, dont Chien
Brun deviendra le père adoptif pour
éviter la prison. Sa mère ayant abusé “Chien Brun”,
du schnaps pendant sa grossesse, l’enfant l’intégrale,
est arriérée. Elle ne sait ni lire ni écrire, de Jim Harrison,
à peine parler, mais élève un petit Flammarion,
serpent noir, repère du premier coup 592 pages, 24 €.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 59
 CULTURE
YANN FOREIX/LE PARISIEN/MAXPPP
Le mausolée de la
langue française
Œuvre testamentaire d’Alain Rey, la dernière édition
du Robert historique du français a le charme
mélancolique d’un inventaire avant fermeture.
Par Philippe Barthelet
V
oici donc la dernière édition, à la
fois la plus récente et l’ultime, du
Dictionnaire historique de la
langue française: Alain Rey, son
éditeurenchef,estmortàlatâche.
Œuvre d’un seul, constamment enrichi
depuis son apparition en 1992, ce diction-
naire est sans équivalent dans aucune
autre langue; dans sa préface et à juste
titre, Mme Danièle Morvan — Mme Alain
Rey à la ville — y insiste beaucoup. « Acte
de folie », disait Alain Rey il y a trente
ans; mais qu’est-ce d’autre qu’un lexico-
graphe, sinon un lexicomane? Que si l’on
nous passe un souvenir personnel, nous
avions vu la première édition du Robert
historique à Wilflingen, dans le cabinet
de travail d’Ernst Jünger; ce grand ama-
teur de dictionnaires était d’avis qu’il fal-
lait « alphabétiserlemonde ». Admirable
solécisme qui résume tout.
60 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Quand, il y a un siècle et demi, Pierre
Larousse publia le Grand Dictionnaire
universel du XIXe siècle, il se posait naï-
vement — mais c’était la naïveté d’Her-
cule — en rival de Dieu créateur. Quoi
de plus moderne, quand on y songe,
que cette prétention ingénue à l’inven-
taire général? Projeter un dictionnaire
historique des mots du français, c’est
raffiner la gageure en la redoublant;
d’une part les mots, de l’autre l’histoire
et ce qu’elle fait d’eux (sans compter ce
qu’ils font d’elle en retour). Ce diction-
naire « non entièrement alphabétique »,
où le souci didactique passe par des
arbres et des buissons de “familles”,
nous déroule ainsi un véritable casting
(anglicisme attesté en 1972) où une
minutieuse entreprise de datation pour-
voit chaque mot d’une sorte d’acte de
naissance.
Alain Rey, auteur d’un dictionnaire
sans équivalent
dans aucune autre langue.
Les cent cinquante pages supplé-
mentaires de cette ultime édition ajoutent
ainsi une acception à l’adjectif « abra-
cadabrantesque » (« repris par le pré-
sident français Jacques Chirac en
septembre 2000 ») et un article « bling
bling » (« le mot a dû sa diffusion en
France au goût affiché par le président
Sarkozy (élu en 2007) pour le “bling
bling” »). Dans cette parade lexicale,
de la Chanson de Roland à la plus fré-
missante actualité, personne n’est oublié,
ni la francophonie d’outre-France, ni
l’argot des banlieues à base de verlan
franglicisé (« tcheubi »), ni les inven-
tions d’Internet (« plussoyer », 2003).
La perspective historique n’est évidem-
ment pas celle de Vaugelas, qui recher-
chait « le bon usage déclaré » (on voit
bien comment l’esprit du temps s’en
offusquerait); l’écueil inverse est de se
faire le greffier de l’usage, en le cano-
nisant dans ses moindres soubresauts.
La mort du français?
Il y a quelques années déjà, Claude
Duneton annonçait « la mort du fran-
çais ». C’est peu dire que sa mort est
actée, comme diraient dans leur jargon
ceux dont le devoir serait de le défendre.
Que souhaiter d’autre aujourd’hui, sinon
que le français survive à ses assassins,
comme à ses prophètes de malheur; et
que ce dictionnaire ultime soit une
pierre d’attente, aux vertus apotro-
païques, et non un mausolée? Au vers
de Mallarmé que Mme Danièle Morvan
donne en épigraphe à sa préface: « Calme
bloc ici-bas chu d’un désastre obscur »,
on nous permettra d’ajouter les vers
suivants, en guise de conjuration: « Que
ce granit du moins marque à jamais
sa borne / Aux noirs vols du Blasphème
épars dans le futur. » •
“Dictionnaire historique
de la langue française”,
sous la direction
d’Alain Rey, Le Robert,
2 volumes sous coffret,
2984 pages, 139 €.
 Depuis vingt ans, Sébastien Lapaque accompagne
la révolution du vin, qui tourne le dos à la chimie.
SWALLS/GETTYIMAGES/ISTOCKPHOTO
Tintin dans les vignes
Notre confrère du Figaro Sébastien Lapaque est un amateur éclairé de vin.
Il le prouve avec son formidable On aura tout bu, un hymne à la diversité du monde.
Par Olivier Maulin
I
l y a les révolutionnaires et celui qui
les chante. Les premiers sont dans la
vigne, le second, c’est Lapaque. Depuis
vingt ans, il parcourt la France et le
monde, de vignobles en caves à vin et
de caves à vin en restaurants gastrono-
miques à la recherche de la perle rare. Il
est partout chez lui, s’adapte à tous les
milieux. Quand il est invité dans un
palace, il lui arrive même de mettre des
chaussettes. C’est le Froissart du vin natu-
rel, celui qui accompagne et promeut
depuis sesdébuts,oupresque, l’incroyable
révolution du goût que connaît le monde
du vin depuis une génération au moins.
De plus en plus de vignerons délaissent
la chimie, dans les vignes et à la cuve, et
reviennent au travail de la terre pour
produire des vins non trafiqués, labelli-
sés bio ou non. Exit les bordeaux « tech-
nologiques », ces vins « brûlés, mazou-
tés, bodybuildés » naguère défendus par
un Robert Parker; place au vin tel que
le concevait Marcel Lapierre, le “pape
du morgon”, l’un des précurseurs de
cette révolution, que Lapaque a magni-
fiquement croqué dans Chez Marcel
Lapierre (Stock, 2004): un vin sans col-
lage, sans filtration, sans sucre ajouté,
parfois sans soufre, « plus fruité, plus
digeste, plus identifiable à son origine:
terroir, cépage, conditions climatiques
d’une année ». Dans le Petit Lapaque des
vins de copains (Actes Sud, 2006), il esti-
mait à 1 % la proportion des vignerons
ayant choisi cette voie; il pense qu’elle
approchedésormais10 %des59000 exploi-
tations viticoles que compte la France.
Les articles réunis aujourd’hui, et
soigneusement composés, sont parus
initialement dans le Figaro et dans la
Revue du vin de France. C’est peu dire
qu’ils sont un enchantement. C’est Tin-
tin dans les vignes. Du « gentil jaja de
pique-nique » au nectar du domaine de
la Romanée-Conti et à celui de Jacques
Selosse en Champagne, en passant par
le bizarre des “vignerons pirates” et un
détour par les grands cidres, Lapaque
ne connaît aucun frein à sa curiosité.
Interrogeant les artistes, il veut tout
savoir des cépages, des terroirs, des cli-
mats, de l’histoire et de la géographie.
Nul jargon de cours d’œnologie pour
cadres supérieurs, rassurons-nous. Chez
Lapaque, les bourgognes blancs res-
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 61
CULTURE / VALEUR SÛRE
semblent à « un concert de flûtes dans
un bois de bouleaux » et le poète Paul-
Jean Toulet a toujours le dernier mot.
Gourmand et rabelaisien, ce livre
l’est incontestablement. Mais il est bien
plus que ça. C’est un manifeste de la
beauté du monde à hauteur de colline,
un hymne à sa diversité que menace la
folie techno-industrielle unificatrice
de goûts, de paysages et de modes de
vie. Lapaque ne conçoit pas l’amour
qu’il voue au « cher vieux pays » sans
le décliner à son Brésil chéri, mais aussi
à l’Uruguay, à l’Autriche, à la Macé-
doine du Nord, partout où l’on produit
du vin. Ce monde est tellement beau
(Actes Sud), titrait-il son dernier roman.
Il en donne aujourd’hui une preuve
supplémentaire. •
“On aura tout bu”,
de Sébastien Lapaque,
Actes Sud,
352 pages, 22,80 €.
 CULTURE / LIVRES
GRANGER/BRIDGEMAN IMAGES
Le rêve trahi
d’un poète
Un inédit d’Ezra Pound
nous fait mesurer à quel
point l’histoire a divorcé
d’avec la poésie.
Par Philippe Barthelet
C
inquante ans qu’Ezra Pound est mort:
célébrer cet anniversaire, recueillir
« le gravier des vies perdues » à la
manière de son ami Dominique de Roux,
c’est un jeune éditeur qui aujourd’hui
s’en charge, dont il faut saluer le parti
pris, celui de refuser, selon le mot de
Pound lui-même, « la machinerie de la
médiocratisation ». Patria mia, qui date
Le Chant d’Haïganouch
de Ian Manook
Albin Michel, 384 pages, 21,90 €.
INTRÉPIDE Sur les bords du lac Baïkal,
au nord de la frontière mongole, Haï-
ganouch tente de sur-
vivre. Rescapée du
génocide de son peuple
en 1915, elle subit l’exil
en Sibérie, là où la
rudesse de l’hiver
engloutit l’infime
62 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Ezra Pound en 1913.
Un jeune artiste déjà sûr de sa force.
de 1913, est moins un manifeste qu’un
mémorandum: celui d’un artiste sûr de
sa force qui, dans sa juvénile âpreté,
s’impatiente des faux-semblants qui lui
barrent la route. Inconnu en France, ce
petit livre avait été mis sous le boisseau
par son éditeur américain pendant
trente-sept ans. Son titre résume assez
le paradoxe de Pound, qui parle de sa
patrie — les États-Unis d’Amérique —
mais depuis l’Europe, et dans une langue,
l’italien, qui n’est pas la sienne mais qu’il
fera, si l’on ose dire, plus que sienne.
Il regarde de loin son pays, « presque
un continent et encore à peine une
nation », avec une tendre sévérité: il dis-
cerne des éléments de Moyen Âge dans
sa nouveauté, « on revient d’Europe et
on constate la taille et la robustesse de
ce nouveau peuple étrange », et voudrait
l’aider à connaître une Renaissance à sa
mesure. Il rêvait de voir « l’Amérique se
transformer en un paradis pour les
arts »; « l’impérieux désir » d’une « civi-
lisation aboutie » dont parle son traduc-
teur M. Jean-Paul Auxéméry, l’histoire
l’obligera à en chercher les traces dans
les siècles passés du vieux monde. • Dans les bois, nos racines
“Patria mia”,
d’Ezra Pound,
R&N Éditions,
140 pages, 10 €.
espoir de voir la vie renaître avec le
printemps. Des milliers d’Arméniens
ont répondu à l’appel de Staline, en
1947, pour exhumer leur pays de ses
ruines et rebâtir leur nation. Pour-
tant, le rêve, très vite, devient mirage
et s’effondre face à l’horreur sovié-
tique des camps de travail d’Erevan
et la désolation des goulags de
Iakoutes. Après l’Oiseau bleu d’Erze-
roum, Ian Manook poursuit l’odyssée
d’un peuple dont la tragédie résonne
avec une furieuse actualité. M. A.
L’Empire des steppes
de René Grousset
Payot, 894 pages, 12,50 €.
FASCINANT Pour le grand
historien René Grousset
(1885-1952), la zone des
steppes fut un « conserva-
toire de barbarie qui perpétuait des
conditions d’existence ailleurs depuis
longtemps dépassées ». Et les bar-
bares, lors de leurs razzias chez les
sédentaires considérés comme leurs
fermiers, s’en rendirent compte: « Les
sentiments respectifs du sédentaire
et du nomade l’un pour l’autre sont
ceux d’une société capitaliste et d’un
prolétariat. » Durant treize siècles
(jusqu’en 1500 environ), d’Attila
à Tamerlan et Gengis-Khan, « la ruée
périodique des nomades vers les
terres cultivées est une loi de la
nature ». Cela cesse lorsque l’archer
à cheval se heurte à l’invention de
l’artillerie: le barbare est vaincu. F. K.
de Jennifer Lesieur
Arthaud, 224 pages, 19,90 €.
INSPIRÉ Jennifer Lesieur a passé une
partie de son enfance à crapahuter
dans les bois avec le Manuel des cas-
tors juniors en poche: dans une forêt
des Yvelines en bordure de laquelle
se trouvait la maison de ses
parents; dans celle du mas-
sif du Chablais, en Haute-
Savoie, où la famille possé-
dait un appartement.
Aujourd’hui elle paye sa
dette avec ce livre original
qui tient du portrait croisé des deux
forêts, de l’autobiographie, et de la
promenade poétique et naturaliste.
L’auteur nous parle de la chasse,
du bois pour la lutherie, des druides
et des Chartreux, avant d’oublier
tout ce qu’elle a appris dans les livres
pour se fondre dans le grand mystère
des bois. O. M.
 CULTURE / EXPOSITIONS
Ingrid Bergman, espionne malgré elle dans
“les Enchaînés” d’Alfred Hitchcock (1946).

Dans les coulisses

du cinéma d’espionnage
Il a nourri l’imagination du 7e art depuis la création de
celui-ci: le monde du secret est à l’écran le partenaire
fidèle du cinéma. Un duo que la Cinémathèque met
en avant dans sa dernière exposition.

Par Léopoldine Frèrejacques

C’
est un fantasme alimenté de longue
date dans la littérature et dont le
cinéma s’est emparé dès les années
trente: les récits d’espionnage ont très
tôt occupé le grand écran, nourrissant
l’imagination des écrivains comme celle
des cinéastes. La Cinémathèque revient
sur les heureuses heures de ce couple,
au travers d’une exposition divertis-
PHOTOS : GÉRARD BLOT/RMN-GP - SP/MUSÉES DE STRASBOURG/M. BERTOLA - TAMASA DISTRIBUTION
Cette confusion entre réel et imagi-
naire est entretenue par certaines
actrices, comme Marlene Dietrich,
l’Agent X 27 de Josef von Sternberg, qui
mit sa notoriété au service du rensei-
gnement américain. Sans s’exonérer
du couplet convenu sur la nature regret-
table de l’image hypersensuelle de
l’espionne à l’écran, à laquelle certains
Approvisionné par les conflits contem-
porains, le cinéma se fera ensuite l’écho
de la guerre froide comme des conflits
au Proche-Orient. Époque mythique
des James Bond, dont l’exposition
présente un nombre important d’amu-
sants gadgets, cette ère pop du 7e art,

sante agrémentée de pièces pittoresques.
À l’aide de micros, de caméras ou d’ap-
pareils à décrypter, elle mêle réalité et
fiction, évoquant par exemple les
prouesses de la machine électroméca-
nique portative Enigma, utilisée par le
pouvoir nazi. Le mathématicien anglais
Alain Turing réussit à en briser l’invio-
labilité, un exploit raconté dans le film
Imitation Game.
personnages, telle Mata Hari, se
prêtaient, la rétrospective exalte le
rôle-clé de quelques actrices ou de per-
sonnages féminins inspirés de l’his-
toire dans le cinéma. Ainsi de l’envoû-
tante Hedy Lamarr, qui conçut en marge
de ses rôles pour la MGM un système
de communication radio dont l’armée
américaine refusa de s’emparer en dépit
de son caractère révolutionnaire.
souvent employé dans un dessein d’in-
fluence, allait engendrer son lot de
reprises parodiques — aux premiers
rangs desquels la série des OSS 117,
dont les costumes et accessoires sont
ici dévoilés. ●
Top Secret, espionnage et cinéma,
La Cinémathèque, Paris XIIe,
jusqu’au 21 mai 2023.

Toulouse, 1300-1400: Les Choses

l’éclat d’un gothique méridional
MAGISTRAL Connaissant un incontestable âge d’or au
XIVe siècle, Toulouse est un foyer de création rayonnant,
dont cette rétrospective concise mais étayée de
véritables chefs-d’œuvre dresse un heureux panorama
(ici, masque du gisant de Jeanne de Toulouse). Des statues
polychromes commanditées par l’évêque Jean Tissendier
aux joyaux
joy d’orfèvrerie en passant par les décors
intérieurs
int ou les travaux enluminés, elle révèle
l’extrême
l raffinement de la création de la cité
languedocienne et livre un état des lieux
actualisé de notre connaissance sur
ce foyer. À ne pas manquer! L. F. Musée
de Cluny, Paris Ve, jusqu’au 22 janvier 2023.
CATASTROPHIQUE Elle promet une
« vision nouvelle du genre ». Cette
exposition que le Louvre consacre
à la nature morte l’appréhende en
effet suivant une perspective: celle
de la seule commissaire. Sans bornes géographiques ou
chronologiques (passées de mode), elle amoncelle chefs-
d’œuvre de l’Antiquité et merveilles du XVIIe siècle (ici,
une vanité de Sébastien Bonnecroy), comme elle impose
des installations modernes ayant « forcément » trait
aux « préoccupations contemporaines ».
Tel ce Pilier des migrants disparus, prélude de l’exposi-
tion dont le caractère artistique paraît douteux. L. F.
Musée du Louvre, Paris Ier, jusqu’au 23 janvier 2023.

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 63

 CULTURE / THÉÂTRE & MUSIQUE
SP/PIERRE FRANÇOIS
Du grand
Zweig
Le Joueur d’échecs est
une des plus fameuses
nouvelles de Stefan Zweig.
Le spectacle de Gilbert
Ponté permet de
comprendre pourquoi.
Par Jean-Luc Jeener
P
assons sur le fait qu’on en a vrai-
ment assez de ces monologues tirés
de grandes œuvres du répertoire
qui se multiplient de saison en saison
dans les théâtres parisiens, et allient
l’intérêt de ces directeurs de théâtre
et l’ego des comédiens qui prouvent
ainsi leur talent. Certes, individuelle-
ment, il n’y a rien à dire. Chacun, bien
sûr, y voit une nécessité : la passion
d’un texte, la difficulté à se faire pro-
duire, la problématique de jouer avec
Les Siècles ont vingt ans
Direction par François-Xavier Roth
Théâtre des Champs-Élysées, Paris VIIIe,
le 10 janvier à 20 heures.
Tél.: 01.49.52.50.50.
64 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Gilbert Ponté, un conteur qui fait passer
à la perfection les subtilités du texte.
d’autres qui n’ont pas nécessairement
la même vibration pour le théâtre.
C’est dire qu’on n’en veut pas à Gil-
bert Ponté qui, d’ailleurs, pratique le
solo depuis bien des années et qu’il
serait un peu scandaleux d’accuser de
la moindre de ces turpitudes. Ce texte
de Zweig, il le porte depuis toujours et
il met à le dire, à le vivre, toute son
âme, toutes ses tripes. Et on ne pour-
rait lui reprocher que d’être lui-même
avec ses tics de jeu, ses habitudes, sa
facilité, son physique même. C’est-
à-dire être parfaitement injuste. Car
le bon homme sait faire passer comme
personne ce texte subtil, profond, géné-
reux. On dit que Zweig est l’auteur le
plus lu dans le monde. Difficile de dire
si c’est vrai. En revanche, on peut affir-
mer sans crainte que l’histoire qu’il
nous raconte avec le Joueur d’échecs
est passionnante, même pour ceux qui
la connaissent. On est dans un bateau,
une croisière que fait le narrateur, qui
mène en Argentine. Arrive le cham-
pion du monde d’échecs, Cvetkovic,
un Hongrois obsédé par son art et par
l’argent. Le narrateur (Zweig lui-même?)
le défie pour une partie qu’il sait qu’il
va évidemment perdre. Mais intervient
un certain docteurB. qui se mêle de la
partie et crée le doute chez le cham-
pion du monde.
On n’en dévoilera pas plus. Mais le
suspense est là et Gilbert Ponté est un
conteur qui sait le ménager. On est
pris, donc. Et ce n’est pas un mince
compliment. Il y a des comédiens qui
savent nous faire partager l’amour d’un
texte. Ponté est de ceux-là. Qu’il en soit
remercié. • la jeunesse. Surtout lorsqu’il est
Le Joueur d’échecs, d’après Stefan
Zweig, théâtre Essaïon, Paris IVe, à 19h15.
Tél.: 01.42.78.46.42.
FRANÇAIS Concert anniversaire.
Celui de l’orchestre Les Siècles, qui
fête sous la conduite de son fondateur
François-Xavier Roth (photo) ses
20 ans sur instruments d’époque,
soit ici vers 1900.
SP/HOLGER TALINSKI
Pour les 110 ans,
ou presque, du
concert inaugural
du Théâtre des
Champs-Élysées, le 2 avril 1913, avec
à la baguette Saint-Saëns, Fauré,
D’Indy, Debussy, Dukas… Au service
d’une musique française fine et cha-
toyante dont le programme panache
les classiques, Prélude à l’après-midi
d’un faune de Debussy, la Valse de
Ravel, l’Apprenti sorcier de Dukas, et
des pièces oubliées de Lalo, Roussel
ou Massenet. Précédé par un concert
d’extraits commentés à venir écouter
en famille (le 7 janvier à 11 heures). L. L.
La Flûte enchantée
Mise en scène d’Anna Bernreitner
Opéra Comédie de Montpellier (Hérault),
du 13 au 19 janvier. Tél.: 04.67.60.19.99.
www.opera-orchestre-montpellier.fr
FAMILIAL On connaît moins que
d’autres les voix réunies autour du
chef allemand Constantin Trinks:
Athanasia Zöhrer, Rainelle Krause,
SP/EANLOUISFERNANDEZ/OPÉRA NAT
Amitai Pati… Mais l’opéra de Mozart
est un sérieux terrain de jeu pour
spécialement mis en scène par Anna
Bernreitner dans un esprit qui tient
du conte de fées et de la culture
populaire. Grâce aux dialogues en
français, les plus jeunes enfants trou-
veront leur compte dans cette histoire
d’initiation entre peurs et merveilles,
sans que les adultes perdent le fil
des intentions de Mozart et de son
librettiste. Un spectacle familial
recommandé à partir de 6 ans. L. L.

Petit bras
Le titre du film de Julien
Guetta, les Cadors, n’est
malheureusement qu’une
antiphrase, pour un film
qui, à l’instar de ses
personnages, manque
d’envergure.
Par Laurent Dandrieu
PHOTOS : SP/MARIE-CAMILLE ORLANDO/NOLITA CINEMA - SP/MAGALI BRAGARD/TRÉSOR FILMS - SP/AAMU FILM COMPANY
C
onducteur de barges dans le port
de Cherbourg, heureusement
marié à Alexandra (Marie Gil-
lain) qui lui a donné deux enfants,
Antoine (Grégoire Ludig) ne voit pas
réapparaître sans inquiétude, à l’oc-
casion des obsèques de leur père
abhorré, alcoolique qui les battait,
son grand frère Christian (Jean-Paul
Rouve), qui va vite démontrer sa
capacité à engendrer le chaos par-
tout où il passe. Mais Christian va
Cet été-là
d’Éric Lartigau
FLOTTANT Comme tous les ans, Dune,
(Rose Pou Pellicer, photo) passe l’été
dans les Landes avec ses parents
(Marina Foïs et Gael Garcia Bernal).
Entre les disputes de plus en plus fré-
quentes de ceux-ci et l’attention mar-
quée que portent Dune et sa copine
Mathilde aux amours d’un couple de
bientôt s’apercevoir que le bonheur
paisible d’Antoine repose sur un men-
songe : les trafics petits et grands
avec lesquels il arrondit ses fins de
mois, pour le plus grand profit du
chef des dockers, mafieux débon-
naire (Michel Blanc).
C’est toujours avec plaisir qu’on
retrouve Marie Gillain à un générique,
mais elle n’a ici, comme trop souvent,
qu’un rôle de complément. La seule
chose un peu notable de ce film, qui
aurait sans doute eu davantage voca-
tion à se retrouver sur un petit écran
eu égard à son manque d’ambition
cinématographique, est la composi-
tion amusante de Jean-Paul Rouve en
jean-foutre totalement anarchique :
mais le tandem que cet emmerdeur de
première catégorie constitue avec un
frère magouilleur et un peu minable
ne suscite pas une empathie délirante
et le film s’enlise dans un scénario
un peu paresseux, à l’image d’une
conclusion qui vient dénouer bien trop
facilement une situation qui aurait
dû paraître inextricable. (En salle le
11 janvier.)•
“grands”, l’été de ses 11 ans sera celui
de la maturation… Adapté d’une BD
japonaise de Jillian Tamaki et Mariko
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 65
CULTURE / CINÉMA
Jean-Paul Rouve,
étonnant en jean-foutre anarchique.
Tamaki, le film explore un territoire
cinématographique qui commence
à être sérieusement encombré, d’où
la tentation de s’en sortir par une
recherche systématique d’excentricité,
tant dans le caractère atypique des
deux fillettes que dans les personnali-
tés des adultes. Certaines scènes
touchent par leur justesse ou leur drô-
lerie, d’autres sentent l’imagination
des scénaristes à des kilomètres.
Surtout, le film se termine sans que
l’on ait le sentiment que quelque chose
de décisif se soit joué. L. D.
L’Étrange Histoire
du coupeur de bois
de Mikko Myllylahti
ABSCONS Quelque part au fin fond de la
Finlande, la scierie pour laquelle il tra-
vaillait ayant fermé, un bûcheron doit
se reconvertir en mineur de fond. À
partir de là, sa vie dérape… Le cinéma
nordique nous a de longue date habi-
tués à la bizarrerie, avec un humour à
froid qui peut être désopilant, comme
dans les meilleurs Kaurismäki. Dans le
cas présent, on a l’impression que le
cinéaste est surtout mû par le désir de
susciter à tout prix une sidération gra-
tuite. Des boules de feu apparaissent et
disparaissent sans raison, des prédica-
teurs possiblement pédophiles
tombent en pâmoison, des voitures
sans conducteur sont dévorées par les
flammes, des capitalistes négocient
dans des cabanes perdues au milieu de
nulle part, des coiffeurs serial-séduc-
teurs sont massacrés à coups de
hache… Cependant que le spectateur,
lui, s’ennuie ferme devant ce film sans
rime ni raison. L. D.
 CULTURE / TÉLÉVISION
SP/GEDEON PROGRAMMES
Du mythe
à la réalité
La Véritable Histoire
des pirates est un superbe
documentaire qui lève
le voile sur la vie de ces
marins, stéréotypés dans la
littérature ou au cinéma.
Par Isabelle Cottenceau
L
es pirates, avec leurs jambes de bois
et leurs perroquets, sont depuis tou-
jours des figures populaires, mais
on en sait peu de choses sur ces flibus-
tiers qui sillonnaient les mers aux XVIIe
et XVIIIe siècles. Furent-ils des marins
aguerris cachant de fabuleux magots,
des explorateurs audacieux ardemment
attachés à leur liberté ou des forbans
SP/TSVP PRODUCTION
Le Mystère du dernier
Van Gogh
Documentaire écrit et réalisé
par Mathilde Deschamps Lotthé
Fr., 2022, 56 min.
FRANCE 5 En cette fin de journée du
27 juillet 1890, à Auvers-sur-Oise,
66 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
L’exploration des épaves sous-marines
éclaire l’histoire de la flibuste.
débauchés, assoiffés de violence? Que
faisaient-ils d’ailleurs de leurs butins et
quelle fut l’ampleur de leur trafic? Bref,
quelle réalité se cache derrière le mythe?
La découverte récente de plusieurs
épaves dans les fonds marins permet
d’y voir plus clair. C’est notamment le
cas de la frégate anglaise Speaker.
Depuis le 7 janvier 1702, elle repose à
quelques mètres de profondeur sur la
barrière de corail au large de l’île Mau-
rice. Mis au jour en 1979, le navire fait
aujourd’hui l’objet d’une investigation
poussée sous la direction enthousiaste
de l’archéologue Jean Soulat. Il a entre-
pris de retracer le scénario de ce nau-
frage. Grâce aux archives écrites, il sait
que le bateau corsaire tomba entre les
mains du pirate John Bowen, connu
aussi sous le nom de Jean Bouin…
S’écartant de l’histoire du Speaker,
Stéphane Bégoin remonte aux origines
de la piraterie, en Cornouailles, à la fin
du XVIIe siècle, sur les pas d’une poi-
gnée d’hommes en quête de terrains
de chasse et qui vont partout semer
l’effroi, leurs méfaits accompagnant
l’essor du commerce maritime entre
l’Europe et l’Asie. •
Arte, samedi 7 janvier à 20h55,
documentaire de Stéphane Bégoin,
Fr., 2022, 90 min.
Vincent Van Gogh, 37ans, se tire une
balle dans la poitrine. Il en mourra.
« Les idées noires ont eu raison du
peintre de la couleur », souligne l’élé-
gant commentaire qui accompagne
les mots qu’il a laissés: « Je ne crois
pas que j’appartienne à cette catégo-
rie d’âmes qui soit prête à vivre et
aussi à tout moment prête à souffrir. »
Ce jour-là, Van Gogh aurait peint un
dernier tableau, une toile-testament…
Mais laquelle? Cent trente ans
après, Wouter vanderVeen, l’un des
meilleurs connaisseurs de Van Gogh,
tente de lever le mystère sur cette
œuvre énigmatique ainsi que sur les
dernières heures de sa vie. Pour lui,
la réponse est à trouver à Auvers-
sur-Oise. Il faut donc remonter
le temps, revenir à son installation
dans ce village, encouragée par son
frère Théo, qui se trouve au cœur
du mouvement impressionniste.
Au fil des entretiens et d’une
reconstitution subtile, on suit pas
à pas cette enquête singulière dans
le pays de la mélancolie. I. C.
Vendredi 6 janvier à 22h40.
Qui m’aime me suive!
Comédie de José Alcala
Avec Daniel Auteuil, Catherine Frot,
Bernard Le Coq, Fr., 2019, 90 min.
FRANCE 3 Dans un village du sud
de la France, Gilbert et Simone vivent
chichement sur la retraite de mon-
sieur, ancien garagiste. Tandis qu’il
s’adonne à la sculpture, elle se pas-
sionne pour Épicure, ainsi que pour
Étienne, son voisin baba cool, grand
amateur de randonnées cyclistes,
et amant. Mais quand Étienne démé-
nage, Simone, livrée à elle-même
SP/ALAIN GUIZARD
et exaspérée par l’aigreur de son
époux, décide de le quitter. Elle tente
de renouer avec ses rêves perdus et
ses envies de liberté, dans la nostalgie
d’une jeunesse vécue tambour battant
dans les années 1960-1970. Gilbert
sera-t-il prêt à tout pour retrouver sa
femme? Cette comédie douce-amère
ne pousse pas très loin l’analyse socio-
logique. Un brin paresseuse, elle tient
surtout par l’interprétation, tendre
et chaleureuse, du trio, absolument
exquis, dont la sincérité et la fantaisie
emportent l’adhésion. I. C.
Lundi 9 janvier à 21h10.
 SP/DISNEY
CHEZ DISNEY, LE POLITIQUEMENT
CORRECT NE FAIT PAS RECETTE
Mécontent du système français de
chronologie des médias (qui régit les
délais entre la sortie d’un film en salle
et son exploitation en vidéo ou en
streaming), Disney a décidé de ne pas
sortir son film de Noël, Avalonia,
l’étrange voyage, dans les cinémas
français, le réservant, chez nous, aux
abonnés de sa plate-forme Disney+. Pas
sûr que ce soit une mauvaise nouvelle,
tant le film est un condensé de politi-
quement correct: car non seulement
l’intrigue, plaidoyer pour une agricul-
ture écoresponsable avec des relents
antispécistes, enfourche tous les com-
bats bien-pensants du moment, mais
le héros de l’histoire est un adolescent
métis et gay. Une telle timidité
dans l’audace étonne de la part
de Disney, qui semble encore frileux
quant à la promotion des transgenres…
Quoi qu’il en soit, le cocktail n’a pas été
du goût du public américain: sorti
en salle aux États-Unis fin novembre,
L’ESPRIT DES MOTS
P. IAFRATE
Par Philippe Barthelet
Stipuler
Un éminent constitutionnaliste, qui
veut bien nous lire, nous a reproché
d’avoir écrit dans une récente chro-
nique que la Constitution “stipu-
lait” que la langue de la République
était le français: « La Constitution
dispose, elle ne stipule pas. » Vous
avez raison en droit, cher Monsieur,
mais le droit a-t-il raison contre la
“Avalonia”, nouveau témoignage
de l’obsession “inclusive” de Disney.
ce film au budget de 180 millions
de dollars n’y avait récolté, en trois
semaines, qu’une trentaine de millions
de recettes. Une mésaventure qui n’est
pas sans rappeler le précédent de Buzz
l’éclair, le dernier film de Pixar (désor-
mais filiale de Disney), qui avait intro-
duit dans ce film pour enfants le thème
de l’homoparentalité et qui n’était,
lui non plus, pas rentré dans ses frais
de production.
QUAND HUSTON MÉTAMORPHOSAIT
AUDREY HEPBURN EN INDIENNE
Scénariste de plusieurs films hol-
lywoodiens, Alan Le May restera dans
l’histoire du cinéma pour avoir écrit
deux romans traitant l’un et l’autre
de l’antagonisme racial entre Indiens
et Blancs, qui ont donné lieu à deux
classiques du cinéma: la Prisonnière
du désert, tourné en 1956 par Ford,
et le Vent de la plaine, signé par Johnhn
Huston quatre ans plus tard. L’his-
toire est celle de Rachel (Audrey
Hepburn) qui vit paisiblement dans
une ferme isolée avec sa mère adop-
tive (Lillian Gish) et ses trois frères
grammaire, laquelle, on le sait
depuis Molière, régente jusqu’aux
rois (donc jusqu’aux républiques
qui leur succèdent)? La grammaire
a valeur de principe supraconstitu-
tionnel, puisque la Constitution est
écrite en français, et cette évidence
en quelque sorte matricielle dis-
pense de l’inscrire au préambule.
Stipuler est par ailleurs un verbe
d’un grand charme; il vient de sti-
pula, à la lettre “la petite paille”,
soit le fétu, le chaume (Gaffiot cite
Ovide, flamma de stipula, “feu de
paille”,etcertesl’onattendraitmoins
de légèreté d’une stipulation, mais
c’est l’ironie du langage). Furetière
rappelle qu’en droit romain, « on
avait coutume de rompre une paille
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 67
CULTURE / EN BREF
(dont Burt Lancaster), jusqu’à ce
qu’un mystérieux cavalier solitaire se
mette à répandre la rumeur: Rachel
serait une enfant volée à une tribu
indienne. Lesquels Indiens se mettent
en tête de la récupérer. Ce western
fut désavoué par Huston: « Certains
de mes films ne me plaisent guère,
mais celui-ci est le seul que je déteste
vraiment. » Sans doute faut-il y voir
la conséquence de conditions de tour-
nage chaotiques (affrontements entre
Huston et Lancaster, chute de cheval
d’Audrey Hepburn ayant causé
une fausse couche…) et de l’absence
de contrôle de Huston sur le montage
final; mais le résultat est un western
passionnant, atypique, somptueuse-
ment filmé, avec une tonalité
baroque, voire onirique. Taxé
de racisme à sa sortie parce qu’il
s’attarde sur les réactions de rejet
vis-à-vis de Rachel, le film conclut
en réalité
r à la supériorité
des liens électifs
sur ceux du sang. L. D.
“ Vent de la plaine”,
“Le
de JJohn Huston, un DVD
ou ccombo DVD et Blu-ray
Sid
Sidonis/Calysta.
[…] dont chacun des contractans
emportoit un morceau; qu’ils joi-
gnoient après pour reconnoître leur
promesse ». Quoi de plus stipulant,
dès lors, et même de stipulateur, que
le texte d’une Constitution, quel que
soit le vocabulaire dont elle use?
C’est une promesse, qui est faite par
la République au peuple français,
au nom de qui ces grandes choses
sont stipulées, c’est-à-dire rappe-
lées et confirmées, soit les condi-
tions de sa vie même; par exemple,
que le français est la langue de la
République. Il est vrai que stipula
a un sens dérivé, que donne aussi
Gaffiot: “chalumeau, pipeau” (ce
qu’on fait d’une paille), et que les
joueurs de pipeau sont au pouvoir. •
 DR

Quand le siècle XXIe

était encore “le futur”

Scénarios catastrophes ou anticipations optimistes, victoires tactiques
du Mal ou victoire stratégique du Bien… Un petit livre paru il y a cinquante ans
remet nos pendules à l’heure. Passionnant.

Par Michel Gurfinkiel

68 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

Le scooter de l’espace ? Le grand âge
de la science-fiction américaine des années 1950.
Vingt ans plus tard, on dira “science spéculative”.
O
ù nous mène la croissance? La
réponse est simple et claire… À
la catastrophe. Pas en un ins-
tant.Paspartoutenmêmetemps…
Mais il est urgent de donner un
commencement de réponse à la ques-
tion: “Quel est le nouveau type de crois-
sance qui peut nous permettre de
préserver l’humanité de l’apocalypse?”
L’auteur de ces mots n’est ni Greta
Thunberg (née en 2003), ni Sandrine
Rousseau (1972), ni Nicolas Hulot (1955),
mais Sicco Mansholt (1908). Cet homme
politique néerlandais, vice-président
de la Commission européenne chargé
de l’agriculture entre 1958 et 1972, et à
ce titre principal architecte d’une poli-
tique agricole commune productiviste,
se change dans les années 1970 en pro-
phète du collapsus imminent et en apôtre
de la croissance zéro. Chemin de Damas
tardif, mais que la crise de l’énergie, à
partir de 1973, semble justifier.
Mansholt figure en bonne place dans
un ouvrage paru en 1975, l’An 2000.
Le sociologue André-Clément Decou-
flé, spécialiste des révolutions et pion-
nier de la prospective, y examine les
diverses visions ou théories qui
entourent alors cette date, qu’elles
soient rationnelles, fantasmatiques,
ou les deux à la fois. Elles se ramènent
souvent, note-t-il, à l’“éternel retour”
païen ou à l’apocalypse biblique.
L’“éternel retour”, que l’on trouve à
la fois dans la littérature indienne et
dans les classiques grecs et romains,
repose sur la notion d’un temps cyclique,
qui ne dégénère que pour se régénérer.
En vertu d’une sorte d’entropie, le monde
et l’humanité passent de la perfection
absolue de l’âge d’or à la moindre per-
fection de l’âge d’argent, puis à l’imper-
fection relative d’un âge de bronze, et
enfin à l’imperfection absolue de l’âge
de fer. Mais quand celui-ci atteint son
point ultime, l’âge d’or revient, par une
sorte de renversement du pour au contre.
L’apocalypse, dans ses versions
bibliques successives, postule un
temps linéaire. Créé dans un état de
perfection, le monde se corrompt peu
à peu à la suite de la faute première
d’Adam et d’Ève, mais il est racheté
par l’amour divin et l’amour humain.
À la fin de cette “guerre sainte”,
quand le monde semble sur le point
de se détruire définitivement, il est
définitivement sauvé.
On s’explique aisément que ces deux
narratifs — si proches l’un de l’autre
qu’ils sont presque interchangeables —
aient toujours rencontré un tel succès,
notamment dans les époques de crise.
Ils semblent rendre compte à la fois de
l’existence du Bien et de celle du Mal,
tout en promettant, au-delà de vic-
toires tactiques du Mal, une victoire
stratégique du Bien.
AFP
SICCO MANSHOLT. IL FUT
LE TECHNOCRATE EN
CHEF DE LA POLITIQUE
AGRICOLE EUROPÉENNE,
AVANT DE BRÛLER
CE QU’IL AVAIT ADORÉ
EN RECHERCHE
SCIENTIFIQUE.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 69
HISTOIRE
L’an 2000 en particulier répond de
près à ce double scénario. C’est le point
culminant d’un XXe siècle marqué à la
fois par des progrès scientifiques ou
technologiques sans précédent, et par
des guerres dévastatrices. C’est aussi
surtout le seuil d’un nouveau millé-
naire, où les “contradictions” du mil-
lénaire précédent pourraient ou
devraient être “surmontées”.
“Nos ports seraient engloutis, et avec eux
de nombreuses terres fertiles”
A priori, la pensée scientifique se situe
en dehors de ces schémas. Mais en fait,
elle ne peut fonctionner sans une part
d’imagination créatrice, donc de mythe.
Et inversement, le concept ou le fait
scientifique, une fois établi, se vulga-
rise ou se dégrade à travers une “vision
du monde” simplifiée, où le mythe l’em-
porte à nouveau sur l’analyse ration-
nelle. Decouflé mentionne par exemple
le réchauffement climatique ou l’ex-
pansion démographique.
C’est Sir Frank F. Darling, un orni-
thologiste britannique, qui, dans son
livre l’Abondance dévastatrice, théo-
rise le premier, en 1970, l’impact du
réchauffement sur l’ensemble de la vie
terrestre, y compris la vie humaine.
« Il y a un cycle du gaz carbonique,
avec ses régulations naturelles, écrit-
il. Mais à ce cycle très ancien et très
stable, nous sommes en train d’impo-
ser la surcharge des immenses quan-
tités de gaz carbonique que dégagent
nos carburants […]. Cela amène à un
réchauffement progressif des océans
[…], au recul des calottes glaciaires
[…], à la montée générale des eaux […].
Nos ports seraient inexorablement
engloutis, et avec eux de nombreuses
terres fertiles. »
À titre d’hypothèse quantifiable, véri-
fiable et “falsifiable” (sujette à une ana-
lyse critique), la théorie de Darling peut
être tenue pour scientifique. Mais elle •
HISTOIRE
se transforme rapidement en dogme
millénariste: si l’excès de gaz carbonique
menace la vie humaine, sa réduction,
par voie “concertée” ou autoritaire, ne
peut que ramener un âge d’or…
La multiplication des crises
et des conflits
Il en va de même de la Bombe P, un
ouvrage des démographes américains
Paul et Anne Ehrlich, paru en 1968. À
partir de données indiscutables — l’es-
sor, principalement dans les pays du
tiers-monde, qui porte la population
terrestre de 2,5 milliards d’habitants en
1950 à 4 milliards en 1970 —, les auteurs
postulent une population de 8 milliards
en 2020 et 10 milliards en 2050, dépas-
sant de loin les ressources économiques
ou alimentaires disponibles. Cet accrois-
sement ne peut donc conduire selon eux
qu’à la multiplication des crises et des
conflits, y compris d’éventuelles guerres
mondiales nucléaires entre pays riches
et pays pauvres. De cette analyse pros-
pective, ils passent à un projet politique:
l’Amérique, qui est pourtant un pays
sous-peuplé, devrait « montrerl’exemple »
en termes de réduction des naissances,
suivie par les autres pays développés…
« À l’approche de la fin du deuxième
millénaire, résume Decouflé, une conju-
gaison de périls planétaires semble pré-
parer la fin du monde […], angoisse de
la guerre nucléaire, surpopulation,
dégradation des équilibres écologiques,
bref, la destruction de l’homme par
l’homme. » Mais s’il n’en était rien?
L’un des aspects les plus passionnants
de l’An2000, quand on le relit aujourd’hui,
70 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Herman Kahn, à gauche sur la photo.
À l’écart des mythes et du catastrophisme,
c’est lui qui aura raison.
Et pour cause: Kahn prend le contre-
pied des Mansholt, Darling, Ehrlich et
consorts: selon lui, les scénarios catas-
KEYSTONE PRESS/ALAMY STOCK PHOTO
trophes ne sont pas crédibles, parce
qu’ils ne tiennent pas compte des capa-
cités de réaction et d’adaptation des
hommes; et c’est le capitalisme et lui
seul qui, par ses mécanismes de constante
autorégulation, peut assurer le dévelop-
pement de l’humanité au XXIe siècle.
Le petit livre de la “bonne nouvelle”
c’est la redécouverte et la réhabilitation Perle du livre de Kahn, que Ducouflé
des analystes qui se sont tenus à l’écart reproduit intégralement: les « cent inno-
du mythe, de l’idéologie, et par voie de vations pour l’an 2000 ». Elles n’ont pas
conséquence du catastrophisme. À com- été esquissées de manière arbitraire ou
mencer par Herman Kahn. ludique, mais en tenant compte de l’état
Ce natif du Bronx, diplômé du Cal- réel des recherches scientifiques ou tech-
tech (l’Institut de technologie de Cali- nologiques au milieu des années 1960,
fornie), travaille d’abord pour la Rand etd’enquêtessurlecomportementhumain.
Corporation en tant qu’analyste stra- Une dizaine d’entre elles nous font
tégique. « Mon job était de penser sourire ou frémir aujourd’hui: la relaxa-
l’impensable, dira-t-il, c’est-à-dire la tion par hibernation ou le recours géné-
guerre nucléaire. » On lui doit notam- ralisé à des explosions nucléaires pour
ment l’application de la théorie des l’aménagement du territoire ou l’explo-
jeux à la dissuasion nucléaire, puis ration du sous-sol…
les concepts d’escalade et de seconde Mais les autres sont bel et bien entrées
frappe. dans notre vie quotidienne, avant ou
Mais il fonde bientôt le Hudson Ins- après le seuil du XXIe siècle: « applica-
titute, qui reste jusqu’à ce jour l’un des tionsmultiplesdeslasers » (innovation 1),
principaux think tanks conservateurs « utilisation mondiale de caméras à
américains. Il s’y consacre plus parti- haute altitude pour établir des cartes »,
culièrement à la prospective (ou futu- de type GPS (11), chirurgie « congénitale
rologie, pour employer la terminologie et génétique » (13), emploi généralisé de
américaine). En 1967, il publie l’An l’informatique et de l’automation dans
2000, la bible des trente prochaines la vie économique (28), techniques « géné-
années, un livre dont la traduction raliséesetéventuellementenvahissantes
française paraît en 1972. Decouflé le desurveillance »(30),« épiceriesetgrands
cite à plusieurs reprises. magasins automatiques » (54), « extrac-
tion rentable du pétrole à partir du
schiste » (67), « récupération des pre-
“À L’APPROCHE miers étages des fusées » (68), « désali-
nisation à grande échelle » (73),
DE LA FIN DU DEUXIÈME « diffusion directe des satellites vers des
MILLÉNAIRE récepteurs individuels » (82), « emploi
généralisé du contrôle génétique pour
UNE CONJUGAISON lesvégétauxetlesanimaux »(96)… Vraie
DE PÉRILS PLANÉTAIRES “bonne nouvelle” que ce petit livre trans-
met, à cinquante ans de distance: on
SEMBLE PRÉPARER peut réellement prévoir l’avenir, si l’on
LA FIN DU MONDE.” s’y prend avec rigueur et méthode; et il
n’est pas sombre. •
 HISTOIRE / À LA LOUPE

DU 5 AU 11 JANVIER L’ÉNIGME
6 janvier 1558 : prise de Calais, fin
de la présence anglaise en France. Un village endormi
5 janvier 1649:
dans les steppes du Kazakhstan
AKG-IMAGES/ERICH LESSING

Fronde parlemen-
taire, fuite Des villageois plongés dans le sommeil, une cité fantôme,
d’Anne d’Autriche
les rejets toxiques d’une mine d’uranium désaffectée…
(ci-contre).
Un angoissant thriller postsoviétique.
6-11 janvier 1919 :
“semaine rouge”
à Berlin, échec des spartakistes. Par Philippe Delorme
10 janvier 1920: naissance de la SDN.
11 janvier 2013 : intervention

D
française Serval au Mali. e 2012 à 2015, la bourgade de

7 janvier 2015 : attentat islamiste
contre Charlie Hebdo.
EN 1983 DANS “VA”
À Paris, les immigrés constituent 38 %
des personnes mises en cause pour
des crimes et délits: viols et attentats
à la pudeur (40 %), vols avec violence
(40 %), coups et blessures (39 %),
ainsi que la plupart des vols à la tire.
Sans parler de la drogue. Un tiers
des immigrés interpellés sont des
Algériens. Viennent ensuite les
Yougoslaves, à l’origine des vols dans
le métro. Intouchables parce que
mineurs. Les autres sont marocains,
tunisiens et maliens.
UN LIVRE
La Guerre de Cent Ans
d’Amable Sablon du Corail
Passés composés, 464 pages, 25 €.
La lutte à mort des Plantagenêts
et des Valois sur le sol de France.
Deux dynasties françaises! Et c’est
ainsi qu’une querelle territoriale
entre roi de France et roi d’Angle-
terre dégénère en guerre civile
et en crise de régime, dit l’auteur.
Qui ajoute: « Le règne de Charles V
apparaît comme un tournant décisif
dans l’histoire de France,
pour le meilleur et pour
le pire. » L’auteur est
conservateur général
du patrimoine aux
Archives nationales.
Kalachi, au fin fond des steppes
du Kazakhstan septentrional, a
été le théâtre d’un phénomène décon-
certant. Près d’un tiers de ses
650 habitants — et plusieurs étran-
gers de passage — étaient pris sou-
dainement d’un besoin irrépressible
de dormir, tandis qu’ils pêchaient,
conduisaient leur voiture, prépa-
raient leur repas ou trayaient leurs
vaches. Les victimes, de tous âges
et de toutes conditions, demeuraient
jusqu’à six jours dans cet état léthar-
gique. Certains présentaient au
réveil des cas d’amnésie partielle,
de vertiges, voire d’hallucinations.
Appelés à la rescousse, des experts
vont passer en revue des dizaines
d’hypothèses, avant de les rejeter.
Il ne s’agit pas d’une épidémie de
méningite bactérienne, ni d’infec-
tion virale, de psychose collective…
ni même des effets d’une vodka fre-
latée ! La proximité du gisement
d’uranium de Krasnogorsk, aban-
donné depuis la fin de l’ère commu-
niste, fera envisager une intoxication
par un gaz radioactif, mais les symp-
tômes ne correspondent pas. Les
autorités kazakhes ne verront d’autre
solution que de proposer aux res-
sortissants de Kalachi de les relo-
ger à Esil, le chef-lieu de district, à
une trentaine de kilomètres.
En 2015, alors que cette “encé-
phalopathie d’origine inconnue”
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 71
RUSSIA TODAY
Une épidémie de sommeil qui dura
plusieurs années.
tend à disparaître, un rapport offi-
ciel prétend que la “maladie du som-
meil” de Kalachi proviendrait de
taux trop élevés de monoxyde de
carbone et d’hydrocarbures dans
l’atmosphère. Le pourrissement des
étais de bois et des charpentes de
la mine de Krasnogorsk en serait la
cause. Mais récemment, le dossier
a été rouvert par le Pr Byron Crape,
épidémiologiste de l’université Nazar-
baïev d’Astana, qui a lancé une
enquête auprès des intéressés eux-
mêmes. Il a ainsi découvert que la
population s’approvisionnait en eau
potable à une source privée, captée
sur la propriété d’un résident qui la
revend à ses concitoyens. Une eau
sans doute contaminée par des
déchets chimiques, enfouis par l’ar-
mée dans les anciennes galeries.
Avec le temps, le métal des barils
aura rouillé, empoisonnant la nappe
phréatique… •
ART DE VIVRE
Quelles galettes,
saperlipopette!
L’Épiphanie célèbre la manifestation n
de l’Enfant Jésus aux mages venus l’adorer.
adorer.
On mange la galette des Rois, aux formes
ormes
et parfums variés selon les régions
et les traditions locales. Depuis le XIV
Ve siècle,
IV
elle cache une fève en son cœur.
Hôtel “The Peninsula
é o que André
Par Véronique d é Paris”: à quatre mains
La chef pâtissière Anne Coruble
et le chef David Bizet proposent une galette des Rois tout chocolat,
aux notes boisées et épicées. Ce dessert se com
compose d’un feuilleté
croustillant au grué de cacao torréfié, d’une
d’un crème d’amandes
brutes au chocolat d’Indonésie 775 %, d’une ganache
chocolat 65 % d’Indonésie
d’Ind au sel fumé.
Prix:
Prix 59 €, 6 à 8 personnes.
www.peninsula.com

Sébas
Sébastien Gaudard:
binôme couture
bin
Le cchef Sébastien
Gaudard
Gau et Guillaume
Henry,
Hen styliste
ri: une galette rare
Kaviari: de lla maison Patou,
Confectionnée
ionnée selon la tradition ont cré
créé une couronne
re, sa pâte feuilletée
pâtissière, et une co
collection de fèves
maison est garnie d’une délicieuse inspirées des
de bijoux de la
’amandes. À l’intérieur
crème d’amandes. cou
griffe haute couture. Parmi elles,
se cachee une fève créée spécialement cinq fèves gagnantes que le leurs détenteurs
ccasion, représentant un poisson
pour l’occasion, pourront échanger contre un bijou
bijo Patou.
uit de mer “bien élevé” de la
ou un fruit pendent En plus
Pour les autres, la fève se transforme en pendentif.
maison Kaviari. Saumon, poulpe, tourteau, de la traditionnelle galette frangipane réalisée aavec une crème
homard,, sardine : une série de cinq fèves parfumée au rhum, Sébastien Gaudard propose une version 2023
inédites qui raviront les fabophiles avec une frangipane au chocolat
chocolat.
(collectionneurs de fèves). Et ce n’est pas Prix à partir de 26 €, de 4 à 12 personnes; à partir du 2 janvier.
tout, la couronne aussi est personnalisée, 22, rue des Martyrs, Paris IXe ; 1, rue des Pyramides, Paris Ier.
avec un crustacé. Tél.: 01.71.18.24.70.
Prix: 29 €, 6 à 8 personnes. www.kaviari.fr www.sebastiengaudard.com

72 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 “Ritz Paris”: addictive!
ddictive!
On va craquerr pour cette
galette des Roiss classique,
simple et délicieusement
ement riche
en calories. Cette
tte création
du chef pâtissier François
nçois Perret
se compose d’un
un feuilletage
Etxe Goxoan: inversé, d’une frangipane
ipane fondante
fèves faites main ade aux amandes.
et d’une macaronade
Du nom de la créatrice Prix: 59 €, 6 à 8 personnes;
des fèves, Lyne Fromiga, à partir du
u 2 janvier. Click & collect:
qui a fait chaque fève à la main, www.ritzparislecomptoir.com;
w.ritzparislecomptoir.com;
cette sublime galette estst “Rit
“R
“Ritz
i z Paris
Pari
Paris Le C
Comptoir”,
o ptoi
om o r”
r 38
r”, 38, rue Cambon,
Ca
ambon
bo , Pa
P
Paris
riss Ierr.
un feuilletage au beurre AOP,
AOP,
crème d’amandes et noisettes
ettess
et éclats de noisettes ““Four
“Fourr Seasons
ou Seas
Se ason
onss Ho
Hote
Hotel
te George V”:
caramélisées. À noter:: à l’
l’it
l’italienne
ital
alie
ienn
nnee
il n’y en aura Le cchef
heff pâ
he pâti
pâtissier
tiss
ssie
ierr M
Michael Bartocetti signe
que 50 exemplaires. unee galette
un gale
ga lett
ttee voluptueuse.
volu
vo lu Clin d’œil
Prix: 25 €; à partir à sess origines
orig
or igin
ineses iitaliennes, elle se pare
du 6 janvier à la boutiquee d’une macaronade
maca
ma caroronn aux amandes. Elle
(64250 Itxassou). se prolo
prolonge
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ngee d’d’un généreux feuilletage
Tél. : 05.59.47.18.38. aux reflflet
reflets
etss ca
car
caramélisés,
r dans une pâte
etxegoxoan.jimdofree.com m à croissant
croiiss
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croustillante
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h du palace.
Prix:
ix:: 75
Prix 75 €,
€ 6 à 8 personnes;
pe
du 1er janvier.
n ie “Christmas Pop-up”,
er au 8 janv

31, avenue George-V,

Geo
e rg Paris VIIIe.

Carette: feuilletée ou briochée

Carett
Variati
Variations sur un même thème. Le célèbre pâtissier parisien propose
versions: la traditionnelle galette feuilletée à la frangipane,
deux ve
qui exi
existe en plusieurs tailles, est notre préférée. La brioche bordelaise
fruits
aux fr
au fruu n’est disponible que dans un format.
Prix
Prix de
de la
a feuilletée: 44 €, 6 personnes; 56 €, 8 personnes; 68 €,
10
0p n Prix de la briochée: 35 €, 6 personnes.
personnes.
ersonn
4, place du Trocadéro-et-du-11-Novembre, Paris XVIIe.
Tél.:
Téél.: 01.47.27.98.85.
4 .27.9
01.47

“Hôtel Molitor”: carrée

e
La chef
che Louise
heff pâtissière Lou uis Riot a imaginé sa première galettee
isee R
pour
pour lele Molitor:
Moli
Mo litor:
r elle sera ccarrée.
arré
ar frangipane est à la pâte de noisettess
rée. Laa fr
et de
de main
main d dee bouddha
boud
bouddhdha confite, un ag agrume venu d’Asie, le feuilletage est
vien
vi
viennois.
enno
noisis.. Sur
Sur le ddessus,
essu
es sus,
s, u
unn pr
p inéé nois
praliné
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noisette avec des noisettes caramélisées.
Cert
Ce ness fèves
Certaines
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aine fève
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tent de remporter des cadeaux. Prix: 39 €, 6 à 8 personnes.
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13, rue Nungesser-et-Coli, Paris XVIe. www.molitorparis.com
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5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 73

ART DE VIVRE / AUTOMOBILE
Le Toyota C-HR
Prologue. Un concept
des plus réalistes.
Toyota
C-HR, élégant Prologue
Le populaire SUV compact nippon mue en beauté et s’enrichira d’une version
hybride rechargeable.
Par Dominique Murtoli
PHILOSOPHIE
« Plus audacieuse, plus spectaculaire,
plus sophistiquée. » Tel était le cahier
des charges à respecter pour conce-
voir la deuxième génération de Toyota
C-HR (“Coupé-High-Rider”, autrement
dit un coupé surélevé). Ce SUV compact,
très prisé du public, a été vendu à près
de 600000 exemplaires, depuis 2016,
en Europe. Sa ligne futuriste, dévoi-
lée en 2014, tranchait avec la produc-
tion hybride des plus conventionnelles
à l’époque. L’exubérance a donc
rencontré le succès. Pour les designers
chargés d’assurer la relève de ce modèle
phare, il n’était pas question de tout
bousculer. Et à en juger par ce “show
car”, baptisé Prologue et dévoilé tout
récemment au pays du Soleil levant,
dans le cadre du Kenshiki Forum, le
nouveau C-HR s’inscrira bien dans la
continuité. Mais en poussant l’origi-
nalité encore plus loin. Un exercice de
haute voltige!
ESTHÉTIQUE
Pour y parvenir, ses concepteurs du
bureau de style de Sophia-Antipolis,
près de Nice, ont d’abord adouci la
ligne, tout en conservant le gabarit.
Les arêtes trop tranchantes ont fait
place à une certaine fluidité, avec des
traits ondoyants et toujours ce côté
74 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
Toyota C-HR Prologue
Type : maquette
Catégorie : SUV compact
Architecture : 5 portes
Format : 5 places
Commercialisation : fin 2023-début 2024
Dimensions : env. 4,35/1,80/1,55 m (L/l/h)
Moteurs : hybride et hybride rechargeable
Transmission : 2 et 4 roues motrices selon
SP/TOYOTA
version
musclé, provocant et ludique à la fois.
La nouvelle calandre en “tête de mar-
teau” fascine par son architecture 3D.
La signature lumineuse avant à Led,
en forme de trombone, confère à l’en-
gin un regard acéré. Remarquez aussi
ces feux à débordement très effilés à
l’arrière. Et puis, cette peinture biton
et même à trois teintes (“biton +”), en
intégrant le béquet brun-or qui fuse
du toit. Sur la maquette du Prologue,
le C-HR arbore deux rétroviseurs camé-
ras qui, très probablement, ne seront
pas greffés sur le modèle de série attendu
dans un an environ.
TECHNIQUE
La silhouette de coupé est ici accen-
tuée par une vitre arrière hyperincli-
née. Pas de quoi garantir une visibilité
maximale, c’est certain. La première
génération pâtissait déjà de ce parti
pris esthétique. Car, une fois installé
sur la banquette, on se sent un peu
engoncé dans cet habitacle qui manque
de lumière, avec ces vitres latérales
minuscules à l’arrière. L’espace à bord
s’est cependant accru. Côté cavalerie,
Toyota annonce qu’un modèle hybride
rechargeable viendra épauler la ver-
sion “autorechargeable”. L’hybride à
brancher sur la prise développera,
pour sa part, une puissance de 223 che-
vaux. Le constructeur s’enorgueillit
que celui-ci soit alimenté par des bat-
teries assemblées en Europe. C’est plus
profitable pour l’emploi sur le vieux
continent. Toyota évoque aussi une
version 4x4 pour le C-HR. •
 VIENT DE PARAÎTRE
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qu’il s’agisse d’histoire,
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 ART DE VIVRE / EN BREF

“U CHEFFE
“UNE
DANS MA
DA
CCUISINE”
M
Marmiton
dévoile son
d
tout
t dernier
livre
l avec
Anne-Sophie
Anne Sophie Pic,
Pic la chef
ch triplement
étoilée. Dans cet ouvrage, elle revi-
site 60 recettes du quotidien, pour
redécouvrir les grands classiques
familiaux. Un voyage gustatif inédit
à découvrir pour la nouvelle année.
“Anne-Sophie Pic, une cheffe dans ma
cuisine”, de Marmiton, éditions Michel
Lafon, 208 pages, 19,95 €.
www.marmiton.org

BRAD PITT, C’EST SON “DOMAINE”!
Plus qu’une marque de cosmétiques
dédiée à la lutte contre les signes
visibles du temps, Le Domaine
de Brad Pitt propose une gamme
qui prône le bien-vivre et l’authenti-
cité, en revenant à l’essentiel de
la nature. Après le rosé du château
Miraval, l’acteur de 59 ans a lancé
sa marque de soins haut de gamme,
qui comprend trois produits
d’origine végétale pour hommes,
avec Marc Perrin, propriétaire
du château Beaucastel, dans l’appel-
lation châteauneuf-du-pape.
www.le-domaine.com
SP/SERGE CHAPUIS
Didon
Cachée dans une petite rue de la rive gauche,
l’adresse, dédiée à la reine de Carthage, consacre
sa carte à la cuisine au charbon de bois.
Par Véronique André
L es fondateurs, Imad et Carole Kanaan,
ont été conseillés à l’ouverture par
le chef Michel Portos. En cuisine,
c’est Érik Marchesan qui exécute avec
talent des recettes au petit point. Le
service est joyeux et la carte joue l’en-
vie sur le mode fusion, pour un mix de
cuisine française associée aux épices
et goûts du pays du Cèdre.
Dans l’assiette les saveurs changent
au gré du marché et des humeurs du
chef, et s’entrelacent comme cet arti-
chaut façon barigoule avec navets,
oignons rouges et crème d’artichaut,
ou le foie gras en torchon, poire au
safran, navet noir, radis rouge, pignons
de pin, qui étaient à la carte le jour de
SP/DIDON
déclinaison gingembre, moutarde,
cacahuètes, ou des tagliatelles de seiche
sauce aux harengs fumés en entrée, et
en plat, toujours du ris de veau grillé
et betterave rouge ainsi que l’agneau
carré grillé, patate douce et sauce
Zaatar. Les becs sucrés ne seront pas
lésés avec une clémentine en clafoutis
amande et sorbet mandarine à parta-
ger, ou avec une poire en compote rôtie
à l’eau de cédrat, tarte au chocolat et
sabayon de liqueur Saint-Germain.
Dans le verre, le choix est toujours
bon grâce à un sommelier qui connaît
bien la cave, comme pour le pomerol
2017. Comptez à la carte environ
60 euros. •

notre visite.
Mais on sait qu’en ce début d’année Didon, 8, rue du Dragon, Paris VIe.
il peut y avoir aussi une carotte en Tél.: 01.81.69.63.72. Didonrestaurant.com

76 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

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JEUX & PROBLÈMES
I II III IV V VI VII VIII IX
1
10
11
12
13
14
15
La grille En hommage à Yves Dautheuil
Horizontalement 1. C’est le dernier à jouer, théoriquement. Un tout
petit dans l’opposition, à l’extrême droite. C’est vague quand
il est en vue. 2. Sont tout de même parfaitement lisibles. Pré-
sente tous les ingrédients pour faire un pavé. 3. Terminus d’Algé-
rie. Morceau de piano pour Christian. 4. Une île très plate,
curieusement. Qui l’aime voudra peut-être le porter, en deux
mots. 5. Combattue dans les guerres de sécession. Partie du
corps. 6. Pour un roman de Scarron. Grand chef. 7. Crier comme
un certain chat. Son administration n’est pas du ressort de
l’Éducation nationale, ni dorénavant du privé. 8. Romains. Ils
sont dangereux quand ils débordent. Table des matières. 9. Peut
avoir des enfants sur le dos, ou tout le monde peut l’avoir sur
le dos. Personnel. Botte. 10. Un type à histoires. Les cieux de
Socrate vus par Aristophane. Savarin ou soufflé. 11. Ce qu’il y a
de bien chez les gens. Grosse Toile. Ce que tambourine le chœur
de la Force du destin. 12. Négation. De Gaulle en 1940 pour Vichy.
Dos en capilotade. 13. Superbe troglodyte entre mer et golfe.
Manœuvre. Se met facilement en boule tant que l’atmosphère
ne s’est pas réchauffée. 14. Aïeul de Clovis? An. 15. C’est râpé. En
tant que témoin, il ne manque pas de pièces à conviction.
78 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
X XI XII XIII XIV XV
Verticalement I. Un homme de trempe qui jouit d’une domination
tyrannique. Officine de jeux. II. Comme de vieilles chaussettes.
III. La bonne heure pour se faire embaucher. Conjonction. Poéti-
quement aimé par Hugo. IV. Il faut le craindre pour éviter d’avoir
à s’en moquer (cinq mots). Quartier de Rouen. V. Dans le Brunswick.
Lettres d’Amérique. Personnel. Rat renversé. VI. Il en est revenu.
Cette chanson criée à tue-tête pouvait peut-être y être entendue,
dans un autre genre. Deux lettres pour une blanche. VII. Tourne
et retourne. Uni désuni. Élément de quadrille, dans un sens.
VIII. Romains. Pièce de pièce. Il en est qui ont fini le dos au mur, au
Père-Lachaise. IX. C’est faire maigre. À remettre sur pied pour que
sa fleur soit épanouie. Inséparables dans la chambrée. X. Limou-
sine au départ, girondine à la fin. N’encourage pas à la recherche
d’emploi. XI. Un clou à crever. Il a le bras long, et à l’entendre, elle
soigne les bras cassés. XII. Victime d’un système. Compagnie bri-
tannique. Permet de se découvrir, de bas en haut. XIII. Toujours
plus pour les Italiens. Les quatre volets d’un fameux Ring. XIV. Il a
le don d’arriver sans prévenir (George F. Will). Air vif et matinal.
XV. Simple avertissement ou maison d’arrêt. Vieille maison fran-
çaise, Nouvelle en Amérique. Note.
 JEUX & PROBLÈMES

Le bridge Problème n o
1243 par Pascaline Delacour Solution du problème no 1242 Sud joue 4♠, entame Roi de ♣ (6 en Est).
Tous vulnérables, gagnez onze levées en tournoi par paires.
NORD (donneur)
♠ARV94 Rappel
♥ R 10 3 des enchères
◆AV8 S O N E
♠D87 ♣A2 ♠ 10 –
♥D96 N ♥8754
◆D97 O S E ◆ R 10 4 3 2 – 1♣ X –
♣RDV3 ♠6532 ♣986 1♠ – 3♠ –
♥AV2 4 ♠ Fin
◆65
♣ 10 7 5 4
Le mieux qu’on puisse faire en paires, c’est onze levées, ne per-
dant qu’une levée à ◆ et à ♣, pour cela il faudra couper un ◆,
et trouver les deux Dames majeures! On ne peut rentrer en main
Sud joue 3SA, entame 7 de ♠ pour que par la coupe ◆ et l’As de ♥. Au mort, à l’As de ♣, jouez
la Dame d’Est que vous respectez, petit ◆, Est met alors le Roi de ◆ (difficile et dangereux de ne
suivent le 10 surpris du Valet, puis 9 de ♠ pas mettre le Roi, le déclarant pouvant avoir la Dame!), vous
OUEST

pour votre As (2 en Est). Tous vulnérables, avez une superinformation, votre camp ayant 25 points H, le
EST

match par quatre. Le contrat de 5◆ gagne toujours
(sauf ◆ 5/0!), il faut gagner 3SA…
camp adverse en a 15 et Est ayant 3 points H, l’ouvreur a ses
12 points H et donc les deux Dames. Est rejoue le 9 de ♣, 10 et
Valet et 3 de ♣ coupé, suivent As de ♠, petit ♥ pour l’As et ♠
pour le Valet qui tient, le Roi prend la Dame et purge l’atout,
suivent As de ◆ et ◆ coupé en main pour faire l’impasse à la
Dame de ♥ qui marche évidemment et onze levées pour le top
en tournoi par paires.
Donne jouée treize fois en DN2 mixte à Feucherolles, le 10 décembre dernier,
trois ont fait 4♠ + 1 pour 92 %, huit 4♠ = pour 38 %, une 3SA + 1 pour 75 %; et
un zéro pour la paire qui n’a pas demandé la manche.

SUD L’énigme mathématique par Eurêka

Atlanta-Bilbao À l’instant où un Boeing 747 quitte Bilbao pour
Les enchères Atlanta, un Airbus A380 quitte Atlanta pour Bilbao. Quand ils
S O N E * Bicolore cher se croisent, l’Airbus a parcouru 192 kilomètres de plus que le
1◆ – atténué car Sud Boeing. Il ne reste plus que 3 heures 45 de route à l’Airbus et
a dit 2♣, mais
2♣ – 2♥* – avec 12 ou 13 H 4 heures 16 au Boeing. Quelle est donc la distance Atlanta-Bilbao?
3SA Fin Nord aurait dit 2◆.
Solutions des jeux de la semaine dernière en page 80.

Le Sudoku
Grille facile : Grille moyenne :
chaque cellule de 3 x 3 cases, ne contienne qu'une seule fois
Les règles pour remplir les grilles : Remplissez chaque
case de façon à ce que chaque ligne, chaque colonne et
Sam Griffiths-Jones

un chiffre compris entre 1 et 9.

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 79

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GROUPE VALMONDE

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 L’incorrect ESPACE DE LIBRES DÉBATS
STUART COBLEY/ALAMY STOCK PHOTO
L’Occident en ligne de mire
Une attaque en règle contre notre
civilisation est en cours, alimentée
par la haine de soi et l’antiracisme,
avertit Douglas Murray. Entretien.
Propos recueillis par Anne-Laure Debaecker
A
vortements forcés parfois tardifs jusqu’à
il y a peu, internements forcés: la Chine est
plus que critiquable en matière de droits
de l’homme et bénéficie pourtant d’une
étonnante indulgence. Seul l’Occident, en
effet, semble responsable de tous les maux de la
planète et focalise les critiques: il serait raciste,
esclavagiste, patriarcal, discriminatoire… Désor-
mais, dénonce Douglas Murray dans son nouvel
L’intellectuel britannique
Douglas Murray dénonce
depuis des années les
politiques de l’identité qui
sapent notre civilisation.
ouvrage, « l’Occident ne peut jamais bien agir
tandis que le reste du monde ne pourrait jamais
mal se comporter ». L’écrivain, journaliste et com-
mentateur politique avait déjà commencé à évo-
quer sans concessions la disparition de la civili-
sation européenne dans son best-seller l’Étrange
Suicide de l’Europe, immigration, identité, islam
(L’Artilleur). Une réflexion percutante qu’il avait
poursuivie avec la Grande Déraison, race, genre,
identité (L’Artilleur) en exposant les dangers
posés par la “politique de l’identité”, dont l’anti-
racisme. Avec Abattre l’Occident, l’intellectuel
britannique poursuit son analyse en montrant
comment une véritable guerre est menée contre
l’Occident par une partie de ses propres habi-
tants. Un ouvrage coup de poing, qui illustre les
aberrations idéologiques du système de pensée
perverti qu’il dénonce à l’aide de nombreux
exemples. •
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 81
 L’incorrect ESPACE
S C DE LIBRESS DÉBATSS
Fra Angelico, “le Jugement dernier”, vers 1431,
musée de San Marco, Florence. L’une
des merveilles produites par l’Occident.
Mais qui est aujourd’hui conscient
de cette richesse ?
AKG-IMAGES/RABATTI & DOMINGIE
Vous faites le parallèle entre les attaques que
subirait actuellement l’Occident avec les conflits
du XXe siècle, notamment la guerre froide?
Comme au XXe siècle, une guerre a été déclarée contre
l’Occident. Certes, elle est différente dans le sens où
il s’agit d’une guerre culturelle destinée à combattre
la tradition occidentale. Mais, un peu comme lors de
la guerre froide, c’est le camp de la démocratie, des
droits et des principes universels, de la raison qui se
trouve menacé.
Bien sûr, les attaques contre l’Occident en ce moment
sont différentes de la plupart des conflits précédents.
Parce que ce sont des attaques qui sont portées sur nous-
mêmes PAR nous-mêmes. Il y a de nombreuses variantes
de l’antioccidentalisme. Il y a l’antioccidentalisme chinois,
l’antioccidentalisme arabe et bien d’autres encore. Mais
celui qui me préoccupe est l’antioccidentalisme occi-
dental, c’est-à-dire l’attaque de nos propres fondements
82 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
civilisationnels par des personnes issues de nos propres
sociétés. Il s’agit d’une remise en question radicale de
notre histoire et des éléments qui constituent les bases
de notre fierté, de notre identité et de nos valeurs. Même
si des gens comme le Kremlin et le Parti communiste
chinois (PCC) font tout pour en profiter, il s’agit d’abord
d’une attaque que nous menons contre nous-mêmes.
Alors qu’avant, nous étions fiers et que nous défendions
notre culture occidentale, nous entendons désormais
un discours acerbe selon lequel il faudrait la démante-
ler. On ne veut plus la transmettre, l’étudier, ou alors
sous un angle biaisé et accusateur. En revanche, n’im-
porte quelle culture qui n’est pas occidentale se retrouve
célébrée et vénérée.
Pourquoi un tel autodénigrement?
Si ce mépris de la culture occidentale se propage à
grande échelle, c’est par ignorance: on n’apprend aux
 L’incorrect ESPACE
S C DE LIBRES DÉBATS

Vous montrez comment cette haine de soi occiden-

tale est exploitée sur le plan géopolitique…
Oui, le mal vient de l’intérieur, mais il est exploité
de l’extérieur. Cette haine de soi est un mal typique-
ment occidental que certaines puissances sont ravies
d’exploiter. Comme je le montre dans mon livre, les
communistes chinois trouvent particulièrement com-
mode d’être confrontés à un concurrent occidental
qui ne cesse de répéter à quel point il est raciste. Pen-
dant ce temps, le PCC peut s’en tirer notamment en
envoyant au bas mot 1 million de personnes dans des
camps de concentration. Par exemple, au cours d’une
session du Conseil des droits de l’homme de l’Onu,
au cours de l’été 2021, Zhao
GREG BAKER/AFP

Lijian, porte-parole du minis-

tère des Affaires étrangères
chinois, a déclaré devant la
presse internationale que le
monde occidental devait faire
un « examen de conscience
profond » pour lutter contre
le « racisme systémique » et
« la discrimination raciale ».
“ZHAO LIJIAN Et ce, alors qu’un certain
racisme décomplexé existe
A DÉCLARÉ en Chine… Le Parti commu-
QUE LE MONDE niste chinois transforme ainsi
les faiblesses occidentales en
OCCIDENTAL armes.
DEVAIT FAIRE J’ai parlé à des personnes qui
jeunes générations incultes que les parties sombres
de son histoire, on en fait une lecture biaisée et on
UN ‘EXAMEN ont souffert des régimes de
Corée du Nord, de Chine, de
passe sous silence tous les apports qu’elle a pu don- DE CONSCIENCE Russie et de bien d’autres pays,
ner à notre monde.
Nous avons offert de considérables avancées scien-
PROFOND’.” et elles sont tout simplement
stupéfaites que les pays les
tifiques, économiques, musicales, etc. La culture plus libres — les nôtres, en Occident — soient les plus
occidentale est celle qui vit s’épanouir le Bernin, obsédés par cette autocritique qui mène à l’autodéni-
Vinci, Michel-Ange, Mozart, Bach, La Fontaine, Pascal grement, au dégoût de soi et finalement à l’automuti-
et tant d’autres. Elle fit sortir de la misère des mil- lation. Obsédés par nos fautes, nous sommes incapables
lions d’individus et fit briller les lumières de l’esprit. de voir les atteintes aux droits de l’homme qui ont lieu
Mais on apprend aux écoliers son rôle dans l’escla- dans certains pays et toute une compréhension du
vage et ses autres fautes sans contrebalancer par ses monde nous échappe.
richesses.
Les artisans de ce déséquilibre sont des idéolo- Vous montrez comment Karl Marx et Michel
gues qui voient le monde sous un rapport de domi- Foucault ont influencé cet antioccidentalisme.
nation et à travers la politique des identités. L’Occident Pourtant, ils n’étaient pas de blanches colombes,
est vu comme raciste et patriarcal et doit alors expier loin de là. Comment expliquer l’indulgence
ses fautes. dont ils bénéficient? •

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 83

 L’incorrect ESPACE DE LIBRES DÉBATS

Tous deux étaient sans aucun doute des stylistes impres- La grande indulgence dont ils bénéficient doit sans
sionnants, capables d’exposer avec force des idées qui doute au travail de sape que leurs travaux ont effectué
étaient totalement absurdes. Cela requiert une certaine sur les institutions occidentales. Si le racisme de Marx
compétence. Comme je le mentionne dans mon livre, et les viols de Foucault sur des jeunes Orientaux restent
Marx était bien plus raciste que son époque. C’était un passés sous silence, c’est parce qu’ils appartiennent
convaincu vraiment vicieux et désagréable. Pourtant, au camp de la gauche politique. Et leurs œuvres conti-
étrangement, les personnes qui se sont attaquées à tous nuent à être diffusées. Personne ne semble trouver à
les autres personnages historiques qui ne pensaient pas redire sur le fait que l’un des
comme nous dans les années 2020 ne se sont pas encore “LES penseurs à l’origine du dis-
attaquées à Marx. La raison en est évidente, bien sûr.
Parce qu’ils l’admirent et veulent encore défendre ses
PERSONNES cours antioccidental satisfai-
sait son appétit sexuel en
idées. Une vision catastrophique et irréalisable. Quant QUI SE utilisant des jeunes mineurs
à Foucault, nous savons maintenant quelle personne
épouvantable il était. La révélation de ses abus sexuels
COMPLAISENT autochtones dans des pays
étrangers…
sur de jeunes enfants en Afrique du Nord est à la fois DANS LE
choquante et sans surprise. Au cœur de ses idées, il y a RESSENTIMENT Vous mettez en garde
une obsession absolue pour le pouvoir. Qui l’exerce et
contre qui il est exercé. Bien sûr, Foucault est extrême-
PEUVENT contre les hommes de res-
sentiment, pourquoi?
ment contradictoire, mais il a fourni un cadre qui semble TOUJOURS Eh bien, nous vivons à l’ère
plaire à des personnes issues d’un large éventail de dis-
ciplines. Il est toujours l’un des penseurs les plus cités
TROUVER du ressentiment. Il faut tou-
jours traiter Nietzsche avec
dans diverses écoles de pensée. J’espère que son temps D’AUTRES beaucoup de prudence, et
sera bientôt révolu. Sa philosophie, telle qu’il la présente PERSONNES c’est ce que je fais, mais son
lui-même, est sauvagement anti-humaine et inadaptée travail sur la question dans
à la tâche qui consiste à essayer de nous comprendre. RESPONSABLES la Généalogie de la morale est
Par exemple, considérer toutes les dynamiques humaines DE LEURS vraiment perspicace et d’une
à travers le prisme du “pouvoir” est quelque chose qui
ignore ce que je pense — et surtout ce que pensaient de
MAUX.” grande utilité pour notre
époque. Par exemple, sa des-
grands penseurs comme Rilke —, à savoir que le véri- cription des hommes gonflés par le ressentiment qui
table principe d’organisation le plus puissant sur terre rouvrent des blessures depuis longtemps guéries et
est l’amour. Mais Foucault n’était pas très intéressé par pleurent ensuite sur leur douleur. Cela ne vous rap-
cela. Ses disciples non plus. Et c’est un fait éloquent. pelle-t-il pas un certain type de personnes aujourd’hui?
Le problème des personnes qui se complaisent dans
PHOTOS : MARIO DONDERO/BRIDGEMAN IMAGES -
BRIDGEMAN IMAGES

le ressentiment, c’est qu’elles peuvent toujours trou-

ver d’autres personnes responsables de leurs maux. Il
y a toujours quelqu’un ou quelque chose d’autre à blâ-
mer. Il peut s’agir d’un parent. Il peut s’agir d’un pro-
blème “structurel” de la société. Pourtant, le plus sou-
vent, le problème vient d’eux-mêmes. Comme le dit
Nietzsche, quelqu’un doit se tenir droit face à ces per-
sonnes et dire: “Oui, quelqu’un a ruiné votre vie — cette
personne, c’est vous.” Mais qui accepterait une telle
tâche? Pour ma part, je tenterais de le faire si l’occa-
sion devait se présenter.

Comment sauvegarder ce que nous sommes?

Marx et Foucault : l’un est raciste, l’autre pédophile Comme je le dis dans ce qui est mon chapitre préféré
mais ils sont absous par les “woke”. de ce nouveau livre, la réponse à toutes ces choses est

84 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 L’incorrect ESPACE DE LIBRES DÉBATS
Démantèlement d’une statue de Robert E. Lee à Richmond en Virginie (États-Unis), le 8 septembre 2021.
L’illustration de la haine de soi occidentale.
la “gratitude”. C’est la seule chose suffisamment pro-
fonde pour faire évoluer les gens loin du “ressentiment”.
Je crois qu’il est crucial que nous réalisions que le res-
sentiment est l’un des moteurs les plus profonds de l’es-
prit humain, même si celui-ci est parfois déformé. Il
doit être contré par quelque chose d’aussi profond, et
je suggère que cette chose soit la gratitude. Regardez
toutes les choses dont nous avons hérité en Occident.
J’étais à Paris, tout récemment, pour la première fois
depuis trois misérables années. Le simple fait de se pro-
mener dans les rues de Paris fait naître — ou devrait
faire naître — un profond sentiment de gratitude. Regar-
dez ce qui nous a été donné. Regardez ce qu’on nous a
donné, ce qu’on nous a laissé, ce qu’on nous a confié,
ce dont nous devons nous montrer à la hauteur! Tout
cela pourrait être si différent.
J’ai grandi dans la paix, j’ai vécu la majeure partie
de ma vie dans la paix et j’ai dû me rendre dans d’autres
RYAN M. KELLY/AFP
endroits pour voir la guerre. Je vis dans un pays doté
d’un État de droit, d’une démocratie représentative,
d’une grande culture et de bien d’autres choses encore.
Je peux me plaindre des choses qui ne sont pas exac-
tement à mon goût en ce moment ou je peux avoir
une saine gratitude. Où est passé cet esprit ? Je crois
qu’il est parti en fumée sous l’impulsion de penseurs
comme Foucault et Marx. Mais je crois que nous pou-
vons le retrouver. Non seulement nous pouvons, mais
nous devons. •
Abattre l’Occident,
de Douglas Murray, L’Artilleur,
432 pages, 22 €.
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 85
 Forum des lecteurs

Gérald Darmanin
à Mayotte, où
l’immigration illégale
est un grave problème.
Un statut de seconde
zone pour les futurs
immigrés de travail ?

MINIMAIL

GREGOIRE MEROT/AFP
Henri Peter,
Paris
L’hommage de
Franck Ferrand
« Noël sans lui »
(votre numéro 4491-
4492) est émouvant L’immigration, oui, le sol français, mais avec des coûts et des
à plus d’un titre. mais à quel prix? conditions de travail du tiers-monde. Allons
Il évoque avec beau- Patrick Mandefield, Troyes au bout de ce raisonnement où l’économie
coup de pudeur et
de tendresse l’affec- L’immigration envahit une fois de plus l’ac-
domine! •
tion qui le lie à son tualité, et une fois de plus on a droit à des
père avec cette ajustements de nos lois (votre numéro 4490). La sémantique du Général
sublime citation de M. Darmanin propose d’admettre une immi- Bernard Zeller, Paris
Pagnol. Grâce à ces gration choisie pour remplir des emplois
lignes filiales, nous sous tension. Quelle belle idée! On fait l’éco- À propos de la phrase du général de Gaulle:
voyons combien nomie de correction des incohérences en « Ceux qui prônent l’intégration ont une cer-
l’exemple de son matière de formation des citoyens, d’adap- velle de colibri » (votre numéro 4491-4492),
père l’a inspiré, tation de l’organisation des secteurs concer- celui qui a défini les modalités de l’intégra-
et d’une certaine nés, ou de rendre les rémunérations et tion est Jacques Soustelle, dont on ne peut
manière nous conditions de travail acceptables. Ce que nos dire qu’il avait une cervelle d’oiseau. Il la dis-
voyons revivre citoyens n’acceptent plus serait donc parfait tingue de l’assimilation: « L’intégration n’abo-
cet homme, si probe pour des étrangers. Une honte pour le pays lit pas la personnalité algérienne. Elle la
dans sa vie. Le père, des droits de l’homme! respecte et la garantit. »
défenseur naturel L’économie domine donc une fois encore. De retour au pouvoir, son dessein étant
de son fils. Le fils, Alors, allons au bout du raisonnement… La de se débarrasser de l’Algérie, de Gaulle a
comme Énée, sauve France a besoin de se réindustrialiser; or, banni le terme “intégration” de son lan-
aussi son vieux père dans ce monde où la production circule sans gage et a utilisé celui de “francisation”
des dévastations du barrières, notre industrie est éliminée à cause dans son discours de 1959 sur l’autodéter-
temps. Bel exemple des coûts trop élevés de notre main-d’œuvre. mination. C’était l’une des options propo-
de piété filiale pour M. Darmanin, allez au bout de votre superbe sées aux habitants d’Algérie, option qui a
notre temps… idée ! Créons un statut spécial d’immigrés disparu progressivement. La francisation
permettant de payer des salaires et des porte l’idée d’effacement des spécificités
charges conformes à leurs pays d’origine. algériennes — terme choisi pour provo-
Ainsi on pourra rapatrier des industries sur quer le rejet des Arabes et des Kabyles. Puis

86 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 Forum des lecteurs
ce terme a été remplacé par “domination
directe”.
L’évolution sémantique, parallèle à celle du
statut — Algérie française, Algérie dans la
communauté française, Algérie liée à la France,
Algérie algérienne, République algérienne —,
a détourné les populations de la France. La
majorité arabo-kabyle s’est tournée vers le
FLN, aux arguments tranchants et à l’objec-
tif clair: l’indépendance totale. Soixante ans
plus tard, Colombey-les-Deux-Églises a gardé
MINIMAIL son nom, mais à Bar-sur-Aube, à 15 kilomètres,
Colette il y a deux mosquées dont l’une est située… 10,
de Luze-Fontanié, rue du Général-de-Gaulle. Et Chaumont, à
Saint-Jean
Votre numéro 4490
25 kilomètres, compte trois mosquées. • Madelin. Quiconque a subi la Safer dans sa
indique un délai
de cinquante jours Quand les médicaments
pour obtenir un ren- manquent…
dez-vous chez un Jean-Paul Coutié, Paris
cardiologue. J’atten-
drai, sauf incident L’amoxicilline est l’antibiotique le plus pres-
cardiaque, le 24 juil- crit et le plus vendu en France. Permettant
let pour un rendez- de soigner les infections des principaux
vous pris début organes, et en particulier des poumons, il
novembre. Vive figure sur la liste des médicaments essen-
la France! Les clan- tiels de l’OMS. Pour une infection pulmo-
destins gentiment naire, j’ai dû faire six pharmacies pour en
accueillis sur trouver. Dans les cinq premières, la réponse
nos côtes sont plus a été la même: “On n’en a plus et si on le com-
chanceux: ils sont
examinés, soignés
mande, on n’est pas sûr d’en avoir, donc si
vous pouvez essayer d’en trouver ailleurs, ce
immédiatement sera plus sûr.” La sixième pharmacie, plus
et gratuitement, prévoyante, avait constitué des stocks dès
avant de disparaître les premières tensions sur le marché.
dans la nature. Ces tensions, qui existent depuis plus
d’un an (votre numéro 4490), sont deve-
nues des ruptures d’approvisionnement sans
que le gouvernement ou l’Agence nationale
de sécurité du médicament et des produits
de santé bougent le petit doigt, ou presque!
Le principe actif de ce médicament est pro-
duit en Chine, comme 80 % des principes
actifs de nos médicaments, qui viennent de
Chine ou d’Inde. L’approvisionnement de
3 000 médicaments est ainsi sous tension.
Depuis la gestion désastreuse du Covid,
Macron nous parle de relocalisation ; en
voilà une qui s’impose! Il y a beaucoup d’an-
nonces médiatisées, mais rien de concret
ne se décide. Adolphe Thiers disait : « Gou-
verner c’est prévoir. » On peut se deman-
der si nous sommes encore gouvernés ! •
Les drôles d’affaires
de la Safer
Anne Paschal, Paris
J’ai lu dans votre numéro 4489 le droit de
réponse de la Safer à l’article de Marie de Greef-
vie sait que les motivations d’origine sont
dévoyées et relèvent plutôt du copinage que
de la défense de la veuve et de l’orphelin.
Ainsi ma mère a-t-elle souhaité vendre, il y
a trois ans, 10 hectares de bonnes terres à
son petit-cousin et voisin, jeune agriculteur
de 25 ans en cours d’installation.
Nous nous sommes beaucoup investis dans
ce projet humain et d’avenir. Or, dès la signa-
ture de la vente chez le notaire, la Safer a
préempté la parcelle. Nous apprendrons peu
après qu’elle a été attribuée à un agriculteur
très proche de la retraite, sans besoin objec-
tif mais surtout administrateur de la Safer
locale. Les bons mots ne font pas les bonnes
actions. •
Le cardinal Sarah
a tout compris
Louise de Tréfalc, Sougé
Les paroles du cardinal Sarah (votre
numéro 4491-4492) ont su me toucher, notam-
ment: « Toute la civilisation européenne est
pétrie de christianisme. Par un curieux phé-
nomène, l’Occident semble vouloir renier son
identité. » Hormis les asservisseurs de
conscience et fossoyeurs de la France que
sainte Jeanne d’Arc, patronne de la France,
missionnée par Dieu en faveur du roi légi-
time, classerait sans langue de bois parmi •
5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 87
 Forum des lecteurs

Le cardinal Sarah. tement dépassés puisque le woke vise à la

VANDEVILLE ERIC/ABACA
“Toute la civilisation création d’une nouvelle société dont le direc-
européenne est pétrie teur serait le dieu Terre en remplacement
de christianisme.” du Dieu des chrétiens qui, par les Évangiles
notamment, nous a permis d’arriver à la
société morale dans laquelle nous vivions
encore il y a soixante ans.
les “Français reniés”, nous en souffrons tous. Le communisme s’est effondré, la Russie
Valérie Pécresse ne disait-elle pas, le 13 février est retournée au christianisme orthodoxe.
2022, au Zénith de Paris: « Je ne veux plus Mais alors, faut-il que la société du dieu
qu’aucun Français baisse les yeux, rase les Terre arrive au pouvoir avant de s’effon-
murs »? Depuis l’avènement des Lumières, les drer elle-même pour revenir aux bases,
catholiques doivent baisser les yeux et raser même laïques, du catholicisme moral que
les murs en France! Feu Pierre Bénichou osa nous avions ? Le communisme a duré
MINIMAIL dire, en observateur des persécutions des soixante-treize ans en Russie. Personnel-
catholiques dans cette République prétendu- lement, je souhaite que l’on trouve une
M.-B. Giffard,
Nantes
ment pour la liberté de culte: « Si j’étais catho-
lique, mais je deviendrais fou! »
autre solution avant celle-ci. •
Merci à Dimitri À la racine du constat cardinalice, il faut
Casali pour sa tri- pointer l’incohérence intellectuelle entre foi L’addiction aux slogans
bune sur la franco- et adhésion à la république anticléricale, en Bernard Fourquet, Nantes
phonie et son actua- clair, anticatholique, donc évidée de neutra-
lité en Louisiane lité de l’État, à l’inverse de l’adhésion à la Le gouvernement nous assomme de slogans
dans votre monarchie indestituable dans le cœur des lénifiants: manger cinq fruits et légumes par
numéro 4490; Français, protectrice par le serment du sacre jour, faire sa lessive aux heures creuses,
ce n’est qu’une prêté par le roi dans le saint des saints de la consommer vin et alcool avec modération…
goutte d’eau dans cathédrale de Reims. La République apprend Ce dernier leitmotiv est repris obligatoire-
l’océan, mais ô com- aux enfants la haine de soi par la haine de ment et servilement par les grands médias
bien nécessaire! nos rois et des catholiques, au prix de la (Arcom oblige) dès qu’un sujet touche de
Le président Chirac
avait poussé en ce
manipulation de l’histoire. • près ou de loin le terroir, la gastronomie, et
que le mot “vin” est prononcé (la belle affaire:
sens avec Denis Til- c’est notre art de vivre!).
linac mais ça n’avait Le “wokisme”, Je propose que la même ardeur pavlo-
pas duré… Puisse nouveau communisme? vienne impose un slogan chaque fois que
Dimitri Casali ou un Jean-Pierre Barbot, Cagnes-sur-Mer le mot “drogue” est prononcé… Les faits
autre avis autorisé divers et les discours de ministres donnent
alerter quant à J’ai été très intéressé par les articles de votre des occa sions quot id ien nes (vot re
l’importance de numéro 4489 concernant le “wokisme”, mot numéro 4490) ! Il faudrait faire suivre le
la langue, qui porte auquel j’avais du mal à attribuer une défini- mot “drogue” de la phrase : “À ne consom-
l’esprit de la nation. tion. Merci d’avoir éclairé ma lanterne! La mer sous aucun prétexte !” L’efficacité n’est
comparaison avec le communisme est inté- pas prouvée mais, après tout, ce serait
ressante: lui aussi visait à créer une société mieux que rien et surtout cela donnerait
dédiée au personnel ouvrier, société qui s’est
transformée en dictature.
au moins bonne conscience. •
Nous n’en sommes pas encore là. Diderot
et son “bon sauvage”, qui peuvent apparaître Écrivez-nous par courriel à
comme base de ce mouvement, sont complè- lecteurs@valeursactuelles.com

88 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023

 LA LETTRE DE M. DE RASTIGNAC

Lumière romaine

S C’
i c’est de la politique, mon cousin, c’est la forme la
plus haute et la plus mystérieuse. À l’heure où j’écris
cette lettre, la place Saint-Pierre prie, en silence, pour
se recueillir dans la basilique. Je ne suis pas à Rome
mais reviennent en mon esprit ces années durant les-
quelles je m’installai plusieurs fois
par an au bord du Tibre.
C’était du temps de Grégoire XVII
et de Grégoire XVIII, son succes-
seur qui vient de nous quitter.
J’avais découvert en arpentant les
couloirs du palais pontifical la
beauté énigmatique de cette
monarchie. Ici, la redingote noire
que Paris connaît pour seul uni-
forme est une exception. La garde
suisse porte un costume dessiné,
dit-on, par le peintre Raphaël, et
le jaune et bleu de leurs manches
répond au violet des monsignori,
au rouge des cardinaux, au blanc
dominicain ou pontifical. Sur les
murs se déploient Saint-Pierre en
prison, Constantin à la bataille du
Pont-Milvius et les saints qui
semblent sortir des murs dans
cette salle où se tenaient autrefois
les consistoires secrets.
Décors, costumes, antichambres,
murmures, tout, même ce qui tient de la vie profane, est
liturgie. Ici les jeux de l’ambition et du pouvoir sont aussi
fins, discrets, qu’ils sont criards dans nos assemblées.
Quand nos comploteurs prennent une corde à nouer autour
du cou de leurs ennemis, les prélats n’utilisent qu’un fil de
soie. Pour le reste, l’âme humaine est la même à Paris, à
Rome ou au Monomotapa. Il suffit de flâner sous les magni-
fiques voûtes de Pinturicchio dans les appartements
d’Alexandre VI pour se souvenir que l’histoire des hommes,
toujours et partout, n’est qu’une cataracte de turpitudes.
Dans cette nuit, quelques flammes vacillent. Grégoire XVIII
en était une qui éclairait et réchauffait plus que les autres.
Intelligence lumineuse, éloquence douce, discrétion, déli-
catesse, tout chez lui se distinguait de la grossièreté des
appétits, du fracas des vanités.
Martial Kropoly: ancien chef de l’État.
est pour cela qu’il fascinait les ministres, les pré-
sidents, les rois, les reines qui venaient s’incliner
dans son bureau. Il faut entendre Martial Kropoly
évoquer ses rencontres avec Grégoire XVIII pour com-
prendre qu’un souverain pontife est plus encore qu’un
prince. « Le pape ne connaît pas
sa chance, disait-il drôlement, il
lui suffit d’une élection pour régner
jusqu’à la fin. Ensuite il peut gou-
verner sans se soucier ni des modes
ni des indignations de circons-
tance. » Surtout, poursuivait-il,
le pape porte avec lui la légende
des siècles et ce mystère d’une
onction qui vient à la fois de la
terre et du Ciel.
Je me souviens aussi de ce jour
où Grégoire XVIII avait prononcé
une conférence devant le Tout-
Paris. Il y avait là les plus belles
intelligences, les carrières les
plus éclatantes. Ce jour-là, Gré-
goire XVIII avait montré une élo-
quence angélique. En sortant,
ces esprits alertes, ces grands
bavards en étaient muets de stu-
peur. Ils étaient comme embar-
rassés, désemparés devant une
telle profondeur. Ils préféraient
donc se taire plutôt que de dire une bêtise. Pas un
aujourd’hui n’a oublié cette journée et tous se vantent
encore d’avoir fait partie de la confrérie qui a entendu
la leçon d’un souverain pontife.
A vec tout ce qui est romain, il en va de même. Les gan-
dins, les sous-ministres, les Scapin devenus impor-
tants jouent les esprits forts dès qu’apparaît une sou-
tane mais quand ils se trouvent pris dans les bras immenses
de la colonnade du Bernin, quand ils assistent à la proces-
sion des cardinaux, quand ils lèvent les yeux pour admi-
rer les voûtes palatiales, leur morgue devient timidité. De
ces visites, ils conservent ensuite un souvenir que l’on
retrouvera, souvent enjolivé, dans leurs Mémoires. En poli-
tique, mon cousin, tous les chemins passent par Rome… •

5 janvier 2023 — VALEURS ACTUELLES — 89

 MON GRAIN DE SEL
Par Franck Ferrand
La France ou les Français?
Et si les facilités prises depuis un quart de siècle n’étaient qu’un tribut
à tous les sacrifices de l’après-guerre?
D
ans ma jeunesse, j’ai cru devoir lutter contre l’idée
d’une France qui, en 1940, se serait mal battue.
Jusqu’à mettre en avant, dans mes récits, ces traits
d’héroïsme qui, lors de l’invasion allemande, avaient
sauvé l’honneur. Jusqu’à rappeler aussi les
90000 morts, côté français, de l’offensive de mai-juin…
Je n’en restais pas moins conscient de ce que Marc Bloch
avait appelé l’étrange défaite, et ne pouvais oublier ce que
mon grand-père, embarqué par les Anglais à Dunkerque,
m’avait raconté de l’inorganisation de notre commande-
ment, certes, mais aussi du peu d’ardeur au combat de
nombre de ses camarades.
Un ouvrage publié, chez L’Harmattan, par Jean-François
de Vulpillières remet incidemment les pendules à l’heure
— “incidemment”, car son propos réside plutôt dans
la Prise de pouvoir par le général de Gaulle (1940-1944).
Les pages qui m’ont le plus captivé — peut-être par l’effet
d’un triste écho — n’en concernent pas moins la débâcle.
Sans ambages, l’auteur appelle un chat, un chat et un
désastre, un désastre. Citant quantité de témoins de pre-
mière main, il ose rappeler qu’un quart de siècle après le
cataclysme de la “der des ders”, le peuple français ne vou-
lait plus, en son âme et conscience, s’en aller mourir pour
la patrie. La vérité, nous dit l’auteur, c’est qu’au moment de
la percée de Sedan, la France, sauf exception, ne s’est pas
vraiment défendue jusqu’au bout. D’où peut-être, après le
succès cher payé de 1918, le malheur vite accepté de 1940…
Il a été facile, sous Vichy puis lors de la Libération, de
désigner des coupables au sein de l’état-major et de poin-
ter du doigt certains responsables publics de la calamité.
Mais qui peut affirmer que la population elle-même n’a
pas joué les pousse-au-crime, en cette affaire, et rendu
impossible le miracle qu’elle feignait d’espérer? Le prix
de la Grande Guerre avait paru trop élevé aux Français
pour qu’ils repoussent, à une génération d’écart, un nouvel
assaut d’outre-Rhin.
BARBARA VIOLLET
Toutes proportions gardées, un constat du même ordre
doit pouvoir être dressé quant à notre actuelle chute éco-
nomique. Un quart de siècle après les “Trente Glorieuses”,
90 — VALEURS ACTUELLES — 5 janvier 2023
l’effort de la reconstruction a dû paraître trop coûteux
aux Français, pour ne pas les conduire à se ménager un
peu… D’où ces démissions en cascade qui, dans les décen-
nies 1980 et 1990, ont fini par nous affaiblir.
Nous ne cessons — moi le premier — de reprocher à nos
présidents et à nos ministres cette facilité qui vise, par l’as-
sistanat, à pousser les gens dans leurs pires penchants. Mais
les premiers coupables ne sont-ils pas à chercher parmi les
bénéficiaires de ces mesures, pré-
LES PREMIERS férant leur confort personnel à
une victoire collective?
COUPABLES
NE SONT-ILS PAS
CEUX PRÉFÉRANT
LEUR CONFORT
PERSONNEL
À propos de cette France dont
« une certaine idée » n’aura
cessé de l’obséder, Charles
de Gaulle a forgé, dans l’incipit des
Mémoires de guerre, quelques
À UNE VICTOIRE phrases fameuses. « J’ai d’instinct
l’impression que la Providence l’a
COLLECTIVE ? créée pour des succès achevés ou
des malheurs exemplaires, écrit-il notamment, ajoutant: S’il
advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et
gestes, j’en éprouve la sensation d’une absurde anomalie,
imputableauxfautesdesFrançais,nonaugéniedelapatrie.»
En distinguant de la sorte un pays concret, faillible, et
un pays éternel, infaillible, le chef de la France libre désa-
vouait d’avance tous ceux qui, parmi ses successeurs,
devaient prétendre « aimer les Français plus que la France ».
De Gaulle se fichait pas mal de ces Français qu’il jugeait
veules et versatiles; en revanche il plaçait la France, en
son principe, au-dessus de tout.
Comme lui, j’aurais tendance à me lamenter des « fautes
des Français » — elles sont tellement criantes — et à m’ac-
crocher au « génie de la patrie » — nourrissant mon espé-
rance. Comment protéger la France des Français? Telle
pourrait être, pour conclure, la question à se poser… Pas
certain qu’elle soit, politiquement, très correcte. •
Retrouvez Franck Ferrand raconte sur Radio Classique,
du lundi au vendredi, à 9 heures.
VOS IDÉES, PARTOUT.
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© Ugo Mickaelian
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