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Ni centro, ni perifería 

: Fernando Iwasaki y Japón a través de


España, aparta de mi estos premios

commenter dyonisiaque

Pour une journée d’étude sur le thème des « périphérie(s) dans les imaginaires & les récits
latino-américains contemporains », Fernando Iwasaki Cauti semble le candidat idéal tant son œuvre
repose sur un décentrement perpétuel, une désorientation ludique sur les plans du style, du lexique,
des thèmes, des médias convoqués et des aires géographiques impliquées. Écrivain nikkei lui-même
« périphérique » comme ont pu le qualifier Bernat Castany Prado et le quatrième de couverture de
son Las palabras primas (Páginas de espuma , 2018), ou « excentrique » comme l’a déclaré
Francisca Noguerol, auteur issu de grands-parents japonais, italien et équatorien, né au Pérou et
résidant à Séville, il écrit dans « Mi poncho es un kimono flamenco » (2007) : « ¿Por qué hay que
ser de un solo país cuando se puede ser de todos y de ninguno? ». C’est pourtant ce multiple
décentrement soigneusement cultivé qui le rend difficile à saisir, tant ce caractère protéiforme offre
réecrire de faux points d’accroche à l’heure d’envisager son œuvre sous l’angle de ce qu’elle
exprime au sujet de sa position d’écrivain face à quelques binômes centre/périphérie que les études
postcoloniales ont pu schématiser jusqu’ici : Europe/Amérique latine, Espagne/Pérou, et dans le
cadre des asian studies, Péruviens/métis (nikkei, tusán, descendants d’immigrés venus du Moyen-
Orient.). transition iwasaki sans centre ni periphérie

Quelques élément biographiques d’abord. En 1985 Iwasaki obtient une bourse pour des recherches
dans les archivas de las Indias en Espagne, il retourne au Pérou en 1986 puis s’installe
définitivement à Séville en 1989. Il a cessé ses activités d’historien et il se consacre à l’écriture et à
la philologie. Bibliographie. Iwasaki sait peu de chose de son grand-père paternel japonais, si ce
n’est qu’il est né en 1878 à Hiroshima et mort à Lima en 1942. De son oncle Lucho, il a appris que
son grand-père était d’une famille dissidente de la Restauration Meiji, exilée à Paris, et obligée de
s’exiler de nouveau au Pérou lorsque s’ouvrit l’ambassade japonaise en Europe, et d’y subir les
persécutions antijaponaises durant la WW2. (la lengua paterna, 12).

il a des origines italiennes du côté de sa mère. Son installation à Séville l’a forcé à changer son
regard sur ses origines multiculturelles et c’est alors qu’il s’est rendu compte d’à quel point il était
japonais, car, comme il l’explique dans Mi poncho es un kimono flamenco (2005), lorsqu’il est venu
en Espagne le pays n’était pas habitué à des noms aux consonances exotiques, au contraire du Pérou
où c’était la norme. Le regard des autres lui a régulièrement imposé, qu’il le veuille ou non, une
identité japonaise qui ne coincidait pas à sa vision intime marchitar dans a preface de las palabrs
primas. Iwasaki car son père n’a jamais enseigné le japonais à ses enfants et ne leur a jamais parlé
de son pays natal. Ce n’est qu’au milieu des années 90 qu’Iwasaki apprends que son père parle
japonais, lorsqu’il l’emmène voir le professeur Reiji Nagakawa. Il s’agit en fait d’un dialecte
archaïque et éteint d’Hiroshima. (lengua paterna 10)

On note des références à la culture japonaise dans son œuvre, même si ce n’est pas massif : on
trouve la nouvelle partiellement autobiographique « La sombra del guerrero » qui doit son nom au
film d’Akira Kurosawa, Kagemusha sortie en 1980. Dans le recueil Un milagro informal (2003), la
nouvelle "La mujer de arena" dont le titre reprend celui du roman célèbre d’Abe Kobo La femme
des sables, dans le recueil Helarte de amar (2006), la nouvelle "Travesias estelares" dans le même
recueil, très librement inspiré de la légende chinoise puis japonaisedu Bouvier et de la Tisserande
qu’Iwasaki a lu chez Lafcadio Hearn, et un personnage au patronyme japonais dans une des
nouvelles du recueil Libro de mal amor (2001). L’œuvre d’Iwasaki qui traite le plus abondamment
des rencontres de la culture espagnole, et par extension occidentale, avec la culture japonaise, et
surtout des malentendus et chocs culturels reste España aparta de mi estos premios, publiée en
2009, dont je parle dans cet exposé. Dire pourquoi j’en parle et comment ca se rattache au theme.
Dans l’œuvre apparaissent, je cite Reindert Dhondt « des personnages qui e caractérisent par
un mélange d’identités globales et locales, de stéréotypes régionaux (surtout basques et andaloux),
péninsulaires et orientaux (japonais » fin de citation. Elle compte sept nouvelles
« homotextuelles » proposées à des concours littéraires espagnols imaginaires organisés par des
institutions de différentes régions d’Espagne, imposant chacune des critères de sélection précis dont
le plus saillant est infailliblement celui qui oblige les candidats à illustrer une idéologie ou une
identité régionale d’Espagne (la Catalogne féministe, l’Andalousie et son héritage culturel, le
football sévillan… ). Les nouvelles sont construites sur le modèle de la première nouvelle « cellule
mère », et les les variations de ce modèle veulent répondre aux exigences spécifiques de chaque
concours.
Chaque nouvelle est précédée d’une épigraphe tirée d’une œuvre existante. Une dédicace
ouvre le livre : un haiku en japonais, en alphabet romain, para Marle, l’épouse d’Iwasaki.

Akatsuki ya
Marle no kaori
chouro no gotoshi

Suivent trois épigraphes substantielles : Roberto Bolaño , Jorge Luis Borges y Groucho Marx.
Une introduction par Iwasaki présente l’ensemble des nouvelles et l’épilogue « Decálogo del
concursante consuetudinario (y probablemente ultramarino)"où l’auteur Iwasaki ou son double
donne des conseils à un auteur latino américain qui voudrait remporter des prix littéraires.

Avant chaque nouvelle une convocation explicite les contraintes que doivent respecter les
candidats. Après chaque nouvelle, un "Acta del jurado" confirme la décision du jury et réussit à se
plaindre dans chaque cas que la nouvelle lauréate n’a pas su satisfaire pleinement aux exigences de
la convocatoria, ce qui aboutit sur un projet de modification du règlement vers plus de rigueur.
Toutes les nouvelles se déroulent selon un schéma narratif similaire : en Espagne on a découvert un
ou plusieurs Japonais qui sont depuis des années dans le pays sans que personne ne connaisse leurs
origines. Cela suffit pour que les médias s’entichent du Japon, de tout ce qui paraît y toucher, pour
que le monde de la politique s’émeuve, pour que se déclenche une fièvre japoniste dans la
population qui se jette sur toute activité et production artistique qui semble japonaise, et pour que
les Japonais ainsi découverts deviennent des stars de la télé réalité. Tous les titres sont construits sur
une structure grammaticale similaire : citer.

EL HAIKU DEL BRIGADISTA, EL KIMONO AZUL, LA GEISHA BISCUITA, EL SAKE DEL


PELOTARI, LA KATANA VERDIBLANCA, EL SUSHI MELANCÓLICO, TSUNAMI DE SANLÚCAR

D’une nouvelle à l’autre, quatre protagonistes reviennent dans différents rôles : Makoto
Komatsubara, Makino Yoneyama, Michiko Arakak y Ahitori Tsurunaga. D’une nouvelle à l’autre,
certains passages se répètent avec des variations qui produisent un effet comique dans la perspective
d’ensemble. Un de ces passages concerne plus spécialement mon sujet que j’ai expliqué. Lorsque le
Japonais de la nouvelle, découvert par les medias, devient un phénomène, on lit presque le même
passage à chaque fois.. Je le donne ici, extrait de la première nouvelle :

Como era de esperar, los libros sobre las vivencias y fatigas de Makino Yoneyama no
tardaron en aparecer y en menos de un mes habían copado la lista de los diez libros
mas vendidos. A saber, El maqui Makino (Espasa), El codigo Yoneyama (Seix-barral)
o templarios y samurais (Planeta), aunque el titulo que verdaderamente se convirtió
en un best-seller fue El ninja republicano (Alfaguara).
Por otro lado, la “yoneyamamania” provocó un efecto domino que precipitó a la
sociedad española sobre cualquier cosa que pareciera japonesa, como el manga, el
ikebana, el sudoku y el flamenco. Nunca se leyó ‌mas a Kawabata, Mishima y Tanizaki.

Afin qu l’on voit comment travaille le mécanisme de répétitions et de différences, je cite également
le passage correspondant de la deuxième nouvelle :

Como era de esperar, los libros sobre las vivencias y fatigas de Makoto Komatsubara no tardaron en
aparecer y en menos de un mes habitan copado la lista de los diez libros mas vendidos. A saber, El
maqui makoto (espasa), el codigo komatsubara (seix barral) o templarios y kamikazes (planeta),
aunque el titula que verdaderamente se convirtio en un best seller fue el ninja con el kimono de rayas
(Alfaguara). Por otro lado, la komatsubaranoia provoco un efecto domino que precipito a la sociedad
española sobre cualquier cosa que pareciera japonesa, como el manga, el kabuki, el karate y el
flamenco. Nunca se leyó más a Oé, Ishiguro y Murakami.

Avant chaque convocation, on trouve sur la page de gauche un collage d’images de nature
variées (photographie, photogrammes, affiche de film, article de presse) où des références ) la
culture japonaise cohabitent avec d’autres sujets. Chaque page de collage est en rapport
thématiquement avec la nouvelle qu’elle accompagne. Il faut noter que ce dispositif visuel est
extérieur au propos parodique des nouvelles « clonées », car les concours fictifs ne demandent pas
de création plastique. Le discours de ces images au sujet de la culture japonaise vient doubler le
discours du texte sur le même thème.
Plusieurs discours s’entrecroisent dans cette œuvre complexe, en plus de celui sur le
Japon : la critique humoristique de la logique des prix littéraires s’entremêle au propos
satirique sur la télé)poubelle et à la pointe ) la tradition éditoriale qui ne se lasse pas de
proposer des "refritos de la guerra civil" comme dit Groucho Marx dans une des
épigraphes. Comme le manifeste le titre, reprise du titre du recueil poétique de Cesar
Vallejo.
Je me concentre sur le propos intéressant la culture japonaise, mais cela reste un sujet
complexe et puisque j’ai peu de temps je me contente de deux axes : le japonisme simplificateur qui
déforment les phénomènes culturels japonais, le « faux japonisme » (Fernando Cid Luca) cultivé
par les medias et leur communication défaillante, et enfin je propose une lecture qui transmue cette
ironie critique en autoironie, Iwasaki s’incluant lui-même dans ce mouvement.

I) Le japonisme facile des médias : un entretien avec Makino Yoneyama

Pour traiter du sujet du japonisme dans les medias, je vais simplement commenter
linéairement un passage de la nouvelle, où se concentrent et se superposent un grand nombre des
procédés qu’on retrouve dans l’oeuvre. Makoto Komatsubara, grand supporter de betis, est venu en
Espagne pour répandre dans le stade Sánchez Pizjuán les cendres de son mentor et ami Makoto
Komatsubara , qui fut un fervent supporter du Sevilla Futbol Club. Makoto Komatsubara, précise le
narrateur, était venu au Japon en 1928 pour travailler dans les jardins du Palais de San Telmo sous
les ordres de l’architecte basque José María Basterra y Makoto Yoneyama, migrant japonais au
Pérou, était venu travailler à Séville pour l’Exposition Iberoaméricaine de 1929 comme fleuriste et
jardinier du pavillon péruvien. Lorsque les deux Japonais se reconnaissent et se rencontrent en
1932, ils deviennent inséparables et s’installent à Coria del Río où demeurent des descendants de
Japonais venus au Japon avec la mission Hasekura du XVIIeme siècle, une mission japonaise qui
traversa le vice-royaume du Mexique pour arriver en Espagne où restèrent 184 japonais qui reçurent
le nom de « Japon ». La paire d’amis ouvre un magasin de fleuriste tr ès couru. En 1990, la NHK
les découvre et leur passion du football les rend célèbres durant un certain temps. Avec le retour en
Espagne de Makino, l’Espagne se souvient que plusieurs années auparavant, les deux amis ont été
des vedettes. Durant cette époque de folle popularité, Makino est interviewé pour une émission
télévisée.

A través de la niebla que perfumaba de tabaco el plató, la voz afelpada del entrevistador
dejaba caer las palabras como si fueran los pétalos de una pregunta:

–Después de tantos años trabajando con flores... ¿podría decirme, Makino Yoneyama, quién
desfl oró a quién? –Perdone, ¿puere repetir?
–Perdone, ¿puere repetir?
–El pesimismo vital de Akutagawa, su intuición trágica de la vida y, sin embargo, hedonista,
esa cosmovisión dionisíaca que convivía con la certidumbre de su fi nitud... ¿Todo aquello fue
lo que le impelió a ser hincha del Betis, Makino?
–Akutagawa..., ¿bético?
–Regáleme un haiku, Makino. –Año de carpas rojas, invierno de las ranas.
–¿Qué ha querido decir? –Musho Betis, malito.

Je vous propose que l’on suive les mouvements du passage.

A través de la niebla que perfumaba de tabaco el plató, la voz afelpada del entrevistador
dejaba caer las palabras como si fueran los pétalos de una pregunta:

La brume est un trope littéraire dans la poésie japonaise et un mot de saison pour l’autome
dans l’art du haiku. L’image de la brume a été réinterprétée par le poète nikkei José Watanabe, dans
son poème « Banderas detrás de la niebla », qu’Iwasaki a sans doute lu. Poème qui donne son titre a
un recueil de Watanabe. Les pétales également se réf§rent à l’image stéréotypée des cerisiers en
fleurs, et peut-être Iwasaki a-t-il pensé au fameux haiku de Motitake citer. Même la voix feutrée du
présentateur est peut-être une résurgence de cette esthétique de la discrétion et de la sobriété
qu’expose avec ironie Junichiro Tanizaki dans l’Eloge de l’ombre (1933, traduit en espagnol en
1994) qu’Iwasaki a lu, et où on apprend que le fond des toilettes traditionnelles japonaises sont
recouvertes d’ailes d’insectes dont la soi étouffe les bruits de chute des selles. Ces allusions à la
culture japnaise, au moins telle qu’elle a été présentée et transmise dans des productions artistiques,
interviennent dans une phrase du narrateur qui annonce un action et dans un contexte inconnexe :
l’interview filmée.

–Después de tantos años trabajando con flores... ¿podrí ia decirme, Makino Yoneyama, quién
desfl oró a quién?

La question de l’interviewer, introduite par un jeu de mots graveleux, s’intéresse à un détail


intime de l’interviewé, en accord avec les exigences d’un programme dit « people ». Ignorant la
question de Makino (–Perdone, ¿puere repetir? ), le présentateur poursuit son discours
préconstruit :

–El pesimismo vital de Akutagawa, su intuición trágica de la vida y, sin embargo, hedonista,
esa cosmovisión dionisíaca que convivía con la certidumbre de su fi nitud... ¿Todo aquello fue
lo que le impelió a ser hincha del Betis, Makino?
Les mots savant d’origine grecque indique l’ambition de produire un duscours académique,
mais les oppositions radicales citer parodient le discours, entre critique littéraire et publicité des
« blurb » ou textes promotionnels dont la rhétorique « hystérique » vise à attirer le plus large public
possible, et qui finissent par ne plus être que des « signes fatigués » (von Rejchwald). Le lien avec
Akutagawa Ryunosuke est arbitraire, car le commentaire n’a rien dit de pertinent à son sujet. Il
semble que le présentateur associe Makino et Akutagawa car ils sont tous deux japonais, et cela
suffit à connecter dans un anachronisme absurde l’écrivain japonais et le football espagnol. Mais
Akutagawa est connu pour avoir un prix littéraire à son nom et est un emblème international du
rayonnement de la littérature japonaise.

Ici se confirme l’affinité entre Iwasaki et l’écrivain japonais Yasutaka Tsutsui. Dans un roman
qu’Iwasaki n’a pu lire car il n’a pas été traduit en espagnol, intitulé en français Les cours
particuliers du professeur Tadano et publié en 1992, Tsutsui fait une satire de l’université, des
écrivains, des éditeurs et des relations conflictuelles entre ces trois mondes. Il se moque des prix
littéraires, qui sont motifs de honte pour les universitaires : son protagoniste le professeur Tadano
tente de cacher le fat qu’il est sur le point d’avoir le prix « Akutayama ». La question étonnée de
Makino résume l’anacronisme :

–Akutagawa..., ¿bético?

Une fois de plus le présentateur l’ignore et enchaîne sur un autre sujet bien japonais : le haiku.

–Regáleme un haiku, Makino.


–Año de carpas rojas, invierno de las ranas.

Le haiku de Makino n’est pas un haiku, même s’il en aura l’air pour un lecteur ignorant les
règles de cette forme. Il y a en effet deux mots de saison : carpe pour l’été et grenouille pour le
printemps, l’énoncé se structure en deux parties sur un rythme parallèle 7/7, deux entorses graves
aux règles. Le lexique s’associe facilement, comme le suggère le narrateur à la p 106, aux haikus de
Issa Kobayashi qui écrivit environ 200 haikus sur les grenouilles. A la page 106, le narrateur précise
que Makino aime à réciter : « Año de ranas, musho Betis », comme une paraphrase de Issa
Kobayashi. Iwasaki a peut-être eu en tête le célebrissime haiku du haikiste :

Ranitita
¡No pierdas!
Issa está aquí.

Un haiku si fameux qu’il inspire depuis 1962 une cérémonie au temple Entenji où chaque
année deux lutteurs humains déguisés en batracien reconstituent la bataille du poème.

Iwasaki a-t-il voulu lier le haiku de Issa supporter avec le cri d’encouragement du football
espagnol ? Quoi qu’il en soit, Iwasaki semble s’adonner ici au même jeu que Mario Bellatin dans
Le Jardin de la dame Murakami, El Jardin de la señora Murakami, publié en 2000., où on peut lire
le faux haiku :

Lointain hiver:
cerisiers en fleurs,
l’hirondelle
.
qui réunit comme le haiku de Makino deux saisons, au mépris des règles de la forme poétique.

La question triviale du présentateur...


–¿Qué ha querido decir?

Provoque une réponse..

–Musho Betis, malito.

Logique si l’on se souvient du poème de Makino de la pag 106 : « –Año de ranas, musho Betis ».
En effet, Makino semble avoir l’habitde d’exprimer son soutien à Betis au moyen de ce petit énoncé
amorcé par une expression vaguement associable au monde poétique de Kobayashi.

L’entrevue a été un dialogue de sourds où l’interviewer, suivant le rythme effréné et contraint


du media télévisuel, et a enchaîné des stéréotypes simplificateurs avec un manque de cohérence
criant. Le tout, il faut le signaler, manifeste l’exaspération que ressentit Iwasaki lorsque en Espagne
on l’associait cavalièrement avec tout phénomène japonais ou vu comme japonais.

II) Auto-ironie

Dans une conférence datant de 2014 intitulée, Iwasaki confie qu’il a rencontré des difficultés
pour trouver un titre fiscal lorsqu’il a voulu s’inscrire en tant qu’auto-entrepreneur auprès du
Ministère de l’Intérieur espagnol. Il a hésité, dit)il, entre «Construcción de toda clase de obras»
(IAE 507) et «Artefactos flotantes» (IAE 3714). Il conclut : "...como vivimos en una era líquida y
los Iwasaki venimos del budismo zen, elegí el artefacto que flota como las pinturas del ukiyo-e
japonés." L’association sciemment anachronique qu’il fait entre le concept forgé par Zygmunt
Bauman (Liquid modernity) et le monde bourgeois japonais de l’ère Edo avec ses « images du
monde flottant », cette association qui passe par l’intermediaire du seme « flotter » contenu dans
liquide et flotter, montre qu’Iwasaki prend de la distance devant son héritage japonais, et qu’il a une
facilité à relier cet héritage réinterprété avec le contexte socioculturel qu’il doit appréhender. Cette
réinterprétation de son héritage japonais reste paradoxalement marquée par l’impossibilité de
retrouver « le japonais » en lui, causée par le fait que le monde est justement liquide et qu’il a fait
de lui un auteur de langue espagnole, un hispanophone péruvien et espagnol, mais pas un japonais.
En 2009 , dans España aparta, cette frustration transparaît.
L’exercice formel que s’est imposé Iwasaki l’a obligé à varier dans chaque nouvelle les noms
d’écrivains japonais ou dont les noms sonnent japonais dans les passages répétés d’une nouvelle à
l’autre. Ce qui nous autorise une lecture moins évidente que celle qui consiste à voir dans l’œuvre
une critique du japonisme de masse facile. Dans la première nouvelle, les auteurs très lus par le
public sont Yukio Mishima, Junichiro Tanizaki y Yasunari Kawabata, la trinité classique la plus
connue hors du Japon, étudiés dans les établissements enseignant le japonais à laquelle s’ajoute
Osamu Dazai. Qu’Iwasaki n’a pu lire à l’époque de rédaction de esp car Dazai n’était pas traduit en
espagnol. Cependant, dans certaines nouvelles, cette lecture s’infléchit. Iwasaki cite les auteurs
japonais suivants : Kazuo Ishiguro, Kenzaburo Oe, Haruki (o Ryu) Murakami, Basho, Masahiko
Shimada, Kobo Abe, Kyôichi Katayama, Ryûnosuke Akutagawa, Banana Yoshimoto,, Endo
Shunsaku, Ihara Saikaku, Akira Yoshimura, Tokutomi Roka, Hisako Matsubara, Michio Takeyama,
Natsume Sōseki, kira Toriyama y Murasaki Shikibu. Certains sont faciles d’accès, et d’autres
beaucoup moins. Citer. Masahiko Shimada Kyôichi Katayama Tokutomi Roka. Si on prenait
cette énumération au premier degrés, certaines nouvelles décriraient sur ce point un monde
parallèle, alors que la première nouvelle semble pointer un fait réel. Pourtant Iwasaki les a tous lus
dans les traductions espagnoles disponibles. Avec toute la prudence nécessaire, on peut supposer
que l’Espagne de l’œuvre qui se passionne pour un Japon exotique et fascinant cache Iwasaki lui-
même qui se mit à lire les auteurs japonais mentionnés après avoir été catégorisé comme japonais
en Espagne et que sa curiosité pour cette part de son ascendance s’est réveillée. Depuis lors,
encouragé ar le professeur Reiji Nakagawa, Iwasaki se penche sur la partie paternelle de sa
généalogie, il projette actuellement d’écrire un roman sur son père, après avoir projeté d’en écrire
un sur son grand-père. Citer las palabras primas lengua marchita.

Dans La lengua paterna (2013) il confiait encore : "contemplo las cosas del Japón esperando
reconocer un destello, una contraseña o un reflejo que avive y despierte mi alma dormida.” Mais,
conscient de l’impossibilité de retrouver ses racines et son grand-père dans les auteurs classiques
(Mishima, Kawabata, Akutagawa, Dazai) Iwasaki préfère se réjouir de pouvoir relier l’humour
eschatologique et acide de Yasutaka Tsutsui, plus proche de sa sensibilité, à l’humour de Tanizaki,
en une continuité imaginée, formant ainsi un univers personnel où l’auteur japonais contemporain
qu’il aime se nourrit d’un auteur japonais plus lointain. Car cela lui permet d’associer son grand-
père, homme de l’ère Meiji, à l’humour qui le touche et de l’imaginer rire, dit-il dans sa conférence
Yasutaka Tsutsui reloaded.(2012)

Ce sentiment d’étrangeté face à la culture japonaise se manifeste dans "La sombra del
guerrero" . Le protagoniste Kawashita reçoit la visite d’un certain Yoshitaro Kohatsu qui se
présente comme l’ami de son grand-père, Takachi Kawashita, et lui raconte l’histoire de la
promesse que ce dernier avait faite à l’empereur Meiji, à savoir tuer le traître Yoshitaro Kohatu,
coupable de s’être révolté contre l’empereur, enfui au Pérou, ou de périr par le suicide rituel.
Puisque Takachi nn’a pas tué Yoshitaro et qu’il est devenu son meilleur ami après 50 ans
d’affrontements au katakana, c’est le katana de Takachi que Yoshitaro remet au protagoniste qui lui
dira comment agir. Le protagoniste finit par tenir la promesse de son aïeul et se fait seppuku. Mais
le protagoniste-narrateur à la première personne précise au début du texte que tout ce qu’il connaît
du Japon consiste en les appareils électroniques qui inondaient le marché mondial à l’époque de la
rédaction de la nouvelle, et les films d’Akira Kurosawa. Le titre de la nouvelle reprend le titre d’un
des films de samourai les plus connus de Kurosawa : Kagemusha, L’ombre du guerrier (1980).
Avec ce chois, l’auteur Iwasaki semble faire allusion à son statut d’ « ombre » du grand-père
samourai à travers son protagoniste et simultanément mettre ses limites en évidence : comme
Kawashita, Iwasaki convoque Akira Kurosawa.
Sur le sujet de l’autoironie, Broack et Castany ont bien souligné son importance chez Iwasaki.
Broack souligne comment dans Espana aparta Iwasaki se moque de médias, des technologies de
l’information et de la communication, et du monde commercial desquels il tire pourtant
joyeusement profit (70) . Castany quant à lui affirme que dans Espana aparta Iwasaki montre sa
capacité à rire de son propre destin d’écrivain. Ses nouvelles, précise Castany, ne présentent pas
l’écrivain comme un para-tonnerre céleste, un porte-parole du peuple ou u poète maudit, mais
plutôt comme un être qui prostitue sa plume dans l’espoir de remporter un prix littéraire mineur qui
lui permettra (je cite comme Castany Iwasaki dans le prologue de Espana aparta) de manger,
d’arriver à la fin du mois et peut-être de s’acheter un nouvel ordinateur. Dans cette logique, toute la
charge ironique dirigée contre le japonisme de pacotille des médias, perceptible à la lecture d’une
nouvelle isolée, s’affaiblit considérablement à mesure que se déploient la progression répétitive :
comme Iwasaki se moque de la littérature contrainte par des exigences extérieures telles les prix
littéraires, ou de la télé réalité qui transforme la médiocrité en événement spectaculaire, il semble
illustrer le fait que la démarche critique de l’écrivain fait partie également des stratégies convenues
dans la profession, des attendus du public : il est à la mode d’être rebelle. Iwasaki même
l’excentricité devient une mécanique.

CONLUSION
Dans ce travail, j’ai dû laisser de côté plusieurs points et ne pas parler d’autres manières
d’illustrer ironiquement les relations entre le Japon et l’Espagne et la culture occidentale. Je n’ai pas
par parlé par exemple des références au flamenco dont la pratique est populaire au Japon et présenté
dans España comme « une chose qui paraît japonaise », ni des références à des productions
populaires où surgissent des images japonisantes (Karate Kid ou La Guerre des étoiles), ni des
références à l’histoire réelle de la présence japonaise en Espagne emmêlée à la fiction. J’ai tenté de
dégager, dans cette œuvre d’une période de la vie de l’auteur, comment se manifeste son attitude
face à son héritage japonais, que l’espagne des années 80 lui rappelait toujours. Nous avons vu
comment il caricature ce qu’il a perçu comme un engouement populaire et superficiel pour un Japon
déformé, simplifié. Dans cette ironie se glisse subrepticement de l’auto ironie.

La relation d’Iwasaki avec son héritage japonais est ambiguë, se trouve entre « attraction et
répulsion », comme dit Shigeko Mato qui commente « L’ombre du guerier ».Repulsion peut-être à
cause de l’obligation d’être japonais alors qu’il ne se sent pas japonais. Attraction provoquée par le
mystère d’un grand-père cultivé par un père qui ne parlait pas japonais devant ses enfants et se
taisait sur le sujet de son histoire personnelle. Malgré tout, indépendamment de cette recherche
identitaire, Iwasaki a profité dans son travail d’écrivain de la « lecture jouissive » comme il l’écrit
dans la préface de oriente 2005, des auteurs japonais. Par exemple, comme pour contredire le jeu
verbal mécanique avec le nom d’Akutagawa que j’ai exposé plus haut, Iwasaki a reinvesti la forme
et la technique du récit polyphonique de la célèbre nouvelle d’Akutagawa « Dans le fourré » (En el
bosque), « Yabu no naka", nouvelle adaptée au cinéma en 1950 dans le fim Rashomon réalisé
justement par Akira Kurosawa. Et il a adapté cette technique dans une nouvelle où se déploient ses
thèmes favoris : le rencontres et les rendez-vous ratés entre cultures, surtout les rendez-vous ratés,
les malentendus, les différences de lecture d’une seule réalité, le tout sur le ton humoristique qui le
caractérise.

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