CLAUDE FAVRE DE VAUGELAS (1585-1650). DU BON USAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE › Jean-Paul Clément
Chaque mois, Jean-Paul Clément puise dans notre patrimoine littéraire un
texte qui résonne avec l’actualité.
N é en 1585 et mort en 1650, Claude Favre de Vau-
gelas était le fils du président du Sénat de Savoie à Chambéry, qui avait fondé avec saint François de Sales, à Annecy, l’Académie florimontane, au sein de laquelle il fut élevé. Il y prit goût à l’étude, à la réflexion et aux discussions grammaticales. Son père lui fit obtenir en 1619 une pension du roi Louis XIII et le plaça en qualité de gentil- homme ordinaire chez Gaston d’Orléans, Jean-Paul Clément est écrivain et dont il devint chambellan. Il acquit bientôt historien. Dernier ouvrage publié : la réputation d’un homme de lettres, un Charles X. Le dernier Bourbon (Perrin, 2015). des hommes de France qui parlait le plus correctement la langue française et en savait le mieux les règles. C’est ce qui lui valut, sans avoir rien publié, d’être élu membre de l’Acadé- mie française dès sa création (1634). Il s’occupa particulièrement du
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littérature
Dictionnaire. Son esprit minutieux avait des scrupules et soulevait des
difficultés qui rendaient le travail interminable – quinze années pour les lettres A à I. Assidu à la chambre « étoilée » de la marquise de Rambouillet, il recueillait les manières de parler de la bonne compagnie, en prêtant une attention particulière aux locutions consacrées par l’usage. C’est dans les Remarques sur la langue française (1647) que Vaugelas a donné les règles de la langue, à l’usage de la cour et du grand monde. Condamnant l’usage populaire, contrairement à François de Malherbe, comme entaché de bassesse, il bannissait les termes qui n’étaient pas à la mode chez les délicats. L’édition de ces Remarques, d’une pureté méticuleuse, fit écrire à Jean-Louis Guez de Balzac : « L’Alexandre de Philippe est invincible, et celui de Vaugelas est inimitable. » On pourra lire ici la conception de Vaugelas du « bon usage » de la langue française.
« Il y a sans doute deux sortes d’usages, un bon et un mau-
vais. Le mauvais se forme du plus grand nombre de per- sonnes qui presque en toutes choses n’est pas le meilleur, et le bon au contraire est composé non pas de la pluralité mais de l’élite des voix, et c’est véritablement celui que l’on nomme le maître des langues, celui qu’il faut suivre pour bien parler et pour bien écrire en toutes sortes de styles si vous en exceptez le satirique, le comique, en sa propre et ancienne signification, et le burlesque, qui sont d’aussi peu d’étendue que peu de gens s’y adonnent. Voici donc comme on définit le bon usage. C’est la façon de parler de la plus saine partie de la cour conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. Quand je dis la cour, j’y comprends les femmes comme les hommes, et plusieurs personnes de la ville où le prince réside, qui par la communication qu’elles ont avec les gens de la cour participent à sa politesse. Il est cer- tain que la cour est comme un magasin d’où notre langue tire quantité de beaux termes pour exprimer nos pensées,
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claude favre de vaugelas (1585-1650). du bon usage de la langue française
et que l’éloquence de la chaire, ni du barreau, n’aurait
pas les grâces qu’elle demande si elle ne les empruntait presque toutes de la cour. Je dis presque, parce que nous avons encore un grand nombre d’autres phrases qui ne viennent pas de la cour, mais qui sont prises de tous les meilleurs auteurs grecs et latins dont les dépouilles font une partie des richesses de notre langue et peut-être ce qu’elle a de plus magnifique et de plus pompeux. Toutefois, quelque avantage que nous donnions à la cour, elle n’est pas suffisante toute seule de servir de règle, il faut que la cour et les bons auteurs y concourent, et ce n’est que de cette conformité qui se trouve entre les deux que l’usage s’établit. »
Ce texte demeure instructif pour nous, même s’il n’existe ni cour
ni élite vraiment soucieuse de la beauté de notre langue. Toutefois, il nous donne avec sagesse une méthode : la langue a une histoire, elle évolue lentement comme un fruit qui mûrit, prend d’autres couleurs, sans changer de nature. On ne modifie pas la société par décret ; il en va de même pour les mots. Les circulaires ministérielles, les décisions juridictionnelles rendues par les tribunaux sous la pression de groupes extrémistes assoiffés d’égalitarisme (féministes, antiracistes, etc.) ne peuvent que brutaliser nos usages sans les faire progresser. Tous les Français ont la responsabilité de conserver, maintenir, enrichir, faire évoluer avec prudence notre langue. Chateaubriand dans son Essai sur les révolutions de 1797, consacre plusieurs chapitres aux jacobins, qui entendaient « régénérer » le genre humain en changeant mœurs, costumes, coutumes, langage, et même les noms de rues qui portaient celui de saints ou de rois avec pour seul horizon… la guillotine ! Nous n’en sommes pas là, fort heureusement, mais cette pression insidieuse – ainsi en va-t-il de l’« écriture inclusive » – est dange- reuse car la langue française est au premier chef l’expression de notre civilisation.
Le roman de la rose
Par Guillaume de Lorris et Jean de Meung; Édition accompagnée d'une traduction en vers; Précédée d'une Introduction, Notices historiques et critiques; Tome I