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Généalogie polit ique de la psychologie. Une lect ure du cours de Michel


Foucault Du gouvernement des vivant s (Collège de France, 1980)

par Jean-Michel LANDRY

| Presses de Sciences Po | Rai sons poli t iques

2007/ 1 - N° 25
ISSN 1291-1941 | ISBN 2-7246-3077-0 | pages 31 à 45

Pour cit er cet art icle :


— Landry J.-M., Généalogie polit ique de la psychologie. Une lect ure du cours de Michel Foucault Du gouvernement
des vivant s (Collège de France, 1980), Raisons polit iques 2007/ 1, N° 25, p. 31-45.

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dossier
JEAN-MICHEL LANDRY

Généalogie politique
de la psychologie. Une lecture
du cours de Michel Foucault
Du gouvernement des vivants
(Collège de France, 1980) 1

Ce que vous êtes dit-elle...


Et, en disant ces mots, elle semblait
danser autour de lui et le pousser
en le fuyant dans un piège à loup imaginaire.
Maurice Blanchot (Thomas l’obscur)

P
COLLÈGE DE FRANCE entre janvier et
RONONCÉ AU
mars 1980, le cours intitulé Du gouvernement des
vivants apparaît comme la pièce manquante du
puzzle foucaldien. Encore inédites à ce jour, les onze leçons dispen-
sées cette année-là devaient initialement servir de socle théorique à
l’ouvrage annoncé comme le quatrième tome de l’Histoire de la
sexualité, sous le titre Les aveux de la chair. Or cet ouvrage, on le sait,
ne sera jamais publié – bien que son manuscrit fut décrit par l’éditeur

1. Ce texte prend appui sur une transcription intégrale de l’enregistrement du cours « Du


gouvernement des vivants » réalisée entre le 14 et le 18 juin 2005 à l’IMEC (Institut
Mémoire de l’édition contemporaine) dépositaire du fond Michel Foucault.

Raisons politiques, no 25, février 2007, p. 31-45.


 2007 Presses de Sciences Po.
32 – Jean-Michel Landry

comme la clé de voûte de toute l’Histoire de la sexualité 2. Dans ces


circonstances, on mesure tout de suite la valeur que renferment les
leçons de 1980 : valeur exégétique, tout d’abord, car le contenu de
ce cours éclaire d’un nouveau jour la trajectoire philosophique de
Foucault, et plus spécifiquement le mouvement de pensée qui l’a
conduit à recentrer son activité sur la période antique.
Mais par-delà l’incontestable intérêt qu’elles suscitent chez
l’exégète, ces leçons recèlent une autre valeur, résolument politique
celle-là : le cours prononcé en 1980 s’attache à retracer les fonde-
ments historiques de « notre obéissance », laquelle doit être
entendue comme l’obéissance constitutive du sujet occidental. Ces
fondements, Michel Foucault en perçoit la trace à travers les liens
qui se nouent entre l’obéissance et l’aveu chez les premiers chrétiens.
Il ira jusqu’à soutenir, lors de la dernière séance, que le mouvement
par lequel le sujet recherche et révèle ce qu’il est constitue en lui-
même l’un des principaux ressorts de son obéissance 3. Pour en
arriver là, Foucault procède méticuleusement : il avance pas à pas,
repère les failles, les craquelures, reste attentif aux moments de crise,
de réorganisation afin d’établir une « généalogie » de l’aveu qui
constitue une véritable généalogie de l’interrogation psychologique.
C’est ainsi qu’il s’appliquera à déboulonner l’injonction « qui es-
tu ? » de son piédestal moderne en vue de la faire apparaître, dans
toute sa fragilité et sa contingence, comme une innovation de
l’Occident chrétien destinée à garantir l’obéissance des hommes.
Le présent texte n’a pas l’ambition de livrer l’essentiel du cours
Du gouvernement des vivants. Il ne commet pas non plus l’impru-
dence de prétendre en exposer les lignes directrices, tant le cours
est riche en intuitions et en pistes de recherche. L’objectif de cet
article est plutôt de relever les quelques points d’articulation néces-
saires pour apprécier la profondeur de la critique que Foucault
adresse à la psychologie lorsque, concluant son année d’enseigne-
ment, il affirme : avouer, chercher à connaître et à livrer la vérité

2. Didier Éribon, Michel Foucault, Paris, Flammarion, 1991, p. 347.


3. On doit à Frédéric Gros les premiers écrits sur le traitement du problème de l’obéis-
sance à l’intérieur du cours Du gouvernement des Vivants. Frédéric Gros, « Introduc-
tion », in Frédéric Gros et Carlos Lévy (dir.), Foucault et la philosophie antique, Paris,
Kimé, 2004 ; F. Gros, « Situation du cours », in François Ewald et Alessandro Fontana
(dir.), L’herméneutique du sujet. Cours au Collège de France. 1981-1982, Paris, Galli-
mard/Seuil, coll. « Hautes Études », 2001, p. 489-526 ; F. Gros, Michel Foucault, Paris,
PUF, coll. « Que sais-je ? », 1996 ; F. Gros, « Le gouvernement de soi », Sciences
humaines, no spécial Foucault, Derrida, Deleuze : pensées rebelles, no 3, mai-juin 2005,
p. 34-37.
Généalogie politique de la psychologie – 33

sur soi-même, équivaut à se soumettre. Cet énoncé, bien qu’il se


rapporte au christianisme primitif, concerne la psychologie au pre-
mier chef. Car l’aveu, c’est connu, est la pierre angulaire de l’inves-
tigation psychologique : à la manière du chrétien, le sujet de la
psychologie est sommé d’examiner et de verbaliser ses pensées pour
accéder à ce qu’il est. En révélant les ruses de l’aveu chrétien, Fou-
cault soulève l’enjeu politique de l’interrogation psychologique. Son
enquête généalogique, en effet, mérite d’être replacée dans ce cadre
– nous reviendront sur ce point.

Écrire l’histoire politique de la vérité

Dans le résumé de cours qu’il rédigeait annuellement pour


l’Annuaire du Collège de France, Foucault précise l’interrogation
qui surplombe l’ensemble des leçons prononcées en 1980 :
« comment se fait-il que, dans la culture occidentale chrétienne, le
gouvernement des hommes demande de la part de ceux qui sont
dirigés, en plus des actes d’obéissance et de soumission, des “actes
de vérité” qui ont ceci de particulier que non seulement le sujet est
requis de dire vrai, mais de dire vrai à propos de lui-même 4 ? »
Cette question, inoffensive a priori, deviendra entre les mains Fou-
cault un levier efficace pour faire apparaître la précarité du mode
de gouvernement que le christianisme nous a légué. Si tel est bien
l’ambition initiale, il importe cependant de noter que celle-ci s’ins-
crit à l’intérieur d’un projet plus ample : tracer l’histoire du pouvoir
de la vérité en s’attardant au rapport que celle-ci entretient avec les
divers actes de subjectivation (connaissance de soi, exercice de soi,
transformation de soi). Dès l’ouverture du cours, Foucault souligne
que le propos qu’il tiendra représente le segment d’une vaste fresque
destinée à dépeindre l’histoire politique de la vérité.
Si le projet d’ensemble paraît colossal, le segment auquel Fou-
cault consacrera ses onze leçons annuelles revendique, quant à lui,
une portée plus précise. L’objet du cours, le fil conducteur au moyen
duquel il exhumera quelques-unes des racines de l’obéissance occi-
dentale, c’est bien sûr l’acte d’aveu. Mais, plus exactement, on dira
que c’est l’émergence et le développement progressif des « actes de

4. M. Foucault, « Du gouvernement des vivants », Dits et Écrits, Paris, Gallimard, 1994


[1980].
34 – Jean-Michel Landry

vérité réflexifs 5 » – dont l’aveu représente la forme actuelle – qui


constitue le véritable fil rouge des leçons de 1980. Et puisque
aucune histoire ne s’écrit ex nihilo, Foucault captera celle de l’aveu
et de ses prémices à l’intérieur d’un cadre précis : celui des premières
institutions chrétiennes. Très rapidement le cours prend donc
l’aspect d’un récit méticuleux ayant pour objet les bifurcations, hési-
tations et cahotements qui ont rythmé le long parcours du discours
sur soi à l’intérieur des institutions du christianisme primitif, entre
les 2e et 5e siècles de notre ère. C’est au fil de ce récit, ou plutôt à
travers la succession des discontinuités qui le traversent, que Fou-
cault tentera d’éclairer la manière dont « l’homme occidental s’est
lié à l’obligation de manifester la vérité de ce qu’il est 6 ».
D’un bout à l’autre, donc, les leçons de 1980 demeurent rigou-
reusement fidèles à la méthode d’analyse dite « généalogique ». Sur
le plan théorique, en revanche, le cours donne lieu à d’importants
remaniements. D’entrée de jeu, Foucault spécifie qu’il a modifié son
approche : cette fois-ci, il n’entend pas aborder les actes de vérité à
travers l’habituelle grille « savoir/pouvoir » 7. À celle-ci, il entend
substituer le doublet « gouvernement/vérité », jugé plus opératoire.
Pour justifier pareil déplacement, Foucault argue que la vérité révélée
par l’entremise des premières formes d’aveu excède amplement la
somme des connaissances nécessaires et utiles à l’exercice du pouvoir.
Entre vérité et gouvernement se noue un rapport irréductible à la
relation d’utilité qui prévaut entre le savoir et le pouvoir. Pris sous
cet angle, le cours Du gouvernement des vivants apparaît comme une
occasion pour Foucault de montrer que les attaches historiques qui
relient l’exercice du pouvoir et les manifestations de vérité sont lar-
gement antérieures à l’apparition de l’État moderne 8.

En somme, le schéma du cours correspond aux trois princi-


pales discontinuités identifiées par Foucault dans l’histoire du
discours sur soi, telle qu’elle se déploie entre le 2e et le 5e siècles :

5. Par « actes de vérité réflexifs », Foucault désigne les formes de manifestation de vérité
à l’intérieur desquelles l’individu est appelé à formuler un discours vrai sur lui-même.
6. Cours du 6 février 1980.
7. Cette approche est celle qui guida l’enquête philosophique entreprise à l’occasion du
premier tome de l’Histoire de la sexualité. M. Foucault, La Volonté de savoir, Paris,
Gallimard, 1976.
8. Au sujet des tout premières liens qui se tissent entre l’exercice de pouvoir et les obli-
gations de vérité, on lira avec profit : M. Foucault « “Omnes et singulatim” ; vers une
critique de la raison politique », Dits et Écrits, op. cit. et M. Foucault Sécurité, territoire
et population Cours au Collège de France. 1979-1980, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.
Généalogie politique de la psychologie – 35

(a) les modifications apportées par Tertullien aux procédures bap-


tismales ; (b) l’instauration de la pénitence canonique ; (c) l’appa-
rition de la direction de conscience chrétienne.

Redéfinition du baptême par Tertullien – Émergence de l’âme


comme objet de connaissance

Au dire de Foucault, les prémices de l’aveu sont solidaires


d’une certaine « inflexion » prise par le christianisme au tournant
des 2e et 3e siècles. Cette inflexion résulterait en fait d’une série de
modifications introduites dans l’économie des procédures baptis-
males, sous l’impulsion de Tertullien 9. Si Foucault amorce ainsi sa
longue généalogie, c’est qu’à ses yeux l’institution baptismale cor-
respond au premier rapport établi entre la manifestation indivi-
duelle de vérité et la rémission des fautes. Déjà sous sa formule la
plus fruste, le baptême prévoyait une préparation durant laquelle
un enseignement était livré aux postulants. Chacun de ceux-ci devait
alors faire sien un certain nombre de vérités qu’il sera appelé à
exprimer par la suite, lors de la « profession de foi ». Ce n’est, dira
Foucault, qu’une fois la vérité solidement ancrée à l’intérieur du
sujet que les fonctions baptismales de purification des fautes pou-
vaient prendre fonction. Le baptême marquait alors l’appartenance
du baptisé à Dieu, lui offrait une seconde naissance et, enfin, le
plaçait dans la lumière en purifiant son âme 10.
Au seuil du 3e siècle, le jeu des rapports entre « purification »
et « vérité » sera entièrement repensé. Cette réorganisation, pré-
sentée comme un événement majeur dans l’histoire de la subjecti-
vité en Occident, procède en fait de la vaste refonte des procédures
baptismales amorcée sous l’influence de Tertullien. Ce qui intéresse
Foucault ici, ce qu’il voit apparaître derrière cette refonte, ce sont

9. Tertullien (160 env.-env. 225) est considéré comme le premier des grands théologiens
et le principal protagoniste de la conversion du monde latin au christianisme. Foucault
fait référence à ses écrits sur le baptême (De Baptismo) et sur la pénitence (De Patientia).
Tertullien, Traité du Baptême, Paris, Éd. du Cerf, 1952 ; Tertullien, La pénitence, Paris,
Éd. du Cerf, 1974.
10. Foucault, ici, se réfère au texte de la « Didascalie » qui correspond à l’enseignement
des douze apôtres et de leurs disciples. Dans le résumé rédigé pour l’Annuaire du
Collège de France (op. cit., note 3), il renvoie à l’édition suivante : Constitutions
apostoliques. Didascalie, c’est-à-dire l’enseignement catholique des douze apôtres et des
saints disciples de Notre Sauveur (trad. abbé F. Nau), Paris, Firmin Didot, 1902.
36 – Jean-Michel Landry

les toutes premières racines du processus par lequel l’homme occi-


dental parviendra à se reconnaître et s’éprouver comme « objet de
connaissance ». Mais avant d’en arriver là, Foucault insiste sur la
nécessité historique à l’origine de ce remaniement : les efforts de
Tertullien étaient selon lui dirigés contre un certain nombre de
sectes qui contestaient alors l’efficacité du baptême – les gnostiques,
entre autres. Il souligne aussi qu’au moyen de ses écrits, Tertullien
cherchait à déraciner une série d’« attitudes négatives » qui se pro-
pageaient au sein des institutions chrétiennes à ce moment-là. Cer-
taines de ces attitudes entraînaient les postulants à négliger les
repentirs et les autres formes de corrections sous prétexte que le
baptême, quoi qu’il arrive, les purifiera de leurs fautes. Afin de
contrer cette inobservance, ainsi que pour contenir l’influence gnos-
tique, Tertullien fera subir au baptême une profonde mutation.
À l’intérieur de cette mutation, Foucault distingue trois ordres
de modification. D’abord un premier déplacement qui conduira la
préparation au baptême à remplir, non plus une vocation d’appren-
tissage et d’initiation à la Vérité, mais une fonction de purification.
Le postulant deviendra ipso facto l’opérateur de sa propre purifica-
tion puisque, devant Dieu, il devra désormais se montrer purifié.
Plus généralement, Foucault montre qu’au fond c’est toute l’insti-
tution baptismale qui obéit à une inversion des rapports entre puri-
fication et vérité : « Dans les systèmes précédents, c’était la vérité,
la constitution progressive du sujet de connaissance, qui assurait la
purification. Voilà maintenant qu’on demande que la purification
soit faite avant même le moment de l’illumination ; c’est, chez Ter-
tullien, la purification qui conduit à la vérité », et non l’inverse 11.
Parallèlement, et sous l’effet d’un second déplacement, on verra
Tertullien faire de la préparation au baptême le noyau dur de toute
la procédure baptismale. Le baptême prendra aussitôt l’apparence
d’une longue démarche de purification visant à conduire le postu-
lant jusqu’à la Vérité. Cette démarche, note Foucault, sera désor-
mais ponctuée d’une série d’exercices de maturation et de perfec-
tionnement destinés à vérifier la transformation de l’âme du
postulant tout au long de son cheminement vers le Vrai. Enfin,
troisième et dernier déplacement : Tertullien introduira, dans l’uni-
vers de pensée chrétien, l’idée selon laquelle Satan aurait pris place
dans l’âme de tous les hommes et ceci, depuis la chute originelle.

11. Cours du 13 février 1980.


Généalogie politique de la psychologie – 37

À l’avenir, le baptême aura donc pour fonction centrale de conjurer


l’élément satanique tapi au fond de l’âme du chrétien.
Sous le poids de ces trois déplacements, mais aussi grâce aux
nouvelles conceptions qu’ils véhiculent, on verra s’accomplir un
bouleversement majeur sur le plan de la représentation du baptême.
Grosso modo, le monde chrétien passe d’un baptême pensé comme
un apprentissage à un baptême calqué sur le modèle de l’épreuve.
Dorénavant, le baptême sera combat, gymnastique, ascèse et lutte
incessante pour déposséder Satan de son emprise sur l’âme humaine.
Il sera traversé par la crainte. Le baptême, dira Foucault, deviendra
avec Tertullien une véritable discipline de pénitence, c’est-à-dire un
labeur ininterrompu à seule fin de détourner l’âme du Mal et de
l’exercer à lutter contre les assauts insidieux du Malin. Cette révo-
lution complète dans la conception du baptême inaugure, selon
Foucault, un épisode absolument capital dans l’histoire des rapports
entre subjectivité et vérité en Occident. Car c’est précisément sur
cette nouvelle exigence de lutte continuelle tout au long du pro-
cessus qui conduit le postulant à la vérité que viendra s’épingler
une toute nouvelle procédure : « la manifestation de la vérité par
l’âme elle-même 12 ». Jusqu’à présent, le baptême exigeait de l’âme
qu’elle manifeste une vérité extérieure, enseignée lors de la prépa-
ration au baptême ; dorénavant, et ceci pour des raisons de lutte,
l’âme sera invitée à montrer « sa propre vérité » au fur et à mesure
que le postulant est initié à la Vérité. On assiste donc, selon Fou-
cault, à une forme d’entrelacement entre les rites d’initiation et les
procédures de manifestation de la vérité.
L’entrelacement en question trouvera son point de chute dans
le « catéchuménat ». En effet, la préparation baptismale qui rythme
le parcours des « catéchumènes » comporte une suite de procédures
visant « à authentifier, à vérifier, le processus de transformation de
l’âme que le baptême sanctionnera par la remise des fautes 13 ». Au
fil de sa lente progression vers la Vérité, le catéchumène sera invité
à manifester une vérité sur son âme, tout en précisant l’état de la
lutte qui s’y déroule. Avec l’instauration du catéchuménat, Foucault
voit l’âme placée dans un processus qui la constitue, non seulement
comme sujet de connaissance, mais également comme objet de
connaissance. Derrière l’impératif de Tertullien (« ne pas conduire
l’âme jusqu’à la vérité sans qu’elle ait payé, pour prix de cet accès

12. Cours du 20 février 1980.


13. Ibid.
38 – Jean-Michel Landry

à la vérité, la manifestation de sa propre vérité ») que le catéchu-


ménat reprend et fait fonctionner, Foucault discerne le germe du
processus qui conduira l’être humain à se percevoir comme objet
de connaissance possible 14. S’il faut attendre l’avènement de la péni-
tence canonique pour voir le processus d’objectivation de soi faire
l’objet de contraintes et d’obligations, on aperçoit néanmoins, sous
les retournements opérés par Tertullien, la naissance d’une possi-
bilité, celle de manifester une vérité sur soi. Plus tard, on verra cette
possibilité fournir à l’aveu son principe, et à la psychologie sa condi-
tion de possibilité.

Instauration de la pénitence canonique – Apparition de l’obligation


de vérité réflexive

La deuxième grande bifurcation sur laquelle s’attarde Foucault


est celle qui donnera naissance à la pénitence dite « canonique ». À
la différence des procédures baptismales, celle-ci s’adresse aux chré-
tiens qui, à la suite du baptême, ont souillé leur âme en commettant
un péché. Ici, Foucault montre que l’instauration de cette pratique
bouleversera de nouveau l’équilibre des rapports entre subjectivité
et vérité en même temps qu’elle marquera une rupture franche dans
l’histoire de la pénitence. Le catéchuménat, en effet, envisageait la
pénitence uniquement comme un ingrédient nécessaire à la prépa-
ration au baptême. Et puisque ce dernier ne pouvait être réitéré en
aucun cas, la possibilité d’une seconde pénitence demeurait rigou-
reusement exclue.
Avec la mise en place de la « pénitence canonique » s’ouvre
une nouvelle ère des pratiques pénitentielles. Une fois de plus, avant
de présenter le détail des déplacements introduits par l’avènement
du nouveau rituel, Foucault prendra soin de décrire la conjoncture
historique qui lui est sous-jacente. On apprendra que celle-ci est
marquée par l’avènement des « relaps », cette classe d’individus
ayant abjuré leur foi chrétienne sous le poids des persécutions et
rompu, par conséquent, leur rapport avec la vérité. C’est face au
problème posé par la multiplication des relaps que le christianisme
s’est vu contraint de redéfinir le problème de la rechute. Il dut, en
somme, poser la question suivante : « Qu’en est-il du sujet lorsque,

14. Ibid.
Généalogie politique de la psychologie – 39

ayant noué par le baptême son rapport fondamental à la vérité, il


a été déchu de ce rapport, lorsqu’il retombe individuellement dans
sa faute ; qu’en est-il [du sujet] quand il rompt avec la vérité 15 ? »
Le problème de la pénitence renvoie à un choix : déterminer si
l’acte qui sauve et illumine le sujet peut, oui ou non, se répéter.
En instaurant la pénitence canonique, le christianisme
offrira une réponse au problème soulevé par la multiplication des
relaps. En effet : l’introduction d’une forme de pénitence « post-
baptismale » autorisera désormais les pécheurs – les relaps, au
premier chef – à racheter leurs fautes et renouer du même coup
leur rapport à la Vérité. La pénitence canonique, toutefois,
n’agira pas comme second baptême : ne seront renouvelables que
les procédures de pénitence prévues au cours de la préparation
au baptême. Au reste, Foucault montre qu’entre la mise en place
de la pénitence canonique et l’avènement de la direction de
conscience, la pénitence post-baptismale ne sera offerte à chacun
qu’une seule fois. Cette seconde pénitence sera d’ailleurs lour-
dement encadrée : les pénitents formeront alors un ordre (paral-
lèle à celui des catéchumènes) ; ils seront soumis à divers inter-
dits et devront porter la marque de leur seconde pénitence toute
leur vie durant. Ce qui préoccupe Foucault ici, à l’intérieur de
l’austère cheminement imposé aux pénitents, ce sont une fois de
plus les innovations en matière d’actes de vérité. À ses yeux,
celles-ci marquent une nouvelle inflexion dans les rapports de la
subjectivité et de la vérité. Tout au long de son parcours péni-
tentiel, le chrétien sera maintenant pris en charge par un
ensemble de procédures qui le maintiendront dans l’obligation
de manifester régulièrement une vérité à propos de lui-même.
Certes, l’institution catéchuménale comportait, elle aussi, cer-
taines procédures relatives aux actes de vérité réflexifs. Ces pro-
cédures ne possédaient cependant pas « de statut propre 16 ». Elles
ne faisaient pas non plus l’objet d’une obligation et d’une régu-
larité. Avec la pénitence canonique, en revanche, on verra se
mettre en place toute une variété de techniques « destinée à
inviter, exhorter ou contraindre celui qui fait pénitence à mon-
trer sa propre vérité 17 ». À l’ensemble de celles-ci, le christia-
nisme donnera le nom d’« exomologèse ».

15. Cours du 27 février 1980.


16. Cours du 5 mars 1980.
17. Ibid.
40 – Jean-Michel Landry

Bien que l’exomologèse ne corresponde pas encore à un aveu


verbal, Foucault montre qu’elle désigne néanmoins la toute pre-
mière obligation de vérité réflexive, c’est-à-dire la première exigence
relative à la manifestation d’une vérité sur soi. À ce titre, l’exomo-
logèse représente une formation historique fort importante à l’inté-
rieur de la trajectoire des « actes de vérité réflexifs ». Non seulement
elle pave la voie à l’acte d’aveu, mais elle pose également les fon-
dements de l’injonction « dis-moi ce que tu es », dont la psychologie
a fait sa pierre d’assise. D’ailleurs, tout le cours de 1980 pourrait
être lu comme une lourde charge dirigée contre le statut atemporel
qu’on accorde à l’injonction de parler de soi. Cette charge, au
demeurant, ne se réduit pas à un travail de sape. Car l’enjeu ici
n’est pas une déconstruction nihiliste, mais plutôt un travail poli-
tique : si Foucault cherche à miner l’injonction d’aveu, c’est que
celle-ci est présumée porteuse d’effets de pouvoir. Elle est entrevue
comme une constante des formes de gouvernement occidentales et
comme une racine de l’obéissance. Historiciser pour mieux saper :
pas tout à fait. Historiciser pour mieux désarmer.

Organisation de la direction de conscience – Arrimage de l’aveu


et de l’obéissance

L’organisation de la direction de conscience marquera un troi-


sième tournant dans le développement historique des obligations
de vérité. Avec celle-ci apparaîtront les premiers procédés de ver-
balisation de soi. Mais avant d’en faire la description, Foucault
effectue d’abord un retour en arrière : il rappelle que ni les pratiques
liées au baptême, ni celles associées à la pénitence canonique n’exi-
geaient du sujet qu’il formule une vérité sur lui-même ; on ne lui
demandait pas de dire sa vérité, on lui demandait de la manifester.
Aucune de ces pratiques, en outre, n’obligeait le croyant à s’exa-
miner, ou encore à s’analyser. Bref, tout comme le catéchuménat
qui l’a précédée, l’exomologèse requérait du sujet une révélation de
vérité à l’intérieur de laquelle l’expression verbale était secondaire
et l’effort analytique absent. La verbalisation analytique de l’aveu
ne sera intégrée aux procédures de la pénitence canonique qu’entre
les 12e et 13e siècles.
Afin de suivre de plus près le développement des toutes pre-
mières pratiques d’aveu, Foucault déplacera légèrement son foyer
d’analyse. Détournant son regard des institutions baptismales et
Généalogie politique de la psychologie – 41

pénitentielles, il fixera son attention sur les rituels imposés à l’inté-


rieur des premiers monastères chrétiens. C’est là, dans ce qui
entoure la pratique de direction de conscience qui s’y développe au
4e siècle, que Foucault guettera l’avènement d’innovations relatives
à l’aveu. Il y observe tout d’abord l’émergence d’une pénitence
itérative, c’est-à-dire de procédés pénitentiels continuellement
renouvelables. Mais surtout il y repère un couplage inédit entre,
d’une part, des procédés de verbalisation de l’aveu et, d’autre part,
des techniques d’introspection et d’examen de soi. Ce couplage,
Foucault l’estime absolument capital : non seulement il accouchera
de la pratique de l’aveu exhaustif et permanent (l’« exagoreusis »),
mais il esquisse également le schéma de ce qui deviendra la subjec-
tivité de l’homme chrétien, et plus tard, de l’individu occidental.
La jonction opérée entre l’examen et la verbalisation de soi
répond bien sûr à des impératifs historiques précis. Et Foucault en
expose le détail : il fait remarquer qu’à l’origine, le monachisme
était destiné à lutter contre la vague de zèle qui perturba la pratique
ascétique chrétienne, entre le 3e et le 4e siècles. Par l’entremise de
l’institution monastique, on cherchait par-dessus tout à montrer
que le Salut ne réclame pas un état de perfection, mais plutôt un
travail de perfectionnement permanent. C’est dans cette intention
que Cassien 18 introduira l’impératif de « discrétion », lequel enjoint
les cénobites à éviter tout excès, sans pour autant faire relâche.
Toutefois, en raison des présences sataniques qui troublent l’âme
du chrétien, le moine demeurera strictement incapable d’atteindre
par lui-même l’équilibre ascétique qu’exige la « discrétion » monas-
tique. Puisqu’on soupçonne l’esprit du Mal de diriger vers l’âme
des pensées maléfiques camouflées sous les oripeaux du Bien, le
sujet chrétien ne pourra jamais être à lui-même son propre juge.
Dès lors que le Mal adoptera le mode de l’illusion, le rapport du
sujet à lui-même sera hanté par le soupçon. Entre lui et lui-même
se glissera l’espace d’un doute permanent. Si le cénobite ne peut
trouver en lui quelque chose comme une « juste mesure » répondant
à l’exigence de discrétion dans le travail de perfectionnement, c’est
qu’il reste, au fond de l’âme chrétienne, quelque chose de caché,

18. Jean Cassien (350 env.-apr. 432) s’est imposé comme un des principaux théoriciens
du monachisme. Foucault fait référence aux deux principaux ouvrages qu’on a de
lui. Institutions cénobitiques, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », no 109,
1965 ; Conférences, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Sources chrétiennes », t. 1, no 42, 1966,
t. 2, no 54, 1967, t. 3, no 64, 1971.
42 – Jean-Michel Landry

comme un secret dissimulé par l’illusion. Le sujet chrétien, dira


Foucault, est aveugle à lui-même.
Pour pallier à l’absence de discernement du moine et vaincre
l’illusion dont il est prisonnier, le monachisme ne verra qu’une
solution : contraindre le sujet à livrer chacune de ses pensées à un
directeur auquel il doit une obéissance inconditionnelle. De cette
nouvelle contrainte naîtra l’« exagoreusis » – entendue comme une
technique d’aveu visant à extérioriser sous la forme du discours tout
ce qui se cache dans le fond de l’âme. À propos de cette nouvelle
procédure de vérité, Foucault remarque trois choses. Il note tout
d’abord qu’en tant que monologue sur soi, l’exagoreusis suppose une
pratique d’introspection préalable : ce n’est, dira-t-il, qu’au prix
d’un examen et d’une vigilance permanente à l’égard de ses propres
pensées que le moine réussira à opérer un tri entre les idées satani-
ques et les idées divines qui parviennent jusqu’à lui. En second lieu,
il indique que l’exagoreusis aura pour cible, non pas les actes du
sujet, mais plutôt ses pensées. Ce qui sera en jeu, ce sont les mou-
vements imperceptibles de la pensée, sa « mobilité permanente 19 ».
Enfin, en troisième lieu, Foucault fait remarquer que la nouvelle
technique de verbalisation est indissociable du rapport d’obéissance
exhaustive qui relie le cénobite à son maître-directeur. L’aveu, non
seulement exige la présence d’un directeur, mais exige en outre, de
la part du moine, un assujettissement complet, permanent et incon-
ditionnel aux ordres de celui-ci. L’obéissance qui caractérise la direc-
tion de conscience requiert du sujet qu’il renonce fermement à sa
volonté. Ainsi, ce n’est que dans la mesure où l’exagoreusis s’articule
sur un rapport d’obéissance infinie que le chrétien peut échapper
à l’illusion du Malin et cesser d’être trompé par son examen solip-
siste. Pour cela, néanmoins, l’aveu doit se faire de manière récur-
rente et à chaque fois, aussi détaillé que possible.
Derrière les portes des premiers monastères, Foucault perçoit
donc un déplacement capital : l’arrimage de l’acte d’aveu sur un
impératif d’obéissance permanente. « Obéir en tout » et « ne rien
cacher » : désormais, ces deux principes formeront un bloc et par-
ticiperont d’une seule et même exigence. Cet arrimage, par ail-
leurs, introduira une rupture fondamentale entre la direction de
conscience chrétienne et son ancêtre, la direction philosophique

19. M. Foucault, « About the Beginning of the Hermeneutics of the Self », in Jeremy
R. Carrette (dir.), Religion and Culture, Michel Foucault, Manchester/New York,
Manchester University Press/Routledge, 1999, p. 158-182.
Généalogie politique de la psychologie – 43

antique. De fait, contrairement à la direction chrétienne, la direc-


tion antique demeurait provisoire, son rôle se limitant à accom-
pagner le dirigé jusqu’à ce qu’il parvienne à un stade d’auto-
nomie. Parallèlement, l’obéissance requise de la part du sujet
antique était de nature instrumentale : elle était limitée dans le
temps et subordonnée à une visée d’autonomie. Le cénobitisme,
selon Foucault, inversera en tout point le fonctionnement des
techniques de direction dont il a hérité : la direction chrétienne
sera permanente et, surtout, fera de l’obéissance, non plus un
moyen, mais une fin circulaire à elle-même (l’obéissance devant
engendrer l’obéissance). L’obéissance, dans le cadre du mona-
chisme, n’aura d’autre objectif que d’enraciner l’obéissance encore
plus profondément à l’intérieur du sujet.

L’aveu, ressort de l’obéissance

L’obéissance, on le voit, agit simultanément comme condition


et comme l’objectif de la direction de conscience chrétienne. À
mesure qu’il examine et verbalise ses pensées en vue d’échapper aux
fourberies du Malin, le cénobite se voit subrepticement placé dans
une position d’obéissance intégrale et permanente à l’égard de son
maître. Observons ce mouvement d’un peu plus près, car ici plu-
sieurs éléments s’entrecroisent. Foucault a d’abord montré que le
sujet chrétien est obscur à lui-même : l’accès à sa propre « vérité » est
traversé par le soupçon et verrouillé par la crainte d’être trompé par
Satan. Pour accéder à la « vérité » de ce qu’il est, le cénobite n’a
d’autre choix que de se plier à une autorité morale et lui vouer une
obéissance inconditionnelle. Autrement dit, le rapport herméneu-
tique que le chrétien entretient avec lui-même ne devient limpide et
déchiffrable que dans le cadre une relation de soumission. Le sujet
chrétien, dira Foucault, ne parvient à produire la vérité sur lui-même
qu’à condition de se soumettre et de renoncer à toute volonté.
Le dispositif politique camouflé derrière l’obligation de dire
vrai sur soi-même apparaît aussitôt dans toute sa nudité. Si l’on
enjoint le sujet à se connaître, si on l’oblige à dire ce qu’il est, c’est
bien parce que cette quête fera de lui un sujet soumis. En réclamant
de lui qu’il formule la vérité à propos de lui-même, on l’astreint à
une recherche qui ne peut être menée que depuis une position qui
l’assujettit. Puisque le rapport du sujet à sa « vérité » est médiatisé
par un Autre, et cet Autre exige soumission et dépendance. Derrière
44 – Jean-Michel Landry

l’aveu, il faut voir une technologie politique de l’obéissance. Et sous


cette représentation encore tenace selon laquelle il existe, au fond
de nous-mêmes, un point aveugle, secret, caché qui nécessite un
approfondissement continuel, il faut déceler les traces d’une lutte
et d’une volonté de soumettre et de contrôler le sujet. En début
d’année, Foucault s’interrogeait sur la singulière présence d’obliga-
tions de vérité et d’obéissance à l’intérieur de notre mode de gou-
vernement. La généalogie qu’il a tracée tout au long des onze leçons
offre à tout le moins un élément de réponse : c’est en exigeant
certains « actes de vérité » de la part des sujets que l’Occident chré-
tien a pu garantir les « actes d’obéissance » nécessaires au « gouver-
nement des vivants » 20. Point final de l’analyse : loin d’être immé-
moriale, l’injonction d’aveu a une origine, possède une histoire et
même une fonction politique, celle d’assujettir l’individu en l’enjoi-
gnant à arpenter les sables mouvants de sa propre « vérité ».
Le cours Du gouvernement des vivants n’est pas une leçon
d’histoire. En rouvrant les traités des premiers théologiens de l’ère
chrétienne, Foucault fait bien plus que révéler la veille mécanique
de l’aveu chrétien : il lève le voile sur un dispositif de pouvoir qui,
aujourd’hui, s’actualise à travers l’interrogation psychologique. La
psychologie, nous montre Foucault, n’est pas bien inventive. Elle
n’a fait que transposer, dans un cadre nouveau, le rapport qui s’est
noué entre l’aveu et l’obéissance dans les premiers monastères.
Tout comme le sujet chrétien, le sujet de la psychologie se perçoit
comme un texte à déchiffrer. Et puisque le chemin sensé le
conduire à sa vérité secrète est obstrué par le doute, il doit se plier
à une figure d’autorité.
La psychologie est donc traversée par la politique. Par le tru-
chement de l’aveu qu’elle requiert, elle contribue à réformer et à
produire des sujets obéissants, dociles, malléables. En un mot, gou-
vernables. Là où le christianisme primitif instaurait une dépendance
envers le maître, la psychologie inaugure une dépendance vis-à-vis
de l’expert. Qui s’étonnerait, dans ces conditions, qu’un nombre
grandissant de conduites politiques (irrespect, indiscipline, révolte)
se trouvent désormais encodés comme des problèmes de nature
psychologique (délinquance, hyperactivité, trouble de comporte-
ment). Un peu comme si l’on mobilisait la psychologie afin de
mieux étouffer l’irréductible « grondement de la bataille 21 ». ◆

20. M. Foucault, « Du gouvernement des vivants », art. cité.


21. M. Foucault, Surveiller et Punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 360.
Généalogie politique de la psychologie – 45

Jean-Michel Landry est research fellow au département d’anthropo-


logie de l’Université de Laval (Canada). Collaborateur à la revue Aspects
sociologiques, il co-dirige avec Ariane Bélanger-Vincent et Vincent
Bélanger un numéro thématique consacré aux formes contemporaines de
violence politique. Il prépare actuellement une thèse sur les procédés de
subjectivation aménagés en URSS à l’époque stalinienne.

RÉSUMÉ

Généalogie politique de la psychologie


Demeuré inédit, le cours prononcé en 1980 au Collège de France correspond à
un moment charnière dans l’œuvre de Michel Foucault. D’une part, il constitue
le point culminant des travaux menés sur le thème du gouvernement des
hommes ; d’autre part, il trace la généalogie du dispositif politique de la psycho-
logie. En suivant l’évolution des rapports qui se sont noués entre l’aveu et l’obéis-
sance au cours des premiers siècles de notre ère, les leçons de 1980 montrent
que chercher à découvrir et formuler sa vérité cachée équivaut à se placer sous
dépendance. Ce faisant, elles dévoilent l’enjeu politique de la psychologie. Réalisé
à partir d’une transcription intégrale de l’année de cours, cet article retrace le
cheminement qui conduira Foucault à affirmer que la formulation d’une vérité
sur soi représente « une des formes premières de notre obéissance ».
A Political Genealogy of Psychology
Though still unpublished, Michel Foucault’s lectures at the Collège de France in 1980
were a milestone in his œuvre. For one thing, they represent the culmination of his work
on “governmentality”. For another, they map out the genealogy of the politics of
psychology. By tracing the evolution of the nexus between avowal and obedience at the
dawn of the Common Era, the 1980 lectures show that trying to discover and articulate
one’s own hidden truth involves submitting to a form of dependence. They thereby
reveal the political ramifications of psychology. Using transcriptions of the complete
lecture series, the foregoing article retraces the path that led Foucault to affirm that
articulating a truth about oneself represents “one of the first forms of our obedience”.

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