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Créoles (ii)
Recueillis par Lafcadio HeaRn
inédits
Transcrits
et traduits en français
par Louis Solo MarTineL
à rachelle,
à Pascale,
à Youma.
9
« Le souvenir de la Martinique
dans la vie quotidienne de Lafcadio HeaRn »
toki koizUMi (Petit-fils de Lafcadio HeaRn)
« HeaRn et la Martinique »
Bon kOIzUMI (arrière-petit-fils de Lafcadio HeaRn)
Professeur de l’Université de Matsue
Martinique lui devait être chère. il vantait si souvent les charmes des
antilles à sa famille, à tel point que sa femme setsu koizUMi, qui
comprenait difficilement les noms étrangers, s’est souvenue du nom
de « Martinique » sa vie durant.
Peu de temps après son arrivée au Japon, HeaRn s’installa à
Matsue. il racontait son expérience martiniquaise dans les milieux
d’enseignants, à travers des conférences qu’il intitulait « sur les
indes orientales ». Pour beaucoup de spécialistes, le volume
Glimpses of an unfamiliar Japan basé sur son expérience à Matsue
ont de fortes similitudes avec Two years in the French West indies
établi à partir d’une expérience martiniquaise. similitudes de la
méthode d’observation utilisée (Field work) et du genre du récit. Ce
sont deux récits de voyage d’intérêt ethnographique dans lesquels
l’observateur se mélange à la population locale. quelle est la nature
de cette force magnétique qui s’opère entre HeaRn et la Martinique ?
Patrick CHaMoiseaU et Raphaël ConFiant, deux célèbres écri-
vains contemporains martiniquais présentent ainsi HeaRn :
« l’écrivain anglo-héllène, de nationalité américaine,
Lafcadio Hearn qui, à la fin du xixe siècle, recueillit les contes
créoles de Louisiane et de la Martinique, vécut avec délices
dans le Saint-Pierre d’avant l’éruption, publiant également
des ouvrages pleins d’amour pour les paysages et les hommes
martiniquais, paraissant un instant s’enraciner ici-là, avant
de partir pour le Japon où il épousa une femme du cru et écri-
vit des ouvrages en japonais. Homme à l’identité multiple,
Lafcadio Hearn a eu l’intuition de la Diversalité. »3
Ce passage, que l’on pourrait juger trop court pour un essai aussi
volumineux, contient quelques malentendus4, cependant ils ont fait
mention de l’essentiel à savoir l’identité multiple et l’intuition pour
la diversalité de HeaRn.
dans l’amérique du xixe siècle, où l’origine, la couleur de la
peau, et même la taille étaient des critères d’exclusion, on imagine
que le petit gréco-irlandais à teint mat, conscient de son métissage
d’oriental et d’occidental, intégra inconsciemment le complexe d’in-
Remarques liminaires 21
Les premières pages du manuscrit 23
1 Pié-chique-à 29
Correspond à la pièce xii du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
2 Compè lapin adans bassin li roi 41
Correspond à la pièce xiii du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
3 zistoi piment 49
Correspond à la pièce xviii du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
4 Tête 55
Correspond à la pièce xiv du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
5 Maman Marie 63
Correspond à la pièce xv du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
6 Li roi té ka mandé yon batiment 77
Correspond à la pièce xvi du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
7 Ti Poucette 87
Correspond à la pièce xvii du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
8 adèle épi Ti Jean 97
Correspond à la pièce xix du sommaire de
Trois fois bel conte, non publiée
Les dernières pages du manuscrit 103
21
reMarQUeS LiMiNaireS
——- 2
di bacoué 3 mouri
Guin guin
tout zenfans dansé
Guin guin
tout tis ouèseaux dans bois vini ouè.
___
1 on retrouve cette phrase dans (ti canotié), l’histoire de deux enfants perdus en pleine
mer entre la Martinique et la dominique. terrorisés par les immensités, ciel, mer,
vent, les requins et la mort, ils discutent sur l’existence de dieu (The good god is lik e
the Wind: the Wind is ev ery where, and we cannot see it, it touches us, it tosses the
sea.). L. HeaRn, Two y ears in the French West indies vol iii, p. 373.
2 Liste de prénoms raturés et parfois illisibles.
3 on peut supposer qu’il s’agit d’un personnage du folklore aux antilles, je n’ai mal-
heureusement pas pu l’identifier.
4 Phrase illisible.
Les PReMièRes PaGes dU ManUsCRit 25
Le Bon dieu est comme le vent. Le vent est partout et nous ne pou-
vons pas le voir. il nous touche. il bouleverse la mer.
___
Peuple ! voilà du bon lait ! voilà du bon lait ! voilà du bon lait cru !
Pharosia, valérine, annissette, azié, Féfé, Ferdine, Géromia.
___
___
Mo pa ni maman
Mo pa ni papa
toutt ti zoueseaux ka caca assous moin.
—— -5
Manselle aubestine
canari là cassé
tout bouillon la renversé.
___
___
___
Mademoiselle aubestine,
La marmite est cassée,
tout le bouillon est renversé.
___
quel beau temps ! La mer est belle, les poissons font la culbute,
Marie, femme, mets ton châle et allons nous promener.
___
Les affaires des oies ne sont pas les affaires des canards
___
avant même que tu te moques de moi, j’ai déjà compté toutes les
dents de ta bouche.
29
Pié - Chique - à
30 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
il y avait une mère qui avait deux enfants. Une fille qui s’appe-
lait Marie, et un garçon Pié-Chique-à. tous les soirs, Marie sortait,
sa mère lui disait : « où vas-tu, ma fille ? C’est déjà le soir, reste
ici ! » Marie répondait : « Je vais chez mon petit ami ». sa mère lui
disait : « tu ne veux pas m’écouter, ce sera tant pis pour toi ».
bouin plis loin, y ka ouè yonne joli ti souyé, épi yonne chapeau. Y
ka di : « ah ! si Pié-Chique-à té la, moin té ké bail y ti chapeau-à épi
souyé-à ». Pié-Chique-à sérré deïé yonne pié-bois ka réponne li : -
« sésé, mi moin ! » Marie ka réponne li : - « Moin té di ou allé - moin
ka ba ou ça. si ou pa viré, moin ka ba ou yonne grand coup ».
«Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon !» 4
et diabe-là tiré yonne zié Marie épi ti jambette là, - y metté zié
y la dans ti zassiett-là. Y pouend ti jambette-là, y ka tiré lautt zié -
Marie la, - toutt pendan y ka chanté encò :
«Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon !»
3 ici, nous constatons l’abscence de forme verbale dans ce segment. nous avons traduit
par « prit » un mot manquant qui pourrait être /pouend/.
4 Formules invoquant le surnaturel. serge denis dans Trois fois bel conte, explique que
ce type de formule serait d’origine africaine avec des termes français qui s’y mélan-
Pié-CHiqUe-À 33
alla un peu plus loin, elle vit de jolis souliers et un chapeau. elle dit :
« ah ! si Pié-Chique-à était là, je lui donnerais le chapeau et les sou-
liers ». Pié-Chique-à caché derrière un arbre lui répondit : « sœur,
me voilà ! » Marie lui répondit : « Je t’avais dit de t’en aller. Je te
donne tout cela, si tu ne retournes pas, je te donnerai un grand
coup ».
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
34 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
épi diabe là allé invité toutt canmarade-li, toutt diabe pou vini
mangé Marie. alhè diabe là allé, Pié-Chique-à sòti enba canapé-à, y
ka di « Sésé, ça moin épi maman moin té ka di ou ? » Marie ka
réponne y : « Pié-Chique-à ! - ess ou qui là ? – Sauvé sésé-ou
‘lavie ! » Pié-Chique-à ka réponne y : « Moin ! - ou pa té lè moin vini
épi ou, et ou’lè moin sauvé-ou lavie ! »
« Metté zié-la !
Tiré zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
« Metté zié-la !
Trié zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon »
5 Parenthèses de HeaRn /(en haut)/ lui paraissait trop près du français, il préféra /enlai/.
Pié-CHiqUe-À 35
Puis le diable s’en alla inviter tous ses amis diables, pour venir
manger Marie. sitôt le diable parti, Pié-Chique-à sortit de dessous
du canapé, il dit à sa sœur : « Sœur ! qu’est ce que, maman et moi,
nous t’avions dit ? » Marie répondit : « Pié-Chique-à, - c’est bien
toi ! - Sauve la vie à ta sœur ! » Pié-Chique-à lui répondit : « Moi !
tu ne voulais pas que je vienne avec toi, et maintenant tu voudrais
que je te sauve la vie ! »
« Metté zié-la !
Tiré zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
« Metté zié-la !
Tiré zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
(4 fois)
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon
zon - zon ! »
6 Le passé récent français (venir + infinitif) dans « je viens de manger », peut se former
en créole guadeloupéen avec (sòti + verbe) comme dans l’expression (mwen sòti
mangé). en Martinique, on utilise la modalité prédicative (fini + verbe), comme dans
(mwen fini mangé). ici, il semblerait que ce soit la provenance qui soit exprimée avec
une légère allusion au caractère récent de l’action. nous conservons la construction
Pié-CHiqUe-À 37
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
(4 fois)
« Tiré zié-la !
Metté zié-la !
zin - zon - malaizon
zon - zon ! »
« Tiré zié-là !
Metté zié-là !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
(4 fois)
(signature)7
« Tiré zié-là !
Metté zié-là !
zin - zon - malaizon -
zon - zon ! »
(4 fois)
Li Roi tini yonn grand jardin, dans jàdin là teni yonne grand bas-
sin tout le jou le matin y té ka baigné là en bassin là épi femme li.
Yonne jou, Compè Lapin ka passé dans jàdin le roi, y ouè le roi
ka baigné cò li. Y di comm ca, - y ké fai le roi yonne méchancété.
tou lé jou quand le roi té vini pou baigné, y ka trouvé bassin là sale
épi et tout plein laboue. Le roi pa save ki ca ki té ka fé méchanceté-
là.
Compè Lapin ka vini pou métté laboue dans bassin là, y ka ouè
bonhomme la, y ka di : « Bonjou Monchié2 ! Ça ou kàfé là ? »
Bonhomme-là pa ka réponne ; et Compè Lapin té za bien encolè
pace y pa ka réponne li. Y di : « Pisse ou pa ka réponne moin bon-
jou moin, moin ké mangé toutt akra-là, épi moin ka ba ou dé souf-
flets. Pisse moin di ou bonjou, ou té douè réponne moin ».
Bonhomme là pas ka réponne tout ça ; et Compè Lapin mangé toutt
akra là. quand y fini mangé akra-à, y baill bonhomme là yonne souf-
flet ; y lanmain y té àssou figur bonhomme la, - pisse figur bonn-
homme là cé té laglu - Y di bonhomme là : - « Laguè moin, Compè,
- laguè moin ! » Y bail li yonne laut soufflet épi lautt lamain
Le roi vint dans son jardin, pour voir si le bassin n’était pas sali,
et il trouva Compère Lapin bien collé sur le bonhomme. il dit : «ah!
Compère Lapin c’était toi qui me faisais cette farce, tu salissais
l’eau de mon bassin tous les jours. Mais, je te tiens aujourd’hui ». et
le roi envoya chercher les gendarmes pour attacher Compère Lapin
à un arbre. Les gendarmes vinrent décoller Lapin, le prirent et l’at-
tachèrent derrière un arbre pour le battre.
Pàdans temps là, Compè tig ka crié et Compè Lapin dans pié-
bois là ka ri y crié Compè tig, y ka di : « Compè Tig moin badiné
tou bien, pace ou 6 yonne goumanne ». Compè tig réponne Compè
Lapin : « La moin ké moin contré épi ou, moin ké valé ou ».
6 dans ce segment, le verbe manque. on doit pouvoir y insérer /sé/ qui se traduit par
« être ».
CoMPè LaPin adans Bassin Li Roi 47
Zistoi piment
Histoire de piment
50 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
téni yonne manman qui tini en pile yche ; et yonne jou, y pa téni
arien pou y té baile yche li mangé. Y ka lévé jou bon matin-la sans
yon lisou, y pa sa ça y ké té doué fai, la y té ké bail latête. Y allé
lacaïe la comm1 macoumè-y raconté lapeine y. Macoumè bail y tois
chopine farine magnioc ; y allé lacaïe lautt macoumè, qui bail yonne
granne trè pignene trai2 piment. Macoumè-a di : y ké venne trai
piment-à, épi y ké acheté lamorie, pisse y ja ni farine.
Tête
56 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
1 La diablesse personnage du conte créole a d’autres fonctions que celles de la vieille fée
(conte français). HeaRn a raison de supprimer /diablesse/ au profit du terme /vié fée/.
ici, /vié/ n’a pas qu’une valeur physique mais aussi une valeur psychologique qui se
traduirait en français par « méchante ».
2 /nenneine/, terme désignant marraine en langage enfantin ; /marraine/ a été effacé à
certains passages.
3 Une partie de la phrase est illisible, la fin proposée est une hypothèse (…) après mille
et une vérifications.
tête 57
Ki-dique, Ki-dique
Ki-dique, Ki-dique 5
« il y a quinze jours
Qu’aurore est enterrée ».
quand elle s’en alla, aurore n’oublia pas, il était tôt, de bon
matin. aurore était sortie pour laver une chose, à ce moment-là, le
roi passait avec toute sa garde. Le roi s’arrêta et dit : «ah quelle belle
aurore ! » Le roi parlait du beau temps. aurore qui était là, croyant
que c’était elle, leva les yeux, et regarda le roi. au moment même,
elle fut changée en tête. Le roi trouva cela drôle, il mit l’un de ses
gardes debout devant la porte.
La méchante fée arriva, elle avait déjà fait toute sa tournée, elle
trouva aurore changée en tête, elle s’arrêta et dit : « Si tu n’avais
regardé personne, tu ne serais pas changée en tête ». alors, la
méchante fée tua la tête et l’enterra. Le roi avait vu tout cela. il vit
l’endroit où elle avait enterré la tête, il envoya un valet planter une
fleur sur la fosse, pour bien la voir. La méchante fée s’arrêta et elle
secoua tout son corps, en chantant :
Ki-dique, Ki-dique
Ki-dique, Ki-dique
quinze jours passèrent, le roi alla sur la fosse, il trouva une jolie
fleur que l’on appelle « La chevelure de Vénus ». La fleur chanta
pour le roi :
« il y a quinze jours
Qu’aurore est enterrée ».
« il y a quinze jours
Qu’aurore est enterrée,
C’est tête
C’est tête
Qui l’a mise là ». (2 fois)
60 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
La mêmm le roi ka ouè yonne tête qui sòti là.6 Le roi méné vié-
fée là a caïe li, épi tête-là. Le roi ka mandé vié fée là : « Comment ça
fé fi-ya tou’né tête ? - Ou ce yonne vié feu ; çé ou qui ka passé nans
toutt ce pays là ; - Ou ka rété dans toutt pays ; dans toutt batême ;
dans toutt maïage qui ka faitt ; ou ka tou’né tête ; ou ka di, « Mò ! »
- et toutt moun ka tombé mò. Ou ka mangé toutt mangé-yo ; ou ka
pouend toutt bagaïe-yo ; ou ka pouend toutt lor, toutt ça yo ni. Si ou
pa di moin ça ou fé pou fi-à té tou’né tête moin ké tchoué ou. »
Lhè vié fé là té ka vini pou y té tou’né tête, épi pou té crié le roi
mò, la police qui té coté le roi quimbé guiole li ; - le roi mandé encò :
« avant moin tchoué ou, ba moin bagaïe-la ou ni ya pou moin pé fai
fi ya tou’né comm y té yé ». viè fé-à réponne li : - « Gadé enlè ribò-
à,- ou ke trouvé yonne ti fiôle ». Le roi pouend ti fiole-là, bai y vié fé
là ; vié feu-à pouend li, y vidé ti fiole là assous tête auouô. auouô
tou’né yon bel fi comm y té yé.
Le roi fai limin yon gouôs difé pou brilé vié-feu là. auouô ka di
le roi : « non Missié le roi, cé té nenneine moin pa fai y ça ! ». Le roi
ka réponne auouô : « Fau moin brilé-y ». Le roi épi toutt gàde li
pouend vié feu-à, jété li dans difé-à. quand le roi ouè y té bien
consomé, le roi pàti épi auouô. Maman le roi méné auouô ba Missié
l’abbé ; - y fai Missié l’abbé passé létole assous auouo. dilà y
retouné à caïe li épi auouô.
dé ou toua jou ‘apouès le roi maïé épi auouô. Yo baill yon grand
grand bel, bel déjeuné.
— -7
deux ou trois jours après, le roi se maria avec aurore, ils don-
nèrent un très grand et très beau déjeuner.
Maman Marie
La mère de Marie
64 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
1 il manque un mot ici, pour exprimer la possession /à/ ou /pour/. ou bien HeaRn a
confondu /té/ et /ta/.
2 /charger/ dans le sens français de « charger quelqu’un », est peu utilisé aujourd’hui,
mais trouve tout son sens dans l’univers des porteuses créoles (voir nos commen-
MaMan MaRie 65
il y avait une mère qui avait une petite fille qui s’appelait Marie.
La maman aimait Marie comme on n’avait jamais vu ça. toutes les
affaires de la mère étaient à Marie, tellement elle l’aimait. La
maman avait une grosse jarre dans sa maison. La jarre était trop
lourde pour Marie. C’était donc la maman elle-même qui allait
prendre de l’eau.
Un jour, elle prit la jarre pour aller chercher de l’eau, elle laissa
Marie surveiller la maison. quand elle arriva près de la fontaine, elle
ne trouva personne pour la charger. La mère se mit à crier :
Lhè souè vini, Marie faitt toutt travail li, y rentré pipe maman-à,
y rentré toutt ça. Maman-à pouend pipe-là, y metté pipe-là derhò
sans Marie té ouè ça, -coté dixhè, lhè maman-à ja couché, toutt epi
Marie épi maman y allé dòmi. Pendant Marie ka dòmi, maman à ka
di comm ça, « Marie ! ou oublié pipe moin dèrhò ». Marie ka
réponne-y : « Moin rentré-y, - oui maman ». Maman a ka di : « Moin
(—) 4 fimé encò : àlhè moin quitté - pipe là derhò ». Marie levé, y sòti
derhò. Lhè y sòti derhò : maman à lévé, y fèmé lapòte li. Lhè menm
diabe-là té là : y pouend Marie.
Lorsque la maman s’arrêta, elle vit qu’il n’y avait aucun bon
chrétien pour la charger, alors elle se mit à crier :
Lorsqu’elle eut dit cela, elle vit venir un diable qui lui dit : «Pour
te charger, que me donnes-tu ? » La maman répondit : « Je n’ai
rien ». Le diable lui répondit : « il faut que tu me donnes Marie, pour
te charger ». La mère répondit : « ah Monsieur, une enfant que
j’adore tant, vous voulez que je vous la donne ». Le diable lui répon-
dit : « ah oui ! il faut absolument que tu me la donnes, si tu veux que
je te charge ».
Maman-à ka réponne li :
« Marie, Marie,
Dépêchez-vous !
Voici le jou
Qui va ouvé ».
Marie ka réponne-y :
« attendez-y !
attendez- là !
J’ai encoò tantante
et tonton à pàlé ».
« Maman, Maman,
Ouvrez la porte,
Voilà le diable,
Qui m’emporte ».
« Marie, Marie,
Dépêchez-vous !
Voici le jour
Qui se lève ».
« attendez !
attendez !
J’ai encore tante
et oncle à qui parler ».
« Tantante, tantante,
Ouvé lapòte,
Voici le diabe-la
Qui m’empòte ».
tantante-là ka réponne y :
Marie ka réponne-y :
« attendez-y !
attendez-là !
J’ai encore nenneine à pàlé ».
« nenneine, nenneine,
Ouvé làpòte,
Voici le diabe
Qui m’empòte ».
« Tante, Tante,
Ouvrez la porte
Voici le diable
Qui m’emporte ».
La tante répondit :
« attendez !
attendez !
J’ai encore une marraine à qui parler ».
« nenneine, nenneine,
Ouvrez-moi la porte,
Voici le diable
Qui m’emporte ».
72 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
« nenneine, nenneine,
Ouvé là pòte etc. » 8
7 L’état du manuscrit montre que HeaRn a repéré l’inversion : /nenneine la qui té couché,
ka di ba Marie/
8 idem note 6.
9 /Marraine/ utilisé ici au lieu de /nenneine/.
MaMan MaRie 73
« nenneine, nenneine,
Ouvrez- moi la porte etc. »
La marraine sauta hors de son lit, elle prit une croix et un peu
d’eau bénite, elle ouvrit sa porte et lorsqu’elle ouvrit sa porte, la
marraine envoya un peu d’eau bénite. Le diable jeta Marie devant la
porte de sa marraine, il prit la fuite. La marraine ramassa Marie et
referma sa porte. elle demanda à Marie : « Qu’est-ce tout cela ? Que
t’est-il arrivé ? » Marie se mit à raconter tout ce que sa mère lui avait
fait. au lever du jour, marraine prit Marie et l’amena chez Monsieur
l’abbé pour qu’il passe l’étole sur Marie. quand Monsieur l’abbé
eut fini, Marraine emmena Marie dans sa maison.
Puis, Marraine alla sur la place. quand elle passa devant la porte
de la mère de Marie, elle lui dit : « ah ! ma commère ! C’est donc
cela que tu as fait à Marie, pourtant tu disais aimer Marie ! Tu fai-
sais donc semblant ».
—i i—10
-11 (yon femm doit ett touni douvant mari y conm yon caca poule
jaune douvant molocoye)12.
La marraine alla sur la place, elle acheta tout ce qu’il lui fallait
et elle s’en retourna chez elle. elle mit toutes les marmites sur le feu,
elle invita ses amis et ils donnèrent un très grand déjeuner, etc.
(Une femme doit être nue devant son mari comme une fiente de
poule jaune devant une tortue « molocoye »)
77
téni yon maman qui téni toua gàçons : yo tenne di que le roi té
ka mandé batiment là.
1 /bâtiment/ signifie dans ce segment, gros navire ou bateau transportant des mar-
chandises. nous conservons le mot dans la traduction française, car ce sens est attesté
en français, bien que peu utilisé.
2 Parenthèses de l’auteur.
3 Parenthèses de l’auteur.
Li Roi té kaMandé Yon BatiMent 79
il y avait une maman qui avait trois enfants, ils avaient entendu
dire que le roi demandait ce bâtiment.
Lhè y rivé dans bois, pitôt y fai batiment là, y commencé coupé
bois, y commencé fai lélé.4 au Lésouè vini, y fouc sòti dans bois, y
foucan, y descanne caïe maman y, épi toutt paqué baton-lélé-à.
quann maman y ouè y arrivé, y crié : « ah ah monfi ! - ou allé fai
batiment pou leroi, épi ou fai lélé, ça ou fai moin moin ».5
4 /lélé/ et /baton-lélé/ = fouet traditionnel pour la cuisine aux antilles. voir « two
years... », p. 48.
5 /moin, moin/, c’est une confusion de l’auteur, cette forme de répétition de pronom en
fin de phrase n’existe pas en créole. on devrait dire /ça ou fait moin an/.
Li Roi té kaMandé Yon BatiMent 81
Lhè capitaine là rivé yon ti boin plis loin, y ka ouè yon nhomme
assise bò yon bari divin vide. Capitaine à ka mandé y : « Ça ou ka
fai là ? » nhomme là ka réponne y : « ni longtemps moin pa bouè
divin, moin ka senti bari-à, pou mo ouè si mo pè contenté moin ».
Capitaine là ka di : « rentré abò batiment là, ou pe bouè divin tant
ou’lè ». nhomme la rentré, epi coumencé bouè divin.
vieille femme lui répondit : « Bonjour mon fils, où vas-tu mon fils ? »
il lui répondit : « Je vais travailler maman. Le roi a demandé un
bâtiment qui marche autant sur terre que sur mer. Je vais voir si je
peux faire ce bâtiment ». Le petit garçon dit encore : « Tu dois avoir
faim ? » La vieille femme dit : « Mais non, mon fils, c’est tout ce que
tu as pour toi, je n’en veux pas ». Le garçon lui donna une bouteille
de vin, une bouteille de rhum, un pain de quatre sous et quatre livres
de viande. La vieille femme lui répondit : « Merci mon fils, le Bon
Dieu te bénira ».
Puis elle dit : « Mon fils, je te donne une petite baguette, quand
tu arriveras dans le bois, tu la frapperas et tu diras : « Par la per-
mission de Dieu, faites-moi faire un bâtiment qui marche autant sur
terre que sur mer». Puis la vieille ajouta : « Tous ceux que tu ren-
contreras sur ton chemin, tu les mettras dans le bâtiment. » Le gar-
çon dit : « Merci maman ». il partit.
Ti Poucette
88 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
6 HeaRn confond /bois/ qui se traduit par « bois » ou « arbre » et /bouas/ qui se traduit par
«bras».
7 /griyan/ ou /grinian/ = mot dificilement lisible, mais c’est probablement le grenier
qui est ici évoqué.
8 /ses/ n’est pas l’équivalent du pronom possessif français. « ses » n’existe pas dans
cette forme en créole, mais il s’exprime avec un /y/ après le nom possédé (pour la troi-
sième personne, pluriel, singulier). ici il y a une confusion de HeaRn avec /sé/ mor-
phème présentatif à valeur d’insistance (réf : J. BeRnaBé, Grammaire créole, fondas
k réy ol- la, p. 110). La forme est assez difficile à traduire ici. Confusion probable de
HeaRn.
ti PoUCette 93
Le diable arriva avec une foule de diables comme lui. ils étaient
contents ! ils se mirent à table ; ils mangèrent tous les plats. Un des
diables se mit à dire : « Compère ! où est votre femme ? » Le diable
lui répondit : « elle est dans son petit jardin ». il restait un dernier
plat, c’était la fricassée de seins. Le grand diable découvrit le plat, il
vit les deux seins. il alla derrière la porte, il vit la robe de sa femme,
il alla devant la porte, il cria : « Ti Poucette ! » ti Poucette lui répon-
dit : « Ouais ». Le diable cria : « Tu m’as fait tuer mes sept enfants,
tu m’as fait manger ma femme ! » toute la foule des diables quitta la
table et partit. Le diable dit : « Ti Poucette, va, je te tiendrai encore
plus fort ».
94 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
deux ou trois jours après, le diable resta seul chez lui et il mou-
rut. ti Poucette vint, le trouva mort. ti Poucette creusa un trou et
enterra le diable.
1 /Mouè/, autre prononciation et autre écriture peu martiniquaises de /Moin/ qui se tra-
duit par « moi ».
adèLe éPi ti-J ean 99
—————
—————
quand ti-Jean finit de manger, adèle s’en alla. elle avait deux
petites baguettes, elle frappa les baguettes et elle dit : « Par la per-
mission de Dieu, faites briller le bassin pour Ti-Jean ». Le soir
quand le diable vint, il se mit à crier : « Ti-Jean, le travail est bien-
tôt fait, petit fainéant ? » ti-Jean lui répondit : « Oui ». Le diable alla
voir le bassin, il vit qu’il était bien propre. Le diable lança un regard
à adèle.
————-
—————
103
1 Chansons, proverbes recueillis par HeaRn lors de ses promenades. Phrases incom-
plètes et confuses.
104 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
—-
Y mangé ça assaisonné.
——-
Missié Lacroix.
Ce yon nhomme qui dè parole.
Missié L.
Ce yon nhomme qui pè sérieux,
Y ké ba ou dè moceaux païllasse2 ,
Y ké ba ou dè moceaux
(xxxxx)3 .
——-
——-
Papillon ki ka volé
qui ka pòté nouvelles ba nou
volé volé volé.
Joujou
Carmélite a mangé des pois blancs. Les pois blancs ont gonflé son
ventre.
——-
——-
Monsieur Lacroix,
C’est un homme de paroles.
Monsieur Lacroix,
C’est un homme qui peut être sérieux,
il te donne deux morceaux de paillasses,
il te donne deux morceaux.
(xxxxx)
——-
——-
Commentaires
Lafcadio HeaRn, marqueur de paroles
Louis solo MaRtineL
109
LafCadio HearN,
MarQUeUr de ParoLeS
L’oraliture.
toutes les littératures du monde prennent leurs sources dans la
lente et difficile « scription », « transcription » et « marquage de
paroles » des troubadours, des griots, des aèdes, des ménestrels, des
bardes ou des conteurs. aux antilles, « scripteurs », « transcrip-
teurs » et « marqueurs de paroles » ne faisaient pas office. La trans-
mission et le relais n’eurent pas lieu. Pénétrer « l’abysse de notre
parole ancestrale »2 se révèle être une mission laborieuse. alors, les
écrivains créoles tentent d’écouter la parole des vieux conteurs et de
HearN en Martinique.
en avant dire, il convient d’insister sur le grand appétit de
Lafcadio HeaRn pour les langues. d’après ses biographes, cela tien-
drait à son hérédité : « n’était-il pas un curieux cocktail humain, un
Celte grec de sang métissé, à qui l’on attribuait volontiers, du côté
maternel, des origines maltaises, mauresques, phéniciennes, espa-
gnoles, italiennes et normandes. »9 il aimait évoquer sa mère, lui
racontant des histoires en italien et en grec. traducteur anglais de
nombreux auteurs français, habitué au créole de La nouvelle-
orléans, métissé culturel il n’ignorait rien de la nécessité de com-
6 L. HeaRn, the writings, « Chita », in Two y ears in the French West indies, vol iv,
Rinsen book Co, in 1973.
7 on peut citer : Les prov erbes créoles de la Guy ane française de Loys de BRUYèRe - l’É-
tude sur le patois mauricien de BaissaC - The Theory and Practice of Creole grammar de
J. J. tHoMas - Les Fables et chansons créoles d’alfred de saint-qUentin - The wit and
Wisdom of the Hay tians de John BiGeLow.
8 L. HeaRn, Gombo zhèbes, Little Dictionnary of Creole Proverbs, selected from six
Creole dialects, translated into French and english, with notes complete index to
subjects and some Brief Remarks upon the Creole idioms of Louisiana, Coleman,
1885.
9 Bernadette LeMoine, ex otisme spirituel et esthétique dans la v ie et l’œuv re de L. Hearn
112 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
10 Plus tard, au Japon, n’a-t-il pas inventé avec sa femme japonaise et ses enfants une
langue familiale : le « Hearn san no Kotoba» « the Hearnian dialect ».
11 Jean BeRnaBé, Patrick CHaMoiseaU, Raphaël ConFiant, L’éloge de la créolité, idem,
p. 26.
12 Le 8 mai 1902, une éruption volcanique dévasta saint-Pierre, chef-lieu de la
Martinique à l’époque. Bilan : 30 000 victimes, maisons, bâtiments et sites complè-
tement détruits.
13 ouvrages consultés : L’Histoire générale des antilles du Père dUteRtRe - Le Voy age à
la Martinique de thibault de CHaUvaLLon - Le nouv eau v oy age aux isles de l’amérique
du Père Labat - Les Études historiques et statistiques du dr Rufz de Lavison - L’Étude sur
la langue créole de la Martinique de tHURiaULt - Le préjugé de races aux antilles fran-
çaises de G. soUqUet-BasièGe - Fables trav esties d’un v ieux commandeur, et des
ouvrages sur la faune, la flore des antilles que lui prêtèrent des amis blancs créoles.
14 P. Pinalie draccius, « L. HeaRn et le créole ou l’itinéraire linguistique d’un étranger
aux antilles », in regards sur un écriv ain à la découv erte de la Martinique, centenaire
du passage de L. Hearn aux antilles, Conférence du 29-04-1987, Campus de
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 113
15 Le présent manuscrit est donc la suite du premier carnet remis à C. M. GaRnieR en 1903
par L. HeaRn traduit par s. denis dans Trois Fois Bel Conte, Mercure de France, Paris,
1932, réédition 1978). Les 8 contes du présent manuscrit correspondent aux titres (xii
à xix) de la table de matière de l’orignal qui en contient 34. Le manuscrit remis à C. M.
Garnier contenait seulement 6 contes, les 6 premiers titres (i à vi). 34 - (6+8) = 20. il
reste donc 20 contes qui ne sont pas publiés. (voir la table des matières ci-dessous).
16 GeReC : Groupe d’études et de Recherche en espace Créolophone.
17 Préface de C. M. GaRnieR, in L. Hearn, Trois Fois Bel Conte, Mercure de France, Paris,
1978.
114 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
avec une traduction française en face, sur la même page. Ces his-
toires auront, je crois quelque succès.»17 il faut remarquer que l’édi-
tion de 1932, réédition en 1978 de Trois fois bel conte18, ne satisfait
le désir de HeaRn qu’à moitié (la version créole occupant une place
dérisoire, renvoyée à la fin de l’ouvrage, en petit caractère).
18 L. HeaRn, Trois Fois Bel Conte, Mercure de France, Paris, 1932, 1978, (traduction de
serge denis).
19 L. HeaRn, the writings, Two y ears in the french West indies, vol iii, iv, Rinsen book
Co, in 1973, p. 79, 80.
20 L. HeaRn, Contes des tropiques, traduction Marc LoGe, Mercure de France, Paris, 1926.
21 L. HeaRn, Contes des tropiques, idem.
22 L. HeaRn, the writings, « Ma bonne », in Two y ears in the French West indies, vol iv,
Rinsen book Co, 1973.
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 115
king about my own little affairs) ». That is all that i could ever draw
from her. »22 Cette conversation suffit à HeaRn pour déceler la capa-
cité créatrice de sa bonne qui se racontait des histoires pour faire
frissonner son âme. Un des buts avoués du conte : « se faire une sur-
prise à soi-même » disait Paul vaLéRY. tandis que Mme RoBeRt lui
offrait un siège dans sa boutique et lui parlait des légendes passées,
il aimait aussi écouter des devinettes, des titimes, et les chansons
des enfants. il disait : « j’aime tout particulièrement ces histoires qui
me semblent les plus bizarres que j’aie jamais entendues »23.
Baroques, Bizarres, Grotesques, Cocasses sont les caractéris-
tiques de ces histoires qui motivèrent l’écrivain. Pourtant les condi-
tions du contage, auprès de ceux que nous appelons les conteurs de
circonstance, pour faire la différence avec les conteurs initiés, pèsent
sur le contenu des relevés. Ces conditions sont résumées par HeaRn
lui-même, dans Contes des tropiques : « l’esprit simpliste du conteur
est embarrassé par les interruptions et contraintes de la dictée, le
conteur perd sa verve, se lasse, raccourcit volontairement la dic-
tée. »24 il n’a donc pas pu imposer aux conteurs créoles, la répétition
abusive, comme il l’a fait avec setsuko koizUMi son épouse qui lui
contait les kwaidan (légendes fantastiques japonaises). trous,
lacunes, lenteurs sont donc inévitables dans de telles conditions.
serge denis précise, en introduction à sa traduction,25 que HeaRn a
lui-même comblé certaines défaillances des conteurs.
29 Raphaël ConFiant, Marcel LeBieLLe, Les maîtres de la parole créole, Gallimard, Paris,
1995, p. 10.
30 ina CésaiRe, «Le conte antillais : une tradition en mutation», idem, p.40.
31 Ralf LUdwiG, «introduction», in Écrire la « parole de nuit », idem, p.18.
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 119
34 L. HeaRn, « La fille de couleur », in the writings, vol iv, Two y ears in the French West
indies, p. 27.
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 121
35 Raphaël ConFiant, Marcel LeBieLLe, Les maîtres de la parole créole, Gallimard, Paris,
1995, p. 8.
36 R. MéniL, a. CésaiRe, « introduction au folklore martiniquais », in Tropiques, J. M
Laplace, Paris, 1941- 1945.
37 L. HeaRn, the writings, « Les porteuses », in Two y ears in the French West indies,
vol iii, idem, p.113.
122 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
her arm through careless haste in the mere act of aiding another to
unload. and no one not a brute will ever refuse to aid a woman to
lift or to relieve herself of her burden ; you may see the wealthiest
merchant, the proudest planter, gladly do it ; the meanness of refu-
sing, or of making any conditions for the performance of his little
kindness has only been imagined in those strange Stories of Devils
wherewith the oral and uncollected literature of the Creole
abounds. »38
dans le conte Ti-Poucette, ce qui séduit, c’est le travestissement
du conte original de PeRRaULt - Le petit poucet. La couleur locale
transpose l’imaginaire dans tous les fantasmes antillais. ainsi l’ogre
est remplacé par le diable alors que l’odeur de la chair fraîche des
enfants, est substituée par «l’odeur de chrétiens». de toutes les ver-
sions du « petit poucet » connues, aucune ne fait mention du sort
réservé à la femme de l’ogre, mis à part le stratagème du petit pou-
cet pour berner cette femme : « Votre mari, lui dit le petit poucet est
en grand danger, car il a été pris par une troupe de voleurs qui ont
juré de le tuer s’il ne leur donne pas tout son or et tout son argent...
la bonne femme fort effrayée lui donna aussitôt tout ce qu’elle
avait… »39. alors que dans la version créole, elle est le personnage
central d’une scène de cuisine grotesque. est-ce une scène inventée
par le conteur de circonstance, emporté par son récit, ou est-ce une
version déjà attestée ? dans l’ignorance, seul est possible, un rap-
prochement avec le conte de GRiMM Hänsel und Gretel (« Jeannot et
Margot », qui possède quelques ressemblances avec « Le petit pou-
cet »), où est évoquée la méchante sorcière « la maudite sorcière
brûla et périt misérablement »40.
Parmi ce relevé, le conte zhistouè piment détonne. en effet, les
personnages atypiques et la fin tragique ne relèvent pas de l’univers
merveilleux du conte traditionnel créole. Cette histoire provient pro-
bablement de la communauté amérindienne des antilles. déjà
publiée dans « Ma bonne », Two years in the French West indies41,
cette tragi-comédie évoque la dérision du désespoir d’une mère
38 L. HeaRn, the writings, « Les porteuses », in Two y ears in the French West indies,
vol iii, idem, p. 120.
39 Charles PeRRaULt, « Le petit poucet », in Les contes de Perrault, p. 196.
40 Les frères GRiMM, « Jeannot et Margot », in Les Contes de GriMM .
41 L. HeaRn, the writings, « Ma bonne », in Two y ears in the French West indies, vol iv,
Rinsen book Co, 1973.
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 123
42 Cette histoire interrompue par la phrase : «voilà que l’enfant meurt, c’est la fin pour
ma commère» suppose plusieurs hypothèses. Y a-t-il eu mort réelle ? (procédé d’in-
trusion du réel dans l’univers de la fiction). s’agit-il d’une astuce des conteuses de cir-
constance ?
124 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
Universalité.
Certains contes introduisent la dualité du bien et du mal.
d’autres prennent leurs sources dans la faune fantasmagorique
locale, les animaux représentant les classes sociales et l’antago-
nisme de leurs rapports. toutes ces caractéristiques, ainsi que les
maximes et autre morales chrétiennes finales, se retrouvent dans de
nombreuses fables et contes asiatiques, africains ou européens.
44 Raphaël ConFiant, Marcel LeBieLLe, Les maîtres de la parole créole, Gallimard, Paris,
1995, p. 12.
45 Mimi BaRtHéLeMY, Contes diaboliques d’Haïti, karthala, Paris, 1995, p. 11.
LaFCadio HeaRn, MaRqUeUR de PaRoLes 125
originalité et diversalité.
La plupart des personnages des contes créoles sont issus du bes-
tiaire merveilleux des antilles et chaque animal convoqué, à la
lourde charge de symboliser l’une des communautés qui composent
la Martinique (noirs, blancs, métis, mulâtres, indiens etc.), dans
toute sa dimension historico-culturelle.
49 La table des matières de l’orignal, jointe ici, a été remise par HeaRn à GaRnieR en
1903.
50 Formule d’édouard GLissant.
129
i Colibri
ii Yé
iii soucougnan
iv Péla man Lou
v La bleu
vi nanie Rosette
vii zalouette épi Codeinne
viii Compè Lapin épi Macoumè toti
ix Mazin-lin-gouin
x dame kélément
xi Giantine Faya- Fiolé
xii Pié-Chique-à
xiii Compè Lapin adans bassin Louroi
xiv tête
xv Maman Marie
xvi Louroi té ka mandé yon batiment
xvii ti Poucett
xviii zhistouè piment
xix adèle épi Jean
xx La belle épi la laide
xxi Compè Ravett ka maïé co y
xxii Macoumé Ravett épi Macoumè saucisson
xxiii zhistouè gens gouôs
xxiv La pèsillette
xxv Compè zéclai épi Compè Mouton
xxvi zhistouè Compè toti
130 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
xxvii ti Marie
xxviii Montala
xxix Cain épi abel
xxx (1) La belle
xxxi (2) La belle
xxxii Compè Lapin épi Compè tig
xxxiii La belle Hélène épi Monfouè édoua
xxxiv di vio- saloman
131
Bibliographie sélective
concernant la transcription des contes créoles
anneXe :
L’Oralité créole
en voltige intertextuelle permanente
en guise d’introduction.
Mukashi, mukashi, aru tokoro ni, téni an fwa, dépi lontan, lon-
tan, il était une fois, il n’y a pas si longtemps que cela, un conteur
créole... dans sa mémoire vidée, saccagée, il avait retenu des bribes
de contes et de paroles. « qu’on ne s’attende point à trouver ici des
cosmogonies ou des métaphysiques. ni même l’expression des
grandes aventures sentimentales qui marquent l’homme. La pensée
comme le sentiment est un luxe. »1 qu’on n’espère ni mythes fonda-
teurs, ni mythes des origines. « Le conte créole ne constitue nulle
part de mythe fondateur. C’est un conte sarcastique, caustique, scep-
tique (...) »2. Le mythe engendre une logique de la venue au monde
des peuples et légitime le droit au sol. il campe le (je) existentiel
dans le (topos) référentiel. il fonde une intention historique en nature
et une contingence en éternité. L’univers post-colombien des
antilles est l’antinomie même du mythe : « s’il existe deux termes
parfaitement antinomiques dans l’univers antillais, ce sont bien ceux
de ‘mythe’ et de ‘créole’. »3
a la carte de la Caraïbe fut associée une image négative du
chaos. a la géographie humaine de la Caraïbe née de la brutalité de
la rencontre fut associée une image de déconstruction, de démem-
brement radical, de dissimulation absolue, bref un chaos-monde.
Cette image gagnera en qualité vers une dynamique, une vibration
positive. de cette dynamique du chaos-monde (edouard GLissant),
sortira cette imprévisible totalité-monde. L’oralité créole résulte de
cette aventure terrible et tragique depuis les lointaines tutelles.
tragique, mais sous-estimée belle « comme une rencontre multiple »
4 Milan kUndeRa, « Beau comme une rencontre multiple », dans rev ue infini, n°34,
Paris, 1991, p. 50-62, pastiche à son tour la célèbre formule d’isidore dUCasse,
Comte de LaUtRéaMont : « Beau comme la rencontre d’une machine à coudre et d’un
parapluie... » après aimé CésaiRe : « La poésie de Lautréamont, belle comme un décret
d’expropriation. » et andré BReton : « La poésie d’aimé CésaiRe belle, comme l’oxy-
gène naissant ».
5 définit par Milan kUndeRa comme la marche intermédiaire entre une nation et le
monde. infini, op. cit, p. 57.
6 René dePestRe, « Les aventures de la créolité » dans ecrire la « parole de nuit », op cit,
p. 161.
7 victor seGaLen, essai sur L’ex otisme, une esthétique du div ers, Fata Morgana, Paris,
1978.
8 emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme, Fata Morgana, Paris, 1972.
9 edouard GLissant, Poétique de la relation, Gallimard, Paris, 1990.
10 titre du livre de Lafcadio HeaRn, Mercure de France, Paris, 1910.
annexe : L’oRaLité CRéoLe en voLtiGe inteRtextUeLLe PeRManente 137
11 Lafcadio HeaRn, Trois fois bel conte, traduction serge denis, Mercure de France, Paris,
1932, p. 8.
138 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
accepter l’héritage.
en terres créoles, terres de génocides à répétitions, le conte
retrace de manière éloquente et pathétique la tragique aventure.
« quand on aura dépouillé toutes les archives, compulsé tous les
dossiers, fouillé dans les papiers des abolitionnistes, c’est à ces
contes que reviendra celui qui voudra saisir, éloquente et pathétique,
la grande misère de nos pères esclaves. »14 Le conte exprime les
craintes, les espoirs d’un peuple afin de mieux maîtriser l’avenir.
12 Louis solo MaRtineL, « Contes créoles n°ii » dans Hikaku Bunkaku kenkyu, Special
issue, Creole Litterature, todai Hikaku-Bungaku-kai, tokyo, July 98.
13 sukéhiro HiRakawa, « How L Hearn’s Contes créoles was Re-discovered», Hikaku
Bunkaku kenkyu, op cit. vient de traduire en Japonais Youma roman martiniquais et
Chita nouvelle américaine de Hearn, sous le titre « karibu no ona » (Femmes de la
Caraïbe), éditions kawade shobo, tokyo, 1999.
14 Tropiques, op. cit, p.8.
annexe : L’oRaLité CRéoLe en voLtiGe inteRtextUeLLe PeRManente 139
« L’oraliture créole dit que la peur est là, que chaque brin du monde
est terrifiant et qu’il faut vivre avec. »15 Le conte témoigne des
visions du monde, des conceptions de l’existence, il ouvre à la
découverte des chemins de soi-même et il révèle l’existence des
mille scénarii possibles de l’humain et de ses rapports à soi et aux
autres. il trouve son essence dans l’expression de l’identité culturelle
antillaise, pour constituer progressivement le miroir social de cette
rencontre forcée entre l’afrique, l’europe et la terre caraïbe. son
contenu et son statut s’adaptent aux évolutions des contextes socio-
historiques. Pour ina CésaiRe, la fonction principale du conte
antillais est d’activer la représentation sociale, de relier tout un
peuple à son passé, toutes ombres et autres opacités confondues.
il assume une fonction de catharsis et de libération : « Le rôle du
conte antillais est celui de la représentation, sous une forme symbo-
lique, de la réalité sociale. (...) Le conte antillais assume une réelle
fonction de catharsis, aussi bien au sens aristotélicien du terme (effet
de purgation des passions) qu’au sens psychanalytique (réaction de
libération d’affects longtemps refoulés et responsables d’un trauma-
tisme). »16 issu de la société servile, le conte contribuera à la mise en
place de la critique sociale et symbolisera le cri, le refus sous un
éclat de rire, « au-delà de la parodie, il constitue un véritable révéla-
teur »17
15 Patrick CHaMoiseaU, Raphaël ConFiant, Lettres créoles, Hatier, Paris, 1991, p. 57.
16 ina CésaiRe, « Le conte antillais : une tradition en mutation », dans Oralités Caraïbes,
actes de colloque, Université de Paris 8, vincennes, 1991, p. 40.
17 idem.
18 Raphaël ConFiant, Marcel LeBieLLe, Les maîtres de la parole créole, Gallimard, Paris,
1995, p. 10.
140 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
23 Michel siMonen, Le conte populaire français, (que sais-je) PUF, Paris, 1981.
24 on consultera : Marie thérèse LUnG FoU, Contes créoles, editions désormeaux, Fort-
de-France, Martinique, 1990, (qui précise : « les contes dans leur ensemble viennent
de la lointaine afrique ».) et Blaise CendRaRs, edition de la sirène, Paris, 1921, (qui
dit : « la parenté des contes antillais avec les contes africains est évidente ».)
25 Tropiques, op. cit., p 55.
26 L. J. BeRanGeR-FeRaUd, recueil des contes populaires de la Sénégambie, editions
Leroux, Paris, 1885.
27 Paul LaBRoUsse, Deux v ieilles terres françaises, (cité par Tropiques).
annexe : L’oRaLité CRéoLe en voLtiGe inteRtextUeLLe PeRManente 143
La PaRenTé aFRICaIne
notre Compère Lapin national correspond au lièvre africain et
notre Compère tigre, (la faune martiniquaise n’a jamais eu de tigre
dans ses registres) n’est autre que le référent de son cousin abaga,
le Léopard. L’éléphant qui n’existe pas en Martinique non plus, est
une survivance de oubogo l’éléphant. Ces trois animaux-person-
nages du conte Mossi se sont intégrés dans le bestiaire de la littéra-
ture orale antillaise, avec une adaptation au contexte. Lafcadio
HeaRn dans Contes n° ii nous livre probablement la première ver-
sion martiniquaise du corpus Lapin et son rival, adversaire de tou-
jours, Compère tigre. Lafcadio HeaRn connaissait bien le cycle de
Compère Lapin. déjà en Louisiane, il fréquentait écrivains et folk-
loristes du mouvement de la « local color school » s’informant des
travaux sur le sujet28
28 Citons Joël Harris CHandLeR, qui s’amusait à collecter les versions du cycle Rabbit et
publia en 1880, une série de contes, « Mr Rabbit at home », « Uncle Remus and Br’er
Rabbit » ... cités par Bernadette Lemoine, ex otisme et Spiritualité dans la v ie et
l’œuv re de L. Hearn, didier erudition, Paris, 1988.
144 Contes CRéoLes (ii) - ReCUeiLLis PaR LaFCadio HeaRn en MaRtiniqUe (1887-1889)
29 Lafcadio HeaRn, « Conte Colibri » dans Trois fois bel conte, Mercure de France, Paris,
1932, p. 35.
30 CésaiRe, MéniL, Tropiques, « introduction au folklore martiniquais », op. cit., p. 10,
11.
annexe : L’oRaLité CRéoLe en voLtiGe inteRtextUeLLe PeRManente 145
La PaRenTé eUROPéenne.
des éléments du folklore français se retrouvent aussi transportés
dans le corpus créole et y subissent de géniales transformations. sur
les (8) contes du carnet Contes n°ii, (6) proviendraient du terroir
français.
ti-Jean, l’autre personnage important du folklore antillais
incarne aussi la débrouillardise, la tromperie, l’esquive par tous les
moyens. son objectif est de s’en sortir, de se hisser au rang des
grands (Roi, Maître). serait-il l’alter ego humain de Compère
Lapin ? Certains points le distinguent pourtant. d’abord, ti-Jean
s’en prend aux puissants, il trompe le maître, le diable et même dieu
(une version cocasse, s’intitule ti-Jean, le diable et le Bon dieu).
ensuite, ces personnes de pouvoir (Maître, Roi, vierge Marie) qu’il
compte parmi ses relations (ami), sa famille (parrain marraine)
l’aide ou le nargue (selon les variantes). ainsi dans Conte n°ii, pour
échapper aux épreuves, il est aidé par un personnage, possédant un
pouvoir surnaturel (la fille du Roi). ici il ne ruse pas, il n’en a pas
besoin, car les puissances « paternaliste » lui viennent naturellement
en aide. Cependant dans la plupart des versions, il badine à tout vent.
qui est-il ? Pour Raphaël ConFiant : « La geste de ti-Jean qui
constitue une part importante du corpus des contes créoles, est direc-
tement héritée d’une vieille tradition orale du pays Gallo (frontière
de la Bretagne et du pays roman) avec, là encore une réadaptation
des personnages et des situations, une ré-interprétation en accord
avec les nouvelles données de la société de plantation. »31
Le conte « ti poucet », version créole du conte de PeRRaULt
offre de séduisantes modifications qui transposent l’imaginaire dans
tous les fantasmes antillais.
d’autres motifs confinés dans Contes n°ii témoignent d’une
plus grande intégration du folklore français dans le conte créole.
ainsi, l’épreuve du navire amphibie imposée par le roi à celui qui
voudra épouser sa fille dans « Le roi qui voulait un bâtiment », pro-
viendrait avec quelques nuances du corpus européen. il est à com-
parer avec « La reine des abeilles » (GRiMM, vol. i, p. 391), « Les
trois plumes » (GRiMM, vol. i, p. 394), « L’oie d’or » (GRiMM, vol. i,
p. 398). quant au conte de métamorphose « tête » de Contes n°ii où
une sorcière impose une dure épreuve à une jeune fille, avant de la
transformer en tête, puis en arbre, il prend sa source dans « L’enfant
de Marie » (GRiMM, vol. i, p. 19) et à un degré moindre dans « Le
conte de Genévrier » (GRiMM, vol. i, p. 263). Le thème de la végéta-
lisation est aussi attesté dans plusieurs contes européens. il ne
constitue pas seulement, un motif esthétique, mais un symbole de la
vie et de la fertilité. L’arbre de la vie, mythe de la femme arbre ou
une image forte de la femme, de la mère devenue arbre après la
mort ? Ces habillages d’origine religieuse, païenne, indo-euro-
péenne, changent de registre, de symbolisme aux antilles. ils y per-
dent un peu de leur force.
ainsi, traditions africaines et françaises ont survécu malgré la
clameur des interdits et des ségrégations. travaillées au corps par le
processus de créolisation, elles ont trouvé une seconde naissance
dans le conte créole. Lapin, tigre, éléphant, représentent l’héritage
africain déporté, déformé ; ti poucet, ti-Jean, l’héritage français,
plié, tordu aux besoins du monde créole.
notre relevé des survivances serait incomplet, si nous ne men-
tionnions pas les autres survivances, certes quantitativement moins
importantes, mais d’une extrême vivacité dans le conte créole.
43 « Marqueur de paroles », ainsi, se nomme Chamoiseau quand il habite la parole des per-
sonnages de ses romans, Solibo magnifique, Gallimard, Paris, 1989, texaCo,
Gallimard, Paris, 1992, pour se distinguer de « l’écrivain »
44 allusion au titre Lettres créoles, op. cit.
45 L. Hearn, Œuv res complètes, Life and letters, Lettre à Krehbiel, saint-Pierre, 1887
46 eloge de la créolité, op. cit., idem
47 idem.
48 idem.
49 edouard GLissant, Le discours antillais, editions du seuil, Paris, 1981.
annexe : L’oRaLité CRéoLe en voLtiGe inteRtextUeLLe PeRManente 151