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Documents complémentaires : Balzac, Sarrasine.

Annexe 1 : notice sur Johann Joachim Winckelmann (1717-1768). Encyclopedia universalis.

Indéniablement l'une des personnalités les plus fascinantes de ce XVIIIe siècle que Goethe appelait
le « siècle de Winckelmann », Winckelmann est un précurseur du néo-classicisme européen et
notamment allemand. Il est le fondateur de l'archéologie en tant que discipline moderne ; grâce à ses
écrits, l'histoire de l'art et l'histoire de l'archéologie allemande purent connaître une diffusion
européenne. Suivant un parti pris rigoureux, il consacra la validité exclusive de certaines
caractéristiques bien déterminées de l'art grec. Le Beau est au cœur même de sa réflexion esthétique.
Pleinement conscient de son originalité, il poursuit son objectif avec une assurance admirable et
évoque les « miracles » de son existence dans sa correspondance qui comprend près de mille lettres.
Ses penchants homosexuels et sa mort violente ont contribué à la naissance de sa légende.

L'ascension

Johann Joachim Winckelmann naquit à Stendal (Vieille Marche), nom que Henri Beyle prit comme
pseudonyme. Fils de cordonnier, il étudia à contrecœur la théologie protestante à Halle, et parvint à
devenir aspirant. Il mena tout d'abord une existence misérable comme instituteur et précepteur. Tout
changea à Dresde. Après avoir été six ans bibliothécaire chez l'historien von Bünau, l'admirateur de
Pierre Bayle et de Voltaire se convertit au catholicisme afin, doté d'une bourse par la cour de Saxe, de
pouvoir visiter les antiquités romaines. À Dresde encore, il publia son premier écrit qui constitue un
programme et qui fit date : Gedanken über die Nachahmung der griechischen Werke in der Malerei
und Bildhauerkunst (1755, Réflexions sur l'imitation des œuvres grecques dans la sculpture et la
peinture), un essai de quarante pages tiré à cinquante exemplaires, qu'il fit suivre un an plus tard d'une
réplique fictive, Sendschreiben über die Gedanken (L'Épître sur les Réflexions), à laquelle il répondit par
une Erläuterung der Gedanken (Explication des Réflexions). Les Réflexions parurent dès 1755-1756 en
traduction française, puis anglaise. Attaché à Rome à la cour pontificale, président des Antiquités et
scriptor de la bibliothèque vaticane, il conseilla son protecteur, le cardinal Albani, lorsque celui-ci
décora sa villa de sculptures antiques. Il rejeta des offres émanant de princes allemands, notamment
du roi de Prusse, pour conserver son indépendance. En 1768, il voulut cependant se rendre à Berlin
mais se ravisa bientôt et retourna en Italie en passant par Vienne, où il fut reçu par l'impératrice Marie-
Thérèse. Il mourut le 8 juin 1768 à Trieste, assassiné par un jeune homme qui tentait de le voler.
Dès le premier écrit de Winckelmann, on peut lire ces phrases formulées de manière apodictique,
qui firent de lui le héraut du classicisme : « Le seul moyen que nous ayons d'être grands, voire
inimitables si c'est possible, est d'imiter les Anciens [...]. L'éminente caractéristique générale des chefs-
d'œuvre grecs est [...] une noble simplicité et une grandeur silencieuse [...]. De même que le fond des
mers demeure toujours en repos quelle que soit la fureur des flots en surface, les figures des Grecs
expriment dans toutes les passions une âme grande et sereine. » Ces phrases condamnent la théorie
et la pratique artistiques du baroque et du rococo pour lesquelles, conscient de sa vocation hellénique,
il n'éprouvait que mépris. À l'encontre de l'humanisme et du classicisme des pays latins, notamment
de la France, qui se réclament principalement de l'héritage romain, Winckelmann proclame l'évangile
des Grecs qui, grâce à lui et à ses disciples, Herder, Goethe, Hölderlin et même Nietzsche, est devenu
le modèle du néo-humanisme allemand.

Accession à l'humanité par la beauté

Dans ses ouvrages de la période italienne, Winckelmann développa les aperçus esquissés dans
ses premiers écrits. À Florence, il rédigea le catalogue d'une collection de gemmes qu'il publia en
langue française : Description des pierres gravées du feu baron de Stosch (1760). À ses amis et
bienfaiteurs allemands il rendit compte dans deux ouvrages de la découverte des trésors mis au jour à
Herculanum (1762 et 1764), jalousement gardés, et auxquels il avait réussi à se frayer un accès, et leur

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adressa Über die Baukunst der Alten (1762, Remarques sur l'architecture des Anciens). À un jeune ami
il dédia l'Abhandlung von der Fähigkeit der Empfindung des Schönen in der Kunst und dem Unterrichte
in derselben (Des réflexions sur le sentiment du beau dans les ouvrages de l'art et sur les moyens de
l'acquérir, première traduction française, 1786), qui fait ressortir au maximum l'alliance de réflexion
esthétique et d'enthousiasme pédagogico-érotique qui caractérise toute l'œuvre de Winckelmann. Les
Monumenti antichi inediti, spiegati ed illustrati (1767), écrits en italien, sont « devenus pour tout un
siècle [...] et au-delà le modèle d'ouvrages encyclopédiques destinés à faire connaître au public les
monuments inconnus » (Ludwig Curtius). Tout comme le Versuch einer Allegorie... (Essai sur l'allégorie)
qui s'assigne des objectifs didactiques en matière d'art, les Monuments inédits de l'Antiquité sont un
ouvrage d'érudition. Le principe fondamental qui les régit consiste pour Winckelmann à interpréter
certaines scènes figurées sur les monuments romains non comme des représentations de la légende
ou de l'histoire locale, mais, à juste titre, comme tirées de la mythologie grecque ; ses erreurs reposent
sur le même postulat, mais elles ont contribué puissamment au développement de l'herméneutique
archéologique. Les Monuments devaient avoir pour effet d'éduquer le goût de l'élite intellectuelle
européenne et de la hausser par la beauté à une humanité accomplie.

L'apogée

L'œuvre maîtresse de Johann Joachim Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums
(1764, Histoire de l'art de l'Antiquité), puis les Anmerkungen (1767, Remarques) y afférentes sont
issues des célèbres descriptions des statues du Belvédère du Vatican, surtout de l'Apollon et du Torse :
poèmes en prose dans lesquels il cherche, dans un « style noble » créé par lui à cet effet, à percer le
secret de la beauté plastique. L'élément descriptif est toutefois intégré dans la trame historique.
Winckelmann distingue « les origines, l'éclosion, la mutation » – visant par là surtout le IVe siècle –
« et la décadence » de l'art grec. Il emprunte probablement ce schéma en courbe aux Considérations
sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu. Contrairement à ses
prédécesseurs, il n'écrit plus l'histoire des artistes, mais celle de l'art, c'est-à-dire du style. Les erreurs
commises dans l'attribution de certaines œuvres (par exemple, du groupe du Laocoon) à des périodes
stylistiques différentes s'expliquent en partie par son goût néo-classique, en partie par le fait que de
nombreux monuments, surtout ceux des époques archaïques et classiques, lui étaient encore inconnus
(comme le Parthénon). Une familiarité prodigieuse avec les auteurs classiques étaye sa classification,
fondée sur l'évolution stylistique et son intelligence esthétique ; elle est mise au service d'une fin
ultime : la connaissance du beau dont les caractéristiques pour Winckelmann sont données a priori. Le
but de l'Histoire de l'art est également l'éducation esthétique d'une élite.
La réussite de l'ouvrage réside dans le revirement que Winckelmann y opéra. Il aboutit à ses
résultats non point à l'aide des méthodes érudites du temps mais par un acte de renouvellement
méthodique. À l'instar de Pétrarque qui avait provoqué l'avènement de l'humanisme italien non pas
dans le sillage d'écoles ou d'universités, mais en allant à contre-courant de l'organisation scolastique
de son époque, Winckelmann fonde le néo-humanisme et le néo-classicisme en prenant le contre-pied
du système d'enseignement établi par le baroque tardif (Spätbarock) et le siècle des Lumières. Et, de
même que l'humanisme italien était issu de l'apport original de Pétrarque, à savoir sa sensibilité aiguë
à l'harmonie de la langue latine, de même le néo-classicisme fut inauguré à son tour par une
expérience de la perception esthétique. Ce qui distingue Winckelmann de ses prédécesseurs et de ses
contemporains n'est pas tant son intelligence acérée que son don de vision d'une lucidité supérieure
et qui faisait défaut aux « doctes pédants ». À leur érudition livresque il oppose inlassablement la
contemplation vivante exercée au contact des antiquités romaines, l'observation intense, le regard
vigilant. C'est dans ce contexte qu'il convient de comprendre le strict impératif qui ordonne de
distinguer l'œuvre authentique des faux et des adjonctions ultérieures, ce à quoi Montfaucon et Caylus
n'avaient pu encore parvenir. Il n'usurpe donc pas la réputation d'avoir fait « œuvre originale », bien
avant que le culte préromantique de l'« original » et du « génie original » soit devenu vaine rhétorique.
Les contradictions internes de l'Histoire de l'art veulent que Winckelmann idéalise et canonise
l'art grec, bien qu'il décèle clairement le caractère unique et non récurrent des conditions

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géographiques, climatiques, historiques et sociales qui présidèrent à sa formation. Aux yeux de ce


républicain au service d'absolutistes, la naissance et l'épanouissement de l'art postulent la liberté
politique qu'il a glorifiée dans un passage fameux de l'Histoire de l'art (IV, I) : « Aussi la liberté semblait-
elle avoir établi son siège dans la Grèce ; elle s'était maintenue même auprès du trône des rois [...]. La
façon de penser du peuple s'éleva par la liberté comme un noble rejeton qui sort d'une tige
vigoureuse. » De ce fait, le chef-d'œuvre de Winckelmann a pu, en dépit des intentions qui
s'entrecroisent et se chevauchent, servir également de modèle éthique aux générations suivantes et
leur apporter plus qu'un simple savoir factuel vite dépassé. Goethe a interprété dans ce sens le
« magistral initiateur » lorsqu'il écrivit : « Ainsi, tout ce qu'il nous a légué est écrit par un vivant pour
les vivants, non pour les morts tués par la lettre. »

Annexe 2 : notice du Musée du Louvre sur Le Sommeil d’Endymion, peinture de Anne Louis
Girodet.

Le berger Endymion, à la beauté idéale, reçoit la visite nocturne de la déesse Diane, qui le
rejoint sous la forme d'un rayon lumineux. Son passage à travers le feuillage d'un arbre est facilité
par Zéphyr. Le jeune Girodet, élève de David, qui peint cette toile à Rome en 1791, s'écarte
délibérément de David et annonce le Romantisme. Le nu idéal est d'inspiration antique mais
l'éclairage lunaire, l'effet mystérieux et irréel, appartiennent à une sensibilité nouvelle.

Un bel endormi

Le berger Endymion, le plus beau des mortels selon la mythologie, est endormi nu sous un
platane. Junon, qu'il avait offensée, l'avait plongé dans un sommeil profond de trente années, au cours
desquelles il conserva toutefois sa jeunesse. Diane, la déesse chaste qui refuse l'amour, succomba à
l'attrait de sa beauté idéale et vint le retrouver chaque nuit. La déesse s'identifiant à la Lune se
manifeste ici sous la forme d'un rayon lumineux, qui caresse le visage et le torse d'Endymion. Le
passage de la Lune est facilité par Zéphyr qui écarte les branches d'un laurier.

Une académie appréciée de Chateaubriand, de Balzac et de Baudelaire

Le jeune Girodet a peint cette toile à Rome en 1791, lorsqu'il était pensionnaire à l'Académie
de France. Le règlement exigeait que les pensionnaires envoient chaque année une figure d'étude (une
"académie") aux membres de l'Académie royale de peinture à Paris pour montrer leurs
progrès. Endymion est une académie que Girodet a utilisée pour faire le personnage d'une peinture
d'histoire. Il l'a exposée au Salon de 1793 où la critique fut mitigée. Par la suite, l'oeuvre a eu le rare
privilège d'être appréciée par les plus grands écrivains romantiques, Chateaubriand, Balzac et
Baudelaire, séduits par sa poésie. Peintre littéraire, Girodet s'est inspiré en 1808 d'un roman du
premier pour Atala au tombeau (musée du Louvre).

"Faire quelque chose de neuf"

Girodet avait "le désir de faire quelque chose de neuf" dans cette œuvre, comme il l'a écrit lui-
même. Cet élève de David s'intéressait à une scène des amours des dieux qui aurait pu séduire, non
son maître, mais un artiste baroque ou rococo. Cette scène n'avait rien d'héroïque ni de moral.
Endymion est un personnage de la mythologie grecque, puis d'une fable latine, racontée par Lucien
dans le Dialogue des dieux. Girodet ne s'est pas inspiré de la première, où le berger est aimé de Séléné,
mais de la seconde. Dans le tableau, la figure d'Endymion surprend par son corps au canon allongé,
presque maniériste. Sa pose rappelle celle des figures mythologiques du Corrège ou de quelque
martyre peint à l'époque baroque. Un mélange de sensualité et de froideur s'en dégage. Par son
éclairage, la toile est également très différente des tableaux de David et de son école. L'obscurité

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profonde qui baigne une grande partie de la scène est traversée par une lumière à la curieuse teinte
bleutée. Le contour de lumière sur le corps de l'Amour illustre la recherche du bizarre qui intéressait
Girodet. Le buste d'Endymion éclairé a un effet vaporeux évoquant Vinci ou Le Corrège, artistes peu
appréciés à l'époque, excepté par Prud'hon. Par son étrangeté, ce tableau annonce l'art romantique.

Bibliographie
- MICHEL Régis, "L'art des Salons", in Aux armes et aux arts. Les arts et la Révolution 1789-1799, Adam
Biro, Paris, 1985, p. 42-43.

- CROW Thomas, "Girodet et David pendant la Révolution : un dialogue artistique et politique",


in David contre David, II, colloque, Paris, Musée du Louvre, 1989, pp. 843-866.

- CROW Thomas, L'Atelier de David. Émulation et Révolution, Gallimard, Paris, 1997 pp. 159-
168.

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Annexe 3 : Métamorphoses d’Ovide, livre X, fable 6. Histoire de Pygmalion.

(v.244) « Pygmalion, pour les avoir vues mener une existence vouée au crime, plein d'horreur pour les
vices que la nature a prodigalement départis à la femme, vivait sans épouse, célibataire, et se passa
longtemps d'une compagne partageant sa couche. Cependant, avec un art et un succès merveilleux, il
sculpta dans l'ivoire à la bancheur de neige un corps auquel il donna une beauté qu'aucune femme ne
peut tenir de la nature ; et il conçut de l'amour pour son œuvre. Elle avait toute l'apparence d'une
véritable vierge, que l'on eût crue vivante et, si la pudeur ne l'en empêchait, désireuse de se mouvoir
: tant l'art se dissimule grâce à son art même. Pygmalion s'émerveille, et son cœur s'enflamme pour
ce simulacre de corps. Souvent il palpe des mains son œuvre pour se rendre compte si c'est de la chair
ou de l'ivoire, et il ne s'avoue pas encore que c'est de l'ivoire. Il lui donne des baisers et s'imagine qu'ils
lui sont rendus ; il lui parle, il la serre contre lui et croit sentir céder sous ses doigts la chair des membres
qu'ils touchent ; la crainte le prit même que ces membres, sous la pression, ne gardassent une marque
livide. Tantôt il lui prodigue les caresses, tantôt il lui apporte les présents qui sont bienvenus des jeunes
filles, des coquillages, des cailloux polis, de petits oiseaux et des fleurs de mille couleurs, des lis, des
balles peintes et des larmes tombées de l'arbre des Héliades. Il la pare aussi de vêtements, passe à ses
doigts des bagues de pierres précieuses, à son cou de longs colliers ; à ses oreilles pendent de légères
perles, des chaînettes sur sa poitrine. Tout lui sied, et, nue, elle ne paraît pas moins belle. Il la place
sur des coussins teints avec le murex de Sidon, il lui décerne le nom de compagne de sa couche, il fait
reposer son cou incliné sur un mol amas de plumes, comme si le contact devait lui en être sensible.

(v.270) « Le jour de la fête de Vénus, que tout Cypre célébrait en foule, était venu ; les génisses au cou
de neige, l'arc de leurs cornes tout revêtu d'or, étaient tombées sous le couteau, et l'encens fumait à
cette occasion ; Pygmalion, les rites accomplis, se tint debout devant les autels et, d'un ton craintif : «
S'il est vrai, ô dieux, que vous pouvez tout accorder, je forme le vœu que mon épouse soit - et comme
il n'ose dire : la vierge d'ivoire - semblable à la vierge d'ivoire » dit-il. Vénus, qui assistait en personne,
resplendissante d'or, aux fêtes données en son honneur, comprit ce que voulait dire ce souhait et,
présage de l'amitié de la déesse, la flamme trois fois se raviva et une langue de feu en jaillit dans l'air.

(v.280) « Rentré chez lui, Pygmalion se rend auprès de sa statue de jeune fille et, se penchant sur le lit,
il lui donna des baisers. Il lui sembla que sa chair devenait tiède. Il approche de nouveau sa bouche ;
de ses mains il tâte aussi la poitrine : au toucher, l'ivoire s'amollit, et, perdant sa dureté, il s'enfonce
sous les doigts et cède, comme la cire de l'Hymette redevint molle au soleil et prend docilement sous
le pouce qui la travaille toutes les formes, d'autant plus propre à l'usage qu'on use davantage d'elle.
Frappé de stupeur, plein d'une joie mêlée d'appréhension et craignant de se tromper, l'amant palpe
de nouveau de la main et repalpe encore l'objet de ses vœux. C'était un corps vivant : les veines battent
au contact du pouce. Alors le héros de Paphos, en paroles débordantes de reconnaissance, rend grâce
à Vénus et presse enfin de sa bouche une bouche qui n'est pas trompeuse. La vierge sentit les baisers
qu'il lui donnait et rougit ; et, levant un regard timide vers la lumière, en même temps que le ciel, elle
vit celui qui l'aimait. A leur union, qui est son ouvrage, Vénus est présente. Et quand, pour la neuvième
fois, le croissant de la lune se referma sur son disque plein, la jeune femme mit au monde Paphos, de
laquelle l'île tient son nom.

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Annexe 4 : petite et perturbante histoire des castrats. France musique.

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=6&cad=rja&uact=8
&ved=2ahUKEwjHireCzdHoAhVPXhoKHb-
EB5wQFjAFegQICRAB&url=https%3A%2F%2Fwww.francemusique.fr%2Fmusique-
baroque%2Fpetite-et-perturbante-histoire-des-castrats-
58565&usg=AOvVaw1doueJBKucmpQvFJfEfiIf

Portrait de Farinelli

Très en vogue au XVIIIe siècle, le castrat est évoqué par Voltaire dans sa correspondance et
dans de nombreux textes, dont le Dictionnaire philosophique. Dans les années 1760, il se fait une
réputation comme ennemi de la castration (considérée comme une pratique barbare) et la vogue des
castrats (bien qu’il fût un passionné d’opéra et un grand mélomane). Dans La Princesse de Babylone,
Voltaire aborde par le biais de la fiction la question du goût du pape pour les castrats ; de même
lorsqu’il évoque « cette manie des eunuques » dans l’article « Catéchisme chinois » du Dictionnaire
philosophique. Quand Cu-Su demande à Kou combien de femmes il compte avoir, celui-ci répond :

Mais je crois qu’une douzaine me suffira ; un plus grand nombre pourrait me dérober un temps destiné
aux affaires. Je n’aime point ces rois qui ont des trois cents femmes, et des sept cents concubines, et des
milliers d’eunuques pour les servir. Cette manie des eunuques me paraît surtout un trop grand outrage à
la nature humaine. Je pardonne tout au plus qu’on chaponne des coqs, ils en sont meilleurs à manger,
mais on n’a point encore fait mettre d’eunuques à la broche. À quoi sert leur mutilation ? Le dalaï-lama
en a cinquante pour chanter dans sa pagode. Je voudrais bien savoir si le Chang-ti se plaît beaucoup à
entendre les voix claires de ces cinquante hongres.

Même si Voltaire semble vouloir condamner de nouveau l’usage d’eunuques dans les cours orientales,
il est clair aussi que parler du dalaï-lama, c’est parler du pape : qui chante dans la « pagode » du dalaï-
lama chante dans la basilique Saint-Pierre. Et l’essentiel, c’est que Voltaire, à travers son personnage
Kou, condamne la castration comme une « mutilation » et comme « un trop grand outrage à la nature

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humaine ». Cet argument humanitaire contre la castration réapparait d’ailleurs dans Le Philosophe
ignorant et participe à la lutte pour écraser l’Infâme.

Si vous avez le temps, je vous conseille de voir le très beau film consacré à l’un des castrats les
plus célèbres : «Farinelli » de Gérard Corbiau.

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&uact=8&v
ed=2ahUKEwi4hsDBztHoAhUtzYUKHWLeAuUQtwIwAHoECAkQNA&url=https%3A%2F%2Fwww.youtu
be.com%2Fwatch%3Fv%3DAifjiYzoQW0&usg=AOvVaw1dPOWsWvyeI7u54A6zt-np

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Annexe 5 : Le Bernin, La Transverbération de Sainte Thérèse.

Gian Lorenzo Bernini (dit Le Bernin, 1598-1680) est considéré comme l’un des plus grands
sculpteurs de son temps. Jean Rousset s’est beaucoup appuyé sur ses œuvres pour penser la
transposition à la littérature de la catégorie de baroque1. L’une des plus célèbres œuvres du Bernin, La
Transverbération de sainte Thérèse, encore appelée Extase de sainte Thérèse, orne depuis 1652 l’église
Santa Maria Vittoria de Rome. Réalisée à partir d’un texte laissé par la sainte, cette sculpture manifeste
la réversibilité toute baroque de l’âme et du corps, où se confondent et s’échangent plaisir et déplaisir.

Le Bernin ne réalise pas seulement la sculpture représentant sainte Thérèse, mais l’ensemble
de la chapelle, richement décorée de marbres polychromes rehaussés de métal doré, et éclairée d’une
fenêtre qui fait resplendir la statue de marbre blanc représentant la sainte en pamoison, vêtue de
drapés somptueusement ciselés. Maître en illusion, le Bernin donne l’impression que la coupole donne
sur un Ciel dont descendent les rayons de la lumière divine. Le caractère théâtral de la composition est
souligné par la présence de spectateurs dans les tribunes de chaque côté de la chapelle.
On reconnaît dans la sculpture centrale les deux personnages du texte de la sainte : elle-même,
dans sa tenue de religieuse cloîtrée, et le bel ange resplendissant de sa vision. A travers cette sculpture,
Le Bernin met la pierre en mouvement et lui insuffle une dynamique : l’ange aux ailes étendues ne
tient qu’à peine au sol, tandis que la sainte est suspendue sur une improbable nuée. L’artiste s’emploie
à déployer, dans sa mise en scène, toutes les virtualités d’un texte en lui-même spectaculaire : l’extase
est décrite tout ensemble comme un martyre et comme une jouissance. Le plaisir sensuel est en même
temps une pénible crucifixion où l’âme s’abandonne, se défait et souffre. Le sculpteur, en donnant
chair aux protagonistes de ce récit qui ressemble tant à un fantasme, a souligné le contraste expressif
entre les deux visages : celui de l’ange au sourire, bourreau armé d’un « dard enflammé », s’oppose à
celui de Thérèse, victime abandonnée, où l’on lit à la fois l’alanguissement érotique et l’intensité de la
douleur.

La représentation souligne ainsi la jouissance morbide de cette scène où se mêlent Éros et


Thanatos, où le ravissement de l’âme est décrit comme une conjonction des corps : l’archer angélique
apparaît comme un avatar du dieu Amour, et le symbolisme sexuel du dard et des « faibles soupirs »
de la sainte est trop évident pour qu’on le commente. La possession divine ne peut être montrée que
comme une brisure intérieure : Thérèse est écartelée, vidée de ses entrailles, disloquée. Mais la

1
Jean Rousset, La Littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon, José Corti, 1953.

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souffrance qu’entraîne cette dépossession de soi conduit moins à la mort qu’à la « petite mort »,
comme en témoigne le mélange de jouissance et d’hébétude qu’on lit sur le corps de la sainte. Le
pouvoir de séduction d’une telle œuvre, en même temps spirituelle et charnelle, mystique et érotique,
est liée au jeu pervers qu’elle entretient avec la voluptas dolendi pétrarquiste qui devient ici, pour
reprendre l’expression de Gisèle Venet, un « plaisir du déplaisir ». Ni Thérèse ni le Bernin n’étaient
assez naïfs pour ignorer qu’ils donnaient à voir une extase purement spirituelle et psychique sous
l’aspect d’une extase sexuelle et physique. Mais cette façon pour ainsi dire métaphorique de faire
sentir les plus hautes et les plus pures réalités spirituelles en usant de comparaisons au caractère
sexuel prononcé n’épouvantait pas la dévotion baroque romaine de l’époque. Les baroques en effet
sont volontiers « monistes », c’est-à-dire qu’ils considèrent que le corps et l’âme constituent un seul
être.

Annexe 6 : bibliographie.

• R. Barthes, S/Z, Paris, Seuil, 1970 (édition de poche dans la collection « Points-Essais »).
• J. Reboul, « Sarrasine ou la castration personnifiée », Paris, Cahiers pour l’analyse,
Bibliothèque Sigmund Freud, 1967, p. 91-96.
• P. Barbéris, « À propos du S/Z de Roland Barthes. Deux pas en avant, un pas en
arrière ? », L’Année balzacienne, 1971.
• P. Citron, « Interprétation de Sarrasine », L’Année balzacienne, 1972.
• M. Serres, L’Hermaphrodite. Sarrasine sculpteur, Paris, Flammarion, 1987.
• P. Laforgue, L’Éros romantique. Représentations de l’amour en 1830, Paris, PUF, 1998, pp.
128-146. (Télécharger)
• V. Joly, « S/Z, densité utopique d’une œuvre limite », article en ligne sur le site « Herbé »,
2009.
• C. Bremond et Th. Pavel, De Barthes à Balzac. Fictions d’une critique, critiques d’une fiction,
Paris, Albin Michel, 1998. (Télécharger Chapitre 1 – Chapitre 2 – Chapitre 3 – Table des
matières)

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