Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide
range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and
facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at
https://about.jstor.org/terms
is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue des Deux Mondes
(1829-1971)
Les plus grands d'entre eux ont su aussi dominer les passions
nationalistes de la Pléiade : ils se font gloire d'écrire aussi bien en
latin qu'en français et, par ce moyen, deviennent les pluß grands
prosateurs que notre nation ait jamais produits dans son histoire.
Ainsi écrivent Richelieu, chef d'Etat, comme Bossuet, chef d'école
et docteur de l'Eglise ; comme Descartes, le nouveau maître de la
philosophie ; comme Corneille, poète et moraliste ; comme Madame
de Sévigné, épistolière au langage si charnu, si ferme ; comme
Pascal, polémiste aigu et exégète tragique. Jamais la langue de
Rome n'a connu une transposition aussi exacte dans un autre lan-
gage (avec son vocabulaire et sa syntaxe, avec son génie affleurant
de façon si proche qu'on croit lire du latin pur, lorsqu'on lit le
français de perfection de ces nouveaux Romains).
Qui écrit ces lignes? Est-ce Tite-Live ou Cicéron ? Non, c'est
Richelieu :
« Pour gouverner des Etats, conduire et maintenir des armées
en discipline, il faut une vertu mâle qui ne se trouve pas aux
hommes communs, sans laquelle, toutefois, ni les Etats ni les
armées ne peuvent être bien gouvernés, ni conservés en leur en-
tier... Il faut, en de telles occasions, pratiquer vertement ce que
Qui donc cisèle des fables comme Phèdre, des poèmes légers
comme Catulle ou Horace, qui retrouve si souvent les accents d
Géorgiques de Virgile ? C'est un Français : la Fontaine :
C'est cette phrase qu'il redira sous des formes diverses dans
la chaire de Versailles, à son siècle de science déjà grisée d'elle-
même, comme à ces courtisans libertins annonçant les aristo-
crates de la Révolution. Dieu seul est grand !
Et Bossuet tente d'exprimer la grandeur de Dieu dans la lan-
gue des hommes, par l'intermédiaire du latin . C'est en lisant Bos-
suet que l'on peut comprendre la fierté des Français de son temps,
croyant avoir, à jamais, donné de Rome une réplique égale à elle-
même. La langue de Bossuet, c'est du latin vivant, c'est cette pos-
session et cet usage de la langue latine qu'avaient pratiquée tous
les docteurs du Moyen Age chrétien, empruntant à Rome une
forme, des règles, un cadre, mais y plaçant tout l'apport du dogme
nouveau, toutes les confidences d'une civilisation ouverte à l'ave-
nir. « Rome fut la patrie de son intelligence, et la Bible, celle dé
son cœur », dit magnifiquement Jean Calvet, commentant Bossuet.
Sainte-Beuve, auquel manquait, comme à tant d'hommes de
son siècle, le sens du sacré, a senti du moins, dans la phrase de
Bossuet, le long passé romain :
« C'est de cette connaissance approfondie du latin et de l'usage
excellent qu'il sut en faire, que découle, chez Bossuet, ce français
neuf, plein, substantiel, dan$ le sens de la racine ; et original non
seulement dans ses mots, mais encore dans l'ampleur des tours,
dans la forme des mouvements et des liaisons, dans le joint des
phrases, et comme dans le geste ».
MARIE-MADELEINE MARTIN