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2047084
LETTRES EN SOURETH
INTRODUCTION
1
Université Claude Bernard (Lyon-1), UFR de Mathématiques, 43 boulevard du 11 novembre
1918, 69622 Villeurbanne cedex, France; poizat@math.univ-lyon1.fr.
2
Le soureth est le principal dialecte araméen contemporain, et le seul qui produit une littéra-
ture substantielle; il est parlé par un petit demi-million de personnes, dont l’habitat traditionnel
était partagé entre le nord de l’Iraq, le sud-est de la Turquie et le nord-ouest de l’Iran; aujourd’hui,
un grand nombre d’entre elles ont émigré en Europe et aux Etats-Unis. Pour plus de renseigne-
ments, voir l’introduction de [Poizat 2008].
Les dix lettres étudiées dans cet article sont reproduites à sa suite en fac simile.
Cependant, comme elles sont parfois difficiles à déchiffrer, je les accompagne
d’une translittération latine lettre par lettre, et signe par signe, de l’alphabet
syriaque aménagé pour l’écriture du soureth. J’espère aussi que cela rendra mon
travail plus accessible à ceux qui ne sont pas familiers de l’alphabet syriaque.
Il s’agit donc d’une reproduction aussi fidèle que possible de l’écrit, où les
conventions orthographiques de l’écriture syriaque sont respectées (la plus
visible est la terminaison de chaque substantif par une {alap), et pas d’une trans-
cription de la prononciation supposée du scripteur. Donc, si vous savez lire le
syriaque, vous n’aurez rien de plus dans la translittération que dans le fac
simile, sauf que parfois l’original est dur à interpréter.
Ce système de translittération est celui de [Poizat 2008]; il est un peu diffé-
rent de ceux de mes publications antérieures; une de ses vertus est de se repro-
duire facilement sur un clavier d’ordinateur.
‘ b g d h w z x T y k l m n s & p S q r c t
ܣ ܥ ܦ ܨ ܩ ܪ ܫ ܬƎƌ ܐ ܒ ܓ ܕ ܗ ܘ ܙ ܚ ܜ ܝ ܟ ܠ ܡ
Voyelles: a = ptàxà’ à = zqàpà’ e = zlàmà’ pciTà’
è = zlàmà’ qecyà’ i = xb°àSà’ o = rwàxà’ u = rb°àSà’
Signes: ¨ = syàm ¨è’ ° = rukàk°à’ * = qucàyà’ ^ = mag^lyànà’
/ = mTalqànà’ • = point pour les lettres arabes
Notes. 1. Remarquer l’usage de S et T pour les emphatiques, et de c pour cin
(= ch de cheval).
2. Les deux zlàm ¨è’ sont souvent difficilement discernables sur les
manuscrits.
3. J’écris les signes après la lettre qu’ils affectent.
4. Je transcris également des signes de ponctuation – on constatera que
l’usage du soureth diffère sensiblement de l’usage français, surtout au
19° siècle – et des vocalisations archaïques grâce aux points-voyelles.
5
Quatre lettre écrites à Tell Kayf en 1851, avec un sceau de 1823; d’après [Tfinkji 1917],
le siège de Djeziré est vacant de 1842 à 1852, et aucun Basile Asmar n’en a jamais été titulaire!
6
La lettre date de 1860; d’après le P. Fiey, Thérèse Asmar est morte en 1870.
L’orthographe est très phonétique, avec ‘ pour &, w pour b°, k° pour x.
Le soureth de la plaine de Mossoul se reflète dans le choix des pronoms, des
pseudo-verbes za li, ho li, etc.; le préverbe de l’indicatif est toujours k- et
jamais i-; le pronom affixe de troisième personne du singulier est souvent -x,
surtout chez les laïcs, chez qui le découpage des mots, et l’orthographe, ren-
dent parfois la lecture difficile.
On voit que cette collection témoigne d’une tradition iraqienne d’écriture en
soureth différente de celle codifiée par les Américains à Ourmi. Ce qui est très
frappant, c’est que c’est la langue vernaculaire qui est choisie pour la corres-
pondance familière; par exemple le Patriarche, dans les périodes où il n’est pas
brouillé avec les Dominicains, leur écrit en soureth: il n’emploie le syriaque
que dans les lettres, pastorales ou autres, qui relèvent de l’exercice de sa fonc-
tion. De fait, parmi les 180 lettres dont j’ai la copie, seulement une dizaine
d’entre elles sont écrites en syriaque, et une seule l’est en garchouni.8 On voit
aussi que l’écriture n’était pas réservée aux clercs, et que les missionnaires
dominicains apprenaient très vite le soureth.
Cette collection de lettres présente suffisamment d’intérêt linguistique,
social et, pour certaines d’entre elles, historique, pour mériter une édition com-
plète, ce qui demandera un travail assez considérable.9 En attendant, j’ai publié
deux lettres dans [Poizat 2008], l’une d’un prêtre, Qacha Damianos,10 à un père
italien (le P. Yaqub), datée du 28 décembre 1851, et l’autre d’un laïc, Joseph,
ancien chef d’Alqoche, au Père Benoît Garignani. J’ajoute ici un échantillon
de cinq lettres, trois de prêtres et deux de laïcs.
7
Il n’y a qu’un seul exemple de date dans l’ère des Séleucides, où l’auteur fait d’ailleurs une
erreur sur le siècle!
8
Il y a aussi dans les archives un nombre important de lettres en arabe.
9
Et la recherche d’un éditeur!
10
Ce prêtre est connu comme auteur de poésies en soureth: voir [Poizat 1990] p. 164.
La deuxième lettre (Lettre 2) est un court billet du fidèle Elicha Elias, supé-
rieur du couvent chaldéen de Notre Dame des Moissons à Alqoche, au Père
Paris; je ne sais pas ce qu’est le tartil à la ligne 5.
Voici ensuite une lettre (Lettre 3) d’un prêtre aux Pères Vincent Lemée et
Jacques Schaffauser, écrite en 1859, date de l’empreinte de sceau en arabe
apposée à la fin de la lettre, ou en 1860, année du décès du P. Schaffauser.
Comme il n’y avait pas d’autre Vincent ou Victor parmi les Dominicains, il
semble que c’est le nom du P. Lemée qui est répété à la ligne 2. Remarquer
lignes 5 et 6 les pronoms affixes -x au lieu de -h (souvent écrit -’ dans la
conjugaison), et les pseudo-verbes déictiques ho làh, ho lèh, typiques des dia-
lectes de la plaine de Mossoul.
màTè’ lmàryàqu l’idàt° ¨’ qad*ic ¨t’
dpat*ri manSur rayes myuqrà’ bcaynà’
babàw ¨t°’ qad*ic ¨è’ pàt*ri manSur rayes myuqrà’
wpat*ri ya&qub* wpatri manSur myuqr ¨’
Que cela parvienne à Saint Jacques, aux mains saintes du Père Mansour
respecté, avec amitié
Saints pères, Père Mansour supérieur respecté,
Père Jacques et Père Mansour respectés, après avoir baisé vos saintes
mains et s’être enquis de votre santé, nous informons votre paternité que
Hormezd, porteur de la lettre, voilà que sa femme n’est pas bien; que le
Père Jacques la voie; nous sollicitons de votre charité, pour l’amour de
Dieu, que vous ayez pitié de lui parce qu’il est pauvre et qu’il a des petits
enfants; ainsi nous vous sollicitons.
Tous les gens de notre maison baisent vos mains et demandent vos prières.
Amen
Votre frère le prêtre Mathieu Rayes 5 septembre
La première lettre de laïc (Lettre 4) est écrite aux mêmes pères, à la même
époque, par un membre de la même famille. Elle ne comporte ni voyelles, ni
signes orthographiques, comme l’adoucissement ou les syàm ¨è’, ni de ponc-
tuation. Remarquer dyx pour diyèh ligne 8, la coupure de wkmbqry à la fin de
la ligne 10, et la désinence kàly-ox, première personne du pluriel, à la ligne 13.
A la ligne 5, krr’ pourrait être une faute, ou une variante, pour kàr ¨àtè’, pluriel
de kàrtà, que [Maclean 1901] traduit par «load, burden».
bbwt’ mywqr’ ptry yqw mptry mnSwr klny
‘yqr’ btr ncq’ d’ydtwkw wTlb bwrkt’
wSlwt’ dywkw wbqwr’ bkyp dywkw wbrwk’
‘yd’ dywkw lyl’ d’yd’ tyl’ Tln ktb’
mptry brys mywqr’ w’rb’ krr’ wkm
lzmln dmcdlkly qlwl’ lkn msbb ‘yd’
wmTr’ l’ hwlyln br dmcdrkly l’dy
sbb dh’ kmcdrkly ‘md T’n’ dwrq’
Père Jacques, Père Louis et Père Mansour aimés et honorés, après avoir
baisé vos mains, qu’il soit connu de vous qu’en cette fête bénie va venir chez
nous Monseigneur Emmanuel; il nous a envoyé une lettre pour que nous
trouvions une mesure (?) d’huile d’olive pour qu’il consacre les Saintes
Huiles; et toi tu sais qu’il n’y a pas chez nous d’huile d’olive; maintenant je
vous prie d’aller voir (que vous voyiez) chez le sacristain de l’église pour
qu’il pèse une mesure, et fais-nous savoir son prix; je le donnerai; s’il n’y
en a pas à l’église je vous prie d’en trouver pour nous chez vous; c’est abso-
lument nécessaire, je te prie de faire cela pour moi.
Votre serviteur Jacques Rayes, à Dehok
Dès que j’ai su tracer les lettres syriaques, je me suis mis à écrire en ara-
méen à toutes les personnes capables de me déchiffrer, ceci afin d’obtenir des
réponses en soureth. Je trouve ici l’occasion de remercier mes correspondants
pour l’indulgence avec laquelle ils ont lu mes compositions, et pour leurs
réponses qui m’ont permis de constituer au fil des ans une collection couvrant
une large variété de genres épistolaires, et dont je livre aujourd’hui quelques
extraits.
Comme je l’ai dit dans l’introduction de cet article, on y remarque, à côté
de lettres de type résolument moderne, la persistence du schéma ancien de la
lettre et de formules de courtoisie alambiquées. Cela est très net dans la lettre
que m’a adressée en 1978 le chef du bureau de poste de Tell Tamr, que j’ai
publiée dans [Poizat 2008]. Ce qui a par contre changé de façon irréversible,
c’est le support de l’écriture: le stylo, sauf exception, produit une calligraphie
(la mienne en particulier!) bien plus relâchée que celle du calame, et pour
pouvoir déchiffrer une lettre contemporaine il est souvent indispensable de
connaître la manière dont sont tracés les caractères syriaques dans l’écriture
manuscrite, ainsi que je l’ai appris à la poste de Tell Tamr, et ainsi qu’il est
indiqué dans les figures 4 et 5 de [Poizat 2008].
Par amour de la symétrie, je publie dans cette section trois lettres de clercs
et deux lettres de laïcs.
Francis ALICHORAN
Liste de livres
kmarg^n ‘en ‘itbok° dyah/bet
Timay w’ànà’ byahbenok gw pàris
pwc bclm’ mry’ nTyrwk wmbrklwk
clàm ¨è’ tà’ bàbàwàtà’ d&èdtà’ dmdnxà’
màryà’ manSeyray bgàw kèdmetay wbgàw
xàyay ¨ ‘myn
mxbnok kor ‘apesqopà’ pransis ‘alicor’n
Pierre YOUSSIF
Aziz YALAP
Qacha Patros Echchaya, Aziz Yalap pour l’état-civil turc, est né en 1947, à
Echchi; à cette époque il n’y avait pas d’école au village (ni même de route car-
rossable passant à proximité!), si bien que, dans son enfance, il ne connaît que
l’araméen et le kourde, ainsi que des rudiments de chamachouta que lui enseigne
le prêtre du village. Il fait connaissance à Midiad de l’école primaire, puis, âgé
d’une douzaine d’années, il est expédié tout seul au bout du monde, c’est-à-dire
au séminaire Saint-Louis à Istanbul, où il apprend le turc et le français. Une fois
marié, condition nécessaire pour être admis comme prêtre par les villageois, il est
11
Ma fille.
Village de Echchi le premier mars de l’an mille neuf cent quatre-vingt deux
de Notre Seigneur
En vérité tu écris mieux que moi en langue chaldéenne. J’ai été très heureux
de la lettre en chaldéen que tu m’as envoyée, je t’en ai été très reconnaissant.
Salut, bonheur et bonne santé à toi et à Christine.12 Que l’année bénie mille
12
Une universitaire qui m’avait accompagné lors d’une de mes visites à Echchi.
Respecté Frère Bruno, je suis très reconnaissant pour le journal «Le Monde»
que tu m’as envoyé. Dernièrement, deux me sont parvenus dans ce mois de
février. Mais je ne peux pas les lire à cause de mes yeux. Leur écriture est
fine, mes yeux sont malades. Ne les envoie plus car tu les gaspilles. A leur
place, si tu envoies «Paris-Match» ça sera mieux.
Nemrod SIMONO
On peut penser aussi qu’il est influencé par le français, comme dans cette
incise de la ligne 3, ‘it xakmà’ yàwmàn ¨è’, qui n’a pas un air bien araméen.
A certains moments, il décroche en français: peut-être n’arrive-t’il pas à se
persuader que je suis capable de déchiffrer le soureth!
littéraires, pour tes travaux passés, ainsi que pour les derniers. Tu vas
sur les traces des grands auteurs français, fils de ton grand pays, comme
R. Duval, et beaucoup d’autres, anciens et modernes, comme mon ami l’Abbé
H. de Mauroy.13
Je ne savais pas que tu écrivais aussi en langue anglaise.
A propos du Père Rhétoré,14 j’ai lu le beau et complet livre de M. Cheva-
lier.15 C’est un grand travailleur (Rhétoré) de la littérature et de la langue
de Mésopotamie, et j’espère que tu le suivras et le dépasseras. Ce livre
éclairé m’a été envoyé par mon ami de l’école de Dax et de maintenant
R. Chalumeau, des Lazaristes de Paris, Rue de Sèvres 95, où j’ai étudié
trois ans (1931-1933). C’est un livre très précieux.
Mais chez les Syriens il y a peu de gens qui ont un intérêt pour de telles
études historiques. Ils poursuivent le nom de la «Grande Ator»: ils répètent
les rêves qu’ils font (qu’ils voient).
En ce moment je suis occupé à l’impression des poésies de Jean Alkhas,
avec notes spéciales, sur la machine à imprimer d’ici, et à l’envoyer à l’ex-
térieur du pays pour les publier. Peut-être en Australie où une bourse a été
établie en mon nom…
Hier c’était la fête des diacres à l’évêché. Nous y avons pris le repas du
soir avec Monseigneur Jean Isai,16 qui est un peu fatigué.
J’espère que tu pourras bien lire cette mienne lettre. Avec notre grande
reconnaissance j’attends tes autres travaux si utiles.
Affectueusement, Nemrod Simono
Madeleine MORADKHAN
13
Géographe, auteur de la seule étude démographique d’une population assyro-chaldéenne
parue jusqu’à maintenant; voir [Mauroy 1973].
14
Jacques Rhétoré, missionnaire dominicain, né en 1841, mort à Mossoul en 1821; auteur de
poésies et de fables en soureth, d’une grammaire ([Rhétoré 1912]), et de mémoires (conservés au
Saulchoir et exploités dans [Chevalier 1985]) restés inédits, sauf [Rhétoré 2005].
15
Auteur d’une monographie sur les tribus nestoriennes du Hakkari, [Chevalier 1985].
16
Evêque chaldéen de Tehran, décédé en 1999.
Ce qui frappe dès l’abord dans les nombreuses lettres que j’ai reçues
d’elle, c’est l’extrême lisibilité de sa calligraphie, très régulière, et entière-
ment vocalisée: c’est celle de la maîtresse d’école qu’elle a été pour un temps
à l’Association Assyrienne! Elle applique avec encore plus de rigueur que son
maître, Nemrod Simono, les règles du soureth littéraire: beaucoup de lettres
annulées, maintient des &, des désinences muettes en -y du féminin, etc…;
et une certaine préciosité du vocabulaire. Sa prose est de facture moderne.
On peut y déceler l’influence du persan, ou du français; Madeleine me vou-
voie d’une façon systématique et cohérente, et n’emploie pas le pluriel de
modestie.
La lettre présentée ici (Lettre 10) corrige une faute de [Poizat 1990], dont je
me suis repenti dans [Poizat 1993] p. 228. On y trouve, comme dans celle de
Simono, les pronoms et les formes verbales propres au dialecte d’Ourmi.
8 bxziràn 1990
muxebi myaqrà’ pwàzà’
bhèb°i y/wany dkàypàwk°on Spày y/làh.. mentà’ m.n ‘alàhà’: ràwmàyl
w’ànà’ Spày y/wax w’aminà’it bligè! y/wax bqràytan.
hàwiton ràbà’ basimà’ qà’ cadartà’ d’egartà’ &am mè’mràwk°on. ‘ànà’
hec &dànà’ lè’ y/wany &b°edtà’ dklèh qaryanèh: ‘inà’ ‘àni màntè’
dqeryày li ràbà’ muxebày li. ‘inà’ Spày là’ purmèli
dqàmu bpàtà’ 170 ktib°è’ y/ton:
«le verbe gràcà’… n’a pas de formes II et III attestées.»?
peSlà’ tlitàyà’ h.d. «magrec» ràbà’ kè’ pà’ec muplexà’.
kè’ hàwyà’ d’ànà’ lè’ y/wany ma&nàyà’ dxabrà’ attestées Spày
purmituhy. ‘inà’ ‘en ma&nàyàwk°on ‘àhà’ y/làh. dmeltà’ magrec
lè’ pàycà’ muplixtà’: b’eltext trèyn Tup°sè’ m.n maplaxtuh.
byàhb°à’ y/wany.
1. qà’ Tup°sà’ kè’ tànax: «xad/ ceklà’ mugrecli»,
cekli mugrecli, cekluk° magreclèh,
ceklày bed magrecilèh, cekluh. qam magrecàlèh.
2. ’imàn dcaxlaptà’ dbaytà’: mendi dbaytutà’ kè’ gàrcaxli bgànan
yan kè’ magrecaxlèh b’/xèr/nè’:
mendyan mugreclan:
baytutan mugrecàlan:
klày ktàb°an mugrecày lan
byàwmà’ dtràb°cèbà’ bed ‘àtyany tpàqà’ biàwk°on gàw
bèyt Sàwbè’. ‘en là’ hàwiton tàmà’ bed yàb°anàh. ‘egarti
qà’ sàpràwk°on. ‘ità’ ‘en ‘xèr/nà’ lè’ ‘àtyaton lbèyt-Sàwbè’
8 juin 1990,
Mon cher Monsieur Poizat,
J’espère que votre santé est bonne. Grâce à Dieu Raumel 17 et moi sommes
bien et perpétuellement occupés à nos études.
Soyez grandement remercié pour l’envoi de la lettre avec vos articles.
Je n’ai pas trouvé le temps de tout lire, mais j’ai beaucoup aimé les
passages que j’ai lus. Mais je n’ai pas bien compris pourquoi à la
page 170 vous écrivez «le verbe gràcà’… n’a pas de formes II et III
attestées.»?
La troisième forme, c’est-à-dire magrec, est très employée. Il est possible
que je ne comprenne pas bien le sens du mot «attestées». Mais si ce que
vous voulez dire c’est que le verbe magrec n’est pas employé, je vous donne
ci-dessous deux exemples de son emploi.
1. Par exemple nous disons j’ai fait tirer une photo, j’ai fait tirer ma photo,
qu’il fassent tirer ta photo, ils feront tirer leur photo, elle a fait tirer sa photo.
2. Quand on change de maison: les meubles, nous les déménageons (tirons!)
nous-mêmes, ou bien nous les faisons déménager par d’autres; nous avons
fait déménager nos affaires; nous avons fait déménager nos meubles; nous
avons fait déménager tous nos livres.
17
Son mari.
CONCLUSION
Savoir correspondre en araméen n’est pas une activité d’une grande utilité
pratique dans le monde contemporain, car l’immense majorité des araméo-
phones sont analphabètes dans leur langue: l’attachement qu’ils éprouvent
pour leur vénérable alphabet – toute tentative de latinisation est perçue comme
un sacrilège, une dépossession – ne va pas en général au-delà de la ferveur
mystique; il ne les pousse que très rarement à apprendre à lire et écrire!
L’échantillon limité de lettres contemporaines que j’ai montré est bien
moins homogène que celui du 19° siècle; le milieu culturel, le statut social
de l’auteur (prêtre de village, détenteur isolé de l’écriture; prélat, conscient
de son rôle de pasteur; savant attaché sans complexes à son idiome natal; ou
encore activiste culturel travaillant à introduire l’araméen dans la modernité)
semblent au moins aussi importants que sa personnalité propre: on le voit
dans le formalisme des lettres, plus ou moins éloigné de la tradition, l’emploi
des clichés, le choix du vocabulaire, l’adhésion à une norme littéraire, ou au
contraire la reproduction libre de particularités dialectales, et je dirais même
la fonction (rituel épistolaire ou communication d’informations) qui est attri-
buée à la lettre. Ce n’est peut-être pas totalement inattendu, mais c’est quand
même surprenant de trouver des lettres de natures si différentes émanant de
ce club select que constituent les lettrés en soureth, qui tous expriment, de
façon particulièrement nette, l’idée qu’ils se font de l’usage de leur propre
langue.
18
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