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Paroles, Prévert : fiche de lecture

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Publié en 1946, Paroles est un recueil amusant de par sa langue inventive et familière.

Prévert s’inspire de la langue parlée pour créer une poésie proche de la conversation.

Ses jeux avec la langue cherchent à rappeler ce qu’il y a de merveilleux dans la parole, et
favorisent l’éloge des bonheurs simples.

En riant des conventions de la langue, Prévert appelle à prendre ses distances avec
les conventions et les dogmes, à renouer avec un étonnement enfantin et libérateur,
qui est la véritable source du bonheur.

Marqué par la boucherie patriotique que fut la Première guerre mondiale, Prévert
rejette les sources d’un bonheur officiel (argent, patrie, religion), au profit d’un
bonheur plus profond et véritable, fondé sur l’amour et l’innocence.

Ses poèmes dénoncent l’absurdité de la vie moderne et ses violences destructrices. Le


poète libertaire invite à renverser une société qui opprime pour créer les conditions du
bonheur humain.

Qui est Jacques Prévert ?


Jacques Prévert (1900-1977) grandit en banlieue parisienne puis à Paris, au sein d’une
famille de la moyenne bourgeoisie qui l’initie dès sa jeunesse aux plaisirs du théâtre et
de la lecture. Dès l’âge de 15 ans, il interrompt sa scolarité, qui l’ennuie, pour mener de
petits métiers et fréquenter avec les petits voyous de son âge.

La rencontre du futur éditeur Marcel Duhamel lui permet de rencontrer les cercles
surréalistes (Raymond Queneau, André Breton).

Son esprit d’indépendance, dont témoignent ses premiers poèmes dans les années
vingt, l’amène à rompre en 1930 avec le groupe surréaliste.

C’est dans les années 30 qu’il se fait connaître. Avec le groupe Octobre, troupe de
théâtre itinérante jouant dans les usines comme dans la rue, Prévert séduit le public par
ses textes à la fois comiques, inventifs, et critiques à l’égard de l’actualité politique.

Prévert travaille également pour le cinéma en tant que dialoguiste, et participe à


certains chefs-d’œuvre du cinéma français, comme Les enfants du paradis (1945) ou Le
Roi et l’Oiseau (1957).

La variété de sa création témoigne de sa liberté d’esprit : illustration de livres pour

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enfants, pour des peintres comme Miro, ou pour des photographes comme Doisneau,
collages, chansons.

Tout en adhérant aux idéaux libertaires voire anarchistes, il demeure distant des partis,
pour se consacrer à la création et au bonheur qui naît des relations humaines et
créatrices.

Quels sont les thèmes importants dans Paroles de Prévert ?

L’éloge du bonheur simple


Les poèmes de ce recueil font l’éloge des bonheurs simples, qui tirent justement leur
intensité de leur pureté.

L’amour dispense un bonheur absolu et sacré, associé à la fraîcheur du monde


(« Alicante ») et à la libre jouissance sensuelle (« Je suis comme je suis »).

Le détachement à l’égard des richesses matérielles et des conventions sociales


(« Dans ma maison ») garantit un bonheur innocent.

C’est pourquoi Paroles invite à une fugue rieuse loin d’une vie trop sérieuse (« Chasse
à l’enfant ») et matérialiste.

La figure de l’oiseau, très présente, incarne ce bonheur libre et désintéressé. Le


véritable mystère de la vie réside dans cette plénitude absolue (« Chanson »), et non pas
dans les dogmes que les humains s’inventent pour donner du sens à la vie.

Il importe d’autant plus de jouir du bonheur qu’il est éphémère (« Le bouquet », « La rue
de Buci maintenant », « Le temps perdu »). Et le temps qui passe et disparaît suscite la
mélancolie (« Barbara » ).

À la simplicité du bonheur, s’opposent le progrès technique, l’excès de réflexion


(« Fleurs et couronnes », « Presque », « Il ne faut pas… »), la rigidité des dogmes
religieux et politiques (« Pater noster », « Ecritures saintes »), la volonté humaine de
contrôler la nature, tentatives souvent tournées en ridicule, et qui privent la vie de sa
beauté surprenante.

Prévert prône une simplicité qui libère des aliénations modernes : «“c’est fou ce que
l’homme invente / pour abîmer l’homme”» (« Evénements »).

La révolte face à l’injustice et la violence du monde

Prévert dénonce la violence et les injustices du monde.

Il condamne ceux qui pervertissent l’enfance, qu’il associe à l’innocence créatrice. Il


condamne « “Ceux qui donnent des canons aux enfants / Ceux qui donnent des enfants
aux canons ”» (« Tentative de description d’un dîner de tête à Paris-France »).

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Des poèmes prennent ainsi la forme d’apostrophes révoltée, libertaires voire
anarchistes, s’élevant contre la violence de l’ordre moral et du patriotisme guerrier
comme « Le temps des noyaux ».

Le capitalisme et le patriotisme œuvrent en effet à détourner les humains du bonheur,


et les soumettes à l’accumulation et à la mort.

Mais ceux que Prévert dénoncent souffrent eux-mêmes de l’étouffante et morbide


oppression qu’ils exercent sur la société comme en témoignent les poèmes « Riviera »,
« Familiale » ou « L’ordre nouveau ». « Le sultan » incarne ce goût pour la force qui tue
le bonheur.

Face à la figure négative et tyrannique du représentant de l’ordre répressif (prêtre,


policier, patron, président, professeur), s’érigent des figures libertaires, qui cherchent à
garantir leur existence et leur dignité.

Cette opposition évoque parfois le conte ou la fable, comme dans l’ « Histoire du


cheval », où la bête traquée triomphe du général.

Les animaux incarnent cette innocente pureté martyrisée associée à l’enfance : « “Et


pourquoi donc que j’irais pêcher une bête / Qui ne m’a rien fait, papa” » (« La pêche à la
baleine »).

Le tableau pathétique de la misère habituelle

Prévert fait également le tableau pathétique de la misère habituelle : miséreux (« La


grasse matinée » ), exilé (« Le retour au pays »), travailleur épuisé (« Le paysage
changeur ») et exploité (« Aux champs… »), fille opprimée (« La lessive ») ou
délaissée (« Déjeuner du matin »), veuve, enfants battus.

L’hommage aux humbles porte un discours dépréciatif à l’endroit de la société, et en


particulier à l’endroit de la figure du père, symbole d’une virilité meurtrière et d’un
monde adulte dogmatique.

Car cette misère est le fruit d’inégalités sociales, et empêche d’accéder à la beauté du
monde.

La solidarité, dans la révolte et la création, sont l’horizon permettant de recouvrer sa


dignité : « “restez ensemble hommes pauvres / restez unis” » (« Evénements »).

Cette misère est également sentimentale. Ainsi, des poèmes évoquent des cœurs
meurtris (« Rue de Seine »), endeuillés (« Chanson des escargots qui vont à
l’enterrement »), qui s’ennuient d’être riches (« Riviera »). Prévert, tour à tour, écrit pour
dramatiser ou dédramatiser leur peine.

Mais de cette humble vie quotidienne, et même de la misère, se dégage aussi un


bonheur malgré tout, tiré de l’amour simple ou des divertissements populaires
(« Fête foraine »).

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L’éloge de la création artistique
À travers ces poèmes, dont la plupart sont simples en apparence, Prévert déploie un
véritable art poétique, en exprimant sa conception de la beauté.

Le premier poème fait ainsi dire au président du dîner : « “C’était simple, mais il fallait y
penser ”». Cette évidente simplicité désigne en réalité l’écriture même de Prévert.

« Promenade de Picasso » et « Lanterne magique de Picasso » clôturent le recueil en


détaillant le processus créatif du peintre espagnol : essayer de dessiner les choses les
plus simples, qui se dérobent pourtant, car le mystère de la vie réside dans sa pure
simplicité.

Prévert traite ainsi de son propre travail poétique.

Le poème « Pour faire le portrait d’un oiseau » prend même la forme d’un art
poétique libérateur.

Mais la création peut également susciter la souffrance chez l’artiste, qui arrache la
beauté de lui-même pour la donner aux autres dans une sorte de martyre (« Complainte
de Vincent »).

Le poète est de ceux qui savent s’émouvoir de l’amour et de la beauté (« Sables


mouvants », « Le miroir brisé »). Il apparaît comme l’humble modèle d’une fragile
sensibilité, d’une profonde vitalité (« Le jardin »).

Par de malicieux clins d’œil, Paroles rend également hommage à la création artistique
classique et moderne.

Quelles sont les caractéristiques de l’écriture de Prévert ?

La liberté du vers libre

Prévert compose en vers libre afin de mieux faire varier le rythme de ses poèmes.

Le vers peut être monosyllabique, réduit à un seul mot, comme bien plus long, et
devenir phrases en prose.

La ponctuation, rare voire absente, favorise également la fluidité et les effets de


rupture de cette poésie parlée.

Cette libre alternance, dans la variété des vers, se retrouve également dans la longueur
des poèmes : là où certains se limitent à quelques vers, d’autres constituent des
« Feuilletons », comme des nouvelles poétiques.

Le jeu de listes

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Prévert hérite du surréalisme le goût pour la taxinomie, science consistant à classifier,
qu’il détourne pour composer d’absurdes listes.

Un « Cortège » extravagant, à la fois comique et effrayant, s’anime dans ses poèmes. La


personnification donne vie et poétise le monde, où plus rien n’est inerte. Car pour le
poète, désigner c’est donner vie par la magie de la langue.

Cette poétique de la liste ouvre d’ailleurs le recueil avec « Tentative de description d’un
dîner de tête à Paris-France ». C’est par la liste que procède le récit, accumulation
d’événements plus ou moins reliés entre eux et formant un tout.

Le recueil en lui-même, dépourvu de sections, s’apparente à une longue liste de


poèmes plus ou moins longs, et qui forment une frise.

Jouer avec les conventions du langage

Dans Paroles, Prévert s’amuse avec les conventions du langage de différentes


manières :

Prévert joue avec les expressions toutes faites, qu’il se plaît à défiger pour les
rendre absurdes : « “et un et un ne font ni une ni deux” » (« Page d’écriture »).

Il moque le moralisme des proverbes et des aphorismes en les détournant. Il


invente également ses propres aphorismes, et les dote d’une absurdité critique.
Enfin, il aborde les expressions figées dans leur sens propre, pour montrer que

la langue usuelle n’a pas le sérieux qu’elle prétend avoir, et que la poésie réside
dans le parler quotidien.

Prévert joue avec les étrangetés amusantes que peut créer la syntaxe, avec le
zeugma notamment : « “Napoléon prit du ventre et beaucoup de pays ”»
(« Composition française »).

La poétique de la liste favorise la mise en relations d’éléments sans lien. La


phrase devient le creuset où s’invite le monde. Les expérimentations syntaxiques
créent également des vers dépourvus de sens : « “Ceux qui debout les morts ”»
(« Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France »).

Prévert régénère le langage et l’usage que l’on en fait en rappelant que la langue parlée
recèle des automatismes dans lesquels il est dangereux de tomber, car ils nous
occultent ce que la parole a de merveilleux.

Le goût pour le jeu de mot

Les jeux de mots témoignent d’une esthétique surréaliste cherchant à rire du langage et
du monde. Calembours, inventions burlesques, néologismes, lapsus volontaires.

Calembours jouant sur l’homophonie (« “hue donc » et « eut donc” » dans


« Histoire du cheval »).
Lapsus absurdes fondés sur l’interversion de lettres : « “en moto j’arrive à Sabi en
Paro […] un matin j’arrive à Paris en sabots ”» dans « Histoire du cheval ».

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Interversions des éléments formant les groupes nominaux afin de créer des
expressions comiques et absurdes (« Cortège »).
Mise à nu de l’arbitraire du langage (« L’amiral »). Les mots n’ont de sens que
parce que nous l’avons décidé. Le langage n’est donc pas aussi sérieux qu’il le
prétend.

Un comique burlesque, merveilleux et révolté

De tous ces jeux sur la langue, il se dégage un comique burlesque, fondé sur le
renversement comme dans un joyeux carnaval.

Ces jeux plaisants sur les sens et les sons réenchantent également le langage. Ces
poèmes truffés d’inventions et de trouvailles sont des trésors poétiques puisés dans les
paroles du quotidien. Prévert fusionne la langue quotidienne et la langue travaillée par le
poète.

Mais ce comique et également celui d’un poète révolté. Prévert choisit d’exprimer sa
révolte par la créativité, car s’il aspire à la destruction d’un monde violent, c’est pour
faire naître un monde plus doux.

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