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Gérard de Nerval et la franc-maçonnerie

Les mystères maçonniques ont eu une influence directe sur la production


nervalienne. Par l’intermédiaire de ses lectures, son génie a donné naissance à des
œuvres spirituelles, lesquelles témoignent d’un fond initiatique.
Même si Hisashi Mizuno estime que l’auteur n’a pas reproduit sa propre influence
de l’initiation, « Tout texte littéraire n’est pas nécessairement le miroir du vécu.
»1, en considérant toutes les recherches que le poète a faites pour mieux
s’informer sur le sujet maçonnique, une forme d’initiation personnelle faite à
partir de recherches sur le sujet peut être décelée. Désormais, l’hypothèse que
Gérard de Nerval était un initié ‘’personnel’’ s’impose. Il reproduit ainsi sa
propre conception du phénomène maçonnique. Il est d’ailleurs le seul à avoir
rendu hommage, en l’enjolivant d’une histoire passionnelle, à la légende sur
laquelle se base le principe maçonnique.

Dans « Une Nuit à Londres », parue dans l’Artiste du 20 septembre 1864 2,


Gérard de Nerval raconte qu’il est rentré dans une maison portant l’inscription :
Chambers to let (Chambres à louer), et voulant louer une chambre pour la
nuit, il n’arriva pas à se faire comprendre d’un homme qui était censé parler
français : « Ennuyé sans doute de ce dialogue à bâtons rompus, il me dit : « Etes-
vous Franc-maçon ?-Non, lui répondis-je en riant, et il fit claquer sa langue avec
quelque impatience. »3 Selon Georges Henri Luquet, cette histoire manque de
vraisemblance car si le monsieur demande à Gérard s’il est franc-maçon, c’est
probablement qu’il l’était lui-même. Or, si Gérard avait appartenu à la franc-
maçonnerie il aurait reconnu, à son langage secret destiné à permettre aux francs-
maçons de n’importe quelle langue de se reconnaître entre eux. Donc, conclut
Henri Luquet, l’absence d’allusion à ce langage dans le récit de Nerval sème le
doute quant à son appartenance à la communauté maçonnique à cette date.

Pourtant, l’auteur renouvelle l’affirmation d’être Louveteau dans une lettre

1
MIZUNO Hisashi, « La Formation d’un Mythe de l’Actrice- La recherche documentaire
dans le cas de Jenny Colon auprès de Gérad de Nerval », Kobe Kaisei Review, n°38,
1999, p. 128.
2
4ème série, tome VII, p.181. cit. LUQUET Georges-Henri, « Gérard de Nerval et la Franc-
maçonnerie », Le Mercure de France, 1er Mai 1955, pp.77-78.
3
Georges-Henri Luquet, « Gérard de Nerval et la Franc-maçonnerie », Le Mercure de France, 1er
Mai 1955, p.78.

1
à son père du 22 octobre 1853 :

La prolongation de mon séjour (dans la maison de santé) est due surtout à


certaines bizarreries qu’on avait cru remarquer dans ma conduite. Fils de
maçon et simple Louveteau, je m’amusais à couvrir les murs de figures
cabalistiques et à prononcer ou à chanter des choses interdites aux
profanes : mais on ignore ici que je suis compagnon-égyptien (refik)4.

Selon Luquet, l’adjectif ‘’égyptien’’ pourrait être un souvenir du Recueil Précieux5


d’après lequel la maçonnerie aurait des origines égyptiennes 6. ‘’Refik’’, signifiant
‘’ami’’ en arabe, est un mot druse qui, dans Voyage en Orient, correspond au
grade de Compagnon. D’ailleurs, le poète, tout en déclarant n’être qu’un profane,
estime posséder le grade maçonnique de Compagnon, alors que d’autres fois il se
proclame Maître7.

Aussi, Luquet indique qu’à la fin de 1849, Nerval collabore avec Henri Delaadge à
l’Almanach Cabalistique pour 1850 ; la même année et les suivantes il publie ses
essais les plus caractéristiques des Illuminés ; en mars-avril 1850, il ajoute à son
Voyage en Orient, l’histoire de La Reine Du Matin. Ce qui justifie les connaissances
considérables de Gérard sur les sociétés secrètes lorsqu’il tente de séduire le chef
Druse.

Par ailleurs, Nerval trouve dans cette science occulte qu’est la franc-maçonnerie,
le moyen d’extérioriser ses hallucinations sans être accusé de folie. En effet, dans
Voyage en Orient il crée le double compensatoire du narrateur, qui lui-même est le
double de l’auteur. Ce double réalise l’accomplissement artistique et existentiel tant
désiré du poète: être le récepteur d'un savoir ésotérique menant à la création. Il
offre de ce fait une projection de l’auteur-narrateur nervalien qui place sa vocation
à la création artistique dans ce damné personnage.
De plus, le lecteur remarque que la damnation du héros est inévitable sous la plume
nervalienne. Elle est représentée par la mort (celle d’Adoniram) au même titre que la
maladie (de Gérard) qui, dans le récit englobant, défait le projet de mariage entre
4
MARSAN Jules, Gérard de Nerval, Correspondances, Paris, 1911, pp.209-210. Cit. LUQUET
Georges-Henri, « Gérard de Nerval et la Franc-maçonnerie », Le Mercure de France, 1er Mai 1955,
p.79.
5
Recueil Précieux de la Maçonnerie Adonhiramite est un manuscrit maçonnique qui décrit les
étapes de l’initiation.
6
LUQUET Georges-Henri, op.cit.
7
Id.

2
Gérard et Saléma. Autrement dit, la vie profanée, la vie maudite ne peut se
poursuivre si un idéal artistique est visé.
Par conséquent, le parcours initiatique prend tout son sens : Hiram est considéré
comme le plus grand architecte pour les francs-maçons et, par extension, son
œuvre est le reflet d’un idéal artistique, alors l’aboutissement de la quête
identitaire dépend de l’abandon des plaisirs terrestres.

NACER Besma

Bibliographie succincte

 Luquet Henri « Gérard de Nerval et la Franc-maçonnerie » Le Mercure de


France, 1955.

 RICHER Jean, « Nerval et ses fantômes », Le Mercure de France, Paris, juin 1951.

 VIATTE Auguste, Mysticisme et Poésie Chez Gérard de Nerval, Cahiers de


l'Association internationale des études françaises, Volume 15, Zurich, Juillet
1962.

 NEE Patrick, « De quel voile s’enveloppe le Voyage en Orient de Nerval ?


», Larousse littérature, n°158, 2010.

 NEMATIAN Labkhand, « La tentation artistique dans le Voyage en Orient


de Gérard de Nerval », la revue de theheran, décembre, 2005.

 MIZUNO Hisashi, « Du neuf sur le Voyage en Orient de Gerard de


Nerval?», Histoires littéraires, nº 1, 2000.
 FAVRE Yves Alain, « l’Orient de Nerval : identité et altérité », dans llana Zinguer
(dir.) Miroir de l’altérité et voyage au Proche-Orient, Slatkine, Genève, 1991.

 CONSTAN François, « Deux Enfants Du Feu : La reine de Saba et Nerval


», dans Mercure de France n° 302, 1948.

 TAGUCHI Aki, Nerval, Recherche de soi et Conquête de soi, Peter Lang, Berne,
2010.

 RICHER Jean, Gérard de Nerval, Expérience vécue et création ésotérique,


Paris, Guy Trédaniel, 1963.

 HETZEL Aurélia, « La Reine de Saba. Des Traditions au mythe littéraire

3
», Perspectives comparatistes, Paris, classiques Garnier, n° 16, 2012.

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