Vous êtes sur la page 1sur 33

ARAM, 21 (2009) 15-47. doi: 10.2143/ARAM.21.0.

2047084

LETTRES EN SOURETH

Prof. BRUNO POIZAT1


(University of Claude Bernard Lyon 1)

INTRODUCTION

En dépit de l’abondance du matériel disponible, il y a peu de travaux


consacrés aux lettres écrites en soureth.2 Je ne vois guère que la publication
par [Merx 1873], p. 28-56, de lettres datées de 1865 en provenance de la mis-
sion américaine d’Ourmi, dont il est question dans [Murre 1995] p. 90, ainsi
que celle de la pittoresque, et dramatique, «Lettre de Chlémoun, marchand à
Achitha, à son frère Hanko à Alcoche», publiée à la fin de [Rhétoré 1912],
p. 242-245, qui est reproduite dans [Poizat 2008].
Dans un dialecte apparenté et rarissime sous forme écrite, signalons aussi
les lettres en mandéen vernaculaire publiées (sans traduction) par [Morgan
1904], ainsi que celle de [Macuh 1993].
Dans cet article, je vais publier deux sortes de lettres. Les premières font
partie d’une collection conservée à la Bibliothèque du Saulchoir à Paris; elles
ont été écrites au milieu du 19° siècle par des araméophones du nord de
l’Iraq; leurs destinataires étaient les Pères Dominicains du Couvent de Mar
Yaqo. Les deuxièmes, écrites plus de cent ans plus tard, me sont adressées à
moi-même.
Elles témoignent d’une part d’un usage écrit du soureth antérieur à sa codi-
fication par les Missionnaires américains d’Ourmi, ou, dans une moindre
mesure, par les Dominicains français à Mossoul, et d’autre part de la perma-
nence, à travers les années, de formes épistolaires qui d’ailleurs ne sont pas
propres au soureth; on en retrouve des traits dans la correspondance en arabe,
en turc ou en persan, mais malheureusement je ne connais pas d’études de
lettres en ces langues qui pourraient permettre une comparaison.

1
Université Claude Bernard (Lyon-1), UFR de Mathématiques, 43 boulevard du 11 novembre
1918, 69622 Villeurbanne cedex, France; poizat@math.univ-lyon1.fr.
2
Le soureth est le principal dialecte araméen contemporain, et le seul qui produit une littéra-
ture substantielle; il est parlé par un petit demi-million de personnes, dont l’habitat traditionnel
était partagé entre le nord de l’Iraq, le sud-est de la Turquie et le nord-ouest de l’Iran; aujourd’hui,
un grand nombre d’entre elles ont émigré en Europe et aux Etats-Unis. Pour plus de renseigne-
ments, voir l’introduction de [Poizat 2008].

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 15 21/04/10 08:27


16 LETTRES EN SOURETH

NOTE SUR LA TRANSLITTÉRATION

Les dix lettres étudiées dans cet article sont reproduites à sa suite en fac simile.
Cependant, comme elles sont parfois difficiles à déchiffrer, je les accompagne
d’une translittération latine lettre par lettre, et signe par signe, de l’alphabet
syriaque aménagé pour l’écriture du soureth. J’espère aussi que cela rendra mon
travail plus accessible à ceux qui ne sont pas familiers de l’alphabet syriaque.
Il s’agit donc d’une reproduction aussi fidèle que possible de l’écrit, où les
conventions orthographiques de l’écriture syriaque sont respectées (la plus
visible est la terminaison de chaque substantif par une {alap), et pas d’une trans-
cription de la prononciation supposée du scripteur. Donc, si vous savez lire le
syriaque, vous n’aurez rien de plus dans la translittération que dans le fac
simile, sauf que parfois l’original est dur à interpréter.
Ce système de translittération est celui de [Poizat 2008]; il est un peu diffé-
rent de ceux de mes publications antérieures; une de ses vertus est de se repro-
duire facilement sur un clavier d’ordinateur.

CONSONNES, DANS L’ORDRE DE L’ALPHABET:

‘ b g d h w z x T y k l m n s & p S q r c t
‫ ܣ ܥ ܦ ܨ ܩ ܪ ܫ ܬ‬Ǝƌ ‫ܐ ܒ ܓ ܕ ܗ ܘ ܙ ܚ ܜ ܝ ܟ ܠ ܡ‬
Voyelles: a = ptàxà’ à = zqàpà’ e = zlàmà’ pciTà’
è = zlàmà’ qecyà’ i = xb°àSà’ o = rwàxà’ u = rb°àSà’
Signes: ¨ = syàm ¨è’ ° = rukàk°à’ * = qucàyà’ ^ = mag^lyànà’
/ = mTalqànà’ • = point pour les lettres arabes
Notes. 1. Remarquer l’usage de S et T pour les emphatiques, et de c pour cin
(= ch de cheval).
2. Les deux zlàm ¨è’ sont souvent difficilement discernables sur les
manuscrits.
3. J’écris les signes après la lettre qu’ils affectent.
4. Je transcris également des signes de ponctuation – on constatera que
l’usage du soureth diffère sensiblement de l’usage français, surtout au
19° siècle – et des vocalisations archaïques grâce aux points-voyelles.

1. LES LETTRES AUX PÈRES DE MAR YAQO

Les archives de la bibliothèque3 des Dominicains de Paris conservent une


collection de près de 600 lettres en soureth, datant de la deuxième moitié du
19° siècle. Dans leur très grande majorité, elles sont adressées aux missionnaires
3
Bibliothèque du Saulchoir, 43 bis rue de la Glacière, 75013 Paris, France

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 16 21/04/10 08:27


B. POIZAT 17

dominicains résidant au couvent de Mar Yaqo, par des chrétiens araméophones


du nord de l’Iraq; nous n’avons pas les réponses des Pères.
Au temps du précédent archiviste du Saulchoir, le Père André Duval, je
n’étais autorisé qu’à en prendre des copies manuscrites; mais maintenant, le
Frère Michel Albaric me permet de les photocopier, et de les reproduire dans
mes travaux. J’ai copié 180 d’entre elles, couvrant complètement la période
1844-1860.4
Le couvent dominicain de Mar Yaqo a été fondé par les Pères italiens
en 1847, neuf ans avant la cession de la mission aux Pères français (voir
[Fiey 1965], p. 690 et svtes); il est situé dans la montagne au nord-ouest de
Dehok, à 60 km au nord de Mossoul. C’était non seulement une résidence
d’été permettant aux Pères d’échapper aux chaleurs de la plaine, mais aussi
une première base d’attaque de la «Montagne nestorienne» en vue de sa
conversion au Catholicisme.
Dans divers documents conservés au Saulchoir, dont le manuscrit complet
de [Goormachtig 1895/98], j’ai pu glaner les renseignements suivants sur les
destinataires des lettres:
Antonio MERCIAI (Patri Antun), arrivé en 1841, préfet et délégué apostolique,
mort à Mossoul en 1850, à l’âge de 40 ans
xx MARCHI (Patri Augustin), arrivé en 1843, pro-préfet de la mission en 1848,
retourne en Italie en 1857, mort à Lucques en 1875
Benîto GARIGNANI (Patri Bimbarak, ou Mbarak), arrivé en 1843, mort jeune à
Mar Yaqo en 1850
Hyacinthe BESSON (Patri Ernest?), arrivé en 1856, premier préfet français de la
mission, de 1859 à sa mort à Mar Yaqo en 1861
Jacques SCHAFFAUSER (Patri Yaqub), arrivé en 1856, prêche en soureth dès
1858; auteur de travaux sur la langue chaldéenne vulgaire (= soureth);
mort en 1860 à Mar Yaqo
Vincent LEMEE (Patri Mansour), arrivé en 1857, fonde en 1862 la résidence
d’Amadiya, porte au patriarche nestorien à Qotchanes une invitation au
Concile du Vatican, mort à Mossoul en 1870, âgé de 36 ans
xx PARIS (Patri Paris), arrivé en août 1857
Jean-Baptiste LEVY (Patri Hanna), juif converti en 1851, arrivé en 1861
Louis-Marie LION (Patri Lewis), préfet de 1861 à 1873, délégué apostolique de
1874 à 1883

Quant aux auteurs des lettres que j’ai étudiées, ce sont:


– des moines des deux couvents d’Alqoche, dont le supérieur, Elicha (mort en
1875), auteur à lui seul de 79 lettres de 1844 à 1861; 9 auteurs pour un total
de 104 lettres
4
La collection a probablement été reproduite sur un disque dur par le P. Najib Mikhail en
décembre 2006, avec le reste des archives des Dominicains de Mossoul.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 17 21/04/10 08:27


18 LETTRES EN SOURETH

– des évêques: Joseph Audo, Patriarche chaldéen de Babylone de 1847 à 1878;


Basile Asmar, évêque de Djezire5; son neveu Emmanuel Asmar, évêque de
Zakho de 1859 à sa mort en 1875; Thomas Dircho, évêque d’Amadia, de
1851 à sa mort en 1859; Ignace Dachto, évêque de Mardin de 1824 à 1868;
5 auteurs pour 20 lettres
– des prêtres, 12 auteurs pour un total de 18 lettres
– des laïcs, dont un musulman; 12 auteurs, tous des hommes, pour un total de
18 lettres.
Pour ce qui est de leur aspect matériel, la plupart d’entre elles sont de
courts billets, avec adresse écrite au dos de la feuille; quelques unes sont plus
élaborées (une ou deux pages). Elles sont écrites au calame sur du papier de
fabrication artisanale (denrée rare au milieu du siècle: dans l’une d’elle, Eli-
cha s’excuse de ne pouvoir en dire plus faute de disposer au couvent d’une
deuxième feuille de papier!). La calligraphie des clercs est en général très
belle et très bien formée, et complètement vocalisée; elle évite les ratures
grâce au mTalqànà’. Celle des laïcs est plus irrégulière, et le plus souvent
sans signes de vocalisation.
Les lettres les plus courtes sont de nature circonstantielle: demande de soins
médicaux, d’assistance financière, de conseils pour se sortir d’un mauvais pas,
ou bien accompagnent cadeaux ou transactions commerciales.
Les autres ont plus de substance; par exemple, Elicha, ami fidèle des
Dominicains, parle plusieurs fois de la querelle entre le Patriarche et le Pape
à propos du Malabar, en 1860; Mgr Asmar tente régulièrement de se défendre
d’accusations de corruption, et cherche à protéger le fabuleux magot que sa
soeur, la «Princesse Asmar d’Assyrie», a amassé à Paris (voir [Fiey 1965],
p. 372-376)6; le substitut (musulman) de Dehok se plaint amèrement de la
conduite des chrétiens de sa ville.
Cette correspondance est soumise à des conventions assez rigides, surtout
dans les lettres courtes, dont voici le plan typique:
1. adresse et salutations
2. si l’auteur est un laïc, baisements de mains, car la lettre est adressée à un
prêtre; on peut en outre aussi baiser les pieds; baisers fraternels si l’auteur
est un prêtre
3. demande systématique de nouvelles de la santé
4. parfois demande de bénédiction et de prières
5. si nécessaire, accusé de réception d’une lettre antérieure; on se réjouit alors
de l’avoir comprise en entier, ce qui apparemment n’allait pas de soi!

5
Quatre lettre écrites à Tell Kayf en 1851, avec un sceau de 1823; d’après [Tfinkji 1917],
le siège de Djeziré est vacant de 1842 à 1852, et aucun Basile Asmar n’en a jamais été titulaire!
6
La lettre date de 1860; d’après le P. Fiey, Thérèse Asmar est morte en 1870.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 18 21/04/10 08:27


B. POIZAT 19

6. objet de la lettre (de trois à cinq lignes!)


7. on mentionne souvent le porteur de la lettre, qui la complètera par un
message verbal, ou bien à qui il faut donner un petit pourboire
8. répétition de 3, mais cette fois en y associant les proches du scripteur,
pour prendre congé
9. date (en ère du Christ, mais souvent l’année manque)7; les nombres sont
toujours écrits en lettres
10. signature, avec parfois une empreinte de sceau en arabe
Même chez les prélats, la langue des lettres est très familière, avec des
emprunts à l’arabe, au kourde et même au turc. Elles sont souvent écrites, par
modestie, à la première personne du pluriel, et adressées en un curieux mélange
de singulier et de pluriel honorifique.

L’orthographe est très phonétique, avec ‘ pour &, w pour b°, k° pour x.
Le soureth de la plaine de Mossoul se reflète dans le choix des pronoms, des
pseudo-verbes za li, ho li, etc.; le préverbe de l’indicatif est toujours k- et
jamais i-; le pronom affixe de troisième personne du singulier est souvent -x,
surtout chez les laïcs, chez qui le découpage des mots, et l’orthographe, ren-
dent parfois la lecture difficile.
On voit que cette collection témoigne d’une tradition iraqienne d’écriture en
soureth différente de celle codifiée par les Américains à Ourmi. Ce qui est très
frappant, c’est que c’est la langue vernaculaire qui est choisie pour la corres-
pondance familière; par exemple le Patriarche, dans les périodes où il n’est pas
brouillé avec les Dominicains, leur écrit en soureth: il n’emploie le syriaque
que dans les lettres, pastorales ou autres, qui relèvent de l’exercice de sa fonc-
tion. De fait, parmi les 180 lettres dont j’ai la copie, seulement une dizaine
d’entre elles sont écrites en syriaque, et une seule l’est en garchouni.8 On voit
aussi que l’écriture n’était pas réservée aux clercs, et que les missionnaires
dominicains apprenaient très vite le soureth.
Cette collection de lettres présente suffisamment d’intérêt linguistique,
social et, pour certaines d’entre elles, historique, pour mériter une édition com-
plète, ce qui demandera un travail assez considérable.9 En attendant, j’ai publié
deux lettres dans [Poizat 2008], l’une d’un prêtre, Qacha Damianos,10 à un père
italien (le P. Yaqub), datée du 28 décembre 1851, et l’autre d’un laïc, Joseph,
ancien chef d’Alqoche, au Père Benoît Garignani. J’ajoute ici un échantillon
de cinq lettres, trois de prêtres et deux de laïcs.

7
Il n’y a qu’un seul exemple de date dans l’ère des Séleucides, où l’auteur fait d’ailleurs une
erreur sur le siècle!
8
Il y a aussi dans les archives un nombre important de lettres en arabe.
9
Et la recherche d’un éditeur!
10
Ce prêtre est connu comme auteur de poésies en soureth: voir [Poizat 1990] p. 164.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 19 21/04/10 08:27


20 LETTRES EN SOURETH

Voici d’abord une autre lettre de Qacha Damianos, adressée celle-ci au


Père Garignani (Lettre 1); on remarquera que presque toutes les &è’ ont été
remplacées par des ‘alap, et aussi un exemple, ligne 7, de l’ambiguïté de
l’adjectif verbal, qui peut être aussi bien actif que passif: ici, T&inà’ signifie
porteur et non pas porté; dans les deux lettres suivantes on trouve à la place
Ta&ànà’.

l’idà’ dbàbà’ myoqrà’ pàt*ri mbàrek bcaynà’


‘ab*’ myoqrà’ pat*ri mbàrek nTirà’ bmàryà’
mbater clàmà’ xubànàyà’ wmbaqorè’ bkayp• deyok
kmayed’ek Tà’ xub*uk. k°à’ gab°rà’ ‘alqucnàyà’
mmed*è’ dTlàt°à’ yar ¨kè’ mrè’wàlà’ kàsèh mar’à’ ràbà’
whel ‘edyo laylè’ nik°à’ bal mar’à’ ‘àd°i kag^yel gah
bdepnèh wgàh bk°àSèh whel rècèh wdàh tèylày
lgaybawk°u T’in ¨è’ d’àd°i kt°àban ham menayhi
bed p•ahmitu xàl dyèh kmarg^k° Tad yahwit*ulè’
k°à’ darmànà’ dk*ed’itu knàp•& Tà’ k°àt*er dxubà’ dico&
wmaryam wham Ta’ k°àt*er diàn wclàmà’ menan ‘eled pàt*ri
riis mioqrà’ ‘ogesTin mSàlàw mb*ad*lan d’alàhà’
nàTeran b’urk°à’ diwek be’zàlà’ bgàwàh. wham ‘ak°ni kTalbak
mbadlàwk°u ‘alàhà’ hàw ¨è’ ‘emàwk°u w&àyenàwk°u
pucu bclàmà’. ‘ak°onàwk°u bemcixà’
qàcà’ damyànos b’alqoc cnàt° ‘pmT
bk°ànun ‘/xàry dmad ¨nxàyè’ kx bèh

Au père respecté le Père Benoît, amicalement


Père respecté, Père Benoît, voué au Seigneur,
Après salutations affectueuses et demande des nouvelles de ta santé, nous
faisons savoir à ta charité qu’un homme d’Alqoche, depuis trois mois,
souffre d’une grave maladie de ventre. Jusqu’à présent il n’est pas soulagé,
mais cette maladie lui fait mal parfois au côté, parfois au dos et jusqu’à la
tête. Maintenant que sont venus auprès de vous les porteurs de cette lettre,
d’eux vous comprendrez son état. Nous vous demandons de lui donner un
remède dont vous savez qu’il est utile, pour l’amour de Jésus et de Marie,
et aussi pour l’amour de nous. Salut de notre part au père supérieur res-
pecté Augustin. Priez pour nous, pour que Dieu nous garde sur la route où
nous allons. Et nous aussi nous demandons à votre sujet que Dieu soit avec
vous et vous aide. Restez en paix. Votre frère en le Messie, le Prêtre Damien.
A Alqoche, l’an 1849, janvier des orientaux, le 28

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 20 21/04/10 08:27


B. POIZAT 21

La deuxième lettre (Lettre 2) est un court billet du fidèle Elicha Elias, supé-
rieur du couvent chaldéen de Notre Dame des Moissons à Alqoche, au Père
Paris; je ne sais pas ce qu’est le tartil à la ligne 5.

l’ïdàt°à’ dpàt*ri pàris rayes myuqrà’ bmaryàqo


pàtri pàris myuqrà’ wbe ¨’yà’ menan kàbirà’
‘emud ‘et*i diwet* dahà’ nik°à’ wbsimà’ mg^hwà’ d’urk°à’
wk*paSken ‘emok w’med pàt*ryè’ w’et*i ‘ak°n ¨wàt°à’ bgàw
càt°à’ qarertà’ wkamemtà kTalb*en menok° ‘en ‘et*ok°
ruxà’ dk*inà’ kinà’ wmelex tart*il yàn dar ¨mànè’
dkmnasbi mcadretay ‘emed Ta’ànà’ dkt°àb°à’ bed qab*len
mentà’ diok° wk*embaqren bkayp°ok° wbkayp° dpàt*r ¨yè’
‘ànà’ wkulày ‘ak°n ¨wàt°i hwàw dim ¨è’ ubasim ¨è’
kt°ib°à’ bdayrà’: kh: xziran ‘pnx
ba’àyà’ diyàwk°u ‘èlica&

Au Père Paris, supérieur respecté à Saint Jacques


Père Paris respecté et très aimé de nous,
J’ai l’espoir que tu es maintenant reposé et sauf de la fatigue de la route, et
je me réjouis avec toi et avec les Pères. J’ai des frères qui ont une fièvre
froide et chaude; je te demande, si tu as de l’esprit de quinquina et du sel
de tartil (?), ou des remèdes qui conviennent, de les envoyer avec le porteur
de la lettre; je recevrai cette faveur de toi. Je m’enquiers de ta santé et de
la santé des Pères, moi et tous mes frères. Soyez toujours en bonne santé.
Ecrit au couvent, 25 juin 1858 Votre ami, Elisée

Voici ensuite une lettre (Lettre 3) d’un prêtre aux Pères Vincent Lemée et
Jacques Schaffauser, écrite en 1859, date de l’empreinte de sceau en arabe
apposée à la fin de la lettre, ou en 1860, année du décès du P. Schaffauser.
Comme il n’y avait pas d’autre Vincent ou Victor parmi les Dominicains, il
semble que c’est le nom du P. Lemée qui est répété à la ligne 2. Remarquer
lignes 5 et 6 les pronoms affixes -x au lieu de -h (souvent écrit -’ dans la
conjugaison), et les pseudo-verbes déictiques ho làh, ho lèh, typiques des dia-
lectes de la plaine de Mossoul.
màTè’ lmàryàqu l’idàt° ¨’ qad*ic ¨t’
dpat*ri manSur rayes myuqrà’ bcaynà’
babàw ¨t°’ qad*ic ¨è’ pàt*ri manSur rayes myuqrà’
wpat*ri ya&qub* wpatri manSur myuqr ¨’

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 21 21/04/10 08:27


22 LETTRES EN SOURETH

mb*tar ncàqà’ d’id*tawk°u qad*ic ¨è’ wbaqori


bkayp• dyàwk°u kmayed’k° bàbut°à’ diyawk°o
hormez Tà’nà’ dwàrqà’ bak°t*x wulà’ nasàk°
w’abunà’ ya&qub wolè’ kezyax w’ak°ni
kmarg^ek mxubawk°o Ta’ k°ater d’alàhà’
mraxm ¨utu ‘èlèh msabab dilè’ mèskè’nà’
w’etè’ ‘ayàlè’ zorè’ hadàk kmarg^ek° menawk°u
wkl nac ¨’ dbaytà’ kknacqi ‘idàt°wk°u
wkTalb*i Slw ¨t°’ dyawk°u ‘myn
‘kwn’ dywkw qci mty rys b’ylwl h

Que cela parvienne à Saint Jacques, aux mains saintes du Père Mansour
respecté, avec amitié
Saints pères, Père Mansour supérieur respecté,
Père Jacques et Père Mansour respectés, après avoir baisé vos saintes
mains et s’être enquis de votre santé, nous informons votre paternité que
Hormezd, porteur de la lettre, voilà que sa femme n’est pas bien; que le
Père Jacques la voie; nous sollicitons de votre charité, pour l’amour de
Dieu, que vous ayez pitié de lui parce qu’il est pauvre et qu’il a des petits
enfants; ainsi nous vous sollicitons.
Tous les gens de notre maison baisent vos mains et demandent vos prières.
Amen
Votre frère le prêtre Mathieu Rayes 5 septembre

La première lettre de laïc (Lettre 4) est écrite aux mêmes pères, à la même
époque, par un membre de la même famille. Elle ne comporte ni voyelles, ni
signes orthographiques, comme l’adoucissement ou les syàm ¨è’, ni de ponc-
tuation. Remarquer dyx pour diyèh ligne 8, la coupure de wkmbqry à la fin de
la ligne 10, et la désinence kàly-ox, première personne du pluriel, à la ligne 13.
A la ligne 5, krr’ pourrait être une faute, ou une variante, pour kàr ¨àtè’, pluriel
de kàrtà, que [Maclean 1901] traduit par «load, burden».
bbwt’ mywqr’ ptry yqw mptry mnSwr klny
‘yqr’ btr ncq’ d’ydtwkw wTlb bwrkt’
wSlwt’ dywkw wbqwr’ bkyp dywkw wbrwk’
‘yd’ dywkw lyl’ d’yd’ tyl’ Tln ktb’
mptry brys mywqr’ w’rb’ krr’ wkm
lzmln dmcdlkly qlwl’ lkn msbb ‘yd’
wmTr’ l’ hwlyln br dmcdrkly l’dy
sbb dh’ kmcdrkly ‘md T’n’ dwrq’

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 22 21/04/10 08:28


B. POIZAT 23

whm ‘hw kmtyly mmwSl hlwl’ bkcyc


dyx ‘w mndy dqT& &qlwkw w’kwnwtn
wnc’ dbytn kwlyhy kncqy ‘ydtwkw wkm
bqry bkyp dywkw wkTlby Slwtwkw qbil’
w’kny klyok gw kwl klmtytwkw whwwtw
dym’ wbsym’ ‘myn
bknwn ‘ kz kdmwkw ywsp rys

Pères respectés Père Jacques et Père Mansour universellement honorés.


Après avoir baisé vos mains et demandé vos bénédictions et vos prières,
s’être enquis de vos santés et vous avoir souhaité une bonne fête (de Noël).
La nuit de Noël, est venu chez nous une lettre du respecté Père Paris et
quatre sacs (?); il nous faut les envoyer rapidement, mais à cause de la
fête et de la pluie il ne nous a pas été possible de les envoyer. Pour cette
raison nous les envoyons maintenant avec le porteur de la lettre; c’est
aussi lui qui les a apportés de Mossoul, donnez-lui son bakchich, ce que
vous déciderez.
Nos frères et tous les gens de notre maison baisent vos mains, s’enquièrent
de votre santé et demandent vos prières efficaces; nous obéissons à toutes
vos paroles, et soyez toujours en bonne santé. Amen
27 décembre Votre serviteur Joseph Rayes

Quant à la deuxième (Lettre 5), adressée aux mêmes et au P. Lion, tou-


jours par un membre de la famille Rayes, on y sent l’affolement dû à l’ur-
gence de la situation: remarquer le mélange de singulier et de pluriel, aussi
bien aux premières qu’aux deuxièmes personnes. Les voyelles sont là, mais
pas la ponctuation, et les & sont remplacées par ‘ ou tout simplement omises
(kyadt ligne 6, maydlan ligne 9); on remarque aussi des particularités dialec-
tales, comme xuqà ligne 5 et 8, probablement dérivé de l’arabe Haqq (voir
[Maclean 1901], p. 78), pronom -ux ligne 5, ainsi que la notation de l’as-
sourdissement du préverbe k- de l’indicatif, lignes 10 et 11; le verbe xzàyà,
«voir», aux lignes 5 et 10, a le sens de trouver, comme il est fréquent dans
cette région.

‘ab*unà’ yàqo w’ab*unà’ lewis u ‘ab*unà’ manSur be’ye’


wamyaqre’ batar ncàqà’ ‘idàtà’ diàwk°u hawyà’
‘id’ètà lgèb*awk°u bàdi ‘edà’ mb*urk°à’ bàtè’
lgèban ‘àb*unà’ màry &amànu’eyl wholè’ mcudrà’
Tàlan kt°àb°à’ dk°azuk k°à’ xuqà’ meck°à’ dzaytà’
ta’ mqàdec mecxàne’ w’àhet* kyadt dlayt lgèban

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 23 21/04/10 08:28


24 LETTRES EN SOURETH

mecxà’ dzaytà’ dahà’ gmarg^n menawk°u dk°àzut*u


lgèyb* wakilà’ d’età’ dtàqel k°à’ xuqà’ wTimà’
dyèh maydlàn byàhwene’ w’en layt° b’età’
gmarg^n dk°àzut*u Tàlan m.n gèybawk°u làzem
kab*irà’ gmarg^n d’awdèt* Tali ‘àd culà’
g°ulm’ diawk°u yàqw rys bdehok

Père Jacques, Père Louis et Père Mansour aimés et honorés, après avoir
baisé vos mains, qu’il soit connu de vous qu’en cette fête bénie va venir chez
nous Monseigneur Emmanuel; il nous a envoyé une lettre pour que nous
trouvions une mesure (?) d’huile d’olive pour qu’il consacre les Saintes
Huiles; et toi tu sais qu’il n’y a pas chez nous d’huile d’olive; maintenant je
vous prie d’aller voir (que vous voyiez) chez le sacristain de l’église pour
qu’il pèse une mesure, et fais-nous savoir son prix; je le donnerai; s’il n’y
en a pas à l’église je vous prie d’en trouver pour nous chez vous; c’est abso-
lument nécessaire, je te prie de faire cela pour moi.
Votre serviteur Jacques Rayes, à Dehok

2. LES LETTRES DE MES AMIS

Dès que j’ai su tracer les lettres syriaques, je me suis mis à écrire en ara-
méen à toutes les personnes capables de me déchiffrer, ceci afin d’obtenir des
réponses en soureth. Je trouve ici l’occasion de remercier mes correspondants
pour l’indulgence avec laquelle ils ont lu mes compositions, et pour leurs
réponses qui m’ont permis de constituer au fil des ans une collection couvrant
une large variété de genres épistolaires, et dont je livre aujourd’hui quelques
extraits.
Comme je l’ai dit dans l’introduction de cet article, on y remarque, à côté
de lettres de type résolument moderne, la persistence du schéma ancien de la
lettre et de formules de courtoisie alambiquées. Cela est très net dans la lettre
que m’a adressée en 1978 le chef du bureau de poste de Tell Tamr, que j’ai
publiée dans [Poizat 2008]. Ce qui a par contre changé de façon irréversible,
c’est le support de l’écriture: le stylo, sauf exception, produit une calligraphie
(la mienne en particulier!) bien plus relâchée que celle du calame, et pour
pouvoir déchiffrer une lettre contemporaine il est souvent indispensable de
connaître la manière dont sont tracés les caractères syriaques dans l’écriture
manuscrite, ainsi que je l’ai appris à la poste de Tell Tamr, et ainsi qu’il est
indiqué dans les figures 4 et 5 de [Poizat 2008].
Par amour de la symétrie, je publie dans cette section trois lettres de clercs
et deux lettres de laïcs.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 24 21/04/10 08:28


B. POIZAT 25

Francis ALICHORAN

Francis Alichoran, fils du Prêtre Joseph Alichoran, est né à Harbol (dans le


Cudi Dag; voir ci-après) en 1928; après ses études au séminaire chaldéen de
Mossoul, il est ordonné prêtre en 1954, puis sacré chorévêque en 1969; il est curé
de Dehok de 1954 à 1973; de 1973 à sa mort en 1987, il est recteur de la Mission
Chaldéenne à Paris, où il joue un grand rôle pour faciliter l’accueil en France des
immigrés de sa communauté. Il a écrit en soureth un commentaire en vers sur
l’ancien et le nouveau testament, [Alichoran 1957]; cet ouvrage contient aussi
une translation en soureth d’un poème de Narsaï qui a été étudiée par [Pennac-
chietti 1993]. Il est également auteur de divers articles sur l’histoire et la liturgie
des églises orientales, et éditeur d’un missel chaldéen, en syriaque et français.
J’ai reçu cette lettre (Lettre 6) au cours d’un voyage en Inde: il y est ques-
tion d’expédition de livres en syriaque et en soureth imprimés à la Mar Narsaï
Press de Trichur, au Kérala.
L’écriture est aisée et élégante: une vraie lettre d’évêque! Le style est éga-
lement épiscopal, et, suivant la tradition, dans ce court message les salutations
et les formules de politesse tiennent une place importante. La date suit aussi la
tradition, les chiffres étant représentés par des lettres, mais elle est placée en
tête. L’orthographe est savante, et la vocalisation substantielle.

prys yb tcryn ‘ ‘Sp’


myaqrà’ brino
ktàb°ok mTèlè’ l’idi màryà’ mbàrek°lok wnàTèrok
bxaqwt°à’ kbà’en xakmà’ ktàbè’ m.n ‘ànay dilay Tbi&è’
bhèndestàn

Liste de livres
kmarg^n ‘en ‘itbok° dyah/bet
Timay w’ànà’ byahbenok gw pàris
pwc bclm’ mry’ nTyrwk wmbrklwk
clàm ¨è’ tà’ bàbàwàtà’ d&èdtà’ dmdnxà’
màryà’ manSeyray bgàw kèdmetay wbgàw
xàyay ¨ ‘myn
mxbnok kor ‘apesqopà’ pransis ‘alicor’n

Paris, douze octobre mille neuf cent quatre vingt un,


Monsieur Brino,
Ta lettre m’est parvenue, le Seigneur te bénisse et te garde. Assurément je
désire certains livres parmi ceux qui sont imprimés en Inde. Je (te) demande

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 25 21/04/10 08:28


26 LETTRES EN SOURETH

si tu peux payer (donner) leur prix et moi je te (le) rendrai (donnerai) à


Paris. Reste en paix, le Seigneur te bénisse et te garde.
Salutations aux Pères de l’Eglise d’Orient, le Seigneur leur apporte le suc-
cès dans leurs fonctions et dans leur vie. Amen
Affectueusement, Chorévêque Francis Alichoran

Pierre YOUSSIF

Né à Karamles, dans la plaine de Mossoul, Rabi Qacha Patros dbet Yawsep


est un savant spécialiste de liturgie orientale et de patrologie syrienne, et tout
particulièrement des hymnes de Saint Ephrem. Il est professeur au grand sémi-
naire de Mossoul de 1964 à 1973, puis à l’Institut Pontifical de Rome; il est
docteur de cette Université Pontificale et de l’Université de Strasbourg. Pour
la liste de ses travaux, le mieux est de renvoyer à ses oeuvres, [Youssif 1990].
Depuis 1987, il est le successeur de Khouri Francis Alichoran à la tête de la
Mission Chaldéenne à Paris.
Ses billets, écrits au feutre, sont pénibles à déchiffrer (et ont très peu de
voyelles). De tous mes correspondants, il est à la fois le bénéficiaire de la plus
grande autorité académique dans le domaine araméen, et le plus décontracté
dans l’emploi de sa langue maternelle. Je suppose que, pour lui, la norme de
l’écriture araméenne, c’est le syriaque; quand il écrit en soureth (Lettre 7), il
fait preuve d’une familiarité et d’une aisance qui font plaisir à voir: il néglige
l’orthographe étymologisante de ceux qui veulent en faire un langage rigidement
codifié. Ecrire en soureth, c’est pour lui un jeu, un jeu dont il me donne parfois
la règle: j’aurais certainement manqué le rendez-vous à l’Ecole Pratique s’il
n’avait pas mis quelques mots en français à la ligne 6!
Date et chiffres (lignes 9, 10 et 14) en lettres; ligne 4, il me donne la tra-
duction d’un mot d’origine kourde qu’il craint que je ne comprenne pas.
Remarquer ligne 11 la concurrence entre le mot d’origine arabe sà&à’, usuel
en soureth, et le vieux mot araméen ca&tà’, toujours en usage dans la plaine
de Mossoul.

grndbwrg ‘dr . k’ . ‘Sp’


‘kwny &zyz’ brwnw
clm’ ‘lwk!
cqly ‘grt’ dywk basymt’. cbwq Tli
‘n ktwbli Tlwk drng (en retard) kkcbn
bhàwy’ Tbt’ ‘n ‘twk &dn’ d’tt
‘k’ gby wdmkt k’ lèyl’. bd hwybn hm
dx ¨àzk ‘wx ¨dàd’ whm dplxk btwrgm’ ddwrkt’

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 26 21/04/10 08:28


B. POIZAT 27

dqc’ Swmw ‘ld mwtn’ dpyws


‘n’ k’tn lprys kwl xàmcwbcb’ btr plg’
dywm’. mn s&’ (c&t’) yw hl ct’ yz bbyt Swb’
ddrc’ &bdny’ &lwy’ shm’ g Ec. Prat. des H. Etu.
‘l’ ‘yby d’tn g^yln ‘llwk kl ywm’ dkbt.
bdm ‘ymwry ‘n k&g^blwk d’tt. w’n lèybwk
‘ybn dxz ¨x ‘wx ¨dd’ bprys.
mkbyry b&Srt’ yn blyl’ c&t’ k hl k’
Tlpwn Tel 078.17 66 de 20 à 21 h.
w’n’ bkdmtwk!..
‘md clm’ kbyr’ d’x ¨wnwt’
wmncwqy ¨t’ t’ ‘od
qc’ pTrws dbyt ywsp

Grandbourg, vingt-et-un mars mille neuf cent quatre-vingt-un,


Mon cher frère Bruno,
Salut à toi. J’ai reçu ta gentille lettre. Excuse-moi si je t’ai écrit en retard.
Je pense que ça sera bien si tu as le temps de venir ici chez moi et si tu dors
une nuit. Nous pourrons à la fois nous et voir travailler à la traduction de
la poésie de Qacha Somo sur la peste de Pios. Moi, je viens à Paris tous les
jeudis après-midi de seize heures à dix-sept heures, à l’Ecole Pratique des
Hautes Etudes, section trois. Si je ne peux pas venir je viendrai te chercher
le jour que tu veux. Comme je l’ai dit, viens si ça te convient. Si tu ne peux
pas nous pouvons nous voir à Paris. Joins-moi le soir ou la nuit de vingt à
vingt-et-une heures au téléphone, je suis à ton service.
Avec mes salutations très fraternelles, et des baisers pour Aude,11
Prêtre Pierre de la maison de Joseph

Aziz YALAP

Qacha Patros Echchaya, Aziz Yalap pour l’état-civil turc, est né en 1947, à
Echchi; à cette époque il n’y avait pas d’école au village (ni même de route car-
rossable passant à proximité!), si bien que, dans son enfance, il ne connaît que
l’araméen et le kourde, ainsi que des rudiments de chamachouta que lui enseigne
le prêtre du village. Il fait connaissance à Midiad de l’école primaire, puis, âgé
d’une douzaine d’années, il est expédié tout seul au bout du monde, c’est-à-dire
au séminaire Saint-Louis à Istanbul, où il apprend le turc et le français. Une fois
marié, condition nécessaire pour être admis comme prêtre par les villageois, il est

11
Ma fille.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 27 21/04/10 08:28


28 LETTRES EN SOURETH

ordonné et devient curé d’Echchi et de Bazyan de 1975 à 1984, date à laquelle


ces villages sont abandonnés par leurs habitants chrétiens araméophones. Il exerce
alors son ministère à Istanbul, puis en France à partir de 1993; suivant en cela
la tradition orientale de fécondité chez ceux que Dieu a appelé à son sacerdoce
(séculier), ce prêtre catholique est le chef d’une nombreuse famille.
A propos des villages araméens, aujourd’hui détruits, du Cudi Dag, voir
[Poizat 1980], [Poizat 1986], [Andrews 1989] et [Yalap 1996]; pour l’étude de
leurs dialectes, dont celui d’Echchi, voir [Sinha 2000]
Son écriture (Lettre 8) est très soignée et très lisible, et complètement vocali-
sée; il n’emploie pas de &. La date en lettres est répétée en chiffres. A la ligne 3,
il utilise pour l’indicatif le préverbe i-, ce qui conforme à l’usage d’Echchi; mais
il est très rare de le voir apparaître sous forme écrite, et ligne 10 c’est le préverbe
standard k- qui est employé; le verbe bTàrà’ est d’origine arabe. Remarquer les
voyelles d’appui du participe passif mcuder lignes 4 et 13; ligne 12, gàzetà’ vient
du turc; ligne 17, k^unku est pour le kourde çonke, et il est possible que son u
final soit dû à sa version turque çünkü. Qacha Patros, prêtre chaldéen, qualifie le
soureth de langue chaldéenne; chez d’autres ce serait de l’assyrien!

qryt’ d’ci ‘ b’dr cnt ‘Spb dmrn


1 . 3 . 1982
bxaqutà’ ‘àit bèc sqilà’ ikàtb°et blecànà’ kàldàyà’
meni. kàbirà’ pSek°li b’egartà’ kàldà’it dmecudèruk° Tàli
kàbirà’ pecli màmnun menuk.
clàmà’ wcaynà’ wsàxèttà’ basimtà’ Tàluk wtà’ kresTin
wcantà’ brik°tà’ dmàran ‘Spb. yàhwàluk peSxutà’
wnag^ixutà’ bgo kul cole’ diuk.
m.n ‘eci kwl nàcè’ dyàdilok°un yàhb°ilok°un clàmà’.
‘àxnàn kulàn Tàb°èb°uk wkbàTruk wkTàlbuk sàk°utok°un
‘axonà’ myuqrà’ bruno. kàbirà’ pecli màmnun m.n
gàzetà’ lomond (Le journal le Monde)
dmecederuk Tàli. gàhà’ k°ertà’ tertè’ mTèlay l’idi
b’di yarxà’ d’ecb°aT. bàs laybi qàrenay m.n qam
‘ayni. ketway ràqiqayle’ kmàri ‘ayni. bàsà’ mcàder
k^unku kk°àsret ‘elayhin. lcàwpay ‘en mcàdret Paris-Match
bec Tàb°taylà Fin de la lettre en français.

Village de Echchi le premier mars de l’an mille neuf cent quatre-vingt deux
de Notre Seigneur
En vérité tu écris mieux que moi en langue chaldéenne. J’ai été très heureux
de la lettre en chaldéen que tu m’as envoyée, je t’en ai été très reconnaissant.
Salut, bonheur et bonne santé à toi et à Christine.12 Que l’année bénie mille
12
Une universitaire qui m’avait accompagné lors d’une de mes visites à Echchi.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 28 21/04/10 08:28


B. POIZAT 29

neuf cent quatre-vingt deux de Notre Seigneur te donne la joie et le succès


dans toutes tes affaires. Tous les gens de Echchi qui vous connaissent vous
donnent le salut. Nous sommes tous bien et prospères et nous demandons
(à Dieu de vous accorder) la santé.

Respecté Frère Bruno, je suis très reconnaissant pour le journal «Le Monde»
que tu m’as envoyé. Dernièrement, deux me sont parvenus dans ce mois de
février. Mais je ne peux pas les lire à cause de mes yeux. Leur écriture est
fine, mes yeux sont malades. Ne les envoie plus car tu les gaspilles. A leur
place, si tu envoies «Paris-Match» ça sera mieux.

Nemrod SIMONO

Voici maintenant une personnalité du monde littéraire néo-araméen, qui a


l’honneur d’une notice dans [Macuh 1976] p. 306.
Nemrod Simono est né en 1908 à Golizan, près d’Ourmi; ses langues mater-
nelles sont l’araméen et le turc azéri. Il apprend le français, le persan, le syriaque
et enfin l’italien lors de ses études chez les Lazaristes, 1921-23 à Tabriz, 1923-
31 à Urmi, 1931-34 à Paris, 1934-37 à Dax, 1937-38 à Rome. De 1952 à 1958,
il est directeur de la Société anonyme des Chemins de fer et tramway d’Iran
(trajet Tehran-Ray!).
Ecrivain renommé, pédagogue respecté, il eut une activité culturelle débor-
dante en faveur du soureth. En 1952, avec Addai et Jean Alkhas, il fonde Gil-
gamesh, une revue littéraire en soureth dont le dernier des 70 numéros paraîtra
en 1961; une sélection des articles de Gilgamesh a été publiée dans un volume
d’un millier de page par les soins de Youel A. Baaba, [Gilgamesh 1992]. Il est
l’auteur de très nombreux articles en soureth dans des revues «assyriennes», de
livres destinés aux enfants des écoles néo-araméennes, et aussi d’un traité sur le
verbe en soureth, [Simono 1974], qui a été traduit en français dans [Poizat
1981a]. Il est décédé en 2003 à Tehran.
Son écriture (Lettre 9) est un peu dure à lire. Mis à part la date en chiffres,
son style est plutôt traditionnel, et je ne peux m’empêcher de voir une influence
persane dans la courtoisie très flatteuse avec laquelle il me traite. Il promeut un
néo-araméen littéraire de style élévé, avec une orthographe rigidement codifié
(suivant les conventions du «littéraire d’Ourmi» décrit dans [Murre 1995]), et
un vocabulaire expurgé des mots étrangers à l’araméen. Il emploie quelques
pures créations des cénacles assyriens de Tehran, comme burs = cukànà’ dqryt’
ligne 19, bèyt ‘abonutà’ ligne 20; par contre ‘kalramcà’, en dépit de sa ressem-
blance avec l’esperanto vespermang’o, n’est pas un néologisme, et se trouve
p. 12 de [Maclean 1901] avec l annulé. Pour désigner ses compatriotes, ligne 13,
Nemrod est fidèle au bon vieux mot sur ¨yàyè’, qu’il ne déguise pas en asso-
réens ou atorayés: c’est étonnant de la part d’un nationaliste assyrien comme
lui!

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 29 21/04/10 08:28


30 LETTRES EN SOURETH

On peut penser aussi qu’il est influencé par le français, comme dans cette
incise de la ligne 3, ‘it xakmà’ yàwmàn ¨è’, qui n’a pas un air bien araméen.
A certains moments, il décroche en français: peut-être n’arrive-t’il pas à se
persuader que je suis capable de déchiffrer le soureth!

thrn 9 bcbT 1987


muxebi ràxmi &lym’ bruno,
qubeli bxadutà’, ‘it xakmà’ yàwmàn ¨è’, lher ¨guk (tlàtà’) d&al lecànà’
‘àràmàyà’. beT&ànà’ ywen mentà’ menuk. bcemà’ dklày par ¨Sopè’
sepr ¨ayè’ wspir ¨è’
dyan bot pulxàn ¨uk &bir ¨è’ w’anè’ ‘/xàr ¨àyè’. be’zàlà’ ywet bcàwpàpè’
d’aql ¨è’
dkatàb ¨è’ gwr ¨è’ pransàyè’ bnay ‘umtuk rabtà’ ‘yk R. DUVAL wrb’
‘xer ¨/nè’ &atiqè’ wxadtè’ dxd menày ylèh ràxmi ABBE H. DE MAUROY
l’ yàd&en hwà’ dk’ kàtbet ‘àp blecànà’ ‘englisnàyà’! bot ‘ab°à’ RHETORE
qeryà’ ywn hwà’ bktàb°à’ capirà’ wmelyà’ dM. CHEVALIER ‘h’ palaxà’
gwrà’ (RHETORE)
dsepràyutà’ wlecànà’ dbyt nahryn w’it li hèb°i dhàwèt xad tab&ànuhy
&abirà’.
ktàb°à’ nhirà’ cwdruhy hw’ qàti ràxmi dmadràctà’ dDAX wd’àdià’
R. CHALUMEAU dla&zàr ¨yè’ bparys RUE de SEVRES 95 ‘àykà’ dqre’li
3 cen ¨è’ (1933-1931). ‘h’ ktàb°à’ ràbà’ Timànà’ ylh. ‘yn’ gw sur ¨yàyè’
xak^à’ ‘/nàcè’ ‘itlhon henyànà’ INTERET bhàdk°à’ yulpànè’ tac&itnàyè’.
npilè’
ynà’ bàt/r cemà’ «‘àtor rbt’»: kè’ tanayy xelm ¨è’ gwr ¨è’ bexzàyà’ ynà’.
Ils bâtissent des châteaux en Espagne.
‘àdiyà’ bligà’ ywen bTb°à&tà’ dmucxàtè’ dc^à’n ‘alxàS &am nuh/r è¨ ’ pr ¨icè’
&alày, bmàcinà’ dTb°à&tà’ lak°à’ wdcadrenehon lbar men ‘atrà’ qà’
baSmantà’,
qàwmà’ l’ostràlyà’ ‘aykà’ dxd’ burs h.d. cukànà’ dqryt’ picà’
ylèh mutb°à’ bcemi… temàly &’d’ dcamàcè’ hwà’ gw bèyt ‘abonutà’.
tm’ ‘/kelan ‘/kalramcà’(+) … it li hèb°i dmàSyt qàrèt làh. Spay ‘àhà’
‘egarti. bqubàlTaybutàn rabtà’ besbàrà’ ywn lpulxànuk° ‘xer/nè’
màutr ¨ànè’. mxbnuk nmrwd symwnw
(+)
&am màry yoxanàn yisà’y dilèh xak^à’ mar&ànà’.

Tehran, 9 février 1987,


Mon cher jeune ami Bruno,
J’ai reçu avec joie, il y a quelques jours, tes essais (trois) sur la langue ara-
méenne. Je t’apportes le remerciement au nom de toutes nos personnalités

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 30 21/04/10 08:28


B. POIZAT 31

littéraires, pour tes travaux passés, ainsi que pour les derniers. Tu vas
sur les traces des grands auteurs français, fils de ton grand pays, comme
R. Duval, et beaucoup d’autres, anciens et modernes, comme mon ami l’Abbé
H. de Mauroy.13
Je ne savais pas que tu écrivais aussi en langue anglaise.
A propos du Père Rhétoré,14 j’ai lu le beau et complet livre de M. Cheva-
lier.15 C’est un grand travailleur (Rhétoré) de la littérature et de la langue
de Mésopotamie, et j’espère que tu le suivras et le dépasseras. Ce livre
éclairé m’a été envoyé par mon ami de l’école de Dax et de maintenant
R. Chalumeau, des Lazaristes de Paris, Rue de Sèvres 95, où j’ai étudié
trois ans (1931-1933). C’est un livre très précieux.
Mais chez les Syriens il y a peu de gens qui ont un intérêt pour de telles
études historiques. Ils poursuivent le nom de la «Grande Ator»: ils répètent
les rêves qu’ils font (qu’ils voient).
En ce moment je suis occupé à l’impression des poésies de Jean Alkhas,
avec notes spéciales, sur la machine à imprimer d’ici, et à l’envoyer à l’ex-
térieur du pays pour les publier. Peut-être en Australie où une bourse a été
établie en mon nom…
Hier c’était la fête des diacres à l’évêché. Nous y avons pris le repas du
soir avec Monseigneur Jean Isai,16 qui est un peu fatigué.
J’espère que tu pourras bien lire cette mienne lettre. Avec notre grande
reconnaissance j’attends tes autres travaux si utiles.
Affectueusement, Nemrod Simono

Madeleine MORADKHAN

Madeleine Moradkhan est née en 1952, à Tehran. Elle apprend à écrire en


soureth surtout à partir de 1978, sous la férule de son père Yuel Davis, puis
à l’Association Assyrienne de Tehran avec comme maîtres Yaqub Ayawe et
Nemrod Simono. Venue en France en 1984, elle obtient un doctorat en Infor-
matique en 1993 de l’Université de Paris-6; elle vit en Angleterre depuis
2003; elle est auteur de nombreuses contributions savantes en anglais et en
araméen à diverses revues, et aussi de mots croisés en soureth (hemezmàn ¨è’
gdil ¨è’).

13
Géographe, auteur de la seule étude démographique d’une population assyro-chaldéenne
parue jusqu’à maintenant; voir [Mauroy 1973].
14
Jacques Rhétoré, missionnaire dominicain, né en 1841, mort à Mossoul en 1821; auteur de
poésies et de fables en soureth, d’une grammaire ([Rhétoré 1912]), et de mémoires (conservés au
Saulchoir et exploités dans [Chevalier 1985]) restés inédits, sauf [Rhétoré 2005].
15
Auteur d’une monographie sur les tribus nestoriennes du Hakkari, [Chevalier 1985].
16
Evêque chaldéen de Tehran, décédé en 1999.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 31 21/04/10 08:28


32 LETTRES EN SOURETH

Ce qui frappe dès l’abord dans les nombreuses lettres que j’ai reçues
d’elle, c’est l’extrême lisibilité de sa calligraphie, très régulière, et entière-
ment vocalisée: c’est celle de la maîtresse d’école qu’elle a été pour un temps
à l’Association Assyrienne! Elle applique avec encore plus de rigueur que son
maître, Nemrod Simono, les règles du soureth littéraire: beaucoup de lettres
annulées, maintient des &, des désinences muettes en -y du féminin, etc…;
et une certaine préciosité du vocabulaire. Sa prose est de facture moderne.
On peut y déceler l’influence du persan, ou du français; Madeleine me vou-
voie d’une façon systématique et cohérente, et n’emploie pas le pluriel de
modestie.
La lettre présentée ici (Lettre 10) corrige une faute de [Poizat 1990], dont je
me suis repenti dans [Poizat 1993] p. 228. On y trouve, comme dans celle de
Simono, les pronoms et les formes verbales propres au dialecte d’Ourmi.

8 bxziràn 1990
muxebi myaqrà’ pwàzà’
bhèb°i y/wany dkàypàwk°on Spày y/làh.. mentà’ m.n ‘alàhà’: ràwmàyl
w’ànà’ Spày y/wax w’aminà’it bligè! y/wax bqràytan.
hàwiton ràbà’ basimà’ qà’ cadartà’ d’egartà’ &am mè’mràwk°on. ‘ànà’
hec &dànà’ lè’ y/wany &b°edtà’ dklèh qaryanèh: ‘inà’ ‘àni màntè’
dqeryày li ràbà’ muxebày li. ‘inà’ Spày là’ purmèli
dqàmu bpàtà’ 170 ktib°è’ y/ton:
«le verbe gràcà’… n’a pas de formes II et III attestées.»?
peSlà’ tlitàyà’ h.d. «magrec» ràbà’ kè’ pà’ec muplexà’.
kè’ hàwyà’ d’ànà’ lè’ y/wany ma&nàyà’ dxabrà’ attestées Spày
purmituhy. ‘inà’ ‘en ma&nàyàwk°on ‘àhà’ y/làh. dmeltà’ magrec
lè’ pàycà’ muplixtà’: b’eltext trèyn Tup°sè’ m.n maplaxtuh.
byàhb°à’ y/wany.
1. qà’ Tup°sà’ kè’ tànax: «xad/ ceklà’ mugrecli»,
cekli mugrecli, cekluk° magreclèh,
ceklày bed magrecilèh, cekluh. qam magrecàlèh.
2. ’imàn dcaxlaptà’ dbaytà’: mendi dbaytutà’ kè’ gàrcaxli bgànan
yan kè’ magrecaxlèh b’/xèr/nè’:
mendyan mugreclan:
baytutan mugrecàlan:
klày ktàb°an mugrecày lan
byàwmà’ dtràb°cèbà’ bed ‘àtyany tpàqà’ biàwk°on gàw
bèyt Sàwbè’. ‘en là’ hàwiton tàmà’ bed yàb°anàh. ‘egarti
qà’ sàpràwk°on. ‘ità’ ‘en ‘xèr/nà’ lè’ ‘àtyaton lbèyt-Sàwbè’

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 32 21/04/10 08:28


B. POIZAT 33

bh.y dklàsàwk°on priqè’ y/nà’: hygàh. bed cadranàh.


qàtàwk°on &al «lion».
ràbà’ paxaltà’ beTlàbà’ y/wany qà’ &arqalti qà’ yàhb°àltà’
dpunàyà’ &al buqàràwk°on. mxàwyànutà’ dqacicà’ yàwsep
‘àhà’ y/lèh: adresse
bxutàmà’ men/drec/ ràbà’ mentà’ beT&ànà’ y/wany qà’
mè’mràwk°on malpànà.
myaqrantàwk°on: madlàyn
PS. Il y a aussi un autre exemple pour le verbe magrec : garder ses
distances. h.w gànuhy (menan) magrucuh. y/lèh menan
har ‘àdyà’ xzili gàw kunac-mèllè’ d’àb°ràhèm (bpàtà’ 264)
xad/ pucàqà’ ‘/xer/nà’ qà’ meltà’ magrucè’: …to delay, to prolonge, …
‘àni dtxutày zerg^à’ grictà’ y/wany ràbà’ kè’ maplèxaxlon:
(cugluk° là’ magreclèh). madlàyn

8 juin 1990,
Mon cher Monsieur Poizat,
J’espère que votre santé est bonne. Grâce à Dieu Raumel 17 et moi sommes
bien et perpétuellement occupés à nos études.
Soyez grandement remercié pour l’envoi de la lettre avec vos articles.
Je n’ai pas trouvé le temps de tout lire, mais j’ai beaucoup aimé les
passages que j’ai lus. Mais je n’ai pas bien compris pourquoi à la
page 170 vous écrivez «le verbe gràcà’… n’a pas de formes II et III
attestées.»?
La troisième forme, c’est-à-dire magrec, est très employée. Il est possible
que je ne comprenne pas bien le sens du mot «attestées». Mais si ce que
vous voulez dire c’est que le verbe magrec n’est pas employé, je vous donne
ci-dessous deux exemples de son emploi.
1. Par exemple nous disons j’ai fait tirer une photo, j’ai fait tirer ma photo,
qu’il fassent tirer ta photo, ils feront tirer leur photo, elle a fait tirer sa photo.
2. Quand on change de maison: les meubles, nous les déménageons (tirons!)
nous-mêmes, ou bien nous les faisons déménager par d’autres; nous avons
fait déménager nos affaires; nous avons fait déménager nos meubles; nous
avons fait déménager tous nos livres.

17
Son mari.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 33 21/04/10 08:28


34 LETTRES EN SOURETH

Lundi, je viendrai vous rencontrer à l’université. Si vous n’y êtes pas,


je donnerai ma lettre à votre secrétaire. Par ailleurs, si autrement vous
ne venez plus à l’université parce que vos cours sont finis, alors je vous
l’enverrai à Lyon.
Je vous demande bien pardon de mon retard à vous donner la réponse à
votre question. L’adresse du Père Joseph est…
En conclusion je vous adresse encore un grand merci pour votre article
instructif.
Respectueusement, Madeleine
PS…. Ils se tirent (loin) de nous…. A l’instant, j’ai trouvé dans le dictionnaire
d’Oraham,18 page 264, un autre sens pour le verbe magrucè’… Ceux sous
lesquels j’ai tiré un trait sont très employés (ton affaire ne durera pas).
Madeleine

CONCLUSION

Savoir correspondre en araméen n’est pas une activité d’une grande utilité
pratique dans le monde contemporain, car l’immense majorité des araméo-
phones sont analphabètes dans leur langue: l’attachement qu’ils éprouvent
pour leur vénérable alphabet – toute tentative de latinisation est perçue comme
un sacrilège, une dépossession – ne va pas en général au-delà de la ferveur
mystique; il ne les pousse que très rarement à apprendre à lire et écrire!
L’échantillon limité de lettres contemporaines que j’ai montré est bien
moins homogène que celui du 19° siècle; le milieu culturel, le statut social
de l’auteur (prêtre de village, détenteur isolé de l’écriture; prélat, conscient
de son rôle de pasteur; savant attaché sans complexes à son idiome natal; ou
encore activiste culturel travaillant à introduire l’araméen dans la modernité)
semblent au moins aussi importants que sa personnalité propre: on le voit
dans le formalisme des lettres, plus ou moins éloigné de la tradition, l’emploi
des clichés, le choix du vocabulaire, l’adhésion à une norme littéraire, ou au
contraire la reproduction libre de particularités dialectales, et je dirais même
la fonction (rituel épistolaire ou communication d’informations) qui est attri-
buée à la lettre. Ce n’est peut-être pas totalement inattendu, mais c’est quand
même surprenant de trouver des lettres de natures si différentes émanant de
ce club select que constituent les lettrés en soureth, qui tous expriment, de
façon particulièrement nette, l’idée qu’ils se font de l’usage de leur propre
langue.

18
[Oraham 1943].

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 34 21/04/10 08:28


B. POIZAT 35

RÉFÉRENCES

[Andrews 1974]
Peter Alford ANDREWS, Ethnic groups in the Republic of Turkey, Wiesbaden,
Dr Ludwig Reichert Verlag; traduit par Mustafa KÜPÜSOGLU, Türkiye’de etnik
gruplar, 1992, Istanbul, Akyüz Kitapevi
[Alichoran 1957]
Francis ALICHORAN, Nuhrà’ d&àlmà’, Kirkouk, Nineveh Press
[Chevalier 1985]
Michel CHEVALIER, Les montagnards chrétiens du Hakkâri et du Kurdistan septen-
trional, Département de Géographie de l’Université de Paris-Sorbonne
[Fiey 1965]
Jean-Maurice FIEY, Assyrie Chrétienne, Beyrouth, Imprimerie Catholique
[Goormachtig 1895/98]
Bernard-Marie GOORMACHTIG, Histoire de la Mission dominicaine en Mésopota-
mie et au Kurdistan, Analecta sacri ordinis fratrum praedicatorum, III 271-283,
IV 405-419, V 79-88, 141-158, 197-214, VI 533-545
[Gilgamesh 1992]
Gilgamesh, Chicago, Youel A. Baaba Library
[Maclean 1901]
Arthur John MACLEAN, Dictionnary of the Dialects of Vernacular Syriac, Oxford,
Clarendon Press
[Macuh 1976]
Rudolph MACUH, Geschichte der spät-und neusyrischen Litteratur, Berlin, de
Gruyter
[Macuh 1993]
Rudolf MACUH, Ein neumandäischer Brief aus dem Frühjahr 1990 und die Lage
der iranischen Mandäern nach der islamischen Revolution, in Semitica, Serta
philologica Constantino Tsereteli dicata, Torino, Silvio Zamorani, 165-173.
[Mauroy 1973]
Hubert de MAUROY, Les minorités non musulmanes dans la population iranienne,
Revue de Géographie de Lyon, 48, 165-206
[Merx 1873]
Adalbert MERX, Neusyrisches Lesebuch, Texte im Dialekte von Urmia, Grass und
Barth
[Morgan 1904]
Jacques de MORGAN, Mission scientifique en Perse, tome V (études linguistiques),
deuxième partie: textes mandaïtes, Paris, Imprimerie Nationale
[Murre 1995]
Hendrika Lena MURRE-VAN DEN BERG, From a spoken to a written language, thèse,
Université de Leiden
[Oraham 1943]
Alexander Joseph ORAHAM, Dictionnary of the stabilized and enriched Assyrian
language and English, Chicago, Consolidated Press
[Pennacchietti 1993]
Fabrizio PENNACCHIETTI, Il ladrone e il cherubino, Torino, Silvio Zamorani
[Poizat 1981a]
Bruno POIZAT, Un traité sur le verbe néo-araméen, présentation et traduction d’un
ouvrage de Nemrod Simono, Comptes-rendus du GLECS, t. 18-23 (1973-79), Paris,
Geuthner, 169-192

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 35 21/04/10 08:28


36 LETTRES EN SOURETH

[Poizat 1981b]
Bruno POIZAT, Une bibliographie commentée pour le néo-araméen, C. R. du GLECS,
t. 18-23 (1973-79), Paris, Geuthner, 347-414
[Poizat 1986]
Bruno POIZAT, The sureth-speaking villages in Eastern Turkey, Journal of the
Assyrian Academic Society, nb. 1, 17-23, Chicago
[Poizat 1990]
Bruno POIZAT, La complainte sur la peste de Pioz, Studies in Neo-Aramaic, ed.
Wolfhart HEINRICHS, Harvard Semitics Studies nb. 36, 161-179 & 203-207
[Poizat 1993]
Bruno POIZAT, La Peste de Pioz, suite et fin, Semitica, Serta philologica Constan-
tino Tsereteli dicata, curaverunt R. CONTINI, F. A. PENNACCHIETTI & M. TOSCO,
Torino, Silvio Zamorani, 227-272
[Poizat 2008]
Bruno POIZAT, Manuel de Soureth, Paris, Geuthner
[Rhétoré 1912]
Jacques RHETORE, Grammaire de la langue soureth, ou chaldéen vulgaire, Mos-
soul, 1912
[Rhétoré 2005]
` Jacques RHETORE, Les Chrétiens aux bêtes, édité et annoté par Joseph ALICHORAN,
Paris, Le Cerf
[Simono 1974]
Nemrod SIMONO, meltà} dlicànà} {atoràyà} swàdàyà} wpar&oh, Tehran
[Sinha 2000]
Jasmin SINHA, Der neuostaramäische Dialekt von Bespen, Wiesbaden, Harrassowitz
[Tfinkji 1917]
Joseph TFINKJI, L’Eglise chaldéenne catholique autrefois et aujourd’hui, Annuaire
pontifical catholique, Paris, Battandier, 449-525
[Yalap 1996]
Papaz Aziz YALAP, Issi Köyü, Hammurabi n° 10, Sarcelles, Association des Assyro-
Chaldéens de France, 26-27
[Youssif 1990]
Pierre YOUSSIF, Bibliographie classifiée de la liturgie Syrienne Orientale, Rome,
Mar Thoma Yagam

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 36 21/04/10 08:28


B. POIZAT 37

Lettre 1. De Qacha Damianos au Père Garignani.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 37 21/04/10 08:28


38 LETTRES EN SOURETH

Lettre 2. De Elicha au Père Paris.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 38 21/04/10 08:28


B. POIZAT 39

Lettre 3. De Qacha Mattè Rayes aux P. Lemée et Schaffauser.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 39 21/04/10 08:28


40 LETTRES EN SOURETH

Lettre 4. De Yawsep Rayes aux P. Lemée et Schaffauser.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 40 21/04/10 08:28


B. POIZAT 41

Lettre 5. De Yaqo Rayes aux Pères.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 41 21/04/10 08:28


42 LETTRES EN SOURETH

Lettre 6. De Khouri Francis Alichoran à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 42 21/04/10 08:28


B. POIZAT 43

Lettre 7. De Rabi Patros dbet Yawsep à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 43 21/04/10 08:28


44 LETTRES EN SOURETH

Lettre 8. De Qacha Patros Echchaya à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 44 21/04/10 08:28


B. POIZAT 45

Lettre 9. De Nemrod Simono à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 45 21/04/10 08:28


46 LETTRES EN SOURETH

Lettre 10 (recto). De Madeleine Mouradkhan à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 46 21/04/10 08:28


B. POIZAT 47

Lettre 10 (verso). De Madeleine Mouradkhan à BP.

1675-08_Aram21_02_Poizat.indd 47 21/04/10 08:28

Vous aimerez peut-être aussi