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Sommaire

Introduction
Invention du terme
Généalogie et contexte

1. Retentissements
1. Récapitulatif des événements théoriques autour de l’autofiction
2. Raisons du succès
3. Retentissements universitaires
4. Philippe Lejeune, Jacques Lecarme
5. Gérard Genette, Vincent Colonna, Marie Darrieussecq
6. Bruno Blanckeman
7. Arnaud Schmitt
8. Philippe Gasparini
9. Jean-Louis Jeannelle, Thomas Clerc
10. Claude Burgelin, Arnaud Genon, Isabelle Grell

2. Critiques de l’autofiction
1. En-je(ux) de la morale
2. L’autofiction, une écriture féminine
3. Une non-valeur de contenu et de style ?
4. Accusation de mensonge épisodique et motivé

3. Théories d’écrivain
1. « J’écris de l’autofiction »
1.1. Écrivains de l’engagement de soi (école doubrovskienne)
1.2. Écrivains de l’école de l’autofiction allusive
1.3. L’autofiction comme laboratoire du je. Chloé Delaume

2. « Je » n’écrit pas d’autofiction

4. Genèses
1. Phase pré-rédactionnelle
2. Phase rédactionnelle
3. Autocensure et lois : phase rédactionnelle et pré-éditoriale

5. Engagements
1. Contre l’oubli de la guerre
2. Contre les traditions patriarcales
3. Contre la normativité hétérosexuelle

6. L’écriture de la faille
1. La double identité
2. Mort
3. La maladie

7. L’autofiction est un espace


1. « Je est mon corps » : théâtre, danse, performances
2. « Je est une image » : photos, peinture
3. « Je suis une image qui bouge » : cinéma, courts-métrages, vidéos
8. L’autofiction dans le monde
1. Europe
2. Le Brésil
3. Les Afriques
4. Les Caraïbes
5. Le monde asiatique

Conclusion
Notes
Bibliographie
© Armand Colin, 2014
Armand Colin est une marque de
Dunod Éditeur, 5 rue Laromiguière, 75005 Paris
ISBN : 978-2-200-60108-9
Introduction

L’autofiction « est un des phénomènes les plus massifs1 » de notre


période, phénomène qui a supplanté le roman autobiographique chéri à la
fin du XIXe et au début du XXe siècle. Après Freud, la Première et la
Deuxième Guerre Mondiale, les déplacements d’humains et de pensées
dus à la mondialisation, l’hybridité fait partie intégrante de notre Être. Le
nouveau roman du Je, bâtard engendré au XXe siècle par la fiction (du
latin fingere : façonner) et le réel (le « réel impossible » de Lacan), est
officiellement baptisé en 1977 « autofiction » par Serge Doubrovsky sur
la fameuse quatrième de couverture de son roman Fils.2 Il donne lieu,
aujourd’hui encore davantage qu’à ses débuts, à des controverses
théoriques, esthétiques et morales. À la bascule d’un millénaire et en
réponse aux tumultes culturels, sociaux et politiques se reflétait dans le
débat autour de ce terme un questionnement substantiel sur la place de
l’individu dans une société où le virtuel enjambe le réel, les groupes
traditionnels (famille, territoires) éclatent et les mœurs, les valeurs
ordinaires se transforment. Le JE n’est pas MOI mais « un autre ». Au vu
des disparités théoriques engendrées par l’apparition du terme
d’autofiction, le questionnement sur le pacte (qui dit je ?) entre lecteur et
auteur, il est nécessaire de clarifier les diverses approches conceptuelles
afin que des échanges instructifs puissent se développer sur des bases
intelligibles et précises.

1. Invention du terme
Serge Doubrovsky, né le 22 mai 1928 à Paris de parents juifs (russe du
côté paternel et alsacien pour la branche maternelle), normalien, ayant
poursuivi jusqu’en 2008 une carrière de professeur de Lettres Françaises
au French Department de New York University, avait, avant Fils, publié
en 1969 une première autofiction, sans encore en avoir trouvé le nom :
La Dispersion et, cinq ans plus tôt, un recueil de nouvelles américaines,
Le Jour S. Il était aussi l’auteur de livres fondamentaux sur des auteurs
canoniques (Corneille3 et Proust4) et d’un écrit théorique sur la Nouvelle
Critique5. « La mort de l’auteur, pour moi ça me paraît tout à fait
impensable.6 » dit-il, se plaçant expressément aux antipodes des théories
de Foucault ou de Ricardou, tout en ayant néanmoins assimilé jadis les
théories structuralistes qui lui avaient ouvert le regard dans d’autres
directions que celles suivies jusque-là.

En 1968, Doubrovsky perd sa mère. La douleur ressentie pousse


l’orphelin vers une psychanalyse à New York, en langue anglaise, où le
néo-freudien Robert Akeret lui enjoint de noter ses rêves dans un carnet.
C’est le début de l’écriture de « Monsieur Cas », premier titre donné à un
travail de « Recherche », qui se métamorphose en « Le Monstre » puis
devient Fils où le mot « autofiction » apparaît : « Autobiographie ? Non,
c’est un privilège réservé aux importants de ce monde, au soir de leur vie,
et dans un beau style. Fiction d’événements et de faits strictement réels ;
si l’on veut, autofiction, d’avoir confié le langage d’une aventure à
l’aventure du langage, hors sagesse et hors syntaxe du roman,
traditionnel ou nouveau. Rencontres, fils des mots, allitérations,
assonances, dissonances, écriture d’avant ou d’après littérature, concrète,
comme on dit musique. Ou encore, autofriction, patiemment onaniste, qui
espère faire maintenant partager son plaisir. »
Jusqu’en 2000, l’invention du néologisme était datée en 1977, cette
création théorico-littéraire devant répondre au tableau schématique de
Philippe Lejeune7, déclarant peu vraisemblable l’hypothèse d’un ouvrage
régi par un pacte romanesque explicite, alors que l’auteur, le narrateur, et
le personnage y porteraient le même nom. Un échange de lettres entre
Lejeune et Doubrovsky révéla que l’auteur avait « voulu très
profondément remplir cette case que votre analyse laissait vide, et c’est
un véritable désir qui a soudain lié votre texte critique et ce que j’étais en
train d’écrire.8 ». L’autofiction serait donc : auto : la matière de son livre
est entièrement autobiographique. Fiction : la matière est entièrement
romanesque (une vie condensée en une journée façon Joyce ; narration
toujours au présent, même du plus loin passé ; courant de conscience,
dialogues, forcément fictifs, etc.).
Au début des années 2000, le groupe de recherche « Genèses
d’autofictions » de l’ITEM découvre que Doubrovsky avait conçu ce mot
bien avant les travaux fondamentaux de Lejeune. « Auto-fiction » est,
dans l’avant-texte de Fils, inscrit avec un tiret, probablement pour éviter
l’amalgame encore inconcevable théoriquement entre l’autobiographie et
la fiction9 : Doubrovsky revient d’une séance chez son psychanalyste
Akeret, il roule vers New York université et pense au carnet sur lequel il
a été astreint à noter ses rêves et à son écriture en cours.

f°10 1635
si j’écris assis là sur la banquette rouge carnet beige entre les doigts
dos de la main sur le volant je lis je suis
en train de lire

j’écris un TEXTE EN MIROIR un LIVRE EN REFLETS


si j’écris la scène que je vis que je vois c’est là c’est solide
assis là sur littéral c’est vrai c’est littéralement vrai c’est recopié en
direct j’écris recta ça tombe pile

f° 1636
la scène paraît être la répétition de la même scène directement vécue
comme
RÉELLE pas un doute ça fait pas un pli suis assis là sur la banquette
dos de la main sur le volant suffit que
je mette le carnet beige entre les doigts livre du rêve construit en rêve
me volatilise j’y suis c’est réel si
j’écris dans ma voiture
mon autobiographie sera
mon AUTO – FICTION11

Au-delà du jeu de mot autour de l’auto-mobile (la voiture) et l’auto-


fiction qui rend mobile un Je, la fiction (la création, le style) et le réel (du
latin classique res, chose) se trouvent dans ces feuillets être la
transcription d’un rêve d’ÊTRE soi, de contrer à la fragmentation
généralisée de l’Être. Mais même si nous savons aujourd’hui que le
terme d’autofiction fut engendré puis oublié par l’auteur avant 1975, il
est incontestable que sans Le Pacte Autobiographique, il n’aurait jamais
pris l’envol médiatique qu’il connaît aujourd’hui. L’autobiographie y est
définie comme « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de
sa propre existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en
particulier sur l’histoire de sa personnalité.12 ». Lejeune pose ainsi la
question si « le héros d’un roman déclaré tel [pouvait] avoir le même
nom que l’auteur ». Peu importe que le contrat d’identité soit dans le
paratexte ou dans le texte lui-même, dès qu’il y a dans un texte identité
des trois instances : auteur, narrateur et personnage, le « pacte
autobiographique » se met en place, c’est-à-dire qu’il se noue un contrat
de lecture passé entre l’autobiographe et son lecteur. Doubrovsky, à
39 ans, fait éclater ce pacte et déclenche dans le monde littéraire parisien
une avalanche démentant la « mort de l’auteur ».

2. Influences et contexte

La psychanalyse
« le moi dès l’origine serait pris dans une ligne de fiction. »
(Lacan)

Depuis Freud, le moi s’échappe à lui-même. La mémoire emmêle


réalité et fiction, le je est déconstruit. Dès l’origine, l’autofiction est
conçue comme l’autobiographie revisitée par la psychanalyse, impliquant
que toute image de soi est une construction plus ou moins fictive dont il
faut essayer de comprendre les raisons d’être : « L’autofiction c’est la
fiction que j’ai décidée, en tant qu’écrivain, de me donner de moi-même,
en y incorporant, au sens plein du terme, l’expérience de l’analyse, non
point seulement dans la thématique mais dans la production du texte.13 »
La vérité du fantasme justifie le pacte paradoxal de l’autofiction, la
mémoire n’illustrant plus que des instantanés photographiques étant
donné que la connaissance lucide de soi par l’introspection classique n’a
plus aucune raison d’être. Lacan réfléchit sur la conception du langage et
de sa vérité, Derrida celle de sa déconstruction. La perception du je et du
monde devient pour les écrivains une brève hallucination rétinienne : des
impressions, surgies dans un demi-éclair de conscience se pressent sans
s’organiser, se suivent sans se relier. Le discernement, le démembrement,
la pulvérisation de soi dans un monde destitué des traditions (familiales,
culturelles, politiques, sociétales, sexuelles) classiques, dans lequel tout
peut être mis en question, l’homme jeté dans une « ère du soupçon »,
c’est en ces déperditions que consiste le noyau de l’autofiction, écriture
refusant la décadence littéraire autobiographique pseudo-aristocratique
pour lui préférer l’engagement du « je » qui reflète par le biais de
l’expression la société actuelle. L’éclipse de la conscience incite une
nouvelle manière d’ordonnancer l’expérience et d’approcher autant que
se peut le savoir et la vérité.

Le surréalisme
Le surréalisme réagit plut tôt que l’autofiction à cette expérience
d’éclatement du je dans le monde, qu’elle soit politique (marxisme
contra nazisme et réactionnisme) ou psychologique. La fonction
référentielle de la logique, du langage devient plus onirique, moins
mimétique. Plus dérangée et dérangeante aussi. Selon Breton qui
demande qu’on n’écrive non plus sur le réel, ou sur l’imaginaire, mai sur
l’envers du réel14, le surréalisme est un moyen de libération totale de
l’esprit. Les surréalistes s’emparent de tous les sujets sans aucun tabou, le
but suprême étant de s’élever de sa condition d’homme par l’aide de l’art,
devançant ainsi le mot d’ordre de Doubrovsky : « Écrire sa vie (à soi)
pour ensuite en faire une vie (qui implique les autres) »15, une écriture de
soi étant toujours engagée, fondue dans un temps et une géographie, une
histoire et une société, une « situation ». L’art contemporain reflète ainsi
cette fragmentation disparate du moi et Breton, dont on connaît le peu de
goût pour les fictions, prédit alors que « fort heureusement les jours de la
littérature à affabulation romanesque étaient comptés. » (Nadja)
Témoignant d’une méfiance à l’égard des vieilles formules avec
lesquelles, sous couvert d’imagination, l’auteur proposait les mêmes
intrigues stéréotypées avec des personnages de papier mâché dans des
décors en trompe-l’œil, les surréalistes font se tourner l’art vers
l’inconscient et s’orientent vers le vrai, l’expérience personnelle et/ou
collective. Praxis égale poiésis. Créer, c’est se créer.

Le poststructuralisme et la nouvelle
autobiographie
On oppose habituellement le structuralisme au retour de l’écriture du
Je en oubliant qu’il existe entre eux une réelle continuité, une connivence
contre le culte de la fiction pure du récit, l’obsession de l’intrigue.
L’écriture autofictionnelle qui réfléchit (au sens du miroir et de la
réflexion) s’inscrit donc dans la filiation directe des écritures
expérimentales (surréalisme, structuralisme, Nouveau Roman). Ceci dit,
si le structuralisme avait bâti sa réputation sur un refus du sujet, il
n’échappe pas à la nouvelle dynamique de l’écriture autobiographique
que connaît la fin des années soixante-dix : Robbe-Grillet rédige sa
« Nouvelle Autobiographie », les héroïnes du Nouveau Roman telles
Marguerite Duras et Nathalie Sarraute sortent respectivement L’Amant et
Enfance, Barthes, auteur en 1968 d’un article intitulé « La mort de
l’auteur » publie en 1975, Roland Barthes par Roland Barthes dans
lequel l’identité est envisagée comme un rôle joué, interprété par
l’Homme, et Michel Foucault s’étant jadis interrogé dans un article sur
« Qu’est-ce qu’un auteur ? » confie quelques années plus tard que ses
livres théoriques constituent « des fragments autobiographiques ».
Nathalie Sarraute explique alors que dans L’Ère du soupçon, c’est « la
vie de la conscience, la phénoménologie du rapport aux autres et à soi,
qui est dorénavant, qu’on le veuille ou non, le terreau du roman
moderne16 ». Fils procède ainsi de l’ambition expérimentale du Nouveau
Nouveau Roman, de la réorientation textualiste du mouvement vers 1970.
1
Retentissements

Récapitulatif des événements théoriques


autour de l’autofiction
En 1979, Doubrovsky rédige « L’initiative aux mots. Écrire sa
psychanalyse » en auto-théorisant sa propre pratique, poursuivant en
1980 cette entreprise dans « Autobiographie/Vérité/Psychanalyse ». Dès
1982, grâce à P. Lejeune et J. Lecarme, l’extension de ce vocable prend
de la rapidité : dans La Littérature en France depuis 1968, se trouve une
sous-partie intitulée « Indécidables et autofictions », en 1984,
« autofiction » entre dans l’Encyclopedia Universalis grâce à Lecarme et,
en 1986, Lejeune reprend la question dans Moi aussi. Depuis, études,
colloques, ouvrages savants se sont succédé. En 1989, Vincent Colonna
soutient une thèse de doctorat sous la direction de Gérard Genette qui
élargit la définition doubrovskienne du terme d’autofiction en y intégrant
les « fictionnalisation de soi ». 1990 s’organise un colloque autour
d’« Autobiographie & Avant-garde » dirigé par A. Hornung et E.-
P. Ruhe, avec, la participation de Robbe-Grillet, Doubrovsky et Raymond
Federman. Puis succédèrent en 1992 un premier colloque sur
l’Autofiction, dirigé par Lecarme, Lejeune et Doubrovsky, en 1995 J.-
F. Chiantaretto s’intéresse à la question. (De l’acte autobiographique. Le
psychanalyste et l’écriture autobiographique). Un an plus tard, Marie
Darrieussecq publie l’article « L’autofiction un genre pas sérieux »
(Poétique, n° 107). Dès 2000, une première vague d’ouvrages
autofictionnels voir le jour : Christine Angot (Sujet Angot puis L’Inceste),
Philippe Forest (L’Enfant éternel), Amélie Nothomb (La Métaphysique
des tubes), Santiago H. Amigorena (Une enfance laconique), Chloé
Delaume (Les Mouflettes d’Atropos), Camille Laurens (Dans ces bras-
là), Catherine Millet (La Vie sexuelle de Catherine M). P. Forest réfléchit
en tant qu’auteur dans Le Roman, le je (2001) à cette nouvelle écriture.
En 2004, Philippe Gasparini entreprend une réflexion théorique autour de
l’autofiction : Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction. La
même année Colonna publie Autofiction et autres mythomanies littéraires
(2004) à quoi répond Philippe Vilain avec Défense de Narcisse (2005) et
L’Autofiction en théorie (2009). En 2006 Dominique Gros porte
l’autofiction sur l’écran télé en réalisant un documentaire pour Arte
intitulé « Autofiction(s) » (Georges Perec, Elfriede Jelinek, Nancy
Houston, Doubrovsky, Marguerite Duras). Puis la critique génétique se
penche sur l’autofiction (Genèse et autofiction). L’autofiction s’exporte à
l’étranger avec Manuel Alberca qui applique le concept aux auteurs
espagnols dans El pacto ambiguo. De la novela autobiográfica a la
autoficción (2006). P. Forest sort Le Roman, le réel et autres essais,
P. Gasparini, Autofiction – Une aventure de langage. Des colloques
« Autofiction » se tiennent à Cerisy-la-Salle en 200817 et 201218.
C. Delaume réfléchit à S’écrire mode d’emploi (2008) puis publie le
manifeste politique pro-autofictionnel La Règle du Je (2010), un an après
que P. Vilain a publié L’Autofiction en théorie. Arnaud Schmitt ajoute son
interprétation au phénomène avec Je Réel/Je Fictif. Au-delà d’une
Confusion Postmoderne, (2009). L’autofiction intéresse le monde arabe
p. ex. à l’Université de Téhéran et les chercheurs des pays de l’Est, p. ex.
la Serbie (201319). Des colloques se tiennent en Espagne, en Allemagne,
en Italie…20. En 2013 paraît une revue indienne dédiée à l’autofiction,
anglophone (Auto/Fiction Vol. 1), Le Magazine Littéraire et Psychologie
Magazine offrent un dossier spécial à cette interprétation de la littérature
de soi. Le mot a mis seulement douze ans à passer de la « case aveugle »
à la place aveuglante qu’elle occupe aujourd’hui en France et outre-
frontières européennes.

Raisons du succès
Comment expliquer cet intérêt que suscite l’autofiction ? Il est évident
que la stabilité et la survivance de ce terme sont au début en grande partie
dues à J. Lecarme, P. Lejeune et G. Genette. Mais un événement, dont
l’homme Doubrovsky aurait préféré se passer, contribue grandement à
l’expansion du terme. En 1989 paraît Le Livre brisé, surnommé
immédiatement « livre-monstre » par des critiques médiatiques tel
Bernard Pivot, accusant dans son émission Apostrophes21 (du
13.10.1989) l’auteur, tout à son écriture narcissique, de meurtre de son
épouse. La phrase que le narrateur adressa à Ilse dans le livre est devenue
tristement célèbre : « inutile de lui expliquer que, justement, si j’écris,
c’est pour tuer une femme par livre. Élisabeth dans La Dispersion.
Rachel dans Un amour de soi. Ma mère dans Fils. Lorsqu’on a raconté,
on liquide et ça s’en va. On accole des centaines de milliers de signes
pour effacer. Une fois que c’est imprimé, en principe, ça gomme. »
B. Pivot omet volontairement de citer la suite : « Ma femme, je n’ai pas
envie de la dissiper par écrit, de l’effilocher dans les volutes
stylistiques22. » Serge Doubrovsky qui avait finalement réalisé le souhait
d’Ilse en écrivant « leur » livre, lui avait envoyé l’avant-dernier chapitre
pour approbation, chapitre qui devait, stylistiquement, être fort, pour
ensuite se terminer dans une fin de livre positive où le couple surmonte
ensemble les aléas de la vie. Pendant et suite à la lecture, Ilse a bu tant de
Vodka que le médecin la retrouva morte avec 7,2 grammes d’alcool dans
le sang. Anéanti, Doubrovsky finit leur livre, brisé puis n’écrivit plus
durant cinq ans. On peut sans aucun doute avancer que ce sont davantage
les médias (télé, journaux, revues), que les colloques universitaires, qui
ont lancé le terme d’autofiction. Suite au Livre brisé, Prix Médicis,
paraissent plus de soixante articles, réfléchissant à cette nouvelle écriture.
En 1989, le tableau générique qu’avait proposé Lejeune explose,
théoriciens et auteurs questionnent la mise en scène du Je, générant par
ce fait un flot d’ouvrages critiques ou autocritiques. Entre 1977 et 2014,
en fidèle intellectuel voulant éternellement « casser des os dans sa tête »,
Doubrovsky revisite à plusieurs reprises sa conception de l’autofiction.
En 1982 encore, il déclare dans Un amour de soi : « J’écris mon roman.
Pas une autobiographie, vraiment, c’est là une chasse gardée, un club
exclusif pour des gens célèbres. Pour y avoir droit, il faut être quelqu’un.
Une vedette de théâtre, de cinéma, un homme politique, Jean-Jacques
Rousseau. Moi, je ne suis, dans mon petit deux-pièces d’emprunt,
personne. J’existe à peine, je suis un être fictif. J’écris mon
autofiction.23 » et dans La Vie l’instant (1985) on lit : « Ma fiction n’est
jamais du roman. J’imagine mon existence24. » La fiction, pour
Doubrovsky, est d’évidence moins riche que le réel. Dans son plus récent
interview, il redonne sa place à l’autobiographie : « Je pense
qu’autofiction et qu’autobiographie sont finalement deux sortes de
romans de soi mais racontés à la manière du XVIIIe siècle, comme
Rousseau, à la première personne dans un ordre temporel, et puis, le
roman du XXe siècle dans sa déconstruction, ses schizes, ses failles. C’est
le même projet de se ressaisir mais dans le langage d’une autre époque.
À l’origine, j’ai voulu opposer les genres, il fallait essayer d’établir un
concept qui était contesté de partout et j’avais donc intérêt à batailler
autour de la différence entre l’autobiographie et l’autofiction. Maintenant
je dis que c’est simplement une question d’histoire. On ne peut plus
écrire aujourd’hui comme on écrivait au XVIIIe ou XIXe siècle. Le projet
reste le même : ressaisir sa vie et la raconter mais pas de la même
manière.25 » Il retient ultimement cette définition de l’autofiction : « récit
dont la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement
fictionnelle.26 »

Retentissements universitaires
Les concepts en littérature sont parfois comme des stars
hollywoodiennes : ils connaissent la disgrâce et la célébrité souvent pour
des raisons obscures. Ainsi, l’idée d’« anti-mémoires » à la Malraux n’a
pas survécu à son œuvre, le principe des « mémoires imaginaires » de
Duhamel est resté dans les coulisses de la critique littéraire, idem pour la
notion visionnaire d’« autobiografiction », lancée par un Anglais proche
de Joseph Conrad au début du XXe siècle. D’autres termes ont été
proposés, mais n’ont également pas été retenus, les plus fréquents étant
« surfiction » (Federman), « postmodern autobiography » (Sukenik),
« nouvelle autobiographie, auto-hétérobiographie » (Robbe-Grillet), « bi-
autobiographie » (Bellemin-Noël), « fiction autobiographique post-
coloniale » (Rachid Boudjedra), « récit auto-socio-biographique »
(Ernaux), « autofiction biographique » (Colonna), « roman du je »
(Forest), les « limbes » (Pontalis), « l’otobiographie » (Derrida),
« A.G.M. » (autobiographie génétiquement modifiée, Vilain), « roman-
autobiographie » (Godard), « roman faux » (J.-P. Boulé),
« autonarration » (A. Schmitt, Gasparini), « autofictionnaire » (P. Nizon).
Autant de noms pour tenter de débaptiser ce que, en 1992, Lecarme
appelle ironiquement un « mauvais genre27 », Darrieussecq un « genre
pas sérieux28 », M. Contat un « genre litigieux29 ». Si l’on veut discuter
des différentes interprétations que ce néologisme doubrovskien a
engendrées, il est nécessaire de s’en approcher en comprenant le
fondement des théories universitaires ainsi que les auto-théorisations des
auteurs concernés. Il sera ensuite possible de trouver l’angle d’analyse
sous lequel on souhaite placer la discussion, ayant en mains les
instruments de réflexions nécessaires et la terminologie qui
l’accompagne.

Philippe Lejeune, Jacques Lecarme


Avec le terme d’autofiction, Doubrovsky met en question les travaux de
Käte Hamburger et de Benveniste (« il appartient à l’essence de tout récit
à la première personne […] de se poser comme non-fiction, comme
document historique.30 »), qui estiment qu’un livre dans lequel un
narrateur porte le même nom que l’auteur ne peut être fictionnel : « une
identité est, ou n’est pas ». Fils déplace la discussion de la base théorico-
littéraire axée sur la réception, en mettant tout simplement en cause le
terme d’identité, celle-ci étant de facto non seulement insaisissable mais
surtout plurielle et qui donc ne peut dire UNE vérité. Dans Je est un
autre31, Lejeune, faisant fi du pacte autobiographique, acceptera
finalement la double inscription de l’autofiction dans le roman et
l’autobiographie et la recherche d’une écriture neuve, donc la
scénarisation moderne d’une histoire vraie. L’autofiction donnerait ainsi
sa liberté à un Je établissant un pacte avec le lecteur en assurant que ce
qui est relaté de manière fragmentée sont « des événements et [des] faits
strictement réels ». La « fiction » n’est plus à chercher dans ce qui est
narré mais dans le comment l’histoire s’écrit, le « beau style » d’un
autobiographe faisant ainsi place à un style où le vocabulaire fait souvent
mine de ressembler à celui de la rue, où la syntaxe reproduit une
captation du monde authentique puisque vécu par un individu identifié,
reflétant dans une mise en abyme presque surréaliste l’explosion des
« je » qui forme un moi textuel. En 1983, Lejeune, rapprochant le roman
autobiographique (XIXe) de l’autofiction, considérera que l’autofiction est
« sans doute […] comme l’autobiographie […] une entreprise
impossible32 ». En 1982, Lecarme avait écrit que roman et
autobiographie ne s’éliminent plus l’un l’autre car il s’agit de « romans
dont le protagoniste porte le même nom que le narrateur et l’auteur33 ».
avant d’introniser le terme en l’ajoutant à l’Encyclopedia Universalis
(1984) sous le titre « Fiction romanesque et autobiographie ». Dans Moi
aussi (1986), Lejeune reprend la discussion autour du pacte hybride
qu’entretient l’autofictionneur avec son lecteur à quoi répond Lecarme en
1992, affirmant que « le pacte autofictionnel se doit d’être
contradictoire34 », stratégie répondant au désir de débordement, de fusion
de deux pactes antinomiques exprimé déjà par Sartre : « c’est ça que
j’aurais voulu écrire : une fiction qui n’en soit pas une.35 » Lecarme
ajoute alors à la liste des autofictions avant la lettre Monsieur Jadis
d’A. Blondin (1970), Céline et sa trilogie allemande, Barthes avec
Roland Barthes par Roland Barthes (1975), Pseudo de Gary-Ajar (1976),
Le Têtard de Jacques Lanzmann (1976), Modiano (Livret de famille en
1977 et De si braves garçons en 1982), Femmes de Sollers (1983), Le
Gâteau des morts de Dominique Rolin (1982) et alii. Il les rapproche,
sans se soucier du pacte référentiel cher à Lejeune, de Fils de
Doubrovsky : « L’expérience passe ici par le langage, et l’inconscient fait
irruption dans le signifiant : c’est par les associations linguistiques ; les
jeux sur les mots, qui sont souvent des jeux de mots, que le récit
progresse, dans la fièvre et la dérision. » (La Littérature en France depuis
1968, p. 154). Plus tard, il distinguera deux grands volets. L’autofiction
au sens strict du terme : récit de faits strictement réels où la fiction porte,
non pas sur le contenu des souvenirs évoqués, mais sur le processus
d’énonciation et de mise en récit, par exemple. Roland Barthes par
Roland Barthes. L’autofiction au sens large, associant le vécu à
l’imaginaire, la fiction affectant le contenu des souvenirs, comme les
Romanesques de Robbe-Grillet.
Ce qui différencie ces deux premiers critiques de l’autofiction est que
l’un, Lecarme, voit un phénomène nouveau dans l’écriture
autofictionnelle là où Lejeune estime qu’elle serait un avatar d’un genre
ancien : le roman autobiographique. S’ajoute que pour l’auteur de Moi
aussi, la fiabilité du pacte référentiel est mis en question, il est même
question de perversion du pacte autobiographique36, là où Lecarme et
Doubrovsky font de cette « perversion » l’élément clé : l’homonymat du
triumvirat auteur-narrateur-héros et l’inscription paratextuelle de roman.
Lejeune inventoriera désormais l’autofiction dans l’autobiographie
rebelle ou transgressive, parlant d’« anti-pacte par excellence ». Ainsi,
argumentant à partir d’une stratégie pragmatique, il se rapproche de
Genette et de Colonna. Doubrovsky publie en 1985 La Vie l’instant
(« Ma fiction n’est jamais du roman. J’imagine mon existence. », p. 16).
Le Livre brisé réintroduit la notion d’autofiction dans la mesure où la
seule matière qu’il brasse est celle de sa vie.

Gérard Genette, Vincent Colonna, Marie


Darrieussecq
Comme le dit Gasparini, « [en] forgeant son néologisme, Doubrovsky
créa un signe doté […] d’un signifiant, “autofiction”, d’un signifié – les
définitions successives qu’il en a données – et d’un référent – son œuvre
littéraire. » (Autofiction, p. 108) Mais le signifié lui échappera. Genette,
dans Fiction et Diction37, propose une interprétation lexicale divergente
de celle accordée jusque-là par Doubrovsky (« récit littéraire ») à ce
néologisme. En se basant sur le protocole nominal de la triple identité et
accordant au sème « fiction » une dimension ténue de « récit non
référentiel », il distingue deux catégories : les « vraies autofictions dont
le contenu narratif est, si je puis dire, authentiquement fictionnel »
(p. 87), citant l’Aleph de Borges et la Divine Comédie de Dante et les
« fausses autofictions » : « Je parle ici des vraies autofictions – dont le
contenu narratif est, si j’ose dire, authentiquement fictionnel, comme (je
suppose) celui de La Divine Comédie – et non des fausses autofictions,
qui ne sont « fictions » que pour la douane : autrement dit,
autobiographies honteuses » (idem). Cette catégorisation fait de Barthes
et Robbe-Grillet deux « autobiographes honteux » mais vise surtout
l’auteur de Fils – auteurs dont Darrieussecq prend la défense dans
« L’autofiction, un genre pas sérieux ». Prouvant que la duplicité
générique dont Genette accuse Lecarme fait justement partie de son
travail différenciateur entre fiction et diction, elle propose : « Puisque
l’autobiographie est trop sujette à caution et à condition, et puisque
l’autofiction est littérature, faisons entrer l’autobiographie dans le champ
de la fiction […] Je dirais que l’autofiction est un récit à la première
personne se donnant pour fictif (souvent, on trouvera la mention roman
sur la couverture), mais où l’auteur apparaît homodiégétiquement sous
son propre nom, et où la vraisemblance est un enjeu maintenu par de
multiples “effets de vie” – contrairement à l’autofiction telle que l’entend
Colonna. » L’œuvre peut donc répondre au contrat de transparence.
L’autofiction se distingue de l’autobiographie en assumant son
« impossible sincérité ou objectivité » et en intégrant « une part de
brouillage et de fiction due en particulier à l’inconscient » (p. 377).
Psychanalyste de formation, Darrieussecq affirme que l’autofiction « met
en cause la pratique “naïve” de l’autobiographie, en avertissant que
l’écriture factuelle à la première personne ne saurait se garder de la
fiction, ne saurait se garder de ce fameux roman que convoque le
paratexte. […] L’autofiction, en se situant entre deux pratiques d’écriture
à la fois pragmatiquement contraires et syntaxiquement indiscernables,
met en cause toute une pratique de la lecture, repose la question de la
présence de l’auteur dans le livre, réinvente les protocoles nominal et
modal, et se situe en ce sens au carrefour des écritures et des approches
littéraires. » (p. 376) Genette n’entrera pas sur le continent psychologique
de la réception et continuera à appeler autofiction tout ce que l’on peut
trouver entre la fiction totale et l’autobiographie classique, du « je » de
l’autobiographie (Rousseau) au mémorialiste (Chateaubriand), du
narrateur à la première personne (Adolphe ou Meursault) à la
fictionnalisation assumée d’un Dante, les faisant tous entrer dans la
catégorie des shifters (embrayeurs), « instruments par excellence du
passage d’un registre (celui de l’énonciation) à l’autre (celui de
l’énoncé), et réciproquement. » (Métalepse. De la figure à la fiction,
Seuil, coll. « Poétique », 2004, p. 104)

En 1983, V. Colonna, auteur d’un mémoire portant sur « L’imposition


du nom, nom propre et autofiction », s’attache à la problématisation de la
fictionnalisation de soi et y dédie un mémoire38, élargissant la conception
du terme autofiction vers celui de la pure fictionnalisation de soi. Inutile,
voire absurde, dit-il dans Autofiction & autres mythomanies littéraires39,
de vouloir relater des faits « strictement réels » dans une autofiction. Le
pacte homonymique suffit pour pouvoir être déclaré « autofiction », la
véracité des faits narrés n’a plus d’importance. L’autofiction est identifiée
comme « une œuvre littéraire par laquelle un écrivain s’invente une
personnalité et une existence, tout en conservant son identité réelle. »
(p. 34). Exit l’écriture confessionnelle, les romans autobiographiques, les
récits du je et on ouvre grand la porte aux fictionnalisations de soi, aussi
rares soient-elles, en vérité… Ainsi Colonna donne pour exemple Lucien
de Samosate (IIe siècle apr. J.-C.). Ses « Histoires vraies » seraient la
première « autofiction fantastique ». Y est retracée l’odyssée de Lucien
allant à la découverte d’un continent au-delà des océans. Tout au long de
ces pérégrinations loufoques, il rencontre bestiaires fabuleux, séjourne
quelque temps dans l’île des Bienheureux, se fait avaler par une baleine,
s’envole sur la lune et invente la télévision. Les Histoires vraies retraçant
un voyage imaginaire dans l’utopie, dans des textes pastichés,
représentent pour Colonna les vraies autofictions annonçant aussi bien La
Divine Comédie que les deux Voyages de Cyrano de Bergerac, puis
certaines entreprises littéraires de Borges, Leiris ou Gombrowicz. Cette
autofiction fantastique aurait ouvert la voie à l’« autofiction
biographique » : « L’écrivain est toujours le héros de son histoire […]
mais il affabule son existence à partir de données réelles, reste au plus
près de la vraisemblance et crédite son texte d’une vérité au moins
subjective – quand ce n’est pas davantage. » (p. 93). Vincent Colonna y
intègre Doubrovsky, Angot, Dustan, en passant par Gary, Henry Miller,
Céline, David Rousset, Genet et Cendrars ou plus éloignés Colette,
Breton, Loti, Nerval.
L’« autofiction spéculaire », troisième pan des autofictions selon
Colonna, se caractérise par une posture réfléchissante par laquelle un
écrivain s’immisce dans sa fiction pour en proposer un mode de lecture,
que l’on retrouve aussi bien dans la seconde partie de Don Quichotte que
dans L’Amant de Duras. L’auteur ne se trouve plus forcément au centre
du texte mais « réfléchit alors sa présence comme le ferait un miroir. »
(p. 119). Colonna range dans cette catégorie des auteurs tels que Valéry
Larbaud, Cendrars ou A. Cohen, Butor et Joyce. Il rejoint donc
théoriquement Genette en instaurant un lien entre l’autofiction et la
métalepse (transgression de la frontière ontologique entre le monde réel
et le monde raconté). À ces trois types, Colonna ajoute un quatrième,
l’« autofiction intrusive ou auctoriale », où « l’avatar de l’écrivain est
un récitant, un raconteur ou un commentateur, bref, un « narrateur-
auteur » en marge de l’intrigue » (p. 135), ce qui suppose un roman à la
troisième personne. Il s’agit avant tout de donner parole à une voix
« bouffonne chez Scarron, tyrannique dans Jacques le fataliste (…)
digressive chez Balzac, égotiste chez Stendhal » (p. 135) que l’on entend
encore résonner chez Nabokov ou Günter Grass.
La thèse de Colonna partage le monde de l’autofiction en deux écoles,
la doubrovskienne exigeant la trinité auteur-héros-narrateur et un pacte
de vérité avec le lecteur et celle de Genette/Colonna qui n’acceptent
l’utilisation du terme d’autofiction au sens strict uniquement lorsqu’il y a
création d’une histoire imaginaire d’un je homonyme de l’auteur. Malgré
ces divergences interprétatives de la notion, Colonna qualifiera ce « mot-
récit » autofiction d’être « un de ces mots qui valent plus qu’une rangée
de pierres précieuses, pour lesquels il faut savoir combattre et livrer
bataille40 ». Colonna a en 1989 ouvert le mot-valise pandorien et permit
ainsi, comme Doubrovsky avant lui, de nouvelles stratégies de lecture. Il
est rejoint aujourd’hui par M. Darrieussecq pour qui l’enjeu de
l’autofiction s’est radicalisé depuis sa thèse de 1997, en réaction à ce que
l’on a appelé « l’histoire du coucou41 » : « Dans ma thèse je définissais
l’autofiction […] comme une pratique où les mots inventent la vie, à la
1re personne d’un auteur-narrateur et sous son nom, avec des effets
d’invraisemblance affichés, visant justement à souligner ce qu’est un
texte, y compris un texte autobiographique, en regard de l’expérience
vécue. La Divine Comédie en serait le modèle, en passant par les livres
de Cendrars et ceux de Guibert (« il ne lui arrive que des choses
fausses », disait de lui Foucault). Une écriture du je, donc, revendiquant à
la fois un statut autobiographique et un statut imaginaire.42 ». Étant
donné que « l’imagination existe en vrai » (p. 521), un texte imaginé au
Je est une autofiction. La théorie de Darrieussecq prend donc le terme
d’autofiction au sens littéral le plus radical, une auto-fiction s’orientant
vers l’imaginaire, le « bio » étant réduit à des éléments biographiques
élémentaires mais fondamentaux : le nom, l’identité de l’état civil.

Bruno Blanckeman
En 200244, Blanckeman divise le roman contemporain en « fictions
vives », « fictions joueuses » et « fictions de soi ». Nous intéresse ici
surtout la dernière catégorie dans laquelle sont distingués, suivant le
paramètre lejeunien de la véracité versus la fictionnalisation, trois
niveaux d’écriture intime. La plus proche du pacte doubrovskien est
l’« autodiction », lieu où « une parole […] saisit le sujet à même ses
mots » (p. 119). Dans ce cas, « la langue signe […] l’identité » (p. 120).
Blanckeman trouve l’exemple de cette forme de fiction de soi dans
l’œuvre d’A. Ernaux et celle de Guibert. Il insiste sur le fait que ces
œuvres auraient pu illustrer tout aussi bien ce que le critique entend par
autofabulation, le sujet désirant se perdre dans la fiction voire même se
réinventer parfois.
L’Amant de Duras, La Place d’A. Ernaux et encore les écrits de
Guibert ressortent pour lui du « témoignage littéraire » (p. 126) tentant de
se « révéler à soi-même par une narration-témoin qui saisit l’intime sur le
vif et le piège par les mots » (p. 125).
Dans l’« autoscription », lorsque se nouent dans le rapport complexe à
la langue des transactions identitaires d’ordre symbolique, Blanckeman
place des écrivains tels Michon (Vies Minuscules) ou Bergounioux (La
Maison rose) et certains textes de M. Riboulet ou de Delaume. À la
recherche de souvenirs éparpillés, ces auteurs rassemblent des souvenirs
en refusant d’enfermer les réminiscences dispersées dans un carcan
téléologique. Au contraire de l’écriture explosive d’un S. Doubrovsky, le
« sujet s’enracine dans l’écriture par une lente remontée vers ses
origines » (p. 130). La perte, la mémoire, l’appartenance de l’être humain
à des communautés concentriques qui se défont au cours d’une vie et
créent une irrémédiable nostalgie, ainsi par exemple le monde rural,
l’enfance après-guerre, les années soixante-huit et les rêves inaboutis en
sont les thématiques.
La dernière « fiction de soi », l’« autofabulation », se dessine lorsque
la fable manipule et transforme des realia biographiques à des fins
d’élucidation intime (Laurens, Delaume, C. Honoré). Ce terme – déjà
utilisé par Colonna quelques années auparavant –, désigne non pas la
totale invention d’une vie (Dante), mais cerne : « des ordres de vérité
intime tout en ménageant, par un jeu de masques réversibles et des
figures de fiction insistantes, un espace de liberté et de sauvegarde de
soi » (p. 146).
En réaction aux années soixante-dix, où le sujet s’était vu destitué par
les idéologies dominantes (structuralisme, matérialisme dialectique), des
écrivains tels Sollers, Quignard ou Modiano pouvaient se servir d’un
alter ego ou réinventer des faits réels. Dans un souci d’exactitude,
Blanckeman, avance des sous-classifications telles les autofictions
phénoménologiques, poétiques, épiphaniques, romanesques, sans oublier
les récits transpersonnels, le roman autobiographique, le récit
ethnographique, etc...45 Articles et études lui permettent ainsi de penser
une « toile autofictionnelle » tentant de prendre en compte les multiples
entrées et perspectives induites par une notion qui, parce qu’elle semble
réfractaire au cloisonnement générique, s’utilise couramment de façon ou
bien amorphe, ou bien péjorative.

Arnaud Schmitt
Lorsque A. Schmitt présente le concept d’autonarration pour désigner
« non pas un genre mais la forme contemporaine d’un archigenre,
l’espace autobiographique46 », celle-ci ne se substitue pas à l’autofiction
mais l’inclut. Approchant l’autofiction sous l’angle narratologique de
K Hamburger, il ne lui est pas possible de « lire assis entre deux chaises »
ou d’embrasser l’hybridité théorisée par Gasparini. Même si les sciences
cognitives semblent impliquer que la « capacité négative » (negative
capability) de Keats – cette capacité à vivre dans l’incertitude, celle
finalement prônée par l’autofiction – pourrait être réaliste, entretenir
simultanément deux idées contradictoires nécessiterait un effort
intellectuel peu compatible avec le temps long de la lecture. Le terme
autofiction ne lui paraissant pas témoigner de manière précise de
l’identité des diverses écritures du je, il propose de « classer les textes à
dominante référentielle sous l’appellation autonarration, et d’attribuer à
ceux dont l’identité oscille entre roman et autobiographie l’étiquette
fiction du réel47. » Il propose que le lecteur lui-même décide du genre du
livre qu’il lit en déplaçant un curseur sur un axe de modalité présenté lors
du colloque Autofiction(s). Deux perspectives s’ouvrent alors : « si le
curseur est plus proche de la modalité alpha, du réel, l’autofiction devient
autonarration, s’il se rapproche de la modalité bêta, du fictif, elle
s’apparente à la fiction du réel catégorie qui regroupe les romans qui
empiètent sur le réel et les autobiographies qui empiètent sur la fiction. »
Dans cette dernière catégorie, Schmitt place autant Bret Easton Ellis,
Lunar Park (qui représente sous son nom des faits totalement irréels tels
une maison hantée, l’exorcisme…) que Norman Mailer, The Castle in the
Forest où est carrément imaginée par l’auteur l’enfance de Hitler sous
forme d’un « je ». La « fiction du réel » se rapproche donc de ce que
Colonna appelle la « fictionnalisation de soi » puisque « nous ne sommes
pas dans le réel, mais dans une fiction librement inspirée du réel »
(p. 90). L’autonarration est donnée comme alternative au terme
d’autofiction « biographique », évinçant le problème de la véracité (le
lecteur est le maître du genre et décide pour lui de la réalité des dits) et
plaçant donc l’autofiction comme « une autobiographie présentée sous
forme littéraire » (p. 78).

Philippe Gasparini
En 2004, P. Gasparini réactualise dans Est-il Je ? Roman
autobiographique et autofiction48 le terme de « roman
autobiographique », déconsidéré par Lejeune dans L’Autobiographie en
France49. Quatre ans plus tard, le théoricien de la question des écritures
du Je publie Autofiction, une aventure du langage50 dans lequel il
énumère minutieusement en dix points une autofiction doubrovskienne :
1. l’identité onomastique de l’auteur et du héros-narrateur ;
2. le sous-titre : « roman » ;
3. le primat du récit ;
4. la recherche d’une forme originale ;
5. une écriture visant « la verbalisation immédiate » ;
6. la reconfiguration du temps linéaire (par sélection, intensification,
stratification, fragmentation, brouillages…) ;
7. un large emploi du présent de narration ;
8. un engagement à ne relater que des « faits et événements
strictement réels » ;
9. la pulsion de « se révéler dans sa vérité » ;
10. une stratégie d’emprise du lecteur. (p. 209)
À la fin de ce travail, tentant de synthétiser les différentes définitions
qui avaient jusque-là été avancées, Gasparini emprunte à Schmitt le
concept d’« autonarration » pour définir tout « [t]exte autobiographique
et littéraire présentant de nombreux traits d’oralité, d’innovation
formelle, de complexité narrative, de fragmentation, d’altérité, de
disparate et d’autocommentaire qui tendent à problématiser le rapport
entre l’écriture et l’expérience. » (p. 311). Afin de rendre plus clair ce qui
est strictement référentiel et ce qui ne l’est pas, Gasparini inscrit dans cet
« archigenre » nommé autonarration deux sortes de textes
autobiographiques :
Le texte strictement autobiographique (récit autobiographique), régit
par le pacte du même nom (Charles Juliet, Roubaud, Forest, Cusset,
Ernaux, Bernhard, Coetzee, Semprun, Kertész…).
Le roman autobiographique, obéissant à une stratégie d’ambiguïté
plus ou moins retorse et qui regroupe le corpus autofictionnel (Genet,
Aragon, Duras, Modiano, Sollers, Robbe-Grillet, Angot, Vilain,
Delaume, le premier Doubrovsky (jusqu’au Livre Brisé))
Mais ici encore le problème récurrent de qui décide de ce qui est
« strictement » autobiographique se pose et la notion d’autonarration,
tout en introduisant un autre niveau d’appréhension, n’en réduit pas
moins l’hybridité.

Jean-Louis Jeannelle, Thomas Clerc


J.-L. Jeannelle s’intéresse au paradoxe des concepts auto et fiction. Il
resitue le néologisme de Doubrovsky dans une série de concepts allant
des « Mémoires imaginaires » de G. Duhamel, « Mémoires intérieurs »
de F. Mauriac, aux « prochronies » de Cendrars, et surtout aux
« Antimémoires » de Malraux. Il réfléchit à l’absence de définition claire
du terme « fiction » – très souvent confondu avec l’imaginaire, le
mensonger ou même la littérature –, l’extensibilité chronologique et
géographique du terme et la confusion entre trois types de discours
(auctorial, universitaire et médiatique), confusion érigée par
Doubrovsky en une posture revendiquée, mais poussée très loin par ses
successeurs. Les conflits d’intérêts qui en résultent lui semblent atteindre
un tel niveau que, dans un article sur l’affaire
C. Laurens/M. Darrieussecq, il prend acte du fait que la cohérence
définitionnelle de l’autofiction est inversement proportionnelle à son
extension – chronologique, géographique ou conceptuelle –, et propose
de substituer à l’approche poétique traditionnelle une approche
sociologique du phénomène. Pour T. Clerc, « l’autofiction a le mérite de
faire voler en éclats la question du vrai et du faux : mensonges, oublis,
fantasmes et mises en scène n’invalident pas […] la vérité du sujet ou du
texte, mais sa simple factualité51. ». Exit la « tyrannie » de l’opposition
vérité-fiction qui concerne d’ailleurs tout autant les autobiographies
classiques que les autofictions. À l’instar d’Y. Baudelle52, T. Clerc
souhaite réhabiliter la notion de « roman autobiographique »,
l’autofiction ne s’en distinguant pas, selon lui, en ce qui concerne les
choix narratifs. Il refuse « la réduction du littéraire au fictionnel, ou, pour
reprendre les termes de G. Genette, que le régime de littérarité auquel je
souscris n’est pas constitutiviste mais conditionaliste. La fictionnalité
d’un texte ne garantit pas pour moi sa littérarité ; inversement, la
référentialité n’est pas une condition de son exclusion hors du champ
esthétique53. » Sa conception négative de l’autofiction se fonde sur le fait
que celle-ci cherche avant tout à satisfaire le public dans sa demande
biographique (visant le sentimentalisme de « l’histoire vraie ») qu’elle
invalide retorsement par l’idée que ce qui y est raconté relève in fine de
la fiction. Il défend le droit à l’écriture de l’autobiographie qui s’engage
dans un pacte de vérité réel avec le lecteur, texte engagé et pacte sérieux
à l’encontre d’un pacte enjoué roublard de l’autofiction. Ce théoricien et
auteur a lui-même publié en 2013 un texte nommé Intérieur54 où il
s’adonne dans un exercice perecquien à la description des 50 m2 qui
composent son appartement parisien, ainsi que des objets qui le
remplissent et dont il fait l’inventaire, qui se double d’un autoportrait en
creux de son auteur.

Claude Burgelin, Arnaud Genon, Isabelle Grell


C. Burgelin, universitaire et spécialiste de Perec, Modiano, Duras, Leiris,
Bove et alii, est avec Blanckeman un des rares défenseurs actuels de
l’écriture autofictionnelle : « L’autofiction est peut-être enfin un des biais
poétiques que nous ayons pour réenchanter nos vies. 55 ». Il réfute l’idée
que cette écriture ne soit qu’une réaction à la crise que traversait la
littérature française. Pour le théoricien des auto-écritures, celles-ci sont
« depuis près d’un demi-siècle un laboratoire de la littérature, d’où
surgissent des formes inattendues, des découpes originales, des histoires
fortes.56 » Ce genre fièrement bâtard déjoue pour lui les pratiques
radicales de théorisation et s’ouvre sur des labyrinthes imprévus, se
revendiquant ouvertement subjectif ET polyphonique. « Je est un autre
que la contrainte sociale, familiale, clanique forme et déforme. » (« Pour
l’autofiction », p. 12), Je est en quête de sens et de véridiction, joue avec
des ego expérimentaux, témoigne souvent d’expériences mal dicibles.
L’autofiction, écrit Burgelin, fait entendre à toutes sortes de niveaux ce
qui peut se jouer entre exactitude objective et vérité subjective, devenant
ainsi une « aventure de la langue, de l’imagination, de l’intelligence
particulièrement stimulante ».
I. Grell s’intéresse avant tout aux rhizomes que l’autofiction a semés
dans le monde et les arts et questionne la genèse de l’écriture du Je
postmoderne. Mesurant à quel point l’autofiction dépasse les frontières
géographiques et constatant qu’elle a investi tous les arts : cinéma,
photographie, BD, peinture, internet…, elle cherche à comprendre d’où
s’écrit le « je » et comment émerge ce désir de (se) dire (face) à une
société qui n’écoute plus que d’une oreille ce que « je » est ? Elle définit
l’autofiction stricte comme un art engagé (transformation esthétique de sa
propre vie par l’écriture, l’art) d’un Je assumé (homonymie entre
auteur/narrateur/protagoniste, anonyme ou pseudonyme assuré)
témoignant, dans un pacte de vérité post-freudien, d’un Être dans sa
fragmentation individuelle (psyché), universelle (historico-sociétal) et
son rapport à l’autre.
A. Genon, après avoir principalement travaillé sur les œuvres de
Guibert et de Doubrovsky, développe la notion de « fracture
autobiographique » au cœur du processus autofictionnel. Au-delà des
caractéristiques traditionnelles du genre que sont la réorganisation
chronologique des événements, la dramatisation de l´expérience vécue ou
le jeu entre la fiction et le réel tel que Guibert l’a pratiqué, il affirme que l
´autofiction est l´expression d´une césure ontologique, d´un manque à
être, d´une impossibilité pour le sujet à se saisir pleinement. Au cœur d
´une expérience déchirante (Guibert et à la découverte de sa
séropositivité, Doubrovsky confronté à la mort de sa mère ou de ses
femmes ou à C. Laurens et P. Forest devant affronter la mort d´un
enfant), le sujet écrivant ne peut en passer que par une forme qui, dans
son essence même, incarne une scission entre le « moi » et le « je », entre
l´expérience vécue et sa textualisation, entre le réel et le vrai.
2
Critiques de l’autofiction

« On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on
n’oserait confier à personne »
(Cioran)

« Impudeur, narcissisme, nombrilisme, exhibitionnisme » s’exclame


S. Doubrovsky, parodiant les détracteurs de l’autofiction. Bâtarde,
hybride, sans appartenance claire, l’autofiction serait « illégitime ».
Illégitime avant tout par rapport à l’autobiographie qui, dans les temps
préfreudiens, prétendait entretenir un solide pacte de sincérité avec le
lecteur même si elle eut elle-même jadis déjà ses détracteurs acharnés,
pensons à La Harpe (XVIIIe) horrifié par l’impudeur de Rousseau, Valéry
(XXe) hostile à l’égotisme de Stendhal, Pascal désignant l’œuvre de
Montaigne comme « sot projet qu’il a eu de se peindre » ou encore le
fameux Contre Sainte-Beuve de Proust. Il est nécessaire de distinguer les
différentes accusations et de les prendre au sérieux. Les premières
concernent la posture nombrilique et surtout impudique de l’écriture
autofictionnelle, étroitement liée à une réserve sur la valeur stylistique du
procédé qui s’inspire de sa propre vie. Les secondes sont moins des
accusations qu’un mépris envers ce genre dit « féminin » donc forcément
sensible et peu travaillé linguistiquement. La troisième concerne la
problématique autour du pacte Lejeunien de vérité que l’autofiction
refuserait de signer avec le lecteur (« autobiographie honteuse » –
Genette).

1. En-je(ux) de la morale
Parmi les sept péchés capitaux se trouve l’orgueil (selon Théophraste, le
mépris de tout, sauf de soi-même), donc le manque d’humilité
(nombrilisme) et joint à cela… la luxure (exhibitionnisme). Marc Petit
condamne ces « exhibitionnistes » et déplore qu’ils « occupent toute la
scène57 », Tzvetan Todorov juge sévèrement le « nombrilisme
solipsiste58 ». L’exhibitionnisme est surtout reproché aux auteurs femmes
ou à ceux qui vivent une sexualité autre qu’hétérosexuelle. C. Millet,
avec La Vie sexuelle de Catherine M.59, est un exemple des plus connus
de la liberté de parole sexuelle, mais C. Donner déclare aussi sans
complexe que « L’amour, le sexe, ça me fait chier ! Par contre, les
histoires d’amour ou de sexe, j’adore… Je ne suis jamais dans la
théorie60… ». C. Cusset s’avoue volontiers dévoreuse et destructrice. Il
s’agit dans Jouir d’un récit d’un Je exhibitionniste mais sans
complaisance, bien loin d’être un amas de « vide sidéral61 ». Les divers
ouvrages de C. Angot osent aller plus loin encore en rajoutant au
prétendu exhibitionnisme le récit tabou de l’inceste subi jeune
adolescente (L’inceste, Une semaine de vacances). Des critiques
incriminent les ouvrages vrais et durs de Nelly Arcan parlant de
« littérature ordurière », obscène, à ne pas laisser entre les mains des
femmes convenables (Putain ou Folle). Certains autofictionneurs seraient
mythomaniaques, on leur enjoint de s’offrir une analyse au lieu d’écrire
leurs insanités pour les divulguer aux yeux de tous. Il est vrai que
C. Donner, C. Angot, S. Courtoux, C. Laurens, C. Delaume, N. Arcan, É.
Brami, C. Millet, Doubrovsky et alii ont tous évoqué dans leurs livres au
moins un épisode chez un(e) analyste. Fait-ce d’eux des fous ? Il y a là
méprises et mépris envers une écriture qui n’est ni étalage honteux ni
« bavardage ininterrompu » (p. 145) mais engagement de sa propre
personne dans un récit assumé refusant strictement la parole vide d’un
moi pris en otage par la bienséance et l’autoritarisme d’une communauté
despote des bonnes mœurs. Ces reproches suscitent d’ailleurs l’ironie de
C. Delaume : « Écrire le Je ne relève en rien du narcissisme, mais de
l’instinct de survie dans une société où le capitalisme écrit nos vies et les
contrôle.62 » S’écrire devient pour l’auteur des Mouflettes d’Atropos un
acte politique allant diamétralement à l’encontre des écrits de Todorov
déclarant que sans « projection universelle63 », la littérature n’entrerait
plus en relation significative avec le monde.

2. L’autofiction, une écriture féminine


« Je n’ai jamais entendu le mot “autofiction” à propos de Philip
Roth, Philippe Sollers, Jean Rouaud, Emmanuel Carrère, Frédéric-
Yves Jeannet, etc. […] Tout se passe très subtilement comme si
l’autofiction était principalement un genre féminin, avec un côté
sentimentalo-trash, narcissique, façon détournée, inconsciente,
d’assigner aux femmes leur domaine, leurs limites en
littérature. »64
(Annie Ernaux)

Selon quelques critiques, serait typiquement féminine l’attention à


l’intime et au sensible, traduction évidente du narcissisme féminin lié au
pathos et à l’impudeur, à leur être-sexuel a contrario au être-logique
masculin. Oui, les écrivains-femmes explorent enfin, et en nombre (35 %
de la production globale), ouvertement leur sexualité, leurs désirs, leurs
fantasmes charnels, l’identité sexuelle (A. Garréta, Pas un jour), le désir
d’échanger les rôles (C. Laurens, Dans ces bras-là), le besoin d’amour et
de sexe (M. Nimier, La Nouvelle pornographique), les tourments de la
passion (A. Ernaux, Passion simple), les bienfaits de la masturbation,
l’intempérance d’un « plan à trois ou plus » (C. Millet), la prostitution
(N. Arcan, C. Delaume), l’inceste (C. Angot), l’avortement, le cancer du
sein (A. Ernaux), la jalousie (C. Millet, Jour de souffrance). C. Laurens
insiste d’ailleurs avec force sur le décalage entre l’expérience des
femmes et ce qu’on leur a fait croire : « Est-ce de notre faute, à nous, si
on nous a raconté des histoires ?65 »
Si l’on veut honnêtement questionner la part de la féminité dans
l’écriture autofictionnelle, il suffit de lire ces auteures d’autofictions
telles la combative Bouraoui, la cinglante Delaume, la perspicace
Laurens, l’insoumise Duras, l’impertinente Angot, Ernaux et son
écriture-couteau, Cusset qui questionne jusqu’à l’os les liens familiaux,
l’impudique Deforges, et plus loin de la France les auteures
(com)battantes des Afriques ou des Antilles (Assia Djebar, Maissa Bey,
Maryse Condé, Calixte Beyala) qui s’élèvent contre une vie imposée
qu’elles refusent, se mettant en danger par l’insoumission de leur écriture
ou encore les acerbes récits auto- et alter-destructeurs de soi des
écrivaines de pays totalitaires tels la Chine (Mian-Mian, Zhou Weihui) ou
les réalisatrices de BD autofictionnelles telles Marzi, qui raconte
l’enfance de Marzena Sowa dans la Pologne des dernières années du
régime communiste ou le fameux Persépolis de Marjane Satrapi.
Récemment Annie Richard66, ne cherchant pas à masculiniser l’écriture
autofictionnelle des auteures d’autofictions, a remplacé le nombrilisme
attribué à la gente féminine par ce qu’elle nomme une « alter-fiction »
qui se libère de l’ego pour mieux franchir la barrière qui nous sépare
d’autrui, l’autre à qui « je » parle.

3. Une non-valeur de contenu et de style ?


En 1998, C. Donner, estimant comme Malebranche que l’imagination
était « la folle du logis », publie Contre l’imagination67 dans lequel il
considère cette dernière comme un « poison » infestant la littérature. En
réponse quasi explicite, M. Petit (Éloge de la fiction) dénonce le
« minimalisme » et le « nombrilisme » du paysage romanesque français.
La forme, le style y seraient simples, sans recherche particulière, non
mythologiques, les phrases peu travaillées, collant trop à l’époque,
« truffés de verbes pauvres » (Onfray), répétitifs… Onfray déplore
l’« appauvrissement du roman68 », la littérature étant « réduite à une
sorte d’autofiction qui voit chacun raconter un bout de sa vie – surtout si
on y trouve du sexe, du croustillant. » Dans cette verve, P. Jourde regrette
dans son pamphlet La littérature sans estomac que les écrivains
modernes, dont il fournit une liste (Angot, Autin-Grenier, Beigbeder,
Bobin, Darrieussecq, Delerme, Laurens, Holder, Toussaint, Redonner,
Benheim, Rolin) ne suivent plus les préceptes de La Rhétorique
d’Aristote (1356 b 32-33) prônant que la preuve par l’ethos consiste à
donner une image de soi positive donnant confiance à l’auditoire. Dans
l’autofiction, les romans du Je, le lecteur n’aurait « pas besoin de se
fatiguer sur des questions de style, de construction, etc. On raconte des
anecdotes.69 » Ces fictionnalistes ont horreur du ressassement par
l’auteur de « moi, ma vie, mes chaussettes sales et mes opinions sur le
monde70 », leurs questionnements hystériques, dépressifs, jouissifs,
torturés évoqués en leur propre nom et écrit en mauvais style.
Mais qui, à part d’éminents spécialistes et théoriciens ou des écrivains
imaginatifs et bien au chaud chez eux, parlerait alors des problèmes
cruciaux de notre ère : la vie en marge, la folie non maîtrisée, la pauvreté
sociale, l’exaltation sainte, la solitude du gouffre, la torture physique ou
psychique, la perte de repères, la haine assommante, la passion assumée,
la religion, l’homosexualité, la pornographie, l’éducation… Tout cela se
dit aujourd’hui et refuse la tour d’ivoire qui exclue le lecteur. Le « je »
qui s’exprime dans l’autofiction est un autre « je » que celui qui sert de
papier-calque à quelque chose de su et de vu, de plus ou moins loin. La
valeur du contenu réside dans ce que, justement, l’ethos d’Aristote soit
dépourvu de son appréciation réduite à des valeurs morales (se rendre
crédible et sympathique) et embrasse les racines et l’histoire de l’homme
s’offrant à l’autre à travers ses mots. Question style, que penser du
surcodage de Fils de Doubrovsky, sa formidable performance
stylistique ? De Laurens qui réclame pour l’autofiction une exigence
stylistique et formelle. Pour Delaume, poétesse de l’autofiction,
la préoccupation esthétique est aussi essentielle que le Je assumé.
L’écriture automatique est chère à Doubrovsky. L’emploi d’allitérations,
d’assonances et de dissonances se retrouve également chez Arcan
(Putain) et Delaume (Le Cri du sablier), chez René-Louis des Forêts
(Ostinato) autant que chez Ch. Juliet (Lambeaux). L’écho inlassable où
aucune parole redite ne saurait calquer son timbre exact, sa méditation
réflexive sont propres à Forest. Les calembours et les superpositions de
récits sont une spécialité de Laurens. Ernaux, volontairement artisanale,
emploie l’« écriture plate » représentant une mise à distance du Je, à la
recherche toujours du mot le plus juste, de la précision lexicale.

4. Accusation de mensonge épisodique et motivé


Cette récrimination parvient des théoriciens les plus mandatés : Genette,
Lejeune, puis de Colonna et Gasparini. Leur argumentation est claire et
accessible. « Auto », du grec autos signifie « le même », « lui-même »,
« de lui-même ». « Fiction » est définie dans un premier sens dans le
Larousse comme « mensonge » puis de « construction de l’imaginaire »,
opposé à « réalité ». L’association des deux donne en littérature
« autofiction », forme expressive et littéraire (artistique) d’un « je » par le
langage (l’art). Mais Lejeune avait bien défini que « pacte
autobiographique » ne peut y avoir uniquement si l’engagement de
l’auteur à raconter sa vie se réalise dans un esprit de vérité appelé « pacte
référentiel » et définit comme suit : « Par opposition à toutes les formes
de fiction, la biographie et l’autobiographie sont des textes référentiels :
exactement comme le discours scientifique ou historique, ils prétendent
apporter une information sur une « réalité » extérieure au texte et donc se
soumettre à une épreuve de vérification. Leur but n’est pas la simple
vraisemblance, mais la ressemblance au vrai. Non « l’effet de réel », mais
l’image du réel. Tous les textes référentiels comportent donc ce que
j’appellerai un « pacte référentiel », implicite ou explicite. » (p. 36).
Genette et Lejeune, partant de la réception du texte, ne peuvent donc
accorder de valeur théorique littéraire à ce genre qui serait usurpation
d’un pouvoir référentiel non assumé : « Moi, auteur, je vais vous raconter
une histoire dont je suis le héros mais qui ne m’est jamais arrivée ».
Il est nécessaire de temporiser le discours. D’après le réceptionniste
Wolfgang Iser, deux pôles se rencontrent lors de l’acte de lecture : l’un,
artistique et propre au texte, l’autre esthétique et propre au lecteur.
L’autre n’est lu, vu, qu’à travers la glace déformante du soi. Évidemment,
la parole de l’écrivain autofictionneur est un acte pourvu d’une puissance
de dévoilement, elle vise à augmenter la part de vérité. Et « pour qu’un
dit soit vrai, encore faut-il qu’on le dise, que dire il y en ait » (Lacan,
L’Étourdit, 1972). Le texte génère donc lui-même son propre réseau de
signification. Il n’ancre son identité ni dans le monde empirique, ni dans
la complexion de son lecteur. Lors de la réception d’un texte, le lecteur
ne distingue pas la fiction de la réalité mais use de la première pour être
informé sur la seconde, et ceci d’autant plus dans des textes
autofictionnels. La question de vérité est perçue selon les affinités
sensibles, les inclinations théoriques, la personnalité intime et extime de
l’écrivain et de son lecteur, selon son but recherché.
Pour P. Forest et d’autres, la grande force des auteurs d’autofictions est
de cheviller ce qu’ils écrivent à ce qui s’écrit en eux, de confier aux mots
une expérience sensible et d’affronter l’épreuve du vrai. La vérité, le vrai
n’habitent pas les dates, les lieux précis. Elle se trouve dans des sortes de
« biographèmes » qu’il développe, à la recherche de la traduction de ce
qui est impartageable : la vie. Après Lacan qui définit le réel comme
étant « ce qui ne cesse de s’écrire », le langage ne pouvant jamais rendre
compte complètement du réel, réel invisible qu’il faut s’efforcer de
distinguer, il semble accessoire de s’acharner à vouloir calquer le pacte
autobiographique lejeunien sur celui que l’auteur autofictionnel entretient
avec son lecteur. Ce pacte est trop hétéroclite, il dépend de la conception
auctoriale de la vérité, de la réalité qui est à mettre en opposition avec le
réel, pour vouloir le consigner à un seul pacte référentiel. L’autofiction
est une thématisation en abyme d’un « je » assumé, un métalangage et
une allégorie de l’acte de vivre, de se dire, par laquelle un auteur se
construit une personnalité, une existence, tout en conservant son identité
réelle. Si l’on veut en convenir que l’autofiction n’est fiction que parce
qu’elle est écriture, que le réel n’est pas redoublement, reprise mais
invention contrôlée, création langagière, donc aventure du langage,
qu’elle dit non la réalité objective mais le réel subjectif, il en découle
qu’il y a parfois « fausseté au niveau factuel, pour des raisons esthétiques
ou parce que la mémoire est factuellement inexacte alors même qu’elle
est émotionnellement vraie71 » et là se trouve être le seul pacte que
l’autofiction peut offrir au lecteur.

Exemples
Doubrovsky répond en 1999 aux questions de Contat : « Vous êtes
donc bien un autobiographe dont le témoignage sur sa propre vie peut
éventuellement être vérifié sur des documents administratifs, registres
d’hôtel, factures etc. Vous tenez à la véracité de ce que vous racontez, et
le pacte autobiographique est en ce sens respecté ? Doubrovsky : Oui, la
Résidence de Rohan à Royan m’a laissé un souvenir inoubliable, je l’ai
intégré au roman, une enquête policière pourrait à la limite retrouver les
traces de notre passage. M. Contat : Et c’est important pour vous, parce
que ça ancre l’autofiction justement dans le projet autobiographie ?
Doubrovsky : Oui, “fiction de faits et d’événements strictement réels” : je
tiens à ce “strictement réels”. »72 C’est l’écriture en tant que telle, la
syntaxe, le rapport beaucoup plus immédiat à la brutalité des mots, des
scènes, des souvenirs, cette formalisation-là qui « fictivise » la vie et non
le mensonge.
C. Laurens : L’autofiction qu’elle défend s’oppose diamétralement à
un roman écrit à la première personne sans engagement du Soi. Dans ses
livres, les faits sont vrais, les choses sont arrivées, suivant l’idée du
« livre intérieur ». Ce qu’il faut chercher, c’est à restituer ce que la réalité
a imprimé en vous. La fiction se trouve dans le style. Suivant le précepte
de Queneau : « L’humour est fait pour décaper les grands sentiments de
leur connerie », C. Laurens applique dans ses autofictions ce rire de la
distanciation, sans jugement, dansant sur le fil qui sépare la vie vécue de
la vie réelle. « Chaque vérité est momentanée, tout est en mouvement, et
indécidable.73 » Ce qui ne signifie nullement que l’autofictionnaire
affabule. Les failles d’où surgissent les textes n’ont rien de ce que Forest
appelle le « faux témoignage », elles sont recomposées, parfois
fantasmées ou déplacées, elles permettent de s’interroger sur la mémoire,
l’oubli, l’effacement, le temps : « Le récit [autofictionnel] fait surgir
quelque chose qu’on n’avait pas encore entendu, pas encore vu, qui
permet de rebondir, d’avancer.74 »
P. Forest, partisan résolu d’un roman gagé sur le réel fondé sur
l’expérience, explique son approche de l’écriture du je et sa relation à la
vérité : « un livre ne devrait exister que s’il se fait malgré son auteur, en
dépit de lui, contre lui, l’obligeant à toucher le point même de sa vie où
son être, irrémédiablement, se défait. Rien ne vaut sinon cette vérité-
là.75 » Cette vérité qui est celle de l’écriture de la faille n’invite pas à une
lecture faussement dialogique, où ethos du lecteur (virtuel) et ethos du
texte (concret) auraient chacun droit de cité. L’autofiction ou, terme que
Forest lui préfère, le « roman du je », approche au plus près la réalité :
« La “réalité”, ce sont les romans qui nous enseignent ce qu’elle peut
être, ce sont eux qui façonnent la forme du vraisemblable à nos yeux, qui
déterminent les rôles stéréotypés que nous pourrons jouer en croyant les
vivre […] Ainsi, ce qu’on nous donne pour la “réalité” et que, d’abord
nous acceptons comme telle, n’est jamais que fiction. […] Le roman, tel
que je m’attache à le comprendre, est ce qui construit la fiction de cette
fiction qu’est la “réalité” et qui, l’annulant par ce redoublement, nous
permet de toucher ce point de “réel” où il se renouvelle et par où il nous
communique le sens vrai de notre vie.76 » Dans le cas de Guibert, la pure
fiction elle-même aurait été un mensonge. Il s’agissait pour lui de tout
dire, là était sa révolte.
« L’autofiction est pour moi non-fiction, une non-fiction basée sur un
“je”, qui donne à une perception du monde son style, sa densité et sa
cohérence.77 » explique C. Cusset. C’est avec Un brillant avenir que
l’auteure a ressenti le plus brutalement l’enjeu de l’écriture du Je sans
fard autre que le style. Dans « The Limits of Autofiction », elle ouvre la
discussion sur l’engagement dans un pacte de vérité avec le lecteur quand
autrui qui vit avec vous y est assimilé. Ce pacte serait plus difficile à tenir
pour une femme écrivain que pour un homme. « I actually wonder if their
is a single woman writer of autofiction who is not divorced. Maybe this
is the price to pay for writing.78 »
Chloé Delaume constate de son côté que « L’autofiction implique un
pacte extrêmement particulier entre l’auteur et le lecteur. L’auteur ne
s’engage qu’à une chose : lui mentir au plus juste. » Cette écriture
autofictionnelle thématise une recherche formelle vers une vérité de soi
dans un monde qui l’a perdu. Auteur et lecteur mènent le même combat.
L’autofiction, telle que P. Vilain la théorise et pratique, refuse
également, mais avec un raisonnement moins philosophique que celui de
P. Forest, un pacte de vérité trop étouffant et faussé. Ce faisant, il
s’éloigne considérablement de l’école initiale de son confrère
Doubrovsky.
Ce qui empêche A. Ernaux d’accepter pour son entreprise littéraire le
terme d’autofiction est que ce mot comporte deux contrats paradoxaux
(« une identité est, ou n’est pas ») : celui de dire la vérité et celui de la
fiction, l’invention. Lorsqu’Ernaux écrit, elle a besoin d’être dans une
démarche de recherche de vérité, jusqu’à l’obsession. Son refus de toute
fiction l’amène à appeler son écriture l’« autosociobiographie ». Dans ses
« ethnotextes », comme elle l’exprime dans Journal du dehors79 il n’y a
« aucune description, aucun récit non plus. Juste des instants, des
rencontres. » Que du vrai.
3
Théories d’écrivain

Peu d’écrivains se placent eux-mêmes dans l’autofiction. Pour


comprendre le raisonnement des plus importants d’entre eux, il faut
différencier ceux qui acceptent, voire revendiquent le statut de l’écriture
autofictionnelle de ceux qui refusent catégoriquement cette banderole.

1. « J’écris de l’autofiction »

1.1. Écrivains de l’engagement de soi (école


doubrovskienne)
Le pacte avec le lecteur est ici fondé sur une écriture où non seulement
la trinité doubrovskienne d’auteur/narrateur/protagoniste est assurée mais
aussi sur l’engagement que ce qui est dit correspond à une vérité, sans
vouloir entrer dans une définition illusoire de la notion et des
composantes de ce qu’est pour chacun des écrivains la « vérité ». On
trouve dans cette catégorie d’écrivains engagés des auteurs tels
Doubrovsky, Semprun, Laurens, Guibert, Rezvani, Forest, Lucot, Colette,
Laferrière, Cusset, Arcan, C. Millet, Goldschmidt, Cixous… Tous, à
travers leurs textes, ont théorisé la démarche scripturale et éthique qui les
pousse vers l’échange en « je » avec autrui. Voici quelques exemples.

Camille Laurens
« L’autofiction […] ne dit pas “Je suis” mais plutôt “Je sommes” »80
C. Laurens avait déjà écrit des romans avant de venir à l’autofiction
qui s’est imposée à sa sensibilité suite au décès de son fils Philippe, peu
après sa naissance. Si le livre qu’elle consacre à cet événement tragique
n’est pas autofictionnel, Philippe81 est un « récit autobiographique », il
ouvre bien la voie à l’autofiction, écriture qui, à présent, est
inévitablement liée au drame de la perte. « Inventer des histoires, créer
des personnages, des situations, des décors me semblait creux, vain, et
surtout impossible : un sentiment d’imposture, d’illégitimité, de fausseté
m’envahissaient dès que je m’essayais au roman traditionnel » (p. 25
sq.). Reprenant la dichotomie entre story et history, C. Laurens affirme
que dans l’autofiction « l’histoire que je raconte a eu lieu, elle est aussi
vraie que les faits historiques, et j’en témoigne parce que j’étais là à
l’intérieur, je les ai vécus, éprouvés. » (idem). Elle assume donc depuis
1993 le terme d’autofiction pour parler de ses livres, lui préférant
néanmoins le terme « écriture de soi » et non « du moi », plus centré sur
l’ego, même si souvent ce mot l’a blessée, surtout dans l’altercation avec
M. Darrieussecq qu’elle accusa de « plagiat psychique » suite à la sortie
de Tom est mort, texte imaginé et fortement inspiré par Philippe. Elle
perd alors son éditeur P.O.L., qui l’accuse de contester à l’écrivain le
droit de l’imagination, reproche absurde étant donné qu’on écrit toujours
à travers ce buvard qu’est l’imagination. Comme nombre d’écrivains
d’autofictions, C. Laurens s’est aussi vu reprocher de décrire des scènes
banales, sans intérêt comme une scène de ménage dans Ni toi ni moi. Où
serait l’imagination ? C’est se montrer volontairement aveugle par
rapport à la remise en scène, la ré-imagination de cette dispute qui a
réellement existé dans cette maison précise : l’éclatement de la sphère
scénique, la démultiplication de l’instance narrative, le plan off rendu
visible à travers les yeux des invisibles présents (voisins, parents), des
réalisateurs de cinéma qui dirigent le « film ». L’autofiction, pour
C. Laurens, est une « traversée vers soi sur l’océan de la langue, avec ses
flux, ses vagues, ses incertitudes82 ». L’auteur qui dit partir d’un modèle
d’écriture « cubiste », – à entendre que son texte est construit telle une
toile de Picasso, lisible en couches superposées, on aperçoit la personne
de face et du côté –, arrive à embarquer son lecteur dans un labyrinthe
« où aucun moi ne soit jamais assuré, où tous les Je soient sujets à
caution. » (idem, p. 136). Il s’agit dans ses autofictions de représentations
d’un moi impossible à fixer. Le Je qu’elle écrit est « Ce Je, comme l’a si
magnifiquement montré Proust, qui vise à l’universalité à travers la plus
extrême individualité. En montrant ce qu’il voit, ce qu’il éprouve, il
atteint, ainsi qu’a pu le dire Georges-Arthur Goldschmidt à propos de
l’écrivain suisse P. Nizon, “ce point de soi où l’on devient anonyme” ».
L’effacement du moi, sa sublimation, pour paradoxal qu’il puisse
paraître, est la condition essentielle à l’éclosion de la vérité. Ce sont ces
multiples variations du Je anonyme, qui vont, comme dans Passion
nerveuse, mener à un dédoublement de l’auteur dans une femme qui
porte le vrai patronyme de C. Laurens, Laurence Ruel. Ce dédoublement
s’ajoute à un jeu de miroirs incluant l’autre. Des scènes racontées sous
différents angles, par la bouche d’autres « je », sont des procédés
essentiels à la réflexion narrative du roman vrai chez C. Laurens.
L’autofiction réfléchit le monde, au double sens où elle le reflète (style,
choix du point de vue) et où elle le pense (acte engagé). Les fausses
pistes, les trompe-l’œil, les idées mouvantes, les messages à déchiffrer,
les références littéraires, tous ces matériaux peu solides reflètent la vie.
Si l’auteur autofictionnel qui tient, comme C. Laurens, au lien de
vérité instauré entre son lecteur et ses textes, il conserve nonobstant tous
les droits d’omettre une information qui n’a pas sa place dans l’histoire
du livre. Tuméfier des événements, les distendre, les météoriser ou au
contraire les condenser, dépouiller, centrifuger est nécessaire à l’écriture
du je car si des détails changent, sont déplacés, parfois inventés, c’est que
le cheminement de l’écriture l’exige. Ce qui importe à C. Laurens, c’est
le « paysage mental », ce qui s’est imprimé en elle, « a fait impression en
moi » (Proust) et non l’exactitude référentielle. Il est impossible pour
l’auteure de séparer la vie de l’écriture. Il lui est essentiel de saisir en
mots et en musique l’insaisissable, de poursuivre le moi et le dire à
l’autre, au lecteur, de former un « nous » avec lui, le moi qui lit et le(s)
moi qui vivent dans et par l’écriture. Inutile donc de se servir de la fiction
pour parler de ce qui nous fait vivre, vibrer : la peur, la maladie, le deuil,
les emprisonnements, les passions, les coups bas, les hontes, le sexe, les
désirs. L’autofiction est une écriture « de soi », la préposition étant
fondamentale : non écrire sur soi mais de soi, engager son corps de sujet
pour devenir objet. Le réel, C. Laurens refuse de le tenir à distance, elle y
emmène le lecteur, par la force de son rythme, de son phrasée, de sa
démarche stylistique. Elle cherche à bâtir un pont entre moi et toi pour
former un nous. « Je sommes ».

Philippe Forest
« Toute l’histoire de ma vie est dans mes livres84. »

L’Enfant éternel (1997) et Toute la nuit (1999), les deux premières


autofictions de Forest, ont émergé du deuil impossible de la mort de sa
fille Pauline, disparue en 1996 des suites du cancer à l’âge de quatre ans.
Si différents qu’aient pu être les écrits ultérieurs, ils n’ont jamais rompu
avec ce drame fondateur. Sarinagara (2004) part pour le Japon, suivant
trois artistes nippons ayant traversé une expérience identique. Le Siècle
des nuages (2013) retrace l’histoire du XXe siècle à travers l’histoire de
l’aviation et la disparition de la figure du père, dans Le Roman infanticide
(2011), P. Forest revient sur la question du deuil et de la perte de l’enfant
à travers Dostoïevski, Faulkner, Camus et Malraux. Toute la nuit et Le
Nouvel amour (2007) traitent directement de l’expérience de cet indicible
qui édifie la pensée forestienne : « La littérature relève pour moi d’une
confrontation à l’irrémédiable, à l’inconsolable, à l’inguérissable.85 ».
Cette littérature ne peut être valable uniquement si elle reconduit, encore
et encore, l’existence réelle.
P. Forest a de même traité de deux problèmes théoriques majeurs : le
rapport du roman au réel d’une part, et d’autre part la question de
l’engagement de soi dans l’écriture. Dans ses essais Le Roman, le je
(2001) et Le Roman, le réel (1999), il distingue « trois stases » dans le
processus de dépersonnalisation « à la faveur duquel le réel se fait
entendre toujours avec plus de force au sein de la fiction » (p. 37). Il
dénonce premièrement comme « néo-naturalisme de l’intime », une
forme d’« ego-littérature », emblématique d’une certaine régression
soumettant le roman aux exigences du spectaculaire, de l’exhibition
narcissique à l’heure du « talk-show » et de la « téléréalité ». L’ego-
littérature se trouve là où « le Je se présente comme une réalité
(biographique, psychologique, sociologique, etc.) dont témoignages,
documents, récits de vie expriment l’objectivité antérieure à toute mise
en forme par l’écriture ». Il s’agit donc de prendre le Moi comme objet et
de faire du Vécu l’origine de toute signification.
De cette « égo-littérature » se différencie « l’autofiction », qui marque
selon Forest un progrès, car elle présenterait un « courant » où les textes
assument la composition fictionnelle dans leur narration à la première
personne. Forest juge qu’à part quelques exceptions (Ernaux, Angot ou
Guibert), les auteurs qui représentent cette tendance n’ont pas dépassé le
stade d’un « nouveau naturalisme ».
Enfin il y a le « Roman du Je », ou l’« hétérographie » où le je engagé
dans le processus d’écriture, s’il s’éprouve comme fictif, cherche à
disparaître pour laisser place aux surgissements imprévus du réel qu’elle
dit clairement et sans mettre de gants. « L’autofiction – et c’est pourquoi
malgré toutes les légitimes réserves qu’elle suscite, je m’en déclarerai
solidaire – a constitué un salutaire démenti opposé à un tel puritanisme.
Elle appelle un chat un chat et abandonne aux fripons qui le souhaitent le
plaisir de lui préférer le travestissement poétique de telle ou telle
allégorie convenable.86 » Pour Forest, la vérité romanesque, l’autofiction,
opposée en cela à l’autobiographie, prend acte de l’inachèvement
essentiel de sa propre parole. C’est la raison pour laquelle chaque
« roman » appelle inexorablement le suivant et s’écrit nécessairement au
présent.
Sur le plan théorique, le principal apport de Forest consiste à avoir
d’abord pensé l’autofiction dans la continuité des grandes avant-gardes
littéraires du XXe siècle, du surréalisme au structuralisme en passant par le
Nouveau Roman et Tel Quel, – d’où l’importance, notamment, qu’il
accorde à Georges Bataille et à la notion d’« expérience intérieure » – et,
ensuite, à être allé chercher un modèle alternatif du côté de la littérature
japonaise, moderne et classique, et tout particulièrement de ce que l’on
nomme le « watakushi-shôsetsu » (ou « Roman du Je ») ainsi qu’il s’en
explique dans La Beauté du contresens (2005) et que l’illustre son roman,
Sarinagara. Pensé par lui sous le signe emprunté à Kierkegaard de la
« reprise » définie comme « un souvenir en avant », ses livres composent
une série ouverte qui reviennent tous sur l’expérience de désir et de deuil.
Mais ils le font à chaque fois de façon différente en mêlant à la suite du
dernier Barthes le roman et l’essai et en revisitant les grands genres de la
littérature romanesque : le roman de voyage (Sarinagara), le roman
d’amour (Le Nouvel amour), le roman familial et historique (Le Siècle
des Nuages) ou encore en s’engageant dans une voie expérimentale,
spéculative et poétique comme c’est le cas dans Le chat de Schrödinger
(2013). Pour casser l’illusion de la transparence et de l’immédiateté, le
texte, comme chez C. Laurens ou S. Doubrovsky, doit être travaillé par la
fragmentation, l’inachèvement, la diversité des registres et des voix, la
carnavalisation des vécus, l’intervention de personnages imaginaires.
Au terme créé par Doubrovsky, Forest va préférer l’expression
« roman du Je », calquée sur l’allemand « Ich-roman » et le japonais
« shi shôsetsu » qu’il inscrit dans la continuité des avant-gardes des
années soixante, mais aussi de Bataille, Cendrars, Céline. Le « Roman du
Je » tente de prouver qu’on ne peut s’approcher du réel que pour y
découvrir un manque qu’il est impossible de traduire facilement. « Il
faudrait dire : “ma vie” n’existe qu’à condition d’être déjà “du roman” et,
“moi-même”, je n’y existe qu’à condition d’y figurer depuis toujours à la
façon d’un “personnage” ». Parce qu’il défend l’idée que la vie elle-
même est un roman que seul le roman est à même de la dire, Forest a été
parfois rangé, à tort, dans le camp de ceux qu’on appelle les
« fictionnalistes ». Mais si ces livres visent bien à mettre à jour le
mouvement de vases communicants qui s’établit nécessairement entre
fiction et réalité, il a toujours été un détracteur déterminé de la littérature
de pure imagination et le partisan résolu d’un roman gagé sur le réel,
fondé sur l’expérience et qui, dans la ligne des auteurs du passé dont il se
réclame, conçoit le récit de vie comme tourné vers l’épreuve de ce que
Bataille appelle « l’impossible » et dont il appartient ultimement à la
littérature authentique de porter poétiquement. L’affirmation du moi
n’existe pas, juste le « vertige qui vient du deuil, du désir […] où
justement toute certitude d’être soi se défait, s’abolit.87 »

1.2. Écrivains de l’école de l’autofiction allusive


Dans l’école moins restrictive de l’autofiction, plus indirecte, parfois
anominale, ou juste représenté par une lettre, un « il » ou un pseudo quasi
transparent, se placent des auteurs tels Philippe Roth, Paul Auster,
Coetzee, maints auteurs de l’écriture du Je des Afriques ou des anciennes
colonies européennes, ou, en France, Sollers, D. Rolin, P. Loti, Malraux,
Cendrars, Perec, Roubeau, Simenon, Modiano, René-Louis des Forêts et
alii. P. Vilain, avec Défense de Narcisse (2005) et Régine Robin avec Le
Golem de l’écriture (1997) s’en sont fait les théoriciens, même si l’un et
l’autre appliquent et pratiquent différemment le récit de soi.

Philippe Vilain
Avec L’Étreinte (1997), premier roman relatant l’histoire que Vilain
eut avec l’écrivaine A. Ernaux, l’auteur écrit une autofiction avérée,
même s’il avait inventé et donc anticipé la fin de cet amour. La Dernière
année (1999), récit autobiographique, relate l’agonie et les derniers jours
de son père. Par contre Le Renoncement (2001) et L’été à Dresde (2003)
sont bien des écrits à la première personne où le narrateur s’appelle
Vilain et est écrivain, mais l’identité onomastique induit le lecteur hâtif
en erreur. Dans les livres suivants, Vilain, surtout à partir de L’Eté à
Dresde, Paris l’après-midi (2006) et Faux père (2008), part de sa propre
expérience, point de départ du récit, servant ensuite à l’élaboration d’une
fiction. Confession d’un timide (2010) se veut un récit-essai
autobiographique, le dernier jusqu’aujourd’hui car Pas son genre (2011)
et La Femme infidèle (2013) sont des purs romans écrits à la première
personne.
Née de sa propre pratique d’écriture, la théorie de l’autofiction de
Vilain se destine à préciser celle de Doubrovsky qui ne tient pas compte
des autofictions dans lesquelles le Je ne se nomme pas (comme L’Amant
de Duras – que Doubrovsky appelle des quasi-autofictions) et à
distinguer les textes relevant de l’autobiographique à strictement parler.
Pour Vilain, l’autofiction est définie comme une « fiction homonymique
ou anominale qu’un individu fait de sa vie ou d’une partie de celle-
ci.88 ». Son élargissement définitoire permettrait non seulement à l’auteur
d’assumer les propos et les pensées de son narrateur, tout en allant dans
le sens de l’impersonnalité et la neutralité susceptibles de dépasser la
simple quête introspective, de faire accéder à une dimension universelle,
mais surtout de rendre appropriable le je par le plus grand nombre
d’auteurs. Le rapport de confusion, d’indistinction, que Vilain entretient
dès Le Renoncement avec la fiction et la réalité – même s’il s’agit
toujours d’une identité narrative réaffirmée qui, des romans aux essais en
passant par les récits, médite et analyse, ressasse et bégaie son histoire
affective – ne peut entrer dans un pacte avéré avec le lecteur. Vilain
leurre volontairement son destinataire en donnant à un narrateur fictif son
propre patronyme. Cette pratique pose un problème dont il n’est pas
dupe : « [elle] présente des inconvénients pour le lecteur (comme celui de
ne pas lire une histoire entièrement vraie) ». Néanmoins, ce procédé de
« distanciation » lui offrirait la possibilité de s’inscrire dans une
dimension transpersonnelle supérieure, de se décliner au pluriel plutôt
qu’au singulier. « Qu’on dise “roman” ou non, au fond, ça les regarde, les
lecteurs. La lecture, c’est le roman. » (p. 58). L’autofiction, prise dans le
sens de Vilain, sert à dissimuler sa vie, à la protéger du regard, à feindre
l’exposition en en exposant une fausse, en trompe l’œil, et en la lui
présentant clairement, sans ambiguïté, comme autofictive. Ainsi il
développe toute une rhétorique de l’aveu (confession de faux souvenirs,
simulation de la remémoration, fausses références) et une rhétorique de la
fiction (feindre de fictionner un fait ou un événement). Il devient alors un
trafiquant d’histoires. Alors que les écrivains d’autofiction se défaussent,
Vilain se fausse, se falsifie, se dissimule à travers une opération de
maquillage, pratique l’« ensecrètement du moi. »

Régine Robin
R. Robin, auteure de la Québécoite89, récit expérimental composé de
trois parties qui place la narratrice dans trois quartiers de Montréal, est de
onze ans la cadette de Doubrovsky. Globetrotter comme lui, elle s’est
toujours reconnue dans le fait que les « vrais juifs » sont ceux qu’Isaac
Deutscher appelait les « juifs non-juifs », c’est-à-dire ceux qui sont
perpétuellement dans les interrogations identitaires qui jamais ne
débouchent sur des certitudes, restant constamment en décalage
historique, fondement d’un récit de vie se situant entre le réel et la
fiction. L’autofiction re-créatrice et aussi une autre manière de parler de
l’impossible identité de soi à soi. D’ailleurs, comme elle le dit dans Le
Golem de l’écriture (1997), l’utopique coïncidence avec un « je » affirmé
serait LA raison pour l’écrivain de s’avouer habité par un fantasme de
toute-puissance, traduction d’un désir d’auto-engendrement90 par le texte
où des filiations imaginaires peuvent prendre la place des vraies. En effet,
que ce soit dans L’Immense fatigue des pierres91 (1999) ou dans l’une
des nouvelles de Cybermigrances92 (2004), ou encore dans la
démultiplication d’un personnage qui disparaît, donne des faux rendez-
vous, prend votre nom, en change, réapparaît fictivement entre Paris,
Buenos Aires et Vancouver, il s’agit toujours de jouer l’impermanence et
l’auto-fiction par la démultiplication des identités. Fascinée par la
mémoire collective et individuelle, par la culture et l’identité, par
internet, avec lequel on peut fabriquer toutes sortes d’avatars, camoufler
son identité, en prendre une autre d’identité devient le second terrain
d’écriture de son autofiction collective. Collective car, comme sa
consœur C. Delaume, R. Robin invite ses lecteurs à jouer leur Je et à les
mêler aux siens. Le projet de « Autobio, Autobus, Automail : une
expérimentation autobiographique sur le Web93 » s’apparente à une idée
perecienne, transvase le Auto, le Bio et le Graphe dans le virtuel (la
Fiction) et propose à ses complices une expérimentation
autobiographique éclatée sur le Web. Ici, dans le jeu des je, saisi comme
une photo dans le carré ou le rectangle du PC ou de l’IPhone, réside la
seule possibilité de recentrer, re-conter le moi, de rencontrer l’autre.

1.3 L’autofiction comme laboratoire du je. Chloé


Delaume
« Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction.
Mon corps est né dans les Yvelines le dix mars mille neuf cent
soixante-seize, j’ai attendu longtemps avant de m’y lover.94 »

En 2000, C. Delaume publie son premier livre, Les Mouflettes


d’Atropos95 puis en 2001 Le Cri du sablier96 mettant en scène, en
banlieue parisienne, une enfant : « Elle avait deux nattes brunes, un père
et une maman. En fin d’après-midi le père dans la cuisine tira à bout
portant. La mère tomba la première. Le père visa l’enfant. Le père se
ravisa, posa genoux à terre et enfouit le canon tout au fond de sa gorge.
Sur sa joue gauche l’enfant reçu un fragment de cervelle. ». L’enfant
reste muette neuf mois durant. Nathalie Dalain97 (1973-1999), en ce
30 juin 1983, attrape « la maladie de la mort » (p. 127). Le drame
engendre le besoin d’« écrire pour suicider le Je » (p. 9), « je » orphelin
traumatisé ne croyant « en plus rien, si ce n’est en le Verbe, son pouvoir
tout-puissant et sa capacité à remodeler l’abrupte » (p. 6). L’orpheline se
réfugie donc dans la « maison de l’autofiction » qu’elle défend depuis
corps et âme. Ce sera dans son troisième livre, La Vanité des
somnambules98 (2003), qu’on lira pour la première fois ce refrain : « Je
m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. » Son
pseudonyme est emprunté à l’héroïne de Boris Vian, « Chloé » de
L’écume des jours et son patronyme à L’Arve et l’Aume d’Antonin
Artaud.
C. Delaume exige tout de l’acte autofictionnel, acte politique par
excellence qui s’inscrit dans le juste : « Je ne suis pas dans le vrai, je ne
suis pas dans le faux, j’essaie d’être dans le juste, le juste passe non pas
par le discours, mais par la parole, la parole vraie, la pharhesia aussi,
peut-être. Le juste ton, la juste note. » Et elle veut tout dire, ne rien
retenir.
Contrôler l’incontrôlable, c’est ce que souhaitent, d’après elle, les
détracteurs de l’autofiction, l’incontrôlable étant l’indicible : « La
prostitution, le meurtre, la psychose, le deuil, le suicide […] deuils, viols,
avortements, maladie, mort, inceste. […] L’autofiction souvent abrite la
tragédie, c’est pour s’en préserver que tous veulent la bannir du biotope
commun99. » Pour C. Delaume, comme pour A. Ernaux ou A. Taïa et
d’autres, « la fictionnalisation de soi, c’est un acte de résistance » (p. 58)
aux fictions collectives d’une prétendue « normalité ». Répondant à la
question pourquoi elle rejetait le roman classique, l’auteure répondit :
« Un peu parce qu’il y a un côté bourgeois dans le roman classique et du
coup, politiquement ça me pose soucis puisque pour moi, le rapport à
l’autofiction, c’est vraiment la réappropriation du “je” pour contrer la
dissolution de chacun dans la fiction collective.100 » Il s’agit d’échapper,
à travers le questionnement de soi dans le monde, aux valeurs et aux
codes hétéro-normatifs, ce qu’elle fait dans Une Femme avec personne
dedans (2012), appel à la vie réfléchie, à la résistance, à la liberté
toujours liée à autrui : « mon leitmotiv : que quand le livre est refermé, le
lecteur se dise que sa narration propre est dissolue et qu’il est temps qu’il
la reprenne en main. C’est le seul message que j’ai envie de faire passer.
C’est la réappropriation du libre arbitre. » (p. 23). Avec La nuit je suis
Buffy Summers101 (2007), « autofiction collective », le lecteur accepte
sans le savoir sa propre dissolution dans la télévision.
Dans son projet de mêler les Je, elle ira jusqu’à écrire une « autofiction
à quatre mains » avec Daniel Schneidermann, Où le sang nous appelle102
(2013), en retournant pour la première fois dans son pays d’origine,
quitté lorsqu’elle comptait cinq ans. Il s’agit pour C. Delaume de
questionner le je de soi, de l’autre, la légitimité de la radicalité
(personnelle ou politique), son oncle n’étant autre que Georges Ibrahim
Abdallah, le chef présumé des Fractions armées révolutionnaires
libanaises, responsable d’une série d’attentats sanglants en France, dans
les années 1985-1987, et condamné à perpétuité pour actes terroristes. Il
est évident que, depuis les origines de la littérature, c’est vers le Je et sa
subversion que les écrivains ont dirigé toutes leurs expériences. De cette
subversion, l’autofiction est désormais devenue l’ultime laboratoire : le
laboratoire de la déconstruction, de la dissémination, de la prolifération
folle des Je. Mais ce laboratoire n’est nullement celui d’un savant fou :
les expériences qui y sont menées portent bien au-delà de la littérature.
En elles s’imagine une politique révolutionnaire. Cette politique des
révolutions du Je est devenue la principale préoccupation esthétique de
C. Delaume. Son écriture devient un « genre expérimental », une «
recherche formelle » qui consiste à proprement parler dans « le
dédoublement du je » et le jeu avec la langue.

2. « Je » n’écrit pas d’autofiction…


Annie Ernaux
Lorsque Flaubert avait, en 1861, annoncé que tout avait été mis en
œuvre pour que « l’autobiographie perce sous le roman, mais sans
déclamation ni étalage de personnalité.103 », il prévoyait peut-être une
écriture de soi telle celle d’A. Ernaux qui se définit elle-même comme
« quelqu’un qui écrit », « qui fait des livres » plutôt que comme un
écrivain, ses livres ressemblant davantage à des « chantiers » d’une
« auto-socio-biographie104 ». Entre « auto » et « biographique », le
morphème « socio » notifie que le témoignage personnel s’inscrit dans un
contexte social et historique qu’il contribue, sinon à élucider, du moins à
décrire. En interprétant le terme de fiction non comme un travail sur le
style nécessaire pour classer les vécus, ou comme une évidence post-
freudienne (tout récit est de facto fictionnel), mais comme une invention,
donc une non-vérité, A. Ernaux réfute avec véhémence l’appartenance à
l’autofiction, allant jusqu’à refuser d’inscrire le mot « roman » sur la
couverture de ses livres : « Je n’ai rien à voir avec l’autofiction. Je
voudrais le dire, quand même ! Dans l’autofiction, il y a beaucoup de
fiction, justement. Et justement, ce n’est pas mon objet. Ça ne
m’intéresse pas ! La littérature est intéressante dans ce qu’elle dit du
monde. Ni le mot “auto” ni le mot “fiction” ne m’intéressent. Finalement,
je préfère conserver le terme “autobiographie” bien qu’il me soit difficile
de l’utiliser.105 » L’auteure est particulièrement attachée à la vérité
distanciée, sociologique voire ethnologique. Elle crée d’ailleurs le terme
d’écriture « auto-ethnologique », se considérant « très peu comme un être
unique, au sens d’absolument singulier, mais comme une somme
d’expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles,
de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et
présent), le tout formant, oui, forcément, une subjectivité unique. Mais je
me sers de ma subjectivité pour retrouver, dévoiler des mécanismes ou
des phénomènes plus généraux, collectifs. 106 » Il s’agit pour elle de
dépasser le stade narcissique de l’écriture du moi pour atteindre une
espèce d’universalité. C’est pourquoi elle a aussi avancé, pour
caractériser ses textes, le terme de « récit transpersonnel ».
Écrire est vital pour A. Ernaux. Mais elle se devait de trouver une
manière de s’exprimer en accord avec son origine populaire, ce qui la
guida vers une « autobiographie impersonelle107 ». Pour cette écrivain
venant d’un milieu social peu favorisé, il s’agit non pas seulement de
sauver de l’oubli l’expérience vécue, mais de retrouver, dans chaque
situation, la véritable « actualité » mémorielle du moment, non encore
assimilée au temps d’après. La Place (2010) évoque la vie de son père,
Une Femme (1988) la condition de vie de sa mère. Cette démarche
originale a trouvé une espèce d’accomplissement dans Les Années (2008)
son « autobiographie romanesque » inspirée de ses notes, son journal
(tenu depuis l’adolescence) et de photos qui jalonnent sa vie, une vie de
femme des années soixante à nos jours ayant vécu les bouleversements
sociétaux d’émancipation des femmes, et les marques qu’ils laissèrent sur
sa vie. Mais a contrario à une autobiographie classique, tous ses textes
évitent la chronologie téléologique. Ils sont le fruit d’un choix d’une
thématique abordée, pas de simples récits exhaustifs d’une vie, ils
procèdent d’une recherche littéraire, esthétique et donc ne dérogent pas à
ce que Doubrovsky nommait « l’intensité romanesque ». Ils font donc
partie, de ce point de vue purement formel, de l’autofiction.

Christine Angot
Christine (Schwarz) Angot a un nom et une date de naissance précis :
le 7 février 1959 donné dans Sujet Angot (1998), Quitter la ville (2000) et
Les Autres (1997). Elle a un lieu de naissance identifiable : Châteauroux.
Comme le note Th. Clerc dans Les Écrits personnels (p. 72) : « L’écriture
angotienne est une quête de vérité et d’identité ». Si, chez A. Ernaux,
l’entendement du terme « mensonge » dans le néologisme autofiction
l’éloigne de cette écriture du Je assumé, chez C. Angot, c’est le lexème
« personnage » qui le lui fait refuser : « Le terme d’autofiction ne me va
pas du tout. Qui dit autofiction dit personnage. Chez moi il n’y en a
pas.108 ». Angot veut présenter, faire vivre à travers les dévoilements
d’elle-même (les difficultés d’être une jeune mère, ses diverses aventures
amoureuses homo- ou hétérosexuelles, l’inceste, la cruauté d’une société
qui rejette un écrivain qui dit vrai), une personne, avec un corps, une
voix, un sexe, un vécu et absolument pas une création fictive.
Nonobstant, réfléchissant au Je mis en scène, à sa vérité, elle annonce
que, étant donné que : « L’autofiction est portée par l’usage du “je”. Si ce
“je” est celui du miroir, je ne fais pas d’autofiction. Si on reconnaît que
ce “je” peut s’élaborer dans l’imaginaire, alors oui, je fais de
l’autofiction. » A. Genon propose donc de nommer son approche de
l’auto, du bio et de la graphie l’« autobiographie transfictionnelle »
puisque « le discours sur soi se fait à travers le discours de l’autre mais
aussi s’envisage au travers d’un filtre fictionnel dans la mesure où le
sujet, en se textualisant en vient à se fictionnaliser.109 » Mais il y aurait
alors retour au personnage… D’un point de vue proprement
narratologique oui, mais finalement non, notamment dans la perception
angotienne, car : « Je voudrais me faire connaître à tous intimement. J’ai
toujours été incapable d’inventer.110 » S’inscrivant dans les pas
idéologiques d’A. Ernaux, mais moins imprégnée par l’impératif de dire
le sociologique, l’Histoire, l’auteure de Sujet Angot soumet au lecteur
dans ses livres non sa vie en tant que telle mais elle la traduit en
expérience littéraire stylistiquement immédiatement identifiable de
l’impossibilité de construire une relation véritable avec autrui, ni avec
l’entourage, ni avec la famille et surtout pas en amour. Reste le lecteur.
4
Genèses

« Celui qui découvre une grotte s’appelle un inventeur. On parle


aussi d’« invention » d’un corps lorsqu’on met à jour ses restes.
C’est l’acception ancienne du terme, bien différente de celle,
actuelle, de « fabrication de l’esprit ». Inventer une grotte, ce n’est
pas la fabriquer, c’est trouver ce qui est, ce qui a été camouflé. Ici,
c’est poser qu’on se découvre, et non qu’on se fabrique,
auteur.111 »
(Jean Rouaud)

Très longtemps, le débat qu’engendrait l’autofiction se portait sur la


réception. Mais quid de la genèse, des stratégies d’écriture du « je »
autofictionnel ? Les manuscrits, les dactylogrammes d’auteurs
d’autofictions se différencieraient-ils d’auteurs de pures fictions ou
d’autobiographies classiques ? Comment faire du langage son allié pour
laisser apparaître ce phénix : le Je joué ? Comment les écrivains gèrent-
ils les contraintes qu’implique le projet autofictionnel (censures vis-à-vis
de proches, d’une société, de soi-même) ? Des multiples entrées
possibles, trois sont, en critique génétique, incontournables : D’où part
l’écriture ? (phase pré-rédactionnelle) Quels sont les procédés
linguistiques, stylistiques, de transformation en mots d’une personne de
chair ? (phase rédactionnelle). Quel genre de censures subissent l’auteur
et son texte ? (phase rédactionnelle et pré-éditoriale) ?

1. Phase pré-rédactionnelle
« J’écris pour, j’écris depuis, j’écris à partir : de l’amour. J’écris
d’Amour. Écrire : vivre, inséparables ».
(Hélène Cixous, La venue à l’écriture)

Chaque écrivain, même celui de fictions avant de se lancer dans une


rédaction, rassemble des images du monde qui l’entoure, des phrases
entendues et exprimées. On différencie deux processus d’écriture
universels (de Biasi, 2010). Celui à structuration rédactionnelle, c’est-à-
dire qui se construit au fur et à mesure de l’avancement du texte (Sartre,
Doubrovsky, Laurens…) et réfractaire à toute programmation initiale, à
tout plan avant-coureur. Et celui à « programmation scénarique », faisant
précéder l’écriture par un travail de conception minutieuse, sous forme de
plans, scénarios, notes, ébauches, recherches documentaires d’un
Flaubert. Ces deux procédés intellectuels ne peuvent être éloignés d’un
fait purement physique : la main qui écrit sur une feuille, qui tape sur un
clavier, appartient à un corps, à un temps, elle répond à un désir, une
nécessité. On peut ainsi considérer qu’il y a deux positions, telles que les
définit le psychanalyste Paul Mathis dans Le corps et l’écrit :
– Soit on écrit depuis, on interroge la source, l’origine.
– Soit on écrit sur, en restant à distance.
En autofiction, on écrit depuis. Il est évident que si l’autofiction, le
terme, la pratique, ont germé dans une terre de combat pour la survie (la
Seconde Guerre Mondiale), les autofictions les plus jeunes – et il faut
sortir ici du cercle européen - sont également vécues puis mises en mots
de l’indicible, de la perte des autres (peuple, parents, enfants, proches…),
la disparition et la solitude, la passion plus ou moins dévastatrice, la
dissolution de rêves de vie, l’explosion de (fausses) certitudes. Ce qui est
dit est le secret, le non-dit, l’inofficiel. C. Laurens rappelle que « secret »
a la même origine que « sécrétion », et qu’il existe donc des « secreta du
corps et de l’âme ». « Secreta du corps : la sueur, les larmes, le sperme ;
secreta de l’âme : les rêves, les fantasmes, les désirs, les chagrins, les
peurs. Qu’est-ce que la langue, sinon une sécrétion, la langue provenant
d’un corps, d’un seul corps, unique comme une empreinte digitale. » Elle
est une sécrétion qui permet de dire un secret, en partie seulement, car
tout ne peut être dit, il y a de l’impossible à dire. Ce secret, celui d’une
expérience humaine singulière, c’est ce à quoi s’attache l’écriture
autofictionnelle : « quelque chose de soi dont on sait qu’en l’exprimant
on le rate, mais vers la formulation de quoi on tend, et qui est le réel.112 »

2. phase rédactionnelle
« On sait jamais. D’avance. C’est une. Expérience. Ça s’avance.
Ou ça s’arrête. Erreur d’aiguillage. On déraille. C’est dingue.
Moteur des mots soudain se coince. Il a calé. Impossible à
remettre en marche. On repart. Pour aller ailleurs. C’est une.
Aventure. Un voyage. On prend les mots. Comme on prend le
large. » (Le Monstre, p. 84).

Une fois que l’écrivain sait depuis où il parle, il doit se mettre à


l’ouvrage. Classer les souvenirs, en essayer certains, en délaisser
d’autres, rendre lisible des images, audibles des traces de vies. Un des
reproches le plus fréquent adressé à l’autofiction est le manque de style.
Donnons quelques exemples concrets.
Les procédés d’écriture et de publications d’A. Ernaux sont doubles,
voire triples et parfois se chevauchent, mêlant écriture immédiate
(journal intime), choix et réécriture, déplacements de temps et de récits
réels à but « romanesque », autofictionnelle puis retour vers une version
plus authentique. En 1991 sort Passion Simple dans lequel avait une
place importante un homme nommé « A. » à qui la liait une passion
démesurée. Dix ans plus tard, en 2001, paraît Se perdre relatant la même
histoire d’amour-fou, l’homme s’appelant maintenant « S. ».113 Il y a là
d’abord le récit d’une aventure vécue quelque temps avant la rédaction de
Passion Simple puis le besoin de dédoubler cette autofiction par un
document vrai, provenant d’un journal intime secret tenu entre
septembre 1988 et avril 1990. « Il y avait dans ces pages une “vérité”
autre que celle contenue dans Passion simple114 » explique A. Ernaux
dans la préface à Se perdre, métamorphosant ce journal en avant-texte de
Passion Simple et invitant ainsi le lecteur à la vérification des dits de la
version romancée. Si l’on compte les pages de l’un et de l’autre, Se
perdre en fait trois fois plus (294) que Passion Simple (77). Cette
réduction du contenu réel premier, le journal intime (et non la
suppression car il s’agit de deux textes différents) est effectuée dans le
but de transformer la matière brute en texte littéraire « impersonnalisé ».
Exit les analyses psychologiques du journal, les recherches de causalité
de cette passion. La chronologie n’a pas grand intérêt pour l’histoire non
plus. L’action est resserrée, objectivée, non pour le condenser mais pour
rendre le réel en style, procédé typique d’autofictionnalisation. Mais des
années plus tard, A. Ernaux recherchant le moment vrai dans la vie, ne
voulant en rien tromper son lecteur, a décidé, dans un troisième
mouvement d’écriture, de rendre public le document premier.
Chez Doubrovsky, le processus d’écriture est rédactionnel. Il rédige
selon le rythme de sa pensée, au rythme du bruit des touches de sa
machine à écrire, chaque matin trois quatre pages, puis, le reste du jour,
oublie son texte115 : « Quand je n’écris pas je ne suis pas écrivain. ». Pas
de journal intime, peu de prise de notes, de recherches exploratoires, pas
de listes, de canevas, de notes de régie. Pas de documentation préalable
sur sa propre vie, de constitution de dossier, pas de rassemblement de
témoignages, de recherche dans des agendas (à part des lettres qu’il
intègre parfois aux livres ou ses rêves dans Fils) pour alimenter sa
mémoire. L’élaboration psychique ne laisse aucune trace au généticien.
Doubrovsky récrit un feuillet dès qu’il y a une rature (qu’elle soit de
suppression, de substitution, de déplacement) mais peut par contre
réutiliser une suppression de transfert (il déplace un paragraphe ou
plusieurs feuillets à une autre place) pour la coller là où le texte l’appelle.
Le travail de stylisation du vécu du « je » est réalisé à travers le langage,
les allitérations, les assonances, les calembours. Les mots sont engendrés
les uns par les autres, ce qu’il appelle l’écriture consonantique. La
rédaction de sa vie se trouve dans l’utilisation de mots-valises, aussi car
si JE n’est pas UN, un mot n’est pas un mot. Doubrovsky dessine son
texte par des trous, des blancs, la phrase qui se déchaîne, les mots qui
éclatent. Il y a recréation d’émotions immédiates.
À l’encontre du travail scriptural de Doubrovsky, chez P. Vilain, la
phase rédactionnelle passe par un minutieux travail de réécriture d’un
premier, second… cinquième manuscrit achevé. La stylisation est pour
lui la dernière étape de la rédaction d’un texte, celle de la réécriture, de la
reprise, du ressassement. « Chez moi, la réécriture est obsessionnelle. En
général, je réécris tous mes textes entre cinq et dix fois de façon à les
lisser complètement, à les débarrasser des moindres reliefs qui pourraient
heurter leur lecture.116 » Vilain ajoute : « La stylisation joue un rôle
évident dans le processus d’autofictionnement. Plus on réécrit et plus on
s’invente, on se déforme et on se reforme, on fait et défait la phrase, en
quelque sorte, on la remanie comme on se remanie. La fiction s’organise
d’elle-même, naturellement, à travers ce remaniement. Le style déplace,
corrige, replace, modifie l’ordre narratif, parfois la nature du texte.117 »
Ainsi le référentiel est réinventé à travers les mouvements de réécriture.
Les prises de notes sont souvent en une sténographie personnelle,
langage secret dont lui seul connaît les règles, surtout quand il s’agit de
souvenirs trop intimes. Ces secrets écrits et faisant partie intégrantes du
dossier génétique, P. Vilain les révèle, en partie, et en lettres
compréhensibles, seulement quand ce « je des brouillons, du labeur, ce je
illisible, raturé et pour ainsi dire raté » (p. 189) passe par le style et
convient à l’écrivain officialisé. C’est dans ce passage du je sténographié
au je assumé, de Philippe à Vilain, de l’écrivant à l’écrivain que
« l’autofiction trouve sa justification profonde » (p. 190).
Afin de « faire apparaître la vie elle-même comme roman118 »,
P. Forest interroge la fiction (ou fictionalisation) de ses propres genèses
de vie-livres (L’Enfant éternel, Toute la nuit et Sarinagara). L’événement
vécu : la mort de Pauline. Mais L’Enfant éternel ne repose pas sur des
notes préparatoires, impression que donne la relative précision des
protocoles médicaux relatés. Forest s’était refusé à prendre aucune note
lors de la maladie de sa fille, car on n’écrit une histoire uniquement
quand elle est finie, et cela aurait été accepté que la mort prenne l’enfant.
Par contre, il existe des empreintes de ce qui fut chair avant d’être mot :
des manuscrits, écrits à la main, dans un cahier d’écolier. Juste un
premier chapitre, fortement raturé, avec des phrases intercalées, des
contenus enchâssés, confus, hésitants, avant de passer à l’ordinateur.
Forest, finalement, bouleversera son écriture, perturbera l’unité du récit,
« bordélisera » la peine et ainsi, désécrit l’événement inconcevable.
Le processus de stylisation de sa propre vie est chez C. Laurens, –
moins pour Philippe, qu’elle a commencé dès le lendemain de la mort de
son fils, par nécessité absolue –, un travail de long mûrissement. Il faut à
cette écrivain d’abord un titre à mettre sur une tranche de vécu pour
l’intégrer ensuite au corps même du texte et elle écrit souvent la dernière
page avant toutes les autres : « La maturation du projet peut prendre un
an, pendant lequel je “vois” certaines scènes à l’aide de phrases ou de
simples mots isolés. Se construit peu à peu une sorte de ligne de vol, de
trajectoire du roman. Tout commence en général quand j’écris dans ma
tête les dernières lignes119 ! ». L’architecture d’un texte de vie qui donne
forme à l’informe, au chaos, au vide, c’est le style. Il passe fréquemment
chez C. Laurens par l’invention d’un double (héroïnes littéraires ou
double « réel » comme Ruel – son vrai patronyme – dans Romance
Nerveuse) dédoublement, jeu de miroir, permettant la narration de scènes
sous différents angles. Pour Romance Nerveuse, le travail de pré-écriture
consiste en un assemblage pêle-mêle de tout ce que la femme entend (au
téléphone, paroles dites par l’autre, musique), voit (pièces de théâtre,
danse, événements dans la rue, chez elle…), lit (livres, lettres, SMS,
internet, journaux, revues…). Comme Zola ou Proust, C. Laurens
accumule les preuves d’une vie : carte d’une ville visitée, billet de
bateau, ticket d’entrée pour un spectacle, collections ayant pour but de se
souvenir au plus juste de ce qui a été réel à un moment précis. Les phases
rédactionnelles, nombreuses, plus circulaires que linéaires, sont une
adaptation des souvenirs à une forme littéraire, un assemblage de ces
morceaux de puzzles dont certaines pièces manquantes doivent être
inventées de l’intérieur pour construire un texte qui se lira à plusieurs
strates, ce que Sartre appelait « le style » dans l’idée de déconstruire
l’idée d’une image stable, d’un sujet, d’un Je souverain.
Pour rédiger une autofiction, Alain Mabanckou doit aussi passer par le
stade de la « réception » : « je dois entendre quelque chose, cette
première phrase à partir de laquelle tout s’enchaînera. Et cette phrase
pourrait plus tard ne plus être la première. Je peux l’écrire en plusieurs
versions jusqu’à me rapprocher enfin de la vraie “voix”, et même de la
vraie “voie”.(idem) » Colette Fellous, elle, dit que « C’est le ton du livre
qui fait le tri. Je rassemble des moments, des notes, des envies, mais au
fur et à mesure que le livre avance, certaines qui étaient minuscules
prennent beaucoup de place, alors que d’autres que je pensais essentielles
disparaissent ou ne restent que sous la forme d’une phrase ou d’un
détail.121 ».
Ce qui ressort de l’étude des diverses manières d’écrire un texte du Je
assumé est que la réécriture joue souvent dans la « désintimisation » du
texte : des éléments forts, ressentis dans l’immédiat de la vie, peuvent
disparaître ou faire place à une universalisation de ce que Je a vécu.

3. Autocensure et lois : phase rédactionnelle


et pré-éditoriale
« Ce n’est pas une vie qu’on lit mais un texte. »
(Doubrovsky)

Peut-on tout dire, tout dévoiler ? L’auteur est-il un secrétaire du réel ou


doit-il préserver une secrète aire et taire le secret ? D’ailleurs, que faire
du secret de l’autre, même lorsque celui-ci vous le révèle ? Que signifie
au juste la formule de Lejeune : « nous sommes copropriétaires de nos
vies » ?

Censure personnelle
Quasiment tous les écrivains d’autofictions censurent leur texte
lorsqu’ils sentent un abus de leur liberté de création face à un proche.
Doubrovsky qui avait déjà écrit sous les yeux de Ilse Le Livre brisé a plus
tard supprimé de multiples passages de L’Après-Vivre à la demande
d’« Elle ». C. Cusset a récrit ou retardé la publication de romans vrais à
la demande de son mari (« I don’t want you to write about us122 »). New
York, journal d’un cycle123, livre-photo, évoquait ouvertement des
problèmes que Doubrovsky et d’autres traitent avec rage et ironie,
l’impuissance sexuelle, la volonté d’avoir des enfants, en ne tergiversant
pas sur les détails, exactement comme le faisaient ses collègues-hommes,
sauf qu’ici, une femme parlait. Le poids du « je » écrit et publié s’est fait
ressentir quelques années plus tard sous un angle plus dramatique. « I
find out that written words could hurt, damage, and even kill, because
they act like a mirror that sends another person a reflection of his ou hers
life’s failures. » (p. 60). Un brillant avenir, que l’auteure avait pourtant
recomposé de fond en comble en déplaçant sa propre histoire
matrimoniale vers celle d’une saga familiale axée sur sa belle-mère,
Helena, ex-jeune physicienne roumaine nouvellement naturalisée
Américaine, eut des conséquences sombres qui prirent fin avec la mort de
la protagoniste dans la réalité.
À la question : « Dans sa recherche de vérité, l’autofiction met en
scène des personnes réelles, avec ce que cela peut avoir de violent.
Quelle est votre attitude face à cela ? » C. Laurens répond : « C’est une
question que se pose forcément celui qui écrit : qu’est-ce que cela fait
aux autres ? Pas pour se censurer, mais avec le sentiment que les mots
peuvent détruire. Je n’oublie pas ça. Il m’arrive de taire des faits réels
quand ils peuvent nuire, ou de les transposer s’ils sont nécessaires au
mouvement du roman. » Elle continue : « il y a des choses que je ne peux
pas dire, qui touchent au secret d’autrui, à sa honte. Dans ces moments-
là, je fais comme je peux. Je pense parfois qu’il existe des choses que je
ne dois pas écrire, même si j’ai le droit de le faire. Je ne sais pas tout, et
je ne veux pas usurper la parole des autres. Je ne suis pas d’accord avec
les écrivains qui disent, comme l’a fait Yannick Haenel récemment dans
Le Monde des livres (14 janvier), que le romancier n’est pas tenu par des
questions morales. C’est évident au sens de la morale bourgeoise. Mais
l’écrivain doit avoir une éthique, et celle-ci est chevillée à la vérité. »
A. Ernaux rétorque : « Cette question, les lecteurs la posent sans cesse :
que pensent les autres, autour de vous ? Qu’est-ce que ça leur fait ? Je
place toujours en premier la vérité du livre que je suis en train d’écrire :
c’est lui, sa forme, qui commande. »124
Conscients de leur capacité de nuisance, les auteurs d’autofiction
s’autocensurent surtout dans un second voire ultime stade d’écriture,
celui qui recouvre le premier jet plus autobiographiquement vrai.
D’autres font primer la création littéraire avant une fausse idée de
morale. « J’ignore ce que je suis en train de détruire en mettant au jour
notre histoire, fût-ce sous la forme d’un roman. Si ce texte est publié un
jour, il sera, peut-être, pour elle, une raison de me haïr. En ce sens, je
travaille à notre perte définitive. L’écriture est une menace dirigée à la
fois contre elle et contre moi.125 » écrit Vilain vers la fin de son premier
roman, sa seule autofiction au sens doubrovskien, L’Étreinte, en évoquant
Ernaux qu’il connut en 1992. Angot, dans « Acte biographique »,
explique que « Quand j’ai été menacée d’un procès126, je pensais que si
je le perdais je n’aurais plus de goût à vivre, que je pourrais me
suicider. » Pour cette écrivaine, ne pas dire « ce qui est » ôte tout sens à
l’écriture. Être condamnée pour avoir vu et traduit en mots ce qui a existé
est ressenti comme un meurtre. Elle est rejointe dans sa conception de la
liberté de l’écriture par C. Delaume : « L’autofiction engendre des
cadavres depuis qu’elle a été nommée. Doubrovsky invente le terme, plus
tard écrit Le Livre brisé ; sa femme en le lisant mettra fin à ses jours. Le
père de C. Angot sera enterré quelques mois après la sortie de L’Inceste,
le banquier de Rendez-vous fera un malaise cardiaque devant l’étal d’une
librairie consacré au roman. Je n’ai, pour ma part écrit Dans ma maison
sous terre qu’avec le seul but de tuer ma grand-mère. Ça a été très
efficace et bien moins salissant que le couteau électrique. Le problème,
c’est le choc en retour, l’effet boomerang. Une lectrice s’est suicidée.
[…]. “Morale”, “éthique”, “limites”. Ces mots qui n’appellent qu’à
l’autocensure, soit le pire ennemi de tout écrivain. La littérature a tous les
droits, tous le répètent, ne l’oublient pas. À l’écrivain on ne touche pas,
c’est le tout dernier être libre, il aurait bien tort de se priver. » À quoi
répond Forest que « l’écrivain doit dire le vrai. Une telle entreprise
produit d’inévitables dommages autour d’elle : elle heurte les sensibilités
– c’est parfois cruel et regrettable – mais elle met aussi au jour les tabous,
les aveuglements, les dénis avec lesquels prospère le mensonge social –
c’est indispensable et telle est la tâche du romancier. » Mais, ajoute-t-il :
« Je ne crois aucunement que l’écrivain ait tous les droits comme le
voudrait une vieille mythologie plutôt désuète qui situe l’artiste, en vertu
d’un privilège dont il serait seul à jouir, dans une sorte d’au-delà du bien
et du mal où il n’aurait plus de comptes à rendre à personne. […] Non,
l’esthétique n’est pas indépendante de l’éthique. »127

Censure légale
L’auteur, comme tout citoyen, en tout cas en France, jouit de ce qui est
appelé la liberté d’expression. Toute opinion politique, sociale, artistique,
personnelle peut être dite. Mais devant la loi, il existe aussi le droit à la
vie privée. Cela inclut le droit à l’image, à l’anonymat, à l’intimité de la
personne et à sa liberté de choix pour sa vie personnelle. Si la réputation
d’autrui est mise en jeu (calomnie, diffamation, atteinte à l’honneur et la
dignité), par l’auteur, la personne a la possibilité de porter plainte et
demander que le livre soit pilonné, interdit et elle peut exiger des
indemnités. Même si une autofiction, un récit vrai, sort sous l’étiquette
« roman » – ce « principe de précaution128 » pris dans le but de prémunir
l’auteur et son éditeur de procès à la vie privée –, il engage la vie d’un
autre. La loi est nonobstant floue, en partie pour la raison que la Cour de
cassation pose souvent pour principe que la liberté de création et le
respect de la vie privée ont rigoureusement la même valeur ; l’un ne
supplante pas l’autre. Il est demandé aux magistrats de régler l’insoluble,
de déterminer, au cas par cas, quel est l’intérêt légitime (parmi celui de
l’écrivain et celui du « personnage ») qu’il convient de « sacrifier ». Dans
ce type de contentieux, il s’agit moins de trouver un coupable et une
victime que de protéger, au mieux, deux victimes potentielles (l’écrivain
dont la liberté d’expression est remise en cause, le personnage dont la vie
privée ne serait pas respectée). La jurisprudence identifie, au cas par cas,
la victime qui mérite le plus d’être protégée. Les deux droits ont une
« identique valeur normative » et il faut « privilégier la solution la plus
protectrice de l’intérêt le plus légitime ».
Avant les procès médiatisés de C. Angot (Les Petits, 2013), Lionel
Duroy (Colère, 2011) et Marcella Iacub (Belle et Bête, 2013), il faut
signaler le cas de Jacques Lanzmann (Le Têtard, 1976) mais aussi
Sollers, Jouffroy et Rezvani, poursuivis pour diffamation par leurs
« personnages ». On a eu les affaires Patrick Poivre d’Arvor129 (contre
une ex-maîtresse), Mathieu Lindon130 (contre Le Pen), Nicolas Fargues
(contre son ex-femme), Régis Jauffret131 (contre la famille d’Édouard
Stern) ou C. Laurens assignée en justice par son ex-mari pour L’Amour,
roman, assignation perdue, car ayant pu prouver que le mari l’avait
soutenue dans les livres précédents dans sa démarche d’écrivain, le juge
décréta qu’on ne pouvait pas accepter un certain temps ce statut de
« muse » puis le répudier pour cause de rupture donc d’éventuelle
vengeance post-rupture. En revanche l’ex-amie de Patrick Poivre d’Arvor
qui avait presque immédiatement plaidé la violation de vie privée gagne
son procès. Marcella Iacub perdit également contre Dominique Strauss-
Kahn : un mail adressé par l’écrivaine à son ex-amant semblait attester
que son livre Belle et Bête avait pour origine une machination dont elle
n’était qu’un des pions. Il s’avère donc que si le personnage ne cherche
pas indubitablement à protéger sa vie privée, si l’écrivain ne cherche pas
absolument à protéger sa liberté d’expression, ils sont considérés comme
des imposteurs par la justice, leur parole n’est alors pas entendue. La
frontière entre la liberté d’expression et de créativité et le respect de la
vie privée est ainsi poreuse. Plutôt que de sacrifier l’une des deux
victimes, « il serait pertinent de s’inspirer par exemple de la
jurisprudence italienne, qui préserve les intérêts de chaque partie en
imposant à chacun des concessions », pense l’écrivain et avocat,
spécialiste des droits d’auteurs, Mathieu Simonet.

Censure éditoriale
Pour ces raisons légales, une maison d’édition demande aujourd’hui
toujours l’avis d’un avocat spécialiste et peut exiger de l’auteur de
changer un lieu, un nom, une date ou de retarder la sortie du livre de
quelques années pour ne pas donner prise à certaines accusations. Il
existe d’autres « censures » éditoriales liées, elles, à des questions
économiques, les lois du marché, comme ce fut le cas du Monstre, non
commercialisable en 1977 avec ses 2 599 feuillets mais édité en 2014 par
Grasset.
5
Engagements

« Le privé est politique132 »


(C. Delaume)

Comme l’exprime C. Burgelin : « L’autofiction est née de l’Histoire. Du


besoin qu’ont eu tant d’écrivains (souvent eux-mêmes enfants de
l’ailleurs, d’une terre ou d’une langue perdue) de donner trace, sens,
cadre, parfois sépulture à l’histoire des leurs – et d’eux-mêmes mis en
pièces ou en porte-à-faux par cette histoire. […] Aucune génération n’a
sans doute été amenée à méditer sur ce qui l’a précédé. »133

1. L’engagement contre l’oubli de la guerre


Se demander ce que l’époque nous a fait revient à s’interroger sur ce
qu’elle a fait de nous. Un écrivain n’y échappe pas. « L’oppression
politique, la torture, le crime, l’espèce de chaos absurde et sanglant dans
lequel certaines nations sont en train de s’enfoncer, tout cela constitue
l’une des formes manifestes de cet appel du réel ».134 Cet appel du réel,
l’écrivain algérien Anouar Benmalek l’a développé en évoquant
l’autofiction en tant que synonyme d’« autoscalpel ». Mais la guerre n’a
pas été qu’européenne. Écrire contre l’oubli des massacres sous une autre
forme que celle du témoignage journalistique ne peut être immédiat. Les
images doivent se poser, les cris, les larmes être intériorisées pour revoir
le jour dans le réceptacle de l’autofiction qui n’évoque pas seulement
l’extrême violence, la cruauté délibérée, l’enchaînement implacable des
logiques de haine, mais l’homme qui survit, celui qui espère et vit,
malgré l’horreur et la peur, la fatigue et la mort.
Yoko Ôta, déjà reconnue avant que le bombardement atomique de
Hiroshima et Nagasaki ne détruise sa vie de jeune auteure libre, écrit en
1948 Shikabane no machi (« La Ville des cadavres ») qui ne se veut non
témoignage mais autofiction, un « watakushi-shôsetsu » (roman du je)
moderne pour garder la mémoire, la sienne et celle des autres. Il s’agit
d’un compte rendu personnel de son expérience à Hiroshima à l’époque
du bombardement : « Les cadavres ressemblaient à d’énormes poupées
en caoutchouc, gonflées et méconnaissables. Malgré mes larmes, j’ai
gravé leur souvenir dans ma mémoire. Ma sœur, qui avait détourné les
yeux, m’interrogea : “Comment fais-tu pour les regarder ainsi ? Moi, je
ne peux pas le supporter…” Je répondis ; “Je regarde avec deux paires
d’yeux : celle d’un être humain et celle d’un écrivain.” Elle me dit :
“Pourrais-tu écrire sur une chose pareille” et je rétorquais : “Un jour, il le
faudra. C’est la responsabilité d’un écrivain qui a vu. » Cet
enchevêtrement inextricable du passé, de l’expérience vécue, de lettres,
discussions, d’observation, des survivances est devenu la chair
d’autofictions qui ont dépassé le simple shi-shôsetsu, de peur de trahir
l’événement et les victimes. Plus près de notre temps, ce n’est par
exemple que plusieurs années plus tard qu’on a pu lire autre chose que
des témoignages sur le génocide rwandais par les victimes directes, non
des fictions mais des autofictions. Il était inconcevable de raconter
quelque chose de faux. Réverien Rurangwa avec Génocidé (2006) et
Scholastique Mukasonga avec La femme aux pieds nus (Prix Seligmann,
2008) et Notre-Dame du Nil (2012) et d’autres écrivains, souvent exilés,
se sont fait chair et voix de l’horreur.

2. La bataille contre les traditions patriarcales


Selon Éliane Lecarme-Tabone, l’autobiographie des femmes s’est
toujours distinguée par des procédés de distanciation et des pactes
ambigus ou indéterminés, par la fragmentation de l’écriture et
l’éclatement du récit, démarches étrangères à l’ambition unifiante de
l’autobiographie et correspondant davantage à l’autofiction telle que l’a
définie Doubrovsky. Que ce soit en Afrique, aux USA, en Europe, en
Asie, il est indiscutable qu’un des thèmes forts exprimés dans un langage
concret, factuel de ces écrits socio-biographiques va dans le sens du
féminisme, de la libération des statuts traditionnels. Si
Les Mémoires d’une jeune fille rangée de Simone de Beauvoir ou La
Bâtarde de V. Leduc correspondent aux critères doubrovskiens, ce n’est
pas le cas de tous les écrits autobiographiques de femmes. Une première
difficulté est d’écrire en son propre nom : Colette publie sous le nom de
Willi, A. Ernaux et Nathalie Sarraute sous le nom d’épouse. « La
difficulté d’assumer et de revendiquer le projet d’écrire sur soi, induit par
des siècles de dépendance et d’effacement, entraînait des démarches
obliques : détour généalogique qui retarde le moment d’évoquer sa
propre histoire (pour Sand et Yourcenar) ; pactes ambigus (La Maison de
Claudine) ou indéterminés (L’Amant) ; éclatement des textes
autobiographiques en plusieurs moments successifs (chez Colette), ou
fragmentation interne du récit d’enfance (chez Colette et Sarraute), qui
sont des démarches étrangères à l’ambition unifiante de
l’autobiographie.135 » Mais les femmes se libèrent. A. Ernaux fut une des
premières auteures à parler de l’avortement et suggère, à l’instar de
C. Laurens dans Romance Nerveuse que la femme, plus que l’homme,
serait capable de dire la vérité du corps. L’autofiction devient de ce fait
aussi un outil contre l’oppression héréditaire et donc politique comme
c’est le cas dans Mes Hommes (2007) de Malika Mokeddem ou chez
Kesso Barry, Guinéenne, ancien top model qui dénonçait dans Kesso,
princesse peuhle136 les traumatismes qu’avait engendrés l’excision. Cette
expérience se retrouve aussi dans Desert Flower (1998) et Desert Dawn
(2002) où la Somalienne Waris Dirie illustre par son propos personnel la
« négociation éternelle entre un événement et son aspect illusoire, entre
le vrai et l’imaginaire où le mythe, l’allégorie et l’expérience vécue se
combinent dans des structures complexes et indépendantes137 ». Calixthe
Beyala, avec Femme nue, femme noire (2003), est un exemple clé des
transgressions des écrivaines africaines : la sexualité, le corps, les désirs
et plaisirs sont énoncés dans une multiplicité des Je pour se libérer des
hommes, de la figure maternelle, des faux-semblants, des traditions
étouffantes.

Les conditions féminines aussi diverses soient-elles, grossesse,


naissance, mort, soumission, mais aussi désir, passion, sexualités,
jalousie138 sont des thèmes récurrents dans l’écriture de soi, féminine
comme masculine. À l’instar de La Naissance du jour139 de Colette, le
corps féminin, par exemple dans Passion Simple ou L’usage de la photo
(2005) d’A. Ernaux, Jouir de C. Cusset, La vie sexuelle de Catherine M,
Quitter la ville de C. Angot, Poupée Bella (2004) de N. Bouraoui, Fraise
et Chocolat d’Aurélia Aurita140, s’autorise à exister, dans la volupté, ses
désirs sexuels les plus diversifiés, les plus crus, et encore dans la capacité
de souffrir, de saigner, de donner la vie ou la mort.

3. L’engagement contre la normativité


hétérosexuelle
Foucault avait une exigence envers la littérature moderne où l’homme, en
Occident, est devenu une bête d’aveu : « Un impératif est posé : non pas
seulement confesser les actes contraires à la loi, mais chercher à faire de
son désir, de tout son désir, discours.141 » Guibert est ici le premier
auteur du Je auquel on pense. En pleine période du sida, il ne dissimule
pas honteusement son corps malade, décharné, il en fait un mausolée
pour lui et ceux qui ont partagé sa vie, son combat. Dustan, homosexuel
militant, apologiste des drogues, marque de son empreinte l’écriture d’un
« je » moderne, décomplexé et antiautoritaire. Cet écrivain qui se bat
contre toutes les répressions « croit non seulement à la possibilité de faire
reculer la répression […] mais aussi que l’autobiographie est le meilleur
moyen littéraire pour le faire142 ». L’engagement politique contre la
répression hétéro-normative jouit au début du XXIe siècle d’un rebond,
moins agressif, anarchique que celui des premiers combattants contre le
sida. Les écrits se sont apaisés. On pense, entre autres, à M. Lindon143
(Ce qu’aimer veut dire), D. Noguez144 (Une année qui commence bien), à
W. Siti145 (Leçon de nu) qui, à travers la pornographie sexuelle dessine
les rêves d’émancipation et de libération d’une Italie des années 1980, à
E. White enterrant plus d’amis qu’il n’est supportable, en restant, lui,
sida-free.
Dans la génération suivante d’écrivains engagés dans l’autofiction on
doit compter Olivier Steiner146 (La Vie privée), Édouard Louis147 (En
finir avec Eddy Bellegueule), Laurent Herrou148 (Je suis un écrivain), les
livres d’Arthur Dreyfus, de Philippe Besson, de Laurent Nunez et de
Tristan Garcia aussi. Chez les femmes C. Delaume (Une Femme avec
personne dedans), C. Angot, N. Bouraoui parlent de leurs recherches
dans les différents pactes sexuels et amoureux, et, davantage dans la
lignée de Violette Leduc, Agnès Vannouvong149 (Après l’amour) évoque
intimement ces nuits où les filles s’exhibent, cherchent la conquête,
l’excès pour fuir la mélancolie. Hors Europe, prenons Jeannette
Winterson150 (Les oranges ne sont pas les seuls fruits) qui interroge
l’impossible relation mère-fille-homosexualité-religion.
L’engagement proprement politique est aussi palpable dans les écrits
du je du jeune écrivain A. Taïa qui contredit par son œuvre le propos de
T. Clerc disant que « L’écriture de soi s’épanouit en régime
démocratique151 ». A. Taïa, justement, exprime en style et en je ce qui,
dans son pays, ne se dit pas, ne s’écrit pas. L’affirmation de son identité,
marocain et homosexuel (l’homosexualité est passible de prison – jusqu’à
trois ans), l’auteur l’expérimente depuis plusieurs années, dans ses
romans d’abord, racontant un Maroc populaire et écrasant qui est le sien
puis, en 2014, avec un film produit d’après son roman L’Armée du salut.
Il écrit, filme, se dit pour parer aux signes de recul que montre l’État
marocain qui invalide les efforts des jeunes dans leur conquête des
libertés et droits individuels. Pour lui, passer à l’écriture, c’est passer à
l’acte.
6
L’écriture de la faille

Écrire depuis sa « faille fondatrice »


(G.-A. Goldschmidt)

Ce que l’autofiction a de plus novateur, c’est l’écriture depuis le propre


corps vivant, mourant, meurtri, déjà-mort, revivant, ce qui ne signifie pas
qu’on n’écrive une autofiction qu’avec ses tripes. Le corps, c’est aussi le
cerveau enregistrant les milliers de formes de sentiments cherchant à
s’extraire de ce corps qui les vit, les voit, les entend, les articule. La
langue a ici donc ce point d’ancrage : engager dans sa propre vie les mots
en pulsion. Ce Je ne mime pas le réel, il mène aux abîmes. Si Guibert
écrit le Sida, Doubrovsky la décrépitude par l’âge, Laurens et Forest la
perte de l’enfant, ils font partager des peurs ancestrales qui, pour le
lecteur, peuvent être cathartiques. L’autofiction, dit C. Delaume, est « une
fictionnalisation de soi, lucide. Assumant ce qui échappe au soi par
l’inconscient », une autobiographie, pourrait-on dire, consciente de son
impossibilité qui se fie davantage au langage qu’à la mémoire et à soi-
même. La seule retranscription fidèle du Je consiste en une écriture
fragmentaire, consciente de ses propres lacunes et de ses failles :
« Fragments épars, morceaux dépareillés, tant qu’on veut. L’autofiction
sera l’art d’accommoder les restes », écrit Doubrovsky. À travers une
esthétique de la déconstruction assumée, l’auteur d’autofictions présente
au lecteur une parfaite illustration de l’émiettement et de la dispersion du
sujet en mal et en quête d’identité. Les fractures de vie sont plus ou
moins universelles et dépendent du temps historique, du lieu et de la
société, prise au sens large, dans laquelle Je grandit. Nous avons parlé
des traumatismes de la guerre, du choc de la perte d’un enfant, d’un
parent, d’amis, de la solitude émotionnelle, les failles peuvent aussi s’être
creusées dans une recherche identitaire sexuelle, par une maladie qui se
déclenche ou encore ce fossé dans lequel on écrit « je », s’est ouvert lors
d’un événement du hasard, traumatisant, inoubliable, qu’on ne peut
qu’exprimer en son propre nom.

1. La double identité
Nombreux sont les propos théoriques sur les conséquences des diverses
périodes de colonisation. Les Romans du Je donnent à leur manière chair
à cet événement historique qui a, d’un côté, obligé les colonisés à trahir,
dénier leur culture mais qui, d’un autre côté, leur a apporté ce qui est
communément nommé la modernité. Garçon manqué (2000) de
N. Bouraoui porte sur la double culture et sur la « fracture »152 identitaire
qu’elle a déterminée chez l’auteure. Issue d’un couple mixte s’étant
marié au moment de la guerre d’indépendance de l’Algérie, Bouraoui ne
cesse d’exprimer le sentiment d’étrangeté qui l’habite, cette double
identité qui sera le déclencheur de son écriture : « Qui a gagné sur moi ?
Sur ma voix ? Sur mon visage ? Sur mon corps qui avance ? La France
ou l’Algérie ? ». Je ne parle pas la langue de mon père (2003) de Leïla
Sebbar153 évoque la même mutilation langagière et culturelle. À travers
l’autofiction, des femmes et des hommes de tout pays, maghrébins,
africains, mais aussi simplement exilés (par choix ou par obligation),
poussés par le contexte général du renversement des cadres
prédéterminés de la pensée, osent se débarrasser des lourdes traditions
sans pour autant s’enfermer dans un « camp ». L’espace littéraire associé
à ce « double » est l’entre-deux. C’est là que se développent l’infraction
aux tabous et l’accent sur la vie personnelle de la part des écrivains et
s’illustre l’éclatement du monde stable familial des ancêtres pour se
tourner vers une individualité assumée par une écriture du Je pas toujours
assurée de manière homonymique154. Le Passé simple de Driss Chraïbi
eut l’effet d’une bombe à sa parution en 1954, en pleine période de
combat pour l’indépendance algérienne. Le héros, Driss, éduqué par le
lycée français durant le colonialisme subit en sa propre chair un
déchirement culturel d’où naquit l’écriture. Chraïbi livre le « je » d’un
révolté qui se dresse contre Dieu et l’Islam, quittant l’énoncé divin pour
parler de son propre « moi » et ce faisant, il se sépare la Umma
islamique. Comme lui, soixante ans plus tard, le Marocain A. Taïa
dénonce en son propre nom tous les tabous d’une société marocaine
sclérosée.
Mais même si on ne vit plus dans son pays natal, si on a choisi d’écrire
dans la langue de l’ex-colonisateur, il reste toujours un lien indéfectible,
parfois imperceptible à ses origines. Dans Tout bouge autour de moi155
(2011), l’écrivain haïtien Dany Laferrière est renvoyé brutalement à ses
origines lorsqu’il assiste au tremblement de terre qui secoua Haïti le
12 janvier 2010. Ayant été invité au festival « Étonnants voyageurs », il
survit au drame et se sentit obligé de témoigner du chaos extérieur et
intérieur. Rentré à Montréal, il ne peut détacher son regard de la
télévision qui montre en boucle toujours les mêmes images, touchantes,
fortes. La faille géo-généalogique se devait d’être comblée par un livre
qui retracera la dignité des siens, leur soif de vivre, la manière de
s’obstiner à revivre, à surmonter avec force la douleur, la perte, la peur de
mourir. L’engagement pris dans cet ouvrage de l’auteur qui voit
l’anéantissement consiste dans la restitution de la dignité des Haïtiens,
monter l’entraide qui balaye les barrières sociales, la douleur des
survivants et l’appétit de vivre, ce livre devenant un relais entre ses frères
et le monde occidental.

2. Mort
Qu’un parent vous quitte, tôt ou tard, signifie inextricablement une
rupture dans le fil d’une vie. C. Delaume passe et repasse au crible
l’indicible du trauma intime qu’elle a vécu et le transforme en littérature
performative, propre à modifier le réel. L’autobiographie frontale ne peut
qu’ennuyer cette écrivaine qui s’adonne à une écriture où la syntaxe est
ecchymosée comme l’était son corps d’enfant que le père battait
« toujours sur le côté droit de la tête ». Marie Nimier, dans La Reine du
silence156 (2004), se confronte au fantôme de son père mort subitement
lors de ses cinq ans, l’écrivain hussard Roger Nimier. Intimidée par un
homme que tous semblaient avoir mieux connu qu’elle, se pose la
question : comment dire ce manque, comment écrire sans que ce soit à la
place de, moins bien que, contre ou comme son père ? Sa position est
d’autant plus ambiguë que ce dernier lui laissa en héritage un devoir de
mutisme en la baptisant « Reine du silence ». À travers de constants
recommencements et reformulations qui constituent la marque de la
tension angoissante entre l’obligation de dire et celle de taire, le poids qui
pèse sur cette enfant d’écrivain est celui de l’héritage du secret familial et
de l’injonction au silence.
Jacques Chessex, qui se sentait jusqu’au Goncourt (1973) attribué pour
L’Ogre « fils coupable d’un père coupable » est lui aussi réduit au silence
par l’instance paternelle (« Souviens-toi. Toi tu ne m’as pas vu à ce
moment et sur ce chemin »). Dans L’Économie du ciel157 (2003), il lève
sous son propre nom le voile sur le suicide de son père. L’écriture fut
ardue, il brûle la première version après l’avoir déchirée en petits
morceaux : « Trop de détails. L’anecdote y prenait une part trop
vétilleuse, trop encombrante. Un récit n’a rien à faire avec l’anecdote, le
pittoresque. C’est un état d’écriture, de style. Un certain ton étant donné,
on est converti à soi-même, totalement. » À partir de Monsieur158 (2001),
l’auteur décide de ne plus qu’écrire au « je », faire un portrait en miroir,
le récit exact des choses de l’enfance, de l’adolescence, de l’âge
d’homme et des lieux privilégiés de l’érotisme, narré de manière
rigoureuse, humoristique et poétique et sans aucun exhibitionnisme.
« J’aime que ce qui est écrit soit vrai mais à travers un jeu poétique
d’analogies et que le secret à la fois charnel et métaphysique soit
constamment présent. » Pour lui, l’écriture du Je est une profonde
tentative pour participer au secret : « Me mettre dedans, pas devant.159 »
dit-il.
Delphine de Vigan, avec Rien ne s’oppose à la nuit (2011), offre un
« cercueil de papier160 » à la vie et la personnalité de sa mère, Lucile,
femme aussi belle que douloureuse et lointaine, flirtant très jeune avec la
folie et qui finit par se donner la mort. « J’écris Lucile avec mes yeux
d’enfant grandie trop vite, j’écris ce mystère qu’elle a toujours été pour
moi. » Tout en sortant sa mère de la nuit, l’écrivain réfléchit sur les
raisons qui la poussent à « écrire ça » (p. 84) : « J’avais besoin d’écrire et
ne pouvais rien écrire d’autre, rien d’autre que ça. » (p. 84)
Dans Mécanique161 (2001) où, à la mort du père de François Bon,
l’histoire familiale resurgit, et avec elle les temps glorieux de la machine
et de ses belles mécaniques si riches en promesses et en mythes : les
automobiles, comme avec L’Enterrement162 qui relate la mort d’un ami
d’enfance, l’écrivain reprend à son compte le fameux « on écrit toujours
avec de soi » barthien. La perte de son père, il l’avait explorée durant des
semaines dans des carnets, l’a retravaillée ensuite des mois durant avant
que Mécanique puisse être publié. Ne « pas explorer l’autobiographie
mais [s]’en tenir à ces notes, à l’exploration du choc, de cette
surintensité : la couronne qu’on jette, et non pas le soi, car ces images
tient du dehors, est mon espace de travail d’écriture.163 »
Plus récemment, Mathieu Simonet publie La Maternité164 (2012), récit
de l’agonie de sa mère à un stade très avancé d’un cancer généralisé.
L’auteur-avocat élargit le champ de bataille perdu d’avance en donnant la
parole à différentes personnes, infirmière, prêtre, spécialiste de la
morgue, médecin, personnel accompagnant, autres malades en stade
terminal, pour témoigner à travers cette auto/alterfiction des sentiments
de ceux qui approchent la mort annoncée.
Jean Rouaud, dans L’invention de l’auteur165 (2004), raconte comment
la mort de son père en 1963 a été à l’origine de sa vocation d’écrivain.
Laurence Tardieu, elle, est devenue muette suite à la réaction de son père
à La Confusion des peines166 (2011), lettre adressée à son géniteur
condamné à la prison pour corruption, publication qui l’a fait passer du
statut de fille à celui de femme, de la soumission à la liberté. Elle sortira
du « trou noir » par un journal d’écriture, L’écriture et la vie167 (2013),
pour « rendre compte du réel, de son épaisseur, de sa complexité ».
En 1995, Hélène Cixous, fille d’une mère de 86 ans et d’un père, jeune
homme disparu dont elle n’a jamais fini de faire son deuil, reçoit 50 ans
plus tard des lettres disparues du disparu, Georges Cixous, écrites en
1935-1936, à sa fiancée allemande. De cette lecture inattendue descend
OR (1997)168 qui parle de la suspension du temps historique et personnel,
celui de la jeune Hélène, celui du père (qui ne l’était pas encore), de
l’attente, souvent vaine, de retrouvailles. « Vivre fait livre » avait écrit
son père. Cixous fille, sans le savoir, fera de cette maxime son métier.
Dany Laferrière dans L’énigme du retour (2009), lorsqu’il apprend la
mort de son père, « recommence à écrire comme/d’autres recommencent
à fumer. Sans oser le dire à personne./ Avec cette impression de faire une
chose/qui n’est pas bon pour moi,/ mais à quoi il m’est impossible/de
résister plus longtemps.169 » Rentré au pays natal, l’écrivain délaisse sa
machine à écrire, « revien[t] à la bonne vieille main » et écrit,
accompagné par son double homonymique, son neveu, tantôt en poème
en prose, tantôt de manière linéaire, le périple du deuil et le temps de
l’avant-deuil.
Dans Un Roman russe170 (2007), E. Carrère emploie de même un jeu
de miroir, non avec lui-même (le je alterne avec parfois un tu) mais avec
sa mère, second personnage principal de ce qui « n’est pas un roman171 »,
pour sortir du noir son grand-père sur lequel planait une chape de silence.
Pierre Pachet sort un livre dont le titre – une cassure sémantique –
révèle une démarche singulière : Autobiographie de mon père172 (2006)
raconte, à la première personne du singulier, l’histoire de son père,
donnant à celui-ci l’occasion de parler comme il ne l’avait jamais fait,
prenant la place d’un autre pour comprendre ce qui se passe en lui.
P. Vilain, dans La Dernière année173 (1999), revit l’agonie, à la
Salpêtrière, d’un père alcoolique, insupportable et indispensable qu’il
regarde partir en laissant affluer « l’hémorragie d’images qui coulent en
cascade de [son] enfance ». Il relate sa complicité de fils allant jusqu’à
lui procurer les bouteilles qui épongent une vie ratée et la culpabilité qui
va avec.
Dans Mes Parents174 (1986), Guibert ira plus loin dans la
fictionnalisation et tue tout bonnement ses parents. Si tous les faits sont
tirés de la vraie vie, il invente cette fin pour se débarrasser d’un poids
trop lourd à porter : la violence à la maison, les gifles qui pleuvent,
données par le père, la mère « inadaptée à la vie » (p. 146), leur radinerie,
la déception de ses parents face à leur fils homosexuel. « Maintenant que
mes parents sont morts, enfin (mais je mens), je peux bien écrire tout le
mal que je pense d’eux ou que j’ai pensé d’eux, en priant seulement le
ciel de ne me jamais donner fils aussi ingrat et malveillant. » (p. 153).
Mort d’un enfant
Même si « aucune histoire vraie ne s’épuise à force de la raconter.
C’est même tout le contraire.175 », il est vital de la redire, la faire revivre.
P. Forest, à la mort de sa fille fut pris, dit-il, d’une « folie176 » lorsqu’il
s’est mis à écrire. L’Enfant éternel a été mené à bien « très vite et hors de
toute préméditation, de tout calcul esthétique177 », en sept mois. Il n’était
pas encore sous presse que l’auteur avait déjà repris la plume pour Toute
la nuit. Comme pour C. Laurens (Philippe), Laure Adler (À ce soir178) ou
Bernard Chambaz (Dernières nouvelles du martin-pêcheur179), la prose
fictionnelle ne pouvait convenir au drame de la perte d’un enfant. Le
père- la mère-auteur(e) cherche à travers l’autofiction à interdire à qui
que ce soit la récupération du deuil. Tomber dans le piège de l’écriture
autobiographique serait chercher une forme d’impossible maîtrise de ce
qui est arrivé. « Ce qu’on nomme désormais l’auto-fiction n’a d’intérêt
qu’à cette condition180 ». Il en est terminé de la société de consommation
qui souhaite lire des livres qui soignent la douleur de (sur)vivre.
Il existe évidemment des écrits autofictionnels du deuil d’une
paternité, maternité impossible ou difficile. Olivier Poivre d’Arvor
retrace avec Le jour où j’ai rencontré ma fille181 (2013) le chemin
initiatique d’un homme de 50 ans qui se découvre stérile mais en désir
extrême d’être père. Ce récit du « je » n’est pas uniquement un reportage
sur les difficultés rencontrées lorsqu’on veut adopter un enfant. L’auteur
aborde la question de la filiation (ses propres parents…), des tabous
familiaux (« Ma mère n’aurait pas aimé que je raconte cette histoire »
p. 41), parlant de la stérilité organique (chapitre 10 : « Vous en
connaissez, vous, des hommes qui disent qu’ils sont stériles ? ») et
intellectuelle, de la sexualité (chapitre 8 : « À quoi sert de se masturber si
l’on veut un enfant »), de l’Afrique (chapitre 16 : « Pourquoi
l’Afrique »), du bouleversement qu’il y a à être responsable de
quelqu’un, du choix d’un homme, hautement politique, de faire et
d’éduquer seul un enfant – et d’écrire (chapitre 28 : « Ai-je le droit
d’écrire ce que j’écris ? »).

Perte d’un frère, d’une sœur


A. Ernaux a toujours vécu dans l’ombre d’une sœur décédée deux ans
avant sa naissance. Elle lui dédie une lettre, troublant petit livre intitulé
L’Autre fille182 (2013). Jérôme Garcin pour qui écrire, c’est « toujours
remuer de vieilles histoires et avancer, sur des béquilles, au bord du
précipice » avait sorti un livre où il s’entretient avec Olivier183 (2011),
son frère jumeau fauché par une voiture à l’âge de six ans. Sous la forme
d’une longue lettre, il lui rappelle des souvenirs, lui parle de sa vie
d’après, le faisant revivre « au bout de [s]a plume ». Patrick Modiano, né
en 1945, s’est lui-même attribué l’année de naissance de son frère Rudy
(1947-1957). Mêlant ainsi leurs deux états civils revenait à prolonger la
vie de ce cadet trop tôt disparu et si obsédant que le romancier lui offrira
non seulement La Place de l’étoile (1968), mais aussi ses sept ouvrages
suivants dont Livret de famille (1977). Tous ces textes, le plus souvent
rédigés à la première personne, tendent un trousseau de clés pour ouvrir
les portes de son imagination.

Perte d’un compagnon de vie (amour, ami)


Multiples sont d’autres romans de/du Je relatant la perte d’un amour.
Passion Simple d’A. Ernaux, Quitter la ville d’Angot, Romance Nerveuse
de C. Laurens, Une Année studieuse184 (2012) d’Anne Wiazemsky, Le
Divorce185 (2013) d’Yves Charnet, Dans tes pas186 (2013) de Guillaume
de Fonclare, Warum187 (1999) de Pierre Bourgeade, Sans amour188
(2011) de Pierre Pachet, Tout cela n’a rien à voir avec moi189 (2013) de
Monique Sabolo et bon nombre d’autres écrits d’un Je perdu, délaissé,
abandonné, lâché. La mort, c’est autre chose.
Le Livre brisé de Doubrovsky est peut-être la plus poignante
autofiction parue en France. En tout cas elle fut la plus décriée, la plus
encensée aussi. François Nourissier, dans Eau de feu190, a osé écrire,
comme Doubrovsky, la déchéance de sa femme prisonnière de l’alcool.
Quel est le degré de compassion qui permet de supporter l’autre à côté de
soi, alors même qu’on ne le supporte plus ? Sont soulevées des questions
plus fondamentalement (in)humaines : que fait-on dans un couple pour
pousser l’autre vers la fin, quid de la perversité qui vous laisse regarder
sombrer l’autre l’y aidant même, quel est ce désir de nuisance ressenti
contre un être aimé ? Nourissier n’est pas un essayiste mais un romancier
du Je qui s’assume, tente de comprendre ce qui s’est passé, mire une
société où l’autre, s’il entrave votre propre liberté, est de trop.
Hubert Lucot, grand narrateur non seulement d’une « autobiographie
sans événements191 » entreprise dès son plus jeune âge, mais aussi
témoin critique de la politique, de la société, du maniement de la langue
avait inauguré sa libération de la saga familiale avec Langst192. Dans
Autobiogre d’A.M. 75193, on entend autobiographie et ogre, donc
dévorement littéraire d’A.M. qui est restée jusqu’à sa mort son épouse et
figure dans tous ses écrits. Lui est consacré le dernier livre paru, Je vais,
je vis194, phrase prononcée par A. M. lorsqu’elle se meurt peu à peu d’un
cancer. Par cette proposition le mouvement est juxtaposé à la vie, ce
couple expressif constituant le tempo d’un art poétique que l’aimée offre
à son époux avant sa mort.
Il faut, lorsqu’on évoque la fracture qu’engendre la perte d’un amour,
parler de A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie de Guibert, « le récit
terrifiant de l’agonie d’un homme195 » dévoilant que Michel Foucault
(Muzil) était mort du Sida. Philippe Mezecaze, qui fut l’amant de Guibert
lorsque l’auteur de Le Mausolée des amants avait 14 ans et lui 16, sort en
2014 Deux Garçons196 qui dessine les aléas d’un premier amour
déboussolant, passionnel, intellectuel et sexuel. Avant cela, il avait écrit À
nos corps exaucés pour un amant mourant : « j’écris un livre – ton
livre. » Dans De l’eau glacée contre les miroirs, il avait déjà dessiné un
autoportrait avec « ses morts », Guibert, Barthes, des amis, les parents,
« non pas pour se sauver, mais pour sauver l’autre, le ranimer, le ramener
à la vie, comme les mots, qui émergent, prennent corps, exaucent les
vœux : “je ne veux pas que tu meures197”. » Laurent Nuñez, dans Les
Récidivistes, souhaite également, à travers son autofiction, « nouer à moi
ceux-là même qui étaient partis ceux qui font que suis celui qui reste ; et
dans le même temps faire de moi une quantité négligeable, écrire tant sur
eux, qu’il n’y aurait rien à dire sur moi […] je ne serais même pas dans
les phrases de mon livre.198 » Edmund White a, tantôt au « je », tantôt
sous un autre nom, dû à plusieurs reprises écrire la mort de ses amants,
ses amis, dans des livres qui évitent le pathos plombant tant de récits des
années sida. Avec La symphonie des adieux199, il clôt une trilogie
autobiographique commencée en 1984 avec Un jeune Américain et
poursuivie avec La tendresse sur la peau.

Garder la mémoire, pas seulement la sienne mais aussi celle des amis,
E. Carrère l’a fait sans fausse générosité dans D’autres vies que les
miennes200. Ces vies dont il est question, sont celles de Philippe, Jérôme
et Delphine, grand-père et parents de Juliette, 4 ans, victime en
décembre 2004, du tsunami. Apparaît aussi une autre Juliette, 30 ans,
sœur de la compagne d’Emmanuel Carrère, morte d’un cancer en 2005.
Philippe, au lendemain de la noyade de Juliette, demande à Carrère :
« Toi qui es écrivain, tu vas écrire un livre sur tout ça ? […] Tu devrais.
Si je savais écrire, moi, je le ferais. ». L’auteur-ami s’exécute après s’être
longuement interrogé, ne voulant pas exploiter la douleur des autres.
Dans ce livre, il médite aussi sa propre fêlure, sa façon d’être au monde,
ou plutôt de s’être longtemps refusé aux autres, lui-même confiné dans
une sorte de huis clos mental hanté par la folie, bâti sur une faille
originelle, un mal-être hérité de l’enfance, un silence familial autour de
son grand-père, probablement abattu pour faits de collaboration pendant
la Seconde Guerre mondiale. Il en parlera à la première personne dans
Un Roman Russe, livre « totalement intime » dont il reste « effrayé par ce
qu’il représente d’exposition201 ». D’autres auteurs du « je » retraceront
des amitiés perdues, tels Marie Nimier avec Les Inséparables202,
tentative de comprendre son amie d’enfance Léa qui a, elle aussi, perdu
tôt son père et qui sombre adolescente dans la drogue et la prostitution ou
comme R. Desforges retraçant la violence des réactions face à une
alliance, une intimité partagée avec une amie dans Les Filles du cahier
volé203.

Ce qui se lit dans ces autofictions de la fracture, ce ne sont pas


uniquement des moi subjectifs et singuliers. Il s’agit de narrer une part de
la nature profondément humaine, l’expérience de la mort. Dans toutes ces
écritures qui jaillissent de la faille de la perte d’un être cher, le lecteur
assiste à un travail de (re)connaissance de l’autre et de soi, de
déterrement de secrets, d’illumination de coins sombres de la vie. Il s’agit
ici de se confronter avec ce que Starobinski appelait « la transparence et
l’obstacle », témoignage d’une obsession où l’on entend le récit d’un
gouffre qui se dévoile. L’auteur peut utiliser ses observations cliniques ou
des textes lyriques, intégrer des photos, une correspondance, des poèmes.
Dans ces cas-là, l’écriture autofictionnelle, – l’écriture, la réécriture étant
la base pour ne pas écrire une simple fresque autobiographique –, tient du
roman- (re)collage d’une vie, un collage de vies multiples, rêvées,
vécues, finies. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’un auteur « décide »
d’employer le Je pour dire du dedans un mort, une rupture. Il semblerait
que cela s’impose, la troisième personne étant incapable de rentrer dans
des corps vides, vidés de toute matérialité, n’étant plus que
fantasmatiques. Écrire ce vide c’est poser la question de la (sur)vie :
exister après la disparition d’un autre est-ce exister à la place de (pour et
contre) ce disparu ou est-ce exister par la présence absente de cet autre ?
Et si tel est le cas quel peut être le sens de cet « autre » qui n’est que par
son absence ? A. Ernaux l’exprimera dans L’Autre fille : « Je n’écris pas
parce que tu es morte. Tu es morte pour que j’écrive, ça fait une grande
différence ».

3. La maladie
La maladie entraîne une faille du corps, rappelle notre mortalité. Elle
peut être physique, psychique, guérissable ou pas. Le Scaphandre et le
Papillon206 (1997) avait bouleversé les lecteurs. Victime d’un accident
cardiovasculaire en décembre 1996, Jean-Dominique Bauby, rédacteur en
chef du magazine Elle et père de deux enfants, reste entièrement
paralysé, atteint du locked-in Syndrom. Seul un œil, qu’il peut bouger, lui
permet d’écrire cet emprisonnement dans un corps immobile. Pierre
Dupuis dans AutoGRObiaphie207 (2013) retrace son parcours de l’obésité
morbide à la taille L, variant aussi bien la taille de la police,
d’extrêmement gros et gras, à minuscule, la longueur des phrases ici
paratactiques et là hypotaxique, nous parle de ses errances amoureuses,
son repli dans le monde virtuel, ses réflexions politiques. Jacques Henric
se bat dans La Balance des blancs208 (2011) contre un cancer de la
prostate qui se déclare comme un banal fléau ouvrant à une ambitieuse
méditation qui est à la fois une pesée et un criblage. Entre Éros et
Thanatos, bien sûr, mais également entre le jour et la nuit, le bien et le
mal, le blanc et le noir, l’écrit et l’image, les hommes et les femmes,
l’amour et le sexe, l’humain et l’animal, l’Orient et l’Occident. Le réveil
dans un hôpital, Pierre Guyotat le décrit dans Coma209 (2006) qui peut se
lire comme le témoignage d’une traversée douloureuse vers un
inaccessible au-delà du corps individuel, mais aussi comme l’odyssée
poétique d’une écriture qui réclame ses livres de chair pour s’incarner en
verbe.
La maladie, c’est aussi celle de l’absorption de drogues dont on ne
donnera ici que quelques exemples, l’un plus conventionnel, Un Roman
français210 (2009) de Frédéric Beigbeder, l’autre plus trash, avec Sylvain
Courtoux, Stilnox211 (2011) et son livre jumeau de Jérôme Bertin, Bâtard
du vide212 (2011). Beigbeder, dans Un Roman français, part de son
amnésie de l’enfance (« Je suis navré de l’avouer ici : rien ne revient
jamais ; je suis mon propre imposteur. J’ignore complètement où j’étais
entre 1965 et 1980. » (p. 19), sa fuite dans le besoin du sentiment du
Maintenant, de l’immédiateté, « encouragée par notre société » (p. 18).
Grandissant dans ce « pays suicidé » qu’est la France, il consomme
drogues, alcool et autres produits pour s’oublier davantage jusqu’à ce
qu’une nuit en cellule de garde à vue l’oblige à creuser en lui pour se
souvenir de son identité. Sylvain Courtoux dont la mère s’est suicidée a
voulu choisir lui-même ses geôliers. Non pas la psychiatrie. Non pas le
monde de tous. Il choisit le somnifère Nox (pour fuir le monde) et
l’écriture (p. 243).

Il y a aussi les maladies psychiques. Marie Cardinal avait déjà en 1975


publié une autofiction avant la lettre : Les Mots pour le dire213, livre-cri,
livre-coup, impudique et sans concession permettant au lecteur d’assister
à une psychanalyse commencée au bord d’un suicide du Je. Ce voyage
intérieur permit à l’auteur de se remémorer les événements de son
enfance alors qu’elle vivait dans une ferme près d’Alger : la séparation
de ses parents, la tuberculose qui fera mourir sa sœur et son père, son
éducation par une mère tyrannique et froide. N. Bouraoui, à qui une
psychiatre dit « Vous souffrez de phobies d’impulsions214 », veut fuir la
vie et « l’écriture et l’amour en sont les ultimes moyens ». Dans Première
personne215 (2001) Anne Weber se lance dans une exploration de la
conscience, unique tentative possible pour retrouver par l’écriture « la
clairvoyance d’antan, d’avant les raidissements successifs de l’enfance,
les pétrifications de l’adolescence, les glaciations de l’âge adulte ». Avec
une remarquable maîtrise, son œil faussement ingénu se pose non
seulement sur elle mais sur nos rêves, nos aliénations et nos fantasmes.
Pas besoin d’inventer des personnages, sa propre écorce charnelle fera
l’affaire puisqu’elle renferme toutes les virtualités. Les québécois Marie-
Sissi Labrèche (Borderline216, 2003) et Gil Courtemanche (Je ne veux
pas mourir seul217, 2010) pratiquent l’autofiction de manière encore plus
décomplexée que leurs homologues français. La première parle de sa
maladie qui l’a conduit à être internée, le second relate sans fard sa
maladie et le départ de sa femme. Dans une veine plus trash encore,
C. Delaume ne cache pas non plus ses multiples internements en HP, ses
absorptions d’antipsychotiques, d’anxiolytiques, d’antidépresseurs ; elle
écrit pour se récupérer. Plus tôt, Valérie Valère retraçait sa folie dans Le
Pavillon des enfants fous218 (1978), récit autobiographique d’un séjour de
quatre mois en hôpital psychiatrique pour anorexie mentale, elle avait
alors 13 ans. Elle meurt à 21 ans suite à une overdose. Édouard Levé
(Suicide219, 2008) et N. Arcan220 (Putain, 2001, Folle, 2004) mourront
aussi de plein gré, Édouard Levé dix jours après la remise du manuscrit à
l’éditeur, Nelly Arcan un an après un « retour au je et aux émotions
fortes » (lettre accompagnant en 2008 son manuscrit Burqa de chair).
D’autres que soi peuvent écrire la maladie, la folie d’un proche.
Clémence Boulouque adresse avec Je n’emporte rien du monde221 (2013)
une lettre d’amitié à Julie, son amie suicidée, missive dans laquelle le
lecteur accompagne une méditation sur la fin des vivants, l’avenir des ex-
vivants, celui des futurs morts. Avec Personne222 (2009), Gwenaëlle
Aubry signe le portrait de la mélancolie morbide, autodestructrice de son
père. Père qui ne « voulait être rien », devenant SDF et se prenant pour
James Bond. Elle décline via les lettres de l’alphabet la disparition de son
vivant de celui qui écrivait lui-même à un livre intitulé « Mouton noir ».
Dans tous ces domaines d’expériences limite, l’écriture
autofictionnelle représente l’invention d’une écriture propre au manque :
écrire pour se situer dans un monde du manque en utilisant la langue et sa
vie. Se faire exister.
7
L’autofiction est un espace

En ce qui concerne la production artistique contemporaine,


l’autoreprésentation est devenue une partie essentielle du discours et des
formes d’expression esthétiques. Ces artistes se sont pris comme
« objet » de leur œuvre pour élaborer une autre représentation de soi à
travers des techniques variées et des formulations différentes. Nous
allons différencier la mise en scène physique d’un moi artistique
immédiatement palpable (Je est mon corps : théâtre, danse) de l’acte
figuratif, où le Je est plus éloigné du spectateur par sa posture figée (Je
suis ma peau : photos, peinture, vidéo) et de leur intermédiaire (Je suis
une image : BD et cinéma).

1. « Je est mon corps » : théâtre, danse


« Ma personne. Deviendra. Mon personnage. Je serai. Mon propre
acteur. Je jouerai mon rôle. Pièce à pièce. Me reconstruire. »
(Doubrovsky, f° 1277)

Théâtre
Nous laissons ici volontairement de côté les « autofigurations de soi
scéniques », sans lien nominal entre l’auteur et le personnage où la
dimension autobiographique traverse la pièce et où le personnage du Moi
éclate en moi multiples mais sans être assumés homonyquement
(Ionesco, Voyage chez les morts ; Olivier Py, Théâtres, Strindberg,
Lagarce). Erreur de construction de J.-L. Lagarce, par exemple, prend fin
sur « Si vous ne dormez pas encore, il est temps de vous préciser que tout
ceci n’est que fiction. Évidemment223 ». Cette remarque ironique vient
d’un homme qui cherche à « dire la vérité. Cesser de mentir.224 » mais
sans établir de pacte de vérité avec le lecteur. Nous différentions aussi
l’autofiguration textuelle (la pièce est autofictionnelle, homonymale mais
mise en scène et/ou interprétée par un acteur qui porte le nom de
l’écrivain) de l’autofiguration charnelle (idem mais l’auteur se joue lui-
même.)

Un des plus remarquables représentants de l’autofiguration textuelle


est Tadeusz Kantor (Théâtre de la mort) qui met en espace son propre Je
démultiplié, celui du passé, celui de l’avenir, donnant ainsi voix à
l’inhumain, des innommables.

MOI…
Je suis composé d’une rangée innommables
Des êtres…
Une foule, venant du cœur du temps…
Tous sont moi.
(Comme tout cela s’accorde avec mon
AUTOPORTRAIT225)

L’écrivain-acteur met en scène la figure de lui-même et celle des


souvenirs gardés des membres de sa famille, « tous, quelque part dans le
monde, ont été finalement rejoints par la mort226. » On pense aussi aux
pièces autobiographiques comme celle, proprement névrotique de
4.48 Psychose écrite par Sarah Kane dans laquelle l’auteure annonce son
suicide ou encore les pièces de Falk Richter. My secret garden est
expressément présenté par l’auteur comme une « autofiction » mise sur
les planches conjointement par lui-même et son interprète Stanislas
Nordey. La pièce, tirée du journal intime de Richter, évoque les
interrogations d’un homme de 40 ans sur le monde, faisant entendre
colère, résistance et énergie révolutionnaires face aux injustices
sociétales. Sujet de sa propre pièce, sans pour autant se jouer lui-même,
Richter raconte ses aventures privées, expose son regard sur le monde
politique, analyse son rapport au théâtre, sa dévoration qui réduit la vie
sociale et privée, il évoque son désir d’investir le politique dans l’œuvre
artistique, soulignant la solitude de l’écrivain dans sa démarche.

Les représentants les plus connus du théâtre de l’autofiguration


charnelle sont Philippe Caubère, Guillaume Galienne et d’autres
représentants de One Man Shows. Les planches attirent aussi nombre
d’acteurs qui ne sont pas passés par les grandes écoles du théâtre mais à
qui la vie a enseigné à se débrouiller seul. Outre l’Algérien Slimane
Benaïssa (Prophètes sans Dieu227) qui s’interroge dans ses pièces sur la
question de l’Histoire et de la mémoire d’un peuple, on remarque Leila
Anis, née en France et originaire de Djibouti où elle vécut jusqu’à son
adolescence. Fille de228 est une autofiction qu’elle interprète seule sur
scène. Ce monologue en trois actes (le départ, le transit et l’arrivée),
menant le spectateur de l’Afrique de l’Est aux cités urbaines
françaises, traduit une réflexion sur le métier de passeur de mots : « Cher
pays, mon tout petit confetti de l’empire colonial, cher mien, je vous écris
par-delà l’oubli, suis devenu mon propre père, ai eu pour affront, moi, la
fille, de choisir comme métier le théâtre et tant pis si je mets des années à
me sentir légitime. Suis enfin capable de me souvenir… » Comme ses
consœurs écrivaines maghrébines, Leila Anis aborde la place des femmes
en situation de migration et leur identité, assignée ou construite,
enfermante ou libératrice, dans nos sociétés actuelles des deux côtés de la
Méditerranée. « Mon exil porte en lui tant de contradictions que j’ai
toujours préféré le taire. Pourquoi raconter que je suis étrangère de
partout ? Ni d’ici ni de là-bas, ça intéresse qui une fille de l’entre-rien ?
Pourtant, aujourd’hui, je décide de dire… », annonce-t-elle dans son
Prologue.
Quel est le prix de la liberté ? Cette question, Darina al-Joundi la
transfère sur scène avec Le Jour où Nina Simone a cessé de chanter229.
Ce jour était la mort de son père, d’un soutien de liberté. Al-Joundi
raconte une histoire faite de vérité et de folie (elle sera internée pour
manque de sentiments), de violence et de tendresse. Toute l’Histoire du
Liban contemporain est concentrée en l’histoire d’une personne, fidèle au
rêve persistant d’un père journaliste et écrivain pour qui la liberté n’est
pas négociable, rêve qui se fracassera sur la violence et la haine de la
guerre civile. Le sexe défiera la peur, la drogue défiera la vie, le refus de
toutes les règles sociales et des convenances religieuses défiera une
société qui se vengera durement contre la jeune insoumise. D’autres
souvenirs de l’exil ont en 2005 été portés sur scène par Mimoun El
Barouni (Il libro della vita), une performance qui raconte, de manière
brutale, son parcours de clandestin, de trafiquant de drogues, incarcéré en
Italie puis devenu acteur.
Des variantes des thèmes de cette écriture de la faille qu’est
l’autofiction sont souvent l’enfance, la perte d’un être cher. Simon
Boulerice dans Simon a toujours aimé danser (2007) amalgame théâtre et
danse pour traiter des rêves brisés de l’enfance, de l’échec amoureux,
mais aussi du refus de la résignation. Il récuse l’autobiographie et lui
préfère le terme d’autofiction (« ça me plaît beaucoup ce flou, cette
difficulté à départager le vrai du faux »). Le spectacle avait pris chez lui
naissance dans le manque d’écriture dont souffrait l’ex-étudiant en études
littéraires alors qu’il poursuivait sa formation théâtrale : « J’écrivais dans
mes temps libres, pour me sentir plus équilibré. ». En dansant, il porte un
regard sur son éducation, s’interroge sur la responsabilité parentale des
legs et de la transmission. La pièce métamorphose en gestes, en
mouvements, en mots les souvenirs et les réflexions autour de la création
de sa personnalité.
Les installations et les films d’Esther Toth traduisent aussi des bases
autobiographiques évoluant autour des thèmes de la mémoire, de
l’identité et de la relation à Autrui. Son travail, extension de la
psychanalyse, filme des marionnettes qui, par leur nature maniable et
vulnérable représentent l’assujettissement de l’être humain à ses propres
névroses ainsi qu’à celles des autres. M’as-tu rêvé ou t’ai-je rêvé ?
(2011) met en scène un couple imaginaire et réel, incarné successivement
par des enfants et des marionnettes. Deux chemins mis en miroir que le
film essaie de décortiquer du point de vue de chacun des protagonistes.
Sisters, un cas classique (2012) témoigne d’une tentative d’exploration
onirique d’une histoire d’identification et d’ambivalence affective entre
une mère et deux sœurs, qui se déroule comme une séance d’analyse.
L’histoire se passe dans une maison, reproduction exacte de la maison
d’enfance de l’artiste symbolisant l’espace matriciel dont il est interdit de
s’échapper.
Spalding Gray se situe dans l’avant-garde new-yorkaise de l’après-
guerre. L’acteur se sert dans des spectacles minimalistes de lui-même
comme matériau « faute, dit-il, de parvenir à accéder à la fiction230 ». La
fragmentation de son récit est le début du performance art cherchant à
mettre en valeur une dimension visuelle non soumise au texte. Dans
Rumstick Road (1977), Spud (diminutif de Spalding), fait éclater le
caractère confidentiel d’une vie, sa vie, en rendant public des documents
familiers destinés à rester privés, on entend par exemple la voix de sa
mère suicidaire enregistrée à son insu. Rien ne doit rester cacher pour
survivre. Mais TOUT n’a pas d’ordre. Spalding sélectionne donc dans ses
performances lui-même, ou laisse le spectateur tirer une carte de sa vie,
pour la jouer, la hurler, la murmurer, l’exprimer.
La problématisation de l’identification sexuelle se trouve représentée
dans l’autofiguration au théâtre. Dans Regarde maman, je danse (2007),
Vanessa van Durne se dévoile : la transsexuelle qui a décidé de changer
de sexe, de devenir une femme. La pièce est essentiellement centrée sur
les interrogations identitaires mais questionne tout autant une société
dans laquelle, c’est le début de la pièce, on ne voit au supermarché que
des femmes avec leurs enfants qui crient, stressées à la caisse. L’auteur-
actrice dénonce ainsi sous son propre nom l’hétéronormativité, la
position des minoritaires, et simultanément, à travers son corps, les effets
de l’oppression politique, masculine, sociale.

Il est clair qu’en exploitant les diverses modalités scéniques pour


arriver à cette anamnèse du soi par le Je, l’autofiction théâtrale exploite
les virtualités de l’autoreprésentation pour constituer, à travers elles, la
figure du moi puisant « dans la potentialité mémorielle de la
représentation : c’est elle qui forme le souvenir.231 »

Danse
Pour le danseur Romano Botinelli, il y a une évidence à utiliser son
corps : « parce que le corps en mouvement est toujours honnête, je crois
que la danse est un art qui donne un accès irremplaçable à l’intimité.
Parce qu’il est impossible de tricher avec ses gestes, je crois que la danse
est un art qui pose toujours la question de la vérité, c’est en cela que je lui
associe une dimension documentaire.232 ». Histoires de mon
homosexualité (2012) raconte sa propre histoire, il en a rédigé le texte
narré en voix off ainsi que le texte du one-man show au centre du
spectacle et il a créé la chorégraphie. La part autofictionnelle est pour lui
abordée par le fait même que la danse prend en charge le récit, c’est-à-
dire qu’elle ne l’illustre pas mais « en donne une forme ». Les mots, liés
à des concepts, apparaissent lorsque les concepts sont compris. Le corps,
lui, donne un accès à l’origine, à l’avant des mots, il s’agit d’un accès
différé à la mémoire, une mémoire archaïque. Lier les mots et la danse
signifie raconter une histoire avec deux mémoires qui dialogueraient : la
mémoire fictionnelle et la mémoire archaïque. L’aspect fictionnel tient à
ce qu’en parlant on invente toujours. L’autobiographique dans sa danse,
c’est que le corps n’invente pas ce qu’il éprouve, il va chercher là où ça
s’est vécu233.
Dans la pièce chorégraphique Longtemps je me suis couché tard
(2012), Sarath Amarasingam, danseur d’origine tamoule, s’interroge sur
ce que peut être « une danse autobiographique ». Il ne s’agit pour lui non
de dévoiler son intimité, mais de regarder le cycle de la vie et ses étapes
fondatrices. Cette recherche identitaire se déploie à partir des
vocabulaires de la danse hip-hop et indienne assemblés dans une
démarche contemporaine, tout en les dépassants, composant l’un des
éléments du « langage authentique du danseur ». Un homme se
remémore sa vie. Il erre. Des souvenirs d’enfance surviennent.
Commence un processus de transformation. L’être mue, vit ses petites
morts, se libère presque.

2. « Je est une image » : photos, peinture


Dans la photo, il faut différencier celle accrochée au mur de celle
intégrée dans un livre sous forme de photo réelle ou d’image imaginaire.
L’idée d’intégrer des photos au texte autobiographique (on ne parlait pas
encore d’autofiction) n’a pas pu apparaître sans que soit mise en évidence
une des caractéristiques de la photographie que Roland Barthes a appelée
le « ça-a-été », devenu en occurrence « j’y étais ». Comme le rappelle
Magali Nachtergeal : « Les Cahiers de la photographie désignent alors ce
phénomène par un astucieux mot-valise : “la photobiographie” scellant
l’alliance d’une technique à un genre littéraire propre à faire bondir
Baudelaire de l’au-delà (« La poésie et le progrès sont deux ambitieux
qui se haïssent d’une haine instinctive », écrivait-il dans son Salon de
1859). »234 Georges Perec, dans W ou le souvenir d’une enfance
commence par exemple par examiner sept photos familiales desquelles il
tire les fils de l’écriture, les photos représentant un espace de séparation
irrémédiable, une « présence coulée dans l’absence 235 ». Après Breton et
Perec, après La Chambre claire et Roland Barthes par Roland Barthes,
où l’écrivain saisit sur le vif, en permanence, ses propres fulgurances,
devenant ainsi le photographe de son propre imaginaire, des écrivains
aussi divers que Derrida, Anny Duperey, Houellebecq, Ernaux, N’Diaye,
Rolin, Claire Legendre avec Jérôme Bonnetto, Anne Brochet, Georg
W. Sebald ou Orhan Pamuk ont usé de l’appareil photo pour illustrer,
concrétiser, ancrer dans le vrai, une part de leur récit de vie. Dans
L’image de soi ou l’injonction de son beau moment236, Guibert introduit
ainsi le livre : « Ne ménageons pas un secret de polichinelle : cet individu
c’est bien moi, je suis forcé de me reconnaître en ses faces et ses
silhouettes, je suis bien l’acteur de toutes ces fantaisies, et pourtant il me
dépasse, il me surprend, et je peux parler de lui comme d’un personnage
de roman, et peut-être d’un roman que moi-même j’aurais écrit, il y a
entre lui et moi toute la distance accomplie dans le passage d’un je à un
il, et bien d’autres distances. En fait, c’est le travail qu’il y a entre lui et
moi. Celui de la vie, celui de la photographie. »
À la fin des années 1960, en réaction à la pensée formaliste, certains
artistes réintroduisirent la narration dans l’art sous le concept de
mythologie personnelle, transposition du quotidien par l’individu pour
atteindre le personnel, l’intime. Avec Duane Michals, pionnier du récit-
photo, la forme documentaire et autoréférentielle du photo-roman
où texte et image se renvoient les « apparences du réel »237 interroge sa
propre histoire et son rôle d’artiste. Se mettant à distance, cherchant,
comme il le dit, à trouver le « je » de « moi », il devient son propre héros
et influencera entre autres Le Gac, Boltanski, Annette Messager et
Sophie Calle. Ces artistes délaissent la peinture-photo traditionnelle pour
lui préférer les outils médiatiques d’un art populaire et tissent des fils
narratifs autour de leurs images à partir de souvenirs personnels. En 1983
paraît le « Manifeste photobiographique » de Gilles Mora et Claude Nori.
Simultanément Sophie Calle, jouant sur l’ambivalence de son
identité civile et artistique, accroche sa « Suite Vénitienne ». La
photo devient ainsi un amplificateur d’existence, image parcellaire de soi,
loin des autoportraits classiques à la Rembrandt et alii. Nan Goldin
accentuera encore la figuration de soi, sans plus aucune vocation
esthétisante mais en se posant plus proche de l’autobiographie que l’est
Cindy Sherman (inspirée par les « jeux de poupée » du surréaliste Hans
Bellmer).
Les effets de travestissement de Sherman ne sont pas sans rappeler les
travaux de l’Américaine Eleanor Antin, artiste utilisant la photographie et
la vidéo pour réaliser des autoportraits « en situation », se créant
différents alter ego tels que le Roi (The King, 1972), la Ballerine (The
Bellerina, 1973), l’Infirmière (The Nurse, 1976). Alice Anderson
réinterprète son enfance et ses récits. Adepte des métamorphoses, des
jeux d’échelles et de miroirs, l’artiste s’est inventé plusieurs alter ego
dotés de longs cheveux roux soumis à des jeux de poupée. Si ses auto-
représentations ne concernent pas les faits de cette existence (comme cela
peut être le cas pour Goldin, Roche ou Lartigue), elle porte sur les
identités qu’aurait pu revêtir l’artiste, et dans lesquelles elle a pu se
projeter enfant.
Vibeke Tandberg, adepte de la figure du double comme C. Laurens,
redéfinit la place de l’artiste-sujet. Ses photos présentent, sur le ton de la
photo de famille, la vie intime de deux sœurs jumelles dans le quotidien,
deux sœurs qui, en réalité, n’existent pas. Pour chaque photo, il s’agit de
deux autoportraits remaniés de l’artiste.
Comme les écrivains d’autofiction déracinés (Doubrovsky,
Goldschmidt mais aussi Bouraoui, Djebar, Taïa…), la Japonaise Chino
Otsuka utilise la photographie afin d’explorer les notions de mémoire et
d’un soi « sans terre ». À l’âge de 10 ans, ayant de son plein gré quitté le
Japon pour la Grande-Bretagne, elle devait se familiariser avec un
nouveau lieu, une langue étrangère et de nouvelles coutumes, à une
période où elle était tout au développement de son identité d’adolescente.
Cela marqua profondément sa photographie, ses œuvres vidéo et son
écriture. Sa série « Imagine me trouver moi » ressemble à une collection
de photos de voyage de deux femmes, l’une jeune, l’autre plus âgée, dans
divers lieux du monde : Paris, Londres, place Tiananmen. Les sujets
pourraient être des sœurs, ou une mère et sa fille. Or, en réalité, les deux
sujets sont Otsuka elle-même, photographiée à différents moments de sa
vie.
À l’instar de Doubrovsky, Régine Robin, Guibert, Laurens, Delaume,
ces photographes mettent en scène le vide, l’absence de soi, la
matérialisation de l’oubli, son refus, l’angoisse devant la disparition, en
se servant du matériau du Je recréé.

La bande dessinée
La bande dessinée serait-elle le genre idéal pour la pratique de
l’autofiction ? Étant limitée en nombres de pages et de place pour le
texte, il n’est possible de dire, dessiner sa vie qu’en tranches qui prennent
parfois une forme de carnets formant le tome I, II… d’une expérience
personnelle, réelle. En 1972 paraît le premier comic autobiographique, de
Justin Green, appelé Binky Brown Meets the Holy Virgin Mary retraçant
ses difficultés psychologiques à se soumettre à une vie « normale ».
Comme pour la littérature, la BD autofictionnelle traite des thèmes aussi
différents que récurrents tels la politique dictatoriale (Maus d’Art
Spielgelman, Marjane Sartapi, Persepolis ; Chroniques Birmanes ou
Chroniques de Jérusalem de Delisle ; Marzi de Sowa et Savoia ; Wild,
Nicolas, Comment je ne me suis pas fait kidnapper en Afghanistan –
Kaboul Disco), la migration (Fred Neidhardt, Les Pieds-Noirs à la mer ;
Petit Polio de Farid Boudjellal, Couleur de peau : miel, Jung, Aurelia
Aurita : Je ne verrai pas Okinawa…), la famille (Alison Bechdel, Fun
Home) ; la perte d’un parent, d’un proche (Ma maman est en Amérique
de Regnaud et Bravo) ; la maltraitance, l’abus sexuel (Pourquoi j’ai tué
Pierre de Ka et Alfred), l’amour (Blankets, Thompson, Pillule bleues,
Peeters…), la sexualité (Fraise et chocolat d’Aurelia Aurita ; Hot,
Throbbing Dykes to Watch Out for d’Alison Bechdel), le féminisme
(Lust, Ulli, Trop n’est pas assez), la maladie (Neel, Chaque chose), les
minorités (Gilles Rochier, Ta mère la pute ; Océanerosemarie, La
Lesbienne invisible). La forme plus autobiographique de la BD, les
carnets, existe depuis plusieurs années, ayant commencé chez quelques
petits éditeurs comme Ego comme X (voir Fabrice Neaud) ou
L’Association (Sfar ou Trondheim), passent aujourd’hui sur internet sous
forme de blog (toujours Trondheim, Boulet, Frantico, Laurel…).
Dans la quasi-totalité de ces BD autofictionnelles se trouvent des
réflexions sur l’écriture, le processus de réalisation de ces clichés scripto-
pictoraux, de la moralité de ce qui est dit mais surtout rendu visible à
l’œil nu, donc plus directement, facilement compréhensible pour
l’entourage direct qu’en littérature. On assiste ici aux affres de la
réécriture confrontée à la nécessité d’écrire du vrai, du jeu avec la
sérieuse autobiographie.

3. « Je suis une image qui bouge » :


cinéma, courts-métrages, vidéos…
« Il faut déjà avoir vécu les choses une première fois avant de pouvoir les
filmer en vidéo. […] Reconstituer en vidéo un instant vécu est un peu
moins impossible qu’avec la photographie, qui produit alors un faux :
avec la vidéo on s’approche d’un autre instant, de l’instant nouveau avec
[…] le souvenir du premier instant. Alors l’instant présent est attrapé par
la vidéo a aussi la richesse du passé. » écrit Guibert dans Le Mausolée
des amants (p. 531). Comme au théâtre, faute de pouvoir faire du cinéma
seul (étant donné la présence des techniciens pour la lumière, le son, le
montage), le cinéma purement autofictionnel au sens doubrovskien (le
scénario doit être écrit par celui qui réalise et celui qui joue, trio lejeunien
adapté au cinéma) est rare et peu de recherches ont été faites dans ce
domaine qui, a priori, exclue l’intimité du scénariste du je(e) de l’acteur.
Aline Feldbrügge238 différencie dans le « cinéma de l’intime » :
« l’autodocumentaire », le « journal filmé du moi » et « l’autofiction ».
Pour les trois, il n’y a pas de mise en scène particulière, une caméra DV
suffit pour filmer par bribes le vécu. Le cinéma de l’intime est toujours
inscrit dans le présent. Le passé raconté ou émis par flash-backs n’a de
sens et d’impact que pour faire avancer le cinéaste/personnage dans
l’avenir.
Dans la catégorie des autodocumentaires peuvent être classés Godard,
Chris Marker, Ackermann. On différencie le journal filmé de
l’autodocumentaire par la mise en scène, la fictionalisation et le sujet
traité. Cavalier (se) filme pour laisser une trace de ses émotions, sans les
expliquer ni même essayer de les comprendre, retraçant le cheminement
de son mal-être. Ce monde capté en image mouvante de manière brute est
malgré tout consciemment mis en scène, même si elle semble inexistante
et immédiate. L’autodocumentaire sous-entend le film documentaire et
donc non une focalisation unique sur son sujet, mais aussi sur la société
et les éléments extérieurs qui font du cinéaste ce qu’il est. Le cinéma
d’autofiction, se tourne plutôt vers la reconstitution de son H/histoire par
le découpage, l’adresse plus ferme au monde, à l’autre (A. Varda). Nous
ne traiterons pas ici des autofictions livresques mises en scène pour le
cinéma tels L’autre (A. Ernaux), Pourquoi le Brésil (Ch. Angot), L’armée
du Salut (A. Taïa), Abus de faiblesse (C. Breillat) etc..

Un des films-moi le plus connu est Journal Intime (1993) de Nanni


Moretti suivi d’Aprile (1998). Ce cinéaste qui définit son cinéma comme
« autobiographique et ironique » a écrit, réalisé et interprété ses films
mettant en scène une sorte d’alter ego : lui-même. Comme P. Forest,
Moretti déclare en 1986 qu’il espérait « faire toujours le même film, plus
beau dans la mesure du possible. » toujours plus assumé
autofictionnellement. Dans ses films précédents, Moretti avait déjà mis
en scène un certain Michele Apicella, pseudonyme facile à éclairer,
Apicella étant le nom de jeune fille de sa mère. Mais c’est suite au décès
de son père et d’un cancer qu’il abandonne définitivement son alter ego
avec Caro Diario et Aprile. Son nom est proféré à plusieurs reprises au
téléphone ou au cours des consultations médicales.
Un autre thème, la perte de la mère, est filmé et auto-interprété par
Mariana Otero, dans Histoire d’un secret (2003), et encore par Sophie
Calle affrontant la mort, en donnant à voir, en 2012 à Avignon, le film
tourné en cherchant à capturer le dernier souffle de sa mère et en lisant le
journal qu’elle lui a confié et qu’elle n’avait jamais souhaité déchiffrer.
Non la mort, mais l’amour, capté par les yeux d’Alain Cavalier dans
un « journal filmé », est le protagoniste de La Rencontre où un cinéaste
filme en vidéo sa rencontre avec une femme pendant un an. Avant La
Rencontre, Cavalier avait capté sur écran la douleur éprouvée à la perte
de sa femme avec Ce Répondeur ne prend pas de messages (1978) et
Irène (2009). Une rencontre, dans un autre registre, plus trash, est mise
en images dans No Sex this night (1994) par Sophie Calle qui, fidèle à sa
méthode, emmène Greg Shephard à travers les États-Unis en lui
proposant de filmer leur relation. Ce curieux mélange de road-movie et
de double journal intime, est une œuvre dérangeante à la frontière de l’art
et de la vie, de l’exhibitionnisme et du jeu enfantin, de la vérité et du
mensonge. Dans Sibérie (2012), un couple part en voyage avec deux
petites caméras pour faire un film. À bord du transsibérien, Joana Preiss,
la réalisatrice et son compagnon Bruno Dumont échangent sur l’amour, le
désir, le cinéma. Peu à peu, la caméra devient pour chacun le moyen de
traquer les sentiments de l’autre. Au fil des paysages inconnus, la vérité
de leur relation se dévoile.
L’amour homosexuel se filme aussi, avec, pour précurseur La Pudeur
et l’Impudeur de Guibert qui met en scène son agonie lente du Sida, la
mort à l’œuvre dans le corps, l’épreuve de la déchéance, la représentation
qu’il s’en fait, offrant au spectateur son propre regard d’un jeune homme
qui va mourir, sur le monde qui l’entoure et qu’il quitte.
En 2000 sort Les Yeux brouillés de Rémi Lange : Antoine et Rémi
vivent ensemble depuis plus de trois ans. Rémi filme leur vie avec une
caméra super 8 mais se rend compte que le désir entre eux s’estompe. Ce
film se métamorphose alors une interrogation sur l’amour, le désir, mais
aussi, en mettant en forme son journal intime par des images, sur le rôle
de la caméra et son besoin de faire de sa vie une œuvre
cinématographique.
Vincent Dieutre, avec Leçons de ténèbres (1999), confronte l’érotique
picturale des tableaux du Caravage avec la représentation actuelle de
l’érotique gay. Deux histoires d’amour guident ce drame baroque où
l’émotion surgit aussi bien du clair-obscur des corps amoureux que de
superbes plans de paysages urbains et des tableaux.
Comme Guibert qui filmait son corps problématique, s’éteignant, Joao
César Monteiro, cinéaste portugais au corps ligneux et vieillissant,
s’interprète en Jean de Dieu, auto-personnage libidineux, mais d’une
précieuse extravagance qu’il incarne de film en film mais surtout dans Va
et vient, réalisé en 2002, et sorti quelques mois après la mort du cinéaste,
des suites d’un cancer
Être déraciné de la vie par la mort peut être rapproché du déracinement
d’un pays, où une partie de vous doit mourir pour faciliter une intégration
sociétale. Ce sentiment de déracinement passe chez les cinéastes
modernes par l’autofiction, ou sous forme d’autodocumentaire ou de
journal filmé. Leila Albayaty, originaire d’Irak adapte avec Berlin
Telegram (2013) l’histoire d’une rupture amoureuse, surmontée grâce à et
devant la caméra. La rage d’une femme, quittée par l’amour de sa vie,
fournit le carburant dramatique et cinématographique pour ce road-movie
qui se déroule entre Bruxelles, Berlin, Lisbonne et Caire. Née en Corée
du Sud et adoptée à l’âge de 4 ans, Sophie Bédier a changé de nom et a
perdu sa langue maternelle. Ce n’est que dans le regard des autres qu’elle
perçoit sa différente physique. Dans ses deux auto-documentaires
Séparées et Corps Étranger (2004), enceinte, elle s’interroge sur la
culture à transmettre à son enfant lorsqu’elle se met en quête de cette
identité, la sienne et celle qu’elle engendrera.
Les problèmes familiaux se montrent aujourd’hui par le faux miroir
qu’est l’écran cinématographique ou même virtuel (Internet). Simon
Reggiani interprète son propre rôle de fils avec Serge, son père dans De
Forces avec d’autres (1992). Le spectateur regarde, vit le portrait que le
fils trace avec et de ce père acteur, chanteur et alcoolique, que Simon sent
peu à peu partir à la dérive, main tendue au père esquinté par la vie,
laminé, dont les blessures sont à vif. Au contraire de sa sœur Isild Le
Besco qui propose, en réalisant Demi-tarif (2003), une immersion dans le
paradis perdu de trois enfants livrés à eux-mêmes, Maïwenn Le Besco
traite dans Pardonnez-moi (2005) du passé sur le mode de sa
réminiscence, ressassée comme un vieux cauchemar, dans le présent,
dans le but de s’en libérer. Ce présent est celui de Violette (jouée par
Maïwenn elle-même), jeune femme enceinte hantée par son enfance, qui
se lance dans la réalisation d’un film sur sa famille, pour enfin se
confronter à père, mère et sœur. En mode plus comique, Les Garçons et
Guillaume, à table (2014) de Guillaume Gallienne traite de l’envie du fils
de plaire à sa mère.
A. Varda, dans Les plages d’Agnès procède à des reconstitutions de
scènes de l’enfance, la fiction découlant uniquement de la mise en scène.
Si A. Varda dit que : « même si on montre tout, on ne dévoile pas grand-
chose », son fils Mathieu Demy se met dans ses films du moi à nu,
s’échappe à lui-même par un jeu avec les films tournés avec lui lorsqu’il
était enfant et que son nom d’acteur-enfant fut Martin. Dans Americano,
ce garçon fictif, mis en scène, utilisé par ses parents (A. Varda et Mathieu
Demy) décide de s’arracher à ce film-fiction qu’ils ont fait de lui en se
réappropriant sa vie, se mettant en scène lui-même. Son road trip
commence par la mort (imaginaire) de sa mère – qui est en fait la mort de
son père en 1990 – figure son propre cheminement intérieur né de la
nécessité de se filmer pour (se) survivre, la compréhension de soi passant
ainsi par la caméra.

Dans tous ces films de l’intime on ressent la volonté de se détacher


d’une forme cinématographique qui empêcherait l’expression libre. La
ligne directrice est de rendre visible une émotion vécue dans sa chair.
Vagabondages sensoriels et réflexions théoriques sont mis en parallèle
dans ce cinéma où l’acteur-scénariste ressent la nécessité de prendre
possession de son corps (pacte homonymal) pour le confronter
ouvertement aux autres. Le numérique a révolutionné la façon que les
cinéastes avaient de faire du cinéma. La caméra étant plus légère, on est
beaucoup plus indépendant et on peut aller jusqu’à créer d’autres formes
de réflexion autour du cinéma. À travers lui, toute la société est vue et
interrogée. L’individualité mène au collectif.
8
L’autofiction dans le monde

Le reproche que l’autofiction est une écriture franco-française, ou, plutôt,


depuis Rousseau, le repliement sur sa personne, se lit sous maintes
plumes de critiques. Mais c’est être aveugle au séisme qu’a déclenché ce
mot-valise « autofiction » dans un monde où soit la pratique assumée de
l’écriture d’une partie du Je existait déjà mais n’avait pas trouvé son
nom, les frontières génériques dépendant davantage des frontières
culturelles que de pays isolés en tant que tel, soit le terme autorisa une
nouvelle écriture de soi, désancrée des traditions littéraires ancestrales.
Sera retracé ici un bref spectre de quelques traits caractéristiques de
l’écriture autofictionnelle selon l’Histoire dans laquelle le Je (s’)est
inscrit.

1. Europe
L’autofiction s’est développée dans une Europe post-guerre (1939-1945),
post-révolutionnaire (1968) et son écriture s’en trouve encore aujourd’hui
profondément imprégnée. Les systèmes totalitaires, s’ils n’incarcéraient
pas les teneurs de plume, solution moins radicale que de les tuer, leur
marquèrent, bien malgré eux, au fer rouge, le devoir d’écrire dans la
peau. Puisque ce qui se passait réellement était impossible à dire « en
vrai », il était inconcevable de mettre des mots de témoignage sur un
insaisissable événement. Le « je » survivant se devait alors d’enclore,
d’embrasser les souvenirs, obligé de rendre visible la disparition de
l’autre, d’un « soi », d’un rêve de vie. Les auteurs tels Gombrowicz
(Pologne), Kertész (Hongrie), Semprun (Espagne) ou Valjarevic (ex-
Yougoslavie) utiliseront leur voix non pour faire un « roman historique »
sur cette dépossession de leur vie, mais pour dire l’insupportable
survivance sur fond d’une expérience traumatique. Soit rappelé que
d’autres systèmes dictatoriaux ne réussirent pas non plus à museler le
sujet, l’humain, le moi face à la société politique imposée. Il est par
exemple évident que dans les pays dits de l’Est, la Serbie, la Pologne où
la vérité est prise très au sérieux239, voire l’ancienne RDA, les
bouleversements politiques ont libéré une écriture du « je » qui se bat
pour l’individu, l’individualité, la liberté d’être soi et de manifester ce
« moi » trop longuement oppressé dans un groupe imposé par la
politique. La prise de parole en son nom propre de Herta Müller,
d’origine roumaine, a d’ailleurs été récompensée du Prix Nobel de
littérature en 2009.

Les pays germanophones


Le concept doubrovskien a très rapidement conquis une place dans la
critique germanophone240. L’intérêt pour les frontières culturelles et
individuelles, leur décodage, leur dissolution et recomposition a toujours
hanté la germanophanie, pays unifié qu’en 1881, puis séparé (1961),
enfin réunit en 1989. Les termes de Erinnerung (souvenir individuel et
mémoire des autres), de Reise (voyage), du couple Herkunft-Migration
(provenance-migration) fondent le socle des écritures du moi. Que l’on
pense au Irisches Tagebuch de Heinrich Böll, des divers écrits de Sebald,
Handke, Jelinek ou de C. Wolf, aux ouvrages du Suisse P. Nizon, la
thématique autour de laquelle tourne le Je est toujours la reconstruction
de soi dans un monde qui n’existe pas/plus lié au travail autour du
kollektives Gedächtnis (remémoration collective) traçant la frontière
entre l’identité individuelle et celle issue de l’Histoire. Il ne pouvait,
après la guerre, exister que la Trümmerliteratur ou le silence. Sebald,
Uwe Timm, Hans-Ulrich Treichel, Martin Walser, Günter Grass furent les
premiers à oser à nouveau faire se muer un Je proche de l’auteur dans
l’Allemagne post-45. Du second tremblement historique qui fit tomber le
Mur émanèrent des auteurs tels J. Hensel (Zonenkinder), Claudia Rusch
(Meine freie deutsche Jugend242) ou encore le dessinateur de BD Simon
Schwarz (Drüben243), tentant, à travers l’écriture, de comprendre le mal-
être de cette génération qui s’est senti flouée et a dû réécrire leur
Histoire, résignation et restauration allant main dans la main. Rainald
Goetz s’engagea à visualiser ce malaise, physiquement, lors d’une lecture
de Irre en 1983. Tout en lisant son texte autofictionnel devant le jury du
Prix Ingeborg-Bachmann, il s’ouvre le front avec une lame de rasoir, le
livre se tachant de sang au fil de la lecture. La vie, le sang en direct, en
mouvement, en écoulement. Peter Handke dit procéder à l’écriture en
« collectionnant des bribes de sa vie », pour se mettre, écrivant, en
voyage. Le chemin de l’autofiction éloigne ces écrivains des figures
parentales réelles ou idéologiques, figures qui souffrirent d’une amnésie
collective dans les années 50. Dans Wunschloses Unglück (1972), Peter
Handke retrace la vie ratée de sa mère tentant, vainement, de fuir les
préceptes d’une société petite-bourgeoise et se suicide en 1971. Urs
Widmer, avec L’Homme que ma mère a aimé244, se souvient d’une
femme, sa mère, n’ayant cessé jusqu’à sa mort d’être amoureuse d’un
homme qui ne l’aimait pas. Widmer rend aussi hommage à son père, Le
livre de mon père245, que la mère n’aimait pas, père passionné de
littérature française, traducteur, bohème. Un bon nombre d’auteurs,
voulant quitter le joug de la « Erinnerung » mortifère, ont tourné le dos à
leur pays, souvent pour la France comme Handke, Jelinek, P. Nizon et
A. Weber. Les autofictionnistes germanophones écrivent surtout « contre
le temps rendu confus, en désordre » (« Schreiben gegen die
durcheinander geratene Zeit ») comme l’exprimait Peter Härtling. En ce
qui concerne les autofictions imaginaires (V. Colonna), il faut ici nommer
le best-seller « Hoppe » de Felicitas Hoppe, œuvre auto-déclarée
Wunschautobiographie, « autobiographie souhaitée », relatant les
voyages fantastiques de l’héroïne Felicitas Hoppe à travers le monde,
œuvre d’une romantique mais radicale affirmation de soi. Ainsi toutes
formes d’autofictions trouvent leur place dans les pays germanophones.
La spécialiste de l’autofiction, Martina Wagner-Egelhaaf246 considère
d’ailleurs qu’aujourd’hui, grâce à ce terme d’autofiction, la fiction ne se
présente plus comme pis-aller face à une impossibilité de dire la vérité
autobiographique, mais comme instrument spécifique de la réflexion
autobiographique, qu’elle définit comme « spectre » qui hanterait
certains livres.
L’Italie
Contrairement à la pratique française, l’autofiction italienne aborde
peu la dimension psychanalytique du langage et ne cherche pas à se tenir
à tout prix à la véracité des faits qu’elle raconte. Elle s’inspire plutôt du
propos prononcé par Walter Siti, de « autobiografia di fatti non
accaduti » (autobiographie de faits pas arrivés). De ce paradoxe découle
une vision particulière : d’un côté, une attention appuyée à l’invention et
à l’imagination narrative, voire à la fiction, de l’autre, une exigence de se
montrer à nu dans le but de se rapprocher au plus près de la vérité
ressentie. L’autofiction italienne au sens doubrovskien n’apparaît qu’en
1994 avec W. Siti : Scuola di nudo (Leçons de nu, 2012). Pendant les
années quatre-vingt, on peut observer chez des écrivains tel Aldo Busi
(Seminario sulla gioventù, 1984) des caractéristiques proto-
autofictionnelles, mais c’est dans les années quatre-vingt-dix et surtout
dans les années 2000 que la pratique se répand chez nombre d’auteurs
italiens. Avec Un dolore normale (1999) et Troppi paradisi (2006),
W. Siti accomplit une extraordinaire trilogie de l’amour et du désir
homosexuel. Dans le contexte sociopolitique actuel (Berlusconi et le
« berlusconisme ») où les médias, la télé manipulent l’homme, le jeu
politique devient le sujet privilégié des écritures autofictionnelles dans le
but de réfléchir à la mutation anthropologique affectant une manière de
se positionner face aux autres. L’auteur se métamorphose alors en son
propre personnage pour vérifier la dangerosité de certaines pensées dans
sa propre chair, entraînant une réflexion sur la confusion entre réalité et
fiction. Busi (Casanova di se stessi, 2000), Cordelli (Il Duca di Mantova,
2004), Covacich (Prima di sparire, 2008), Scurati (Il bambino che
sognava la fine del mondo, 2009), La Capria (L’amorosa inchiesta,
2006), Aldo Busi (E io che ho le rose fiorite anche d’inverno ?, 2004),
Genna (Italia de Profundis, 2008) et Vasta (Spaesamento, 2010,
tr. fr. Dépaysement, Gallimard, 2012) représentent avec puissance
l’imaginaire sociopolitique en Je de nos jours.

L’Espagne
D’après le spécialiste de l’autofiction espagnole Manuel Alberca, le
plus ancien texte autofictionnel espagnol serait le Libro de Buen Amor de
l’Archiprêtre de Hita (XIVe) ou au XVIIe siècle le Don Quijote, les Sueños
de Quevedo, Estebanillo González, au XVIIIe siècle Diego de Torres
Villarroel, l’un des plus célèbres auteurs d’autofiction avant la lettre,
mystificateur de sa propre biographie aussi dans Correo de otro mundo
(1725). Les prémisses des premières manifestations de l’autofiction
moderne apparaissent dans certains romans de Miguel de Unamuno et
Azorin au début du xxe siècle247. À partir de 1970, époque de la longue
agonie du Franquisme, l’écriture du Je se multiplie chez un bon nombre
d’écrivains parmi lesquels Juan Goytisolo, Francisco Umbral, Enrique
Vila-Matas, Javier Cercas ou Javier Marías. En 2007, quatre œuvres de
romanciers de grande valeur furent remarquées : Finalmusik, de Justo
Navarro ; Veneno y sombra y adiós, de Javier Marías ; El mundo, de Juan
José Millás, et Exploradores del abismo, un recueil de nouvelles
d’Enrique Vila Matas. Comme le dit avec ironie Alberca, les Espagnols,
issus d’une longue tradition d’ambiguïté, étaient géopolitiquement
parfaitement préparés à l’avènement de l’autofiction, ce genre réputé
pour son hybridité et son jeu avec les vérités. « Tout d’abord, par sa
situation géographique – au sud de l’Europe, très proche de l’Afrique –,
et par les hasards de l’histoire, l’Espagne est la nation qui, sans cesser
d’être européenne, a vécu pendant des siècles sous l’influence de deux
religions (le Christianisme et l’Islam) et deux cultures (occidentale et
orientale248). » Vint le Franquisme qui fit taire les voix libres des
écrivains. Ensuite, le régime démocratique établi en 1978 avait aboli
presque tous les vestiges du système totalitaire, mais le rétablissement de
la monarchie et du régime démocratique actuel étaient effectués à partir
de lois proposées par Franco… Plus qu’un jeu, la feinte serait en Espagne
un besoin social, un apprentissage nécessaire pour échapper à la fausse
pensée unique qui se tapit dans les esprits. D’où le jeu avec le Je. Dans
Escenas de cine mudo, Julio Llamazares écrit : « Ce roman n’est rien
d’autre que cela, même s’il pourrait faire penser à une autobiographie
(tout roman est autobiographique et toute autobiographie est fictionnelle),
et s’il se situe à une époque et dans des lieux qui ont réellement existé ».
Javier Marías soutient cette démarche : « Todas las almas semble un récit
autobiographique ; ou il semble plutôt un faux récit autobiographique, ce
qui lui permettrait d’être un vrai récit autobiographique, sans en avoir
l’air. Dans le doute il vaut mieux le considérer comme un roman ».
Feindre le contraire de ce que l’on pense, simuler être celui que l’on sait
parfaitement ne pas être, donner à penser le contraire de ce que l’on
aimerait faire, cacher les manques, font partie de tous les équilibres
sociaux nécessaires au salut, à l’autodéfense, au camouflage. Les auteurs
espagnols d’autofictions établissent avec les lecteurs un pacte ambigu qui
suppose également une déclaration de non-responsabilité qui les porte à
se déguiser, à se cacher, ou à proposer un jeu évasif pour éviter de devoir
s’engager dans la véracité.

2. Le Brésil
Le néologisme de Doubrovsky a rapidement été ajouté au dictionnaire
brésilien sous le nom d’autoficção. Il se construit d’abord dans un lieu,
un temps délimités, le Rio de Janeiro après la « Belle Époque »
brésilienne (début XXesiècle), sorte de simulacre de la Belle Époque
française, lors de laquelle toutes les modes hexagonales furent copiées,
au dépit de la culture locale. C’est à cette période aussi qu’une majorité
de Brésiliens noirs furent poussés à la périphérie des villes, dans les
favelas et que les spectres de la dictature, la répression, la violence et la
folie de l’autoritarisme dans toutes les instances furent tatoués à jamais
dans les écritures autofictives d’un Paolo Lins (La Cité de Dieu, 1997) ou
d’un Fernando Gabaira (Les guérilléros sont fatigués, 1980).
L’autofiction est ici « écriture-limite », livre-deuil et elle est armée, dira
Luciana Hidalgo au colloque de Cerisy en 2012 citant Guimarães Rosa
pour qui « Raconter, c’est résister ». En 2005, Silviano Santiago publie
Histórias mal contadas (éd. Rocco) et en 2007 Tatiana Salem Levy
présente A chave da casa (éd. Record) sous la même étiquette
d’autofiction. La tendance autofictionnelle est présente chez d’autres
auteurs majeurs contemporains, à l’exemple de Ferréz (Capão Pecado,
éd. Objetiva, 2005), Cristóvão Tezza (O filho eterno, éd. Record, Le fils
du printemps, éd. Métailié, 2009), Rodrigo de Souza Leão (Todos os
cachorros são azuis, éd. 7Letras, 2008) et Michel Laub (Diário da
queda, éd. Companhia das Letras, 2011), Pereira, Rogério (Na escuridão,
amanhã. São Paulo : CosacNaify, 2013). Dans la plupart des ouvrages
des auteurs suscités, les auteurs assument leurs histoires personnelles
mais ne respectent pas toujours l’homonymat, comme Armadilha para
Lamartine (éd. Labor, 1976) de Carlos & Carlos Sussekind, et Quatro-
Olhos (éd. Alfa-Ômega, 1976) de Renato Pompeu. En revanche, dans
O gosto do apfelstrudel (éd. Escrita Fina, 2010) de Gustavo Bernardo,
publié sous la banderole d’autofiction, le narrateur signe de des propres
initiales ou de celles de ses frères et de son père. Comme en Espagne, on
pratique au Brésil surtout l’autofiction « anominale ou nominalement
indéterminée » (Ph. Vilain), même si les études génétiques peuvent
parfois prouver que le point de départ était une autofiction homonymale.
Lima Barreto, dans Vida e morte de M.J. Gonzaga de Sá (1919),
remplacera p. ex. son prénom dans une correction ultime, sans quoi il
aurait inscrit l’identité onomastique dans la littérature brésilienne en
1919. En 2010, José Castello publia Ribamar (éd. Record), l’un des
exemples les plus affirmés de l’autofiction. Dans un pays aussi complexe
que le Brésil – avec ses dimensions géographiques, ses mélanges de
races, ses inégalités de tout genre – les auteurs qui parlent au Je touchent
évidemment aux questions politiques, raciales et sociales du pays,
comme c’est le cas de Lima Barreto ou Fernando Gabeira, racontant son
expérience de guérillero contre le système dictatorial dans O que é isso,
companheiro ? (Les Guérilleros sont fatigués, Métailié), par lequel le
lecteur est plongé au fond du drame du régime militaire au Brésil dans les
années 1960-1970. Lorsque Paulo Lins publie Cidade de Deus (La Cité
de Dieu, Gallimard, 1997), il disséminera sa vie dans une favela de Rio
en plusieurs personnages, d’où émerge une sorte de je-favela, c’est-à-dire
un je quasi collectif, soumis à la géographie politico-sociale et qui va
justement la dépasser à travers l’écriture249. Dans certains cas, d’après
une situation-limite, le simple témoignage ne suffit plus et l’autofiction
devient fondamentale.

3. Les Afriques
La question de l’écriture assumée du Je s’inscrit en Afrique dans un
hiatus interculturel largement partagée aujourd’hui avec l’Europe à cause
de la mondialisation. Ne sont pas seulement en jeu la réaction au
colonialisme mais surtout la césure entre deux modèles de vie : l’un
traditionnel, plus ou moins inné, l’autre tout autant fondamental qu’est
l’interrogation autour de « Qui suis-je aujourd’hui ? » et « Qu’est-ce que
je veux comme vie ? ». À la question : « Quelle place occupe cette
question de l’intime dans la révolution ? », l’écrivain algérienne Wassyla
Tamzali, auteure de La révolution de l’intime (2007) répond : « L’intime
est le lieu des révolutions. Les changements se jouent à l’insu des
individus dans une forme d’alchimie entre le social, l’intellectuel et le
personnel. […] l’individu est poussé par une force qui le dépasse ; ça part
de l’intime et ça rejoint le collectif. C’est ça une révolution. » Avec cette
autofiction, Wassyla Tamzali, avocate à Alger, directrice des droits des
femmes à l’Unesco, publie un texte sur ce Je qui se réveille : « Mon exil
porte en lui tant de contradiction que j’ai préféré le taire. Pourquoi
raconter que je suis étrangère de partout ? Ni d’ici ni de là-bas, ça
intéresse qui une fille de l’entre-rien ? Pourtant aujourd’hui je décide de
dire. »
Se dire, comme le fait au théâtre Leila Anis, née à Djibouti, avec Fille
de, redonnant vie aux instants déterminants de son existence, faisant
entendre les voix de ceux qui ont étouffé le sens de son exil. Seule en
scène, l’auteure-actrice est face à la mémoire des événements
déterminants de son passé. Comme la Libanaise Darina al Joundi (Le
Jour où Nina Simone a cessé de chanter ou Ma Marseillaise), Leila Anis
redonne corps et voix à ceux qui peuplent son histoire, fantasmant les
mots, les dialogues jamais prononcés, la parole devenant le chemin vers
la liberté de vivre ce qu’on a choisi de devenir.
Nulle part dans la maison de mon père (2007) de l’Algérienne Assia
Djebar pratique l’écriture du Je fragmentée avec l’esquisse de l’histoire
d’une petite fille tout à fait ordinaire, à l’exception peut-être d’un détail
récurrent : « sa main dans la main du père » sur le chemin de l’école,
main lui interdisant le vagabondage. Une fois adolescente, la future
auteure se mettra à la recherche d’espaces libres, premier projet de
l’invention de soi chez Djebar qui s’appuie essentiellement sur le travail
de mémoire instable, en perpétuelle mutation, transformé au fil de
l’existence, reconsidéré à la lumière du présent.
Ainsi en est-il aussi concernant Le Scorpion ou La confession
imaginaire250 (1969) d’Albert Memmi qui passe par l’Algérie de Bina et
son oncle Makhlouf et d’autres pour parler des vérités parfois
insupportables. « Qui sont-nous ? » De quelles illusions sommes-nous
faites ? Leïla Sebbar revient avec Une enfance algérienne (2003) sur
cette thématique du déchirement culturel, Se souvenir de Sebain (2003)
d’Anne-Marie Langlois aussi. Koffi Kwahulé qui a quitté la Côte
d’Ivoire à 22 ans présente également ses personnages comme des sujets
fragmentés, son Je diffracté étant le miroir de son identité rhizomatique.
Le jeune écrivain marocain A. Taïa parle, souvent en son nom, de son
pays truffé de mosquées mais vide d’humanité, pays qui maltraite et
insulte les homosexuels. Dans L’Armée du Salut, A. Taïa évoque aussi la
libre sexualité dans sa famille, les jeux érotiques, la joie de vivre sa
sensualité, mais il condamne l’aveuglement de l’islamisme, transformant
ce qui pourrait être un simple pamphlet, à travers le regard de son Je, en
supplique d’arracher la croyance aux mains fanatiques pour vivre en
liberté.
D’autres auteurs d’origine africaine mais nés en France ont écrit des
autofictions alternant avec des pures fictions. Certains, comme Marie
Ndiaye, protestent lorsqu’on lui parle d’une écriture francophone trop
stylisée, très imagée, jouant du rythme des mots. Toujours est-il qu’avec
ses derniers livres et surtout sa pièce de théâtre Papa doit manger (2003),
l’écrivaine se rapproche de son devoir de faire coïncider en elle deux
cultures ou plus. L’autoportrait se définit donc pour l’auteure de En
Famille251 ou Autoportrait en vert252 par un rapport de soi à soi modéré
par un tiers (photographies, femmes en vert, l’écriture elle-même). Ce
qu’elle dit est « une vérité. Après, les détails ne sont pas vraiment
importants.253 » Le travail de N. Bouraoui s’apparente davantage à
l’autofiction européenne qui assume un Je psychologiquement déstabilisé
à la recherche d’une place libre où l’on peut être tout (garçon ou fille,
algérienne et parisienne…). Ici l’autofiction trouve sa principale raison
d’être dans le besoin de parler de son vécu, la nécessité de lier la fiction à
la réalité afin de mieux comprendre, mieux exorciser, mieux accepter une
réalité parfois intraduisible. Il apparaît également que le rêve de
l’autofiction d’être à la fois le moi, l’agent du moi et le destinataire de la
fiction, s’inscrit bien dans le contexte de l’Afrique postcoloniale et
postmoderne dont rêvent certains auteurs.
Dans les Afriques du Sud où le colonialisme a infligé aux peuples
soumis des cicatrices identitaires considérables, le champ littéraire « du
for intérieur » était déjà développé avant la venue des Blancs. Le « moi »,
intimement lié aux éléments naturels était chanté, oral, rythmé. Pendant
la colonisation, il fallait fixer dans des livres le fondement d’une culture
double, traduire en mots cette nouvelle bataille incessante, usante,
longue, contre l’emprise que les colonisateurs cherchaient à avoir sur la
conscience noire africaine dans le but unique de l’occidentaliser. Afin de
contrecarrer l’entreprise hégémonique occidentale, le « moi » se devait
au XXesiècle d’enraciner dans les textes qu’il produisait l’imagination
sud-africaine. Après les diverses guerres d’indépendance, une autre
écriture de soi, se dessina, un Je qui refuse la victimisation. À l’instar des
ouvrages d’Alain Mabanckou (Demain j’aurai vingt ans254 ; Lumières de
Pointe Noire255), de Dany Laferrière (L’énigme du retour256), de la
Guadeloupéenne Maryse Condé (La Vie sans fard257) et d’autres, livres
enjoués, adonnés aux jeux esthétiques, « le roman africain est bien passé
d’un Je collectif, socio-représentatif à un Je individuel, fragmenté qui,
dans la particularité de chaque fragment révèle la multiplicité des Je dans
le jeu 258 ».
L’écrivain Sud-Africain J-M Coetzee (prix Nobel de littérature en
2003), dont le héros est pudiquement désigné par un « Il »
reconnaissable, figure de style affectionnée aussi par Philippe Roth ou
Paul Auster, observe d’un œil subjectif le ségrégationnisme. Ce « il »
blanc devient en 1948, à huit ans, témoin des débuts de l’Apartheid.
« Il », de nom Coetzee, ou « John » ou encore « John-Michael »,
réfléchit, tel un grand miroir dans lequel on observe simultanément les
environs, les divers individus (famille, amis, ennemis, entourage noir ou
blanc) immergés dans les tourments d’une Afrique du Sud plongée dans
le racisme omniprésent. S’écrire est dans ce cas encore une mise à
distance nécessaire pour mieux refléter un monde déchiré, dangereux.
4. Les Caraïbes
Aux Caraïbes et dans l’Océan Indien, la notion de sujet autobiographique
est tout aussi problématique, le sujet postcolonial visant à se fondre dans
un « nous » collectif et communautaire. Ici, le « je » n’est ni naturel, ni
culturel, il s’exprime sans se conformer aux modèles occidentaux. Le
« je » s’esquisse plus qu´il ne se dit, il explore les contours du genre
autobiographique, il met en place des codes, des jeux de masque pour
être entrevu, plus qu´exposer. Bertène Juminer se crée ainsi des alter ego
comme le personnage d’Hermann Florentin dans La Fraction de seconde
(1990) à travers lequel il se projette, se transpose et manifeste un désir
autobiographique voilé. Mais, tout en se masquant et en préférant un
« pacte romancé » au pacte autobiographique traditionnel, le sujet en
vient finalement à dire beaucoup de lui, tout au moins, à exprimer
l’essentiel et donc l’essence de ce qu’il est.
Ce qui ressort des écritures autofictionnelle issues d’un système
étranger ayant été répressif et voulant infantiliser le peuple, est qu’elles
refusent dans une seconde génération le témoignage, l’autobiographie, la
fiction aussi. L’écriture est un acte individuel opposé à une tendance de
vouloir uniformiser (ou au contraire séparer) les mondes, un acte de
liberté et de rejet des impositions d’une seule manière d’écrire donc de
(se) penser. Le Je a un caractère performatif, les multiples voies
(narratives, intertextuelles) coexistent, s’affrontent ou se relaient,
répondant en cela au désir de trouver sa propre voie et renouvelant ainsi
l’oraliture.

5. Le monde asiatique
« J’ai le pressentiment que ce texte ne sera ni la chronique de faits
réels ni une fiction, mais quelque chose entre les deux. »
(La Chambre solitaire, Shin Kyung-sook)

Le mouvement individualiste en Europe occidentale se différencie aussi


de la pensée chinoise et japonaise, davantage enracinées dans une
structure liant la partie au tout au lieu de relier l’unité à la pluralité. Au
Japon, s’il s’inspire de formes plus anciennes d’écriture personnelle, le
« watakushi shôsetsu » (littéralement : « roman du je ») est une forme
moderne et propre à la littérature du XXe siècle. Ce n’est qu’à partir de
1910 que s’est réellement développée une écriture autobiographique,
directement sous influence occidentale, non plus appliquée à la société en
tant que telle, mais au sujet, le Je de l’auteur259. Ces textes japonais sont
indissociables de leur publication en fragments indépendants dans des
revues littéraires avant d’être rassemblés en livres. Comme le rappelle
P. Forest dans la préface de La Beauté du contresens et autres essais sur
la littérature japonaise (2005), cette égo-littérature naît d’un contresens
sur l’interprétation du naturalisme occidental que les écrivains japonais
découvrent alors. Se plaçant sous le signe de Rousseau plutôt que sous
celui de Zola, le « watakushi shôsetsu » relève du « désir d’une littérature
exprimant la part la plus subjective de l’être humain » (p. 16). La forme
confessionnelle du roman autobiographique a alors amené les auteurs à
s’interroger sur la question suivante : quelle est la frontière entre le vrai
et l’inventé ? Au Japon, c’est par le détour de la fiction que le « je » a
réussi à traduire la condition humaine. En creusant cette question
philosophico-esthétique, les plus grands écrivains japonais du XXe siècle
– pensons à Kenzaburô Oé – sont finalement devenus des détracteurs du
« watakushi shosetsu » traditionnel : ils se sont en effet opposés à lui afin
d’inventer une forme plus complexe et plus puissante de la fiction
personnelle, relevant d’une construction esthétique très recherchée. Les
écritures du « moi » japonaises modernes usent de l’écriture-
déchirement, rassemblement et mise en forme de la vie pour que
l’existence de l’auteur devienne une mise en jeu verticale de la mémoire.
En s’écrivant, l’auteur japonais du moi évoque sa vie tout en parvenant à
penser celle-ci sous une forme universelle qui n’en exclut ni les
dimensions philosophiques, ni esthétiques, ni sociales. Ainsi des auteurs
comme Kataï ou Dazaï et les auteurs contemporains tels que Oé ou
Tsushima, ont proprement réinventé à leur manière la tradition récente du
« watakushi shosetsu ». L’écriture du Je est, au Japon comme en Chine,
aussi l’écriture d’une fêlure qu’il s’agit de combler : Enfance
malheureuse (Lao She, Mo Man, Tanizaki), un enfant handicapé (Oé),
une infirmité (Shi Tienheng), disparition du père (Han Shaogong),
traumatisme de la bombe atomique (Hayashi Kyôko et Ota Yôko)260.

En Chine, l’expression du Moi importée de l’Occident au XIXe siècle


prend de l’importance après le 4 mai 1919 (Manifestation d’étudiants
chinois refusant la domination japonaise et marquant l’émergence d’une
conscience patriotique au sein de la Chin pour qui, rapidement, devint un
mouvement nationaliste). Le xiaowo (le « petit moi ») cède au dawo (le
« grand moi ») et il faudra attendre 1976, mort de Mao Tse Tung, pour
qu’un Je puisse à nouveau se soulever de la dictature. N’ayant jamais eu
de véritable tradition de l’écriture autobiographique, les auteurs chinois,
s’ils ne sont pas attirés par les anciennes philosophies, explorent plus
librement que leurs collègues japonais le Soi. Le « roman-je » japonais
est dépassé par l’autofiction chinoise et ce sont l’invention, la
composition stylistique d’une vie qui priment. En Chine, les jeunes
écrivains tels Mian Mian ou sa consœur Weihui appartiennent à cette
génération des « Belles Femmes Écrivains » (les « Meinu Zoujia ») qui
n’hésitent pas à aborder avec une grande liberté les sujets jadis tabous,
notamment la sexualité ouverte à tout/s, mais aussi cet acte dangereux de
vouloir se libérer du système communiste, de la famille étouffante, du
joug du travail, de vivre ouvertement l’occidentalisation des villes
chinoises, la musique punk et la liberté du corps.

« Écriture-limite » au Brésil, « oraliture » fièrement engagée en


Afrique du Sud, révolution écrite contre des systèmes moralement et
politiquement oppressifs en Chine, le résultat d’un désir de recoller les
morceaux en Afrique du Nord, en Europe une étude psychosociale, une
attestation de soi dans les pays de l’Est, qu’elle se nomme au Japon
« watakushi shôsetsu », autofiction en Europe, self-fiction aux États-
Unis, cela importe peu. Qu’elles soient doubrovskiennes, anominales ou
parues sous un pseudonyme assumé, préservant le pacte de vérité avec le
lecteur (sont donc exclus les romans autobiographiques), ces autofictions
affirment que la réalité de l’auteur est engagée dans un processus de
dévoilement d’un monde précis, où la vérité est ancrée dans le
dépassement de soi vers l’autre et témoigne d’un être-dans-le-monde
dans sa fragmentation, dans sa mondialisation et son rapport aux autres.
Conclusion

« La quête d’identité, la crise de l’identité, la perte de l’identité


sont au cœur des recherches et des préoccupations de notre
temps »
(Claude Lévi-Strauss)

L’autofiction, terme initialement inventé pour baptiser un style précis


d’écriture de soi, a pris son envol et tisse un lien étroit entre la
représentation du transculturel et de l’autobiographie éclatée. Le sujet
d’aujourd’hui ne peut plus se mirer dans une eau pure depuis que des
guerres modernes puissantes, qu’elles soient xénophobes, coloniales,
atomiques, individuelles ont bouleversé les frontières non seulement des
pays mais aussi celle entre le moi et le je, le monde et l’individu.
Narcisse n’est plus seul. Derrière et devant, à côté de lui il y a d’autres je
qui se/le regardent se dessiner le portrait. La glace, loin d’être un lisse
miroir, happe, renverse, prend en otage une intimité et saute dans
l’inconnu à travers le moyen du langage qui s’adresse à un autre inconnu,
le lecteur. La vitalité de l’écriture de soi autofictionnelle est précisément
liée à ce mouvement de tension entre le dedans et le dehors, décliné sous
toutes ses formes et il n’y a, de fait, plus aucune séparation entre
l’écriture de soi et le questionnement du monde. Le récit autofictionnel
construit une légende d’événements réels dont le personnage est le
représentant, il existe de manière fragmentaire, éclatée, témoignant des
fractures d’identités que l’auteur, l’artiste sait irréconciliables. Peu
importe le pays où l’on écrit de l’autofiction, qu’elle se tienne au
précepte doubrovskien (pacte référentiel : homonymie de l’auteur, du
personnage et du narrateur, pacte de vérité, écriture décousue au présent :
Forest, Laurens, Ernaux, Angot, Cusset…), que l’auteur ne se nomme pas
ou apparaisse sous le signe d’une lettre (autofiction anominale : Vilain),
ou qu’il ait opté pour un synonyme assumé que lecteur identifie, il s’agit,
à part dans les autofictions fantastiques (Colonna, Genette,
Darrieussecq), toujours de variations d’un moi en situation, assumé,
d’une image variable d’un je dans un monde inconstant. Le mode
d’expression est celui d’expérimentations langagières fondées sur
une exigence stylistique et formelle où l’auteur paye de sa personne,
reconnaissant l’écart existant entre le langage et la réalité et présentant sa
propre histoire sous forme d’une fiction. Est évincée la candeur
autobiographique voulant croire à une alliance confidentielle irréfutable
entre deux êtres, l’auteur et le lecteur. Elle est échangée contre
l’acceptation d’un contrat plus ou moins faussé par la simple acceptation
de l’impossibilité de dire un « vrai » je, la « réalité » d’un moi, la pure
vérité et rien que la vérité. L’autofiction est ainsi un procédé illégal et
inégalé ne se soumettant à aucune doctrine invasive, totalitaire et refusant
un chapeautage bien-pensant. L’ambiguïté qui lui est souvent reprochée
est justement son essence. L’autofiction, c’est répondre « présent » quand
la société ferme les yeux, oreilles et la bouche comme les trois singes.
L’autofiction, c’est dé-ranger. En disant je. Car en disant je, on dit tu. Tu
et moi. Tuez-moi. L’autofictionniste au sens doubrovskien est un
kamikaze. Gageons pourtant que tomberont un jour ces préjugés puritains
et que l’autofiction portera haut ce qui est la raison d’être de la
littérature : un rapport passionné à la vérité insaisissable du monde. Ôtez
l’homme, les histoires ne sont plus.
Notes

1 Yves Baudelle, « L’autofiction des années 2000 : un changement de


régime ? », in Narrations d’un nouveau siècle. Romans et récits français
(2001-2012), Bruno Blanckeman, Barbara Havercroft (dir.), Presses
Nouvelle Sorbonne, 2012.
2 S. Doubrovsky, Fils, Galilée, 1977, rééd. coll. « Folio », n° 3554, 2001.
3 S. Doubrovsky, Corneille et la dialectique du héros, Gallimard, 1963.
4 S. Doubrovsky, La place de la madeleine, Écriture et fantasme chez
Proust, Mercure de France, 1974, rééd. ELLUG, 2000.
5 S. Doubrovsky, Pourquoi la nouvelle critique, critique et objectivité,
Mercure de France, 1966.
6 S. Doubrovsky, Parcours critique II (1959-1991), Grenoble, ELLUG,
2006, p. 16.
7 P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, Seuil, coll. « Points essais »,
1975, p. 28.
8 Lettre du 17 octobre 1977 citée par Lejeune in Moi aussi, Seuil, 1986,
p. 63.
9 I. Grell, « Pourquoi S. Doubrovsky n’a pu éviter le terme d’autofiction
? » in C. Viollet, J.-L. Jeannelle (dir.), Genèse et Autofiction, Louvain-la-
Neuve, Academia Bruylant, 2007, p. 46.
10 Abréviation pour feuillet.
11 S. Doubrovsky, Le Monstre, Grasset, 2014, p. 1059.
12 P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, op. cit., p. 14.
13 S. Doubrovsky, « Autobiographie/vérité/psychanalyse », L’Esprit
créateur, XX, N° 3, 1980, p. 77
14 Breton, André, Second Manifeste du surréalisme, in Œuvres
Complètes, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 3 vol., t. 1, 1988,
p. 812.
15 S. Doubrovsky, « C’est fini », in P. Forest, « Je & Moi », La NRF, op.
cit., p. 29.
16 Yves Baudelle, « L’autofiction des années 2000 : un changement de
régime ? » in Narrations d’un nouveau siècle. Romans et récits français
(2001-2012), op. cit., p. 152.
17 C. Burgelin, I. Grell, R.-Y. Roche (dir.), Autofiction(s), Lyon, PUL,
2010.
18 A. Genon, I. Grell (dir.), Cultures et Autofictions, Louvain-la-Neuve,
Academia Bruylant, 2014.
19 Adrijana Marčetić, I. Grell, Dunja Dušanić (dir.), Penser l’autofiction
: perspectives comparatistes preispitivanja : autofikcija u fokusu
komparatistikE, Radovi na franc. i srp. jeziku, 2014.
20 Voir le site http://autofiction.org pour plus de références.
21 http://www.ina.fr/video/CPB89010283.
22 S. Doubrovsky, Le Livre brisé, Grasset, 1989, rééd. « Les Cahiers
rouges », 2012.p. 50 sq.
23 S. Doubrovsky, Un amour de soi, Hachette, 1982, rééd. « Folio »,
2001, p. 104 sq.
24 S. Doubrovsky, La vie l’instant, Balland, 1985, p. 36.
25 S. Doubrovsky, Le Monstre, op. cit p. 22.
26 S. Doubrovsky, « C’est fini », entretien avec I. Grell, in Philipe Forest
(dir.), Je & Moi, La NRF, n° 598, octobre 2011, pp. 21-30, p. 24.
27 J. Lecarme, « L’Autofiction : un mauvais genre ? », Autofictions &
Cie (Actes du colloque de Nanterre, 1992), 1993, RITM, nº 6, pp. 227-
249.
28 M. Darrieussecq, « L’autofiction, un genre pas sérieux », 1996,
Poétique, nº 107, pp. 369-380.
29 M. Contat, « L’autofiction, un genre litigieux », Le Monde, 5 avril
2003, p. 29.
30 K. Hamburger, Logique des genres littéraires, Seuil, coll. « Poétique
», 1986, p. 259 et 299.
31 P. Lejeune, Je est un autre. L’autobiographie, de la littérature aux
médias, Seuil, coll. « Poétique », 1980.
32 Lejeune Philippe, « Le Pacte autobiographique (bis) » (1981), rééd. in
Moi aussi, op. cit., pp. 13-35.
33 J. Lecarme, B. Vercier, J. Bersani, La Littérature en France depuis
1968, Bordas, 1982, pp. 150-155.
34 J. Lecarme, « L’autofiction : un mauvais genre ? », in Autofictions &
Cie op. cit., p. 242.
35 J.-P. Sartre, Situations X, Gallimard, 1976, p. 145.
36 P. Lejeune, « Peut-on innover en autobiographie ? », in M. Neyraut
(dir.), L’autobiographie, Les Belles Lettres, 1987.
37 G. Genette, Fiction et Diction, Seuil, coll. « Poétique », 1991, rééd. «
Points Essais », 2004.
38 V. Colonna, L’Autofiction (Essai sur la fictionnalisation de soi en
littérature), EHESS, 1989.
39 V. Colonna, Autofiction & autres mythomanies littéraires, Auch,
Tristram, 2004, p. 93.
40 V. Colonna, « C’est l’histoire d’un mot-récit… », Autofiction(s), op.
cit., p. 397-415, p. 401.
41 C. Laurens, « M. Darrieussecq ou le syndrome du coucou », Revue
littéraire, Éd. Léo Scheer, septembre 2007.
42 M. Darrieussecq, « La fiction à la première personne ou l’écriture
immorale », in Autofiction(s), op. cit., p. 507-525, p. 519.
43 M. Darrieussecq, Tom est mort, P.O.L., 2007.
44 Bruno Blanckeman, Les fictions singulières, étude sur le roman
français contemporain, Prétexte Éditeur, 2002, p. 11-159.
45 B. Blanckeman, « L’épreuve du récit, ou le gain de soi », in Robert
Dion, Frances Fortier, Barbara Havercroft, Hans-Jürgen Lüsebrink, Vies
en récits : formes littéraires et médiatiques de la biographie et de
l’autobiographie, Québec, Nota bene, coll. « Convergences », p. 91-105,
p. 94. 2007, p. 94.
46 A. Schmitt, « La perspective de l’Autonarration », in Poétique, n°
149, février 2007, p. 15-29.
47 A. Schmitt, Je réel/Je fictif, Au-delà d’une confusion postmoderne,
Presses Universitaires du Mirail, coll. « Cribles », 2010, p. 90.
48 P. Gasparini, Est-il JE ? Roman autobiographique et autofiction,
Seuil, coll. « Poétique », 2004.
49 P. Lejeune, L’Autobiographie en France, Armand Colin, 1971.
50 P. Gasparini, Autofiction. Une aventure du langage, Seuil, coll. «
Poétique », 2008.
51 T. Clerc, Les Écrits personnels, Hachette, coll. « Ancrages », 2001, p.
71.
52 Y. Baudelle, « Du roman autobiographique : problèmes de la
transposition fictionnelle », Protée, vol. 13, n° 1, Chicoutimi, 2003, p. 7-
26.
53 T. Clerc, « Le moment sauvage de l’autobiographie, le tournant des
années 90 », in A. Genon I. Grell (dir.), Cultures & Autofictions, op. cit.
54 T. Clerc, Intérieur, Gallimard, 2013.
55 C. Burgelin, « Pour l’autofiction », in Autofiction(s), op. cit., p. 20 sq.
56 C. Burgelin, « Architectures du singulier », in P. Forest, « Je & Moi »,
op. cit., p. 41.
57 M. Petit, « Le refus de l’imaginaire », Le Monde des livres,
04.02.1999, p. 13.
58 T. Todorov, La littérature en péril, Flammarion, 2007, p. 35.
59 C. Millet, La Vie sexuelle de Catherine M., Seuil, 2001.
60 C. Donner, http://sblivres.free.fr/interviews/donner-itv.html.
61 P. Jourde, E. Naulleau, Le Jourde et Naulleau. Précis de littérature du
e
XXI siècle, Mots & Cie, 2004, p. 201.
62 C. Delaume, « S’écrire mode d’emploi », in Autofiction(s), op. cit., p.
11 sq.
63 T. Todorov, La Littérature en péril, op. cit.
64 A. Ernaux, C. Laurens, « Toute écriture de vérité déclenche les
passions », Le Monde des livres, 03.02.2011. Propos recueillis par
Raphaëlle Rérolle.
http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/02/03/camille-laurens-et-annie-
ernaux-toute-ecriture-de-verite-declenche-les-
passions_1474360_3260.html.
65 C. Laurens, Ni toi ni moi, P.O.L, 2006, p. 157.
66 A. Richard, L’autofiction et les femmes. Un chemin vers l’altruisme ?,
L’Harmattan, coll. « Espaces littéraires », 2013.
67 C. Donner, Contre l’imagination, Fayard, 1998.
68 « Michel Onfray balance sur Houellebecq et Angot, L’express–
culture, 25.04.2014, http://www.lexpress.fr/culture/livre/michel-onfray-
balance-sur-houellebecq-et-angot_1510508.html.
69 P. Jourde, « Autofiction, le retour », http://pierre-
jourde.blogs.nouvelobs.com/archive/2012/01/11/autofiction-le-
retour.html.
70 P. Jourde, La Littérature sans estomac, Pocket, coll. « Agora », 2003.
71 C. Cusset, « Je », in Autofiction(s), op. cit., p. 36.
72 M. Contat, Portraits et rencontres, Genève, Éd Zoé, 2005, p. 231-264.
73 C. Laurens, coll. « Écrivains d’aujourd’hui », entretien avec Florent
Georgesco, Éd. Léo Scheer, 2011, p. 28.
74 C. Laurens, coll. « Écrivains d’aujourd’hui », op. cit., p. 106.
75 P. Forest, L’Enfant éternel, Gallimard, 1997, poche 1998, p. 133-135.
76 P. Forest, Le Roman, le réel, un roman est-il encore possible ?,
Nantes, Éd. Plein Feux, 1999, p. 23-24.
77 C. Cusset, « Je », in Autofiction(s), op. cit., p. 36.
78 C. Cusset, « The limits of Autofiction », p. 59.
79 A. Ernaux, Journal du dehors, Gallimard, 1993, p. 65.
80 C. Laurens, « Keynote Lecture », in Autofiction, Literature in France
today, op. cit., pp. 13-35, p. 18.
81 C. Laurens, Philippe, récit, P.O.L., 1995, rééd. Stock, 2011.
82 C. Laurens, « Dialogue entre nous, extrait », in Je & Moi, op. cit., p.
141.
83 C. Cusset, « The limits of Autofiction », Autofiction, Literature in
France today, art. cit. p. 52.
84 P. Forest in Décapage, n° 44, automne-hiver 2011, spécial P. Forest, p.
72.
85 P. Forest, « Qu’on m’accuse de tout ce qu’on veut », in Le Magazine
Littéraire, n° 508, mai 2011, pp. 84-88, p. 86.
86 in « Post-scriptum : « Il faut continuer, je ne peux pas continuer, je
vais continuer » in Autofiction(s), op. cit., pp. 127-144, p. 135.
87 P. Forest, « Qu’on m’accuse de tout ce qu’on veut », art. cit., p. 87.
88 P. Vilain, L’Autofiction en théorie, suivi de deux entretiens avec
Philippe Sollers & P. Lejeune, Éd. de la transparence, 2009, p. 74.
89 R. Robin. La Québécoite. Montréal. Québec-Amérique. 1983. Poche
chez Typo, Montréal, 1993.
90 R. Robin, Le Golem de l’écriture, Montréal, XYZ Éditeur, coll. «
Documents », 1997, p. 31.
91 R. Robin, L’immense fatigue des pierres, Montréal, XYZ Éditeur,
1999, rééd. 2005.
92 R. Robin, Cybermigrances : Traversées fugitives, Montréal, VLB
éditeur, 2004.
93 http://www.er.uqam.ca/nobel/r24136/HTML/index_rivka.html.
94 C. Delaume, La Règle du Je. Autofiction : un essai, op. cit., p. 5.
95 C. Delaume, Les Mouflettes d’Atropos, Farrago, 2000, rééd. coll.
Folio, 2003.
96 C. Delaume, Le Cri du sablier, Farrago / Léo Scheer, 2001, rééd. coll.
« Folio », 2003.
97 Nom donné officiellement pour la première fois in Dans ma maison
sous terre, Seuil, 2009.
98 C. Delaume, La Vanité des somnambules, Farrago / Léo Scheer, 2003.
99 C. Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 66 et p. 71.
100 C. Delaume, entretien avec Thierry Richard, « Laboratoire de
génétique textuelle », in Le Matricule des Anges n° 100, février 2009, pp.
22-26, p. 23.
101 C. Delaume, La Nuit je suis Buffy Summers, Éd. ère, coll. «
Littérature è®e », 2007.
102 Où le sang nous appelle, C. Delaume et D. Schneidermann, Seuil,
2013.
103 Gustave Flaubert, lettre à A. Pechmédja, 16 janvier 1861, in
Correspondance, Gallimard, coll. « Pléiade », t. 3, 1991.
104 A. Ernaux, L’écriture comme un couteau, Stock, 2003, p. 21.
105 Entretien avec A. Ernaux par Christine Ferniot et Philippe
Delaroche, Lire, publié le 01/02/2008,
http://www.lexpress.fr/culture/livre/annie-ernaux_813603.html.
106 A. Ernaux, L’écriture comme un couteau, op. cit., p. 44.
107 A. Ernaux, Les Années, Gallimard, 2008, p. 240.
108 C. Angot, entretien avec Axelle Le Dauphin, Têtu, octobre 1999.
109 A. Genon, Autofiction : pratiques et théories. Articles, Mon petit
éditeur, 2013, p. 21.
110 C. Angot, L’Usage de la vie, Stock, 1998.
111 www.gallimard.fr/catalog/Entretiens/01050417.htm.
112 C. Laurens, « Qui dit ça ? », in Autofiction(s), op. cit., p. 29.
113 Philippe Gasparini, « Annie Ernaux. De Se perdre à Passion simple,
in Genèse et autofiction, op. cit. pp. 149-173.
114 A. Ernaux, Se perdre, Gallimard, 2001, pp. 42-44.
115 M. Contat, Portraits et rencontres, op. cit., p. 231-264.
116 www.autofiction.org/index.php?post/2009/08/31/Entretien-inedit-d-
Isabelle-Grell-avec-Philippe-Vilain.
117 P. Vilain, « L’Épreuve du référentiel », in Genèse et autofiction, op.
cit., pp. 185-195, p. 189.
118 P. Forest, « La vie est un roman », in Genèse et autofiction, op. cit.,
pp. 211-219, p. 214.
119 Réponse au questionnaire d’I. Grell, inédit.
120 C. Laurens, Romance nerveuse, Gallimard, 2010, p. 28.
121 Réponse au questionnaire d’I. Grell inédit.
122 C. Cusset, « The limits of autofiction », in Autofiction, op. cit., p. 51.
123 C. Cusset, New York journal d’un cycle, Mercure de France, 2009.
124 http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/02/03/camille-laurens-et-
annie-ernaux-toute-ecriture-de-verite-declenche-les-
passions_1474360_3260.html
125 P. Vilain, L’Étreinte, Gallimard, 1997, p. 111.
126 C. Angot et Flammarion ont été condamnés à verser 40 000 euros à
Élise Bidoit qui les poursuivait pour atteinte à l’intimité de sa vie privée
dans Les Petits (Seuil, 2011).
127 http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20130318.OBS2281/non-l-
ecrivain-n-a-pas-tous-les-droits.html.
128 P. Vilain, L’autofiction en théorie, Chatou, Éd. La Transparence,
2009, p. 45.
129 Patrick Poivre d’Arvor, Fragments d’une femme perdue, Grasset,
2009.
130 Mathieu Lindon, Le Procès de Jean-Marie Le Pen, P.O.L, 1998.
131 Régis Jauffret, Sévère, Seuil, 2010.
132 C. Delaume, La Règle du Je, op. cit., p. 66.
133 C. Burgelin, « Pour l’autofiction », in Autofiction(s), op. cit., p. 16
sq.
134 P. Forest, Le Roman, le réel, op. cit., p. 62.
135 Éliane Lecarme-Tabone, « L’autobiographie des femmes », in
Dossier, N° 7, LHT, publié le 1er janvier 2011,
http://www.fabula.org/lht/7/lecarme-tabone.html.
136 Kesso, princesse peuhle, Seghers, 1988.
137 Karen Ferreira-Meyer, « L’Autofiction ou les ébauches d’une forme
littéraire en Afrique », Études Francophones, University of Louisiana at
Lafayette, Vol. 26, numéros 1 & 2, p. 78.
138 P. ex. Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, 2008.
139 Colette, La Naissance du jour, Flammarion, 1928, rééd. Poche, 1993.
140 On remarque que le dessin désinhibe encore davantage les auteures
et que donc les BD autofictionelles vont plus loin dans leur déshabillage
du JE dans une société répressive. La Lesbienne invisible
d’Océanerosemarie, par exemple, décrit le parcours autobiographique
d’Océanerosemarie, une jeune femme dont personne ne croît à
l’homosexualité (Édition, Delcourt, coll. « DELC.MIRAGES », 2013).
141 Michel Foucault, La volonté de savoir, coll. « Tel », 1976, p. 30.
142 Préface de T. Clerc aux Œuvres I de Guillaume Dustan, P.O.L., 2013,
p 20.
143 Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, P.O.L., 2011.
144 Dominique Noguez, Une Année qui commence bien, Gallimard,
2013.
145 W. Siti, Leçon de nu, Verdier, 2012.
146 Olivier Steiner, La Vie privée, Gallimard, 2014.
147 Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule, Paris Seuil, 2014.
148 Laurent Herrou, Je suis un écrivain, Édition publie.net, coll. « Temps
Réel », 2008.
149 Agnès Vannouvong, Après l’amour, Mercure de France, 2013.
150 Jeannette Winterson, Les oranges ne sont pas les seuls fruits, Éd. Les
Oliviers, 2013.
151 T. Clerc, « Pourquoi l’autobiographie ? », Le Monde, 02.11.2002, p.
12.
152 Dans Garçon manqué, N. Bouraoui définit son identité comme « une
identité de fracture » Stock, 2000, p. 19.
153 Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003.
154 Il faut penser à Djamila Debèche, Leïla, jeune fille d’Algérie
(Charras, 1947), N. Bouraoui, La Voyeuse interdite (Gallimard, 1991),
Calixthe Beyala, La Petite Fille du réverbère (Albin Michel, 1998) et Tu
t’appelleras Tanga (Stock, 1988).
155 Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, Grasset, 2011.
156 Marie Nimier, La Reine du silence, Gallimard, 2004.
157 J. Chessex, L’Économie du ciel, Grasset, 2003.
158 J. Chessex, Monsieur, Gallimard, 2001.
159 Entretien avec J. Chessex par Catherine Argand, publié le
01/04/2003, http://www.lexpress.fr/culture/livre/jacques-
chessex_807748.html.
160 Delphine de Vian, Rien ne s’oppose à la nuit, JC Lattès, 2011, p. 85.
161 F. Bon, Mécanique, Verdier, 2001.
162 F. Bon, L’Enterrement, Verdier, 1992, rééd. « Folio », 2003.
163 François Bon, « Je n’ai pas d’autre peau que la peau écrite », in Le
Magazine Littéraire, dossier « Les Écritures du moi », n° 409, mai 2002,
p. 33.
164 Mathieu Simonet, La Maternité, Seuil, 2012.
165 Jean Rouaud, L’invention de l’auteur, Gallimard, 2004.
166 Laurence Tardieu, La Confusion des peines, Stock, 2011.
167 Laurence Tardieu, L’Écriture et la vie, Éd. des Busclats, 2013.
168 Hélène Cixous, OR, Éd. des Femmes, 1997.
169 Dany Laferrière, L’énigme du retour, Grasset, 2009, p. 23 sq…
170 E. Carrère, Un Roman russe, P.O.L., 2007.
171 E. Carrère, P.O.L., coll. « Écrivains d’aujourd’hui », 2007, p. 35.
172 P. Pachet, Autobiographie de mon père, Éd. Autrement, 1987, rééd.
Livre de poche, 2006.
173 P. Vilain, La dernière année, Gallimard, 1999.
174 Guibert, Mes Parents, Gallimard, 1986, rééd. Folio, 2007.
175 P. Forest, « Qu’on m’accuse de tout ce qu’on veut », art. cit., p. 86.
176 P. Forest, Tous les enfants sauf un, Gallimard, 2007, coll. « Folio »,
2008, p. 157.
177 P. Forest, Le Roman, le réel, op. cit., p. 67.
178 Laure Adler, À ce soir, Gallimard, 2001, coll. « Folio », 2002.
179 Bernard Chambaz, Dernières nouvelles du martin-pêcheur,
Flammarion, 2014.
180 P. Forest, Le Roman, le réel, op. cit., p. 68.
181 Olivier Poivre d’Arvor, Le jour où j’ai rencontré ma fille, Grasset,
2013.
182 A. Ernaux, L’autre fille, Éd. du Nil, 2013.
183 Jérôme Garcin, Olivier, Gallimard, 2011.
184 Anne Wiazemsky, Una Année studieuse, Gallimard, 2012.
185 Yves Charnet, Le Divorce, Belin, 2013.
186 Guillaume de Fonclare, Dans tes pas, Stock, 2013.
187 Pierre Bourgeade, Warum, Tristram, 1999.
188 Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, 2011.
189 Monique Sabolo, Tout cela n’a rien à voir avec moi, Lattès, 2013
(Prix du Flore 2014).
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