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© Camion Noir, 2011

www.camionnoir.com
ISBN : 978-2-35779-108-4
ISSN : 1950-0270
Dépôt légal : janvier 2011.
© Éditions du Camion Blanc pour la présente traduction.
© Sébastien Raizer pour la préface.
Tous droits réservés.
Illustrations : D.R.
Mise en page : Sébastien Raizer.
Mille mercis à Motoko Ishikawa, Izumi Saitoh, Gérard Nguyen, Dom
Franceschi, Géraldine Pétry pour leurs précieux conseils.
Amitiés à Jean-Philippe Ury-Petesch de Bangkok, chez qui j’ai
commencé la traduction de cet ouvrage.
Dix mille – que dis-je ? cent mille milliards de – mercis à Sophie Heyd
pour sa patiente et rigoureuse relecture (www.benescribere.com)
S. R.
1. Préface de l’éditeur
HAGAKURE : « CACHÉ SOUS LES FEUILLES »
« En examinant attentivement les affaires du passé, on remarque
qu’elles ont suscité de nombreuses opinions différentes, et que certaines
choses ne sont pas claires. Il vaut mieux les considérer comme
inextricables. […] Il est naturel de ne pas comprendre les choses profondes
et cachées. Ce qui se comprend facilement est plutôt superficiel. »
Hagakure, Livre premier
« Don’t steal my history. »
Einstürzende Neubauten
Cette citation du Hagakure, « livre secret des samouraïs », résume à elle
seule son mode d’emploi, son optique de lecture, son état d’esprit. La
majorité des analectes de Jôchô Yamamoto sont construits sur le même
principe : l’exposé d’une situation, suivi de son analyse contradictoire. Au
sujet des « affaires du passé », Jôchô ouvre d’abord la porte à la
résignation : « Il vaut mieux les considérer comme inextricables. » Puis il
exprime subtilement un défi, assimilant par effet miroir la superficialité au
lecteur qui ne comprend pas, ou renonce à l’effort de compréhension. Un
samouraï y voit une injonction, car il sait que : « La négligence est une
chose extrêmement néfaste », pour reprendre une phrase de l’analecte
d’ouverture. De cette contradiction apparente entre résignation et volonté
naît un tiers inclus mêlant doute et détermination : il faut sans cesse
éprouver ses limites et les pousser plus avant. Exercice quotidien, et même
permanent, Jôchô le rappelle tout au long du texte.
Le Hagakure dit tout, mais en silence : le message est caché entre les
lignes, « caché sous les feuilles », pour reprendre la traduction littérale du
mot japonais hagakure (ha, feuille, et gakure, caché) :
*
Entre 1709 et 1716, le scribe Tashiro Tsuramoto a noté les
enseignements de Jôchô Yamamoto, ermite et ancien samouraï au service
du clan Nabeshima, et ce sont ces écrits qui forment les onze livres du
Hagakure. La longue carrière de cet ouvrage s’appuie sur deux champs de
forces : la densité et l’inépuisabilité du texte lui-même, d’une part, et
d’autre part, ce qu’il représente : le guide spirituel du samouraï. Un mythe
doublé d’une légende : les forces d’attraction se décuplent mutuellement.
Dans les représentations médiatiques contemporaines, seul le film Ghost
Dog (1999) de Jim Jarmush met en scène à la fois le samouraï et le
Hagakure (le héros, « Ghost Dog », est un tueur à gages noir qui vit selon
les préceptes dudit livre, dont quelques extraits sont lus dans le film). Quant
au Zatoïchi (2003) de Takeshi Kitano, il n’est pas samouraï, mais rônin, au
mieux. Le Dernier Samouraï (2003) d’Edward Zwick s’inspire plutôt
librement d’un fait historique : la rébellion de samouraïs contre l’armée
japonaise, en 1877 – la caste des samouraïs avait été promise au
démantèlement dix ans plus tôt, à l’aube de l’ère Meiji. Citons également
Après la pluie (1999), d’après un scénario d’Akira Kurosawa, ainsi que le
célèbre feuilleton télévisé Shogun (1980), tiré du roman éponyme de James
Clavell qui s’inspire de l’histoire de William Adams, le premier Britannique
qui soit allé au Japon. Arrivé en 1600, il y resta jusqu’à sa mort, en 1620.
Adams fut le premier étranger à devenir samouraï, sous le nom de Miura
Anjin. Laissons de côté Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville (aucun
rapport avec la qualité du film, lui-même sans rapport avec les samouraïs).
En revanche, Les Sept Samouraïs (1954) d’Akira Kurosawa est
incontournable. Mondialement connu, il présente de façon très réaliste la
vie dans le Japon médiéval et le rôle des samouraïs « ordinaires » dans les
conflits de l’époque.
La bande dessinée s’est également intéressée aux samouraïs, ainsi que le
jeu vidéo. La littérature, par contre, s’est tenue relativement à l’écart du
sujet. À l’exception du Shogun précité, les romans notables sont La Pierre
et le sabre et La Parfaite Lumière, du Japonais Eiji Yoshikawa, rédigés en
1935 et relatant la vie du samouraï légendaire Musashi Miyamoto (1585-
1645), figure mythique dont la culture japonaise se souvient comme d’un
sabreur au talent inégalé. Mentionnons également Liam Hearn et sa série de
romans Le Clan des Otori, qui traite davantage de batailles claniques dans
un Japon médiéval imaginaire, et s’adresse à un jeune public.
Cela fait peu, en matière de littérature, pour une mythologie si forte,
présentant un territoire fictionnel d’une telle richesse. C’est qu’une ombre
géante plane de toute son aura fascinante sur le sujet…
En revanche, le mot « samouraï » en lui-même a été mis à toutes les
sauces – d’ailleurs, les Belges accompagnent même les frites d’une
préparation particulièrement relevée : la sauce samouraï – véridique…
L’utilisation du mot à tout propos l’aurait-elle vidé de sa substance ?
*
L’Occident connaît du Japon, pêle-mêle, quelques cartes postales
contrastées : son Fuji-Yama et ses jardins, ses samouraïs et ses yakuzas, ses
mangas et ses hentais, ses geishas et ses sushis, son kabuki et sa
calligraphie, Mothra et Godzilla, son art du tatouage (irezumi) et des
estampes (ukiyo-e), son fétichisme érotique et son hara-kiri (ou seppuku,
terme plus élégant pour les Japonais), l’exubérance vestimentaire d’une
partie de sa jeunesse et ses suicides de groupes, Takeshi Kitano et Yasunari
Kawabata, son engagement au sein de l’Axe durant la deuxième guerre
mondiale et les missions-suicide de ses pilotes kamikazes, ses bonzaïs et ses
champignons atomiques, ses arts martiaux et son saké, son agressivité
économique et son gaz sarin, ses origamis et son ikebana (art floral), son
shinbutsu shûgô (syncrétisme de shintoïsme et de bouddhisme) et ses
massacres de baleines et de requins…
Pays des samouraïs et inventeur des arts martiaux, son sport national est
aujourd’hui le base-ball. Pays du seppuku rituel (il en existait quatorze
types), il pratique désormais la peine de mort.
En creusant un peu, on découvre l’œuvre cinématographique d’Akira
Kurosawa, l’œuvre musicale d’Akira Ifukube, L’Éloge de l’ombre de
Jun’ichirô Tanizaki, Le Soleil et l’Acier de Yukio Mishima, et sa
somptueuse tétralogie La Mer de la fertilité. Mishima (pressenti pour le prix
Nobel de littérature en 1968, finalement attribué à Kawabata) et son suicide
spectaculaire par seppuku, le 25 novembre 1970, dans le quartier général de
l’armée de l’Est, à la base des forces d’autodéfense (Jieitai), après avoir mis
un point final le matin même à L’Ange en décomposition, dernier volet de
sa tétralogie, avoir pris en otage le général Mashita avec quatre membres de
la Tatenokai (Société du Bouclier, armée privée liée aux Jieitai), et tenté de
soulever par un discours les forces d’autodéfense contre la Constitution
japonaise de 1947. Cet éventrement (kappuku) suivi d’une décapitation
(kaishaku) laissa le Japon incrédule et le monde, stupéfait. Pour les
Japonais, Mishima est un grand écrivain homosexuel qui a perdu la raison
(kichigai). Pour l’Occident, Mishima est un grand écrivain ayant fusionné
son œuvre et son idéal samouraï dans ce seppuku. (Nous reviendrons sur
cette vision romantique, car Mishima a détaillé son intention philosophique
et esthétique, à rebours de la conception occidentale du romantisme.) Pour
le Japon comme pour l’Occident, le « cas » Mishima recèle un mystère, une
singularité artistique et intellectuelle : quel était le moteur de sa philosophie
profonde, de son esthétique de « la Mort, la Nuit et le Sang » ? Un début de
réponse se trouve dans un texte qu’il a rédigé trois mois avant sa mort, en
août 1970, lors de ses vacances familiales et annuelles à Shimoda, station
balnéaire au sud de la péninsule d’Izu, Le Japon moderne et l’éthique
samouraï :
« Tout à la fois, je voyais dans le Hagakure une philosophie de la vie et
j’éprouvais le sentiment que son bel univers primitif pourrait revigorer le
monde croupissant de la littérature. […] Le Hagakure est comme la matrice
qui a donné naissance à mon œuvre littéraire. Là est la source inépuisable
de ma vitalité – car là est l’aiguillon implacable, la voix qui ordonne, le
critique cruel, et là est la beauté qui est celle de la glace. »
Le Hagakure, des décennies après sa rédaction (au tout début du XVIIIe
siècle), eut pour sous-titre Le Livre secret des samouraïs. Sachant que les
samouraïs constituent quasiment la part essentielle du développement de
l’histoire japonaise, il est bon d’en avoir les grandes lignes à l’esprit. Pour
commencer à comprendre ce que cachent les pages de cet ouvrage, pour
commencer à lire entre ses lignes, aborder la profondeur d’un analecte qui
semble une simple anecdote, mettre en vis-à-vis ses contradictions
apparentes et en éclairer la complémentarité, il est utile de situer le contexte
de son élaboration. Et pour cela, une perspective historique du Japon, même
simplifiée, est nécessaire : ces éléments constituent la meilleure
introduction au Hagakure, qui contient une part de l’essence même de la
civilisation et de la culture japonaises. À la fois simple et complexe,
lumineux et sombre, sage et sauvage, religieux et profane, philosophique et
égrillard, révérencieux et iconoclaste, le Hagakure, sous ses dehors simples,
atteint bien une conception élémentaire et totale de la vie et de la mort, et
constitue en lui-même sa propre théorie, tout en n’en déployant aucune. Il
lie sans pareil le mot et l’action, très loin des développements
philosophiques oiseux – jamais il ne se paye de mots, pourrait-on ironiser.
Là réside sa force redoutable, son impact à nul égal sur l’esprit et le corps,
et par extension, sur le monde des idées et celui de la matière. Pétri du
ferment même qui forgea l’histoire militaire, politique, sociale et culturelle
du Japon, il est également un ouvrage mythique et intrigant, spirituel et
martial pour le lecteur occidental, déployant comme aucune philosophie ou
dogme judéo-chrétien une perspective claire et riche, simple et infinie, du
problème fondamental de l’existence : la mort, en en faisant un sujet
fondateur. S’y soumettre pour s’en libérer, s’en imprégner pour enrichir
infiniment sa vie – ce ne sont pas là les moindres des contradictions du
Hagakure. Jamais un texte occidental ne produisit une réflexion aussi nette
et concise sur le sujet. S’il se place, par bien des points, pour le lecteur
contemporain, au pôle opposé de la « culture mondiale » dominante, ce
n’est que pour mieux en éclairer la vacuité de pensée et l’hypocrisie
matérialiste, et offrir une vision du monde, de la vie et de la mort,
tranchante comme une lame de sabre – issue du meilleur acier produit par le
savoir-faire des forgerons d’armes japonais, dont les techniques sont
aujourd’hui encore inégalées.
I. Une brève histoire du Japon et des samouraïs
« Aucun étranger ne pourra jamais comprendre le Japon. »
Yukio Mishima, in Mort et vie de Mishima, Henry Scott-Stokes.
« Toutes les façons dont les Japonais s’éloignaient des conventions
occidentales fournissaient des renseignements sur leur façon d’envisager la
vie et sur leurs convictions quant aux devoirs de l’homme. »
Ruth Benedict, Le Chrysanthème et le sabre.
Japon : archipel de plusieurs milliers d’îles, dont les quatre principales
(Kyûshû, Hokkaido, Honshû et Shikoku) occupent 97 % du territoire et
forment un quart de cercle de plus de 3 000 kilomètres qui s’étend
(quasiment) de la Chine à (exactement) les îles russes Sakhaline, entourant
les deux Corée.
Quant à l’histoire (complexe) du Japon, elle se divise en quatorze ères,
ou périodes, les premières marquées par l’avènement de progrès (écriture,
techniques, spiritualité, etc.), les suivantes définies selon des types de
pouvoir ou des règnes distincts. Pour ces dernières (la majorité), les
guerriers sont au cœur du déroulement de l’histoire du pays. Une autre
caractéristique est l’alternance de phases d’ouverture sur le monde et de
repli îlien total.
Préhistoire et Antiquité
Malgré le volcanisme qui a effacé les traces les plus anciennes,
l’archéologie situe le peuplement de l’île (le Japon ne devint un archipel
qu’à la fonte des glaces, à la fin du pléistocène) vers 35 000 ans avant l’ère
commune. Il est attesté que cette civilisation fut la première à faire de la
poterie (-16 500). Le peuplement s’est vraisemblablement opéré depuis la
Chine, via la Corée.
La « civilisation » proprement dite naît durant la période Jômon (du Xe
au IIIe siècle avant notre ère), et est fondée, selon la légende, en -600 par
l’empereur Jimmu, descendant de la déesse du Soleil, Amaterasu – ancêtre
commune de tous les empereurs du Japon. Les principales armes sont
l’épée, l’arc, la lance. Villes et villages sont protégés par des douves et des
palissades.
La période Yayoi (-300 – 250) connaît le perfectionnement des
techniques, notamment de l’iconographie, l’introduction de la culture du
riz, mais aussi de l’équitation, ce qui modifie la stratégie des nombreuses et
violentes batailles que se livrent « plus de cent tribus », selon les chroniques
chinoises de l’époque.
C’est avec la période Yamato (v. 250 – 710) que le Japon passe de la
préhistoire à l’Antiquité, avec l’introduction de l’écriture chinoise et du
bouddhisme, lequel se superpose au shintoïsme natif de l’archipel (mélange
d’animisme, de chamanisme, du culte de l’esprit des ancêtres) et devient
religion d’État en 592. La société se structure en clans, sous l’autorité d’un
empereur dont le pouvoir est variable, parfois même symbolique. L’État du
Yamato règne sur l’ensemble de l’archipel, sauf sur l’île septentrionale
peuplée par les Aïnous.
La courte époque de Nara (710 – 794) voit l’impératrice Gemmei faire
de Nara la capitale du royaume. Écriture, arts, religions et structures
administratives se développent. C’est pour conquérir les terres des Aïnous,
au Nord, que l’empereur Kammu, à la fin de l’époque de Nara, dissout
l’armée régulière composée de conscrits (laquelle s’avère incapable de
mener à bien cette mission) pour fonder une classe de guerriers
professionnels : la kondeisei.
L’époque de Heian (794 – 1192) est le prolongement de l’époque de
Nara et marque l’apogée de la cour impériale japonaise, notamment en
matière de littérature, avec le développement spectaculaire du roman, du
conte, de la poésie (Le Dit du Genji de Murasaki Shikubu, les Notes de
chevet de Sei Shônagon). Le bouddhisme se répand largement dans le pays.
Certains clans acquièrent tant de puissance que le pouvoir impérial fait
appel à de grandes familles de guerriers (bushi, terme générique). À cette
époque, les batailles sont principalement menées par des archers, les duels
et corps à corps au sabre n’intervenant qu’ensuite. Après la conquête des
régions du Nord, l’empereur crée un nouveau titre : celui de shôgun
(raccourci de seiitaishôgun, « grand pacificateur des barbares »).
Cependant, après une période de guerre civile (guerre de Gempei),
l’autorité réelle finit par passer aux mains des grandes familles et la classe
des guerriers prend le pouvoir, imposant un gouvernement militaire
(bafuku, ou shogunat). Ils le garderont huit siècles, jusqu’en 1868 et la
restauration de l’empire à l’ère Meiji. Cet événement clôt la période Heian
et marque la fin de l’Antiquité au Japon.
Période féodale
Le mot « samouraï », dérivé de saburau qui signifie « servir », fait son
apparition à peu près à la jonction entre l’Antiquité et le Moyen Âge.
Durant l’époque de Kamakura (1192 – 1333), le Japon se restructure
selon le pouvoir guerrier, et le statut de l’empereur n’est que symbolique.
La position des samouraïs au sein de la société va croissant, jusqu’à faire
d’eux des seigneurs locaux (daimyô). Si le bouddhisme continue de
s’étendre parmi le peuple, les guerriers, quant à eux, se tournent vers le zen.
L’époque de Kamakura est également marquée par trois dates : en 1253,
Nichiren fonde l’École du Soutra du Lotus ; en 1274 et 1281, les Mongols
tentent par deux fois d’envahir le Japon. À deux reprises, leur flotte est
coulée par un typhon, un « vent divin » (kamikaze).
La courte période appelée Restauration de Kenmu (1333 – 1336),
marquée par la tentative de Go-Daigo de rétablir le pouvoir impérial, n’est
en fait que la transition entre deux shogunats, celui de Kamakura et celui
d’Ashikaga qui écrase la rébellion.
Durant l’époque de Muromashi (1336 – 1575), les daimyo voient leur
pouvoir s’étendre. Le shogunat Ashikaga, installé à Kyôto, est héréditaire.
Cependant, les luttes sont quasiment généralisées et les daimyô acquièrent
leur autonomie.
L’époque Azuchi-Momoyama (1573 – 1603) débute avec
l’effondrement du shogunat Ishikaga, battu en brèche par Nobumaga Oda,
allié à Ieyasu Tokugawa – lequel deviendra shôgun en 1603. C’est une
période d’unification pour le Japon, qui connaît également les premiers
contacts avec les Portugais, ainsi que l’introduction du mousquet dans les
batailles (le clan Takeda est décimé par les milliers d’arquebusiers qui
composent l’armée de Tokugawa et d’Oda, en 1575). C’est la fin du Japon
féodal, et le début de la période moderne. Les moines guerriers bouddhistes,
militairement défaits, sont devenus de simples religieux.
Période moderne
L’époque d’Edo (1603 – 1868, ancienne appellation de Tôkyô),
également appelée shogunat Tokugawa, se caractérise par une paix relative
dans un Japon unifié par Tokugawa Ieyasu (contrôle administratif, politique
et économique du pays) et par un isolationnisme marqué (sakoku) se
traduisant par l’expulsion des Espagnols et des Portugais (tout Européen
foulant le sol nippon était puni de la peine de mort), l’interdiction du
christianisme, etc. Des traités commerciaux sont cependant signés avec les
Pays-Bas, la Grande-Bretagne, les États-Unis, la Russie, la France… La
paix est garantie par une hiérarchisation très stricte de l’État. Les daimyô
sont placés sous l’autorité directe du shôgun (leur famille était obligée de
résider à Edo, quasiment en « otage », et eux-mêmes devaient vivre dans la
capitale impériale une année sur deux).
C’est durant cette période de « paix armée » que s’épanouit la classe des
samouraïs et que le bushidô, ou Voie du guerrier, est codifié.
On trouve une définition précise et concise du samouraï sur le site
ClickJapan.org :
« Les samouraïs sont au service d’un daimyô ou d’un shôgun. Ils ont un
rôle de protection et de police. Ils reçoivent une pension directement versée
par le seigneur auquel ils ont juré fidélité. Contrairement à la période
antérieure, ces guerriers se déplacent en kimono et non caparaçonnés dans
une armure. Ils forment une élite militaire respectant des règles de vie et
d’éthique très strictes. Ces règles, qui puisent leur source dans l’ancien code
moral des bushi, nommé kyûba no michi (Voie de l’arc et du cheval), furent
couchées par écrit dans un texte intitulé bushidô. »
La fleur de cerisier, aussi belle qu’éphémère, devient le symbole de la
classe des samouraïs : leur vie doit être à son image. Le samouraï se
consacre au bushidô, lequel prône de façon très stricte la loyauté, l’honneur,
le sens du devoir, l’endurance. L’échec, la faute grave, la trahison mènent
au seppuku. Le rang de samouraï est héréditaire, et sa formation débute dès
son plus jeune âge, où il est amené à « considérer le devoir comme le seul
guide de son existence, le contrôle de soi comme la seule règle de conduite,
la souffrance et la mort comme des accidents sans importance du point de
vue individuel. » (Samouraï et kamikaze, la tradition guerrière au Japon,
Constantin Parvulesco, 2009)
Les jeunes garçons assistent à des exécutions et ne doivent manifester
aucune émotion. Outre la lecture, l’écriture, le bouddhisme et le zen, le
jeune samouraï est tôt initié aux arts de la guerre : sabre, tir à l’arc,
équitation, lutte. Au final, il manie plusieurs dizaines d’armes, la plus
célèbre étant le katana (sabre long), qui forme avec le wakizashi (petit
sabre) un ensemble appelé daishô. Si le katana est l’âme du samouraï, le
wakizashi est son honneur : c’est avec lui qu’il s’éventre, le cas échéant. Il
existe bien d’autres types de sabres, dans la fabrication desquels les maîtres
forgerons japonais excellent grâce à de complexes techniques de trempe
jamais surpassées. Toutefois, la lance, et surtout l’arc, sont également fort
prisés des samouraïs. Rompu à l’art de la guerre, voué jusqu’au fanatisme
au bushidô, le samouraï n’en est pas moins un être spirituel (bunburyudô,
« double Voie de l’art et du sabre »). Promis à une mort imminente, qu’elle
advienne par seppuku ou sur le champ de bataille, il compose un jiseiku, un
poème d’adieu à la vie. Parmi les nombreux exemples qui nous sont
parvenus, citons celui d’Ôta Dôkan (L’Adieu du samouraï, Bertrand Petit et
Keiko Yokoyama, Éditions Alternatives) :
Ô combien j’aurais pleuré ma vie
Si seulement je ne savais pas
Que je suis déjà mort.
Le Japon de l’ère d’Edo est globalement pacifié et uni durant près de
trois siècles. Ce shogunat constitue à lui seul la période moderne. Il connaît
cependant plusieurs famines durant la seconde moitié du XVIIIe siècle (la
classe paysanne occupait hiérarchiquement la deuxième position, juste
après les samouraïs), qui provoquèrent des troubles. La rigueur extrême du
système mis en place par les Tokugawa finit par se retourner contre eux.
Mais c’est également une ouverture inexorable vers l’Occident qui précipita
la fin de cette époque. Ces deux facteurs aidèrent l’empereur en titre et les
puissants daimyô qui le soutenaient à mettre fin au shogunat après la guerre
de Boshin (« guerre de l’année du dragon », 1868-69).
Époque contemporaine
En 1868, Yashinobu Tokugawa, quinzième et dernier shôgun, abdique.
Meiji Mutsuhito restaure le Japon impérial (Dai Nippon Teikoku). Il durera
jusqu’en 1947, lorsque la nouvelle Constitution fera du pays Nihon-koku, la
nation japonaise.
L’ère Meiji (1868 – 1912) se caractérise par de profondes réformes :
établissement de préfectures (1871, disparition des daimyô), création du yen
(1871), ouverture de la Bourse de Tôkyô (1878), adoption d’une
constitution (1889), mais surtout, d’un point de vue militaire, suppression
de la caste des samouraïs (non sans heurts) au profit de la conscription et
création de l’Armée impériale (1873). Après trois siècles d’isolement, le
Japon se modernise à grande vitesse et accueille technologies et expertises
occidentales, et s’engouffre dans le capitalisme, ce qui fait rapidement de
lui la plus grande puissance asiatique. Un fort nationalisme expansionniste
se développe simultanément. En 1894-95, le Japon attaque la Chine et la
Corée, qu’il soumet tour à tour. En 1904-05, il attaque et soumet la Russie.
C’est la première fois dans l’histoire qu’un pays asiatique gagne la guerre
contre un pays européen. Fait explicite : Chine et Russie sont encore des
empires.
Durant l’ère Taishô (1912 – 1926, du nom du fils de l’empereur Meiji),
le Japon s’engage aux côtés des Alliés durant la première guerre mondiale,
dans le but d’affermir sa domination dans le Pacifique. Une tentative
d’invasion de la Russie échoue.
En 1926, Hirohito succède à son père, ouvrant ainsi l’ère Shôwa (1926
– 1947, Shôwa Tennô étant le nom posthume de Hirohito). Grande
puissance économique et industrielle, le Japon est frappé par la crise de
1929. Le nationalisme expansionniste du Japon n’en est que décuplé. Le
pays voit son avenir dans la domination sans partage du Pacifique. Ce qui
justifiera pour lui Pearl Harbor, et finira par Hiroshima et Nagasaki.
En 1945, Hirohito, contraint par le général MacArthur d’annoncer aux
Japonais que l’empereur n’est pas d’essence divine (condition du traité),
signe la reddition du pays, dès lors occupé militairement par les Alliés. La
Constitution de 1947 impose une démocratie (demokurashi, mot
directement calqué sur l’anglais).
En un peu plus d’une génération, le visage du Japon a changé du tout au
tout, passant du shogunat et des samouraïs à une monarchie
constitutionnelle, foyer d’un véritable « miracle économique » après la
guerre, qui a fait de lui la troisième puissance économique mondiale.
« Le Japon adapte ses motivations aux circonstances. Si la chose est
possible, il tentera de se faire une place dans un monde pacifique, sinon,
dans un monde organisé comme un camp militaire. »
Ruth Benedict, Le Chrysanthème et le sabre, 1946
II. « ANALECTES DE L’ERMITE CACHÉ SOUS LES
FEUILLES »
« La philosophie du Hagakure représente une attitude très éloignée de
notre matérialisme contemporain. Son pouvoir d’attraction est plus intuitif
que rationnel, et l’un de ses premiers présupposés est que l’esprit et la
réflexion pavent le chemin de la liberté de l’homme. L’intuition basée sur la
sincérité et la conduite morale constitue une voie solide.
« Le Hagakure ne dit rien du temps ni du profit, pas plus qu’il n’incite à
perdre son temps dans une vague contemplation du vide. On vit dans le
monde et on réagit à ses événements. La seule question est : où choisit-on
de se situer ? »
William S. Wilson, Hagakure, the Book of the samurai, avant-propos.
La famille Nabeshima formait un puissant clan de samouraïs installé sur
l’île de Kyûshû depuis la fin de l’ère de Muromashi (fin du XVIe siècle) et
qui prospéra jusqu’à la fin de l’ère d’Edo grâce à son travail unique de la
porcelaine. Elle était issue du han Fujiwara, puissante famille seigneuriale
durant la période de Heian (794 – 1192).
Avec leur armée de samouraïs, les Nabeshima secondèrent Toyotomi
Hideyoshi en 1587 dans la conquête de l’île de Kyûchû. En récompense,
Nabeshima Naoshige reçut la jouissance du fief de Saga et devint ainsi
daimyô. Il participa également à l’invasion de la Corée à la toute fin du
XVIe siècle. Par la suite, le clan soutint le shogunat Tokugawa.
Samouraï et daimyô de grande valeur, dynamique et réfléchi,
Nabeshima Naoshige mourut à l’âge de 81 ans, en 1618. Son fils,
Nabeshima Katsushige, lui succéda. À en croire le Hagakure, il avait hérité
des valeurs morales et physiques de son père (qu’il avait d’ailleurs
accompagné lors de la campagne de Corée, en 1597, alors âgé de 18 ans).
En tant que daimyô, Katsushige se montra un serviteur zélé du shogunat,
anticipant même les attaques de l’armée du shôgun contre les troupes
rebelles. Son fils étant mort de la variole, c’est son petit-fils, Nabeshima
Mitsushige, qui lui succéda à sa mort en 1657. Son règne est
chronologiquement à cheval entre la fin de l’ère d’Edo et le début de celle
de Tokugawa : c’est une période de paix relative, qui voit l’expansion de la
classe des marchands. Le désœuvrement menace les samouraïs, qui ne sont
plus au premier plan de la vie du fief. Le shogunat incita la classe des
guerriers à s’engager sur la double Voie des arts et des armes (on lira des
nombreux analectes de Jôchô relatifs à ce point). C’est ce nouvel idéal qui
sera celui des samouraïs jusqu’à leur démantèlement, au début de l’ère
Meiji, près de trois siècles plus tard. Ainsi, Nabeshima Mitsuhige n’a aucun
fait d’armes à son actif – bien qu’il fût un samouraï accompli. Son destin est
symbolique de la transition entre les anciens guerriers et les nouveaux.
Les principaux daimyô du clan Nabeshima furent donc Naoshige,
Katsushige et Mitsushige (voir les notes de bas de page insérées dans le
Hagakure, qui rappellent les principales infirmations utiles à la lecture).
En 1700, Nabeshima Mitsushige, troisième daimyô du domaine de
Saga, s’éteint à l’âge de 69 ans. Son fils Tsunashige lui succède. Yamamoto
Tsunetomo était l’un des serviteurs de Mitsushige. Il avait 41 ans. À sa
naissance en 1659, son père Yamamoto Jin’emon, déjà âgé de 71 ans, avait
été un samouraï au service de deux daimyô Nabeshima : Naoshige et
Katsushige. On dit que trouvant son dernier-né encombrant, il faillit le
vendre à un marchand de sel ambulant. De santé fragile (on prédisait qu’il
n’atteindrait pas l’âge de 20 ans), Tsunetomo fut pris en charge par son
neveu (plus âgé que lui), le samouraï Yamamoto Gorôzaemon, lequel lui
servit de modèle. Il entra ensuite au service de Mitsushige en tant que page,
et lui resta dévoué jusqu’à la fin de ses jours. Impressionné par l’acuité
intellectuelle du jeune Tsunetomo, Mitsushige encouragea son penchant
pour la littérature en l’enjoignant à venir étudier avec lui et son précepteur.
Ce dernier envisagea même de l’adopter. Cependant, à l’âge de 20 ans, il
n’avait toujours pas été promu samouraï. Il se tourna alors vers le
bouddhisme zen, ce qui devait avoir une grande influence sur sa pensée. Le
moine zen Tannen est cité dans de nombreux analectes du Hagakure, tout
comme l’érudit confucéen Ishida Ittei, qui fut le conseiller de Katsushige et
de Mitsuhige. Ces deux sages permirent à Tsunetomo d’atteindre un
raffinement spirituel rare chez les guerriers. Mais c’est l’exemple martial de
son neveu Yamamoto Gorôzaemon qui fit naître en Tsunetomo la résolution
de parfaire son entraînement et d’entrer à son tour dans la caste des
samouraïs. Par la suite, son neveu étant contraint de faire seppuku, il fut son
kaishaku-nin, le second qui procède à la décapitation. Mitsushihe prit
finalement Tsunetomo à son service, profitant notamment de son expertise
en matière de poésie et de littérature.
Parmi les différents types de seppuku, il en est un appelé oibana : c’est
l’éventrement d’inféodation. Il porte également le nom de sakibara lorsque
le serviteur suit son maître dans la mort (maebara s’il le précède). Il y a fort
à penser qu’à la mort de Nabeshima Mitsushige, en 1700, Yamamoto
Tsunetomo était résolu à commettre ce suicide rituel. Cependant,
Mitsushige, tout comme le shogunat Tokugawa à son exemple, avait interdit
la pratique du sakibara par décret, en 1661. La loyauté envers le daimyô
résidait donc désormais dans la résolution de lui survivre. À 41 ans,
Yamamoto Tsunetomo fut autorisé à se retirer de la vie publique. Il changea
son prénom en Jôchô, se rasa le crâne et devint moine bouddhiste, menant
une existence érémitique dans les environs du château de Saga. En 1709,
Yamamoto Jôchô reçut la visite de Tashiro Tsuramoto, un jeune samouraï
d’une trentaine d’années employé en tant que scribe par les Nabeshima.
Leurs conversations se déroulèrent régulièrement jusqu’en 1716, Tsuramoto
retranscrivant scrupuleusement et assidûment les paroles de Jôchô – qui
mourut quatre ans plus tard, en 1720, à l’âge de 61 ans, non sans avoir
enjoint au scribe de brûler ses notes. Il avait lui-même rédigé un texte en
1708, Gukenshu, (« Recueil de mes humbles opinions »), destiné à
l’éducation de son fils adoptif, Yamamoto Gonojo. Tsuramoto passa outre la
requête de Jôchô, et s’employa à classer ses notes en onze sections, et à les
compiler dans un recueil nommé Hagakure Kikigaki, soit, littéralement :
« Paroles cachées sous les feuilles ». Le symbole rejoint le concret : ainsi
que nous l’avons vu au début de cette brève présentation, le Hagakure
requiert une lecture active, intuitive, subtile, afin de dénicher un sens
« caché sous les feuilles ». Plus prosaïquement, c’est Yamamoto Jôchô lui-
même qui, vivant semi-reclus dans une hutte, était « caché sous les
feuilles ». Il existe d’autres hypothèses pour expliquer le titre « Hagakure »,
notamment une référence à un poème du moine Saigyô, ou encore le fait
qu’il évoque l’attitude discrète qui sied au samouraï, ou que c’est le château
de Saga, situé au cœur d’une épaisse forêt, qui était « caché sous les
feuilles ». Aucune de ces théories n’est tranchée.
Le clan Nabeshima conserva plusieurs copies de la retranscription des
paroles de Jôchô, titrées Analectes de Nabeshima : le texte n’était pas
diffusé en dehors du fief, mais exclusivement parmi les samouraïs du clan,
ce qui lui vaut aujourd’hui son sous-titre de livre « secret » des samouraïs.
Ce n’est qu’après 1868 et la restauration de l’Empire durant l’ère Meiji
que le Hagakure échappa au clan Nabeshima, pour être largement diffusé au
public japonais au début du XXe siècle, jusqu’à devenir l’ouvrage de
référence de la Voie du samouraï. Durant les années 30 et au cours de la
deuxième guerre mondiale, le Hagakure était, selon les mots de Mishima,
« le livre qu’on ne pouvait absolument pas se dispenser d’avoir lu », « un
objet luminescent exposé au grand jour » (prologue à Le Japon moderne et
l’éthique samouraï).
Si fortement et étroitement lié à la guerre dans l’esprit japonais, le
Hagakure ne pouvait manquer d’être accusé d’avoir fanatisé l’idéologie
militariste et expansionniste du pays, et de l’avoir poussé vers une défaite
au-delà de la raison. Quand le livre n’était pas discrédité ou méprisé, il était
tabou, associé à l’âme sombre du Japon, à la souillure dont il fallait effacer
le souvenir.
L’un des plus grands écrivains (japonais) du XXe siècle, Yukio
Mishima, allait s’employer à changer cela.
III. Yukio Mishima et le Hagakure
« Le moine Keihô rapporta que le seigneur Nabeshima Aki no kami
Shigetake dit un jour : “La valeur martiale est une question de fanatisme.”
Cette affirmation étant en accord avec ma propre résolution, je décidai de
devenir de plus en plus extrême dans mon fanatisme. »
Hagakure, Livre deuxième
« Ne comprenez-vous donc pas ?! »
Yukio Mishima, discours aux forces d’autodéfense, 25 novembre 1970
L’événement est rapporté ainsi : « Yukio Mishima, le célèbre écrivain
japonais, s’est suicidé par seppuku après une tentative de coup d’État au
quartier général des forces d’autodéfense, en plein cœur de Tokyo, le 25
novembre 1970. »
Mishima, fou politique ? En aucune façon – bien que factuellement,
cette information soit exacte. Pas la moindre des allégeances extrémistes
qu’on lui a prêtées n’est avérée – sauf le choix de la mort volontaire, et
théâtralisée (le théâtre, et surtout le théâtre Nô, est un élément important de
l’œuvre du Mishima des dernières années). Mishima, fou idéaliste
romantique ? Cela reste caricatural, mais cette seconde explication, qui a
elle aussi circulé sous diverses formes, tend à se rapprocher des intentions
et motivations manifestes de l’écrivain – pour peu que l’on prenne le temps
de lire ce qui est « caché sous les feuilles ».
Le matin de ce 25 novembre, il venait de préparer le dernier envoi de
L’Ange en décomposition à la revue qui le publiait en feuilleton. Il achevait
ainsi son chef-d’œuvre ultime, la tétralogie La Mer de la fertilité. Trois ans
auparavant, il avait fondé la Tatenokai, milice privée qu’il comparait en
privé aux Gardes suisses (!) et qui, grâce à ses appuis politiques, bénéficiait
de séances d’entraînement au sein des Jieitai (forces d’autodéfense) – bien
que la principale activité de la Tatenokai, avant le 25 novembre, demeurât la
parade. En 1967, il publiait un texte consacré au Hagakure, Le Japon
moderne et l’éthique samouraï, qu’il avait écrit épisodiquement au cours
des années 60 pour une revue américaine.
On pourrait multiplier les exemples de radicalisation éthique du
Mishima des années 60 (Les Voix des morts héroïques, etc.), qui tous se
résument à l’idéal qu’il brûlait d’incarner, le bunburyôdô :
« […] j’ai été la proie d’un conflit entre mon art et l’éthique de l’action.
Voilà que se trouvait formulé le soupçon, qui m’avait hanté des années
durant, qu’une sorte de couardise se cachait inévitablement sous la surface
de toute littérature. À vrai dire, c’est à l’influence du Hagakure que je dois
mon ferme attachement à la “Voie conjuguée de l’homme d’étude et de
l’homme de guerre”. J’étais pleinement convaincu qu’il n’est pas de
discipline plus propice aux belles phrases mais plus difficile à mettre en
pratique que cette “Voie conjuguée de l’homme d’étude et de l’homme de
guerre”, mais je comprenais que celle-ci m’offrait la seule excuse valable à
mon choix de la condition d’artiste. Cette prise de conscience aussi je la
dois au Hagakure. »
Le Japon moderne et l’éthique samouraï, 1967
Le recul historique en témoigne : rarement écrivain s’est exprimé avec
autant de sincérité (ne dit-on pas « mettre ses tripes sur la table » ou « écrire
avec ses tripes », et n’est-ce pas un seppuku symbolique ? D’autant plus que
pour les Japonais, c’est précisément dans les « tripes » que réside l’âme,
que l’éventration rituelle est censée libérer). Cela vaut particulièrement
pour son essai autobiographique dont est tiré l’extrait précité et publié en
1968, texte remarquablement sincère, aigu, dépouillé jusqu’à l’essentiel, et
surtout d’une lucidité stupéfiante et délirante dans la lecture que fait
Mishima de son existence d’homme, d’écrivain, d’idéaliste.
1960 est une année-charnière pour Mishima. Une parenthèse se ferme
sur la première partie de sa carrière littéraire, profuse et variée, commencée
quinze ans auparavant et auréolée d’un succès foudroyant et jamais
démenti. 1960 renvoie Mishima à sa période de formation, mais surtout à la
guerre. Si l’on ne tente pas de comprendre son itinéraire dans son ensemble,
d’avoir une perspective globale de l’incroyable et lumineuse trajectoire de
sa vie et de son œuvre, on se promet le fourvoiement et la mésinterprétation
quant à son geste spectaculaire du 25 novembre, mais également de son
rapport au Hagakure, qu’il ne faut aucunement voir comme un livre
d’endoctrinement au fanatisme politique.
Diverses interprétations du geste final de Mishima ont été formulées, et
nous n’avons ici ni le temps ni la place de les passer en revue et les
commenter. Toutefois, il me semble qu’en nous concentrant sur son rapport
à son œuvre, à la mort et au Hagakure, nous toucherons au cœur du sujet.
Comme l’exprime fort justement Henry Scott-Stokes dans Mort et vie de
Mishima, « Lire le Hagakure, c’est “lire” le caractère de Mishima, ou du
moins l’un de ses aspects fondamentaux. » On peut ajouter : « Et
inversement », tant les deux œuvres s’interpellent et se répondent, à des
siècles d’intervalle.
Une brève histoire de Mishima Yukio, soleil de nuit, de mort et de sang
L’enfance et l’adolescence : kamikaze de la beauté
« Lorsque j’examine de près ma petite enfance, je me rends compte que
ma mémoire des mots a nettement antécédé ma mémoire de la chair. »
Yukio Mishima, Le Soleil et l’Acier
Hiraoka Kimitake est né à Tokyo le 14 janvier 1925. Par son père,
Hiraoka Azusa, un haut fonctionnaire du gouvernement, il descend à la fois
de samouraïs de haut rang et de paysans. Sa grand-mère paternelle Natsuko
joue un rôle primordial. La lignée des samouraïs, c’est elle, arrière-petite-
fille d’un daimyô, apparentée à la dynastie des Tokugawa. Sa très forte
personnalité se traduit par un mépris envers son mari (et le reste de la
famille), qui, selon elle, manque cruellement de l’esprit de ses illustres
ancêtres : c’est sur Kimitake qu’elle reporte tous ses espoirs, au point
d’enlever le nourrisson à sa mère sous prétexte de se charger de son
éducation. (« Ma grand-mère m’arracha aux bras de ma mère alors que
j’avais quarante-neuf jours » – Confession d’un masque.) La prime enfance
et l’enfance de Kimitake se déroulent pour ainsi dire dans la pénombre
d’une chambre de malade, et lui-même connaît quelques problèmes de santé
chroniques, d’origine indéterminée (le terme médical japonais, sans
équivalent en Occident, est « auto-intoxication »). Fragile, sensible,
intelligent, couvé, sa mère n’a le droit de l’emmener qu’exceptionnellement
au parc, et ses seuls contacts avec le monde extérieur ont lieu à la grille de
fer forgé qui ceint la demeure des Hiraoka (les grands-parents vivent au rez-
de-chaussée, les parents à l’étage). « Les prétendues choses tragiques dont
je prenais conscience n’étaient probablement que des ombres projetées par
l’éclat flamboyant du pressentiment d’un chagrin encore plus grand à
l’avenir, d’une exclusion plus rigoureuse encore. » (Confession d’un
masque)
Élevé dans un état d’esprit et une rigueur anachroniques, où seuls les
glorieux ancêtres de sa grand-mère et l’empereur sont dignes d’éloges,
Kimitake multiplie les fantasmes de destins tragiques, auxquels se mêle une
violente sensualité morbide. Il nourrit une dévotion à une représentation de
Jeanne d’Arc figurant dans son livre d’images, avant de découvrir avec
stupéfaction que ce beau chevalier est une femme. Kimitake apprend à lire à
l’âge de 5 ans (il se met aussitôt à écrire), âge où il exprime également un
goût pour la comédie et le déguisement. Il a de la mort « une peur
anormale », selon ses propres mots, en même temps, cela va de paire, qu’il
en éprouve une réelle fascination. L’acquisition de la lecture ouvre plus
grand encore la porte à ses fantasmes héroïques, et ne rend que plus
intrigant le peu qu’il connaît du monde extérieur. « Nombreux sont ceux qui
vont se refuser à croire qu’un tel processus puisse se dérouler chez un
individu au cours du premier âge. C’est pourtant bien, à n’en pas douter, ce
qui m’arriva personnellement, posant ainsi en moi les fondations de deux
tendances contradictoires. L’une fut la détermination de favoriser en toute
loyauté la fonction corrosive des mots et d’y consacrer ma vie
professionnelle. L’autre fut le désir d’affronter la réalité dans un domaine
où les mots ne jouaient aucun rôle. » (Le Soleil et l’Acier) Et c’est
exactement ce qu’il fera. De même, l’esthétique de toute son œuvre est déjà
posée : « Le penchant de mon cœur vers la Mort, la Nuit et le Sang était
indéniable. » (Confession d’un masque)
Voilà rapidement et à grands traits brossée l’enfance de Mishima. Il y
aurait encore tant à en dire. Comme le fait, ô combien ironique, que sa
grand-mère lui interdisait de s’exposer au soleil et de jouer avec des armes,
ne fût-ce qu’un bâton. Lui qui devait prôner le Soleil et l’Acier… Dans un
double mouvement de réaction, il fit l’exact contraire, tout en sublimant
l’idéal héroïque et glorieux duquel la vieille malade l’avait nourri depuis ses
toutes premières années. Mais cela n’entre pas dans le cadre d’une simple
présentation.
Durant les années 30, toute une série d’événements secouent la vie
politique du Japon, notamment l’affaire Ni Ni Roku – le coup d’État
manqué de février 1936. Même si Mishima devait la prendre pour cadre de
sa nouvelle intitulée Patriotisme (à partir de laquelle il mit en scène sa
propre mort dans le film Yûkoku, rites d’amour et de mort en 1965), la
famille Hiraoka, bourgeoise, est épargnée par ces violentes secousses
politiques.
Hiraoka Kimitake passe toute sa scolarité au Gakushuin, l’École des
Pairs, fréquentée par les enfants de la bourgeoisie, de l’aristocratie, et
quelques membres de la famille impériale. À 12 ans (la famille a entre-
temps déménagé), il rejoint ses parents. L’année suivante (1938), sa grand-
mère Natsuko meurt. On a rapidement vu sa double influence sur la
personnalité de Mishima : elle l’a élevé comme une poupée tout en lui
inculquant le culte des samouraïs. Il noue alors une profonde relation avec
sa mère, qui encourage et couvre son activité d’écriture (que son père juge
indigne, au point de surgir un jour dans sa chambre et mettre en pièces ses
manuscrits). Cette constante dualité – pour ne pas dire ces multiples
dualités –, le jeune Kimitake la jugule et la met à profit dans l’écriture :
« Ainsi mon esprit, sans se rendre compte de ce qu’il faisait, enfourcha ces
deux éléments contradictoires et, tel un dieu, se mit en devoir de les
manipuler. C’est de cette façon que je commençais à écrire des romans. Et
je ne m’en sentis que davantage altéré de chair et de réalité. » Le Soleil et
l’Acier
Sa mère est la seule à lire ses écrits. Son père envisage pour lui une
carrière de fonctionnaire du gouvernement.
Fait notable dans l’adolescence de Kimitake : la découverte, dans un
livre d’art ramené d’Europe par son père, d’un tableau de la fin de la
Renaissance. Il s’agit d’un retable de Guido Reni peint en 1615, Saint
Sébastien, représentant le martyr romain attaché à un arbre, le corps
musculeux percé de trois flèches, le visage adolescent encadré de boucles
châtaines : virilité et féminité sont signifiées par Reni dans un style mêlant
le baroque et le classique. Pour l’adolescent, c’est un choc autant esthétique
qu’émotionnel, ainsi qu’il le raconte dans Confession d’un masque :
« Un jeune homme d’une beauté remarquable était attaché nu au tronc
d’un arbre. Ses mains croisées étaient levées très haut et les courroies qui
lui liaient les poignets étaient fixées à un arbre. Aucun autre lien n’était
visible et le seul vêtement qui couvrît la nudité du jeune homme était une
grossière étoffe blanche nouée lâchement autour de ses reins… N’étaient les
flèches aux traits profondément enfoncés dans son aisselle gauche et son
côté droit, il ressemblerait plutôt à un athlète romain se reposant, appuyé
contre un arbre sombre, dans un jardin. Les flèches ont mordu dans sa jeune
chair fraîche et parfumée et vont consumer son corps au plus profond, par
les flammes de la souffrance et de l’extase suprêmes. »
L’image (« Une image dont je ne pus m’empêcher de croire qu’elle était
là pour moi, à m’attendre ») lui causa un émoi tel qu’elle provoqua sa
première éjaculation. En 1966, il imitera la pose du Saint Sébastien de
Guido Reni sous l’objectif d’un grand photographe japonais, Shinoyama
Kishin (soit trois ans après l’esthétisant Ba Ra Keï – Ordalie par les roses
d’Osoe Heikoh, livre de magnifiques photographies de Mishima en noir et
blanc, préfacé par l’écrivain).
Cette explosion sensuelle, platonique et irréelle se reporte bientôt sur
l’un de ses camarades de Gakushuin – épisode également relaté dans
Confession d’un masque. Dans le même temps, ses poèmes et écrits
commencent à être publiés dans la revue de l’école : élégance, style, vision
romantique de la beauté et cruelle tragédie fondent ses nouvelles et le
distinguent, même de ses aînés.
À 15 ans, il s’engage plus avant dans la voie de la littérature et lit
assidûment aussi bien les classiques japonais qu’occidentaux (Radiguet,
D’Annunzio, Wilde, Rilke). Son don pour le langage stupéfie ses aînés
(« Ce jeune auteur est l’enfant béni de l’histoire ancienne », écrit l’un de ses
professeurs), au point que la revue littéraire Bungei Bunka le pousse à écrire
un roman qu’elle publie sous forme de feuilleton, pratique courante au
Japon : ce sera Hanazakari no Mori (« La Forêt tout en fleurs »). Selon
Henry Scott-Stokes : « Hanazakari no Mori n’est pas seulement le premier
ouvrage publié de Mishima, et un ouvrage qui contient en germe tous ses
écrits ; il marque aussi l’évolution de sa pensée adulte, laquelle est
pessimiste. » (Mort et vie de Mishima) Pour ce premier roman du jeune
Hiraoka Kimitake, le professeur qui l’encourage dans la voie de la
littérature lui conseille de prendre un nom de plume. Il suggère « Mishima »
qui est le nom du village d’où l’on aperçoit le mieux le sommet du Fuji-
Yama. Quant au prénom Yukio, il est dérivé du mot japonais qui signifie
neige : yuki.
C’est la fin de l’été 1941. Hiraoka Kimitake est devenu Mishima Yukio,
écrivain. Hanazakari no Mori paraît en décembre. Le mois où le Japon
entre en guerre.
« Le Fleuve de l’écriture »
« À la vérité, en plaçant de niveau mon culte de la réalité et de
l’existence physique et mon culte des mots, en les mettant exactement à
égalité, j’avais déjà mis au jour la découverte que j’allais faire plus tard. »
Yukio Mishima, Le Soleil et l’Acier
Il était important de parcourir brièvement la période de formation de
Mishima, aussi précisément et succinctement que possible. Tout ce qui a
fait de lui un jeune écrivain prometteur, loué par l’École romantique
japonaise, lui servira à mener une carrière au succès aussi bien critique que
populaire, et à inscrire trois années consécutives son nom sur la liste des
écrivains pressentis pour le prix Nobel de littérature. Un seul élément
manque encore aux fondations de l’homme : la deuxième guerre mondiale.
Le 7 décembre 1941, l’aviation japonaise attaque la flotte américaine à
Pearl Harbor. Mishima confie à Henry Scott-Stokes : « Nous avons été
forcés d’entrer en guerre. » Cette opinion est largement partagée au Japon,
pays dans lequel la deuxième guerre mondiale est appelée « guerre du
Pacifique ». Le dynamisme économique du Japon, couplé à son idéologie
nationaliste et expansionniste, voulait que le pays règne incontestablement
sur le Pacifique, à l’exclusion des nations occidentales et de la Chine. Sur le
coup, la guerre n’a pas de répercussion directe sur Mishima. Il oriente ses
lectures vers les classiques japonais les plus anciens (le Kojiki (« Récit des
choses anciennes »), le Manyoshu (« Recueil de dix mille feuilles »), le
Kokinshu, anthologie de la poésie de l’époque de Nara, VIIIe siècle) et écrit
des poèmes à la gloire de l’empereur. Il se persuade qu’il s’agit d’une
guerre sainte et se met à croire, exagérément, en l’idéal d’une mort pour
l’empereur. (« L’empereur, c’est l’absolu », dira-t-il.) L’autodestruction
prend une valeur et un sens nouveaux. Dans un tour d’esprit typiquement
japonais, « l’émotion soulevée par les événements a plus d’importance que
les événements eux-mêmes ». Le jeune Mishima est encouragé dans cette
voie par le cercle littéraire romantique, le roman-ha – qui le tient pour un
prodige des lettres.
« Je prenais un plaisir enfantin à vivre en temps de guerre, et malgré la
présence de la mort et de la destruction tout autour de moi, rien ne parvenait
à troubler la rêverie dans laquelle je m’imaginais être hors de portée des
balles. Je frissonnais même d’un étrange plaisir à la pensée de ma propre
mort. J’avais l’impression de posséder le monde entier. »
Yukio Mishima, Le Soleil et l’Acier
Pourtant, à 19 ans, débordant de fantasmes grandioses et narcissiques, le
conseil de révision le juge inapte au service actif (lors d’un test d’effort, il
est incapable de soulever une botte de paille). En 1944, alternativement, il
suit les cours de droit de la prestigieuse université Todai de Tokyo, et est
incorporé par deux fois dans une usine fabriquant les avions des kamikazes.
Son attitude est pétrie d’élans patriotiques, de fantasmes de mort glorieuse
pour l’empereur, et de peur : il exagère une fièvre grippale qui passe pour
une tuberculose, et échappe ainsi définitivement à la conscription. La
culpabilité conséquente ne le quittera jamais, de même que le regret d’avoir
laissé passer l’occasion d’une mort héroïque. Mais il retirera une autre
chose fondamentale de la guerre : la découverte du Hagakure :
« C’est pendant la guerre que j’ai commencé à le lire et à cette époque il
ne quittait guère ma table de travail. Depuis lors, pendant les vingt années
qui se sont écoulées, s’il est un livre auquel je n’ai cessé de me reporter, en
relisant tel ou tel passage selon les circonstances avec une émotion
immanquablement renouvelée, c’est bien le Hagakure. Singulièrement, il a
fallu que passe l’extraordinaire vogue du Hagakure et que, la guerre finie, il
cessât d’être le livre qu’on ne pouvait absolument pas se dispenser d’avoir
lu, pour que sa lumière commençât à poindre en moi. Après tout, peut-être
le Hagakure a-t-il un destin foncièrement paradoxal. Pendant la guerre, le
Hagakure était comme un objet luminescent exposé au grand jour ; or, c’est
dans les ténèbres les plus noires que le Hagakure jette son éclat véritable. »
Yukio Mishima, prologue à Le Japon moderne et l’éthique samouraï,
1967
Après la guerre, Mishima occupe une année durant un poste de
fonctionnaire, qu’il quitte pour se consacrer corps et âme à la littérature. Il
rencontre Yasunari Kawabata qui lui prodigue force encouragements. À 24
ans, Confession d’un masque (Kamen no Kokuhaku) fait de lui un jeune
prodige unanimement reconnu au Japon (« Chef-d’œuvre tout ensemble de
l’angoisse et de l’atonie », note Marguerite Yourcenar dans Mishima ou la
vision du vide). Il voyage aux États-Unis et en Europe, notamment en
Grèce, et creuse sa voie de romancier avec notamment Amours interdites
(1951), Le Tumulte des flots (1954), Le Pavillon d’or (1956). Sa renommée
est internationale. En 1955, il s’impose la discipline stricte et assidue de la
musculation, qu’il complètera par la suite par la pratique du kendo et du
karaté.
« […] grâce au soleil et à l’acier, je devais apprendre le langage de la
chair, à peu de choses près comme on devrait apprendre une langue
étrangère. Ce fut une seconde langue, un aspect de mon développement
spirituel. »
Yukio Mishima, Le Soleil et l’Acier, 1968
En 1960, l’écrivain connaît une crise tout à la fois éthique,
métaphysique, spirituelle et existentielle – il n’a jamais fait les choses à
moitié. C’est pour lui une année cruciale. Ses immenses efforts littéraires
lui ont apporté une reconnaissance mondiale. Pourtant, Mishima est
insatisfait. Sa période « classique » est révolue. Pour synthétiser, disons
qu’il trouve une solution à cette crise personnelle en reprenant de zéro le
Hagakure. Le plus célèbre de ses analectes est :
« La Voie du samouraï réside dans la mort. Lorsque vient le moment du
choix, il n’existe que le choix rapide de la mort. Ce n’est pas
particulièrement difficile. Soyez déterminé et préparé. Dire que mourir sans
avoir atteint son but est mourir en vain sont paroles frivoles des personnes
superficielles. Pressé par le choix entre la vie et la mort, il n’est pas
nécessaire d’atteindre son but. »
Hagakure, livre premier
Le bunburyôdô, double Voie de l’âme et du corps, Mishima va le
pousser jusqu’à son paroxysme : la mort volontaire. Nous n’avons pas la
place de développer ce nouveau Mishima et cet idéal qui l’occupera de
1960 à sa mort, mais notons tout de même deux choses d’importance : cette
éthique radicale, pure et claire comme l’éclat du soleil sur l’acier d’une
lame de sabre, lui permit d’écrire, en cinq années, les 1 200 pages qui
composent la somptueuse tétralogie La Mer de la fertilité : Neige de
printemps (1968), Chevaux échappés (1969), Le Temple de l’aube (1970),
L’Ange en décomposition (1970). Il est aussi excessif, exubérant et
rigoureux dans cette nouvelle Voie que dans la précédente. Il développe son
théâtre, multipliant les pièces et les représentations, dont plusieurs ont lieu
en sa présence à Tokyo et à New York, il joue dans des films de yakuzas de
série Z, met en scène sa propre mort en adaptant au cinéma sa nouvelle
Patriotisme, affiche sa musculature sur des photos d’art… toutes choses que
le public japonais de l’époque considère comme des bouffonneries en
comparaison de son imposante œuvre littéraire « sérieuse ». En un sens,
critiques et lecteurs avaient raison : tout cela n’était que bouffonneries (on
retiendra quand même les superbes Yûkoku et Ba Ra Kei) en regard de la
vie intérieure de Mishima, polarisée par le bunburyôdô et le Hagakure.
Passons maintenant à sa lecture de cet ouvrage.
« Le Livre, le seul, l’unique à mes yeux : le Hagakure » : histoire d’un
anachronisme impermanent
« Lorsque Jôchô dit : “Je découvris que la Voie du samouraï, c’est la
mort”, il affirme ses principes de liberté et de bonheur, son utopie. C’est
pourquoi le Hagakure peut nous apparaître aujourd’hui comme la
description d’un pays idéal. Ma conviction est que si un tel idéal devait
jamais se réaliser, les habitants de ce pays seraient beaucoup plus heureux et
plus libres que nous ne le sommes à présent. Mais seul a existé le rêve de
Jôchô. »
Yukio Mishima, « Jour faste pour l’écrivain », article publié en 1955
À la lecture du livre Le Japon moderne et l’éthique samouraï, il apparaît
clairement que Mishima a « lu » la société japonaise des années 60 avec les
yeux de Jôchô Yamamoto. Là où Jôchô exaltait les vertus des « anciens »
samouraïs et se méfiait de ceux formés durant l’ère Tokugawa, davantage
versés dans les arts et les apparats que dans l’art de la guerre, Mishima
observe une société d’après-guerre coupée de son histoire, de ses racines
spirituelles et des valeurs qui ont forgé l’âme japonaise.
Dans Le Japon moderne et l’éthique samouraï, Hagakure à l’appui, il
dresse des parallèles cinglants : « Une jeunesse entichée du “style
Cardin” », « La féminisation du mâle », « Les aristocrates de la note de
frais », « Idoles du base-ball et vedettes du petit écran », etc. En se référant
constamment au texte de Jôchô, il stipendie « l’atmosphère de compromis
de notre époque qui ne permet ni de vivre dans la beauté ni de mourir dans
l’honneur », comme il loue « le Hagakure, puissant remède aux souffrances
de l’âme » :
« J’en ai dit assez jusqu’ici pour qu’on comprenne que le Hagakure
s’efforce de soigner le caractère pacifique de la société moderne en lui
appliquant ce puissant remède qu’est la mort. […] Ce que Jôchô a
découvert, c’est qu’elle offre un apaisement aux souffrances de l’esprit
humain. L’auteur, en sa compréhension féconde de la vie, sait que l’homme
ne vit pas de par sa seule vie. Il connaît exactement le paradoxe de la liberté
humaine. Il sait que l’homme se lasse de la liberté dans l’instant même où
elle lui est donnée et qu’à l’instant où il reçoit la vie, il cesse de pouvoir la
supporter.
« À notre époque, tout repose sur la prémisse qu’il vaut mieux vivre
aussi longtemps que possible. Jamais dans l’histoire, l’espérance de vie n’a
été aussi longue et devant nous se déroule la monotonie des perspectives
que l’on offre à l’humanité. L’idéologie du foyer individuel n’enthousiasme
le jeune qu’aussi longtemps qu’il se démène pour se trouver un petit nid à
soi. Sitôt trouvé, l’avenir ne lui propose plus rien – sinon faire cliqueter son
boulier à mesure qu’il amasse l’argent de sa retraite, puis la paix, l’ennui et
la décrépitude de la vieillesse. Telle est l’image qui accompagne dans
l’ombre l’État-providence et qui menace le cœur de l’espèce humaine. »
Mishima enchaîne avec un passage titré : « Réprimée, la pulsion de
mort devra exploser un jour ». Dans le passage précité, il explicite la phrase
la plus célèbre et la plus mal comprise du Hagakure (« La Voie du samouraï
réside dans la mort »), et lui donne son véritable sens en la traduisant ainsi :
« La vie du samouraï s’exprime par la conscience permanente de la mort ».
On pourrait aller plus loin, en faisant le constat que la société
contemporaine enjoint à l’individu de construire sa vie sur l’expansion
infinie de son ego – cause de toutes souffrances auxquelles on ne propose
d’autre médication que le fétichisme mercantile : il s’agit d’un suicide par
noyade dans le matérialisme, vendu sous l’étiquette « existence » (le mot
« frelatée » a été effacé). À l’inverse, le Hagakure nous dit qu’il n’y a de
vie libre et pleine que face à la mort. Et Mishima nous l’a démontré tout au
long de son œuvre, jusqu’à la page finale écrite le 25 novembre 1970. Voilà
ce qui est « caché sous les feuilles ». Ce paradigme est fondamental – et sa
puissance de vie s’inscrit à rebours de l’idéologie morbide dominante. Ceci
est valable aujourd’hui, et Jôchô le martelait déjà au XVIIIe siècle – le
fossé n’a fait que se creuser depuis, jusqu’à devenir gouffre. C’est sur ce
point précis que la démarche de Mishima s’écarte radicalement de toute
notion romantique. Il s’agit de faire face à la mort au sommet de ses
capacités physiques et intellectuelles, la vie étant un bien si précieux,
paradoxalement, qu’elle ne peut souffrir la décrépitude et la déchéance. Il
n’y a pas lecture plus radicale du Hagakure, ni façon de vivre plus intense
et pleine : face au vide.
Il est intéressant de mettre en parallèle les deux écrits théoriques les
plus importants du Mishima des années 60, Le Japon moderne et l’éthique
samouraï (1967) et Le Soleil et l’Acier (1968), et aussi de les lire dans
l’ordre de leur publication. Le premier est une étude presque scolaire,
appliquée, précise, au premier degré : Mishima décortique son époque avec
les mots de Jôchô. Le second, essai biographique doté d’une dimension
délirante, mais toujours absolument contrôlé, est comme la digestion du
précédent, et son absorption par un corps et un esprit. Il constitue bel et bien
un « testament spirituel qui éclaire d’un jour insolite toute l’œuvre du grand
écrivain. »
Mishima va jusqu’à se choisir un maître en la personne de l’empereur,
et c’est précisément là ce qui discrédite la lecture purement politique de ses
dernières années. D’ailleurs, il ne s’était jamais intéressé à la politique.
L’empereur, qu’il avait critiqué à plusieurs reprises (notamment à cause du
discours du 1er janvier 1946 par lequel il renonçait à son statut de « divinité
à forme humaine » (akitsumikami)), ne fut qu’un argument de son théâtre
personnel. Comme le souligne fort justement Marguerite Yourcenar dans
son essai Mishima ou la vision du vide, « l’empereur n’a guère été tout-
puissant au Japon qu’au temps des légendes ». (Toutefois, une
instrumentalisation de Mishima par des hommes politiques de premier plan
à la fin des années 60, Premier ministre en tête, est une hypothèse à étudier,
mais là n’est pas notre propos.)
Une enfance surprotégée et nourrie du culte de ses ancêtres samouraïs,
l’expérience ambiguë de la guerre, un tropisme indéniablement puissant
vers « la Nuit, la Mort, le Sang », le Hagakure comme compagnon
spirituel : voilà les grandes rivières souterraines qui alimentèrent la vie et
l’œuvre de Yukio Mishima. Marguerite Yourcenar encore : « Les grandes
voies de notre vie traversent souvent une zone de silence avant de nous
atteindre. Pour l’écrivain révulsé par la veulerie de son époque, ces jeunes
voix des kamikazes, vieilles tout au plus d’il y a vingt ans, sont devenues
entre-temps ce que Montherlant eût appelé “des voix d’un autre monde”. »
Mishima y a ajouté la maxime bouddhiste : « Comprendre sans agir, ce
n’est pas encore comprendre », qui s’énonce également ainsi : « Toute
pensée n’est valable que si elle passe aux actes ». Le « Fleuve de l’Action »,
c’est justement le titre que l’écrivain avait donné au quatrième pan de la
rétrospective qui lui fut consacrée à Tokyo quelques semaines avant sa
mort.
Le miroir n’aura vu
que la pierre qui le brise
se blesse en s’étoilant
Mémoire si chère acquise
me ruine en même temps
Nicolas Bouvier, Le vide et le plein, Carnets du Japon 1964-1970
*
Le manuscrit original du Hagakure a disparu, vraisemblablement
détruit. En quelque sorte, le vœu de Jôchô a été respecté. Toutefois, le
musée d’antiquités de la préfecture de Saga conserve précieusement, sous
verre, une liasse de papiers jaunis qui constitue l’une des copies les plus
anciennes du livre. Il en existe quatre autres (le Kurihara-hon, le Takashiro-
hon, le Nakano-hon et le Mochiki Nabeshimake-hon), chacune présentant de
légères variations.
Les textes ici rassemblés tentent de donner la version la plus complète
du Hagakure. Quelques analectes, apparemment apocryphes ou déformés
par des traductions approximatives et successives, ont été soit écartés du
fait de l’incohérence qu’ils induisaient dans l’ensemble de l’ouvrage, soit
rétablis dans leur formulation originale – certains traducteurs n’ayant pas su
résister à la tentation de l’emphase, voire de la pure invention.
Un mot encore sur la lecture du Hagakure. Les textes se lisent et se
méditent jusqu’à percevoir ce qui est « caché sous les feuilles ». On peut en
effet comprendre indépendamment les deux analectes suivants (qui se
suivent dans l’ouvrage). Mais si on les comprend simultanément, en
devinant leur tiers inclus, on commence alors à pénétrer l’enseignement du
Hagakure :
« Quelqu’un a dit : “Dans le Mausolée du Saint, il y a le poème suivant :
Si en son cœur
On suit le chemin de la sincérité
Même sans prières
On sera protégé par les dieux.
Quel est ce chemin de la sincérité ?”
« Un homme lui répondit ainsi : “Vous semblez aimer la poésie. Je vais
donc vous répondre avec un poème :
Comme tout dans le monde n’est qu’imposture,
La mort est la seule chose sincère.”
« Il est dit que suivre le chemin de la sincérité, c’est se comporter
chaque jour comme si l’on était déjà mort. »
*
« Si vous tranchez un visage dans le sens de la longueur, urinez dessus
et piétinez-le avec vos sandales : il est dit que la peau se décollera. C’est le
moine Gyôjaku qui entendit cela alors qu’il se trouvait à Kyôto. C’est une
information très précieuse. »
Poignardé à mort
cauchemar en vrai
Piqûre de puce
Bashô
Très rare calligraphie de Jôchô Yamamoto.
Représentation d’une bataille de la période Muromachi (1336-1573).
2. Livre premier
Bien qu’il aille de soi qu’il faille être attentif en suivant la Voie du
samouraï, il semblerait que nous soyons tous négligents. Par conséquent, à
la question : « Quel est le véritable sens de la Voie du samouraï ? », rare est
la personne qui serait en mesure de répondre promptement. C’est parce
qu’il s’agit d’une chose à laquelle on n’a pas pris suffisamment le temps de
réfléchir. On peut ainsi reconnaître le manque d’attention d’une personne
envers la Voie.
La négligence est une chose extrêmement néfaste.
***
La Voie du samouraï réside dans la mort. Lorsque vient le moment du
choix, il n’existe que le choix rapide de la mort. Ce n’est pas
particulièrement difficile. Soyez déterminé et préparé. Dire que mourir sans
avoir atteint son but est mourir en vain, sont paroles frivoles des personnes
superficielles. Pressé par le choix entre la vie et la mort, il n’est pas
nécessaire d’atteindre son but.
***
Nous voulons tous vivre. Et pour une large part, nous élaborons notre
logique selon ce que nous aimons. Mais ne pas avoir atteint son but et
continuer à vivre est de la lâcheté. Il existe une distinction subtile et
dangereuse. Mourir sans avoir atteint son but est une mort de fanatique. Il
n’y a aucune honte à cela. C’est la substance de la Voie du samouraï. Si, en
interrogeant sincèrement son cœur matin et soir, un individu est capable de
vivre comme si son corps était déjà mort, il connaîtra la liberté en arpentant
la Voie. Sa vie entière sera sans honte, et ses vœux seront exaucés.
***
Un homme est un bon serviteur dans la mesure où il accorde une
importance sérieuse à son maître. C’est le plus haut type de serviteur. Si un
homme est né dans une famille éminente depuis des générations, cela est
suffisant pour qu’il considère profondément la nature de ses obligations
envers ses ancêtres, pour sacrifier son corps et son esprit, et pour estimer
sérieusement son maître. Il est encore de meilleure fortune d’avoir sagesse
et talent, et de s’en servir de façon appropriée. Mais même une personne
dépourvue de talent et maladroite au-delà de tout sera un bon serviteur, à
condition d’avoir la détermination de penser sérieusement à son maître. Ne
posséder que sagesse et talent est le niveau le plus haut de l’inutilité.
***
Selon leur nature, il existe des gens dotés d’une intelligence rapide, et
d’autres qui doivent s’isoler pour prendre le temps de réfléchir plus avant.
En examinant cela attentivement, si l’on raisonne sans égoïsme et que l’on
adhère aux quatre vœux du samouraï Nabeshima, on développera une
grande sagesse, indépendamment de ce dont nous a doté la nature.1
Les gens croient pouvoir éclaircir des sujets profonds en y réfléchissant
intensément, mais ils produisent des pensées perverties par leur intérêt
personnel. Il est difficile d’atteindre l’altruisme. C’est pourquoi, avant de
résoudre un problème, il faut imprégner son esprit des quatre vœux, le
libérer de l’égoïsme, et ainsi trouver la meilleure solution.
***
Parce que la plupart de nos actions sont guidées par notre seule sagacité,
nous devenons intéressés et tournons le dos à la raison, et notre efficacité
s’en ressent. Nous donnons une image honteuse, faible, médiocre et
inefficace. Si l’on n’est pas capable de véritable intelligence, il est bon de
s’en remettre aux conseils d’une personne avisée. Un conseiller éclairera la
Voie en suggérant une décision désintéressée et juste, puisqu’il n’est
aveuglé par aucune implication personnelle. Cette façon de faire donnera
une image de force et de sagesse, semblable à un grand arbre pourvu de
nombreuses racines.
***
Nous apprenons des paroles et des actions des aînés afin d’hériter de
leur sagesse et de nous prémunir contre l’égoïsme. Lorsque nous
abandonnons nos propres inclinations, nous nous conformons à la parole
des aînés et consultons les autres, ainsi les choses ne peuvent que se passer
correctement et sans encombres. Le seigneur Katsushige a tiré sa sagesse du
seigneur Naoshige. Cela est consigné dans le Ohanashikikigaki.2Nous
devons lui en être reconnaissants.
Ainsi, un homme engagea à sa suite plusieurs de ses jeunes frères, et à
chaque fois qu’il se rendait à Edo et dans la région de Kamigata3, ceux-ci
l’accompagnaient. Il les consultait chaque jour sur des sujets privés et
publics, et il est dit qu’il ne commit jamais d’impairs.
***

Sagara Kyuma4 était totalement dévoué à son maître et le servait


comme si son propre corps était déjà mort. Il était un homme d’exception.
Un jour, une réunion importante eut lieu dans la résidence du maître
Sakyo, qui était persuadé que Kyuma faisait preuve d’ingérence dans les
affaires de Mitsushige. Il y fut décidé que Kyuma devait se résigner au
seppuku5. Au troisième étage de la résidence du maître Taku Nui, toute
proche de celle de Sakyo, il y avait un salon de thé. Kyuma le loua et y
rassembla tous les bons à rien de Saga autour d’un spectacle de
marionnettes, buvant et ripaillant nuit et jour au son de la musique. Il causa
ainsi un grand préjudice au maître Sakyo, tout en exonérant son maître de
toute accusation, portant seul la responsabilité d’une faute justifiant son
seppuku.
***
Un serviteur dévoué soutient son seigneur, s’en remet totalement à lui et
renonce à son intérêt personnel. Avec deux ou trois hommes de cette
trempe, le clan est en sécurité.
En y regardant de près, lorsque les affaires tournent bien, on s’aperçoit
que nombreux sont ceux qui se rendent utiles par leur sagesse, leur capacité
de jugement et leur art. Cependant, si le seigneur doit se retirer de la vie
publique, nombreux sont ceux qui seront prompts à lui tourner le dos pour
entrer dans les bonnes grâces de son successeur. Cette simple pensée est fort
déplaisante. Les hommes de haut rang, les hommes de basse condition, les
hommes sages et les hommes de talent pensent être les seuls à adopter un
comportement vertueux, mais quand vient le moment de donner sa vie pour
son seigneur, tous succombent à la faiblesse. Cela est honteux. Qu’une
personne, même de peu d’utilité, devienne souvent, dans ces circonstances,
un guerrier sans égal, s’explique par le fait qu’elle a déjà renoncé à sa
propre vie pour ne faire qu’un avec son seigneur. Il y en eut un exemple au
moment de la mort de Mitsushige. J’étais son serviteur le plus résolu.
D’autres ont suivi mon exemple. Mais les prétentieux, les notables vaniteux
ont tourné le dos à cet homme au moment où la mort fermait ses
paupières.6
On dit que la loyauté est d’une grande importance dans le pacte qui lie
un seigneur et son serviteur. Bien que cela paraisse inaccessible, c’est
pourtant très facile à réaliser. Un homme fermement résolu à accompagner
son seigneur dans la mort devient, à ce moment précis, un serviteur
incomparable.
***
C’est une chose de grande importance et de haute compassion que de
donner son avis aux autres et de corriger leurs défauts. C’est également une
chose très difficile. Il est aisé de discerner les qualités et les défauts d’une
personne. Émettre une opinion à son sujet est tout aussi facile.
Généralement, les gens croient se montrer prévenants lorsqu’ils disent ce
que les autres choisiraient de taire, par facilité ou peur de la disgrâce. Mais
si ces paroles ne sont pas bien reçues, ils pensent avoir fait tout ce qu’ils
pouvaient. Une telle attitude est stérile, car elle ne fait que porter la honte
sur une personne en la calomniant afin de soulager son propre cœur.
Pour donner son opinion à une personne, il faut en premier lieu être apte
à déterminer si elle est ou non disposée à l’entendre. Il faut devenir proche
d’elle et s’assurer sa confiance. Pour aborder des sujets qui lui sont chers, il
faut trouver la meilleure façon de s’exprimer et de se faire comprendre.
Attendez le moment propice, déterminez la meilleure façon de faire : par
missive ou à la fin d’une soirée amicale. Mettez-le en confiance, soulignez
ses qualités, n’hésitez pas à évoquer vos propres défauts. Il pensera alors
aux siens propres et les acceptera aussi naturellement qu’un homme assoiffé
accepte un verre d’eau.
Cela est extrêmement difficile. Si le défaut d’une personne relève d’une
habitude ancrée depuis des années, il est fort improbable de pouvoir la
corriger. J’ai personnellement connu un tel cas. Le plus grand geste de
compassion d’un serviteur consiste à entretenir une fraternité avec ses
compagnons afin que tous corrigent leurs défauts mutuellement et ne
fassent plus qu’un au service du maître. Ce n’est pas en portant la honte sur
quelqu’un que l’on fait de lui un homme meilleur.
Il est de mauvais goût de bâiller en public. Pour stopper une envie de
bâiller inopportune, il suffit de se frotter le front du bas vers le haut. Si cela
ne produit pas l’effet escompté, il faut passer la langue sur ses lèvres en
gardant la bouche fermée, ou simplement la masquer avec sa main ou avec
sa manche, afin que personne ne remarque ce qui se passe. Il en va de
même pour l’éternuement. L’un comme l’autre témoignent d’un manque de
contrôle. Il existe d’autres manifestations corporelles qu’il faut apprendre à
maîtriser.
***
Il faut toujours penser aux choses qui doivent être faites le lendemain.
L’anticipation procure un temps d’avance sur les autres. La valeur d’un
homme se mesure à sa compétence tactique et stratégique. Cela dépasse
l’expérience. Il faut à chaque instant être prêt à faire face à n’importe quelle
situation. Celui qui n’anticipe pas les choses avant l’action ne réussit que
par pur hasard.
***
En toute occasion, il faut savoir faire preuve de maîtrise et de contrôle.
En assistant à des soirées, j’ai vu nombre d’hommes qui ne pensaient qu’à
boire. Cela est acceptable tant que la maîtrise et le contrôle de soi ne sont
pas affectés. Dans le cas contraire, c’est la vulgarité qui finit par s’exprimer.
Il faut avoir à l’esprit qu’une soirée festive reste une représentation
publique.
***
Un certain conseiller défendait l’idée d’une constante et extrême
sévérité. Un autre lui répondit que cela n’était pas sain. Le poisson ne vit
pas en eau claire. Il se cache à l’ombre des nénuphars et des roseaux pour
grandir. De même, les novices fuient ceux qui font montre de trop de
sévérité. Il faut savoir excuser les défauts mineurs pour que les hommes
puissent s’améliorer en toute sérénité. La compréhension de ce principe est
essentielle pour comprendre le comportement des gens.
***
Lorsqu’il était enfant, le seigneur Mitsushige eut à réciter au prêtre
Kaion les enseignements contenus dans son cahier. Il appela autour de lui
les autres enfants et leur dit : « S’il vous plaît, venez ici et écoutez. Il est
difficile de réciter quand personne n’écoute. » Impressionné, le prêtre dit
aux autres enfants : « C’est dans cet état d’esprit qu’il faut faire toute
chose. »
***
Il faut chaque matin révérer son seigneur et ses parents, puis ses dieux
protecteurs et le Bouddha. C’est une réjouissance pour les parents que de
rendre hommage au seigneur en premier. Les dieux et le Bouddha y
consentent également. Pour un guerrier, rien n’est plus important que son
seigneur. De même, rien n’est plus important pour une femme que son mari.
***
Je constate que de nos jours, les samouraïs manquent de grandeur.
Beaucoup sont dominés par leur intérêt personnel et leur vanité. Cette
attitude est incorrecte. Un samouraï doit s’appliquer quotidiennement à
devenir un pur esprit, à se considérer comme physiquement mort afin de
servir absolument son seigneur et son clan. Cette résolution doit être ultime,
au point que ni le Bouddha ni les dieux ne puissent l’infléchir.
***
J’interrogeai Yasaburo sur son art de la calligraphie. Il me répondit : « Il
faut s’imprégner de l’intention d’écrire un hiragana7 qui remplisse à lui
seul toute la feuille, et ce avec suffisamment de vigueur pour la déchirer.
L’esprit et l’énergie président l’habileté de la calligraphie. Le samouraï ne
connaît ni hésitation, ni fatigue, jusqu’à ce que sa tâche soit accomplie. Il
n’y a pas d’autre façon de faire. »
***
On rapporte que, il y a déjà plusieurs années, le physicien Matsuguma
Kyoan a raconté l’histoire suivante : « En pratique, la médecine adapte son
traitement selon le Yin et le Yang de l’homme et de la femme, car leurs
pouls sont différents. Cependant, cette différence de pouls s’est estompée au
cours des cinquante dernières années. En remarquant cela, j’ai par exemple
soigné des maladies oculaires masculines avec des traitements jusqu’alors
prescrits aux femmes. En même temps, je me suis rendu compte que les
traitements masculins n’avaient plus d’effets sur les hommes. J’en ai déduit
que l’esprit des hommes s’était affaibli et qu’il était devenu identique à
celui des femmes, et que la fin de notre monde était proche. Depuis que j’ai
acquis cette certitude, je l’ai tenue secrète. »
En observant les hommes d’aujourd’hui, avec ce constat à l’esprit, il
apparaît que les véritables hommes sont peu nombreux. Pour cette raison, il
est désormais aisé de s’imposer en déployant des efforts moindres. Le fait
que peu d’hommes soient capables de décapiter correctement un condamné
est une preuve supplémentaire du fait que le courage des hommes a disparu.
Et lorsqu’un guerrier est résolu à faire seppuku, il lui est difficile de trouver
un assistant pour lui trancher la tête après qu’il se soit ouvert le ventre. Il y
a quarante ou cinquante ans, le matanuki8 était un signe de virilité, au point
que certains s’incisaient eux-mêmes la cuisse afin de pouvoir exhiber une
cicatrice.
Toutes les affaires des hommes sont sanglantes. Cela est désormais
considéré comme imbécile. Les problèmes sont résolus par des paroles et
tout ce qui nécessite un effort est évité. J’aimerais que les jeunes gens
réfléchissent à cela.
***

Le moine Tannen9 disait : « Les gens accèdent à l’éveil parce que les
moines enseignent la doctrine du munen mushin10. Ce qu’on appelle munen
mushin, c’est un esprit pur et dénué de sinuosités. » Ceci est intéressant.

Le seigneur Sanenori11 disait : « Un seul souffle, dépourvu de


perversité, contient toute la Voie. » Personne ne peut le comprendre de
prime abord. La pureté et la simplicité résultent d’une accumulation
d’efforts.
***
Il n’y a rien de plus précieux que les derniers vers du poème disant :
« Quand ton cœur demande / Que réponds-tu ? »12 Jadis, ils étaient sur
toutes les lèvres, tout comme le nembutsu13.
Depuis peu, les gens passant pour intelligents déploient une sagesse
superficielle et ne font que décevoir les autres. Pour cette raison, ils sont
inférieurs à celui qui est dévoué à sa tache.
***
Le mot gen désigne une illusion. En Inde, un homme qui fait des tours
de passe-passe est appelé un genjutsushi : un maître des techniques
d’illusion. Tout dans ce monde n’est qu’illusion. C’est pourquoi nous
utilisons le mot gen.
***
Détester l’injustice et défendre la vertu est une chose difficile. De plus,
placer la vertu au-dessus de tout et s’efforcer d’être le plus juste possible
peut avoir des effets contraires et générer des problèmes. La Voie se situe
au-delà de la vertu. Cela est difficile à appréhender, mais constitue la
sagesse suprême. De ce point de vue, la vertu paraît plutôt futile. Cela ne
peut se comprendre qu’au plus profond de soi-même. Il est cependant
possible de demander conseil aux autres et d’apprendre par une observation
extérieure. Il existe un proverbe propre au jeu de go : « Celui qui regarde de
l’extérieur possède huit yeux. » Un autre proverbe, qui dit : « Partager ses
pensées permet de comprendre ses erreurs », signifie que la Voie la plus
haute réside dans la discussion avec les autres. Écouter la parole des aînés
et lire leurs écrits n’a pas d’autre but que d’affiner son propre discernement.
***
Un samouraï, fort d’une grande expérience, a dit ceci : « Dans la vie, il
y a différents niveaux d’étude. Au niveau le plus bas, l’étude semble
infructueuse. Les niveaux médians consistent en la prise de conscience de
ses défauts et insuffisances, ainsi que ceux des autres. Les niveaux les plus
élevés voient se développer la confiance en ses talents. Un tel homme
possède une valeur indéniable. Aux niveaux supérieurs, l’homme affranchi
de l’orgueil et des émotions n’affiche aucun savoir. Voici les principaux
niveaux. Mais il existe un niveau de transcendance et d’excellence. Il s’agit
d’atteindre la conscience de l’infinité de la Voie et de ne jamais se
considérer comme parfaitement accompli. »

Il est dit que maître Yagyû14 fit remarquer ceci : « J’ignore comment
vaincre mes ennemis, mais je sais comment mes ennemis peuvent me
vaincre. »
Tout au long de la vie, il s’agit de s’améliorer de jour en jour,
indéfiniment.
***
La maxime suivante était l’une des préférées de Nabeshima Naoshige :
« Les choses de grande importance doivent être traitées avec légèreté. »
Maître Ittei15 ajouta : « Les choses de peu d’importance doivent être
traitées avec sérieux. » Les choses que l’on peut qualifier de grande
importance sont fort peu nombreuses. Elles peuvent être comprises grâce à
une réflexion quotidienne. L’attitude correcte consiste à anticiper la
situation au travers de la réflexion, afin de faire un choix avisé le moment
venu. Ainsi, la maxime disant que les choses de grande importance doivent
être traitées avec légèreté devient une base pour l’action.
***
Un serviteur rentra chez lui après plusieurs années de service à Osaka.
Se rendant à l’administration locale, il s’adressa aux employés dans le
dialecte de Kamigata16, qui le moquèrent et le ridiculisèrent. Lorsqu’une
personne séjourne longtemps à Edo17 ou Kamigata, elle doit s’efforcer, à
son retour, d’user de son dialecte natal – même s’il est naturel que sa
tournure d’esprit ait été raffinée par son séjour dans des lieux comme Edo et
Kimagata. Mais il est vulgaire et idiot de dénigrer par la suite les us et
coutumes de sa province natale, voire de penser à les abandonner. La
rusticité de sa province natale est un grand trésor. Tenter de s’approprier des
façons plus sophistiquées est honteux.

Un homme a dit au moine Shungaku18 : « La nature de l’école du lotus


19 est mauvaise, car elle est redoutablement inflexible. » Shungaku
répondit : « C’est bien pour cela qu’elle est l’école du lotus. Si telle n’était
pas sa nature, elle serait une école différente. » Voilà une parole sensée.
***
Alors qu’il était question d’accorder une promotion à un serviteur, les
membres du conseil la réfutèrent en arguant le fait que ce dernier avait été
impliqué dans une bagarre d’ivrognes. Mais quelqu’un dit : « Si nous
devions écarter tous ceux qui ont fait un faux pas, personne ne pourrait
jamais s’améliorer. Un homme qui a fait une erreur se montrera nettement
plus prudent et fiable à l’avenir, parce qu’il souhaitera se racheter. Je pense
donc que ce serviteur doit recevoir sa promotion. »
***
Quelqu’un d’autre demanda : « Vous en porterez-vous garant ? »
L’homme répondit : « Sans hésiter. »
Les autres demandèrent : « Comment ferez-vous donc ? »
L’homme répondit : « Je me porte garant de lui du simple fait qu’il a
commis une erreur. Un homme qui n’a jamais commis d’erreur est
dangereux. » Sur ces paroles, le serviteur reçut sa promotion.
Lors d’une délibération concernant des criminels, Nakano Kazuma20
suggéra que la sentence soit légèrement plus clémente que celle
usuellement appliquée. C’est un trésor de sagesse que lui seul possédait.
Personne ne trouva à y redire. C’est pour cette raison qu’il fut nommé
maître du Commencement et maître des Vingt-Cinq Jours21.
***
Un samouraï fut couvert de honte pour ne s’être pas vengé de l’insulte
qui lui avait été faite. La vengeance consiste à fondre sur l’ennemi, quitte à
se battre jusqu’à la mort. Il n’y a aucune honte à cela. Penser uniquement à
vaincre est une perte de temps. Compter le nombre de guerriers que possède
l’ennemi est également une perte de temps. Au final, vous abandonnerez.
Peu importe que l’ennemi possède des milliers d’hommes.
L’accomplissement consiste à leur faire face avec la détermination de les
vaincre jusqu’au dernier. Voilà l’essentiel de la vengeance.

À propos de l’assaut nocturne des rônins22 du seigneur Asano, ceux-ci


commirent une erreur en ne faisant pas seppuku à la mort de ce dernier, car
il se passa longtemps avant qu’ils ne mettent en œuvre leur vengeance. Si le
seigneur Kira était mort de maladie durant cette période, cela eût été
extrêmement regrettable. Car les hommes de la région de Kamigata ont un
sens très affûté de la sagesse, ils sont dignes d’éloges et n’agissent pas sans
discernement, comme ce fut pourtant le cas lors de la bataille de
Nagasaki23. Bien que toutes choses ne doivent pas être jugées de cette
manière, je la mentionne dans l’examen de ce qu’est la Voie du samouraï.
Lorsque se présente le moment, le temps n’est plus aux raisonnements.
Voilà pourquoi il est important de se préparer, afin d’éviter la honte. La
lecture et l’écoute attentive de paroles sages servent à affermir votre
résolution lorsque surgira le moment crucial. En suivant la Voie du
samouraï, il faut avoir conscience de l’imprévisibilité de la vie et se tenir
prêt à chaque seconde du jour et de la nuit. La victoire et la défaite résultent
d’un état de fait. La façon d’éviter la honte se situe à un autre niveau. Elle
se trouve simplement dans la mort. Même si la défaite semble inévitable, il
faut se battre. Ni la sagesse ni la technique n’ont ici leur place. Un
authentique samouraï ne pense pas en termes de victoire ou de défaite : il
s’engage tout entier dans un combat à mort. C’est de cette façon qu’il se
libérera de l’illusion.
***
Deux choses sont néfastes à un serviteur : les richesses et les honneurs.
Il faut rester strict avec un serviteur pour qu’il conserve sa valeur.
Jadis vivait un homme très intelligent, mais qui ne voyait que les
aspects négatifs de son travail. Un tel homme n’est d’aucune utilité. Si l’on
ne comprend pas d’emblée que la vie est pleine de situations inconvenantes,
on ne pourra faire montre d’un comportement satisfaisant ni être respecté
par autrui. Ceci constitue également une nuisance.
***
Il n’est pas bon de cultiver des convictions arrêtées. C’est également
une erreur que de produire des efforts et de se croire arrivé dès que ceux-ci
sont suivis d’effets. Produire des efforts pour posséder les bases puis
pratiquer assidûment pour les développer est un processus qui ne connaît
pas de fin. Ne vous reposez pas sur les degrés de connaissance que vous
avez découverts, mais répétez-vous inlassablement : « Cela n’est pas
suffisant. » Il faut consacrer sa vie entière à la recherche de la Voie et à la
façon de la suivre au mieux. Là réside la vérité.
***
Voici quelques paroles de Yamamoto Jin’emon :
« Si l’on comprend clairement une situation, on peut en comprendre
quantité d’autres. »
« Un rire affecté dénote un manque de respect de soi chez un homme, et
de l’obscénité chez une femme. »
« Quelle que soit l’importance d’une discussion, il faut toujours
regarder son interlocuteur dans les yeux. Parler les yeux baissés est
imprudent. »24
« Il est imprudent d’aller les deux mains passées dans les échancrures
de son hakama. »25
« Un homme courageux est digne de confiance. »
« Un samouraï doit se lever à 4 heures du matin, faire ses ablutions et
soigner son apparence, manger au lever du soleil, s’endormir au
crépuscule. »
***
Il faut se demander ce qui constitue l’essentiel de la discipline et du but
à atteindre. La réponse est : « Il faut atteindre un état d’esprit pur et clair. »
De nos jours, les gens semblent découragés. Au contraire, un samouraï à
l’esprit pur et clair est loyal envers son seigneur, respectueux envers ses
parents, brave au combat, et prêt à affronter toute situation. Cet état d’esprit
est très difficile à atteindre. Une fois atteint, il est difficile de le maintenir. Il
n’existe rien en dehors de la pensée du moment présent.
***
Il y a quelques décennies encore, chaque matin, le samouraï prenait un
bain, rasait le sommet de son crâne, soignait ses cheveux, limait ses ongles
et les polissait avec une tige d’oseille sauvage, prenant ainsi grand soin de
son apparence. De même, son armure était maintenue dans un état
impeccable, ainsi que ses armes qui étaient quotidiennement protégées de la
rouille et affûtées.
De tels soins n’avaient aucun rapport avec la vanité ou l’idée
d’élégance. Conscient de l’éventualité d’une mort imminente, il fallait
affirmer la fermeté de sa résolution au-delà de la mort au travers d’une
allure impeccable. C’est pour cela qu’il faut prendre soin de son apparence.
Bien que cela puisse paraître fastidieux et long, cela fait partie des
devoirs du samouraï, lequel ne saurait considérer cette exigence comme une
perte de temps. En renforçant en permanence sa résolution à mourir au
combat, et en se considérant comme étant déjà mort, le samouraï pouvait
librement se consacrer à ses devoirs personnels et militaires. Le moment
venu, un guerrier conscient de ces choses ne connaîtra pas le déshonneur.
Mais celui qui n’a pas pris conscience de sa mort certaine connaîtra une fin
peu honorable.
Au cours des trois dernières décennies, les coutumes ont changé.
Aujourd’hui, les jeunes samouraïs ne se réunissent que pour parler d’argent
gagné ou perdu, de sujets anodins, de style vestimentaire, d’affaires de cœur
ou de sexe. Les coutumes se désagrègent. Il est clair qu’auparavant,
lorsqu’un homme atteignait l’âge adulte, il n’avait rien de méprisable dans
son cœur, et il ne tenait pas de tels propos. Même les plus âgés étaient
rappelés à l’ordre en pareil cas. Les nouveaux comportements sont peut-être
dus au désir de briller en société et à une trop grande importance accordée à
l’argent. Il est déplorable que les jeunes gens d’aujourd’hui soient si
attachés aux possessions matérielles. Cela éloigne le samouraï de ses
devoirs, et s’éloigner de ses devoirs, c’est se montrer indigne et lâche.
***
Selon maître Ishida Ittei, tout calligraphe peut progresser dans son art
s’il choisit le bon modèle et ne ménage pas ses efforts. Il en va de même
pour un serviteur. Toutefois, il est difficile de nos jours de trouver des
serviteurs qui soient des modèles d’excellence. Pour parer à cela, il faut
choisir plusieurs modèles, chacun pour son point fort.
***
Un samouraï reste concentré sur ses devoirs de jour comme de nuit,
qu’il soit en public ou en présence de son maître. S’il s’adonne à des
distractions, il passera pour un serviteur distrait.
***
Une personne qui ne sait tenir son rang finira par se montrer lâche et
indigne. Il faut se méfier de pareils gens.
***
Nombreux sont ceux qui, pratiquant un art martial et s’étant attachés des
disciples, sont persuadés d’avoir ainsi atteint une pleine stature de guerrier.
Or, il faut travailler sans relâche dans le but de combler toutes ses
faiblesses. Celui qui touche à tout ne possède qu’une connaissance
approximative des sujets d’importance.
***
Lorsqu’un maître s’adresse à un serviteur, quelle que soit la teneur de
ses propos, celui-ci fait montre d’indécision et de perplexité s’il se retire en
silence. Il faut constamment être prêt à fournir une réponse adéquate.
En outre, si l’on se voit confier une tâche valorisante, la fierté et la joie
se verront sur votre visage, ce qui est une manifestation plutôt malvenue.
Au contraire, une personne qui se voit confier une tâche hors de ses
compétences se dira en elle-même : « Malgré ma maladresse, on m’a
demandé d’accomplir ceci. Comment vais-je faire ? Je sais que je vais au-
devant de problèmes et de soucis. » Ce sentiment, lui aussi, se lira sur son
visage. C’est un signe de modestie et d’humilité.
L’inconsistance et la frivolité nous éloignent de la Voie, et nous font
passer pour inexpérimentés. Ceci se révèle fort néfaste.
***
C’est une bonne chose que d’apprendre, mais bien souvent cela
débouche sur des erreurs. Ayez à l’esprit l’avertissement du moine Kônan :
« Les exploits des hommes accomplis nous ouvrent les yeux sur nos propres
lacunes. » Une telle attitude est pourtant rare. Pour la plupart, nous nous
glorifions de nos propres faits et gestes et passons notre temps à nous
valoriser.
***
Lors d’une réunion d’importance, un homme affirma qu’il tuerait celui
qui la présidait si son point de vue n’était pas validé. Une fois sa motion
votée et les procédures terminées, il déclara : « Leur approbation fut rapide.
Je pense qu’ils sont faibles et indignes d’être les conseillers du maître. »
***
Lorsqu’un importun vient déranger une réunion officielle en y
introduisant vulgairement des sujets hors de propos, il est généralement
reçu avec froideur et colère. Ce n’est pas la bonne attitude. L’étiquette du
samouraï veut que celui-ci se contienne et traite l’importun avec politesse.
Le maltraiter est digne des basses classes.
***
Il se présente parfois des situations où il faut s’appuyer sur une autre
personne. Si cette attitude se répète, elle devient déplacée. Il faut savoir agir
seul.
***
Une pluie torrentielle peut être une grande source d’enseignements.
Généralement, lorsqu’ils sont surpris par une forte averse, les hommes se
mettent à courir. Cela est inutile, puisqu’il est inévitable de finir trempé
jusqu’aux os. Autant poursuivre son chemin tranquillement. Cette leçon
s’applique à toutes choses de la vie.
***
En Chine vivait un homme qui vénérait l’image du dragon. Tous ses
vêtements et meubles en portaient la représentation. En l’apprenant, le dieu
des dragons décida de se présenter à lui en chair et en os. L’homme en
mourut d’effroi. Il devait se payer de mots au lieu d’affronter la réalité.
***
Juste avant de mourir, un maître de la lance rassembla son meilleur
disciple et lui dit : « Je t’ai transmis toutes les techniques secrètes de cette
école, et je n’ai plus rien à t’apprendre. Si tu penses toi-même prendre des
disciples, alors tu devras reprendre la pratique quotidienne du sabre en
bambou. L’excellence n’est pas qu’une question de techniques secrètes. »

De même, les enseignements d’un maître de renku26 stipulent que le


jour précédant la joute poétique, il faut calmer son esprit et relire des
poèmes. Il s’agit de se concentrer. Tous les métiers devraient être pratiqués
avec concentration.
***
Bien que le moyen terme soit considéré comme la référence en toutes
choses, les samouraïs doivent toujours se surpasser. Les histoires des
anciens guerriers racontent que lorsqu’un samouraï se prépare à surpasser
les autres sur le champ de bataille, son cœur est plein de courage, de fierté
et de fougue. Ce principe s’applique aux affaires de tous les jours.
***
Il existe une méthode d’éducation particulière aux enfants des
samouraïs. Dès l’enfance, il faut encourager la bravoure, mais aussi éviter
d’effrayer et de décevoir l’enfant. Si un enfant montre des signes de lâcheté,
cela le poursuivra toute sa vie durant. C’est une erreur de faire peur aux
enfants avec la foudre, la pénombre ou les histoires effrayantes. De même,
gronder un enfant trop sévèrement peut le rendre timide. Il ne faut pas
laisser les mauvaises habitudes s’installer, car elles ne pourront plus être
corrigées. Au contraire, il faut progressivement faire prendre conscience à
l’enfant de la maîtrise de son langage et de son comportement. S’il est
d’une nature normale, il se développera conformément à l’éducation qu’il
reçoit. Une mésentente entre les parents empêchera l’amour filial de se
développer. C’est parfaitement naturel. Même les oiseaux et les animaux
sont conditionnés par la situation qui les voit naître. Dans le même ordre
d’idée, la relation entre père et enfant peut être dégradée par
l’inconséquence de la mère. Une mère aime son enfant par-dessus tout, et se
montrera partiale face à l’éducation prodiguée par le père. Alliée de son
enfant, elle sera un obstacle entre celui-ci et son père. Par égoïsme, elle
souhaitera faire de son enfant un soutien pour ses vieux jours.
***
Lorsque votre résolution faiblira, les autres vous prendront en défaut.
Un manque d’attention lors d’une conversation peut vous être préjudiciable.
Ne vous laissez pas prendre en défaut lors d’une discussion. Si vous
n’approuvez pas ce qui est dit, manifestez franchement votre désaccord,
débattez. Même sur les sujets de peu d’importance, les problèmes naissent
des détails. Il faut en avoir conscience. De plus, il ne faut pas se lier avec
des gens à l’endroit desquels vous avez auparavant émis des doutes. Quoi
que vous fassiez, ils seront pour vous à l’origine de problèmes. Il faut
beaucoup d’expérience pour éviter ce genre de pièges.
***
Le dicton qui dit : « Les arts stimulent le corps » ne s’applique pas à
nous. Pour les samouraïs du clan Nabeshima, les arts ruinent le corps. La
personne qui pratique un art est un artiste, pas un samouraï.
***
Il est dit qu’il ne faut pas hésiter à se corriger lorsqu’on a commis une
erreur. En se corrigeant promptement, les erreurs disparaîtront. Mais en
essayant de masquer ses erreurs, celles-ci n’en deviennent que plus
importantes et nuisibles. Si des paroles déplacées nous échappent, il faut
s’en expliquer clairement et rapidement, afin d’en annuler les effets
négatifs. Si des reproches nous sont tout de même adressés, il faut répondre
ceci : « J’ai expliqué les raisons de mes paroles malvenues, et si vous ne
voulez entendre ces raisons, je ne peux rien faire de plus. Comme je les ai
prononcées involontairement, c’est comme si vous ne les aviez pas
entendues. » De plus, il faut toujours parler en accord avec les sentiments
de son interlocuteur.
***
La calligraphie requiert de l’attention. Mais il en découle une écriture
rigide et lente. Il faut dépasser cela et s’affranchir de la norme. Ce principe
s’applique à toutes choses.
***
Il est dit : « Pour sonder le cœur de quelqu’un, tombez malade. »
Lorsque vous rencontrez des difficultés, vos fréquentations s’éloigneront de
vous. Quand une personne rencontre des difficultés, visitez-le ou faites-lui
porter un présent. Et ne vous montrez jamais négligent envers une personne
qui a manifesté de l’attention pour vous. C’est ainsi que l’on peut se rendre
compte de la considération des autres.
***
Morooka Hikeomon dut un jour prêter serment afin de confirmer ses
dires au sujet d’une affaire. Il déclara : « La parole d’un samouraï est plus
dure que l’acier. Dès lors, pourquoi invoquer les dieux et les Bouddhas ? »
La demande de serment qui lui avait été faite fut annulée. Il avait 26 ans.
***
On ne peut juger une personne à l’aune de ses vicissitudes. Bonne et
mauvaise fortune sont affaires de destin. L’itinéraire d’un homme est fait de
bonnes et mauvaises actions, dont les conséquences sont une leçon de
morale.
***
Quand il se produit quelque chose d’extraordinaire, il est ridicule de
prétendre qu’il s’agit d’un mystère ou d’un signe annonciateur. Les éclipses
de soleil et de lune, les comètes, les nuages qui palpitent comme des
drapeaux, la neige durant le cinquième mois, la foudre durant le douzième,
toutes ces manifestations se produisent régulièrement, en accord avec
l’évolution du Yin et du Yang. Si cela ne se produisait quotidiennement, le
fait que le soleil se lève à l’Est et se couche à l’Ouest serait également un
mystère. C’est l’esprit qui crée le mystère et invente les mauvais présages,
et le désastre à venir n’a lieu qu’en esprit.
***
Quiconque ne cesse d’intriguer pour son propre avantage est indigne,
car il raisonne constamment en termes de profits et de pertes. La mort est
considérée comme une perte, et la vie comme un gain. Ainsi, une telle
personne ne se soucie guère de la mort, et est donc indigne. En outre, un
calculateur est, de fait, un hypocrite.
***
Le seigneur Naoshige a dit : « La Voie du samouraï est la passion de la
mort. Une dizaine d’hommes ne pourraient venir à bout d’un tel guerrier.
Les gens normaux ne peuvent accomplir de grandes choses, contrairement à
ceux qui ont fanatiquement développé la passion de la mort. »
***
Le samouraï Shida Kichinosuke a prononcé ces paroles paradoxales :
« Lorsque se pose le choix de vivre ou de mourir, il vaut mieux vivre si l’on
ne laisse derrière soi rien qui puisse ternir sa réputation. » Il a également
dit : « Lorsque se pose le choix de mourir ou de ne pas mourir, il vaut
mieux mourir. »
***
Face à des difficultés sérieuses ou des calamités, il ne suffit pas de
prétendre que l’on n’est pas affecté, mais il faut aller de l’avant avec fierté
et joie. C’est l’application du koan27 : « Lorsque l’eau monte, le bateau fait
de même. »
***
C’est une erreur de penser qu’on ne pourra pas atteindre le niveau des
maîtres. Les maîtres sont des hommes. Vous êtes également un homme. Si
vous pensez être inférieur dans un domaine, cela sera le cas.
Maître Ittei a dit : « Confucius est devenu un sage parce qu’il a eu la
volonté de devenir un érudit alors qu’il n’avait que quinze ans. Ce ne sont
pas ses études qui ont fait de lui un sage, mais sa résolution primordiale. »
Ceci est semblable à la maxime bouddhiste : « L’intention prime, l’éveil
suit. »28
***
Un samouraï doit prêter grande attention à toutes choses et répugner à
commettre la plus petite erreur. Par-dessus tout, il doit rester maître de son
langage, sans quoi il pourrait faire des commentaires tels que : « Je suis un
lâche », « Dans pareille situation, j’aurais pris la fuite », « Cela est
effrayant » ou « Quelle douleur ! ». Pareils mots ne doivent être prononcés,
ni par plaisanterie, ni par inadvertance, ni même durant le sommeil. C’est
une chose à laquelle il faut penser sérieusement.
***
Lorsqu’un samouraï fait montre d’une attitude courageuse et que sa
résolution est exempte de doute, alors, le moment venu, sa conduite sera
exemplaire. Ses gestes et ses paroles seront adaptés à toutes situations. Les
mots sont particulièrement importants. Il s’agit de ne pas ouvrir son cœur.
Cet exercice s’applique quotidiennement.
***
Il est dit que même après qu’on lui ait coupé la tête, un samouraï est
encore capable d’agir. Cela est illustré par les exemples de Nitta Yoshisada
et Ôno Dôken29. Pourquoi un homme devrait être inférieur à un autre ?
Mitani Jokyû a dit : « Un homme à l’agonie peut survivre encore deux ou
trois jours. »
***
Les anciens avaient coutume de dire qu’un samouraï doit arrêter sa
décision en l’espace de sept souffles. Le seigneur Ryûzôji Takanobu a dit :
« L’hésitation mène à l’échec. » Le seigneur Nabeshima Naoshige a dit :
« La lenteur mène sept fois sur dix à l’échec. Un samouraï agit
promptement. »
Lorsque l’esprit s’égare, il ne peut aboutir à une prise de décision. Un
esprit vigoureux, déterminé et concentré est en mesure de prendre une
décision en l’espace de sept souffles. C’est une question de volonté, et de
détermination à atteindre son but en tranchant dans le vif.
***
Les mauvaises relations se développent sur le terreau de l’égoïsme. Pour
preuve, il n’y a jamais de mésentente entre maître et serviteur.
***
Il est impensable d’être troublé en recevant l’ordre de devenir un
rônin30. À l’époque du seigneur Katsushige, on disait : « Si l’on n’a pas été
rônin sept fois, on ne peut devenir un véritable samouraï. Chuter sept fois,
se relever huit. »
Un homme comme Narutomi Hyôgo31 a été sept fois rônin. Les
samouraïs sont comme ces poupées à bascule qui se relèvent toutes seules
dès qu’on les couche. Un maître peut ordonner à l’un de ses serviteurs de
devenir rônin dans le seul but de tester sa force morale.
***
Maux et maladies n’affecteront sérieusement votre corps que si vous les
laissez affecter votre esprit. Mon père avait 71 ans à ma naissance, et j’étais
un enfant fragile. Mais comme j’étais déterminé à être vigoureux jusqu’à un
âge avancé, j’ai cultivé ma forme physique et n’ai plus été malade depuis
lors. Je me suis abstenu des plaisirs de la chair et ai eu recours au moxa32.
On dit que même si l’on brûle un mamushi33 sept fois, il reprend toujours
sa forme première. Voilà mon plus grand espoir. J’ai toujours eu une
obsession : être capable de réaliser mon désir le plus profond : devrais-je
renaître sept fois, que cela soit toujours au sein de mon clan !
***
Yamamoto Jinemon a dit qu’un samouraï doit avoir de bons serviteurs.
Les affaires militaires ne se règlent pas seul, quelle que soit sa valeur et sa
détermination. On peut facilement emprunter de l’argent, mais les hommes
de valeur ne courent pas les rues. Dès le début, il faut traiter correctement
ses serviteurs, afin qu’ils vous restent attachés.
***
Une personne de peu de sagesse émettra régulièrement des critiques.
Une telle attitude ne peut que générer des problèmes. Une personne qui sait
tempérer ses paroles sera utile dans les bons comme dans les mauvais
moments.
***
Pour se parfaire, il est bon d’écouter les critiques et les opinions des
autres. Habituellement, les gens ne se fient qu’à leurs propres idées et ainsi,
ne progressent pas. Une discussion franche et loyale apporte toujours une
amélioration. S’appuyer sur l’expérience et le savoir d’autrui est nécessaire
pour se parfaire.
***
La confusion est une mauvaise chose. Il ne faut jamais se laisser
distraire de la Voie du samouraï. Il en va de même pour tout ce qui porte le
nom de Voie. Ainsi, il est incohérent de prendre des éléments de la Voie de
Confucius ou de la Voie du Bouddha et de les amalgamer à la Voie du
samouraï. Une personne agissant ainsi devrait s’écarter de toute Voie afin
d’être en accord avec elle-même.
***
Pour un samouraï, chaque mot prononcé a son importance, quelle que
soit la situation. Il peut révéler sa valeur martiale avec une seule parole. Le
premier mot prononcé est la fleur de son âme.
***
Un guerrier ne doit jamais prononcer la moindre parole de faiblesse.
Quels que soient le sujet et le ton de la conversation, les mots révèlent
l’âme.
***
Rien n’est impossible. Force et détermination peuvent remuer ciel et
terre. Celui qui manque de conviction ne trouvera pas en lui les ressources
nécessaires. Remuer ciel et terre sans efforts démesurés est une question de
concentration.
***
Jusqu’à l’âge de 40 ans, il faut cultiver sa force. À l’âge de 50 ans, il est
approprié de se ranger.
***
Quel que soit le sujet de la discussion, il convient de parler de manière
appropriée. Des paroles hors de propos, quelle que soit leur intelligence,
refroidiront la conversation.
***
Lorsque quelqu’un vous donne son avis, vous devez l’écouter avec
gratitude, même si ses paroles sont de peu d’utilité. Si vous n’agissez pas
ainsi, cette personne ne vous rapportera plus ce qu’elle a vu ou entendu à
votre sujet. Il est avisé d’échanger des opinions d’une manière courtoise.
***
Il est dit que les grands génies se révèlent sur le tard. Si une chose n’a
pas atteint sa pleine réalisation au bout de vingt ou trente ans, il ne faut pas
en attendre grand chose. Lorsqu’un serviteur accomplit ses tâches avec
empressement, il finit par empiéter sur le territoire des autres et passera
pour jeune et fougueux, mais doué. Il débordera d’enthousiasme et passera
pour impoli. Il flattera ceux qui travaillent mieux que lui, manquera de
sincérité, et les autres le verront d’un mauvais œil. Afin de poursuivre son
développement, il devra faire de grands efforts afin de s’allier la sincérité et
le soutien des autres, sans quoi il ne sera d’aucune utilité pour son maître.
***

Lorsqu’un samouraï doit tenir le rôle du kaishaku34 ou procéder à


l’arrestation d’un membre de son clan, on verra très vite s’il est fermement
résolu à accomplir sa tâche. Il ne faut jamais hésiter à prouver sa valeur
martiale, ne se sentir inférieur à personne, et cultiver sans relâche son
courage.
***
Sur le champ de bataille, il ne faut pas rester en retrait mais au contraire
être résolu à briser le premier les lignes ennemies, afin de prouver sa valeur
martiale. Cette attitude nous est transmise par les anciens. Si l’on est tué au
cours du combat, il faut que le cadavre soit encore face à l’ennemi.
***
Si tout un chacun était en harmonie avec la Providence, les cœurs
seraient en paix. Sans harmonie, et bien que voulant agir avec droiture, on
manque de loyauté. Le fait d’être en désaccord avec ses compagnons, de
manquer à ses devoirs, se montrer irascible, sont les signes d’un esprit étroit
et imbécile. Mais si l’on a à l’esprit le moment de vérité, quelque déplaisant
qu’il puisse être, on est alors plus à même d’entretenir des relations
cordiales et agréables avec autrui. Dans ce monde d’incertitudes, on n’est
même pas sûr du présent. Il ne serait en outre pas noble de mourir sans que
les autres ne vous tiennent en haute estime. Mensonges et duplicité sont à
proscrire, car ils sont signes d’égoïsme.
***
Un moine prétendait être capable d’accomplir toutes choses grâce à son
intelligence. Aujourd’hui au Japon, aucun ne peut rivaliser avec lui. Cela
n’a rien d’étrange. C’est parce que plus personne ne sait voir la nature
fondamentale des choses.
***
L’un des signes de la vieillesse, c’est de ne s’atteler qu’à des tâches que
l’on a plaisir à accomplir. Lorsqu’un homme est plein de vigueur, il peut
contrecarrer cette tendance, mais lorsque cette vigueur décline, les points
faibles se font jour et apportent la honte. Cela se manifeste de plusieurs
façons, et tout homme est frappé de sénilité à l’âge de 60 ans. Si quelqu’un
affirme échapper à la sénilité, c’est signe qu’il en est déjà victime.
La tendance au discours qui caractérisa maître Ittei peut être vue comme
une manifestation de sénilité, lorsqu’il se persuada qu’à lui seul il pouvait
aider la maison Nabeshima, allant abreuver de ses conseils les différentes
familles du clan. À l’époque, cette attitude passait pour avisée, mais en y
repensant aujourd’hui, il s’agissait de sénilité.
Pour ma part, fort de cet exemple et me sentant devenir gâteux, je me
suis abstenu de me rendre au temple pour la célébration du trentième
anniversaire de la mort du seigneur Mitsushige, et j’ai décidé de me
cantonner dans ma retraite. Il ne faut jamais tenter de circonvenir
l’inéluctable.
***
Si l’on ne s’attache qu’à l’essentiel, on ne sera pas affecté par les détails
ou les affaires mineures contraires à ses attentes. Cependant, les détails sont
d’une extrême importance. La noblesse ou la faiblesse de toute attitude se
trouve dans les détails.
***
Dans la région de Kamigata, un maître du Yi-King affirmait qu’il était
inutile de faire monter en grade un homme qui n’avait pas atteint l’âge de
40 ans. C’est parce qu’il fait encore nombre d’erreurs. Confucius ne fut pas
le seul à s’extraire de la perplexité avec la quarantaine. À cet âge, les fous
comme les sages ont accumulé suffisamment d’expérience pour échapper à
l’indécision.
***
Au niveau de la valeur martiale, il y a davantage de gloire à mourir pour
son maître qu’à tuer un ennemi. C’est un enseignement que l’on peut tirer
de la dévotion de Sato Tsugunobu35.
***
Jeune homme, je tenais un Journal des regrets et tentais de noter au jour
le jour mes erreurs, et il n’y avait pas un jour sans que j’en enregistre vingt
ou trente. Cela paraissait sans fin et j’abandonnai. Encore maintenant,
lorsque chaque soir je repense aux évènements de la journée, je me rends
compte d’erreurs de parole ou d’action. Il est véritablement impossible de
vivre sans commettre d’erreurs. Seuls les hommes humbles peuvent
l’admettre.
***
Au cours des périodes de bonheur, la fierté et l’extravagance sont
attitudes dangereuses. Si quelqu’un n’est pas prudent en temps normal, il ne
le sera pas davantage lorsque la prudence sera de mise. Celui qui s’épanouit
en temps de paix vacillera en temps de guerre.
***
Maître Ittei disait : « L’art de la calligraphie atteint sa pleine réalisation
lorsque le papier, le pinceau et l’encre sont en union harmonieuse. » Ils sont
de prime abord si différents !
***
Le maître sortit un livre de son coffre. Lorsqu’il l’ouvrit, une senteur de
clou de girofle séché se répandit.
***
Ce que l’on appelle générosité est en fait de la compassion. Dans le
Shin’ei36, il est écrit : « À la lumière de la compassion, personne n’est
haïssable. Celui qui a fauté mérite de la pitié, tout au plus. » La grandeur et
la profondeur du cœur humain n’ont pas de limite. Il y a une place pour
chacun. Si nous vénérons encore les sages des trois anciens royaumes, c’est
parce que leur compassion nous touche encore aujourd’hui.37
Toute action doit être entreprise au nom de votre maître, de vos parents,
des gens en général, ainsi que pour la postérité. Voilà la grande compassion.
La sagesse et le courage issus de la compassion sont la véritable sagesse et
le véritable courage. Lorsque l’on châtie ou lutte avec un cœur plein de
compassion, ce que l’on fait est illimité en justesse ou en force.
Entreprendre quelque chose pour sa propre gloire est médiocre et malsain,
et n’engendre que le mal. Il y a quelque temps, j’ai compris ce que sont la
sagesse et le courage. Maintenant, je commence à comprendre ce qu’est la
compassion.

Le seigneur Tokugawa Ieyasu38 a dit : « La compassion est


fondamentale pour diriger pacifiquement le pays, car lorsque l’on considère
les gens comme ses propres enfants, en retour ils vous considèrent comme
leurs parents. »
On comprend que les paroles du seigneur Naoshige sont issues d’une
profonde compassion lorsqu’il dit : « Celui qui ne fait que juger les autres
finira châtié par eux », ou encore : « Le principe se situe au-delà de la
raison. »39 Il ajoutait avec enthousiasme qu’il faut goûter l’infini.
***
Le moine Tannen disait : « Un serviteur trop intelligent ne montera pas
en grade. Cependant, aucun idiot n’est parvenu à la réussite dans ce
monde. »
***

Ce qui suit est l’opinion de Nakano Shikibu40.


Lorsqu’un jeune homme a des pratiques homosexuelles, il peut en avoir
honte pour le reste de ses jours. Une mauvaise compréhension de ceci peut
s’avérer dangereuse. Comme personne n’informe les jeunes hommes sur ce
sujet, je peux en expliquer les grandes lignes.
Il faut comprendre qu’une femme est fidèle à un seul homme. Nos
sentiments vont vers une personne pour notre vie entière. En dehors de cela,
il n’y a que sodomie et prostitution. C’est une honte pour un guerrier. Ihara
Saikaku41 a écrit cette célèbre phrase : « Un adolescent sans un amant plus
âgé est comme une femme sans mari. » Ce genre de personne est ridicule.
Un jeune homme doit prendre plusieurs années pour s’assurer des
intentions d’un homme plus âgé, avant d’accepter une relation avec lui. Un
homme volage et capricieux n’entretiendra qu’une relation superficielle et
délaissera vite son jeune amant.
S’ils s’assistent mutuellement et vouent leur vie l’un à l’autre, alors leur
nature sera confirmée. Mais si l’un des partenaires est malhonnête, l’autre
doit affirmer que cela constitue un obstacle à leur relation et rompre de
façon ferme. Si le premier demande quels sont les obstacles en question, le
second doit répondre que jamais de sa vie il ne dira. Si le premier insiste, le
second est pris d’une juste colère. S’il s’entête, le second l’abattra d’un
coup de sabre.
Mais par-dessus tout, il ne faut pas s’éparpiller. Il faut avant tout lutter
pour la Voie du samouraï, quels que soient ses amours.
***
Hoshino Ryôtetsu fut le précurseur des règles régentant l’homosexualité
dans notre province, et bien que ses disciples furent nombreux, il leur
dispensait un enseignement individuel. Edayoshi Saburôzaemon avait
compris les fondements de l’homosexualité. Un jour, alors qu’il
accompagnait son maître à Edo, ce dernier lui demanda : « Qu’as-tu
compris de l’homosexualité ? » Saburôzaemon répondit : « C’est une chose
à la fois plaisante et déplaisante. » Satisfait, Ryôtetsu dit : « Tu as dû
endurer de grandes souffrances pour parvenir à dire une telle chose. »
Quelques années plus tard, une personne questionna Saburôzaemon sur
le sens de cet épisode. Celui-ci répondit : « Donner sa vie à autrui est le
principe de base de l’homosexualité. Si ce n’est pas le cas, c’est une honte.
Cependant, on ne possède alors plus sa vie pour l’offrir à son maître. Voilà
pourquoi il s’agit d’une chose à la fois plaisante et déplaisante. »
***
Maître Ittei a dit : « Si l’on devait définir ce qui constitue une conduite
noble, il suffirait de dire : il faut endurer la souffrance. Il est humiliant de
vouloir se soustraire à la souffrance. Ce principe ne tolère aucune
exception. »
***
Jusqu’à l’âge de quarante ans, il vaut mieux laisser s’exprimer toute sa
vitalité que se soucier de sagesse et de jugement. Une personne ayant
dépassé l’âge de quarante ans, quels que soient son statut et son rang,
n’exercera aucune influence si elle ne fait pas preuve d’énergie et de
vitalité.
***
Il y a peu, un homme qui se rendait à Edo fit halte dans une auberge et
expédia une lettre détaillée à sa famille. Bien qu’il ne prît pas ce genre
d’attention lorsqu’il était occupé, il était inégalable lorsque le temps le lui
permettait.
***
D’après l’enseignement des anciens, un samouraï doit faire preuve de
détermination jusqu’à l’excès. Toute chose effectuée avec modération
pourra être jugée insuffisante. J’ai entendu dire que lorsque l’on pense être
allé trop loin, c’est le signe que l’on ne s’est pas trompé. C’est une règle qui
ne doit jamais être oubliée.
***
Lorsque la décision est prise de tuer quelqu’un, même s’il sera très
difficile d’atteindre le succès en avançant de front, il est inutile d’envisager
d’agir de façon détournée. La Voie du samouraï est celle de l’immédiateté,
et il est avisé de se jeter dans l’action tête baissée.
***
Les anciens étaient des hommes de profonde résolution. Ceux qui
avaient entre trente et soixante ans allaient au combat en première ligne.
Pour cette raison, les hommes plus vieux cachaient leur âge.
***
Lorsque l’on a la responsabilité d’affaires importantes et qu’on les traite
sans bien y réfléchir et sans bien les avoir étudiées, on s’expose à des
échecs fréquents. En discutant avec autrui des affaires importantes, il peut
arriver que nos interlocuteurs ne leur accordent pas grand intérêt et taisent
leurs tenants et aboutissants réels. Dans ce cas, il faut s’en remettre à son
propre jugement.
***
Le seigneur Naoshige a dit : « On peut juger un ancêtre par la conduite
de ses descendants. » Un descendant doit toujours agir de façon à sublimer
le meilleur de ses ancêtres, et non leurs défauts. Cela se nomme piété filiale.
***

Lorsque Nakano Shôgen42 fit seppuku, les membres de son clan se


rassemblèrent chez Ôki Hyôbu et tinrent des propos désobligeants à son
encontre. Hyôbu déclara : « On ne médit pas d’une personne après sa mort.
Surtout lorsque cette personne a été condamnée. Elle mérite notre pitié. Il
est de l’obligation du samouraï de proférer des paroles positives à son
égard, même si ce n’est que quelques mots. Il ne fait aucun doute que dans
vingt ans, Shôgen aura la réputation d’un serviteur fidèle. » Ce sont
véritablement là les paroles d’un homme de grande expérience.
***
En examinant attentivement les affaires du passé, on remarque qu’elles
ont suscité de nombreuses opinions différentes, et que certaines choses ne
sont pas claires. Il vaut mieux les considérer comme inextricables. Le
seigneur Sanenori a dit : « En ce qui concerne les choses que nous ne
comprenons pas, il existe des moyens de les éclaircir. Il y a également des
choses que nous comprenons naturellement, et d’autres que nous ne
comprendrons jamais, quels que soient les efforts que nous déployons. Il y a
là quelque chose d’intéressant. »
Cette remarque est très pertinente. Il est naturel de ne pas comprendre
les choses profondes et cachées. Ce qui se comprend facilement est plutôt
superficiel.
1 Ces quatre vœux sont : « Ne jamais s’avouer vaincu sur la Voie du
samouraï. Servir utilement son maître. être dévoué à ses parents. Manifester
une grande compassion et agir pour le bien. » Voir le chapitre : « Une
tranquille conversation nocturne ». (Toutes les notes sont du traducteur.)
2 Ouvrage rassemblant les enseignements de Nabeshima Naoshige
(1538-1618, premier daimyô – puissant seigneur féodal du Japon, entre le
XIIe et le XIXe siècle – du clan Nabeshima), Nabeshima Katsushige (1580-
1657, fils de Naoshige, deuxième daimyo du clan Nabeshima), et
Nabeshima Mitsushige (1632-1700, fils de Nabeshima Tadanao, troisième
daimyo du clan Nabeshima).
3 Edo (aujourd’hui Tokyo) était le siège du gouvernement du shogun
(contraction de seii taishogun, littéralement : « grand pacificateur des
barbares », et concrètement : dictateur militaire – l’empereur jouant le rôle
de gardien des traditions). Kamigata est la région comprise en Kyoto
(capitale impériale de 794 à 1868) et Osaka.
4 Ministre et homme de confiance de Nabeshima Mitsushige.
5 Contraction de « setsu », couper, et de « fuku », abdomen. Suicide
rituel par éventration, censé libérer l’âme, et pratiqué avec un sabre court
(tanto). Il en existe trois formes, plus ou moins douloureuses, donc
« honorables » : pratiquer une ouverture transversale sous le nombril, y
ajouter une seconde ouverture verticale (jumonji-giri), avoir recours à un
assistant (kaishaku-nin) dont le rôle est de trancher la tête pour une mort
instantanée. Le seppuku servait à racheter un péché impardonnable, ou bien
à se soustraire à l’ordre d’un maître que le guerrier ou le samouraï jugeait
immoral.
6 Malgré sa résolution de suivre son maître dans la mort en pratiquant le
seppuku (plus spécifiquement, dans ce cas précis : tsuifuku), en 1700,
Yamamoto Tsunetomo dut se soumettre à un décret du shogun datant de
1663 et interdisant cette pratique, connue sous le nom de oibara. En outre,
Mitsushige lui-même la réprouvait. Tsunetomo pris dès lors le nom de
Jôchô Yamamoto et se retira du monde, mettant ainsi « fin à ses jours » (de
serviteur) de manière symbolique, et vécut en ermite dans une hutte. Il
mourut 19 ans plus tard, à l’âge de 60 ans.
7 Type de kana (caractère japonais) servant à l’écriture de morphèmes
grammaticaux et de certains mots.
8 Matanuki : pratique consistant à endurer la douleur causée par
l’incision de la cuisse avec un sabre, afin de prouver son courage.
9 Supérieur du temple du clan Nabeshima (? – 1680), moine zen dont
Yamamoto Tsunetomo fut l’élève.
10 Munen mushin (ou munen muso) : « état d’esprit de non-pensée. »
Dans la doctrine bouddhiste, désigne un état de détachement total vis-à-vis
du monde matériel.
11 Sanjônishi Sanenori : membre de la cour impériale ayant enseigné la
poésie à Nabeshima Mitsushige.
12 Le gosen wakashû, achevé en l’an 951, est une anthologie impériale
de poèmes (waka) japonais en vingt volumes, contenant 1426 poèmes.
13 Nembutsu : contraction de la récitation votive « Namu Amida
butsu » : « Salut au Bouddha Amida ».
14 Yagyû Munenori (1571-1646), fondateur de l’école officielle de
sabre du shogunat Tokugawa.
15 Ishida Ittei (1628-1693), savant confucéen dont Yamamoto
Tsunetomo fut le disciple.
16 District rassemblant Tokyo et Osaka.
17 Tokyo.
18 Shungaku Meiki, moine bouddhiste zen de l’école Rinzai-shu (les
deux autres écoles étant Soto et Obaku), supérieur du temple Taichoji de
Saga. En 1967, il fut accusé d’être chrétien et arrêté. Tsunetomo fut alors
l’un de ses gardes.
19 Fondée par Zennichi-maro, dit Nichiren, en 1253.
20 Nakano Kazuma Toshiaki, petit-fils de Nakano Shigetoshi, lui-même
oncle de Yamamoto Tsunetomo. Nakano est le nom ancestral de la famille
Yamamoto.
21 Le maître du Commencement est celui qui enlève le cachet de cire
scellant un fût de saké. Le maître des Vingt-Cinq Jours est celui qui ouvre
un bocal de sauce de soja, de petits légumes conservés dans du vinaigre ou
de miso, vingt-cinq jours après que celui-ci fut scellé.
22 Littéralement, rônin signifie « homme errant ». Il s’agit d’anciens
samouraïs exclus de la société féodale, car dépourvus de clan, soit à cause
de la mort de leur seigneur, de leurs fautes ou de leur défaite au combat.
Après qu’il eût agressé Kira Shokinaka en réponse à une insulte publique,
Asano Naganori fut mis à mort, et les quarante-sept samouraïs de son fief
devinrent donc des rônins, qui se vengèrent un an plus tard, en 702. Ils se
constituèrent ensuite prisonniers et firent seppuku.
23 Bien que ce fait d’armes passe pour un exemple de loyauté,
Tsunetomo considère que la vengeance eût dû être immédiate.
24 Cela se retrouve symboliquement dans les arts martiaux
contemporains : on regarde son adversaire dans les yeux au moment du
salut, afin de pouvoir parer une attaque-surprise.
25 Même remarque. Le hakama est un pantalon large porté par les
nobles et les samouraïs. Il comporte sept plis correspondant aux sept vertus
du samouraï : jin (bienveillance, générosité), gi (honneur, justice), rei
(courtoisie, étiquette), chi (sagesse, intelligence), shin (sincérité), chu
(loyauté) et kô (piété).
26 Il existe trois formes de poèmes au Japon : le haïku (un tercet de 5-7-
5 syllabes), le tanka (un tercet et un distique de 7-7 syllabes), et le renku
(écrit par plusieurs poètes, assimilé à une joute poétique, composé comme
une suite de tankas).
27 Phrase ou anecdote servant à susciter la méditation.
28 Il existe une variante de cette maxime : « Lorsqu’une personne
approche le bouddhisme, les enseignements du Bouddha ont déjà pénétré en
elle. »
29 Nitta Yoshisada (1301-1338). Lorsqu’il a vu ses troupes encerclées
par l’ennemi, il trancha sa propre tête et l’enterra avant de mourir. Le
samouraï Ôno Dôken fut condamné au bûcher en 1615. Lorsqu’un officiel
vint vérifier ses restes, Dôken saisit le sabre de ce dernier et l’éventra, avant
de partir en cendres.
30 Voir note 22.
31 Général ayant pris part à la campagne de Corée de Toyotomi
Hideyoschi (1536-98).
32 Le moxa, issu de la médecine chinoise, est un objet chauffant utilisé
en acupuncture.
33 Serpent venimeux.
34 Il s’agit de la personne qui seconde un samouraï lors du seppuku, et
qui lui tranche la tête après que ce dernier se soit éventré (kappuku), afin de
mettre fin à son agonie (kaishaku désigne le rôle, kaishaku-nin l’acteur).
35 Samouraï qui fut mortellement blessé en faisant écran de son corps
pour intercepter une flèche décochée en direction de son maître.
36 Également appelé Les Chants des dieux et datant de la fin de l’ère
Kamakura, c’est-à-dire la fin du XIVe siècle.
37 Les « trois anciens royaumes » sont l’Inde, la Chine et le Japon.
38 Tokugawa Ieyasu (1543-1616), daimyô puis shogun du Japon, en fut
le dernier des trois unificateurs (après Oda Nobunaga (1534-1582) et
Toyotomi Hideyoshi (1536-1598)).
39 Ces citations de Naoshige proviennent des 21 préceptes écrits sur les
murs de sa demeure.
40 Yamamoto Jin’emon.
41 Ihara Saikaku (1642-1692), poète et écrivain, mettait souvent en
scène dans ses écrits des commerçants et leurs affaires de cœur.
42 Nakano Shôgen était un cousin de Yamamoto Tsunetomo.
Cartes extraites du jeu traditionnel hana fuda (littéralement : fleur carte)
3. Livre deuxième
Il est dit qu’un samouraï doit renoncer à ses intérêts personnels, à
l’orgueil et aux goûts de luxe. Le malheur vous garde de ces trois choses,
mais elles deviennent dangereuses dès que vous êtes plein d’allégresse.
Observez la condition humaine. Il est inconvenant de se montrer fier et
extravagant lorsque les choses vont bien. Ainsi, il vaut mieux qu’un jeune
homme nourrisse quelque insatisfaction, car l’expérience de l’amertume
forge le caractère. Une personne qui baisse les bras devant le malheur n’est
d’aucune utilité.
***
Lorsque l’on rencontre une personne, il s’agit de comprendre
instantanément son caractère et d’y réagir de manière appropriée. Cela
s’applique tout particulièrement lorsque l’on a affaire à quelqu’un qui aime
imposer son point de vue ; après lui avoir laissé la parole, il faut le battre en
brèche en développant une logique supérieure, mais sans condescendance,
afin qu’il ne subsiste aucune amertume de cet échange. Une telle attitude
requiert à la fois du cœur et de l’éloquence. Voilà l’opinion d’un moine au
sujet des rencontres.
***
Les rêves sont des manifestations de la vérité. Lorsque parfois je rêve de
mourir sur le champ de bataille ou de faire seppuku, si je m’arme de
courage, mon état d’esprit au sein de mon rêve évolue vers un état de
détermination totale.
Cela concerne le rêve que j’ai fait la nuit du vingt-septième jour du
cinquième mois.
***
Si l’on devait décrire la condition de samouraï, quelques mots
suffiraient : il s’agit fondamentalement de se vouer corps et âme à son
maître, tout en faisant indéfectiblement preuve d’intelligence, d’humanité et
de courage1. La possession de ces trois vertus peut sembler inatteignable à
une personne ordinaire, mais en fait cela est aisé. L’intelligence se cultive
en échangeant des opinions avec autrui. Cela procure une sagesse infinie.
L’humanité se développe en agissant pour le bien d’autrui. Le courage
consiste à serrer les dents, à agir avec une extrême détermination en se
concentrant exclusivement sur son devoir. Tout ce qui s’écarte de ces trois
vertus est inutile.
Quant aux aspects extérieurs, ils concernent l’apparence personnelle,
l’éloquence et l’art de la calligraphie. Tous trois s’améliorent par une
pratique quotidienne. Il faut comprendre que leur nature relève de la force
tranquille. Lorsque toutes ces choses sont accomplies, il faut alors
développer une connaissance de l’histoire et des coutumes de notre région.
Ensuite, à des fins de distraction, on peut étudier d’autres arts.
En fin de compte, il est très simple d’être un samouraï. Il suffit
d’appliquer à la lettre ces principes.
***
Un moine a dit que si un homme entreprenait de traverser une rivière
sans connaître sa profondeur ni sa largeur, il mourrait emporté par le
courant sans avoir pu atteindre l’autre rive, ni mener sa tâche à bien. Il en
va de même pour un homme qui brûle de devenir samouraï sans en
connaître les principes, ni les coutumes en vigueur et les goûts et dégoûts
du maître : il ne sera d’aucune utilité et ne fera que causer sa perte. Il est
inconvenant d’essayer d’entrer dans les bonnes grâces du maître. Il faut
d’abord rester en retrait, comme sur la rive, et développer une
compréhension de la profondeur et de la largeur de la rivière, avant de se
mettre à l’œuvre sans jamais rien faire qui ne déplaise au maître.
Si vous ceignez votre corps de sachets remplis de clous de girofle, vous
serez préservé de l’inclémence du temps et des rhumes. Il y a plusieurs
années, Nakano Kazuma Toshiaki retourna à cheval porter un message dans
sa province, au beau milieu de l’hiver. Bien qu’il fut déjà un vieil homme, il
n’en souffrit pas le moins du monde. Il est dit que c’est grâce à l’utilisation
de clous de girofle. En outre, le fait de boire une décoction d’excréments
d’un cheval pommelé permet de stopper un saignement provoqué par une
chute de cheval.
***
Une personne irréprochable doit se retirer d’une affaire qui devient
malhonnête. Cela doit être fait avec la plus grande fermeté.
***
Il n’existe rien d’autre que la concentration sur le moment présent.
Toute la vie d’un homme n’est qu’une succession de moments. Si l’on
comprend pleinement le moment présent, l’esprit trouve son
accomplissement, il n’y a rien d’autre à poursuivre. Il faut vivre dans une
concentration complète sur le moment présent.
Tout le monde laisse filer le moment présent, puis le recherche
vainement. Personne ne semble s’être rendu compte de cela. En étant
entièrement dédié au moment présent, on accumule une succession
d’expériences. Et une fois que l’on a compris cela, on est une personne
différente, et les choses se déroulent naturellement.
***
Il est dit que ce que l’on appelle « l’esprit d’une époque » appartient au
passé et ne peut être retrouvé. Le fait que cet esprit se dissipe peu à peu est
dû au fait que le monde progresse inexorablement vers sa fin. De la même
façon, une année est faite de bien plus que d’un printemps et d’un été. Il en
va de même pour une seule journée, qui change à chaque instant.
Pour cette raison, même si nous le désirons, il nous est impossible de
donner au monde d’aujourd’hui l’esprit d’il y a cent ans ou plus. Ainsi, il
est d’une importance extrême de tirer le meilleur de chaque génération.
Ceux qui se contentent de regretter le passé se trompent par manque de
compréhension. D’un autre côté, ceux qui ne connaissent que le monde
présent et méprisent le passé négligent leurs devoirs.
***
Soyez sincère envers la pensée du moment présent et évitez de vous en
distraire. Au lieu de vous fatiguer sans penser à rien, vivez profondément et
entièrement chaque pensée, l’une après l’autre.
***
Les hommes braves de jadis étaient, pour la plupart, bruyants et
débordants de vitalité. Comme ils avaient tendance à se déchaîner, ils se
montraient braves sur le champ de bataille. Lorsque je questionnais
Tsunetomo sur le sujet, il dit : « Il est compréhensible que leur exubérance
les ait poussés à une attitude extrême. Aujourd’hui, l’exubérance s’est
éteinte, car les hommes manquent de vitalité. La vitalité a décliné, mais le
caractère s’est amélioré. La valeur est d’un ordre différent. Bien que les
hommes soient devenus plus discrets de nos jours, ils n’en ont pas moins
une passion extrême pour la mort. Cela n’a rien à voir avec la vitalité. »
***
À propos des stratégies militaires du seigneur Naoshige, Ushida
Shôemon a dit qu’elles étaient caractéristiques de ses disciples qui savaient
s’adapter et faire face à toute situation sans connaissance préalable de ce
qui allait advenir, avant que d’un seul mot, Naoshige ne conduise la bataille
à son terme. Sur le point de mourir, il ne dit rien, même à ses principaux
samouraïs venus le voir.
***
Au cours d’une bataille, le seigneur Tokugawa Ieyasu fut contraint à la
retraite, et pourtant on dit de lui : « Ieyasu est un général doté d’un très
grand courage. De tous ses disciples morts sur le champ de bataille, aucun
n’avait le dos tourné. Tous sont morts face aux lignes ennemies. » L’état
d’esprit quotidien d’un samouraï se manifeste même par-delà la mort. La
mort ne le met pas à l’abri du déshonneur.
***
Nos corps viennent à la vie à partir du néant. Exister à partir de rien est
le sens de la phrase : « La forme est le vide. » Que toutes choses soient
issues du néant est le sens de la phrase : « Le vide est la forme. » Il ne faut
pas voir là deux choses différentes.2
***
Uesugi Kenshin3 a dit : « Je n’ai jamais su ce qu’était gagner du début à
la fin, mais j’ai toujours su être constamment à la hauteur de la situation. »
Cela est intéressant. Un samouraï sera mortifié s’il ne se montre pas à la
hauteur de la situation. À tout instant et en toute circonstance, il faut être à
la hauteur de la situation.
***
Il faut éviter de parler d’enseignement, de morale ou de coutumes
devant des gens plus âgés ou plus gradés. Cela est désagréable à écouter.
***
Alors que nous marchions le long de la route, Tsunetomo dit :
« L’homme n’est-il pas une marionnette savamment manipulée ? Elle est le
résultat d’un travail habile et peut courir, sauter, bondir, et même parler, tout
cela sans le moindre fil. Serons-nous les vedettes du festival O-Bon, l’an
prochain ?4 Ce monde n’est que futilité. Les gens l’oublient toujours. »
***
On enseigna un jour à un jeune seigneur que « maintenant » est « le
moment crucial », et que « le moment crucial » est « maintenant ». Si l’on
ne comprend pas que ces deux choses sont identiques, on s’expose à
l’échec. Par exemple, si un serviteur est appelé devant le maître pour
s’expliquer d’une chose et s’en trouve perplexe, cela montre qu’il tient
« maintenant » et « le moment crucial » pour deux choses différentes. À
l’opposé, si un serviteur a assimilé que « maintenant » et « le moment
crucial » sont une seule et même chose, bien que serviteur, il sera
constamment prêt à s’exprimer clairement devant le maître, les anciens ou
le shogun lui-même.
Toutes les choses suivent ce principe. Il en va de même pour
l’entraînement militaire et pour les affaires. Lorsque l’esprit s’est pénétré de
l’unité de « maintenant » et du « moment crucial », les négligences et le
manque de résolution quotidiens sont mieux compris.
***
Il faut méditer chaque jour la phrase suivante : « Le moment crucial est
maintenant. » Ainsi, la Voie du samouraï est, jour après jour, l’exercice de
la mort. Bien que cela paraisse difficile, ce n’est jamais qu’une question de
volonté. Vouloir, c’est pouvoir. Il ne faut jamais rien tenir pour impossible.
***
Même si un samouraï est soudain décapité, il doit être capable
d’accomplir au moins une action avec fermeté. Les derniers instants de
Nitta Yoshisada en sont une parfaite démonstration. Si son esprit avait été
faible, il se serait écroulé au moment où sa tête a été tranchée. Plus
récemment, nous avons l’exemple d’Ôno Dôken. Il put continuer à agir
grâce à sa seule détermination. Avec une grande valeur martiale et une
détermination à toute épreuve, même la tête coupée, on ne meurt pas, mais
on devient semblable à un fantôme vengeur.
***
Que les gens soient de haute ou basse extraction, riches ou pauvres,
vieux ou jeunes, éveillés ou confus, ils ont tous en commun l’inéluctabilité
d’une mort prochaine. Ce n’est pas que nous ignorions que nous allons
mourir, c’est que nous préférons désespérément l’oublier. La mort semble
toujours lointaine.
N’est-ce pas là une façon de penser futile et illusoire ? Je ne me permets
pas de penser avec autant de négligence. La mort étant constamment à notre
porte, il faut se comporter en conséquence et agir promptement.
***
Il est utile d’emporter un peu de poudre rouge dans l’ourlet de sa
manche. Il peut arriver qu’après s’être aviné ou au réveil, on présente un
visage pâle. C’est alors le moment d’y appliquer un peu de poudre rouge.
***
Bravoure et couardise ne sont pas sujets à conjecture en temps de paix.
***
En temps de grand trouble ou de désastre, un seul mot proféré suffit. En
temps de bonheur, également, un seul mot suffit. Lors de réunions ou de
discussions, un seul mot se révèle efficace. Il faut penser correctement et
parler ensuite. Ceci est limpide et certain, et il faut l’appliquer sans l’ombre
d’un doute. Il s’agit de produire, par anticipation, le meilleur de soi et
d’adopter l’attitude correcte. Cela est difficile à expliquer, mais chacun
devrait le travailler en son for intérieur. Si une personne n’apprend pas cela
avec son cœur, elle ne peut le comprendre.
***
La vie humaine ne dure qu’un instant. Il vaut mieux vivre en
accomplissant des choses qui nous plaisent. Il relève de la folie que de vivre
le rêve qu’est la vie comme un cauchemar et de se borner à accomplir des
choses déplaisantes. Mais il est crucial de ne jamais enseigner cela à des
jeunes gens, car cela pourrait se révéler désastreux en étant mal compris.
***
J’ai fait un rêve au cours de la nuit du vingt-huitième jour du douzième
mois de la troisième année de Shôtoku5. Le déroulement de ce rêve évoluait
au fur et à mesure que j’affermissais ma volonté. Les rêves révèlent la
véritable nature d’une personne. Il est bon de faire de ses rêves des
compagnons dans la poursuite de la Voie.
***
La honte et la repentance sont semblables à de l’eau renversée d’un
pichet. L’un de mes amis a écouté la confession d’un homme qui lui avait
volé son sabre d’ornement, et ressentit de la compassion pour le voleur
repentant. Si l’on reconnaît et répare ses erreurs, leurs traces disparaissent
bientôt.
***
Selon les dires du moine bouddhiste Kaion, une personne gagne en
orgueil dès qu’elle acquiert un peu de compréhension, car elle s’imagine
connaître ses propres limites et ses points faibles. Il est en vérité très
difficile de connaître ses propres limites et encore davantage d’admettre ses
points faibles.
***
La dignité d’un homme est mesurable du premier coup d’œil porté à sa
personne. La dignité réside dans l’apparence. La dignité réside dans une
attitude mesurée. La dignité réside dans l’économie de mots. La dignité
réside dans la perfection du comportement. La dignité réside dans une
attitude solennelle et maîtrisée. Et la dignité réside dans une profonde
perspicacité, une compréhension claire et un jugement limpide.
Tout cela est visible à l’extérieur. Fondamentalement, la base de la
dignité est la pureté de pensée et la tension vivace de l’esprit.
***
Ce qui suit est conforme aux dires de Nakano Kazuma Toshiaki :
Certaines personnes considèrent qu’il est vulgaire de se servir
d’ustensiles usagés pour la cérémonie du thé, et qu’un service neuf sied
davantage à sa grâce. D’autres défendent la vertu symbolique des ustensiles
usagés en raison même de leur absence d’éclat. Les uns comme les autres
sont dans l’erreur. Les anciens ustensiles, utilisés par les gens les moins
fortunés, sont également prisés par les classes élevées en raison de leur
nature d’origine et de leur valeur, laquelle est révérée.
Il en va de même pour le samouraï. Grâce à sa valeur, une personne
s’élève des classes humbles vers les classes élevées. Il est totalement erroné
de croire qu’un simple soldat ne puisse devenir officier. Lorsqu’une
personne s’est élevée du bas peuple, sa valeur doit être particulièrement
respectée, davantage même que celle d’une personne née dans une famille
nantie.
***
Mon père Yamamoto Jin’emon a dit que lorsqu’il était jeune, on
l’emmenait de temps en temps à l’entrée de la colonie chinoise afin qu’il
s’habitue à l’ambiance et aux gens. À l’âge de cinq ans, il fut envoyé visiter
différentes maisons en tant que représentant de sa famille, et dès l’âge de
sept ans, dans le but de l’aguerrir, on lui fit chausser les sandales de paille
des samouraïs pour aller honorer ses ancêtres dans les temples.
***
Il est dit que l’on ne peut accomplir de grandes choses sans se
comporter avec réserve envers son maître, le chef des samouraïs et les
anciens. Ce qui est effectué avec désinvolture et en toute liberté finira mal.
C’est une question d’attitude.
***
Il est mal approprié d’être ignorant de l’histoire et de l’origine de son
clan et de ses disciples. Mais parfois, un savoir excessif devient un obstacle.
Il faut savoir user de sagesse.
***
Il est écrit que le moine Shungaku a dit : « En refusant de se replier, un
guerrier double sa force. » Voilà qui est intéressant. Une tâche qui n’est pas
menée à terme en temps et heure restera inachevée pour le restant de la vie
du samouraï. La pensée de la honte résultante décuple les forces du guerrier.
Une tâche inachevée fera du samouraï un homme négligent pour le reste de
ses jours.
« Avance avec résolution et traverse un mur de fer » est également une
injonction intéressante. Cela constitue le premier pas vers la
reconnaissance. En ce sens, Hideyoshi peut être considéré comme le seul
homme à avoir su exploiter avec excellence la chance de toute une vie, et ce
depuis la création du Japon6.
***
Les gens qui ne cessent de parler de sujets de peu d’importance ont
probablement quelque grief au fond de leur pensée. Mais afin de le cacher,
ils répètent sans cesse les mêmes paroles superficielles. Entendre de telles
choses doit éveiller le doute.
***
Il faut faire attention à ne pas proférer de paroles susceptibles de
générer des problèmes. Dès qu’une difficulté survient, les gens s’en
emparent sans discernement et ne font que compliquer les choses. Cela est
inutile. Les choses s’empirant, vous deviendrez l’objet de rumeurs et vous
vous serez fait des ennemis par un commentaire initial superflu. Lors de tels
moments, mieux vaut rester chez soi et composer de la poésie.
***
C’est une grossière erreur que de médire des affaires d’autrui. Se
répandre en éloges n’est pas plus approprié. En toute occasion, un samouraï
doit avoir conscience de son propre talent et de ses limites, savoir garder
son rang et parler le moins possible.
***
Une personne vertueuse contrôle ses émotions et ne se laisse pas
emporter. Une personne de peu de mérite ne connaît pas la paix et cherche
désespérément à se faire valoir au travers de conflits permanents et
insignifiants.
***
Il est sage et avisé de considérer le monde comme un rêve. Lorsque
vous faites un cauchemar, vous finissez par vous éveiller et vous vous dites
que ce n’était qu’un rêve. Il en va de même pour le monde dans lequel nous
vivons.
***
Les gens dotés d’intelligence imposeront à la fois des vues vraies et
erronées. C’est là une insulte à l’intelligence. Rien qui ne soit pétri de vérité
ne peut se révéler efficace.
***
Lors d’un désaccord ou une dispute, il est important de savoir s’incliner
rapidement afin de perdre avec grâce et élégance. Ainsi va le sumo : si l’on
ne pense qu’à gagner, une victoire volée sera pire qu’une défaite.
***
Ressentir de façon aiguë la différence entre soi et les autres, se montrer
rancunier, se brouiller avec les gens : tout ceci témoigne d’un manque de
compassion. Si l’on aborde toute chose avec un cœur plein de compassion,
aucun conflit ne subsistera.
***
Une personne possédant peu de savoir se donnera des airs d’érudit.
C’est une manifestation d’inexpérience. Lorsque l’on connaît parfaitement
un sujet, on ne fait pas la démonstration de son savoir. C’est là une
manifestation d’intelligence et d’éducation.
***
Avant de rendre visite à une personne, il est avisé de la prévenir. Il est
indélicat de rendre des visites impromptues. Votre hôte peut être occupé ou
en proie à des soucis. Il faut s’abstenir de se rendre là où l’on n’a pas été
invité. Les véritables amis sont rares. Même en visitant une personne sur
son invitation, il convient de se montrer attentif à son humeur.
Cependant, quelles que soient vos préoccupations, il ne faut jamais
manquer d’aménité envers un visiteur.
***
Il n’est pas bon de pousser trop loin les choses, même bonnes. Cela
s’applique également au bouddhisme, aux sutras, aux leçons de morale :
parler avec exagération n’apporte que nuisances.
***
Le moine Keihô rapporta que le seigneur Nabeshima Aki no kami
Shigetake dit un jour : « La valeur martiale est une question de fanatisme. »
Cette affirmation étant en accord avec ma propre résolution, je décidai de
devenir de plus en plus extrême dans mon fanatisme.
***
Nakano Kazuma Toshiaki a dit que le but originel de la cérémonie du
thé était de purifier les six sens. Pour les yeux, elle représente des volutes
en suspens et des arrangements de fleurs. Pour le nez, elle est parfum. Pour
les oreilles, elle est le chant de l’eau bouillante. Pour la bouche, elle est le
goût du thé. Et les mains reçoivent la justesse des formes du service. Les
cinq sens ainsi purifiés, l’esprit se purifie alors à son tour. La cérémonie du
thé purifie l’esprit encombré.
***
Il n’y a pas un jour où je ne m’adonne à la cérémonie du thé, et cela n’a
aucun rapport avec un mode de vie qui se voudrait aristocratique. En outre,
le service en lui-même doit être en rapport avec la position sociale que l’on
occupe.
Dans le haïku suivant :
Sous l’épaisse neige du dernier village
La nuit passée
De nombreuses branches de prunier ont fleuri
les mots « de nombreuses branches » furent remplacés par « une seule
branche ». Il est dit que cette « seule branche » contient la véritable
tranquillité.
***
On ne peut mener une tâche à bien par sa seule intelligence. Il faut avoir
une vision d’ensemble. Il est stérile de faire des affirmations imprudentes
sur le bien et le mal. Cependant, il ne faut pas manquer de vivacité. Il est dit
que l’on n’est pas samouraï si l’on ne sait pas prendre de décisions rapides
et ensuite mener l’action conséquente à terme.
***
L’impatience est nuisible en toutes choses et entrave la réalisation de
grandes œuvres. Si l’on considère que l’accomplissement de telle chose
n’est pas une question de temps, elle se réalisera étonnamment rapidement.
Les temps changent. Pensez à ce qu’était le monde il y a quinze ans. La
valeur s’étiole peu à peu. Par exemple, si l’on venait à manquer d’or,
l’argent deviendrait un trésor, et si l’on venait à manquer d’argent, le cuivre
deviendrait un trésor. Les capacités des hommes s’amenuisent, et l’on peut
aujourd’hui se distinguer en produisant un moindre effort. Quinze années
passent comme un rêve. Mais si un homme prend soin de sa santé, il aura
finalement atteint son but et sera une personne de valeur. Lorsque le monde
glisse vers le déclin, il est facile d’exceller.
***

Comme je l’ai noté dans Gukensho7, il est essentiel pour un samouraï


de se montrer d’une pertinence absolue dans les conseils qu’il donne à son
maître. Ce point surpasse tout le reste en importance. Mais personne à ce
jour ne l’a vraiment compris. Il faut avoir l’intelligence de renoncer à la
flatterie et oublier son statut et ses intérêts personnels, car il s’agit là de
viles ambitions. Il ne s’agit pas non plus de se cacher derrière des idées
philosophiques ou poétiques, mais de se montrer d’un pragmatisme absolu,
quelles que soient les conséquences.
***
Il faut produire de grands efforts pour corriger ses mauvaises habitudes.
Il faut être pareil à la guêpe fouisseuse8. Il est dit que même un enfant
adoptif, auquel vous prodiguez un enseignement tel qu’il devienne un
adulte semblable à vous-même, finira par vous ressembler.
***
Si toute votre force découle de votre vitalité et de la fermeté de votre
résolution, vos paroles et votre conduite personnelle seront en harmonie
avec la Voie, et les autres vous loueront. Mais lorsque vous vous interrogez
vous-même à ce sujet, vous ne trouverez aucune réponse. Le poème qui se
termine par : « Quand ton cœur demande / Que réponds-tu ? » recèle le
principe secret de tous les arts.
***
Lorsque vous écoutez les récits des hommes expérimentés, vous devez
le faire avec une profonde sincérité, même s’il s’agit de quelque chose que
vous connaissez déjà. Si en écoutant un récit pour la dixième ou vingtième
fois, et que vous parvenez à une compréhension inédite, cela sera un
moment très précieux.
1 Intelligence, humanité et courage sont les trois vertus universelles du
confucianisme.
2 Les deux phrases citées sont extraites du Mâha-Prajñâ-Pâramitâ-
Hridayam Soûtra bouddhiste, ou « Sutra de l’Essence de la perfection de la
sagesse suprême » : « La forme n’est pas différente du vide, ni le vide de la
forme. La forme est vacuité. La vacuité est forme. Il en va de même pour
les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience.
3 Uesugi Kenshin (1530-1578) était daimyô de la province d’Echigo, et
a marqué l’histoire par une série de batailles menées contre Takeda Shingen
(1521-1573), daimyô de la province de Kai.
4 Célébré le quinzième jour du septième mois lunaire depuis plus de
500 ans, le festival bouddhiste O-Bon, importé de Chine au Japon, célèbre
l’esprit des morts et est très festif. Un festival de danse Bon-Odori est
organisé durant ces trois jours fériés.
5 Shôtoku Taishi (573-622), prince japonais (on lui doit l’invention du
mot nihon qui a donné son nom au Japon) qui exerça une profonde
influence sur la culture de son pays au travers de la propagation du
bouddhisme. Il institua un calendrier liturgique.
6 Toyotomi Hideyoshi (1536-1598). Fils de fermier, il succéda à son
seigneur, Oda Nobunaga, et poursuivit l’œuvre d’unification du pays
entreprise par ce dernier. (Voir note 38 consacrée à Tokugawa Ieyasu.)
7 Ouvrage composé par Yamamoto Tsunetomo en 1708 (donc avant le
Hagakure) à l’attention de son fils adoptif Gonojo, que l’on peut traduire
par « Un recueil d’humbles opinions », qui rassemble les devoirs essentiels
du samouraï envers son maître.
8 Guêpe solitaire pouvant utiliser des cavités ou les creuser pour y
stocker des insectes qui nourriront ses larves. En japonais, elles sont
nommées jigabachi, soit, littéralement : « guêpe ressemble-moi », car les
premières observations éthologiques avaient conclu que la guêpe fouisseuse
pouvait capturer des insectes et les transformer en autres guêpes
fouisseuses. Dans le bouddhisme, le terme jiga signifie acquérir les qualités
du Bouddha en chantant inlassablement les soutras.
« Selon la parole d’un ancien, affronter un ennemi sur le champ de
bataille, c’est se comporter comme un aigle fondant sur sa proie. Quand
bien même il y aurait une nuée d’un millier d’oiseaux, l’aigle porte son
attention exclusive sur celui qu’il a choisi comme proie. »
4. Livre troisième
Le seigneur Naoshige dit un jour : « Il n’y a rien que l’on puisse
ressentir aussi profondément que le giri1. Il arrive qu’une personne
relativement proche, comme un cousin, meure sans que l’on soit enclin à
verser la moindre larme. Mais nous pouvons entendre parler d’un homme
qui vivait il y a cinquante ou cent ans, au sujet duquel nous ne savons rien
et qui nous est parfaitement étranger, et quand bien même, notre sens du
giri fait couler nos larmes. »
Alors que le seigneur Naoshige traversait un village nommé Chiriku,
l’un de ses serviteurs lui dit : « Là vit un homme âgé de quatre-vingt-dix
ans, si fortuné qu’il vous plairait peut-être de le saluer ? » Entendant cela,
Naoshige répliqua : « Qui donc pourrait être plus digne de pitié que cet
homme ? Combien d’enfants et de petits-enfants croyez-vous qu’il a vu
mourir de ses yeux ? Où y voyez-vous de la bonne fortune ? »
On rapporte que Naoshige ne fit pas halte pour saluer le vieillard.
Le seigneur Naoshige tint les propos suivants à son petit-fils, le seigneur
Motoshige : « Peu importe que l’on soit de haute ou basse extraction, toute
lignée est tôt ou tard vouée à l’étiolement. Vouloir lutter contre cette
déchéance ne produira qu’une fin plus pitoyable encore. Lorsque l’on sent
que ce moment arrive, mieux vaut abandonner avec grâce et noblesse. Cette
attitude pourrait même conjurer le déclin ! »
Il est dit que le seigneur Motoshige transmit cet enseignement à son
jeune frère.
Le seigneur Naoshige dit un jour : « Dans les temps apaisés, les gens
ont tendance à se détendre et à se montrer avenants, gais et amicaux.
Cependant, cela est propice aux actes ou paroles que l’on sera amené à
regretter. Il ne faut jamais adoucir son ardeur à progresser dans la Voie. »
1 Le terme giri recouvre des sens variés, comme l’honneur, le devoir,
l’obligation, la justice, la gratitude ou les convenances.
5. Livre quatrième
Alors que Nabeshima Tadanao, le deuxième fils du seigneur Nabeshima
Katsushige, était âgé de quinze ans, un valet de cuisine commit une
impolitesse et un soldat s’apprêtait à le battre lorsque le valet le foudroya
d’un coup de sabre. Les anciens du clan s’accordèrent sur le fait que le valet
méritait la peine de mort, tout d’abord parce qu’il avait enfreint les règles
hiérarchiques, et ensuite parce qu’il avait fait couler le sang de son
adversaire. Entendant cela, Tadanao dit : « Qu’est-ce qui est pire :
enfreindre les règles hiérarchiques ou celles de la Voie du samouraï ? »
Les anciens furent incapables de répondre. Tadanao dit alors : « J’ai lu
que lorsqu’un méfait n’est pas établi de façon parfaitement claire, la
punition doit être clémente. Mettez le valet quelque temps à l’isolement. »
Un jour, alors que le seigneur Katsushige pratiquait la chasse à
Shiroïshi, il tua un énorme sanglier. Tout le monde se précipita pour voir la
bête et s’exclama : « Quel spécimen incroyablement grand et puissant vous
avez abattu ! » Sur ce, le sanglier bondit sur ses pattes et chargea. La
confusion s’empara de l’assemblée jusqu’à ce que Nabeshima Matabei
portât le coup de grâce avec son sabre à la bête enragée. Le seigneur
Katsushige couvrit son visage de sa manche et déclara : « Je crois avoir
reçu de la poussière dans les yeux. » Il fit cela pour ne pas avoir à
contempler l’embarras de ses hommes.
Lorsque le seigneur Katsushige était enfant, il eut pour précepteur son
père, le seigneur Naoshige. Celui-ci lui dit un jour : « Pour vous entraîner
sûrement au maniement du sabre, allez trancher la tête de quelques
condamnés à mort. » Ainsi, sur la place qui se trouve aujourd’hui près de la
porte ouest, dix hommes furent alignés et Katsushige commença à les
décapiter, l’un après l’autre, jusqu’au neuvième d’entre eux. Lorsqu’il fit
face au dixième condamné, il remarqua que ce dernier était jeune et en
bonne santé. Il dit : « Le maniement du sabre m’a fatigué. Je vais épargner
la vie de cet homme. »
Le seigneur Katsushige répétait souvent qu’il existe quatre types de
serviteurs : « Il y a ceux qui comprennent rapidement les instructions et les
exécutent avec tout autant de promptitude. Fukuchi Kichizaemon est de
ceux-la. Il y a ceux qui assimilent plus lentement les instructions parce
qu’ils ont besoin de réfléchir avant de passer à l’action, mais leur action est
prompte et efficace. Nakano Kazuma est de ceux-là. Il y a ceux qui
comprennent rapidement les instructions, mais perdent trop de temps à
préparer leur action et au final, la retardent. Beaucoup d’hommes sont de ce
type. Quant aux autres, ils sont lents en toutes choses, dans l’obtention
d’une vision claire du but à atteindre comme dans la mise en œuvre de
l’action pour l’atteindre.
Lorsque le seigneur Katsushige remit le pouvoir entre les mains de son
fils Mitsushige, il lui confia également les recommandations du seigneur
Naoshige1. Le 26 mai du calendrier lunaire de l’année 1618, sur son lit de
mort, le seigneur Naoshige donna ses ultimes instructions à son fils
Katsushige : « Pour diriger efficacement notre clan, il est d’une importance
capitale de s’entourer d’hommes de talent. » Katsushige demanda si pour ce
faire, il devait invoquer les dieux et prier le Bouddha. Naoshige répondit :
« Non, car les hommes invoquent les dieux et prient le Bouddha pour des
choses qu’ils ne peuvent accomplir par eux-mêmes. »
1 Nabeshima Mitsushige était le fils de Nabeshima Katsushige, et le
petit-fils de Nabeshima Naoshige.
6. Livre cinquième
Lors de son premier voyage de Edo à Saga, le seigneur Tsunashige était
accompagné de son père, le seigneur Mitsushige. À son arrivée dans son
fief, les gens lui firent cortège le long de la route pour lui présenter leur
respect. Tsunashige dit à son père : « Ils me saluent et prient sur mon
passage. » Mitsushige répondit : « Ne vous imaginez jamais être un saint ni
un objet de vénération pour le peuple ! »
7. Livre sixième
Lors de la bataille de la province de Bungo, le seigneur Ryûzôji
Takanobu1 reçut un messager en provenance du camp ennemi. Ce dernier
apportait du saké et de la nourriture. Takanobu s’apprêtait à goûter les
victuailles lorsque ses conseillers le mirent garde : « Les cadeaux de
l’ennemi peuvent être empoisonnés. Un général ne devrait pas manger
cela. »
Takanobu dit alors : « Même si ces choses sont empoisonnées, quel effet
cela aura-t-il sur les évènements en cours ? Faites venir le messager ! » Il
descella le fût de saké devant ce dernier, en but trois grandes coupes et en
lui offrit une. Puis il lui signifia sa réponse et le renvoya dans son camp.
***
Le seigneur Tagaki Akifusa tourna le dos au clan de Ryûzôji Takanobu
au profit de Maeda Iyo no kami Iesada, lequel lui offrit refuge. Akifusa était
un guerrier sans égal et était passé maître dans le maniement du sabre. Ses
principaux serviteurs, Ingazaemon et Fudôzaemon, n’étaient pas moins
aguerris que lui dans l’art du combat, et veillaient sur lui de jour comme de
nuit. Un jour, Iesada reçut un message de Takanobu, lui demandant de tuer
Akifusa. Alors qu’Akifusa était assis sous la véranda et qu’Ingazaemon lui
lavait les pieds, Iesada surgit et lui trancha la tête. Avant que sa tête ne
tombe, Akifusa dégaina son sabre court pour riposter, mais sa lame trancha
la tête d’Ingazaemon. Les deux têtes tombèrent dans la bassine d’eau
savonneuse, mais celle d’Akifusa rebondit et roula au milieu de
l’assemblée. Ce genre de technique magique était caractéristique d’Akifusa.
***
Lors de ses leçons quotidiennes, le moine zen Tannen avait l’habitude
de dire ce qui suit :
« Un moine ne peut accomplir la Voie du bouddhisme sans manifester
de compassion envers autrui tout en renforçant son courage intérieur. Et si
un guerrier ne sait faire preuve de courage dans ses actes tout en nourrissant
dans son cœur une compassion telle qu’elle lui brûle la poitrine, il ne pourra
devenir un samouraï. Ainsi, le moine cultive le courage en ayant le
samouraï pour modèle, et le samouraï cultive la compassion en ayant le
moine pour modèle.
« J’ai effectué de nombreux voyages, durant de longues années, et j’ai
rencontré des moines sages, mais ils ne purent rien m’enseigner. Ainsi, à
chaque fois que j’entendais parler d’un samouraï de grand courage, où qu’il
se trouvât, je me mettais en route vers lui, quels que fussent les périls du
voyage. Et tout ce qu’ils m’ont raconté à propos de la Voie du samouraï m’a
aidé à progresser sur ma propre Voie du bouddhisme.
« Un samouraï, avec son armure et ses armes, se précipitera vers les
lignes ennemies. Pensez-vous qu’un moine, avec son simple rosaire, armé
de son humilité et de sa compassion, puisse se ruer au milieu des lances et
des sabres ? Sans un courage extrême, le moine n’entreprendra strictement
rien. J’en veux pour preuve le moine faisant l’offrande de l’encens lors
d’une importante cérémonie bouddhiste : s’il tremble, c’est qu’il manque de
courage. Car il faut un grand courage pour repousser du pied un homme qui
tente de revenir d’entre les morts, ou pour tirer de l’Enfer toutes les
créatures vivantes. Néanmoins, depuis quelque temps, les moines se bercent
d’illusions et cultivent le désir de se faire remarquer par leur gentillesse et
leur douceur, et aucun ne progresse plus sur la Voie du bouddhisme. De
même, certains samouraïs s’écartent de leur propre Voie en voulant étudier
le bouddhisme. C’est une erreur. Une personne qui regarde dans deux
directions à la fois ne voit rien du tout. Cela convient à un samouraï âgé
retiré du combat, mais si un guerrier porte sur une épaule la loyauté et la
piété filiale, sur l’autre le courage et la compassion, et qu’il porte cette
charge en permanence, alors il sera un samouraï. »
Dans ses prières du matin et du soir, le samouraï récite le nom de son
maître. Cela n’est pas différent du nom du Bouddha et des soutras. Il faut
être en harmonie avec ses dieux personnels. Cela est affaire de force du
destin, qui se nourrit de compassion. Il existe de nombreux exemples,
passés et présents, de guerriers dont le manque de pitié a conduit à la ruine
de leur clan.
***
Au cours d’une conversation, un serviteur du seigneur Nabeshima
Naohiro2 déclara : « Il n’y a ici aucun homme sur lequel le maître puisse
réellement compter. Bien que je ne sois pas de la plus grande utilité, je suis
pourtant le seul à être prêt à donner ma vie pour lui. »
Il est dit que le seigneur Naohiro entra dans une incroyable colère, et
dit : « De tous les serviteurs, aucun ne regretterait sa vie ! Vos paroles ne
sont qu’arrogance ! » Il était sur le point de le frapper lorsque les autres
personnes présentes le firent quitter la salle.
***
Alors que maître Tanesada, le fondateur du clan Chiba, se rendait par la
mer sur l’île de Shikoku, un fort vent se mit à souffler, au point de causer
une avarie au bateau. Celui-ci fut sauvé du naufrage par des ormeaux3 qui
s’assemblèrent et colmatèrent la brèche de la coque. De ce jour, aucun
membre du clan Chiba n’a plus mangé d’ormeau. Si l’un d’eux en mangeait
un par inadvertance, son corps se couvrait de furoncles en forme
d’ormeaux.
***
Lors du vingt-huitième jour du siège du château d’Arima, à proximité
de la citadelle centrale, Mitsuse Genbei s’assit sur un remblai. Arriva
Nakano Takumi Shigetoshi, qui lui demanda ce qu’il faisait là. Mitsuse
répondit : « J’ai des douleurs abdominales telles que je ne puis faire un pas
de plus. J’ai envoyé mes hommes en avant, prenez le commandement. »
Cela fut rapporté aux chefs, qui accusèrent Mitsuse de lâcheté et le
condamnèrent à faire seppuku. Jadis, les douleurs abdominales étaient
appelées « le mal des lâches », car elles paralysaient soudainement celui qui
en était frappé.
***
À la mort du seigneur Nabeshima Naohiro, le seigneur Nabeshima
Mitsushige interdit aux serviteurs de ce dernier de pratiquer le tsuifuku4.
Lorsque le messager portant cette injonction arriva dans la demeure de
Naohiro, les serviteurs désapprouvèrent ladite interdiction. Ishimaru
Uneme, par la suite appelé Seizaemon, prit alors la parole : « Étant le plus
jeune d’entre nous, je ne suis pas le plus qualifié pour m’exprimer, mais je
pense que l’ordre du seigneur Nabeshima Mitsushige est plein de sens.
Depuis mon plus jeune âge, j’ai bénéficié des bienfaits de notre seigneur,
aussi étais-je fermement résolu à pratiquer le tsuifuku. Mais en apprenant
l’interdiction pleine de sagesse faite par le seigneur Mitsushige, et quoi que
décident les autres, je me plie à cette interdiction, renonce au tsuifuku et
choisis de servir le successeur de mon maître. » Entendant ces paroles, les
autres serviteurs firent un choix identique.
***

Un jour, le seigneur Masaie disputa une partie de shôgi5 avec le


seigneur Hideyoshi, devant une assemblée de daimyô. Lorsque vint le
moment de se retirer, les jambes du seigneur Masaie étaient engourdies et il
ne pouvait plus se tenir debout. Obèse, il ne supportait plus de longues
stations agenouillées. Il se retira donc en rampant, provoquant l’hilarité
générale. Depuis lors, il refusa de se montrer en public et commença à se
soustraire à son devoir6.
***
Nakano Uemonnosuke Tadaaki fut tué le douzième jour du huitième
mois de la sixième année d’Eiroku, lors des combats entre le seigneur Gotô
et le seigneur Hirai de Suko, sur l’île de Kabashima, dans la région de
Kishima. En se préparant à se rendre sur le champ de bataille,
Uemonnosuke embrassa son fils Shikibu (plus tard appelé Yamamoto
Jin’emon) et lui dit : « Quand tu seras un homme, tu trouveras ton honneur
dans la Voie du samouraï ! »
Par la suite, Yamamoto Jin’emon avait l’habitude de rassembler ses
enfants autour de lui et de leur dire : « Grandissez pour devenir de
valeureux guerriers, et soyez utiles à votre maître. » Et il ajoutait ce
commentaire : « Il est bon de souffler ces choses à l’oreille des enfants
lorsqu’ils sont encore trop jeunes pour les comprendre. »
***
Lorsque Sahei Kiyoji, le fils légitime d’Ogawa Toshikiyo, mourut, un
jeune serviteur se précipita au temple pour faire seppuku.
***
Lorsque Taku no kami Yasuyori mourut, Koga Yataemon dit qu’il
n’avait pas su rendre au maître sa bonté et commit tsuifuku.
1 Ryûzôji Takanobu (1529-1584), petit-fils de Ryûzôji Iekane, fut le
dernier daimyô du clan Ryûzôji.
2 Fils de Nabeshima Katsushige.
3 Coquillage comestible également appelé « oreille de Neptune ».
4 Forme de suicide rituel. Seppuku pratiqué par les samouraïs à
l’occasion de la mort de leur seigneur.
5 Le shôgi est un jeu d’échecs japonais traditionnel. Littéralement, le
terme signifie : « jeu d’échecs des généraux ».
6 Par décret de Toyotomi Hideyoshi (1536-1598), les parties de shôgi
étaient au nombre des devoirs des seigneurs.
Samouraï en armure, 1860.
8. Livre septième
Narutomi Hyôgo a dit : « La victoire consiste à vaincre ses alliés.
Vaincre ses alliés, c’est se vaincre soi-même. Se vaincre soi-même, c’est la
victoire de la volonté sur le corps. Corps et esprit doivent devenir durs
comme de l’acier au point de pouvoir agir sur la volonté de dix mille
hommes. Si l’on n’est pas maître de son corps et de son esprit, on ne
vaincra pas l’ennemi. »
***
Au cours de la rébellion de Shimabara, et alors que son armure était
restée au campement, Shugyô Echizen no kami Tanenao se rendit sur le
champ de bataille vêtu de son hakama et de son haori1. Il est dit qu’il est
mort dans cette tenue.
***
Lors de l’attaque du château de Shimabara, Tazaki Geki portait une
splendide armure. Le seigneur Katsushige s’en trouva offensé, et par la
suite, à chaque fois qu’il remarquait une tenue par trop démonstrative, il
disait : « On dirait l’armure de Geki. »
Depuis lors, les armures trop voyantes sont considérées comme une
marque de faiblesse et de manque de courage. On peut y voir le reflet de
celui qui la porte.
***
Lorsque Nabeshima Hizen no kami Tadanao mourut, son intendant Ezoe
Kinbei apporta ses cendres au mont Kôya pour les consacrer. Puis il vécut
en ermite et sculpta une statue de son maître, et une autre de lui-même en
train de faire révérence à son maître. Le jour du premier anniversaire de la
mort de Tadanao, Kinbei rentra chez lui et commit tsuifuku. La statue fut
transférée du mont Kôya au temple de Kôdenji.
***
Ôishi Kosuke était soldat au service du seigneur Mitsushige. À chaque
fois que Mitsushige faisait le voyage pour se rendre à Edo afin de résider
une année auprès du shôgun, Kosuke faisait chaque nuit des tours de garde
dans les quartiers de son maître. Si un endroit lui paraissait peu sûr, il
étendait une natte de paille et passait la nuit à veiller. Par temps de pluie, il
portait un simple chapeau de feuilles de bambou et une cape de papier
huilé, et montait la garde sous les torrents de pluie. Il est dit qu’il n’a jamais
manqué une seule nuit à son devoir.
***
Un jour que le seigneur Katsushige chassait à Nishime, un événement le
plongea dans une terrible colère. Il dégaina son sabre et se mit à frapper
Soejima Zennojô, mais le sabre lui échappa et tomba dans un ravin.
Zennojô s’y précipita et ramassa le sabre, avant de remonter et de le
présenter à son maître. En termes de vivacité d’esprit et de jugement,
Zennojô est inégalé.
***
Un jour que le maître Sano Ukyô traversait la rivière Takao, le pont était
en réparation et un lourd pilotis barrait le passage. Le maître Ukyô
descendit de sa monture, empoigna fermement le pilotis, poussa un cri
terrible et se mit à le soulever. Finalement, le pilotis coula. En rentrant chez
lui, Ukyô fut pris de malaise et mourut subitement.
Lors de ses funérailles au temple de Jôbaru, alors que la procession
traversait le pont de la rivière Takao, le corps glissa du cercueil et tomba
dans les flots. Un acolyte2 de Shufukuji âgé de seize ans sauta promptement
dans la rivière et saisit le cadavre. Tout le monde se précipita vers la rive et
sortit le corps de l’eau. Le moine supérieur en fut fort impressionné et
signifia aux autres acolytes de prendre exemple sur ce jeune homme. Il est
dit que celui-ci devint plus tard un moine de renom.
***

Jin’emon ordonna à son fils Yamamoto Kichizaemon3, alors âgé de cinq


ans, de décapiter un chien. De même, à l’âge de quinze ans, il décapita un
criminel. Tout les jeunes hommes, vers l’âge de quatorze ou quinze ans,
recevaient l’ordre de trancher une tête sans coup férir. Lorsque le seigneur
Katsushige était jeune, le seigneur Naoshige lui ordonna de s’entraîner à la
décapitation au sabre. Il est dit qu’à cet âge, Katsushige pouvait trancher
plus de dix têtes à la suite.
Jadis, cette pratique était courante, surtout dans les classes supérieures,
mais de nos jours, même les enfants des classes inférieures ne s’exercent
plus à la décapitation, et cela relève de la plus grande négligence. Les gens
se cachent derrière des excuses, arguant que cela est inutile, qu’il n’y a
aucun mérite à tuer un condamné à mort, que c’est un crime, ou encore que
c’est un acte dégradant. On en arrive à penser que puisque la valeur
martiale d’une personne est faible, il est normal qu’elle passe son temps à
soigner ses ongles et à s’occuper de son apparence.
Si l’on s’intéresse à l’état d’esprit d’un homme qui rechigne à s’exercer
à la décapitation, on remarque bien vite qu’il ne fait que produire des
excuses prétendument intelligentes pour masquer son manque de cran. Mais
le seigneur Naoshige donnait ce genre d’ordre uniquement parce qu’il
s’agissait d’une chose qui devait être faite.
L’an passé, je me suis rendu sur la place des exécutions de Kase afin
d’exercer mon bras à la décapitation, et j’en suis revenu parfaitement
revigoré. Y voir quelque chose de perturbant est une marque de lâcheté.
***
Tomoda Shôzaemon était l’un des pages au service du seigneur
Mitsushige. C’était un garçon plutôt volage, qui tomba amoureux d’un
acteur de théâtre du nom de Tamon Shôzaemon. Il adopta le nom et les
armoiries familiales de son amant et se laissa complètement aller à sa
passion amoureuse, dépensant jusqu’à ses derniers sous, perdant même son
mobilier et ses vêtements. Vint le moment où, complètement démuni, il
vola le sabre de Mawatari Rokubei et demanda à un lancier de l’apporter à
un prêteur sur gages. Cependant, le lancier parla de cette affaire, et après
une enquête menée par Yamamoto Gorôzaemon4, le seigneur Mitsushige
jugea promptement que Tomoda Shôzaemon et le lancier devaient être
condamnés à mort.
Tomoda Shôzaemon se donna une certaine contenance pour déclarer :
« Très bien. J’ai compris ce que vous avez dit et je rends grâce à vos
paroles. » Cependant, une machination fut mise au point : bien qu’on lui ait
présenté le kaishaku5, il était prévu qu’un soldat sorte soudain du rang pour
le décapiter. Tomoda Shôzaemon s’avança sur la place de l’exécution, salua
calmement son kaishaku, mais lorsque le soldat jaillit du rang en
brandissant son épée, il se rebella et hurla : « Qui es-tu ? Il n’est pas
question que ce soit toi qui me coupe la tête ! » Dès ce moment, son esprit
fut très confus et il fit preuve d’une terrible lâcheté. Finalement, il fut
maîtrisé, plaqué au sol et décapité.
Plus tard, Yamamoto Gorôzaemon fit cette confidence : « Si l’on n’avait
pas tenté de le tromper, il aurait sans doute accueilli la mort avec dignité. »
***
Noda Kizaemon fit la réflexion suivante au sujet de la fonction de
kaishaku : « Lorsqu’un homme arrive sur la place d’exécution et perd le
contrôle de son esprit, il se met souvent à ramper en tous sens. Il devient
alors difficile d’accomplir sa fonction de kaishaku dans la dignité. Il
convient d’attendre un peu et de rassembler ses forces. Il faut ensuite
parvenir à maintenir sa résolution et ne pas rater l’opportunité de pratiquer
une décapitation franche et nette. »
***
Au temps du seigneur Katsushige, il y avait des serviteurs qui étaient
appelés au service du maître durant leur jeunesse, qu’ils fussent de haute
lignée comme de basse extraction. Shiba Kizaemon fut de ceux-là. Un jour
que le seigneur venait de se couper les ongles, il dit à Kizaemon de jeter les
rognures. Ce dernier les ramassa et resta en position agenouillée. « Que se
passe-t-il ? » demanda Katsushige. Kizaemon répondit : « Il en manque
une. » Le seigneur dit : « La voici », et il ouvrit la main pour dévoiler celle
qu’il avait cachée.
***
Il fut ordonné à Sawabe Heizaemon de commettre seppuku le onzième
jour du onzième mois de la deuxième année de Tenna. Comme il en fut
informé durant la nuit du dixième jour, il envoya une missive à Yamamoto
Tsunetomo, demandant à celui-ci d’être son kaishaku. Voici le contenu de la
réponse faite par Yamamoto Tsunetomo, alors âgé de vingt-quatre ans :
« Je respecte infiniment votre résolution et accepte votre demande
d’être votre kaishaku. Je sens instinctivement que je devrais pourtant
décliner cette requête, mais comme cela doit avoir lieu demain, ce n’est pas
le moment de se cacher derrière une excuse et je me montrerai à la hauteur
de ce qui m’est demandé. Le fait que votre choix se soit porté sur ma
personne constitue un grand honneur. Vous pouvez donc envisager la suite
des évènements avec une totale tranquillité d’esprit. Bien que la nuit soit
déjà avancée, je vais me rendre chez vous afin de discuter des détails de
tout ceci. »
Lorsque Heizaemon lut cette réponse, il est dit qu’il fit ce commentaire :
« Voici une lettre remarquable. »
Pour les samouraïs, le fait d’être sollicité en tant que kaishaku était de
mauvais augure. Il n’y a aucune gloire à en tirer, quand bien même la tâche
est parfaitement accomplie. Par contre, si le kaishaku commet la plus petite
erreur, il est alors frappé d’une disgrâce qui le suivra pour le restant de ses
jours.
***
Tanaka Yahei était à Edo pour affaires lorsque l’un de ses laquais fit
preuve d’irrespect. Tanaka Yahei le réprimanda vertement. Au cours de la
nuit suivante, Yahei entendit quelqu’un monter les escaliers. Cela lui parut
suspect et il se leva en silence. Son sabre court à la main, il demanda qui
était là. Il s’avéra que c’était le laquais réprimandé au cours de la journée,
qui cachait dans sa manche un sabre court. D’un bond, Yahei fondit sur lui
et le pourfendit d’un seul coup de sabre. Par la suite, j’entendis de
nombreuses personnes dire qu’il avait eu beaucoup de chance.
***
Un certain maître Tokuhisa était depuis sa naissance différent des autres
et il s’avéra qu’il était simple d’esprit. Un jour, il servit une salade de silure
à ses invités, qui se mirent tous à en rire. Plus tard, lors d’une réunion au
château, quelqu’un se moqua de lui en rappelant cet épisode. Tokuhisa
brandit son sabre et pourfendit l’homme en question. Cela déboucha sur une
enquête et on rapporta au seigneur Naoshige : « Il est recommandé que
Takuhisa commette seppuku, car une telle conduite est inadmissible dans
l’enceinte du château. »
Le seigneur Noashige dit alors : « Rester silencieux face à une moquerie
relève de la lâcheté. Cela n’a aucun rapport avec le fait d’être ou non dans
l’enceinte du château. Un homme qui se moque d’autrui est lui-même un
imbécile. Il a donc été tué par sa propre faute. »
***
Un jour que Nakano Mokunosuke embarquait à bord d’un petit bateau
pour profiter de la fraîcheur enveloppant la rivière Sumida, un voyou y prit
place en même temps que lui et se comporta avec la dernière grossièreté. Le
voyant se soulager par-dessus bord, Mokunosuke lui trancha la tête, laquelle
tomba dans la rivière, tandis que le corps décapité s’écroula dans
l’embarcation. Pour que personne ne le remarque, Mokunosuke recouvrit le
cadavre puis dit au batelier : « Cette affaire ne doit pas être ébruitée.
Remontez la rivière et allez enterrer le corps sur la rive. Je vous paierai
grassement pour cela. »
Le batelier fit ce qui lui était demandé, mais lorsqu’il eût enterré le
corps, Mokunosuke lui trancha la tête à lui aussi et s’en retourna
immédiatement. Il est dit que cet événement n’a jamais été ébruité.
Pourtant, un jeune prostitué se trouvait également à bord du bateau.
Mokunosuke lui dit : « Il faut apprendre à pourfendre un homme lorsqu’on
est encore jeune », et ce dernier s’exerça au sabre sur le cadavre du batelier.
À cause de son implication, le jeune prostitué tut lui aussi toute cette
affaire.
***
Il est dit que chaque fois qu’Ôki Hyôbu réunissait les membres de son
clan pour discuter des affaires, il concluait par ces mots : « Les jeunes
hommes doivent faire preuve d’une discipline rigoureuse afin d’affermir
leur volonté et leur courage. Cela ne peut se produire que si le courage est
fermement enraciné dans le cœur. Si le sabre est brisé, il faut se battre à
mains nues. Si les mains sont coupées, il faut bondir sur l’ennemi à coups
d’épaules. Si les épaules sont arrachées, il faut broyer de ses dents la nuque
de dix ou quinze ennemis. Voilà ce qu’est le courage. »
***
Shida Kichinosuke a dit : « Au début, il est éprouvant de courir à perdre
haleine. Mais un sentiment extraordinaire vous envahit après la course.
C’est encore meilleur lorsque l’on s’assied. C’est encore meilleur lorsque
l’on s’allonge. C’est encore meilleur lorsque l’on dispose d’un oreiller et
que l’on dort profondément. Toute la vie d’un homme devrait être ainsi :
s’exercer à l’extrême lorsque l’on est jeune, et dormir lorsque l’on est âgé
ou sur le point de mourir. »
Ces paroles furent rapportées par Shimomura Rokurôuemon.
Shida Kichinosuke a exprimé la même pensée au travers de cette
phrase : « La vie d’un homme doit être aussi épuisante que possible, afin
que sa mort soit paisible. »
***
Lorsque Ueno Rihei était inspecteur des finances à Edo, il avait un
jeune assistant avec lequel il se comportait de façon très intime. Durant la
première nuit du huitième mois, ils s’en allèrent boire en compagnie de
Hashimoto Taemon, inspecteur des soldats, et Ueno Rihei s’enivra tant qu’il
perdit le sens des réalités. En rentrant chez lui accompagné de son jeune
assistant, il débitait d’incompréhensibles paroles d’ivrogne. Une fois arrivé,
Rihei déclara à l’assistant qu’il allait le pourfendre. Celui-ci écarta d’un
geste le fourreau du sabre de Rihei. Une empoignade s’ensuivit et les deux
hommes roulèrent dans le caniveau. Un serviteur de Rihei se précipita alors
et mit en fuite le jeune assistant.
Cette affaire fit l’objet d’une enquête, durant laquelle Ueno Rihei fut
enfermé dans la prison de Naekiyama. Finalement il fut condamné à mort
par décapitation. Quelque temps auparavant, alors que Rihei vivait dans le
quartier commerçant d’Edo, il avait eu un différend avec un valet et avait
tué ce dernier. Mais à cette époque, son comportement fut jugé approprié et
digne d’un homme. Cette fois, cependant, ses actes étaient à la fois
scandaleux et injustifiés.
Si l’on considère cette affaire, on comprend que s’enivrer au point de
brandir son sabre confine à la lâcheté et à la faiblesse d’esprit. Le jeune
assistant de Rihei était originaire de Taku, mais l’histoire a oublié son nom.
Bien qu’il fût de basse extraction, c’était un homme brave. Il est dit que
Hashimoto Taemon a commis seppuku durant l’enquête.
***
L’histoire qui suit est consignée dans la douzième section du cinquième
chapitre du Ryoankyô6 :
Dans la province de Hizen vivait un homme originaire de Taku qui, bien
qu’atteint de variole, voulut participer à l’attaque du château de Shimabara.
Ses parents tentèrent sincèrement de l’en dissuader, usant de l’argument
suivant : « Atteint d’une maladie si grave, même si tu arrivais jusqu’au
château de Shimabara, de quelle utilité pourrais-tu être ? » Ce à quoi il
répondit : « Même le fait de mourir sur le chemin du château de Shimabara
me remplirait de satisfaction. Comment, après avoir bénéficié de la bonté
du maître, pourrais-je me résigner à ne lui être d’aucune utilité ? » Et il
partit pour la bataille.
Bien que ce fût l’hiver et que le froid fût extrême, il ne porta pas
d’attention particulière à sa santé, ne prit pas le soin de se couvrir
chaudement, ni ne quitta son armure, qu’il portait de jour comme de nuit.
On aurait pu dire qu’il négligeait sa personne, et pourtant, il recouvra une
pleine santé et put accomplir parfaitement son devoir.
Lorsque cela arriva aux oreilles de Suzuki Shôzô, il dit : « N’est-ce pas
un acte de purification que de donner sa vie pour son maître ? Lorsqu’un
homme est prêt à mourir au nom de la vertu, il est inutile d’en appeler au
dieu de la variole. Tous les dieux du ciel le protègent. »
***

Durant la période Genroku7 vivait dans la province de Ise un samouraï


de basse condition du nom de Suzuki Rokubei. Atteint d’une forte fièvre, sa
conscience s’amenuisait. Un certain docteur, venu l’examiner, laissa
s’exprimer sa cupidité et tenta d’ouvrir le coffre de Rokubei pour lui voler
son argent. Le malade se réveilla soudain, saisit son sabre et tua le docteur
d’un seul coup de lame, avant de retomber sur sa couche et de mourir lui
aussi. Au travers de ce geste, le samouraï a prouvé qu’il avait su rester
jusqu’au bout un homme de principes.
On m’a raconté cette histoire alors que je me trouvais à Edo. Plus tard,
j’ai rencontré le docteur Nagatsuka, lui aussi originaire de la province d’Ise,
et je l’ai interrogé sur la véracité de cette histoire. Il m’a confirmé qu’elle
était en tous points vraie.
1 Le hakama est un pantalon large et échancré, le haori est une veste de
kimono courte.
2 Jeune moine.
3 L’un des frères aînés de Yamamoto Tsunetomo.
4 63 Un neveu de Yamamoto Tsunetomo.
5 Lors d’un suicide rituel, le kaishaku est l’assistant qui tranche la tête
de l’homme venant de s’éventrer (kappuku) avec un sabre court.
6 Ouvrage rassemblant les enseignements du moine zen Suzuki Shôzô
(1579-1655).
7 Règne allant de 1688 à 1704.
« Yoshitsune et Benkei contemplant un cerisier en fleur », par
Yoshitoshi Tsukioka, 1885.
9. Livre huitième
La nuit du treizième jour du neuvième mois de la quatrième année de
Teikyô, à Sayanomoto, une dizaine d’acteurs de théâtre Nô contemplaient la
lune dans la demeure de Nakayama Mosuke, un fantassin. Naotsuka
Kanzaemon commença à moquer la petite taille d’un autre fantassin, Araki
Kyûzaemon, et fut bientôt imité par les autres. Araki, en colère, tua
Kanzaemon d’un coup de sabre, puis se mit à frapper ceux qui se trouvaient
à portée de sa lame.
Bien qu’il souffrît d’une blessure à une main, Matsumoto Rokuzaemon
descendit dans le jardin, saisit Araki par derrière de sa main valide, et dit :
« Le gens comme vous, je leur tords le cou d’une seule main ! » Il écarta le
sabre d’Araki, le poussa vers le seuil de la demeure et le maintint au sol en
l’écrasant de son genou, mais lorsqu’il voulut l’étrangler, il défaillit et Araki
reprit le dessus, saisit à nouveau son sabre et recommença à frapper tous
ceux qui étaient à sa portée, jusqu’à ce que maître Hayata (plus tard appelé
Jirozaemon) ne l’affronte avec une lance. Finalement, Araki croula sous le
nombre. Il fut par la suite condamné à faire seppuku, et tous ceux impliqués
dans cette affaire furent défaits de leur charge à cause de leur imprudence et
devinrent rônin. Seul maître Hayata fut pardonné.
Les souvenirs de Tsunetomo concernant cette histoire n’étant pas
parfaitement clairs, il est conseillé de se renseigner à son sujet.
***
Il y a quelques années, une lecture de soutras eut lieu à Jissôin, dans la
province de Kawakami. Une demi-douzaine d’hommes de Kon’yamachi et
de la région de Tashiro s’y étaient rendus, et sur le chemin du retour, ils
décidèrent de s’arrêter quelque temps pour boire. Parmi eux était un certain
serviteur de Kizuka Kyûzaemon qui déclina l’invitation, préférant rentrer
chez lui avant la tombée de la nuit. Les autres s’enivrèrent et finirent par se
trouver impliqués dans une rixe, au cours de laquelle ils tuèrent tous leurs
adversaires.
Tard dans la nuit, le serviteur de Kyûzaemon fut mis au courant de cette
affaire et se rendit aussitôt dans les quartiers de ses compagnons. Il écouta
tous les détails de leur histoire et dit : « Vous allez devoir vous expliquer.
Dites que j’étais avec vous et que j’ai participé à la tuerie. C’est ce que moi-
même je dirai à Kyûzaemon. Ainsi, je serai comme vous condamné à mort.
C’est là mon désir le plus sincère. Même si j’expliquais au maître que je
suis rentré chez moi avant vous, il ne me croirait pas. Kyûzaemon s’est
toujours montré sévère, et quand bien même les enquêteurs me disculpaient,
je serais exécuté pour lâcheté sous les yeux du maître. Il serait très
regrettable de mourir entaché d’une si mauvaise réputation. Puisque le
destin veut que nous mourions tous un jour ou l’autre, je préfèrerais mourir
pour avoir tué un homme. Si vous n’êtes pas d’accord avec moi, je m’ouvre
le ventre sur-le-champ, ici même. »
N’ayant pas le choix, ses compagnons acceptèrent de se conformer à
cette nouvelle version des faits. Toutefois, au cours de l’enquête, à rebours
des déclarations de chacun d’eux, il fut établi que le serviteur était rentré
chez lui plus tôt que les autres. Les enquêteurs furent impressionnés et lui
rendirent hommage.
Cette affaire m’a été rapportée dans les grandes lignes, aussi vais-je en
étudier les détails.
***
Un jour que Nabeshima Aki no kami Shigetake prenait son repas, un
visiteur se présenta à l’improviste, obligeant son hôte à laisser son plateau.
Plus tard, un serviteur s’assit devant le plateau et commença à manger le
poisson frit. À ce moment précis, le seigneur Aki le surprit, et le serviteur,
très troublé, s’enfuit. Le seigneur Aki hurla : « Quel genre d’esclave dévoyé
faut-il être pour manger dans le plateau de quelqu’un d’autre ! » Puis il
s’assit et termina son repas.
Cette histoire me fut rapportée par Jin’emon. Il est dit que ce serviteur
fut l’un de ceux qui commirent tsuifuku à la mort du maître.
***
Yamamoto Jin’emon répétait souvent à ses serviteurs : « Allez en ville,
pariez et mentez. Un homme qui n’est pas capable de raconter sept
mensonges en parcourant une distance de cent mètres n’est d’aucune
utilité. » Jadis, les hommes parlaient ainsi parce qu’ils s’intéressaient
uniquement à l’attitude d’un homme envers les affaires militaires, et
considéraient qu’un homme pétri de courtoisie et de bonnes manières
n’accomplirait jamais rien de grand en tant que samouraï. Ces écarts de
conduite étaient absous par la vertu martiale.

Des hommes comme Sagara Kyûma1 excusaient les samouraïs qui


s’étaient rendus coupables de larcins et d’adultère, et continuaient à les
pousser vers l’excellence. Kyûma disait : « Ce sont les seuls à pouvoir
devenir les plus valeureux. »
***
Ikuno Oribe a dit : « Si un serviteur ne pense qu’à ce qu’il doit faire le
jour présent, il est capable d’accomplir n’importe quel devoir. Demain ne
sera également que le jour présent. »
***

À l’époque où le seigneur Nabeshima Tsunashige2 n’avait pas encore


succédé à son père, le moine zen Kuro Takiyama Chô’on3 lui enseigna le
bouddhisme. Comme il avait connu une illumination, le moine s’apprêtait à
lui remettre un certificat d’élévation dans le bouddhisme, et cette nouvelle
se propagea dans tout le fief. Apprenant cette nouvelle, Yamamoto
Gorôzaemon, qui était alors le serviteur de Tsunashige, comprit aussitôt
quel fourvoiement se profilait. Résolu à faire entendre raison au moine, par
le sabre s’il le fallait, il se rendit chez ce dernier, lequel, pensant voir arriver
un pèlerin, le reçut avec beaucoup de dignité. Gorôzaemon s’approcha de
lui et dit : « Je dois vous parler seul à seul. Renvoyez vos disciples. On dit
que vous allez remettre à Tsunashige un certificat d’élévation dans le
bouddhisme. Comme vous êtes originaire de Hizen, vous devez connaître
les traditions des clans Ryûzôji et Nabeshima. La gouvernance de notre fief,
contrairement à d’autres, assure une harmonie entre les hautes et les basses
classes, et cela grâce à une transmission du pouvoir de génération en
génération. Par le passé, jamais un daimyô ne s’est vu remettre un certificat
d’élévation dans le bouddhisme. Si vous le faites maintenant, Tsunashige va
se considérer comme un éveillé bouddhiste et méprisera l’état d’esprit
traditionnel qui prévaut dans notre clan. Un grand homme deviendra un
homme inutile. Il est hors de question qu’il reçoive ce certificat. Dussé-je
pour cela vous tuer. »
Entendant ces propos pleins de détermination, le moine Chô’on pâlit
quelque peu et répondit : « Bien. Vos intentions sont sincères et dignes de
confiance. De plus, je constate que vous êtes fort au fait des affaires de
votre clan. Vous êtes un serviteur loyal. »
Gorôzaemon dit alors : « Je vois clair dans votre stratagème. Je ne suis
pas venu ici entendre chanter mes louanges. Répondez seulement à ma
question : allez-vous oui ou non renoncer à ce projet de remise de
certificat ? »
Chô’on répondit : « Vos paroles sont sensées. Je ne remettrai pas ce
certificat à Tsunashige. »
Yamamoto Tsunetomo tient cette histoire de Yamamoto Gorôzaemon en
personne.
***
Huit samouraïs prirent la route pour aller s’adonner à quelques
réjouissances. Deux d’entre eux, Komori Eijun et Ôtsubô Jin’emon se
rendirent dans une maison de thé située en face du temple de Kannon à
Asakusa4. Ils eurent un différend avec les employés qui leur administrèrent
une sévère correction. Les autres samouraïs, qui faisaient une promenade en
bateau, furent mis au courant de cette affaire. Mutô Rokuemon dit : « Nous
devrions nous y rendre et nous venger. » Yoshii Yoichiemon et Ezoe Jinbei
approuvèrent. Cependant, les autres les en dissuadèrent par ces arguments :
« Cela ne fera qu’apporter des problèmes à notre clan. » Et tous rentrèrent
chez eux.
Lorsqu’ils arrivèrent à demeure, Rokuemon répéta : « Nous devrions
réellement aller nous venger ! », mais les autres l’en dissuadèrent à
nouveau.
Malgré leurs blessures aux bras et aux jambes, Komori Eijun et Ôtsubô
Jin’emon avaient tué les employés de la maison de thé, tandis que les autres
furent réprimandés par le maître.
Par la suite, cette histoire inspira des commentaires. Quelqu’un dit : « Si
l’on attend l’assentiment des autres pour se venger, il ne se passera rien. Il
faut posséder suffisamment de résolution pour agir seul, quand bien même
on y laisserait sa vie. Celui qui exhorte à la vengeance mais n’agit pas n’est
qu’un hypocrite. Un véritable guerrier ne parle pas, il agit et meurt. Il n’est
pas nécessaire d’atteindre son but pour le montrer valeureux : il suffit d’agir
avec courage, quitte à en mourir. De telles personnes sont plus à même
d’atteindre leur but. »
***
Ichiyûken était un valet de cuisine du seigneur Takanobu. En raison
d’une rancune née d’un désaccord concernant une question de lutte, il
pourfendit sept ou huit hommes et fut ainsi condamné à commettre
seppuku. Lorsque cela arriva aux oreilles du seigneur Takanobu, il lui
pardonna et dit : « En ces temps déchirés par les conflits, les hommes
braves sont de première importance. Cet homme semble doté d’une grande
bravoure. »
Ainsi, lors de la bataille de la rivière Uji, le seigneur Takanobu emmena
Ichiyûken avec lui, et ce dernier y acquit une gloire inégalée, fendant
l’avant-garde ennemie pour y infliger de nombreuses pertes.
Lors de la bataille de Takagi, Ichiyûken s’enfonça si profondément dans
les rangs ennemis que le seigneur Takanobu, craignant le perdre, le fit
rappeler. Comme sa propre avant-garde ne parvenait à progresser, il se jeta
lui-même au cœur de la bataille pour aller chercher Ichiyûken, qu’il parvint
à saisir par la manche. Celui-ci avait déjà de nombreuses blessures à la tête,
dont il avait stoppé le saignement par l’application de feuilles vertes
maintenues par une fine serviette.
***
Denko est né à Taku, et sa famille comptait son frère aîné Jirobei, son
jeune frère et sa mère. Vers le neuvième mois, la mère de Denko emmena le
fils de Jirobei écouter des soutras. Au moment de rentrer à la maison,
l’enfant, en rechaussant ses sandales de paille, marcha malencontreusement
sur le pied d’un homme. Celui-ci en prit ombrage, réprimanda l’enfant, une
dispute s’ensuivit, l’homme tira son sabre court et tua l’enfant. La mère de
Jirobei, abasourdie, empoigna l’homme qui la tua à son tour. Puis il rentra
chez lui.
Cet homme s’appelait Gorôuemon, c’était le fils d’un rônin du nom de
Nakajima Moan. Son jeune frère était le moine ascétique Chuzôbô. Moan
avait été le conseiller du maître Mimasaka, et Gorôuemon percevait un
traitement.
Quand les circonstances de cette affaire furent connues dans la maison
de Jirobei, son plus jeune frère se rendit chez Gorôuemon. Trouvant la porte
fermée de l’intérieur, il déguisa sa voix et se fit passer pour un visiteur.
Lorsque la porte s’ouvrit, il hurla son vrai nom et croisa le sabre avec son
ennemi. Les deux hommes tombèrent sur le tas d’ordures, mais finalement
Gorôuemon fut tué. C’est alors qu’arriva Chuzôbô, qui pourfendit le plus
jeune frère de Jirobei.
Apprenant cela, Denko se rendit immédiatement chez Jirobei et dit :
« Un seul de nos ennemis est mort, alors que nous avons perdu trois
membres de notre famille. Cela est extrêmement regrettable. Pourquoi ne
vas-tu pas tuer Chuzôbô ? » Cependant, Jirobei resta sans réaction.
Denko jugea cela honteux, et bien que moine bouddhiste, il décida de
venger sa mère, son jeune frère et son neveu. Cependant, il savait qu’en tant
que simple moine, il encourait les représailles de maître Mimasaka, aussi
redoubla-t-il d’efforts pour devenir un moine de haut rang dans le temple de
Ryûunji, à Saga. Puis il se rendit chez le forgeron Iyonojô et lui demanda de
lui fabriquer un sabre long et un sabre court. Pour le payer, il devint son
apprenti et participa à la forge des deux sabres.
Le vingt-troisième jour du neuvième mois de l’année suivante, Denko
était prêt. Profitant d’une visite impromptue, il quitta secrètement le temple,
déguisé en laïc. Il se rendit à Taku et, se renseignant sur Chuzôbô, apprit
que celui-ci s’était réuni avec de nombreuses autres personnes afin
d’admirer la lune. Il ne pouvait donc pas agir dans l’immédiat. Ne voulant
pas perdre de temps, il se dit que son désir serait satisfait s’il allait tuer le
père, Moan. Il se rendit chez lui, força le passage jusqu’à sa chambre, se
présenta et tua Moan. Lorsque les gens du voisinage accoururent et
l’encerclèrent, il expliqua toute l’histoire, jeta ses deux sabres au sol et prit
le chemin du temple de Ryûunji. La nouvelle précéda son retour à Saga, et
un bon nombre de ses disciples se précipitèrent pour l’escorter.
Le maître Mimasaka fut extrêmement indigné par la nouvelle de la mort
de Moan, mais comme Denko était un moine de haut rang d’un temple du
clan Nabeshima, il ne pouvait rien faire. Finalement, par l’intermédiaire de
Nabeshima Toneri, il fit parvenir une missive au moine Tannen, le
responsable du temple de Kôdenji, qui disait : « Lorsqu’un moine a tué un
homme, il devrait être condamné à mort. » Tannen répondit en ces termes :
« La punition d’un moine dépend du temple de Kôdenji. Merci de ne pas
vous en mêler. »
La colère du maître Mimasaka ne fit que croître, et il demanda : « Quel
genre de punition sera-ce donc ? » Tannen répondit : « Bien que cela n’ait
aucune espèce d’importance pour vous de le savoir, mais vu votre
insistance, je vous le dis : selon la règle bouddhiste, un moine renégat est
privé des vêtements de sa charge et est chassé. »
Au temple de Kôdenji, Denko dut rendre ses vêtements religieux, et
alors qu’on s’apprêtait à le chasser, des novices portant sabres longs et
courts, ainsi qu’un grand nombre de disciples, l’entourèrent afin de le
protéger, et l’escortèrent jusqu’à Todoroki, ce qui représentait une très
longue distance. Par la suite, Denko vécut à Chikuzen, où tous le reçurent
de façon fort courtoise, et où il était en forts bons termes avec les
samouraïs. Cette histoire se propagea très largement, et Denko, où qu’il
aille, ne fut jamais inquiété.
***
Horie San’emon commit le crime de dérober de l’argent dans la
demeure des Nabeshima à Edo avant de s’enfuir vers une autre province. Il
fut rattrapé et avoua son forfait. La sentence fut ainsi prononcée : « En
raison de son grave crime, il doit être torturé à mort », et Nakano Daigaku
fut nommé pour veiller au bon déroulement de l’exécution. Tout d’abord,
les cheveux et poils recouvrant le corps de Horie San’emon furent brûlés,
puis ses ongles arrachés. On lui sectionna les tendons, lui fit diverses
perforations ainsi que d’autres tortures. Pas une seule fois Horie San’emon
ne broncha, et son visage ne pâlit même pas. On lui incisa largement le
corps, on versa dessus de l’huile de soja bouillante, et finalement on lui
cassa le dos.
***
Un jour que Fukuchi Rokurôuemon quittait le château, le palanquin
d’une dame de haut rang passa devant la demeure de maître Taku, et un
homme qui se trouvait là exprima ses courtoises salutations. Un hallebardier
qui accompagnait le palanquin dit à l’homme : « Tu ne t’es pas courbé
suffisamment », et le frappa à la tête avec le manche de sa hallebarde. En
passant la main sur son crâne, l’homme constata qu’il saignait. Il se releva
et dit : « Vous m’avez outragé alors que je me suis montré courtois. C’est
regrettable. » Sur ces paroles, il pourfendit le hallebardier d’un seul coup de
sabre.
Le palanquin poursuivit son chemin, mais Rokurôuemon brandit sa
lance, se posta devant l’homme et dit : « Rangez votre sabre. Dans
l’enceinte du château, il est proscrit de circuler avec une lame nue. »
L’homme répondit : « Ce qui vient d’arriver était inévitable, et je ne pouvais
agir autrement. Vous vous en êtes certainement rendu compte. Bien que
j’aimerais ranger mon sabre, il m’est difficile de le faire, étant donné le ton
que vous employez. Cela n’est guère plaisant, mais je suis prêt à relever le
défi. »
Rokurôuemon rangea immédiatement sa lance et dit courtoisement :
« Vos paroles sont raisonnables. Je me nomme Fukuchi Rokurôuemon. Je
me porterai témoin de votre conduite admirable. De plus, je vous
soutiendrai, fût-ce au péril de ma vie. Maintenant, rangez votre sabre. »
« Avec plaisir », répondit l’homme, qui dit qu’il était serviteur de Taku
Nagato no kami Yasuyori. Rokurôuemon l’accompagna et expliqua les
circonstances des évènements qui venaient de se dérouler. Mais le seigneur
Nagato, sachant que c’était la femme d’un noble qui se trouvait dans le
palanquin, ordonna à son serviteur de faire seppuku.
Rokurôuemon s’avança et dit : « J’ai donné ma parole de samouraï que
si cet homme devait faire seppuku, alors je le ferais en premier. »
Il est dit que cela clôtura l’affaire sans que davantage de sang ne fût
versé.
***

Le seigneur Nabeshima Shima no kami Shigesato5 envoya un messager


à son père, le seigneur Nabeshima Aki no kami Shigetake6, qui dit :
« J’aimerais faire un pèlerinage au sanctuaire d’Atago Jinja7 à Kyôto. » Le
seigneur Aki demanda pour quelle raison, et le messager répondit :
« Comme Atago est le dieu de la guerre, je souhaite qu’il m’apporte la
victoire sur le champ de bataille. »
Le seigneur Aki ne mit en colère et dit : « Cela est parfaitement inutile.
Pourquoi l’élite guerrière du clan Nabeshima devrait-elle s’en remettre à
Atago Jinja ? Si l’incarnation d’Atago devait combattre dans les rangs
ennemis, nous la couperions proprement en deux ! »
***
Alors que Nakano Takumi Shigetoshi était mourant, il rassembla ses
serviteurs et dit : « Vous devez comprendre que la résolution d’un serviteur
comporte trois conditions : la volonté du maître, la vitalité et la mort.»
***
Un jour, des hommes s’étaient rassemblés sur la place de la citadelle du
château, et l’un d’eux dit à Uchida Shôuemon : « On dit que tu enseignes
l’art du sabre, mais à en juger par ton comportement quotidien, ton
enseignement doit être quelque peu désordonné. Si on te demandait d’être
kaishaku, il me semble que tu entaillerais le sommet du crâne au lieu de
trancher le cou. »
Ce à quoi Shôuemon répondit : « Il n’en est rien. Dessine un petit point
à l’encre sur ton cou, et je te montrerai que je peux te trancher la tête sans
toucher un seul de tes cheveux. »
***
Alors que Nagayama Rokurôzaemon faisait chemin vers Tôkaidô, il fit
halte à Hamamatsu. Passant devant une auberge, un mendiant se planta face
à son palanquin et dit : « Je suis un rônin d’Echigo. Je suis à court d’argent
et je rencontre de nombreux problèmes. Nous sommes tous deux des
guerriers. Aidez-moi, s’il vous plaît. »
Rokurôzaemon se mit en colère et répliqua : « C’est une insulte de
prétendre que nous sommes tous deux des guerriers. Si j’étais à votre place,
je ferais seppuku sans tarder. Au lieu de mendier par les rues et de vous
couvrir de honte, ouvrez-vous l’estomac immédiatement ! »
Il est dit que le mendiant s’éloigna.
***
Durant sa vie, Makiguchi Yohei fut le kaishaku de nombreux hommes.
Lorsqu’un certain Kanahara dut faire seppuku, Yohei accepta d’être son
kaishaku. Kanahara enfonça la lame du sabre court dans son ventre, mais
fut incapable de le tirer pour pratiquer une éventration horizontale. Yohei
s’approcha de lui et hurla « Ei ! » en tapant du pied. Grâce à cette
impulsion, Kanahara parvint à s’ouvrir complètement le ventre. Après lui
avoir tranché la tête comme l’exigeait son devoir de kaishaku, Yohei versa
une larme et dit : « Malgré tout, il fut jadis l’un de mes très bons amis… »
Cette histoire fut rapportée par maître Sukeemon.
***
Lors d’un seppuku, le kaishaku trancha le cou en faisant en sorte qu’un
lambeau de peau maintienne la tête pendante sur le tronc. Un observateur
officiel dit : « Le travail n’est pas terminé. » Le kaishaku, craignant de voir
sa réputation entachée, se mit en colère, saisit la tête par les cheveux, la
sectionna entièrement et la brandit devant les yeux de l’assemblée, disant :
« Regardez ! » Il est dit que le spectacle fut des plus glaçants. Cette histoire
fut rapportée par maître Sukeemon.
Autrefois, il arrivait que la tête s’envolait sous la violence du coup de
sabre. Il fut alors dit qu’il était plus approprié de la laisser attachée au tronc
par un lambeau de peau, afin qu’elle ne soit pas projetée sur les
observateurs officiels. Cependant, il est à présent de mise de trancher
complètement la tête.
Un homme ayant coupé plus de cinquante têtes dit : « Selon les cas,
même le corps décapité peut vous émouvoir. Coupez trois têtes, vous
n’éprouverez rien, et vous accomplirez votre devoir de kaishaku avec
excellence. Mais lorsque vous coupez votre quatrième ou cinquième tête,
vous commencez à ressentir quelque chose. Comme il s’agit d’une tâche de
la plus haute importance, il convient de ne jamais commettre la moindre
erreur. »
***
Lorsque le seigneur Nabeshima Tsunashige était enfant, Iwamura
Kuranosuke fut chargé de veiller sur lui. Un jour, Kuranosuke remarqua des
pièces d’or disposées devant le jeune Tsunashige. Il questionna le serviteur :
« Pour quelle raison avez-vous mis ces pièces d’or devant le jeune
maître ? » Le serviteur répondit : « Le maître vient d’apprendre qu’un
présent venait de lui être apporté. Comme il a dit qu’il n’avait pas vu ce
présent, je le lui ai apporté. » Kuranosuke réprimanda sévèrement le
serviteur et dit : « Placer des choses si triviales à la vue d’une personne de
si haute importance constitue un manque d’attention extrême. Que tous les
serviteurs soient désormais conscients de cela ! »
Un autre jour, lorsque le seigneur Tsunashige avait environ vingt ans, il
se rendit à la demeure de Naekiyama pour se distraire. Chemin faisait,
Tsunashige demanda une canne. Son porteur de sandale, Miura Jibuzaemon,
tailla un bâton de manière appropriée et s’apprêtait à le présenter au jeune
seigneur. Voyant cela, Kuranosuke intervint, prit le bâton des mains de
Jibuzaemon et le réprimanda sévèrement : « Veux-tu faire de notre révéré
jeune seigneur un homme paresseux ? Même s’il demande un bâton de
marche, il ne faut pas le lui donner. C’est un grave manque d’attention de la
part d’un serviteur. »

Jibuzaemon fut par la suite promu au rang de teakiyari8, et Tsunetomo


tient cette histoire de lui.
1 Ministre de Nabeshima Mitsushige. Voir le Livre premier.
2 Fils de Nabeshima Mitsushige.
3 Également connu sous le nom de Dôkai (1628-1695), moine zen de
grande renommée.
4 Quartier d’Edo.
5 Ministre de Nabeshima Tsunashige.
6 Fils de Ishi Aki no kami Nobutada, adopté par Fukahori Samanosuke.
7 Ce sanctuaire, situé au nord-ouest de Kyôto, est dédié à Atago
Gongen, divinité du feu, de la guerre, et de la consolation des êtres dans
l’au-delà.
8 Samouraï de rang médian.
10. Livre neuvième
Lorsque Shimomura Shôun était de service au château, le seigneur
Naoshige dit : « Il est merveilleux que le seigneur Katsushige soit déjà si
vigoureux et puissant à son âge. À la lutte, il prend le dessus sur ses
camarades, et même sur des combattants plus âgés que lui. »
Shôun répondit : « Bien que je sois un vieil homme, je parie que je peux
le battre, même en restant assis. » Sur ces paroles, il saisit Katsushige et
l’envoya au sol avec tant de force que ce dernier en fut endolori. Puis il dit :
« Se vanter de sa force sans avoir jamais rien prouvé, c’est se couvrir de
honte devant tout le monde. Tu es moins fort que tu en as l’air. » Puis il se
retira.
***
Il est dit que Tokunaga Kichizaemon se plaignait souvent : « Je suis si
vieux désormais que s’il y avait une bataille, je ne serais d’aucune utilité.
Pourtant, j’aimerais quand même mourir en galopant au milieu des rangs
ennemis et être tué en plein combat. Il serait honteux de simplement mourir
dans son lit. »
Il est dit que le moine Gyôjaku entendit cela. Le maître de Gyôjaku était
le moine Yômon, le plus jeune fils de Kichizaemon.
***
Lorsque Sagara Kyûma fut nommé serviteur en chef, il dit à Nabeshima
Heizaemon : « Le maître m’a toujours fort bien traité et maintenant il
m’appelle pour tenir un rang élevé. N’ayant pas de bon serviteur, je crains
que mes affaires personnelles ne soient en désordre. C’est pour cela que je
vous demande de me donner votre serviteur, Tagase Jibusaemon. »
Heizaemon l’écouta attentivement et reçut favorablement sa demande,
ajoutant : « Il est très gratifiant pour moi que vous ayez prêté une telle
attention à mon serviteur. C’est pourquoi je vais agir comme vous le
demandez. »
Mais lorsque Heizaemon rapporta la discussion à Jibusaemon, ce
dernier dit : « Je devrais répondre moi-même à maître Kyûma. » Il se rendit
donc chez Kyûma et parla avec lui. Jubusaemon lui dit : « Je sais que c’est
un grand honneur pour moi que vous me considériez au point de me vouloir
comme serviteur. Mais un serviteur ne peut changer de maître. Comme vous
tenez un haut rang, je serais comblé si je devenais votre serviteur, mais je
serais également déshonoré. Heizaemon occupant un rang bien moins élevé,
notre vie est plus difficile et nous nous nourrissons de simple gruau de riz.
Mais cela me suffit. Je vous prie de reconsidérer votre demande. »
Sagara Kyûma fut extrêmement impressionné par la loyauté du serviteur
de Nabeshima Heizaemon.
***
En rentrant chez lui après un déplacement pour affaires, un homme
trouva sa femme au lit avec l’un de ses serviteurs. Ce dernier s’enfuit par
les cuisines, et l’homme pourfendit sa femme d’un coup de sabre.
Puis il appela la servante, lui expliqua l’affaire et dit : « Cela couvrirait
les enfants de honte, aussi vaut-il mieux faire croire à une mort causée par
une maladie. Je vais avoir besoin de beaucoup d’aide. Si vous pensez que je
vous en demande trop, je vais devoir vous tuer sur-le-champ pour avoir
participé à cette trahison. »
La servante répondit : « Si vous me laissez la vie sauve, j’agirais
comme si j’ignorais tout de cette histoire. » Elle rangea la chambre, revêtit
la défunte et étendit des couvertures sur son corps. Puis, après avoir envoyé
un homme quérir le médecin plusieurs fois de suite, le mari lui fit porter un
dernier message, disant qu’il était trop tard, que sa femme venait de mourir
et qu’il n’était donc plus besoin pour lui de se déplacer. L’oncle de la
femme fut appelé et il crut bel et bien que sa nièce avait succombé à une
maladie. Ce fut donc l’explication officielle, et personne ne connut la vérité.
Plus tard, le serviteur coupable fut renvoyé de la demeure. Cela c’est passé
à Edo.
***
Le jour du nouvel an de la troisième année de Keichô, dans un endroit
de Corée appelé Yolsan, l’armée de Ming aligna des centaines de milliers
d’hommes. Les troupes japonaises furent stupéfaites et retinrent leur
souffle. Le seigneur Naoshige dit : « Bien. Cela fait beaucoup d’hommes !
Je me demande combien de centaines de milliers ils sont. »
Jin’emon dit alors : « Il y a une expression au Japon pour quelque chose
d’innombrable. On dit : “Il y a en autant que de poils sur le dos d’un veau
de trois ans.” » Il est dit que tout le monde rit et reprit ses esprits.
***
Nakano Jin’emon disait toujours : « Un homme qui sert correctement
son maître à la condition d’être bien traité n’est pas un samouraï. Mais un
homme qui sert correctement son maître même si celui-ci est sans cœur est
un vrai samouraï. Il faut parfaitement comprendre ce principe. »
***
Lorsqu’il était âgé de quatre-vingts ans, Yamamoto Jin’emon tomba
malade. Un jour, il sembla sur le point de geindre, et l’un de ses serviteurs
lui dit : « Si le fait de geindre vous soulage, n’hésitez pas. » Il répondit :
« Certainement pas. Le nom de Yamamoto Jin’emon est connu de tous, et je
me suis comporté de façon exemplaire toute ma vie durant. Il n’est pas
question que les gens m’entendent geindre dans mes derniers instants. »
Il est dit que jusqu’au dernier moment, il ne laissa pas même échapper
le plus petit gémissement.
***
À la suite d’un combat, l’un des fils de Mori Monbei rentra chez lui
blessé. Monbei lui demanda : « Qu’as-tu fait à ton adversaire ? » Son fils
répondit : « Je l’ai tué d’un coup de sabre. »

Lorsque Monbei demanda : « Lui as-tu porté le coup de grâce1 ? », le


fils répondit par l’affirmative.
Alors Monbei dit : « Tu as certainement bien agi, et tu n’as aucun regret
à avoir. Mais maintenant, même si tu fuis, tu devras te résoudre à faire
seppuku2. Lorsque ton esprit sera fermement résolu, fais seppuku. Et plutôt
que de mourir de mains inconnues, tu peux choisir de mourir par les mains
de ton père. »
Peu après, Mori Monbei fut kaishaku pour son fils.
***
Alors que Fukahori Magoroku vivait encore chez son père, il partit
chasser, et son serviteur, le confondant avec l’ours qu’ils traquaient dans la
pénombre des sous-bois, fit feu avec son fusil et blessa Magoroku au genou.
Bouleversé, le serviteur dénuda aussitôt son abdomen afin de pratiquer
seppuku. Magoroku dit : « Tu pourras t’éventrer plus tard. Je ne me sens pas
bien, apporte-moi de l’eau fraîche. »
Le serviteur courut chercher de l’eau et à son retour, il s’était quelque
peu calmé. Mais peu après, il s’apprêtait à nouveau à pratiquer seppuku, et
Magoroku s’en dissuada encore. À leur retour, Magoroku se fit soigner et
demanda à son père, Kanzaemon, de pardonner au serviteur.
Kanzaemon dit au serviteur : « Ce fut une malheureuse méprise. Soyez
sans craintes et continuez votre travail. »
***
Un samouraï du nom de Tagaki eut une altercation avec trois fermiers
du voisinage qui le rouèrent de coups. Rentrant chez lui, sa femme lui dit :
« As-tu perdu ta résolution de samouraï face à la mort ? » Il répondit :
« Absolument pas ! » Sa femme rétorqua : « De toute façon, on ne meurt
qu’une fois. Que l’on meure de maladie, pourfendu sur le champ de bataille,
en commettant seppuku ou par décapitation3, il n’y a rien de plus honteux
qu’une mort ignominieuse. » Sur ces paroles, elle sortit de la maison.
Elle revint à la nuit tombée, prit grand soin de coucher les enfants,
prépara des torches et s’habilla pour le combat. Elle dit à son mari : « J’ai
repéré l’endroit où se trouvent les trois hommes en ce moment même.
Maintenant, c’est le moment. Hâtons-nous ! »
Sur ce, ils sortirent avec leurs torches et leur sabre court. Ils assaillirent
les trois hommes, en tuèrent deux et blessèrent le troisième.
Par la suite, le mari fut condamné à faire seppuku.
1 Appelé todome, le coup de grâce consistait à planter son sabre dans la
gorge de l’adversaire.
2 Suite à une altercation de ce genre, le tueur était condamné à mort.
3 Pour les crimes les plus graves, le samouraï se voyait interdire de faire
seppuku et était condamné à la mort la plus déshonorante qui soit : il était
décapité, les mains entravées dans le dos.
11. Livre dixième
Un serviteur d’Ikeda Shingen eut une altercation avec un homme. Il le
projeta au sol, le roua de coups et le piétina jusqu’à ce que des gens les
séparent. Les anciens se réunirent à ce sujet et dirent : « L’homme qui a été
piétiné devrait être puni. » Entendant cela, Shingen dit : « Un combat doit
aller jusqu’à son terme. Un homme qui oublie la Voie du samouraï et ne se
sert pas de son sabre sera abandonné des dieux et du Bouddha. Pour que
cela serve d’exemple aux futurs serviteurs, ces deux hommes devraient être
mis au pilori. »
Quant aux hommes qui séparèrent les combattants, ils furent bannis.
***
Dans les instructions militaires de Yui Shôsetsu, La Voie des Trois
Ultimes1, il y a un passage concernant la nature du karma. Shôsetsu a reçu
un enseignement oral concernant la haute bravoure et la basse bravoure. Au
lieu de noter ou de mémoriser cet enseignement, il l’oublia tout à fait. Puis,
face aux situations réelles, il agissait par instinct et les choses qu’il avait
apprises constituèrent sa propre sagesse. Voilà la nature du karma.
***
Confronté à une situation de crise, il faut mettre un peu de salive sur le
lobe de ses oreilles et expirer profondément par le nez. On sera alors à
même de faire face. Cela est une méthode secrète. De plus, lorsque le sang
bat les tempes, il faut mettre un peu de salive sur le haut du pavillon des
oreilles, et l’on recouvrera aussitôt ses esprits.
***

Tzu Ch’an2 était à l’agonie lorsque quelqu’un lui demanda comment il


fallait gouverner un pays. Il répondit ceci :
« Il n’y a rien qui surpasse la gouvernance bienveillante. Cependant,
cela est difficile à mettre en œuvre. Appliquer une gouvernance
bienveillante sans grand enthousiasme donnera de médiocres résultats. Si la
gouvernance bienveillante vous est difficile, il vaut mieux gouverner avec
sévérité. Gouverner avec sévérité signifie se montrer sévère avant que les
problèmes ne surviennent. Se montrer sévère après que le mal se soit
répandu revient à se jeter dans un piège. Peu de gens, après s’être brûlés,
continueront à jouer avec le feu. Parmi ceux qui ne se méfiaient pas de
l’eau, beaucoup ont été noyés. »
***
Un homme a dit : « Je connais la nature de la Raison et la nature de la
Femme. »
Lorsqu’on l’interrogea à ce sujet, il dit : « La Raison est carrée et
inamovible, même dans des situations extrêmes. La Femme est ronde. On
peut dire qu’elle ne distingue pas le bien du mal, ni le vrai du faux, et
s’accommode de toutes les situations. »
***
La signification fondamentale de ce que l’on nomme les convenances,
c’est de se montrer vif au début et à la fin de toute action, et tempéré au
milieu. Mitani Chizaemon entendit cela et dit : « C’est exactement le
comportement d’un kaishaku. »
***
Fukae Angen accompagnait l’un de ses amis voir le moine Tesshû à
Ôsaka, et commença par s’entretenir en privé avec le moine : « Mon ami
souhaite étudier le bouddhisme et espère sincèrement recevoir votre
enseignement. C’est un homme de grande détermination. »
Peu après s’être entretenu avec l’ami d’Angen, le moine dit : « Angen
est un homme néfaste pour les autres. Il dit que son ami est un homme bon,
mais où est sa bonté ? Il n’y en a aucune à mes yeux. Ce n’est pas une
bonne idée de faire l’éloge d’autrui à la légère. Lorsqu’on fait leur éloge, les
sages comme les imbéciles deviennent orgueilleux. L’éloge est néfaste. »
***
Lorsque Hotta Kaga no kami Masamori était page du shogun Tokugawa
Ieyasu, il se montrait si têtu que le shogun désira tester ce qu’il avait au
fond du cœur. Pour ce faire, il fit chauffer une paire de sandales en les
plaçant sur le brasier. Pour accueillir le shogun, Masamori avait l’habitude
d’aller prendre ses sandales posées à côté du brasier. Cette fois, lorsqu’il les
saisit, il se brûla aussitôt les mains, mais continua d’agir à sa manière
habituelle, comme si de rien n’était. Le shogun lui ôta rapidement les
sandales des mains.
***
Le moine bouddhiste Ryôzan écrivit quelques remarques au sujet des
batailles menées par le daimyô Ryûzôji Takanobu. Un autre moine les
découvrit et le critiqua en disant : « Il est inapproprié pour un moine
d’écrire sur le commandement militaire. Quelque excellent que soit son
style, s’il n’est pas au fait des choses militaires, il est susceptible de ne pas
comprendre ou de mal interpréter la pensée d’un grand général. Cela relève
de l’irrévérence de transmettre des conceptions erronées aux générations à
venir. »
***

Quelqu’un a dit : « Dans le Mausolée du Saint3, il y a le poème


suivant :
« Si en son cœur
« On suit le chemin de la sincérité
« Même sans prières
« On sera protégé par les dieux.
« Quel est ce chemin de la sincérité ? »
Un homme lui répondit ainsi : « Vous semblez aimer la poésie. Je vais
donc vous répondre avec un poème :
« Comme tout dans le monde n’est qu’imposture,
« La mort est la seule chose sincère. »
Il est dit que suivre le chemin de la sincérité, c’est se comporter chaque
jour comme si l’on était déjà mort.
***
Si vous tranchez un visage dans le sens de la longueur, urinez dessus et
piétinez-le avec vos sandales : il est dit que la peau se décollera. C’est le
moine Gyôjaku qui entendit cela alors qu’il se trouvait à Kyôto. C’est une
information très précieuse.
***
L’un des serviteurs de Matsudaira Sagami no kami se rendit à Kyôto
pour recouvrer des créances, et il prit une chambre dans une pension. Un
jour qu’il regardait les passants, il entendit l’un d’eux dire : « Il paraît que
des hommes de Matsudaira sont en ce moment même impliqués dans une
bagarre. » Le serviteur pensa : « Il est fort préoccupant que certains de mes
compagnons soient engagés dans un combat. Il doit s’agir de la relève des
troupes stationnées à Edo, qui est de passage en ville. » Il s’informa auprès
du passant de l’endroit où se déroulait le combat, s’y précipita, mais
lorsqu’il arriva, hors d’haleine, ses compagnons avaient déjà été tués et
leurs adversaires étaient sur le point de leur assener le coup de grâce.
Aussitôt, il cria, brandit son sabre, tua les deux hommes, et regagna sa
pension.
Cette affaire fut rapportée à un officiel du shogunat, qui fit venir le
serviteur pour l’interroger. « Vous avez prêté assistance à vos compagnons
durant un combat, et avez ainsi violé les lois en vigueur. Cela ne fait aucun
doute, n’est-ce pas ? »
L’homme répondit : « Je suis un homme de la province, et il m’est
difficile de comprendre votre raisonnement. Pouvez-vous répéter, s’il vous
plaît ? »
L’officiel s’énerva et dit : « Avez-vous un problème aux oreilles ?
N’avez-vous pas participé à un combat, fait couler le sang, violé les lois ? »
L’homme répondit : « Je comprends maintenant ce qui vous soucie.
Mon intention n’était pas de violer les lois. La vie possède une grande
valeur pour tous. Pour moi également, la vie m’est précieuse. Cependant,
sachant certains de mes compagnons impliqués dans un combat, je ne
pouvais faire comme si de rien n’était, car cela eût été contraire à la Voie du
samouraï. Je suis donc passé à l’action, tout en sachant qu’en me montrant
d’une loyauté absolue envers la Voie du samouraï, je risquais de perdre ma
précieuse vie. En fait, en me mêlant au combat et en respectant les devoirs
du samouraï, j’ai déjà abandonné ma vie. »
L’officiel fut très impressionné, et par la suite classa l’affaire. Il dit
également au seigneur Matsudaira Sagami no kami : « Vous avez un
samouraï de grande valeur à votre service. Prenez-en soin. »
***
Ceci est extrait des paroles du moine Bankei :
« Ne pas compter sur la force d’autrui, ne pas se fier à sa propre force ;
se dégager des pensées passées et futures, ne pas vivre au jour le jour…
alors la Grande Voie se révèlera à vous. »
***
La généalogie du seigneur Sôma était la mieux élaborée du Japon. Un
jour que sa demeure, ravagée par un incendie, était sur le point de
s’écrouler, il dit : « Je n’ai aucun regret pour la maison ni pour les meubles,
même si tout vient à être réduit en cendres, car ce sont des choses qui
peuvent être remplacées. Je regrette uniquement de n’avoir pu sauver ma
généalogie, qui constitue le bien le plus précieux de ma famille. »
Un samouraï dit alors : « Je vais aller la chercher. »
Le seigneur Sôma se mit à rire et dit : « La maison est déjà dévorée par
les flammes. Comment allez-vous l’en sortir ? »
L’homme en question ne s’était jamais montré très loquace, ni
particulièrement utile, mais comme il accomplissait son devoir avec une
grande conscience, il avait été engagé comme serviteur. Il dit alors : « Je
n’ai pas encore eu la chance de me montrer utile au seigneur, mais j’ai
toujours été fermement convaincu qu’un jour, ma vie lui serait utile. Il
semble que ce moment soit venu. » Et il s’engagea dans les flammes.
Après que l’on eût éteint le feu, le seigneur Sôma dit : « Cherchez et
trouvez son corps ! Quel gâchis ! »
En cherchant partout, ils trouvèrent le corps calciné du serviteur dans le
jardin contigu aux appartements du seigneur. Lorsqu’il le retournèrent sur le
dos, du sang s’échappa de son abdomen. L’homme s’était ouvert le ventre et
y avait placé la généalogie afin qu’elle soit épargnée par le feu. Depuis ce
jour, on l’appelle « la Généalogie du sang ».
***
Une certaine personne raconta l’histoire suivante :

« En ce qui concerne le I Ching4, c’est une erreur de le tenir pour un


système de divination. Son essence est la non-prédiction. Cela s’explique
par le caractère chinois “I” qui signifie “changement”. Même si l’on prédit
une bonne fortune, en agissant mal cela se transformera en mauvaise
fortune. Même si l’on prédit une mauvaise fortune, en agissant bien cela se
transformera en bonne fortune.
« La parole de Confucius, “En m’attelant à la tâche durant de
nombreuses années et en finissant par comprendre ce qu’est le changement,
je ne devrais pas commettre beaucoup d’erreurs”, ne concerne pas l’étude
du I Ching. Cela signifie plutôt qu’en étudiant l’essence du changement en
soi, et en suivant la Voie du bien, on s’épargne de nombreuses erreurs. »
***
Hirano Gonbei était l’un des Hommes aux sept lances qui s’illustrèrent
lors de la bataille de Shizugadake5. Par la suite, il fut nommé au rang de
hatamoto6 chez le seigneur Ieyasu. Un jour qu’il était invité à prendre part
à des réjouissances chez maître Hosokawa, ce dernier dit : « La bravoure de
maître Gonbei est bien connue dans tout le Japon. C’est véritablement une
honte qu’un homme de cette qualité ne soit pas nommé à un poste plus
élevé. Cela doit contrarier vos attentes. Si vous étiez l’un de mes serviteurs,
je vous donnerais la moitié du domaine. »
Sans répondre, Gonbei se leva soudain, sortit dans le jardin, se plaça
face à la maison et urina.
Puis il dit : « Si j’étais le serviteur du maître, je ne pourrais uriner ici. »
***
Selon la parole d’un ancien, affronter un ennemi sur le champ de
bataille, c’est se comporter comme un aigle fondant sur sa proie. Quand
bien même il y aurait une nuée d’un millier d’oiseaux, l’aigle porte son
attention exclusive sur celui qu’il a choisi comme proie.
***

Dans le Kôyôgunkan7, une personne dit : « Face à l’ennemi, j’ai


l’impression d’entrer dans les ténèbres, et j’ai de ce fait reçu de nombreuses
blessures. Bien que vous ayez combattu nombre de braves guerriers, vous
n’avez jamais été blessé. Pouvez-vous m’expliquer cela ? »
L’autre homme répondit : « Faire face à l’ennemi, il s’agit bel et bien
d’entrer dans les ténèbres. Mais si, à ce moment précis, je m’efforce de
conserver ma paix d’esprit, j’entre dans une nuit éclairée d’une lune pâle. Si
c’est à ce moment-là que je déclenche mon attaque, j’ai l’impression de ne
jamais pouvoir être blessé. »
Telle est la situation à l’instant de vérité.
***

Lorsque maître Owari, maître Kii et maître Mito8 étaient âgés d’une
dizaine d’années, le seigneur Tokugawa Ieyasu était avec eux dans le jardin
et fit se décrocher un nid de guêpes. De nombreuses guêpes se mirent à
voler en tous sens, et maître Owari et maître Kii, effrayés, s’enfuirent en
courant. Seul maître Mito ne s’enfuit pas, et retira une à une les guêpes
posées sur son visage.
Un autre jour, le seigneur Ieyasu faisait griller un grand nombre de
châtaignes dans un large brasier, et il invita ses fils à se joindre à lui. Une
fois bien chaudes, les châtaignes se mirent à sauter. Deux des enfants,
effrayés, reculèrent. Cependant, maître Mito ramassa calmement les
châtaignes qui avaient sauté et les replaça dans le brasier.
***
Alors que le moine Ungo, de Matsushima, traversait les montagnes de
nuit, il fut assailli par des bandits errants. Ungo dit : « Je vis dans cette
région, je ne suis pas un pèlerin. Je n’ai pas d’argent, mais vous pouvez
prendre mes vêtements si vous le désirez. Je vous demande d’épargner ma
vie. »
Les bandits répondirent : « Bien. Notre tentative s’avère vaine. Nous
n’avons pas besoin de vêtements », et ils passèrent leur chemin.
Ils avaient parcouru environ deux cents mètre lorsqu’Ungo se retourna
et les rappela : « J’ai violé la règle qui proscrit le mensonge. Dans mon
trouble, j’ai oublié que j’avais une pièce d’argent dans mon sac. Je regrette
vraiment avoir affirmé que je n’avais absolument rien. Tenez, prenez-la. »
Les bandits des montagnes furent grandement impressionnés. Ils se
rasèrent le crâne sur-le-champ et devinrent les disciple du moine Ungo.
***
Une nuit, à Edo, quatre ou cinq hatamoto se réunirent pour jouer au go.
L’un d’eux s’éclipsa pour aller aux toilettes, et pendant ce temps, une
dispute éclata. Un homme fut pourfendu d’un coup de sabre, les lumières
furent éteintes, et l’endroit était gagné par le tumulte. Lorsque l’homme qui
s’était absenté revint précipitamment, il cria : « Que tout le monde se
calme ! Tout cela n’a aucun sens. Rallumez les lanternes et laissez-moi
régler cela. »
Après que les lanternes fussent rallumées et que tout le monde se fût
calmé, l’homme dégaina promptement son sabre et trancha la tête d’un
samouraï impliqué dans la bagarre. Puis il dit : « Ma chance de samouraï
s’en est allée : je n’étais pas présent lors de l’affrontement. Si cela devait
être perçu comme de la lâcheté, je n’aurais plus qu’à faire seppuku. Je
préfère donc mourir pour avoir tué un homme que pour être accusé de
lâcheté. »
Lorsque l’on rapporta cette affaire au shogun, il félicita cet homme.
***
Hôjô Awa no kami rassembla un jour ses disciples auxquels il
enseignait les arts martiaux et fit venir un physionomiste qui était alors
populaire à Edo, afin qu’il détermine lesquels étaient braves et lesquels
étaient lâches. Avant que le physionomiste ne les examine un à un, il leur
dit : « S’il voit en vous de la bravoure, vous devrez vous exercer encore
davantage. S’il voit en vous de la lâcheté, vous poursuivrez votre formation
en faisant seppuku. C’est une chose avec laquelle vous êtes né, il n’y aura
donc aucun déshonneur. »
Hirose Denzaemon avait alors douze ou treize ans. Lorsqu’il s’assit en
face du physionomiste, il lui dit d’une voix irritée : « Si vous voyez de la
lâcheté en moi, je vous terrasse d’un seul coup de sabre ! »
***
Si une chose doit être dite, qu’elle le soit sans délai, sans quoi elle
s’apparentera à une excuse. De plus, outre un discours sensé, il est parfois
profitable de submerger son interlocuteur, car ainsi la leçon lui profitable.
Cela est en accord avec la Voie.
***
Le moine Ryôi a dit :
« Les samouraïs âgés étaient terrorisés à l’idée de mourir dans leur lit.
Ils ne désiraient rien tant que de mourir sur le champ de bataille. De même,
un moine n’accomplira pas la Voie s’il n’est pas dans de semblables
dispositions. Celui qui se retire et évite la compagnie des autres est un
lâche. Seules de sombres pensées peuvent permettre d’imaginer que
quelque chose de bien puisse surgir de la réclusion. Car même si un homme
accomplit quelque chose de bien dans sa réclusion, il ne pourra en faire
profiter les générations futures en faisant évoluer les traditions du clan. »
***
Le serviteur de Takeda Shingen, Amari Bizen no kami, fut tué au
combat. Son fils Tôzô, à l’âge de dix-huit ans, prit la place de son père en
tant que cavalier. Un jour, un de ses compagnons fut sévèrement blessé, et
comme le sang ne s’arrêtait pas de couler de la blessure, Tôzô lui ordonna
de boire les fèces d’un cheval roux, diluées dans de l’eau. Le blessé dit :
« La vie m’est chère. Comment me résoudre à boire des fèces de cheval ? »
À cela, Tôzô répondit : « Quel guerrier plein de bravoure ! Ce que vous
dites est plein de sens. Cependant, l’essence même de notre loyauté nous
dicte de préserver notre vie et de vaincre sur le champ de bataille pour notre
seigneur. Dans ce cas, je vais en boire un peu pour vous. » Ce qu’il fit,
avant de tendre le remède au blessé, qui le but avec gratitude et fut bientôt
guéri.
1 Ces « trois ultimes » sont les cieux, la terre et l’homme.
2 Officiel chinois de la Période des Printemps et des Automnes (772-
481 av. J.-C.), ou période Chunqiu, qui vit le règne de la dynastie des Zhou.
3 Le Mausolée du Saint est attribué à Sugawara no Michizane (845-
903), calligraphe, homme politique, érudit et poète de l’époque Heian. Il est
mort en exil à Kyushu et devint plus tard le dieu de la littérature.
4 Ou Yi King, littéralement, « le livre des transformations », contenant
64 hexagrammes dont l’interprétation constitue un système de divination
chinois, rédigé aux alentours du VIIIe siècle avant l’ère commune.
5 En 1593, ceux que l’on surnomma « les Hommes aux sept lances »
devinrent des guerriers de légende suite à cette bataille.
6 Durant l’ère Edo (1603-1868), un hatamoto était un samouraï placé
sous les ordres directs du shogun.
7 Livre datant du début de l’ère Edo relatant les exploits de Takeda
Shingen et des samouraïs de la province de Kai.
8 Respectivement les neuvième, dixième et onzième enfants de
Tokugawa Ieyasu, qui sont nommés d’après la partie du domaine dont ils
ont la charge.
Samouraïs du clan Chôshû durant la guerre du Boshin (1868-69).
12. Livre onzième
Dans les Commentaires sur les règles martiales, il est écrit ce qui suit :
La phrase : « Gagner d’abord, combattre ensuite », peut être résumée
par deux mots : « Gagner avant ». L’intelligence mise à profit aux temps de
paix constitue la préparation militaire des temps de guerre. Ainsi cinq cents
hommes peuvent-ils défaire une force ennemie de dix mille hommes.
Lorsque l’on avance vers le château ennemi et qu’on l’on doit ensuite
opérer une retraite, il ne faut pas se replier par la voie principale, mais
plutôt par les chemins secondaires.
Il faut allonger ses morts et ses blessés le visage tourné vers l’ennemi.
Il est bien évident que le samouraï doit se trouver à l’avant-garde durant
l’attaque et à l’arrière-garde durant le repli. À l’approche de l’attaque, il ne
faut pas oublier de choisir le moment adéquat pour la déclencher. Durant
cette attente, il ne faut penser qu’à l’attaque.
***
Le casque passe pour être lourd à porter, mais lorsqu’on attaque un
château, par exemple, et que tombe une pluie de flèches, de projectiles, de
pierres, de morceaux de bois, il ne pèse plus rien.
***
Le seigneur Nabeshima Aki no kami Shigetage a déclaré qu’il ne
voulait pas que ses enfants étudient les tactiques militaires.
Il dit : « Sur le champ de bataille, une fois que la prudence s’insinue, on
ne peut plus stopper son évolution. On ne fend pas les rangs ennemis avec
prudence. Sur le champ de bataille comme dans la tanière du tigre, seule
l’audace compte. Ainsi, si l’on est au fait des tactiques militaires, on nourrit
de nombreux doutes et au moment crucial, on est incapable de faire un
choix. »
***
Selon les paroles du seigneur Naoshige :
Il y a une chose à laquelle tout jeune samouraï doit faire attention.
Durant les temps de paix, lorsqu’on écoute les récits de batailles, il ne faut
jamais demander : « Face à telle situation, comment faut-il réagir ? » De
telles paroles sont hors de propos. Comment un homme qui nourrit des
doutes dans sa chambre pourra accomplir quelque chose d’audacieux sur le
champ de bataille ?
Il existe un dicton qui dit : « Quelles que soient les circonstances, il faut
être totalement résolu à vaincre. Il faut brandir la première lance pour
tuer. »
***
Une nuit, des samouraïs de Karatsu se réunirent pour jouer au go.
Maître Kitabatake regardait la partie, et lorsqu’il fit une suggestion, un
homme l’attaqua avec son sabre. Après que les gens l’eurent maîtrisé,
Kitabatake pinça la mèche de la bougie et dit : « Cet incident fut causé par
mon indiscrétion, et je m’en excuse. La lame a frappé le plateau du jeu de
go, je n’ai pas été blessé le moins du monde. »
Puis la bougie fut rallumée, mais lorsque l’homme voulut se réconcilier
avec Kitabatake en lui offrant du saké, celui-ci lui trancha la tête d’un seul
coup de sabre. Puis il dit : « Ma cuisse a été sévèrement entaillée, je ne
pouvais donc pas répliquer. Mais en bandant ma jambe avec mon manteau
et en prenant appui sur le plateau du jeu de go, j’ai pu passer à l’action. »
Ayant prononcé ces paroles, il expira, vidé de son sang.
***
Il n’y a rien de plus douloureux que le regret. Nous souhaiterons tous y
échapper. Cependant, lorsque nous éprouvons une grande joie ou lorsque
nous nous lançons spontanément dans une grande entreprise, nous sommes
ensuite perdus et affolés. Cela est principalement dû au fait que nous
n’anticipons pas la suite des évènements, et alors le regret s’installe. Il est
certain que nous ne devrions pas nous laisser abattre, et lorsque nous
éprouvons de la joie, nous devrions garder la tête froide.
***
Voici les enseignements de Yamamoto Jin’emon :
La détermination absolue est toute-puissante.
Il faut à tout instant être prêt à trancher le cou, même celui d’un poulet
rôti.
Il faut continuer à éperonner son cheval, même s’il est déjà au triple
galop.
Un homme vit le temps d’une génération, mais son nom résonne pour
l’éternité.
Marche cent mètres avec un homme, et il te dira au moins sept
mensonges.
Questionner alors que l’on sait déjà est de la politesse. Questionner
lorsque l’on ne sait pas est la règle.
Enveloppez vos intentions avec des aiguilles de pin.
***
C’est un principe de l’art de la guerre que d’oublier sa propre vie et de
se battre avec la plus haute résolution. Si l’adversaire fait de même, le
combat est égal. La victoire est alors affaire de foi et de destin.
Il ne faut jamais montrer à autrui l’endroit où l’on dort. Le sommeil et le
réveil sont des moments très importants. Il faut avoir cela à l’esprit. C’est
Nagahama Inosuke qui disait cela.
***
Lorsque l’on part au combat, il faut emporter un sac de riz. Les sous-
vêtements doivent être confectionnés en peau de blaireau, afin d’éviter les
poux.
Lorsque l’on fait face à l’ennemi, il y a une façon d’évaluer sa force.
S’il a la tête baissée, il aura l’air sombre et sera fort. S’il regarde en l’air, il
aura le visage pâle et sera faible. C’est Natsume Toneri qui disait cela.
***
Si un guerrier n’est pas détaché de la vie et de la mort, il ne sera pas
efficace. Le dicton qui dit : « Toutes les aptitudes viennent de l’esprit »
semble concerner les choses sensibles et perceptibles, mais en fait il
n’exprime que le détachement vis-à-vis de la vie et de la mort. Avec un tel
détachement, tous les exploits sont possibles. Les arts martiaux et
l’accomplissement de la Voie du samouraï en dépendent entièrement.
***
Pour calmer son esprit, il faut avaler sa salive. C’est une méthode
secrète. Il en va de même lorsque l’on est en colère. Il est également
recommandé de se mettre un peu de salive sur le front. Dans l’école de tir à
l’arc de Yoshida, on apprend qu’avaler sa salive est le premier secret de cet
art.
***
Un général a dit : « Les guerriers doivent s’assurer de la résistance de
leur armure. Si les armures n’ont aucun besoin d’ornements, il n’en est pas
de même pour les casques, qui doivent faire l’objet d’un soin particulier, car
ils peuvent être rapportés dans le camp ennemi avec la tête du guerrier
décapité, afin de servir de trophée. »
***
Nakano Jon’emon a dit : « Étudier les stratégies militaires est inutile. Si
un guerrier ne se précipite pas sur l’ennemi avec la dernière détermination,
il n’est d’aucune utilité. » C’était également l’opinion de Iyanaga Sasuke.
***
Dans les Histoires militaires de Natsume Toneri, il est écrit : « Regardez
les soldats d’aujourd’hui ! Même lors de longues batailles, il devient rare
que le sang lave le sang. Cette négligence est déplorable. » Toneri était un
rônin de la région de Kamigata.
***
Parmi les serviteurs de Takega Shingen, il y avait des hommes d’un
courage sans égal, mais lorsque Katsuyori fut tué dans la bataille de
Tenmokuzan, tous prirent la fuite. Tsuchiya Sôzô, un guerrier en disgrâce
depuis de nombreuses années, se retrouva seul et dit : « Je me demande où
sont tous ceux qui parlaient chaque jour avec tant de bravoure. Il me revient
à moi seul de servir le maître. » Et il tomba seul sur le champ de bataille.
***
Le meilleur usage de la parole, c’est le silence. Si vous pensez pouvoir
accomplir une tâche sans avoir recours à la parole, ne dites pas un mot. Si
toutefois la parole est indispensable, exprimez-vous de façon succincte,
claire et raisonnée.
Parler sans réfléchir n’apporte que la honte et la mésestime.
***
Un disciple du Nembutsu récite le nom du Bouddha à chaque inspiration
et à chaque expiration, afin de ne pas l’oublier. Un samouraï doit avoir une
conscience identique de son maître. La plus importante des choses est de ne
jamais oublier son maître.
***
Les hommes qui se montrent exemplaires au moment de leur mort sont
authentiquement des hommes de bravoure. Les exemples sont nombreux.
Mais ceux qui se montrent accomplis chaque jour qui passe et paniquent au
moment de leur mort ne peuvent être considérés comme des hommes
braves.
***
Dans les principes secrets de Yagyû Tajima no kami Munemori, il est
consigné ce proverbe : « Il n’existe pas de stratégie militaire pour un
homme de haute résolution. » En voici une illustration : jadis, un vassal du
shogun s’est présenté à maître Yagyû et a demandé à devenir son disciple.
Maître Yagyû a dit : « Il semble qu’une école d’arts martiaux a déjà fait de
vous un guerrier accompli. Avant toute chose, dites-moi le nom de cette
école. »
L’homme répondit : « Je n’ai jamais pratiqué le moindre art martial. »
Maitre Yagyû dit : « N’avez-vous pas reçu les enseignements de Tajima
no kami Munemori ? Fais-je erreur en pensant que vous êtes l’un des
maîtres du shogun ? » L’homme jura qu’il n’en était rien.
Maître Yagyû demanda alors : « Ne possédez-vous pas une conviction
profonde ? » L’homme répondit : « Lorsque j’étais enfant, j’ai soudain pris
conscience qu’un guerrier est un homme qui ne doit pas regretter sa vie.
Portant cela en mon cœur depuis des années, c’est devenu une conviction
profonde, et aujourd’hui je ne me soucie jamais de la mort. Je n’ai pas
d’autre conviction. »
Maître Yagyû, profondément impressionné, dit : « Mon intuition se
révèle exacte. Le principe premier de la stratégie militaire est celui que vous
venez d’énoncer. Jusqu’à aujourd’hui, parmi les centaines de disciples que
j’ai eus, aucun n’a encore profondément compris ce principe. Il ne vous est
pas nécessaire de vous exercer au sabre de bambou. Nous allons
commencer l’initiation sur-le-champ. »
C’est Muragawa Soden qui a rapporté cette histoire.
***
Il faut chaque jour méditer sur la mort inexorable.
À l’aube, lorsque le corps et l’esprit sont en paix, il faut méditer et
imaginer être déchiré par des flèches, des balles, des lances et des sabres,
être emporté par un déferlement de vagues, jeté au cœur d’un incendie,
frappé par la foudre, enseveli par un tremblement de terre, tomber d’une
immense falaise, mourir de maladie ou commettre tsuifuku à la mort de son
maître.
Chaque jour, sans faute, il faut se considérer comme déjà mort.
***
Les anciens avaient un proverbe : « Passez la porte de votre maison,
soyez un homme mort. Passez la barrière de votre domaine, affrontez vos
ennemis. » Il ne s’agit pas d’une incitation à la prudence. Il s’agit de se
considérer comme déjà mort.
Si vous atteignez la gloire trop tôt, les gens vous considèreront comme
votre ennemi et vous ne serez plus d’aucune utilité. Évoluez lentement, les
gens seront vos alliés et votre bonheur sera assuré.
Avec le temps, que vous soyez rapide ou lent, il n’y aura pas le moindre
danger tant que les gens vous comprendront. Il est dit que la fortune la plus
efficace est celle que les autres souhaitent pour vous.
***
Autrefois, les guerriers se laissaient pousser la moustache, car comme
preuve que l’on avait abattu un ennemi au cours de la bataille, on lui
coupait le nez et les oreilles pour les ramener en tant que trophées. Afin
qu’il n’y ait pas de confusion quant au sexe de la personne tuée, on coupait
la moustache avec le nez. À cette époque, la tête était jetée si elle ne portait
pas de moustache, car on aurait pu la prendre pour celle d’une femme.
Ainsi, les samouraïs se laissaient pousser la moustache pour que leur tête,
en cas de défaite, ne soit pas jetée après leur mort.
Tsunetomo a dit : « Si l’on se frictionne chaque matin le visage à l’eau
fraîche, le teint ne changera pas après la mort. »
13. Une tranquille conversation nocturne
Tous les serviteurs du clan Nabeshima devraient étudier l’histoire et les
traditions de notre province, ce qui n’est pas le cas de nos jours. La
principale raison d’entreprendre cette étude, c’est de comprendre les
origines, les fondations et l’évolution de notre clan, et de savoir que nos
ancêtres ont assuré sa pérennité avec force, courage et compassion. Le fait
que notre clan se soit perpétué de manière harmonieuse et inégalée est dû à
l’humanité et à la valeur martiale de maître Ryûzôji Iekane1, à la générosité
et la foi de maître Nabeshima Kiyohisa2, et à la probité et à la personnalité
du seigneur Ryûzôji Takanobu et du seigneur Nabeshima Naoshige.
Je suis perplexe en constatant que les gens d’aujourd’hui ont oublié ces
glorieux ancêtres pour se tourner vers Shakyamuni Bouddha, Confucius,
Kusunoki3 et Shingen, qui n’ont jamais rien fait pour la gloire des clans
Ryûzôji et Nabeshima. On ne peut donc pas les considérer comme étant en
harmonie avec nos traditions.
En temps de guerre comme en temps de paix, tout un chacun devrait
trouver l’épanouissement en célébrant nos ancêtres et en étudiant leurs
enseignements. Il s’agit d’étudier l’histoire du clan auquel on appartient ou
celle de la discipline que l’on pratique. Toute autre étude est inutile pour les
serviteurs de notre clan. On pourrait s’imaginer qu’il est bon, voire
distrayant, d’étudier d’autres disciplines une fois achevée l’étude de
l’histoire de notre province. Toutefois, si l’on acquiert une bonne
compréhension de l’histoire de notre province, on ressent sa complétude et
on s’aperçoit qu’il n’y manque rien.
Aujourd’hui, cette connaissance manque aux gens de notre clan.
Pour un serviteur, rien d’autre ne devrait compter que son devoir. La
plupart des gens n’apprécient pas leur travail, trouvent celui d’autrui plus
intéressant, ce qui induit des incompréhensions, des mésententes, et génère
des conflits. Nous avons des modèles de dévotion tels que le seigneur
Naoshige et le seigneur Katsushige. Tous les serviteurs de leur époque
accomplissaient scrupuleusement leurs devoirs. De là venait la force de
notre clan.
Des tous les maîtres qui se sont succédés à la tête de notre clan, aucun
ne s’est montré mauvais ou imbécile, et aucun n’a montré moins de mérites
que le daimyô du Japon. C’est véritablement un clan merveilleux, grâce à la
foi de ses fondateurs. De plus, ils n’ont jamais envoyé de serviteurs dans les
autres provinces, pas plus qu’ils n’ont accueilli d’étrangers. Ceux qui
étaient faits rônin restaient dans notre province, tout comme les descendants
de ceux qui ont fait seppuku. Le fait de naître dans un clan où l’engagement
liant le maître et les serviteurs, les hautes et basses classes, est si fort qu’il
constitue à lui seul une grâce incomparable.
Tout samouraï du clan Nabeshima devrait savoir cela, et manifester sa
reconnaissance par sa résolution, sa volonté de servir et d’être utile, en
sachant que devenir rônin ou commettre seppuku sont également des façons
de servir, et en étant totalement dédié à son clan, quand bien même il serait
banni dans les montagnes ou enterré.
Bien qu’il soit inconvenant pour une personne comme moi de tenir de
tels propos, je ne souhaite pas, après ma mort, renaître à l’état de Bouddha4.
Ma seule volonté serait de renaître sept fois samouraï pour servir le clan
Nabeshima.
Tout comme l’eau de la théière, l’enthousiasme et la résolution sont
prompts à se refroidir. Voici mes vœux pour que l’eau ne cesse de frémir :
Ne jamais s’avouer vaincu sur la Voie du samouraï.
Servir utilement son maître.
Etre dévoué à ses parents.
Manifester une grande compassion et agir pour le bien.
En dédiant chaque matin ces quatre vœux aux dieux et au Bouddha, on
aura la force de deux hommes et on ne faillira jamais. Il faut, tout comme la
chenille, avancer peu à peu. Les dieux et le Bouddha, eux aussi, ont
commencé par un simple vœu.
1 Arrière grand-père de Ryûzôji Tanakobu.
2 Grand-père de Nabeshima Naoshige.
3 Kusunoki Masashige (?- 1336), samouraï aux origines modestes, il
s’est distingué par son combat acharné aux côtés de l’empereur Go-Daigo,
et a commis seppuku suite à une défaite.
4 Ayant renoncé à la vie de samouraï, Yamamoto Tsunetomo est devenu
moine bouddhiste.
Table des matières
1. Préface de l’éditeur
2. Livre premier
3. Livre deuxième
4. Livre troisième
5. Livre quatrième
6. Livre cinquième
7. Livre sixième
8. Livre septième
9. Livre huitième
10. Livre neuvième
11. Livre dixième
12. Livre onzième
13. Une tranquille conversation nocturne

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