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L’OTAGE PERVERSE

Pièce en 1 Acte

et 5 tableaux

de Pierre d’Arlétin

MMXXII
Note de l’éditeur.

Pierre d’Arlétin (1721-1785) eut à son époque un certain succès


avec la publication de pièces de théâtre populaires. Il s’était
lancé avec la tragédie « Le désespoir du Poète » qui ne vit passer
que quelques centaines de spectateurs lors de sa création dans la
capitale. Dépité, il quitta Paris et parcourut la France avec une
petite troupe qui ne devait son succès qu’à l’allure provocante de
ses actrices et la représentation de petites pièces galantes qui
distrayaient fort les provinciaux peu au fait des minauderies du
beau siècle. Il s’était fait une spécialité du dernier tableau de ses
pièces qui révélait toujours un peu de la nudité de ses
personnages féminins. Il lui arrivait même de ne pas baisser le
rideau à la fin de la pièce, et d’empocher double recette. Les
badauds se pressaient, et il put ainsi, avec trois pièce seulement
à son répertoire, parcourir les campagnes pendant quelques
années, avant de devoir dissoudre sa compagnie, sombrer dans
la débauche et l’alcoolisme. Voltaire lui avait fait la faveur de
commenter « L’Otage Perverse » : « L’histoire est plaisante,
mais la versification moyenne. Trop de maladresses démontrent
qu’il s’agit là d’une œuvre de jeunesse de l’auteur. »

Il nous a paru intéressant de rééditer à l’usage des jeunes filles


cette pièce légère où elles puiseront de bons conseils. Les Mères
Supérieures de nombreux couvents nous ont donné leur
imprimatur et nous souhaitons à nos étudiantes une lecture
édifiante.
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ACTE UNIQUE

TABLEAU I

PHILOMENE Fille du Comte de Pierrepont


AGATHE Fille du Baron de Saint-Sauveur

Agathe vient d’entrer dans la chambre de la comtesse qu’elle


trouve en pleurs dans son lit.

PHILOMENE
Agathe ma très chère, approchez-vous de moi,
Venez, je vous en prie, adoucir ma tristesse,
Apaiser la langueur que me cause l’effroi
D’avoir importuné par grande maladresse
Le très noble d’Argens, maître de cet Etat

AGATHE
Quel terrible destin, ma douce Philomène,
Pour qu’ainsi je vous trouve au creux de ce grabat,
A pu vous terrasser et causer telle peine
Que votre doux visage en soit baigné de pleurs ?
Sans voile racontez ce mal qui vous oppresse.
Dites-moi le détail de si grandes douleurs.
Vous savez que pour vous j’ai beaucoup de tendresse,

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Je saurai vous entendre et vous réconforter.

Agathe s’approche du lit.

Mais avant de parler, souffrez que je remette


Un peu d’ordre en ce lit, secouer l’oreiller,
Tirer sur vous le drap et lisser la couette.

Dites-moi maintenant le mal qui vous atteint.

Elle s’assied sur une chaise, à côté du lit.

PHILOMENE
Depuis le jour fatal où notre traversée,
Au lieu de nous mener jusqu’à ce lieu très-saint
Qu’est la cité papale en Méditerranée,
Nous jeta sous le feu d’un horrible combat,
Que périrent mon père et ma mère et mes frères,
Nous devînmes butin d’un sombre renégat.
Longtemps dans son palais il nous tint prisonnières,
Retardant à son gré le savoureux moment
De nous voir à genoux, en esclaves soumises,
Offrir notre jeunesse à son tempérament.

AGATHE, pensive
Je nous revois encor, simplement en chemises,
Ecoutant dans le noir le moindre des soupirs,
Redoutant que les pas entendus dans l’allée
Ne soient ceux d’un satyre affamé de désirs.
Heureusement les mœurs de pareille contrée
Faisaient que le seigneur, ayant en son palais.
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Plus d’une concubine en jouissance experte,
Une cour de gitons, et de nombreux laquais,
Trouvait à tout moment une victime offerte.

Un silence

Les semaines passaient, le temps qui s’écoulait


Sans que rien n’arrivât de ces faits redoutables
Exaspérait nos corps que tristesse troublait
De ne plus espérer d’amitiés respectables.

PHILOMENE enchaîne
Vous souvient-il encor de ce premier plaisir ?
Allongée une nuit, partageant votre couche,
Je ne pus retenir l’impérieux désir
D’avec ma langue ouvrir votre adorable bouche…
Avez-vous oublié, dans la tiédeur du lit,
Le frisson merveilleux que mes lèvres câlines
Donnait à votre sein au mamelon durci
Libérant à l’envi vos phrases libertines ?
De vous je suis éprise, et vous le savez bien,
Mais comprenez aussi que si le jeu saphique
Apporte volupté, cela n’est trois fois rien
Face aux attentions d’un amant magnifique !

AGATHE soupirant
J’ai bien compris, allez, que les menus bonheurs
Que je vous ai donnés par mes mains et ma bouche
Ne comptent plus pour vous depuis que les ardeurs
De Messire d’Argens vous rendent moins farouche.

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Sa bravoure a permis de vaincre le sultan,
Le jeter en exil, suspendre ses conquêtes,
Aux chrétiens redonner la liberté d’antan
De pouvoir à nouveau faire de grandes fêtes.

PHILOMENE
De l’azur de vos yeux ne saurais me passer.
Vos mains à la douceur et la finesse extrême
Sont faites clairement pour mon corps caresser.
Vous êtes dans l’erreur, sachez que je vous aime !
Ne soyez pas jalouse, aimez-moi tendrement,
D’autant que le galant que je voudrais séduire
Est pourvu d’une épouse au fort tempérament
Qu’il me faudra, je crains, tout faire pour occire.

AGATHE
Occire ! quel grand mot, mais vous n’y pensez point !
Nul amour ne mérite une telle pratique.
Pareille passion vous entraîne trop loin !
Au contraire comptez sur le pouvoir magique
D’un regard amoureux, d’une œillade friponne
De l’attrait provocant d’un buste bien garni,
De tous les mots grivois qu’une catin fredonne !

PHILOMENE
Catin, je ne suis pas ! Chassez ce mot honni ! m
Si le Ciel a voulu que je sois orpheline,
Et m’a fait surmonter le vouloir du sultan,
C’est pour que j’accomplisse une tâche divine
Et non pas m’encombrer d’un médiocre amant.
Il m’a de plus donné le titre de comtesse

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Dont je veux me servir quel que soit le moment
Pour affirmer ainsi mon rang et ma noblesse.

Philomène s’interrompt

Las, de mon plus profond, les larmes sans arrêt


Se déversent à flots sur mon pauvre visage
Car c’est probablement contre mon intérêt
Que j’ai laissé passer tel écart de langage.

AGATHE, tendant un mouchoir à sa compagne


Me direz-vous enfin quel est votre embarras !
Quand hier on vous a présentée à notre hôte,
Il vous a bien reçue en vous ouvrant les bras !
Je ne vois où pourrait se glisser quelque faute !

PHILOMENE
Je vais vous dire, hélas. Venant le saluer
Je vis rapidement, lorsque je fus admise,
Que captiver son cœur et me l’attribuer
Serait en cet endroit une vaine entreprise.
Outre le Duc et moi se trouvaient un abbé,
Une antique duègne à la mine sévère,
Tandis qu’un gros notable au ventre tout bombé
Pérorait affalé du fond d’une bergère.
Rien ne laissait montrer qu’on me reconnaissait
Tandis que je faisais profonde révérence,
Alors qu’hier encor le maître me pressait
De venir lui conter en toute diligence
Le détail croustillant de notre mise en cage
Qui semblait exciter et monter son humeur
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A penser qu’une vierge à l’existence sage
Pût être convertie en reine d’impudeur.

D’Argens enfin sourit, quand il m’eut bien remise.


Je pris place et m’assis dans un profond fauteuil,
A toutes questions me retrouvant soumise
Prête à faire valoir un soubresaut d’orgueil.
Ainsi, me dit l’abbé, vous fûtes donc captive
D’un brigand renégat qui put vous enlever.
Vous connûtes alors existence lascive
Dont je ne sais si Dieu pourra vous pardonner !

Que nenni, cher abbé. Souvent chez l’indigène


Et plus encore chez tout bon mahométan
Il existe un harem que régit une reine
Qui mène par le nez son époux de sultan.
La Dame du palais où j’étais retenue,
Jalouse de ma peau, de sa pure blancheur,
Autorisait son homme à me regarder nue
Mais gardait en son sein le jet de son ardeur.
Sa jalousie en fit ainsi ma protectrice.
A son tyran laissait peaux de toutes couleurs
Se réservant pour elle en tant que bienfaitrice
La délectation de mes blanches saveurs.

Apprenez, Messeigneurs, qu’il existe en Afrique,


Et bien d’autres pays, des femmes au pouvoir.
Elles me font rêver d’un projet utopique :
Qu’une femme ait loisir de son époux déchoir
Quand à ruine il court, pour sauver sa fortune,
Maîtriser ses amours et mener son destin.

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Si dans l’esprit du roi cette idée opportune
Un jour était semée, alors un beau matin
Pour notre grand bonheur il se pût qu’il ordonne
Que nombre de nos biens nous soient restitués,
Que justice soit faite et qu’à l’homme il pardonne
De nous avoir longtemps si malement traités !

A peine diatribe en ma bouche énoncée,


Tous les participants, surpris par ce discours,
Se lèvent d’un seul cri. Haranguant l’assemblée
L’abbé s’adresse au ciel et demande recours.
Le duc s’agite et clame : «Emmenez cette folle !
Je ne veux plus la voir en ces appartements » !
Vous comprenez alors que mon être s’affole
Et mon esprit se meurt devant de tels tourments.

AGATHE
Reprenez- vos esprits, je ne vois pas mort d’homme !
Réfléchissant, le Duc, troublé par vos propos
Voudra probablement, en parfait gentilhomme,
Trouver le sens profond exprimé par ces mots.

PHILOMENE
Quel malheur fut le mien d’être si malhabile !
Je crains de son courroux un résultat pervers.
Il encourage à fond la volonté débile
D’un abbé qui me veut par des moyens divers
Contraindre à révéler toutes les aventures
Qu’il m’a fallu subir en ce passé récent,
De chacune évoquer les diverses natures
Afin de satisfaire un fond concupiscent.
Demain je dois à l’aube aller à la chapelle
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Par la confession déclarer mes forfaits
A ce fourbe de clerc dont la pratique appelle
A jouir de me voir avouer mes péchés.

AGATHE
Il faut cesser Madame, après telle rencontre,
De vous faire un souci qui gâte vos humeurs.
Je vais rester ce soir et me mettre tout contre,
Vous redonner espoir et calmer vos douleurs.

Agathe ôte sa robe, la plie sur la chaise, et se couche en jupons près de


Philomène.
Elle étend le bras pour pincer la chandelle.

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TABLEAU II

PHILOMENE
L’ABBE

Dans le boudoir de la duchesse.

PHILOMENE
Expliquez-moi, l’Abbé, par quel nouveau mystère
Vous retrouvé-je ici dans ce charmant boudoir.
Qui ne comporte aucun, pour votre ministère,
Des outils dédiés à votre saint devoir ?

L’ABBE
Me levant ce matin j’ai perçu dans la brume
La morsure d’un froid signe de grand frimas,
Et pour éviter que votre voix ne s’enrhume
J’ai prié notre hôtesse, évitant tout tracas,
De nous loger ici dans ce doux oratoire.
Madame la Duchesse y fait dévotions.
C’est ici qu’en priant elle égrène l’ivoire
D’un chapelet garni de saintes oraisons.

Prenez place, comtesse, ôtez donc votre voile,


Que je puisse observer votre contrition.
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Vous êtes à coup sûr sous une bonne étoile,
Et je vous donnerai mon absolution.

Philomène s’agenouille sur le prie-dieu

PHILOMENE
Je m’accuse, l’Abbé,
Mais que viens-je d’entendre ?
On eût dit un soupir, une légère toux.
Ne sommes-nous pas seuls et me faut-il comprendre
Qu’en ce petit boudoir se trouve autre que nous ?
J’aurais bien préféré conserver l’habitude
De me voir installée en confessionnal
Où je pourrais vous dire en toute quiétude
Ce que j’ai fait de bien, ce que j’ai fait de mal,
A l’abri des regards, d’oreilles indiscrètes
Se permettant d’ouïr dans je ne sais quel but
Intime confidence ou paroles secrètes
De pauvre pénitente avide de salut.

L’ABBE
Sans doute le trottis d’une souris surprise…
Nous sommes seuls, vous-dis-je, et reprenez le cours
Du récit des malheurs qui vous ont compromise.
Dites-moi les tenants de ce triste parcours
Qui fit de vous un jour une esclave friponne.
Il est très important de me dire tout cru,
Si vous voulez qu’enfin le bon Dieu vous pardonne,
Tous les attouchements que votre corps perçut.

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Commencez par me dire où vous fûtes saisie.

PHILOMENE
Avecque mes parents nous avions pris la mer,
Ayant fait le projet d’aller en Italie
Le Saint-Père honorer qui nous avait offert
La grâce de bénir notre noble famille.
Agathe Saint-Sauveur, pour un si long parcours,
Nous avait assistés, dame de compagnie,
Pour égayer un peu la lenteur de ces jours.
Légèrement le vent nous poussait vers Ostie,
Attisant nos désirs de beaux fruits et de vin.
Nous étions près du but lorsque de la vigie,
Au faîte du grand mât, un signal nous parvint.
Un matelot criait : « Bateau pirate en vue ! »
Sitôt le commandant fit armer les canons,
Charger tous les mousquets, revêtir la tenue
Qui convient au combat, hisser les pavillons.
Quand il eut du bateau fermé toute écoutille,
Il nous mit à l’abri dans le sombre entrepont.
Mes frères et mon père, abandonnant sa fille,
Allèrent au combat en regagnant le pont.
Le fracas des canons déchira l’atmosphère,
Des hurlements stridents, de grands cris de terreur
Couvraient de leur clameur notre faible prière.
Après quelques instants d’incroyable fureur
De notre faible abri nous fûmes arrachées
Par des monstres cuivrés aux corps prodigieux.
Nos robes aussitôt se virent déchirées
Mille mains se tendaient pour saisir nos cheveux.

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Soudain grand cri monta. « La goélette coule ! »
Un colosse me prit, et me mit sur son dos.
Avec force il parvint à traverser la foule
Puis à me déposer sur un des apparaux
Qui très nombreux gisaient sur le bateau pirate.
Quand je levai les yeux, je vis pardessus moi
Un sultan orgueilleux, au turban écarlate.
Il ordonna sitôt en me montrant du doigt :

« Mettez-la dans les fers, ainsi que sa cousine.


Pour filles de ce rang j’exigerai rançons.
Et si Mahomet veut que nul ne m’assassine
Je pourrai leur donner d’agréables leçons ».

L’ABBE
Toute cette épopée est fort intéressante
Mais je n’y vois matière à trouver des péchés,
Il vous faut maintenant toute affaire cessante
Me donner le détail de vos réels méfaits.

PHILOMENE
Calmez-vous donc, Abbé ! Je conçois qu’il vous tarde
D’entendre le récit de mes actes d’amour.
Mais à ce que je dis, il faut bien prendre garde
De ne point se tromper, prendre un mauvais détour.
Si ce sont des erreurs, trouvez qui les provoque
Avant de condamner systématiquement
Le moindre manquement d’origine équivoque
Qui pourrait influer sur votre jugement.

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Je décris à présent ma première aventure.

Dans le carré du bord ils nous mirent aux fers


Dans l’heure qui suivit notre triste capture,
Et commença pour nous la descente aux enfers.
Aucun voile sur moi pour cacher ma nature,
Seul l’écran des cheveux pour masquer mes tétons !
De mes mains je tentais de cacher l’ouverture
Que les guerriers toujours recherchent à tâtons
Palpant ma fine taille et la rondeur des globes
Qui protègent l’accès à toute volupté.
Je vous l’ai déjà dit, je n’avais plus de robes
Et j’allais succomber, perdre ma dignité,
Quand apparut soudain, belle comme déesse,
Une esclave en turban dont la noire beauté,
La divine poitrine et l’extrême finesse
N’étaient que l’ornement de grande autorité.
Pour me faire sentir qui dominait le maître
Elle ôta sa parure et se mit à danser
Laissant de ce tableau nos âmes se repaître.
Quand la danse finie elle alla s’empaler
Sur le membre dressé de son beau capitaine
Tout son corps ondula d’un ample mouvement
Allant et revenant, ce sans la moindre gêne,
Pour enfin recevoir, hommage de l’amant,
Tout au fond de ses reins la virile semence.

Un silence

Alors mon cher abbé ? Que pensez-vous du fait ?


Qui donc a fait la faute et quelle pénitence
A pareille luxure allez-vous infliger ?
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Son regard s’abaisse

Je vois sous votre habit grosse proéminence ?


Je crains qu’à votre tour vous deviez avouer
A votre confesseur grande concupiscence
Si votre pastorat souhaitez conserver.

Un rire discret se fait entendre.


Philomène et l’abbé se lèvent.
La duchesse sort de derrière la tenture où elle était cachée.

LA DUCHESSE
Je vois très cher abbé que votre pénitente
A su de votre sang réchauffer les humeurs…
Allez donc au jardin ou dans votre soupente
Oublier cette histoire et calmer vos raideurs.

L’abbé sort tout penaud


Souriante, la duchesse s’assied
Philomène s’incline en profonde révérence.

Je suis bien aise enfin de vous rencontrer seule.


Ne restez pas debout, vous allez prendre froid.
J’adore vos récits, je ne suis pas bégueule,
Venez-donc vous asseoir, serrez-vous contre moi.

Elles s’installent.

En femme que je suis, je me sens très émue


Du récit qu’à ce fat vous avez dû narrer.
J’ai failli, vous oyant, verser sans retenue,
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Des larmes de chagrin sans me voir consoler.
Vous me pardonnerez que je me sois cachée,
De l’abbé je connais les lubriques penchants
Sa présence nous est par l’évêque imposée
Qui lui demande aussi d’instruire mes enfants.
Et ce jour je craignais qu’il fasse une victime
D’une si jeune femme ayant autant souffert.
Je n’ai plus ce souci car vous fûtes sublime
Vous avez su moucher ce curaillon pervers.

PHILOMENE
Je vous sais gré, Madame, écoutant mon histoire,
De me faire crédit d’avoir su résister.
Mais il faudra peut-être en modérer la gloire
Après avoir ouï ce que je vais conter.

Quand l’esclave superbe eut satisfait son maître


Elle vint près de moi pour me prendre la main.
« Ne crains rien, sois en paix, je peux te le promettre
Jamais il ne pourra s’approcher de ton sein. »
Comme je m’étonnais de pareille assurance,
Elle me dévoila qu’elle avait un moyen
Dont elle se servait en toute circonstance
Et qui jusqu’à présent fonctionnait très bien.
Un fort savant imam de sa tribu natale
Avait réalisé pour aider ses amis
Un philtre dont l’effet, tel une arme fatale,
Pouvait rendre un tyran complètement soumis.
A bord de ce navire elle en ferait usage
Afin qu’Agathe et moi jusques au dernier port
Pussions nous reposer sans le moindre dommage,
Pleurer nos disparus sans crainte de la mort.
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LA DUCHESSE
Vous me contez fort bien cette péripétie
Mais je n’y trouve rien des crimes et forfaits
Qui devaient exciter ma furieuse envie.
Je retiens toutefois l’intérêt que j’aurais
A détenir ici de ce philtre une dose…
Continuez ma chère. A l’abri du sultan,
Qui donc vous maltraita, pauvre petite chose,
Jusqu’à vous entraîner dans un si grand tourment ?

PHILOMENE
Vous ne le croirez pas, Madame la Duchesse.
Ce n’est pas du sultan, de sa lubricité,
Mais de l’affriolante et très belle maîtresse
Que nous eûmes à craindre, à dire vérité.
La blancheur, la candeur, bref la beauté d’Agathe
Amenèrent l’esclave à telle émotion
Qu’afin de la séduire elle se mit en hâte
A montrer les atouts de sa complexion.
Dès l’aube elle enlevait le dernier de ses voiles
Toute nue exhibait à nos yeux esbaudis
La courbe de ses seins, projetait des étoiles
En des rêves d’amour jusqu’alors interdits.
Pour éviter qu’Agathe à ce jeu ne succombe,
C’est moi qui répondis aux provocations.
A mon tour je montrai la courbe d’une lombe
La rondeur d’un téton, le secret des sillons
Qui recèlent parfums de mon anatomie.
Je lui donnai le droit en grande privauté
De flatter tendrement et sans parcimonie
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Le triangle sacré de mon intimité.
Djeïla, c’est son nom, tomba vite amoureuse
Des charmes que j’offrais à sa dilection,
Et je dus tous les soirs, pour qu’elle fût heureuse,
Partager en son lit sa folle passion.
Avec elle j’appris tout ce que la luxure
Peut apporter à femme en quête de baiser,
Langotages, câlins, tout ce que la nature
Incite fille ardente à vouloir échanger.

Ah Madame, je sens qu’il faut que je m’arrête !


Saviez-vous bien qu’avant ce funeste moment
Pour mes humanités, mon père avait en tête
De me laisser grandir au calme d’un couvent…

LA DUCHESSE en aparté
Eût-il réalisé cette très noble idée,
Ce n’est pas pour autant que sortant du carmel
Vous eussiez conservé votre âme immaculée
Et fussiez moins putain que fille de bordel…

Elle se retourne vers Philomène

Que vous ayez été l’amante d’une esclave


N’est pas à mon avis la marque d’un délit.
Pour Agathe épargner vous fûtes plutôt brave
D’avoir si bien œuvré dans la chaleur d’un lit.

La Duchesse se lève

Je vous quitte, ma fille. Il vous faudra sans faute


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Reprendre avec l’abbé cette narration,
Le doute enfin lever qui chagrine votre hôte :
Sublime dévouement ? grande perversion ?

La duchesse sort.

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TABLEAU III

PHILOMENE
AGATHE

Dans l’oratoire de la duchesse

PHILOMENE
Agathe, mon trésor, vous êtes généreuse
D’être venue ici de vos yeux observer
L’abbé que l’on m’impose et son âme véreuse.
J’entends que vous aussi puissiez enregistrer
Mémoire des propos et toutes les fadaises
Dont il ne manquera de vouloir m’abreuver.
Allez donc vous cacher, et prenez bien vos aises
Derrière ce rideau qui saura vous masquer.
Seigneur, j’entends son pas ! Disparaissez chérie,
Ne faites plus de bruit, soyez comme un tombeau
Et souvenez-vous bien de toute fourberie
Que pourrait m’infliger cet infâme nabot.

L’Abbé entre.

L’ABBE
Salut à vous, ma fille, en ce lieu de prière
Qui verra je l’espère éclore vérité
Sur le réel état de cette aventurière
Qui depuis quelques jours trouble notre cité.

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PHILOMENE furieuse
Tout doux ! tout doux ! l’Abbé. Vous m’appelez « ma fille »
Comme si fussiez duc, marquis ou même roi !
Nous n’appartenons pas à la même famille !
Votre modeste état ne donne pas ce droit !
Je vous demande, Abbé, de m’appeler « Comtesse ».
Ce titre me revient depuis qu’au fond des mers
Je vis tous mes parents, jour d’immense tristesse,
Être tous entraînés dans ces gouffres amers.
J’eus plus de chance qu’eux, puisqu’après le naufrage
Vous savez maintenant que je fus un long temps
Capturée, asservie, et tenue en otage
Avant qu’enfin le Duc avec ses combattants
Ne reconquît l’Etat, en reprît le contrôle,
Me délivrant ainsi de la chaîne et des fers
Qui jusqu’à cet instant nous liaient à la geôle
Où nous asservissaient ces ottomans pervers.

L’ABBE
C’est entendu, Madame. Et maintenant, Comtesse,
Je dois en confesseur recevoir vos péchés.
Je tiens de mon évêque, aussi de notre hôtesse,
Le mandat de savoir ce que vous nous cachez.

Philomène s’agenouille

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PHILOMENE
Vous vous rappellerez qu’avant que la duchesse
N’intervienne soudain dans ma confession
Tel un diable sortant, quand une main la presse,
D’une boite magique, avec l’intention
De connaître en détail ma terrible aventure,
Vous vous souvenez donc de la protection
Dont Djeïla l’esclave, en bonne créature,
Avait autour de nous fait disposition.
Du sultan, par son philtre, elle tenait la bride.
Jamais il n’approcha, ne fût-ce que d’un pied,
D’Agathe ou bien de moi, même quand un torride
Appétit de luxure au corps le tenaillait.
Bien sûr il me fallut délivrer en échange
Soumission totale à qui nous protégeait,
Et je dois avouer que, n’étant pas un ange,
Je faisais à peu près tout ce qu’elle exigeait.

L’ABBE
Racontez le détail de ce que la diablesse
Vous fit alors subir. Il me faut définir,
Selon l’endroit précis où se fit la caresse,
Le degré du péché pour mieux vous en punir.
Ainsi j’adapterai pour votre pénitence
Les Avé, les Pater, le nombre de versets
Qu’il faudra réciter, en grande repentance,
Afin d’en recevoir au plus tôt les bienfaits.

PHILOMENE
La plus douce, mon père, était avec ma langue
De lécher le sommet de son petit trésor,
Sentir en sa toison le parfum de la mangue,
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L’arôme de l’ylang, le goût du bouton d’or.
Ce qu’elle préférait, c’était ma peau très blanche.
Sans cesse elle mordait comme dans un gâteau
Ma chair au fondement, ma gorge, ou bien ma hanche.
L’empreinte de ses dents se marquait sur ma peau.
Mais le pire péché fut un grand sacrifice !
Il me fallut céder pour combler son désir
De toucher de mon doigt son petit orifice
Et j’avoue avoir pris un immense plaisir !

L’ABBE
Je n’en puis plus, Madame, il me faut une pause,
Chasser de mon esprit vos mots licencieux,
Oter le rêve impur qu’à mon esprit propose
Le récit de si grands exploits libidineux.

L’abbé se lève et quitte la pièce.


Agathe sort de derrière le rideau.
et se jette dans les bras de Philomène

AGATHE
J’ai tout bien entendu, vous fûtes merveilleuse.
Jamais je ne goûtai si tendres impudeurs
Que celles qu’aujourd’hui votre voix chaleureuse
A l’Abbé distilla pour monter ses ardeurs.
Moi-même, croyez-le, j’ai souffert grande peine
D’interdire à ma main d’aller où vous savez
Caresser la moiteur que le désir amène
Aux âmes qui d’amour n’en ont jamais assez.

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PHILOMENE
Délicieuse Agathe il faut que je vous dise
Qu’une telle amitié mérite un long baiser.

Philomène baise longuement Agathe sur la bouche

A l’esprit m’est venu comme une gourmandise


Pendant que cet abbé j’adorais exciter.
Bientôt je crois pouvoir clore notre entreprise.
Prenez place, ma chère, et comprenez-moi bien.
Vous quitterez bientôt votre rang de soumise
Et moi j’aurai loisir de rehausser le mien.

Elles se rasseyent

Je souhaite avant tout devenir la maîtresse


Du duc qui nous héberge ici dans son palais.
Vous, êtes à présent véritable déesse
En l’art d’exacerber tous les rêves cachés
Des femmes dont Sapho mène la vie intime.
Voici quel est mon plan : Avec votre beauté,
Vous séduirez Madame, et moi serai victime
Des assauts que le duc, se trouvant libéré,
Aussitôt lancera sur ma noble personne.

AGATHE
Mais il n’est pas connu que la duchesse soit
Adepte de ces jeux qui satisfont la nonne
Ou fillette pubère agile de son doigt.

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PHILOMENE
Vous dites vrai, ma mie, et demain dès matine,
J’irai voir la Duchesse et la circonviendrai.
Je lui dirai que vous, ma petite cousine,
Vous offrez un aspect de très sage beauté
Mais qu’en réalité votre visage d’ange
Cache duplicité de votre esprit pervers
Apte à banaliser cette pratique étrange
De se voir abuser à l’endroit ou l’envers.
J’ai bien vu dans ses yeux l’attitude lascive
Qu’elle arborait pendant que l’Abbé m’écoutait,
Son goût de découvrir action inventive,
Et le décrit du stupre qui la fascinait.
Il me faut que de vous elle tombe amoureuse,
Que vous la détourniez de son noble mari,
Et que me révélant une amante fougueuse,
Nous gagnions à deux notre risqué pari.
Je jure, mon enfant, je jure devant Rome
D’atteindre de concert notre double objectif :
Vous, catin de la femme, et moi putain de l’homme,
Mais régnantes de fait sur leur troupeau craintif.

Agathe et Philomène sortent du boudoir

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TABLEAU IV

LA DUCHESSE
PHILOMENE

Dans le boudoir de la comtesse

PHILOMENE
Madame la Duchesse enfin je vous retrouve.
De votre affection je ressens les effets.
Je vous dirai bien sûr ce que mon âme éprouve
De jouir chaque jour de vos nombreux bienfaits.

La DUCHESSE
Je dois vous avouer que l’abbé m’insupporte
Et que je ne veux plus qu’on puisse l’imposer.
Mais comme enfin je veux connaître quelle sorte
De femme est avec moi, je vais le remplacer.
Voulez-vous bien ma chère avec moi vous distraire ?
Je serai le ministre à qui devrez surtout
De vos nombreux péchés avouer la misère,
Et je vous le promets, je pardonnerai tout.

PHILOMENE
Avec bonheur ici je vais vous satisfaire.
Devant vous, simplement, je me mets à genoux.
Omettons cependant de faire une prière,
Je m’en vais vous conter mes méfaits les plus doux.

Elle s’agenouille sur le prie-dieu

31
Quand l’abbé fut parti, je venais de lui dire
Comme était notre sort, quels étaient nos malheurs,
Tandis que nous voguions à bord de ce navire
Nous emmenant si loin de nos saintes valeurs.
Un matin de printemps, au terme du voyage,
Le bateau pénétra dans un immense port.
Nous n’en vîmes pas plus, regagnant notre cage,
Un char nous emmena vers un nouveau transport.
La précédente garde était une persane,
Peut-être qu’à présent ce seraient des soldats ?
Mais quel soulagement de voir une ottomane
Au harem nous mener, loin de ces renégats,
Dans un endroit secret où nous fûmes soustraites
Aux regards de tout mâle en âge de rêver,
La sultane voulant, nous estimant parfaites,
A sa discrétion nos appas réserver.

LA DUCHESSE
Dois-je vraiment comprendre, écoutant votre fable,
Que par un don du ciel vous ne fûtes jamais
Malgré votre beauté, votre port admirable,
Victime d’un assaut, même dans ce palais ?

PHILOMENE
Ce n’est que vérité. Sentez la plénitude
Qui bientôt nous gagna quand nous eûmes compris
Qu’à nouveau vivrions en grande quiétude
Et que jamais assaut ne serait entrepris.

Au harem chaque jour la sultane perfide


Choisissait une esclave et son corps sublimait
Pour que de ses attraits le sultan fût avide,
32
Oubliant nos trésors qu’elle se réservait.
Autant ma Djeïla s’était montrée experte,
Autant de la sultane il apparut bientôt
Que pour expérience elle s’était ouverte
A l’arme de son maître en un unique assaut.
Ce fut alors pour elle aimable découverte
De sentir de ma langue humide passion
D’éprouver de mon bras et de ma main alerte
Au plus creux de ses reins grande vibration.
Sans cesse gémissante elle disait « encore»
Comblait tous mes souhaits, ne me refusait rien,
Et jouissait souvent comme fait une maure.
Moi, je me délectais de ce bonheur païen.
Il me fallait encor protéger mon Agathe
Tant elle était jolie et la mettre à l’abri
Des desseins amoureux de cette scélérate
Dont le fol appétit n’était jamais tari.
Je vous ai souvent dit qu’Agathe était très belle
Et nous eûmes un jour une discussion.
A ma grande stupeur elle fit la rebelle
M’avoua qu’au regard de ma position
Elle enviait très fort que je garde licence
De m’ébattre à grands cris tandis que dans son lit
Pour la nécessité de garder innocence
Je ne l’autorisais qu’à des jeux de l’esprit.

Pour parfaire l’amour offert à la sultane


J’offris alors Agathe en ultime cadeau,
Qui devint aussitôt experte courtisane
Apte à faire jouir quelconque libido.
.

33
LA DUCHESSE
Libido, libido, quel est ce mot si drôle
Que vous utilisez ?
Mais à propos de mots,
Expliquez-moi pourquoi, perdant votre contrôle,
Vous osâtes un jour souhaiter le chaos
Que représenterait le projet chimérique
De cesser de soumettre aux seuls mâles bien nés
Une épouse, une mère, ou même fille unique,
Et leur restituer biens et propriétés.
Est-ce donc sur la mer, loin de toute influence,
Que vous avez conçu cet art de provoquer ?
Quelle philosophie amena l’impudence
Exprimée en public d’oser revendiquer
La prise de pouvoir sur la gent masculine,
Faisant fi de l’histoire et des traditions,
Par une jeune femme, et même une orpheline ?
Cela porte le nom de provocations !

Mon époux m’a fait part de sa grande colère


Quand dans votre discours il entendit ces mots.
Seule votre naissance avait fait qu’il tolère
Votre présence ici pour soulager vos maux.

Quand après le combat vous fûtes délivrées.


Je pris grand soin de vous et je me désolai
De vous voir à nouveau toutes bouleversées
Du changement profond que ce temps vous portait.
Au fond d’un cabinet, je vous vis quasi-nues
Quand nos troupes après le tout dernier assaut
Eurent exterminé les dernières recrues
Du sultan batailleur et de tous ses vassaux.
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C’est là que j’admirai vos courbes sensuelles
Offertes à mes yeux, que j’aurais pu toucher,
Si ma raison n’avait, par ses règles cruelles,
Empêché tout essai que j’aurais pu tenter.
J’avais bien espéré vous cacher à mon maître
Mais il vous a reçue et vous a fait faveur
De vous complimenter, de ce coup faisant naître
Au fond de votre cœur une grande ferveur.
Moi-même, je l’avoue, aussi je fus émue
De la petite Agathe admirer la beauté.
Dans mes rêves la nuit je l’imagine nue
Goûtant de tous mes sens sa folle nudité.
Que dis-je à cet instant ! C’est moi qui me confesse !
Alors que c’est à vous de dire les excès
Que vous avez commis, vilaine pécheresse,
Dans le secret des lits de l’immense palais.

La duchesse se tait un instant

Sincèrement je crois qu’après cette entrevue,


Si je ne dis au Duc votre immense regret
De ces mots prononcés de façon malvenue,
Il vous fera punir, pour enfin vous chasser.

PHILOMENE
Au nom du ciel Madame écoutez ma prière !
Dites-lui que les mots qui l’ont tant provoqué
N’étaient que résultat d’une grande misère,
Que mon esprit d’antan n’eût jamais évoqué
Pareil assentiment, pareille inconvenance.
Dans sa grande bonté, qu’il me fasse faveur
De tout me pardonner, usant de sa clémence.
35
Entre vos mains je mets l’espoir d’un grand bonheur.

LA DUCHESSE songeuse

J’y penserai, comtesse, et pour vous bien comprendre


Reprenons s’il vous plaît votre confession.
Je retiens de ces faits, ceux que je viens d’entendre,
Que vous avez connu grande perversion.
Pourrai-je à l’abbé dire, affirmer à mon maître
Que rien de votre foi, rien de votre vertu
N’ont alors succombé, vous faisant apparaître
Comme n’ayant jamais goûté fruit défendu ?

PHILOMENE
Mais vous ne m’avez pas encore interrogée
Sur ma condition de fille à marier.
Si vous me demandiez, vous seriez étonnée
De ce que je dirais. Je veux bien parier.

LA DUCHESSE
Que me dites-vous là ? Je ne m’en vais pas croire
Que vous soyez pucelle après tous les exploits
Que vous avez contés au long de votre histoire !

PHILOMENE se lève et soulève le devant de sa robe.


Si vous le désirez, cherchez avec vos doigts
De ma défloraison la preuve indiscutable.
Explorez bien, tâtez, et vous n’allez trouver
Que la barrière humide et combien respectable
De la virginité que j’ai su protéger !

36
LA DUCHESSE
Par tous les saints du ciel, comment est-ce possible ?

PHILOMENE
Il m’a suffi d’apprendre et de suivre conseil
Des deux femmes qui m’ont en ce voyage horrible
Fait découvrir mon corps en son simple appareil

LA DUCHESSE
Mais quel est ce moyen ? Quelle en est la nature ?

PHILOMENE
Quand la femme naquit de la côte d’Adam
Le Tout-Puissant pourvut sa belle créature
De deux abords secrets serrés étroitement
En les dissimulant au fond d’une vallée
Destinée à fournir d’innombrables plaisirs.
Après, selon le sexe, une loi fut créée
Régissant leur usage au regard des désirs.
Quand un homme s’en sert, on le dit sodomite,
Mais la femme contrainte à la virginité
Y trouve là conduite à coup sûr très licite
Pour conserver longtemps toute sa dignité.
Mes gardiennes aussi trouvaient un avantage :
Comme j’étais captive, une grande valeur
Était donc attachée à réel pucelage
Par celui qui serait un jour mon acheteur.
Djeïla, dans ce but, ensuite la sultane,
Ma petite ouverture entreprirent d’aimer,
D’abord sur le navire avec une banane,
Puis ensuite au Palais avec un bel objet.

37
38
Philomène soupire.

Qu’ils soient de bronze ou buis, de cristal ou d’ivoire,


Ces merveilleux outils qui donnent le plaisir,
Je les chauffe en mon lit ou bien dans la baignoire,
Et je prends jouissance à les savoir choisir.

Je suis lasse, duchesse, et tout mon être aspire


A prendre le repos que réclame mon corps.
Finissez votre office. Affirmez votre empire
Sur mon humilité qui souffre mille morts.
Il vous faut à présent m’infliger pénitence.
Mais si le Bon Dieu veut pardonner mon péché
Et faire preuve ainsi d’une grande clémence,
J’aimerais bien pouvoir proposer un marché.

LA DUCHESSE
Un marché, mon enfant ? Voilà qui m’intéresse.

PHILOMENE
J’ai bien vu qu’écoutant ma liste de malheurs
Même ayant revêtu l’habit d’une prêtresse,
Le désir n’a cessé de chauffer les ardeurs
Dont notre créateur vous a si bien pourvue.
J’ai senti remonter jusqu’au fond de mon nez
L’effluve d’une mouille assurément perdue
Si sans me dire adieu vous vous précipitez.
Acceptez sans rougir possession d’Agathe
Et donnez-moi du duc usage de son vit.
J’exulte quand je vois votre joue écarlate
Exprimer votre envie et cela me ravit.
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LA DUCHESSE amusée
Tu m’as bien appâtée, habile libertine,
Et je suis résolue à conclure marché.

Dès demain ici-même avecque ta cousine


Le duc et moi viendrons honorer ce traité.
A genoux remets-toi, mon innocente vierge.
Je connais à présent où pour ta dignité
Il convient maintenant d’utiliser un cierge.

La duchesse se lève

Tu diras cent Pater et cent-cinquante Avé !

La duchesse sort.

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TABLEAU V

LE DUC
LA DUCHESSE
PHILOMENE
AGATHE

Le salon du Duc.
Le Duc et la Duchesse sont assis dans un fauteuil
Devant eux se tiennent Philomène et Agathe,
Légèrement vêtues.

LE DUC
Ma sensuelle épouse a plaidé votre cause,
Mais avant de souscrire à ce fameux projet,
Il me faut en détail étudier la chose,
Extraire du contrat le véritable objet.

LA DUCHESSE
Messire mon époux, ce sera très facile.
Vous avez devant vous, prêtes à vous servir,
Deux vierges dont les corps à la taille gracile
Sauront vous satisfaire et combler tout désir,
Vous mener au sommet de jouissance humaine,
Voir assouvis enfin vos rêves les plus fous.
J‘offre à votre appétit la douce Philomène
Dont les accès cachés n’attendent plus que vous.

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Pour éprouver toujours félicité béate,
Me repaître des sucs de son intimité,
Je conserve pour moi cette innocente Agathe
Que je consommerai jusqu’à satiété.

Approche Philomène, ôte donc cette robe


Qui cache à nos regards la beauté de tes seins
Caresse doucement la rondeur de leur globe
Et va combler le duc en ses brûlants desseins.

Philomène laisse glisser sa robe à terre, dévoilant son dos nu. Un


léger jupon transparent lui reste autour de la taille.

Et toi, ma belle Agathe, ôte vite ce voile,


Il me faut respirer ton triangle odorant.
Ensuite tourneras me présenter l’étoile
Que se cache au milieu de ton blanc fondement.

Pendant que la duchesse parle, le rideau descend à la


même vitesse que la jupe d’Agathe
Le duc s’est avancé et se retrouve seul devant le rideau
fermé, Il s’adresse aux spectateurs :

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LE DUC
Vous comprendrez sans mal qu’il me soit impossible
De vous laisser mirer pareils ébattements.
Outre plaisir charnel j’aurai bien sûr pour cible
De punir la comtesse et ses égarements.
Si nous ne prenons garde aux thèses qu’elle porte,
Aux changements requis dans ses assertions,
Il se pourrait qu’un jour arrive à notre porte
Un imprévu parfum de révolutions.

FIN
de l’Otage Perverse

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