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Chapitre I

L'ÉTUDE DE L'ART
COMME DISCIPLINE HISTORIQUE

I. - Les principales étapes historiographiques


L’étude de l’art comme discipline historique n’est
pas antérieure à l’époque moderne. Il faut attendre, le
XVIe siècle pour que l’humanisme de la Renaissance
prenne en considération les notions d’archaïsme, de
classicisme et de déclin et les associe à des enquêtes
biographiques, aux sources descriptives et aux don-
nées chronologiques pour créer l’Histoire de l’art
dans le sens moderne du terme. Giorgio Vasari
(1511-1574) a, dans ce sens, une importance considé-
rable. Artiste toscan, peintre et architecte, il devient
après 1553 un inspirateur de la nouvelle cour des Mé-
dias:'.-En 1562, il fonde l’Académie du dessin. Son
importance pour l’Histoire de l’art est cependant liée
à la publication en 1550 des Vies des plus excellents
peintres, sculpteurs et architectes dont la deuxième
édition fortement complétée paraît en 1568. L’auteur
y ordonne les artistes qui l’ont précédé ou lui sont
contemporains dans une perspective historique. La
modernité de Vasari est due à sa vision évolutive et
progressive de l’Histoire appliquée à l’art, du Moyen
Âge à Michel-Ange.
Au cours du xvne siècle, s’accentue la tendance au
classement par écoles en fonction de critères esthéti-
ques. En Italie, G. Bellori édite les Vies des peintres
(1672), en France, vers la fin du siècle, André Félibien

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publie les Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des tributions indépendantes de l’érudition livresque. Pour
plus excellents peintres anciens et modernes (1666- la première fois également, la sculpture prend avec lui
1688) et Roger de Piles un Abrégé de la vie des peintres plus d’importance que la peinture.
(1699) ainsi qu’un Cours de peinture par principes Au début du XIXe siècle, YHistoire de l ’art par les
(1708). Tous cherchent alors à établir des critères pour monuments de J.-B.-L.-G. Séroux d’Agincourt (1811-
distinguer les manières. 1829) fait un pas décisif en classant les arts en trois ca-
Pendant le XVIIIe siècle on assiste au renforcement tégories et en cherchant à illustrer le plus grand
de la notion d’évolution artistique. Par ailleurs croît nombre de monuments ; classement dont nous dépen-
l’intérêt pour les Antiquités nationales à la suite des dons encore. Avec le Romantisme, les nouveaux na-
études de G. Mancini en Italie, de la Roma sotterra- tionalismes et la redécouverte du Moyen Âge, se met-
nea de G. B. Bosio (1632) et des ouvrages de tent en place les premières institutions archéologiques
P. Aringhi (1651) et de G. Ciampini sur les mosaï- de mise en garde du patrimoine. C’est l’époque, en
ques (1690). En France, A.-C.-P. de Caylus écrit à la France, des premiers inspecteurs des Monuments his-
fois sur les antiquités et sur les artistes contempo- toriques, Ludovic Vitet et Prosper Mérimée, des archi-
rains. Les récits de voyages sont de plus en plus at- tectes restaurateurs comme E. Viollet-le-Duc, des pre-
tentifs à l’art (Ch.-N. Cochin, 1756-1758). On peut miers manuels d’archéologie du Moyen Âge comme
résumer la période avec les Monuments de la mo- celui d’Arcisse de Caumont (1836) et des débuts de
narchie française de Bernard de Montfaucon (1729- 1’enseignement (J. Quicherat). Les premières sociétés
1733). D’autre part, les nouvelles formes de critique, savantes sont créées à la suite de la Société des Anti-
à la fois subjective et mondaine, qui se développent quaires de Londres, et J. Ruskin contribue à la
dans les Salons, trouvent en D. Diderot un porte-pa- redécouverte du Moyen Âge vénitien en attirant
role éminent. l’attention sur les travaux de la basilique Saint-Marc.
Le renouveau de l’Histoire de l’art comme science En Allemagne, la tradition philosophique et esthé-
devait venir de l’archéologie, qui demeurait dans le tique produit, dès la fin du xvme siècle et le début
terrain exclusif de l’antiquariat. J. J. Winckelmann du xixe, des formes originales de pensée sur l’art.
(1717-1768), allemand, attaché pendant longtemps à G. W. F. Hegel dans ses écrits d’esthétique pose deux
la cour pontificale, rompt avec le baroque pour dé- questions fondamentales : de quelle manière l’art se li-
fendre l’héritage antique, notamment grec. Il rédige bère-t-il de la pensée ? et, comment l’art de différentes
des catalogues et voyage pour étudier directement les époques devient-il une partie de la vie mentale de
œuvres : Réflexions sur l’imitation des œuvres grecques tous ? L’esprit de chaque époque se reflète dans le
dans la sculpture et la peinture (1755), Remarques sur style, tandis que l’art est une des composantes du dé-
l’architecture des Anciens (1762), Monuments inédits de veloppement de l’esprit. Les positions de Hegel énon-
lAntiquité expliqués et illustrés (1767). Son œuvre cées avant 1828 sont contrées par C.-F. von Rumohr
principale est YHistoire de l ’art de l ’Antiquité (1764). qui est considéré comme le fondateur de la recherche
Pour la première fois, l’observation attentive des œu- d’archives moderne en Histoire de l’art. En 1827, Ru-
vres aboutit à des classements stylistiques et à des at- mohr publie les premiers volumes de ses Italienische

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Forschungen et attaque à la fois Yapproche visuelle de très jeune sa thèse de doctorat : Prolégomènes à une
Winckelmann et les considérations philosophiques de ■
psychologie de l ’architecture (1886). Dès 1888, il publie
Hegel. Ce théoricien est responsable du premier clas- une analyse de l’architecture destinée à faire date : Re-
sement par écoles artistiques des collections du musée naissance et Baroque, Rompant avec la vision de Bur-
de Berlin. L’apogée du positivisme se manifeste avec ckhardt, à qui il succède à Bâle en 1893 et avec qui il
H. Taine dans la Philosophie de l ’art (1865) : l’œuvre maintient une abondante correspondance, Wôlfflin
d’art est en rapport étroit avec le milieu et avec ses après avoir défini le classicisme de la Renaissance lui
éléments, comme la race, le climat ou les coutumes. oppose les valeurs formelles du Baroque. Dans ses
Entre 1851 et 1863, G. Semper s’attache au rôle de la Principes fondamentaux de l ’Histoire de l’art (1915) il
technique et, laissant de côté les attitudes, s’intéresse énonce les traits essentiels qui permettent de distinguer
aux motifs et à leur diffusion. les deux périodes : le passage de la ligne à la peinture,
À ces démarches philosophiques s’oppose Jacob du plan à la profondeur, de la forme fermée à la
Burckhardt qui cherche à concilier l’Histoire poli- forme ouverte, de l’unité au pluriel, de la clarté ab-
tique et l’Histoire de l’art. Cet historien suisse d’ex- solue à la clarté relative. Pour Wôlfflin, ces catégories
pression allemande privilégie l’Histoire de la culture s'appliquent presque exclusivement à la différence
ou Kulturgeschichte, notamment dans son ouvrage le entre Renaissance et Baroque.
plus célèbre La civilisation en Italie au temps de la On trouve, dès 1914, une forte critique des points
Renaissance (1860). La civilisation est considérée de vue contenus dans l’énoncé de Wôlfflin, dans la
comme une unité avec ses différentes composantes. thèse de Paul Frankl, Principes fondamentaux de l ’ar-
La deuxième œuvre la plus connue de Burckhardt est chitecture. Cet historien de l’art émigré aux États-Unis
le Cicerone, véritable guide de l’art italien de l’Anti- en 1938 a joué un rôle important dans la mise en place
quité au xvni® siècle, publié en 1855. L’auteur met d’une approche de l’Histoire de l’art de tradition phi-
l’accent sur les œuvres des musées et les monuments losophique qui croit à l’existence de la valeur esthé-
des villes italiennes, La méthode d’histoire culturelle tique d’une œuvre au-delà de notre propre perception.
se trouvait déjà esquissée dans L ’époque de Constan- Proche de Semper et de Wôlfflin naît en même temps,
tin le Grand (1853). L’État, la religion et la culture à Vienne, une école formaliste autonome autour
sont, selon lui, les trois éléments de civilisation dont d’A. Riegl qui propose de mener des enquêtes sur des
seul le dernier est susceptible d’entraîner une renais- terrains chronologiques ou techniques peu habituels,
sance. A. Springer a appliqué cette histoire culturelle afin de mincir les risques de subjectivité. Les Stilfragen
à une période chronologique plus vaste, de l’Anti- (1893) s’intéressent à la transformation d’un seul
quité au xixe siècle. motif, l’acanthe, et à son développement interne.
Heinrich Wôlfflin (1864-1945), bien que formé dans Spütrômische Kunstindustrie (1901) analyse la produc-
l’entourage de Burckhardt, entreprend l’étude for- tion de l’Antiquité tardive en partant de l’étude for-
melle des œuvres. Pour Wôlfflin la forme organise melle des motifs. La notion de volonté artistique est
l’œuvre d’art et lui donne un sens. Proche à ses débuts introduite en opposition avec celle d’imitation de la
des philosophes et psychologues, Wôlfflin présente nature. À l’école de Vienne appartiennent J. Strzy-
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gowski, qui développe une théorie préfasciste des cul- brillante. Pour lui, Part est un monde compact et actif
tures historiques {Die Krisis der Geisteswissenschaften, avec des évolutions internes à l’abri des mutations so-
1923) , et surtout l’élève de Riegl, Max Dvorak (1874- ciales ou politiques.
1921), dont on publie en 1924 Kunstgeschichte als Parallèlement aux tendances philologiques, un
Geistesgeschichte, une vision dans laquelle la forme et monde de connaisseurs se développait en Europe avec
le contenu de l’œuvre se trouvent réunis. Ces préoccu- l’accroissement des collections et l’intérêt pour les
pations psychologiques sont érigées en science auto- musées. Après J. J. Winckelmann, G. B. Cavalcaselle
nome par W. Worringer (1881-1965). (1819-1897) est l’auteur d’œuvres monumentales sur la
L’école formaliste de Vienne a connu un retentisse- peinture flamande et sur la peinture italienne, et Gio-
ment considérable grâce à l’œuvre d’Henri Focillon vanni Morelli (1816-1891), naturaliste de formation,
(1881-1943), très lu surtout en France et aux États- propose une théorie d’attributions fondée sur l’obser-
Unis. Il dispensa son enseignement dans les Universi- vation de détails pouvant contribuer à individualiser
tés de Lyon, Paris, Yale et au Collège de France. Sa la main des différents artistes. Ce dernier exerce une
théorie se trouve condensée dans un essai : Vie des influence certaine sur le grand connaisseur du début
formes (1934). Pour Focillon, l’œuvre d’art doit être du XXe siècle, Bernard Berenson {Rudiments o f Con-
saisie et interprétée sur le plan formel. Les métamor- noisseurship, 1902).
phoses de la forme font évoluer l’œuvre dans l’espace Les catalogues raisonnés, corpus et encyclopédies se
et dans le temps. Trois moments de cette vie des for- multiplient dès la fin du XIXe siècle. Des entreprises
mes conditionnent l’évolution artistique : le stade des gigantesques visent à réunir la totalité des œuvres
expériences, l’état classique et la désintégration ba- connues afin de mieux saisir attributions, comparai-
roque. Ces états sont modulés par les différentes évo- sons et les différents éléments d’étude. A. Goldschmidt
lutions formelles : renaissances, survivances, réveils. (1863-1944) édite les ivoires, A. Kingsley Porter la
La pensée et les publications d’Henri Focillon embras- sculpture romane, J. Wilpert les peintures et les sarco-
sent plusieurs domaines artistiques : l’histoire de la phages de Rome. Adolfo Venturi, en Italie, dans la plus
gravure et plus particulièrement de l’œuvre de Pira- pure tradition de Cavalcaselle et de Morelli, conçoit
nèse (G.-B. Piranèse, 1918), l’histoire de la peinture une Histoire de l ’art italien destinée à inclure en vingt-
{La peinture aux XIXe et XXe siècles, 1927-1928), l’art de cinq volumes tous les arts figuratifs. En France, VHis-
l’Extrême-Orient {L’art bouddhique, 1921, et Hokusai, toire de l ’art dirigée par André Michel commence à pa-
1924) et surtout, pendant les vingt dernières années de raître en 1906.
sa vie, l’histoire de l’art médiéval {Moyen Age. Survi- A la fin du xixe siècle, l’iconographie intéresse des
vances et réveils, 1943 ; Fiero délia Francesca, 1951 ; personnalités telles que A.-N. Didron en France ou
L ’an mil, 1952). Deux ouvrages ont marqué l’œuvre de Émile Mâle (L ’art religieux du x n f siècle en France,
Focillon dans ce dernier domaine : Art des sculpteurs 1898). À Hambourg, la recherche iconographique et
romans (1932) et Art d ’Occident (1938). Dans le l’étude du contenu culturel de l’œuvre sont cultivées
deuxième, Focillon cherche à définir l’unité artistique autour d’Aby Warburg (1866-1929), dont la biblio-
de l’Occident médiéval dans une synthèse cohérente et thèque émigre par la suite à Londres. Ses principales

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contributions concernent les fonctions sociales et reli- de B. Croce (.Esthétique, 1902), qui centre sa théorie
gieuses des symboles à la fin du xve siècle. La cohé- sur la recherche des personnalités et propose la rédac-
rence des programmes est démontrée par Warburg tion de monographies d’artistes. À cette tendance se
dès 1912 à propos des peintures du palais Schifanoia rattachent, entre autres, J. von Schlosser en Alle-
de Ferrare. Erwin Panofsky développe ces approches magne et même R. Bianchi Bandinelli en Italie (Stori-
iconographiques et iconologiques en considérant les cità delVarte classica, 1943, 2e éd., 1950). L’apparte-
arts visuels comme une part d’un univers de culture nance de cet historien de l’art antique au courant
(The History o f Art as Humanistic Discipline, 1940). marxiste italien de l’après-guerre permet d’évoquer
En 1927, Panofsky publie La perspective comme forme cette ligne de pensée sur un plan plus général, depuis
symbolique, peut-être le plus connu de ses essais théo- les études sur le xvme siècle français de G. Plékhanov
riques et critiques, dont l’arrière-plan remonte à He- (1885-1918) et jusqu’à celles de G. Lukács, E. Fischer
gel. Trois aspects ont été isolés parmi les constantes de {Le besoin de Part, 1959) ou F. D. Klingender (Art and
la pensée de Panofsky : la relation entre l’idéal, d’un the Industrial Révolution, 1947).
point de vue systématique, et le détail de l’enquête his- Dans la ligne de pensée orientée vers l’étude de la
torique, la relation entre les concepts d’une théorie gé- fonction sociale de l’œuvre d’art, inaugurée par Max
nérale et l’infrastructure particulière des œuvres et la Dvorak, se situe son élève A. Hauser dont YHistoire
relation entre images et concepts (Idée, Etudes d ’ico- sociale de l ’art a eu un retentissement exceptionnel.
nologie, Architecture gothique et pensée scholastique, Cette œuvre majeure, nuancée par l’auteur en 1958
Meaning in the Visual Arts, Early Netherlandish (Les théories des arts) redonne une place à l’artiste et
Painting). accorde au travail de l’individu un rôle réel, s’oppo-
R. Wittkower adapte pour sa part certains de ces sant à la tendance à créer une Histoire de l’art sans
principes à l’architecture. D ’abord à propos de Palla- noms. F. An tal applique ces orientations dans l’ou-
dio et du palladianisme, puis surtout dans son livre vrage Florentine Painting and Us Social Background
publié pour la première fois en 1949 Principes archi- (1947). En France, Pierre Francastel (1900-1970) in-
tecturaux de l ’époque humaniste. En étudiant à la fois troduit la sociologie de l’art ou l’Histoire sociale de
les sources contemporaines et les monuments, Witt- l’art, tentative d’insertion de l’œuvre d’art dans le
kower dépasse l’interprétation traditionnelle de l’ar- cadre des groupes sociaux qui la déterminent. Pour
chitecture de la Renaissance qui était donnée en Francastel (Peinture et société, 1951), l’œuvre d’art
des termes purement esthétiques. Dans cette même n’est pas le résultat d’une évolution autonome des
ligne se situe un autre historien allemand de l’archi- formes mais elle appartient à l’histoire générale des
tecture, émigré aux États-Unis, Richard Krauthei- idées et doit être replacée dans le cadre de l’histoire
mer, qui s’affirme en 1942 par la nouveauté d’une culturelle.
étude consacrée à l’iconographie de l’architecture Au cours de la deuxième moitié du xxe siècle, deux
médiévale. entreprises encyclopédiques italiennes ont dressé un
En Italie, le courant philosophique de la première bilan des connaissances pour l’art antique et l’art mé-
moitié du xxe siècle est marqué par l’œuvre esthétique diéval (Istituto dell’Enciclopedia Italiana) et une His-

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toire de Fart (Storia dell’arte italiana, Einaudi) a suivie de YHistoire de la sculpture grecque de M. Colli-
ouvert des nouvelles voies d ’étude à partir de 1979. gnon (1892-1897), et du Manuel d ’archéologie romaine
Au cours des dernières décennies les approches de de R. Cagnat et V. Chapot (1917-1920).
l’Histoire de l’art se sont diversifiées vers Piconologie Dans le débat entre Archéologie de l’Antiquité et
et la mémoire de l’antique, l’étude scientifique des Histoire de l’art, en 1968 on s’est questionné sur l’exis-
œuvres, l’étude historique et sociale de patrons et ar- tence même de l’Histoire de l’art comme discipline au-
tistes, les études sur les femmes artistes ou comman- tonome face à l’Archéologie antique. Celle-ci serait la
ditaires et la recherche sur l’art actuel, au-delà de la seule capable de comprendre la culture matérielle, re-
critique d’art. flet de la vie quotidienne des plus nombreux, les don-
nées historiques et les mutations techniques ; l’His-
II. - Archéologie, architecture et patrimoine toire de l’art, discipline élitiste, se cantonnerait à
l’étude formelle et à l’approche visuelle de certains ob-
Les champs de l’Archéologie on dépassé, au cours jets de luxe fabriqués uniquement pour le plaisir de
de la deuxième moitié du XXe siècle le cadre chrono- quelques-uns, les plus riches. La lampe à huile, de pré-
logique de l’Antiquité pour s’ouvrir vers les périodes férence brisée, relèverait de l’Archéologie et la Victoire
plus récentes. Pour l’Antiquité, l’objet d’étude et le de Samothrace de l’Histoire de l’art. Pour simpliste
champ disciplinaire de l’Histoire de l’art sont souvent qu’elle puisse paraître, cette différenciation est large-
partagés entre Histoire de l’art et Archéologie dans ment admise.
ce qui devient une association confuse qui ne se R. Bianchi Bandinelli, le grand historien de l’art et
retrouve pas pour les périodes plus récentes de archéologue italien de l’après-guerre, faisait lui-même
l’Histoire de l’art. Les champs chronologique et preuve de grand pessimisme, en 1970, lorsqu’il es-
géographique sont également variables suivant que sayait de définir l’Histoire de Part de l’Antiquité
l’on considère que la notion d’art antique doit se comme science historique : « Les historiens de Part de
confondre avec celle d’Antiquité classique ou d’art l’Antiquité représentent aujourd’hui une faune en voie
gréco-romain ou au contraire que l’on prenne une ac- d’extinction, bien que presque tous les archéologues
ception plus large, de la Préhistoire à l’Antiquité classiques s’occupent de matériaux qui ont une forme
paléochrétienne. artistique» (Introduzione all’archeologia cíassica come
On doit insister sur le rôle pionnier joué par YHis- storia dell’arte antica, Bari, 1976).
toire de l'art de l ’Antiquité de J. J. Winckelmann L’archéologie médiévale s’est développée comme
(1764) dont la traduction a contribué en France à la discipline autonome dans le dernier tiers du xxe siècle,
définition de l’Histoire de l’art antique comme disci- puis on s’est de plus en plus intéressé à la préservation
pline autonome : une histoire du beau et de la forme, des vestiges du passé industriel. De cette prise de cons-
au-delà même de la personnalité de l’artiste. La pre- cience est née une réflexion sur la nature des éléments
mière grande œuvre française dans cette lignée de syn- à conserver, sur l’importance de leur étude et sur la
thèses encyclopédiques est VHistoire de l’art dans sensibilisation du public à leur égard. Il est aujour-
lAntiquité de G. Perrot et Ch. Chipiez (1882-1914), d’hui acquis que la sauvegarde des premières machi-

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nes} la restauration des bâtiments qui les abritaient et rains ; désormais on s’intéresse déjà à l’archéologie de
l’archivage de la documentation sociale, économique la Première Guerre mondiale, celle des tranchées ou
et technique, mettent en valeur un patrimoine des des cimetières, par exemple.
pays industrialisés qui illustre une partie importante
de l’histoire des derniers siècles. 111. - Les polémiques du xxe siècle
Dans ce domaine on a beaucoup détruit. Mais, au-
jourd’hui, les ouvrages industriels d’intérêt culturel et Au cours du xxe siècle, l’Histoire de l’art a joué
historique - vieilles usines, écluses, moulins, mines, sur cinq orientations méthodologiques principales :
forges, ponts métalliques, anciennes installations fer- formaliste, marxiste, sociologique, iconologique et sé-
roviaires, tramways - sont de plus en plus préservés. miologique ou structuraliste. La première s’attache à
L’Archéologie industrielle va encore plus loin, au l’étude de la composition, de la forme et des volumes,
centre d’une recherche pluridisciplinaire faisant appel tend à dégager des constantes formelles souvent iso-
à rhistorien d’art, à l’architecte, à l’historien des tech- lées par rapport aux chronologies historiques, et crée
niques, à l’archiviste, au sociologue, et parmi de nom- une échelle de références internes permettant des at-
breux autres spécialistes à l’archéologue. L’Archéo- tributions et des classifications. L’Histoire de l’art
logie en tant qu’étude de la culture matérielle fournit, marxiste, qui a connu son moment théorique le plus
suivant des orientations déjà admises pour l’Antiquité fort après la publication en 1846 par K. Marx et
et le Moyen Âge, des renseignements sur la vie quoti- F. Engels de L ’idéologie allemande, a vécu un regain
dienne qu’il est bon d’élargir aux époques plus ré- d’intérêt avant et après la deuxième guerre, avec des
centes. La fouille devient, dans ce cas, indispensable historiens de l’art tels que Antal, Blunt, Schapiro,
non seulement sur des sites de mines ou de forges, Klingender ou Hauser. Tenue à l’écart des cercles of-
mais également sur tout autre lieu d’habitat ou de ficiels et des débats académiques, cette approche de
production : les faïenceries par exemple. L’étude por- l’Histoire de l’art a eu des moments importants au-
tera sur le « contenant » et le « contenu » : non seule- tour de 1968 et jusqu’aux environs de 1974, notam-
ment les bâtiments mais aussi les machines, les objets ment en Allemagne de l’Ouest, en France, en Hol-
du travail et de la vie quotidienne, bref sur les hom- lande et aux États-Unis. À côté de l’éphémère revue
mes et leur production. française Histoire et critique des arts on doit men-
La France, à l’inverse de l’Angleterre ou de la Po- tionner la publication allemande Kritische Berichte.
logne, était un pays encore jeune dans la mise en place Très attachée à la critique théorique, cette école qui a
de ces études lorsqu’est paru l’ouvrage de Maurice produit en France le livre de N. Hadjinicolaou, His-
Daumas, L ’archéologie industrielle en France, publié toire de l ’art et lutte des classes (1973), a été forte-
en 1980. Aujourd’hui on a séparé progressivement ment marquée par la réponse donnée par Herbert
l’Archéologie industrielle, dans son sens le plus stricte, Marcuse aux événements politiques des années 1968-
de l’étude de l’architecture industrielle, de l’histoire 1970.
des sciences et des techniques et de la notion plus large : Avec des liens plus ou moins distendus avec la
d’archéologie des mondes modernes et contempo- théorisation marxiste, se sont constituées la Sociologie
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ou Histoire sociale de Fart, bien que ces deux termes crise de la discipline (O. K. Werckmeister, Ende der
ne recouvrent pas exactement la même réalité, à tra- Àsthetik, 1971 ; H. Belting, Das Ende der Kunst-
vers des tentatives visant à mettre en valeur les élé- geschichïe ?, 1983) n’est autre chose qu’une certaine
ments sociologiques de la production artistique et un fatigue qui a envahi les jeunes générations face à des
effort pour mettre en relation l’œuvre d’art et les propositions académiques fondées essentiellement sur
groupes sociaux qui la déterminent. Cette approche les analyses stylistiques. Une première issue a été
qui trouve ses origines dans la théorie philosophique cherchée par l’ouverture vers des périodes moins étu-
de Taine et qui utilise les travaux de Hauser, Anta! et diées. L’art du xixe siècle d’abord, dont certaines
Francastel, considère l’artiste comme un élément actif créations considérées jusqu’à il y a encore peu de
de la société qui consomme ses œuvres. Une attention temps comme des pastiches issus d ’une époque de
particulière a été portée aux commanditaires et aux mauvais goût, sont maintenant étudiées de manière
clients, à la production et à la consommation systématique, l’art de la fin du XXe siècle ensuite.
(P. Bourdieu). D’autres issues ont été cherchées par des approches
La méthode iconologique, issue de l’école alle- plus thématiques par rapport aux tendances idéologi-
mande d’Aby Warburg, cherche à comprendre dans ques du moment, comme l’Histoire de l’art féministe,
l’œuvre d’art les différents niveaux de conscience indi- par exemple, qui a fait une forte percée au milieu des
viduels et collectifs. Différente de l’iconographie, l’ico- années 1970 et se poursuit aujourd’hui sur des sché-
nologie (E. Panofsky) a de commun avec cette der- mas moins agréssifs, ou les études tendant à situer
nière méthode qu’elle cherche également à saisir ce l’art dans le cadre des politiques culturelles. En géné-
que représente l’image, le thème, et à comprendre les ral, c’est au nom d’un retour à la rigueur intellec-
résurgences des images à travers les époques. tuelle des fondateurs allemands de la discipline, que
Structuralisme et sémiologie comme analyse struc- des nouveaux essais ont pris forme, tout en tâchant
turale de l’œuvre d’art et comme application de en même temps de gommer l’idéalisme du début et
l’étude des signes sont deux méthodes provenant d’au- de le remplacer par un matérialisme historique qui
tres disciplines adaptées au domaine de l’œuvre d’art. tend désormais à disparaître. L’essor pris au cours
Elles se sont constituées souvent comme méthodologie des dernières décennies par l’étude des premiers pen-
autonome pour l’œuvre artistique : J.-F. Lyotard, seurs de l’Histoire de l’art est significatif de cette
H. Damisch ou L. Marin ont représenté en France, quête ; une sorte de retour aux sources qui se maté-
comme U. Eco en Italie, les meilleures tentatives d’ap- rialise par un développement spectaculaire de l’édi-
proche de l’œuvre d’art par des recherches issues de la tion et de la traduction des écrits d’historiens de l’art
linguistique de F. de Saussure à travers l’œuvre de du passé.
R. Barthes, pour la sémiologie, et celle de C. Lévi- Parmi les grands débats publics du XXe siècle figu-
Strauss, pour le structuralisme. rent ceux relatifs aux nouveaux musées. On a pu par-
L’Histoire de l’art demeure tiraillée entre une ap- fois penser que la démolition des Halles de Baltard
plication de qualité de ses anciennes méthodes et un en 1971 avait été le détonateur qui a pu mener à la
renouvellement des théories. Ce que l’on a appelé la réhabilitation de la gare d’Orsay à Paris et à l’ouver-

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ture du Musée (1986). Celui-ci est issu d’un processus c’est la Bibliothèque nationale de France de Domi-
engagé dès 1973 lorsque la gare fut inscrite à l’Inven- nique Perrault. Entrés dans le XXIe siècle les débats
taire, et qui s’est poursuivi tout d’abord par la déci- d’Histoire de l’art, de muséographie et d’architecture,
sion de la conserver puis, en 1981, par celle de la res- se sont enflammés pendant un certain temps autour
taurer et d’en faire un musée du xixe siècle. Le du nouveau musée du Quai Branly, pour les arts non
bâtiment, construit par Victor Laloux, inauguré européens, de Jean Nouvel (2006).
en 1900, fut destiné à abriter un demi-siècle de créa-
tion (1848-1910). La discussion déclenchée par les
contrastes de l’aménagement intérieur de l’architecte
Gae Aulenti fut salutaire puisqu’elle atteignit le
grand public. Le rôle que joue désormais ce musée
dans la préservation de collections jusqu’alors négli-
gées mais également des chefs-d’œuvre prestigieux de
l’impressionnisme, a eu le mérite d’être étendu à l’ar-
chitecture, à la sculpture monumentale, à la photo-
graphie et au cinéma.
Parmi les grandes polémiques publiques du dernier
quart du xxe siècle on doit mentionner de celle qui a
entouré la construction du Centre Georges-Pompidou.
Celui-ci, sorte de réparation publique à l’affreuse des-
truction des Halles, a remplacé la structure métallique
de ces dernières qui gênait les urbanistes par une ar-
chitecture d’un goût nouveau qui pendant longtemps
a été critiquée à cause de son insertion dans un quar-
tier ancien. L’œuvre de l’équipe italo-américaine de
R. Piano et R. Rodgers est devenue un très grand suc-
cès public et fait désormais partie du paysage urbain
de Paris. La polémique a de nouveau atteint le grand
public en 1984 à la suite de la décision du président
F. Mitterrand de réaménager le musée du Louvre
et d’accepter la pyramide de verre de l’architecte
I. M. Pei, l’auteur de l’aile orientale de la National
Gallery de Washington (1968-1978), dans la célèbre
cour Napoléon, puis en 1988, lorsque F. Mitterrand
annonce sa décision de faire construire « une très
grande bibliothèque d’un type totalement nouveau » :

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statues-colonnes (Chartres) remplacent les person-
nages logés dans les ébrasements de l’époque
romane : les personnages s’intégrent par la colonne à
l’architecture de la façade. Alors que la réussite ar-
chitecturale de l’abbé Suger à Saint-Denis inspire im-
médiatement le chantier en progrès de la cathédrale
de Sens, un type nouveau de cathédrale à quatre ni-
veaux d’élévation se propage entre la Champagne et
les Flandres. Notre-Dame de Noyon, en cours
vers 1170-1180, présente un transept très important
et arrondi. L’étage du triforium descend au deuxième
niveau de l’élévation. C’est un schéma qui sera repris
à Soissons. Avec le dédoublement à la mode nor-
mande, on obtient à Noyon une plus grande légèreté
de l’édifice et une luminosité plus importante. Le
3. Art gothique. - Le terme « gothique », déjà uti- transept de la cathédrale de Laon, bordé de collaté-
lisé indirectement par Vasari, remis en valeur par les raux et prolongé vers l’est par une chapelle à chacune
écrivains romantiques, définit un style qui connaît son de ses extrémités, possède des tribunes comme la nef
plein épanouissement dans la France du Nord aux XIIe de l’édifice. Plus sobre mais plus lourde que celle de
et xme siècles. Toutefois certains monuments anté- Noyon, la cathédrale de Laon reste l’édifice le plus
rieurs présentent déjà isolément des caractéristiques typique du premier art gothique. L’achèvement de ce
des édifices du xme siècle. Les solutions techniques, style se manifeste à Notre-Dame de Paris. Com-
comme l’arc brisé et la voûte sur croisée d’ogives, que mencée en 1163 par Maurice de Sully, le chœur est
l’art gothique va utiliser ont déjà été essayées dans des achevé vers 1180 et la nef vers 1200. Quatre collaté-
édifices romans. Ce qui change, avec le progrès tech- raux accompagnent la nef principale, se prolongeant
nique et la standardisation du travail architectural, autour du chœur en un double déambulatoire. L’édi-
c’est l’esprit de la société et les pouvoirs économique, fice est coupé par un transept non saillant.
politique et religieux qui la dirigent. Autour des années 1200, un tournant artistique se
Les Cisterciens proposent, avant la fin du xne siècle, produit en Occident. Peu sensible sur le plan architec-
de réagir rapidement face au luxe de la société, et par- tural, il intervient surtout au niveau des arts figurés. Il
ticulièrement face à celui des Clunisiens. Ils préconi- se caractérise essentiellement par un retour à l’antique
sent l’austérité dans le travail, le silence et la pauvreté. (Nicolas de Verdun).
Cet ordre connaît un rapide et éclatant succès artis- A la suite d’un incendie, la cathédrale de Chartres
tique en Occident (Fontenay, Poblet). est réédifiée à partir de 1194. Les travaux commencent
Avant 1140, la façade occidentale de Saint-Denis par la nef puis par le chœur et le transept. Le gros
offre le premier achèvement du portail gothique. Les œuvre est terminé vers 1220 et consacré en 1260.

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L’élévation de la nef ne comporte plus que trois étages ses couleurs rouges, bleu sombre et l’abondante utili-
avec des supports alternés, un triforium de type sation de l’or. Le style devient linéaire vers le milieu
continu et des fenêtres hautes très amples. Le plan est du siècle et le peintre du livre se libère des contraintes
très développé : trois nefs, vaste transept à collatéraux traditionnelles.
et chœur à double bas-côté et déambulatoire avec cha- Au tournant du xive siècle, deux tendances se font
pelles rayonnantes. sentir dans la construction des cathédrales gothiques.
La formule architecturale de la cathédrale de Char- La première se situe dans la continuité des expériences
tres est suivie à Soissons et surtout à Reims. Le plan antérieures et est illustrée par l’œuvre de Jean Des-
est parfaitement équilibré : très longue nef à trois vais- champs et les cathédrales de Clermont-Ferrand, de
seaux, transept plus large faisant corps avec le chœur Rodez et de Narbonne. La deuxième recherche une
muni d’un déambulatoire à cinq chapelles rayon- unité spatiale intérieure à laquelle contribue l’éclairage
nantes. À Amiens, la construction est entreprise par qui pénètre abondamment dans l’édifice grâce à l’élar-
l’évêque Evrard de Fouilloy, en 1220. On construit la gissement des ouvertures. C’est une architecture légère
nef, la façade, le transept et le chœur dont les cha- au sein de l’art rayonnant (Metz, Strasbourg, Troyes).
pelles rayonnantes sont réalisées entre 1247 et 1269 En Angleterre, le Style décoré (Exeter, York, Ely)
environs. À la formule chartraine s’oppose la cathé- multiplie les nervures en y introduisant un décor
drale de Bourges, commencée vers 1195. Dotée d’une sculpté couvrant. Le Midi de la France (Jacobins de
crypte elle possède des doubles collatéraux qui se pro- Toulouse), l’Espagne (Burgos, Léon) et l’Italie suivent
longent, sans transept, par un double déambulatoire des voies différentes. À Florence, les églises Sainte-
avec des chapelles rayonnantes séparées les unes des Marie-Nouvelle, Sainte-Croix et la cathédrale mon-
autres. Les voûtes sont sexpartites et les supports trent l’adaptation de l’héritage paléochrétien aux nou-
alternés. Dans l’élévation à trois étages, le triforium se veautés du gothique.
développe au détriment des fenêtres hautes. Au cours du xive siècle, la statuaire l’emporte par
La progression du culte marial sous-tend l’un des une production très abondante de Vierges à l’Enfant
aspects essentiels de l’iconographie gothique avec les en albâtre ou en pierre et de panneaux de retable qui
portails consacrés au couronnement de la Vierge, voyagent dans toute l’Europe. L’orfèvrerie évolue
comme à Senlis vers 1170. Dans les pays septentrio- (Vierge offerte par Jeanne d’Évreux à Saint-Denis,
naux, le vitrail remplace partout la peinture murale conservée au Louvre). L’intérieur des édifices reçoit
dans les églises. Les tendances que l’on a vu s’expri- un décor sculpté polychrome (retables, jubés, clôtures
mer à l’époque romane s’affirment. Les styles locaux de chœur). Parmi les sculpteurs, André Beauneveu in-
s’épanouissent et les tendances se diversifient. Au nove dans le gisant de Charles V en sculptant un por-
xme siècle, un style qualifié de classique fait son appa- trait réaliste. Le xive siècle voit proliférer les artistes
rition à Chartres avec les verrières de Charlemagne. de cour et les productions issues de commandes pri-
Vers le milieu du siècle, la Sainte-Chapelle de Paris vées (chapelle de Rieux, Toulouse). Quelques sculp-
nous offre un style plus rapide, agile et flexible. Le vi- tures peuvent encore être caractérisées de monumenta-
trail influence la miniature pendant le xnie siècle avec les (Beau pilier d’Amiens, statues de Charles V et de

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Jeanne de Bourbon au Musée du Louvre). En mine la commande artistique et les personnalités des
Espagne, le XIVe siècle continue de bénéficier de artistes sont de plus en plus connues en tant que telles.
contacts avec la France, nuancés dans les zones orien- L’unité du style dérive des voyages de ces artistes, de
tales du pays par l’influence italienne. Au-delà des Paris à Avignon, à Prague, à Cologne ou à Milan. Di-
exemples de Burgos et Léon ces relations montrent en- jon devient un grand centre de production.
suite l’évolution du style et la traduction qui est faite L’architecture se caractérise par la diversification
des modèles français (salle capitulaire de la cathédrale et la complication des plans, par l’imification des vo-
de Pampelune). En Italie, l’œuvre des grands artistes lumes intérieurs, et par la multiplication des nervures
du xme siècle influence la production sculptée de la des voûtes, liernes ou tiercerons. Les piliers se simpli-
première moitié du XIVe siècle. Nicola Pisano montre fient et l’extérieur de l’édifice, avec une grande profu-
toute la force de l’Antiquité dans les chaires monu- sion de pointes et de pinacles, devient à la fois spec-
mentales de Pise et de Sienne. Giovanni Pisano, taculaire et surchargé. L’Angleterre développe un
Arnolfo di Cambio et Tino di Camaino représentent style particulier appelé perpendiculaire (Gloucester,
l’art gothique de Toscane avec Andrea Pisano (portes Cambridge). Cette architecture est accompagnée
du baptistère de Florence) et Andrea Orcagna (taber- d’une sculpture au service des commanditaires, et les
nacle d’Or San Michèle). La peinture est dominée par artistes quittent Paris pour aller vers les cours de
l’œuvre de Giotto à Assise et à Padoue. La monumen- Jean de Berry à Bourges ou de Philippe le Hardi à
talité, proche par moments de l’œuvre sculptée, la Dijon. À Bourges on remarque la présence d’André
qualité du traitement et son style si caractéristique Beauneveu et de Jean de Cambrai. En Bourgogne, la
donnent à Giotto une place à part dans l’histoire de sculpture de la fin du Moyen Âge peut être résumée
l’art. Le chantier de Saint-François d’Assise est, au par la chartreuse de Champmol et Claus Sluter.
cours des xni® et XIVe siècles, un conservatoire de la L’œuvre majeure de la sculpture bourguignonne est le
peinture par lequel passent les plus grands maîtres ita- Puits de Moïse d’un style nouveau, monumental et
liens : Giunta Pisano, Cimabue, Torriti, Rusuti, Ca- baroque. Parmi les artistes qui succèdent à Claus Slu-
vallini et Giotto ; au début du xrv6 siècle celui-ci tra- ter figurent Claus de Werve, Jean de La Huerta et
vaille à Padoue. Parallèlement, à Sienne, Duccio Antoine. Le Moiturier. Sur le plan iconographique,
réalise le retable de l’autel majeur de la cathédrale. les thèmes préférés sont le Christ de douleur, la
Autour de Duccio on trouve des artistes tels que Si- Vierge de Piété, la Descente de croix et la mise au
mone Martini et les deux frères Lorenzetti, Pietro tombeau. La sculpture gothique française entrouvre,
(1305-1345) et Ambrogio (1319-1347) ; ce dernier exé- avec la personnalité de Michel Colombe, la porte de
cute les fresques du Bon et du Mauvais gouvernement la Renaissance.
du Palazzo Pubblico. L’installation des papes à Avi- Dans le domaine pictural figure tout d’abord la
gnon attire les artistes. Parmi eux Simone Martini qui série de manuscrits ou livres d’heures enluminés pour
y meurt en 1344. lesquels les hauts dignitaires éprouvent une affection
La dernière période de l’art gothique est connue particulière ( Très riches Heures du duc de Berry ;
sous le nom de gothique flamboyant. Le mécénat do- Heures de Rohan). Dans le Nord, Jean Van Eyck
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(vers 1390-1441) impose un réalisme qui contraste fin du premier tiers du v f siècle les basiliques de
avec le luxe du gothique international. Le goût du Saint-Apollinaire-in-Classe et de Saint-Vital offrent
détail et les recherches sur la perspective et la lumière les versions occidentales de l’art de l’époque de Justi-
accentuent l’impression de richesse chromatique. Sa nien. Celui-ci se trouve plus pleinement illustré à
tradition est poursuivie par Yan der Weyden (1400- Sainte-Sophie de Constantinople, édifice qui possède
1464), D. Bouts et H. Memling. Ce goût flamand une élévation dotée d’un étage de tribunes et de re-
s’étend en France et dans le Midi (Nicolas Froment). marquables coupoles, ainsi que dans la petite église
La Catalogne de la deuxième moitié du XVe siècle se des Saints-Serge-et-Bacchus. Au-delà de la période
détache des expériences du gothique international iconoclaste marquée par l’interdiction des images figu-
(J. Huguet). En France, il en est de même avec Jean rées, la dynastie macédonienne (867-1056) favorise le
Fouquet. L’un des peintres qui a connu le plus grand renouveau des activités artistiques. La production fi-
succès aussi bien au xve siècle qu’au XXe est Jérôme gurée est alors surtout concentrée à Constantinople
Bosch (1450-1516), contemporain de Lippi et de Bot- (Fenari Isa Camii), en Grèce (mosaïques de Sainte-
ticelli. Le contenu religieux de ses tableaux qui est un Sophie à Thessalonique, catholicon du monastère de
reflet de la société dans laquelle il vit, la force des Saint-Luc en Phocide, Néa Moni de Chio), à Kiev
êtres monstrueux qu’il peint (Jardin des Délices, Ado- (Sainte-Sophie), et en Cappadoce (églises rupestres de
ration des mages, Char de foin) se trouvent à l’op- Goreme). Entre la Renaissance macédonienne et celle
posé des formes de la Renaissance italienne contem- des Paléologues (xie-xme siècles), Fart byzantin évolue
poraine.4 à la recherche d’une expression propre et médiévale.
Les mosaïques de l’église monastique de Daphni près
4. Art byzantin. - L’importance croissante que d’Athènes ouvrent le pas à un maniérisme que l’on re-
prennent les zones orientales de la Méditerranée à la trouve à Saint-Georges de Kurbinovo (1191). Entre
fin de l’Empire romain et plus particulièrement à par- les deux on doit mentionner, hors des limites strictes
tir du IVe siècle, se concrétise sous Constantin avec la de l’Empire, les richesses byzantines de la Sicile nor-
création de Constantinople. Cependant c’est avec Jus- mande (Palerme, Cefalù, Monreale) et de Saint-Marc
tinien au cours du vie siècle que Byzance constitue un de Venise. À partir du xnP siècle et jusqu’à la chute de
empire fastueux dont on conserve des monuments in- l’Empire en 1453 l’art byzantin du bas Moyen Âge se
signes. À Ravenne, capitale occidentale de l’empire de développe de manière diverse dans chaque région. Les
Justinien, on peut suivre l’évolution des formes archi- transformations sont sensibles dans l’église du monas-
tecturales ainsi que de l’art figuratif de la mosaïque au tère de Chora (Kariyé Camii), dans celle de la Pam-
cours des Ve et V f siècles. Vers le milieu du siècle, le makaristos (Fetiyé Camii), à Mistra dans le sud de la
mausolée de Galla Placidia puis, lorsque Théodoric Grèce, à Novgorod en Russie ou en Serbie. Dans l’art
installe dans cette ville à partir de 475 la cour des byzantin, les arts somptuaires et les icônes (peintures
Ostrogoths d’Italie, l’architecture et le décor de Saint- religieuses sur panneaux de bois) revêtent une impor-
Apollinaire-le-Neuf et du baptistère des Ariens mon- tance singulière.
trent la continuité monumentale tard-romaine. À la

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