1. Par la phrase impérative on donne un ordre, un conseil, on exprime une exhortation
ou une défense de faire une certaine action. Ce type de phrase est toujours centré sur le destinataire, que celui-ci soit déterminé ou non. Dans certaines grammaires on la retrouve sous la dénomination de phrase injonctive. Attends-toi à une perquisition chez toi. Aie la patience de les former lettre par lettre. Enfin, va te promener sur le chemin des grands bois. (Stendhal) Le message porté par la phrase impérative peut être: direct, lorsqu’il est adressé à un participant direct au message (à la II-ème personne du singulier ou du pluriel et à la I-ère personne du pluriel): Va, montre cette lettre dans tout Verrières. (Stendhal) Prenons vite ce sentier à droite. (Flaubert) Seigneur officier, ayez pitié de moi! (Maupassant) indirect, lorsqu’il est adressé à un non participant direct au message, formulé à la III-ème personne du singulier ou du pluriel: Qu’on fasse venir sur l’heure quarante mousquetaires. Que cent hommes veillent, nuit et jour, sous nos fenêtres! (Jarry) Quelle que soit la structure de la phrase impérative, son contour mélodique est descendant. La marque de la phrase impérative dans le code écrit est d’habitude le point d’exclamation, mais aussi le point: Ne le flattons donc point! (La Fontaine) Achève et prends ma vie après un tel affront. (Corneille) 2.0. Moyens grammaticaux d’exprimer l’injonction Le contenu de la phrase impérative s’exprime par plusieurs moyens, mais qui, sémantiquement, s’inscrivent tous dans la sphère de l’injonction. Le choix du type de réalisateur dépend, d’une part, des participants à l’acte de communication (ordre donné à un participant direct/vs/non direct à la communication), d’autre part, des rapports sociaux qui impliquent le choix d’un certain type de phrase. Ce choix est déterminé par la hiérarchie, la position sociale ou l’âge de la personne à laquelle on donne l’ordre. 2.1. L’injonction s’adresse à un destinataire déterminé 2.1.1. Participant direct au message L’impératif est le mode par lequel on passe un ordre à une personne de rang inférieur (du point de vue de l’âge ou de la position sociale). Le message porté par l’impératif est direct, étant formulé à la deuxième personne du singulier/pluriel ou à la première personne du pluriel. Parfois, le locuteur peut se prendre soi-même pour partenaire: Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre! (Corneille) ou il peut s’adresser à un partenaire autre que lui-même: Hélas! Je suis, Seigneur, puissant et solitaire. Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. (Vigny) La phrase impérative se distingue radicalement de la phrase canonique en ce que l’impératif n’a pas de sujet: Pars! Partons! Partez! Les impératifs présentent la particularité que le destinataire est explicité linguistiquement: a) par la désinence verbale: Ne salis pas ta tunique. N’espérons pas grand-chose! Allons-y les voir! Ecoutez, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne. (Daudet) Dites-lui donc, Cruchot! (Balzac) b) par la désinence verbale et le pronom conjoint réfléchi: Dépêche-toi! Tiens-toi bien! Dépêchez-vous! Si le sujet est effacé en structure superficielle, cela ne veut pas dire qu’on n’y fait aucune référence. La phrase peut présenter des segments nommés appellatifs ou des formes toniques du pronom qui servent d’appellatifs (ou vocatifs) et qui constituent des éléments référentiels. Ne sois pas idiote, petite mauviette! (Hugo) Ne pleurez donc pas, Mme la Reine. (Jarry) Toi, viens avec nous! (Riempeyrou) Vous, là-bas, ne me regardez pas ainsi! On observe que, par rapport au roumain, le destinataire peut inclure même l’émetteur: Partons! Cette injonction s’adresse à toi + moi, et jamais à lui + moi, à la différence de nous de la structure assertive Nous partons. En roumain le correspondant n’est pas le mode impératif, mais le “conjunctiv”: Să plecăm! En plus, le roumain n’a pas d’équivalent direct pour l’impératif passé du français, voilà pourquoi on fait appel au passé du même mode “conjunctiv”. Toute phrase assertive n’a pas son correspondant à l’impératif. Il y a quelques verbes qui ne s’emploient jamais à l’impératif (a et b), d’autres qui ne s’emploient qu’à l’impératif présent (c): a) les verbes impersonnels météorologiques: éclairer, grêler, neiger, pleuvoir, tonner, etc + le verbe falloir; b) les verbes modaux devoir et pouvoir, de même que le verbe déchoir; c) les verbes réfléchis: se repentir, s’en aller, s’endormir, se souvenir, se taire + le verbe mourir (leur impératif passé est inusité). Certains impératifs présentent aussi l’adverbe donc en postposition verbale: Monte donc et ne t’étonne de rien. (Mérimée) Calmons-nous donc, les montagnards! (Hugo) 2.1.1.a. La place des pronoms compléments La présence de l’impératif entraîne certaines modifications quant à l’ordre séquentiel des pronoms compléments. Ceux-ci sont placés après le verbe si la phrase est affirmative, et devant le verbe si la phrase est négative: Montre-la au seul M.Valenod. (Stendhal) Essayez-le donc. (Dumas) Dis-lui que je t’aime. (Stendhal) Laissez-moi faire, dit le chauffeur. (Troyat) Donnez-nous ces papiers et ne nous forcez pas à employer la force. (Villiers Plon) Ne me livrez pas. (Zola) Ne leur obéissez pas! (Pagnol) 2.1.1.1.a.1. Si la phrase impérative affirmative a deux pronoms personnels compléments d’objet, l’un direct, l’autre indirect, on place d’abord le complément direct, ensuite le complément d’objet indirect, si les pronoms sont de personnes différentes (I + II; II + III): Passe-le-moi! (Gide) Tiens-le-toi pour dit! (id) Indiquez-les-nous! Donne-la-leur! (Anouilh) Pourtant, il y a des flottements dans l’ordre des pronoms compléments. On enregistre une forte tendance à utiliser le même ordre que dans la phrase assertive, c’est–à-dire de laisser en première position les pronoms de la I-ère et de la II-ème personne. Voilà pourquoi, chez certains auteurs, de même qu’en français courant, on trouve les objets directs le, la, les placés après le pronom personnel objet indirect de la I-ère ou de la II-ème personne: Montrez-moi-la! (Proust) Zépha, dis-nous-le. (Hériat) Rends-nous-la. (Bernanos) 2.1.1.1.a.2. Si la phrase impérative affirmative a deux compléments, dont l’un est un pronom adverbial, celui-ci se place après le pronom personnel: Donne-m’en! Félicitons-l’en! Parlez-lui-en la première! (Zola) Menez-les-y! Fais- m’y penser! Tenons-nous-en là! (Courteline) Commande-m’en un! (Beauvoir) 2.1.1.1.b.1. Si l’impératif est négatif, on place le pronom personnel objet indirect de la I–ère ou de la II-ème personne avant le pronom personnel objet direct de la III-ème personne: Ne me le répétez pas cent fois, je ne saurais l’oublier. (Bradshow) Ne nous le prête pas! Si les deux pronoms sont de la troisième personne, on place d’abord le complément direct, ensuite le complément indirect: Ne les lui donnez pas! hurla-t-il. (Villiers Plon) Cette gloire, ne la leur envions pas. (Corneille) 2.1.1.1.b.2. Si la structure impérative négative a deux pronoms compléments, dont un est adverbial, celui-ci se place toujours immédiatement avant le verbe et après le pronom personnel complément: Ne m’en parle plus! (Bradshow) Ne t’en vante pas. Ne t’y réfugie pas! Ne l’y attache pas davantage! (Flaubert) 2.1.1.2. Valeurs d’emploi de l’impératif L’emploi de l’impératif est motivé par des mouvements affectifs variés. Ceux-ci sont rendus par le ton de la voix (exigence, impatience, lassitude). Compte tenu de ces nuances, l’impératif peut transmettre (Wagner et Pinchon, 1991:358): un ordre: Gardes, obéissez sans tarder davantage! (Racine) une invitation polie, réalisée à l’aide d’une périphrase de politesse ou de déférence: Veuillez vous asseoir et reprenez donc votre tasse de café. Faites-moi le plaisir de m’accompagner. Daignez recevoir mes hommages. Ayez (la bonté + l’obligeance) de m’avertir. une prière, une supplication pressante: Retirez-vous, Seigneur, et fuyez un courroux/Que ma persévérance allume contre vous! (Racine) une hypothèse: Jetez-moi dans les troupes comme simple soldat, je suis Thersite; mettez- moi à la tête d’une armée dont j’aie à répondre à toute l’Europe, je suis Achille. (La Bruyère) Dans ce dernier cas, il y a un glissement vers la subordination paratactique1. La phrase à structure inversive, terminée par une intonation montante cette fois-ci, et suivie d’une phrase indicative, peut s’interpréter comme le premier élément d’un système conditionnel. (Le Goffic, 1993:506) En voyage, prenez le train de luxe, les wagons sont à tel point surchauffés que vous n’y pouvez tenir. (Montherlant) Chassez le naturel, il revient au galop. Parlez-lui, il ne vous écoute même pas! Demandez-lui pourquoi il pleure, il n’en sait rien. un commentaire bref, dans les phrases incises: Peut-on, dites-moi vraiment, vivre plus? (Gide) Je dis cela (comprenez-moi bien) dans votre intérêt. Paul a réalisé le temps de (tenez- vous bien!) 26 secondes 4 centimes! un rôle voisin de celui d’une interjection (Le Goffic, 1993:499): figurez-vous, écoutez, tenez, allez, voyons, allons, disons, tiens, dis donc, etc. Je l’aime, figure-toi! (Petit Robert) Ecoutez, j’ai une proposition à vous faire. (Bradshow) Allons, allons, nul besoin qu’elle soit vivante, dit le lion. (Supervielle) Tiens, je ne l’aurais pas pensé. (Aragon) Dis donc, c’est moi le fou? (Queneau) 2.1.1.3. Formes verbales autres que l’impératif La valeur injonctive peut être transmise non seulement par une phrase ayant le verbe à l’impératif, mais aussi par d’autres types de phrase, ayant le verbe à l’indicatif présent, futur simple ou périphrastique. L’injonction réalisée par ces procédés est plus catégorique que celle réalisée par l’impératif. 2.1.1.3.1. Les phrases assertives a) ayant le verbe au présent, au futur simple ou périphrastique: Tu vas chez le commissaire avant de rendre visite à la vieille. (Simenon) Alors, tu prends tes affaires et tu te retires sur le champ. Le bien d’autrui tu ne prendras. (Décalogue) Vous allez me raconter tout, d’un bout à l’autre. (Achard) b) verbes et périphrases verbales qui, employés à la première personne du singulier, de l’indicatif ou du conditionnel présent réalisent une configuration explicite d’un ordre, atténué 1 La parataxe est un procédé syntaxique consistant à juxtaposer des phrases sans expliciter par une particule de subordination ou de coordination le rapport de dépendance qui existe entre elles dans un énoncé, dans un discours, dans une argumentation; c’est-à-dire sans procéder à l’enchâssement d’une phrase à l’autre, ni coordonner l’une à l’autre. ou non et qui traduisent des modalités différentes, telles que: l’obligation, l’interdiction, la nécessité, etc. Je dois partir maintenant. J’ai à apprendre ce poème par coeur. Je n’ai pas à me plaindre. Je (demande + exige) que l’on ferme la porte. Je vous ordonne de vous retirer. Je vous (intime + donne) l’ordre de vous retirer. Il (faut + ne faut pas) que je parte maintenant. Il est (nécessaire + impératif) que je parte maintenant. Je vous prie de vous taire. Il serait bon que je parte maintenant. L’interdiction, l’autorisation niée s’expriment de façon explicite, par une série de verbes, tels que: Je vous (interdis + défends) de partir. Je ne vous (autorise + permets) pas de sortir.