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Publié en 1946, Paroles est un recueil amusant de par sa langue inventive et familière.
Prévert s’inspire de la langue parlée pour créer une poésie proche de la conversation.
Ses jeux avec la langue cherchent à rappeler ce qu’il y a de merveilleux dans la parole, et
favorisent l’éloge des bonheurs simples.
En riant des conventions de la langue, Prévert appelle à prendre ses distances avec
les conventions et les dogmes, à renouer avec un étonnement enfantin et libérateur,
qui est la véritable source du bonheur.
Marqué par la boucherie patriotique que fut la Première guerre mondiale, Prévert
rejette les sources d’un bonheur officiel (argent, patrie, religion), au profit d’un
bonheur plus profond et véritable, fondé sur l’amour et l’innocence.
La rencontre du futur éditeur Marcel Duhamel lui permet de rencontrer les cercles
surréalistes (Raymond Queneau, André Breton).
Son esprit d’indépendance, dont témoignent ses premiers poèmes dans les années
vingt, l’amène à rompre en 1930 avec le groupe surréaliste.
C’est dans les années 30 qu’il se fait connaître. Avec le groupe Octobre, troupe de
théâtre itinérante jouant dans les usines comme dans la rue, Prévert séduit le public par
ses textes à la fois comiques, inventifs, et critiques à l’égard de l’actualité politique.
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enfants, pour des peintres comme Miro, ou pour des photographes comme Doisneau,
collages, chansons.
Tout en adhérant aux idéaux libertaires voire anarchistes, il demeure distant des partis,
pour se consacrer à la création et au bonheur qui naît des relations humaines et
créatrices.
C’est pourquoi Paroles invite à une fugue rieuse loin d’une vie trop sérieuse (« Chasse
à l’enfant ») et matérialiste.
Il importe d’autant plus de jouir du bonheur qu’il est éphémère (« Le bouquet », « La rue
de Buci maintenant », « Le temps perdu »). Et le temps qui passe et disparaît suscite la
mélancolie (« Barbara » ).
Prévert prône une simplicité qui libère des aliénations modernes : «“c’est fou ce que
l’homme invente / pour abîmer l’homme”» (« Evénements »).
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Des poèmes prennent ainsi la forme d’apostrophes révoltée, libertaires voire
anarchistes, s’élevant contre la violence de l’ordre moral et du patriotisme guerrier
comme « Le temps des noyaux ».
Car cette misère est le fruit d’inégalités sociales, et empêche d’accéder à la beauté du
monde.
Cette misère est également sentimentale. Ainsi, des poèmes évoquent des cœurs
meurtris (« Rue de Seine »), endeuillés (« Chanson des escargots qui vont à
l’enterrement »), qui s’ennuient d’être riches (« Riviera »). Prévert, tour à tour, écrit pour
dramatiser ou dédramatiser leur peine.
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L’éloge de la création artistique
À travers ces poèmes, dont la plupart sont simples en apparence, Prévert déploie un
véritable art poétique, en exprimant sa conception de la beauté.
Le premier poème fait ainsi dire au président du dîner : « “C’était simple, mais il fallait y
penser ”». Cette évidente simplicité désigne en réalité l’écriture même de Prévert.
Le poème « Pour faire le portrait d’un oiseau » prend même la forme d’un art
poétique libérateur.
Mais la création peut également susciter la souffrance chez l’artiste, qui arrache la
beauté de lui-même pour la donner aux autres dans une sorte de martyre (« Complainte
de Vincent »).
Par de malicieux clins d’œil, Paroles rend également hommage à la création artistique
classique et moderne.
Prévert compose en vers libre afin de mieux faire varier le rythme de ses poèmes.
Le vers peut être monosyllabique, réduit à un seul mot, comme bien plus long, et
devenir phrases en prose.
Cette libre alternance, dans la variété des vers, se retrouve également dans la longueur
des poèmes : là où certains se limitent à quelques vers, d’autres constituent des
« Feuilletons », comme des nouvelles poétiques.
Le jeu de listes
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Prévert hérite du surréalisme le goût pour la taxinomie, science consistant à classifier,
qu’il détourne pour composer d’absurdes listes.
Cette poétique de la liste ouvre d’ailleurs le recueil avec « Tentative de description d’un
dîner de tête à Paris-France ». C’est par la liste que procède le récit, accumulation
d’événements plus ou moins reliés entre eux et formant un tout.
Prévert joue avec les expressions toutes faites, qu’il se plaît à défiger pour les
rendre absurdes : « “et un et un ne font ni une ni deux” » (« Page d’écriture »).
la langue usuelle n’a pas le sérieux qu’elle prétend avoir, et que la poésie réside
dans le parler quotidien.
Prévert joue avec les étrangetés amusantes que peut créer la syntaxe, avec le
zeugma notamment : « “Napoléon prit du ventre et beaucoup de pays ”»
(« Composition française »).
Prévert régénère le langage et l’usage que l’on en fait en rappelant que la langue parlée
recèle des automatismes dans lesquels il est dangereux de tomber, car ils nous
occultent ce que la parole a de merveilleux.
Les jeux de mots témoignent d’une esthétique surréaliste cherchant à rire du langage et
du monde. Calembours, inventions burlesques, néologismes, lapsus volontaires.
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Interversions des éléments formant les groupes nominaux afin de créer des
expressions comiques et absurdes (« Cortège »).
Mise à nu de l’arbitraire du langage (« L’amiral »). Les mots n’ont de sens que
parce que nous l’avons décidé. Le langage n’est donc pas aussi sérieux qu’il le
prétend.
De tous ces jeux sur la langue, il se dégage un comique burlesque, fondé sur le
renversement comme dans un joyeux carnaval.
Ces jeux plaisants sur les sens et les sons réenchantent également le langage. Ces
poèmes truffés d’inventions et de trouvailles sont des trésors poétiques puisés dans les
paroles du quotidien. Prévert fusionne la langue quotidienne et la langue travaillée par le
poète.
Mais ce comique et également celui d’un poète révolté. Prévert choisit d’exprimer sa
révolte par la créativité, car s’il aspire à la destruction d’un monde violent, c’est pour
faire naître un monde plus doux.
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