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Gerlando Vitanza

La Malédiction de la Secte

Roman fantastique

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PROLOGUE

Les Erley étaient assis devant la télévision. Peu avant


minuit, la sonnerie de la maison retentit. Ils se regardèrent.
Ils ne s’attendaient pas à recevoir de la visite. Hugh Erley
se leva de son fauteuil. C’était un petit homme avec une
grosse moustache. Hugh resserra la ceinture de sa robe de
chambre tandis qu’il se dirigeait vers le hall.
Empiffrée de popcorn et noyée de soda, Gilda, sa
femme, baissa le volume. Au bout du canapé, Jordan, leur
fils de 14 ans, se contentait de jouer sur sa tablette.
Hugh Erley tourna la poignée de la porte d’entrée et vit
un grand homme au costume noir. Celui-ci portait une
cravate. Il avait les cheveux gominés. L’individu était
accompagné d’une femme en robe noire et de deux enfants.
Le garçon devait avoir une dizaine d’années. La fille
semblait un peu plus âgée. Les enfants portaient le même
genre d’habits que leurs parents.
« Misère, ils reviennent d’un enterrement ? Je ne savais
pas qu’il y en avait à cette heure-ci ! », pensa Hugh.
Il grogna :
— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?
L’homme au costume noir lui tendit une brochure.

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— Tenez, voici la parole du Seigneur Tout-Puissant !
Rejoignez notre communauté !
Hugh jeta un œil sur la couverture de la brochure. Des
nuages et un ciel bleu décoraient le petit livre. Hugh voulut
le balancer sur son visiteur. Soudain, il commença à se
sentir hypnotisé.
L’homme au costume noir insista :
— Ils sont partout ! Ils vont dominer ce monde pour
ensuite vous tuer ! Réfléchissez !
En quelques secondes, Hugh, hypnotisé, connut tout de
cette mystérieuse famille. Il fixa son interlocuteur dans les
yeux.
— Comment puis-je reconnaître nos ennemis ?
L’homme au costume noir sourit.
— Les yeux des Anges maléfiques brillent ! Dès que
vous en repérez un, étranglez-le !
La famille salua Hugh et se dirigea vers la maison
voisine.
Seul devant la porte, Hugh revint à lui. Celui-ci regarda
à nouveau le livret qu’il serrait fermement dans ses mains.
Il referma la porte à clé.
Las, Hugh s’écroula sur le divan. Gilda déboutonna son
pyjama rose, émit un rot et s’adressa à son mari.
— C’était qui ?
— Rien, juste des Témoins de Jéhovah… Ils se prennent
pour le centre du monde !
Gilda ricana. Toute la graisse de son corps suivit les
mouvements de son rire.
D’un air arrogant, Hugh ordonna à son fils :
— Éteins cette tablette ! Demain, t’as école !
Jordan soupira.
— J’ai fini mes devoirs, Papa !

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Hugh ne lui prêta plus attention. Au bout de quelques
minutes, il décrocha de l’émission. Il ne quittait pas des
yeux la brochure posée sur la petite table du salon. L’esprit
de Hugh était confus. Il délirait et désirait tuer les Anges
maléfiques.
Gilda riait de plus belle devant la télévision. Jordan
regarda bizarrement son père. Ce dernier commença à
trembler et à claquer des dents. De la sueur coulait sur son
visage.
— Tout va bien, Papa ?
— Oui, oui… Laisse-moi tranquille, veux-tu ?
Gilda se retourna vers son mari et changea de
programme. Jordan remonta la couette du canapé jusqu’à
son menton.
Hugh saisit la brochure. Il lut le titre à haute voix :
— La Parole du Seigneur des Ténèbres… Oui… Je sens
que je dois le rejoindre !
Sa femme et son fils le fixèrent. Hugh ne comprenait
rien.
— Pourquoi vous me regardez comme ça ? J’ai fait
quelque chose de mal ?
Gilda grimaça.
— T’as dit « La Parole du Seigneur des Ténèbres »,
mon cœur !
— Et ?
— Il est tout simplement écrit : « La Parole du
Seigneur » !
Hugh se fâcha. Celui-ci empoigna le livret et pointa son
index sur la couverture.
— Regarde là, il est écrit La Parole du Seigneur des
Ténèbres !
Jordan pouffa de rire. Gilda le gifla.

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— Tu trouves marrant que ton père perde la boule après
tout ce qu’il a fait pour toi ?
Hugh jeta la brochure par terre.
— Gilda, tu te rends compte de ce que tu viens de dire ?
— Mon cœur : ou t’as trop bu ou il faut t’acheter des
lunettes ! Le mot « Ténèbres » ne figure pas sur le livret !
— Foutez-moi la paix, tous les deux !
— Nous voulons t’aider, petit cœur !
— Je vais dormir, vous m’exaspérez !
Désespérée, Gilda continua de regarder l’émission.
Jordan abandonna sa partie. Hugh monta et s’enferma dans
la chambre. Il s’étendit sur le lit et s’endormit.
Dans son rêve, Hugh voyait un rassemblement d’Anges
maléfiques. Leurs yeux brillaient d’une lumière
aveuglante. Ils l’encerclèrent. Hugh tenait une batte de
base-ball et tentait d’éloigner ces créatures.
Il se réveilla en sursaut. À ses côtés, Gilda ronflait
comme un bouledogue. Celle-ci avait pris toute la
couverture. Hugh cligna des yeux. Son mauvais rêve lui
donnait l’impression qu’un de ces Anges maléfiques
pouvait se cacher dans la garde-robe. Il voulait massacrer
ces alliés du mal.
Il enfila ses pantoufles et descendit au garage. Hugh
sortit les poubelles et les déposa sur le trottoir.
L’aube se levait dans cette petite ville du Maine. L’air
était légèrement frais avant les chaleurs de cet été 2017.
Hugh entendit des pas et aperçut une ombre. Celle-ci se
rapprochait. Un enfant lui souriait. Ses yeux s’allumèrent
d’une lueur jaunâtre. La lumière se projetait sur Hugh. Ce
dernier ricana.
— Que faites-vous ici, à cette heure-ci, innocente
créature ?

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La luminosité des yeux de l’enfant diminua.
— J’aime bien me promener, c’est tellement beau la
naissance d’une journée !
Hugh n’était plus lui-même. Une idée haineuse avait
pris possession de lui.
Sans réfléchir, il saisit le cou de l’Ange maléfique et
l’étrangla. La victime s’écroula. Hugh ressentit une
immense fierté. Celui-ci venait d’accomplir un acte fatal en
faveur du Seigneur des Ténèbres…

Après avoir commis ce meurtre, Hugh alla se recoucher.


À midi, il dormait encore.
Debout depuis 7 heures, Gilda secoua son mari. Elle
tentait de le réveiller. Celle-ci s’acharna. Elle n’en pouvait
plus.
Sur la table de chevet, l’iPhone de Gilda bombardait des
notifications. Exaspérée, elle prit le téléphone et
déverrouilla l’écran. Ce n’était pas les likes de sa dernière
photo comme elle l’espérait.
Horrifiée, Gilda lut les titres des différents journaux qui
s’affichaient.
« Un enfant retrouvé mort », « Ils ont frappé à
nouveau », « Le fléau s’en prend à un petit ».
Elle sélectionna un article.
« Portland, Maine
Ce matin-là, Diane promenait son chien lorsqu’elle
découvrit le corps d’un enfant. Celui-ci gisait au pied d’un
arbre, hématomes autour du cou. Effrayée, elle avertit la
police qui arriva sur le lieu du crime. Les enquêteurs
remarquèrent un post-it, collé sur le dos de la victime. Il

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portait le message : « Pour vous, mon Seigneur… »
Quand cela s’arrêtera-t-il ? Affaire à suivre. »
Gilda trembla. Elle pensa alors à l’étrange
comportement de Hugh… Non, ce n’était pas possible !
Elle continua de secouer son mari.
— Réveille-toi, fainéant ! Plus d’alcool dès
aujourd’hui !
Celui-ci ronflait. Hugh rêvait des Anges maléfiques
qu’il tuait un par un.

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CHAPITRE PREMIER

Elliot

Elliot Cropper était différent des autres enfants. Il faisait


partie des Anges.
Avant ses 10 ans, Elliot ne connaissait rien sur son
espèce. Grâce à son grand-père, il apprenait tout. Il adorait
les histoires de Papy Richie.
Richard Vilton, alias Papy Richie, était un homme grand
aux cheveux bruns et à la barbe courte. Véritable
encyclopédie, il savait beaucoup de choses à propos de La
Secte, dont les Membres étaient les ennemis jurés des Anges.
Elliot Cropper vivait avec son grand-père et sa mère dans
la petite ville de Ganlow, dans le Maine. Leur maison se
situait dans un quartier résidentiel, près d’une forêt. La
maison appartenait à Papy Richie. Karen, la mère d’Elliot, y
avait emménagé avec son fils à la disparition de son mari.
Papy Richie racontait ses histoires au salon, assis dans
son fauteuil. Elliot l’écoutait par terre, au pied du divan.
Papy Richie le mettait en garde contre La Secte. Karen ne
voulait pas que son fils entende ces histoires.
Pendant que la mère préparait une tarte aux pommes

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dans la cuisine, le grand-père murmura à Elliot :
— Les Membres de La Secte ne cesseront jamais de
vous traquer ! Ils hypnotisent la population chaque jour !
— Pourquoi, Papy ?
— Parce qu’ils n’ont pas le pouvoir de vous étrangler…
Le cou d’un Ange leur brûle les mains ! Ils sont obligés de
faire du porte-à-porte pour influencer les gens !
— Mon Dieu, c’est affreux…
Papy Richie ajusta ses bretelles. Son petit-fils
l’observait et désirait en savoir plus.
— Les Membres de La Secte sont marqués par une
brûlure cicatrisée. Ils la cachent avec une pommade
magique afin d’éviter d’être repérés ! Seulement, après un
certain temps, la cicatrice apparaît de nouveau !
— Les Membres de La Secte ont cette cicatrice sur un
endroit précis du corps ?
— Oui, sur leur poignet !
— De toute façon, ils ne peuvent pas me tuer, je suis un
Ange !
— Excepté les Hypnotisés ! En général, La Secte
influence les personnes innocentes et vulnérables…
Elliot se rapprocha de son grand-père.
— Papy, pourquoi nous avons perdu nos pouvoirs ?
— Les Membres de La Secte vous ont maudits !
— Avant, quelles étaient nos capacités ?
— Ton espèce pouvait guérir, contrôler les éléments de
la terre et lire dans les pensées !
— Dommage que ces dons ont disparu…
— Mais vous avez encore cette lumière qui émane de
vos yeux !
Karen débarqua avec son tablier taché de farine.
— Stop pour aujourd’hui ! Il en a assez entendu, Papa !

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Papy Richie rouspéta :
— On ne peut plus rien dire dans cette famille !
— Il est sensible ! Tu le sais !
L’Ange se releva.
— Je suis fort, Maman !
— Je n’en doute pas, mon chéri ! Il y a certaines
histoires qu’il ne faut pas te raconter…
— Une histoire par semaine, alors ! S’il te plaît…
La mère hésita. Elle regarda son fils et finit par
approuver. Karen s’adressa ensuite à son père.
— T’as compris, j’espère ? Une histoire par semaine,
dorénavant !
Papy Richie lança un clin d’œil à son petit-fils. Celui-ci
fit de même.

Le soir, dans son lit, Elliot repensait à la disparition de


son père. Voilà quatre ans que William Cropper n’était
plus revenu de son « voyage d’affaires ». Vivait-il encore ?
L’Ange se mit à pleurer. Sa mère refusait d’en parler. Il
avait essayé plusieurs fois de lui demander des
explications. Elliot s’endormit afin d’oublier ça.
Allongé sur le canapé, Papy Richie regardait la
télévision. Karen pianotait sur le clavier de son ordinateur
portable. L’horloge du living indiquait presque minuit. Les
infos parlaient toujours du meurtre de cet enfant, survenu
une semaine plus tôt.
Papy Richie savait que ce crime était l’œuvre de La
Secte, exécuté par les mains d’un Hypnotisé. Le grand-père
changea de programme.
Dans ses mails, Karen consulta son horaire. Celle-ci

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reprenait le travail dans deux jours. La mère d’Elliot avait
bien profité de sa semaine de congé. Elle travaillait comme
vendeuse au magasin Manno du Shopping de Ganlow.
Manno était une grande enseigne composée de plusieurs
shops. On y vendait tout : maroquinerie, bijouterie,
parfumerie, produits de saison et vêtements. Karen était
pressée de retrouver Susan, sa collègue et meilleure amie.
La mère effectua le virement pour l’inscription de son fils
à la plaine de vacances. L’Ange commencerait bientôt.
Inquiet, Papy Richie ne voulait pas qu’Elliot coure le risque
de rencontrer des Membres de La Secte ou des Hypnotisés.
— Tu vas quand même le mettre dans ce nid à poux ?
Agacée, Karen referma l’écran de son PC.
— Papa, voyons ! Elliot doit jouer avec les garçons de
son âge !
— Je pourrais le garder, bon sang ! Je suis son grand-
père !
— Qu’est-ce qui te stresse à ce point ?
Papy Richie regarda un instant dans le vague.
— Les enfants de La Secte ! Imagine… Ils peuvent très
bien hypnotiser les animateurs ou les autres gamins ! T’as
pensé à ça ?
— Tu m’énerves ! J’en ai marre de ta paranoïa !
— J’ai aussi été parano lorsque ton mari est parti pour
tenter de détruire le Seigneur des Ténèbres !
Karen rougit de colère.
— Cette fois, tu vas trop loin ! Le petit dort en haut !
Froissé, Papy Richie monta dans sa chambre. Karen
passa toute la nuit au living. Elle glissa dans le sommeil,
sur le canapé.

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Le lendemain matin, la mère d’Elliot se rendit à la plage
et réserva un transat. Sous un parasol, elle commença la
lecture d’un livre.
Les mouettes poussèrent leur cri aigu. La mer était
calme. Karen se détendit. Au bout de quelques minutes,
elle se mit de la crème sur les bras et le visage. La mère
d’Elliot ferma les yeux et respira l’air de la côte.

À son réveil, Papy Richie prépara le petit déjeuner. Le


grand-père cassa des œufs sur la poêle, sortit les pancakes
du frigo et pressa un jus d’orange.
Alors qu’il distribuait les pancakes sur les assiettes,
Elliot, cheveux en bataille, arriva en pyjama. Celui-ci avait
mauvaise mine. Papy Richie saisit son petit-fils par le bras.
— Que se passe-t-il, mon grand ?
L’Ange dévisagea son grand-père.
— Vous m’avez menti, toi et Maman…
— De quoi tu parles ?
— Maintenant, je sais pourquoi Papa est parti quand
j’avais 6 ans…
« Mince, il a tout entendu ! Dois-je lui dire la vérité au
sujet de son père ? », pensa Papy Richie.
— Qui est le Seigneur des Ténèbres ?
Le grand-père invita Elliot à s’asseoir. Il versa du café
et prit place en face de son petit-fils. Ce dernier attendait,
les bras croisés.
— D’accord, je vais tout t’expliquer ! Promets-moi de
ne rien dire à ta mère !
— C’est promis !

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CHAPITRE 2

À propos du Seigneur des Ténèbres

Après le petit déjeuner, Elliot et son grand-père se


dirigèrent vers le salon. Papy Richie se posa dans son
fauteuil, comme d’habitude. L’Ange s’assit par terre. Le
grand-père espérait que sa fille n’arrive pas à l’improviste.
Il ne voulait pas que celle-ci le surprenne en train de
raconter cette histoire.
Papy Richie remarqua un double des clés qui traînait sur
le sol.
« Elle a oublié ses clés… Tant mieux, elle devra
sonner ! », se réjouit-il.
Un rayon de soleil traversa le living. Le grand-père racla
sa gorge avant de commencer.
— Le Seigneur des Ténèbres est le démon de La Secte.
Les Membres le vénèrent. Son but est de vous exterminer ;
vous, les Anges ! Il est très en colère lorsque le nombre
d’Hypnotisés n’évolue pas ! Le Seigneur des Ténèbres
pousse les Membres à influencer un maximum de gens !
— Il ressemble à quoi ?

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— Personne ne sait… Ton père a quitté votre maison
pour rechercher cette infâme créature… et la détruire !
— Papa n’est pas mort, hein ?
Papy Richie resta silencieux. Celui-ci doutait.
— Ne t’inquiète pas, il reviendra un jour !
Troublé, Elliot alla chercher deux canettes de soda. Il en
lança une à son grand-père qui l’attrapa et l’ouvrit d’un
pouce.
L’Ange but une longue gorgée. Papy Richie avait déjà
vidé la sienne. Il rota.
— Le Seigneur des Ténèbres organise souvent des
réunions… Pour La Secte, c’est un moment sacré comme
la messe du dimanche !
— Les Membres sont bien habillés, alors ?
— Oui, tous en noir. Les hommes portent un costume et
les femmes une robe. Idem pour les enfants.
— Le Seigneur des Ténèbres peut se transformer ?
— Bien sûr, il est l’incarnation du Mal !
— Où vit-il ?
— Dans son royaume qui se trouve dans une autre
dimension…
Elliot finit son soda. Avec le poignet, il s’essuya la
bouche.
— Est-ce que dans le monde, il existe aussi des
Membres de La Secte ?
— Oui, ils sont partout ! En Europe, en Asie, en
Afrique…
— Waw, la vache !
— Et tu sais, les Anges comme toi, les Hypnotisés en
tuent tous les jours, à travers le monde !
— Tu peux m’en dire plus à propos du Seigneur des
Ténèbres ?

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— Sur le Blog des Anges, tu trouveras toutes les infos
nécessaires…
— Nous avons un blog ?
— Je n’ai pas voulu t’en parler auparavant… Oui, vous
avez votre propre site !
Le grand-père se releva de son fauteuil. Il prit l’iPad qui
était sur la table du salon et s’assit à côté de son petit-fils.
Papy Richie alluma la tablette. Le logo d’Apple apparut
dans l’écran. Elliot s’impatientait. Le grand-père
sélectionna Safari et tapa l’adresse. La page du Blog était
animée d’étoiles qui scintillaient. Constitué de groupes de
discussions, le site des Anges affichait des messages de
prévention contre La Secte. Papy Richie inscrivit
« Seigneur des Ténèbres » sur le moteur de recherche. Des
yeux rouges surgirent, en guise d’animation. Ceux-ci
s’ouvraient et se refermaient. En dessous, un texte défilait.
« Le Seigneur des Ténèbres est l’entité démoniaque de
La Secte. Depuis des années, il cherche un moyen de briser
La Malédiction. Il souhaite que les Membres puissent tuer
eux-mêmes les Anges, sans devoir hypnotiser des civils. Le
Seigneur des Ténèbres a la capacité de se métamorphoser
à volonté et de maîtriser toute vie sur terre. Sa gloire serait
de dominer le monde… »
— Ils n’expliquent pas comment le détruire !
— Il est peut-être invincible…
— Papa aura fait ce voyage pour rien !
— Ne dis pas ça, on ignore ces choses…
Le grand-père remit la tablette à sa place. Elliot regarda
à travers les vitres de la fenêtre. Il pensait à son père.
« Si Papa est parti, cela voudrait dire qu’il savait
comment le tuer ? », se demanda l’Ange.
Une question à laquelle nul ne pouvait répondre.

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*

Face à la mer, Karen continuait de bronzer. Certains


enfants construisaient des châteaux de sable tandis que
d’autres guidaient leur cerf-volant.
Posé sur la petite table du parasol, l’iPhone vibra.
C’était Gmail.
Les yeux fermés, la mère d’Elliot saisit le téléphone.
Elle retira ses lunettes de soleil et accéda à sa boîte mail.
Manno lui avait envoyé un courriel concernant les soldes
de l’été, au sujet des articles en réduction. Les pastilles
jaunes signifiaient -30 %, les pastilles bleues -50 % et les
pastilles orange -70 %.
Karen entendait déjà sa chef lire le briefing. La voix de
Nathalie Cursey lui donnait le mal de mer.

Dans la véranda, Papy Richie parcourait un album avec


Elliot. Il s’agissait des photos de son père. L’Ange déposa
son doigt sur une image.
— Oh, il tient un lézard dans ses mains ! C’était où ?
— En Australie, lors de son immersion.
Le grand-père tourna la page. La photo suivante
montrait William Cropper au volant d’une jeep. Celui-ci
portait une casquette et souriait. En arrière-plan, trois
girafes et un éléphant.
— En pleine savane africaine. Ton père adorait.
La sonnerie de la maison retentit. Ils se saisirent.
— C’est ta mère ! Je pensais qu’elle rentrait ce soir !
Vite, Papy Richie rangea l’album dans un tiroir et ouvrit
à sa fille. Celle-ci sentait l’huile solaire et transpirait. Sa

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serviette de bain pendait sur ses épaules.
— Première fois que j’oublie mes clés !
— T’es là tôt !
— À la plage, on souffre aussi de la chaleur !
Elliot lisait une BD. La main humide, Karen caressa le
visage de son fils.
— Comment vas-tu, mon grand garçon ?
— Je vais très bien ! Avec Papy, on a…
L’Ange regarda son grand-père. Il lui sourit.
— Joué au ballon !
— Je préfère ça aux histoires macabres qu’il te raconte
si souvent !
Pendant que sa mère avait le dos tourné, Elliot pouffa de
rire. Karen lança :
— Demain, c’est ton premier jour à la plaine de jeux !
Papy Richie marmonna :
— Par pitié…
L’Ange ajouta :
— Et le premier jour de ta reprise au boulot !
— Chéri, épargne-moi les crampes au ventre !
Le grand-père murmura à l’oreille de son petit-fils :
— Bien dit !
Ils passèrent le reste de la journée dans le jardin. Papy
Richie alluma et prépara un barbecue. Pour les Vilton, l’été
venait de commencer.

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CHAPITRE 3

MANNO

Dès le chant du coq, Karen se leva. Celle-ci s’étira et se


frotta les yeux. Son ventre gargouillait. Elle ne voulait pas
reprendre le travail.
Elliot ronflait dans sa chambre. Papy Richie gémissait
dans la sienne. Ils rêvaient. Leurs portes étaient ouvertes.
Karen les referma.
Sur la pointe des pieds, elle se dirigea vers la salle de
bains et prit une douche. Elle se recouvrit d’un peignoir, se
brossa les dents et s’habilla.
Karen dressa la table pour le petit déjeuner et prépara du
café. Tandis qu’elle buvait un capuccino, elle chipota sur
son iPhone. Depuis la cuisine, la mère entendit le réveil de
son fils sonner.
À moitié endormi, l’Ange stoppa le réveil. Karen
débarqua.
— Debout, mon grand !
— J’ai pas envie…
— Allez ! Je dois t’accompagner à la plaine !
— Je veux rester avec Papy !

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— Hors de question ! Tu ne peux pas passer l’été sans
activités !
Elliot versa une larme. La mère caressa les cheveux de
l’Ange. Ceux-ci étaient ébouriffés.
— Ne sois pas triste, chéri… Tu verras, tu te feras plein
d’amis !
Elliot grogna. Il boudait.
Après avoir pris un bain, l’Ange enfila un t-shirt, un
short et des baskets. Il avala rapidement un beagle puis
embarqua dans la voiture.
Dehors, le temps était ensoleillé. Elliot mit sa ceinture
de sécurité. Karen monta ensuite et démarra le véhicule.
Pendant que la mère conduisait, l’Ange contemplait le
paysage. Les poteaux électriques défilèrent devant ses
yeux. Elliot souffla sur le carreau. Une buée s’étendit.
Avec son doigt, l’Ange dessina un bonhomme sur la buée.
Irritée par le grincement, Karen ordonna :
— Arrête ça !
— Pardon, Maman…
Après une dizaine de minutes, ils arrivèrent à
destination. La mère se gara devant une clôture. Derrière
les grilles, il y avait un grand terrain avec des balançoires,
des toboggans et des tourniquets. Au centre, un pavillon.
Un panneau indiquait : « PLAINE DE GANLOW ». Karen
coupa le moteur.
— Nous y sommes !
— Je veux pas…
— Cesse de faire le bébé !
Elliot descendit de la voiture. Sa mère l’accompagna
devant l’entrée principale. Celle-ci serra fort son fils dans
ses bras.
— Je t’aime, mon chéri !

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— Moi aussi, Maman…
Karen donna une bise à l’Ange.
— File, je vais être en retard au travail !
Elliot courut et se jeta sur une balançoire. D’autres
parents déposèrent aussi leurs enfants. La plaine
commençait à se remplir. Rassurée, la mère reprit la route.

Le shopping de Ganlow était le plus grand centre


commercial de la ville. Il se situait sur un ancien
aérodrome. Ouvert depuis 1984, le complexe comportait
cinq étages où des boutiques, des restaurants et des salles
de cinéma accueillaient les clients.
Dans le shopping, il y avait un magasin Manno. Tout le
monde connaissait bien l’enseigne, implantée à travers les
États-Unis.
Madame Logis, l’assistante de Manno, imprimait tous
les quarts d’heure le chiffre d’affaires. Appréciée de ses
collègues, Madame Logis parlait d’une voix douce.
L’assistante avait une soixantaine d’années. Par respect, on
la vouvoyait.
La chef de Manno s’appelait Nathalie. Contrairement à
Madame Logis, les collègues la tutoyaient. Nathalie
Cursey, 42 ans, était une femme hautaine et orgueilleuse.
Celle-ci avait les cheveux châtains courts. Parée de grandes
boucles d’oreilles qui ballottaient lorsqu’elle marchait, la
chef portait un blazer noir au-dessus de son chemisier. Son
rouge à lèvres brillait. Dès que Nathalie parlait, sa bouche
dégageait une odeur de menthe.
Avant l’ouverture du magasin, la chef rassembla les
vendeuses. Elle tenait une feuille dans ses mains. Il

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s’agissait du briefing.
Karen chercha Susan des yeux. Elle ne la voyait pas.
Susan, conseillère en bijouterie, représentait le syndicat.
Celle-ci s’absentait souvent pour des réunions avec le
gérant de Manno, Monsieur Menren.
Martin, responsable du rayon de la chemiserie, adressa
un sourire à Karen. Cette dernière le salua d’une main.
Certains collègues se moquaient de Martin. Celui-ci était
bipolaire. La mère d’Elliot le comprenait.
Impatiente, Nathalie attendait les retardataires. Deux
vendeuses commencèrent à se raconter leur week-end.
Dérangée, la chef les fusilla du regard.
— Nous ne sommes pas dans une cour de récréation ! Je
vous prie de vous taire !
Les retardataires arrivèrent. Nathalie les gronda.
— Vous m’exaspérez ! C’est la dernière fois !
La chef de Manno commença le briefing.
— Samedi, nous avons atteint notre objectif de 50.000
dollars ! Je tiens à remercier les conseillères de la
maroquinerie… Elles ont fait + 7 ! Bravo !
Les membres du personnel applaudirent. La chef
continua :
— Passons en chemiserie… C’est une catastrophe !
Martin, n’oublie pas de prendre tes médicaments !
Quelques vendeuses se mirent à rire. Nathalie ricana.
Énervée, Karen serra les dents. Elle n’aimait pas les
moqueries.
La chef poursuivit :
— La semaine prochaine, nous aurons une nouvelle
action… Le client recevra -20 % supplémentaires sur les
articles soldés !
Une vendeuse marmonna :

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— Ils vont encore se plaindre ! Ils espèrent avoir tout
gratuit !
Nathalie conclut le briefing.
— On respecte ses heures de table, on ne téléphone pas,
on accueille le client avec un grand sourire et…
La chef tapota sur sa poitrine.
— On n’oublie pas de porter son badge !
Les employés se dispersèrent. La mère d’Elliot alla en
chemiserie. Martin déballa la nouvelle marchandise. Ce
dernier avait toujours son mètre ruban qui pendait autour
du cou. Karen l’aida. Le vendeur l’observa de haut en bas.
— Waw, comme t’es bronzée !
— J’ai vidé toute la bouteille d’huile sur ma peau !
Martin éclata d’un rire aigu qui se propagea dans tout le
magasin. La mère d’Elliot lança :
— T’es de bonne humeur, aujourd’hui !
— Oui, je suis heureux !
« Pour l’instant… », pensa-t-elle.

En fin de journée, Karen récupéra son fils à la plaine de


Ganlow. Essoufflé et t-shirt mouillé, celui-ci transpirait.
Inquiète, la mère demanda :
— Que s’est-il passé ?
— Nous avons organisé une bataille d’eau ! C’était trop
cool !
— T’as vu que tu t’amuses, hein ?
— Oui t’avais raison Maman !
Ils rentrèrent à la maison. Papy Richie arrachait la
mauvaise herbe dans le jardin. L’Ange rejoignit son grand-
père.

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— Je me suis éclaté, Papy !
— À ce point, mon grand ? T’as fort manqué à ton Papy
Richie…
Elliot lui murmura :
— J’attends encore tes histoires !
— Ne t’inquiète pas, on trouvera un moment…
Épanoui, l’Ange ne pensait plus à La Secte.

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CHAPITRE 4

Susan

Le lendemain matin, après avoir déposé son fils à la


plaine, Karen stationna dans le parking du shopping. Elle
était en avance.
Devant l’entrée du personnel, une dame d’une
soixantaine d’années fumait. Celle-ci avait les cheveux
blond platine et courts. C’était Susan.
La mère d’Elliot sortit de la voiture. Excitée, elle courut
vers sa collègue et l’enlaça. Susan sentait la cigarette et le
parfum.
— Tu m’as manqué, ma puce !
— Toi aussi ! Hier, j’étais en réunion avec l’imbécile de
Menren…
— Vous avez discuté du problème des horaires ?
— Oui, il va trouver une solution… Sinon, ta semaine
de congé ?
— Je me suis reposée…
La syndicaliste jeta sa cigarette. Avec son pied, elle
l’écrasa. Susan marmonna :
— J’en ai marre de cette Nathalie… C’est une faux-cul !

27
Elle m’énerve !
— T’es pas la seule… En briefing, elle s’est moquée de
Martin !
— Quelle vipère !
— Heureusement que nous avons Madame Logis…
— Oui, Logis devrait prendre la place de cette sorcière !
La syndicaliste entama une autre cigarette. Susan avait
une petite-fille de 11 ans. Elle s’appelait Angèle. C’était un
Ange. Les parents d’Angèle étaient morts dans un accident
de voiture. Susan voulait qu’elle fasse une activité durant
l’été.
— C’est ton père qui garde Elliot ?
— Non, Elliot est à la plaine !
— Où ça ?
— Ici, à Ganlow !
— Envoie-moi les coordonnées !
— C’est pour Angèle ?
— Oui, elle s’ennuie à la maison…
— D’accord, je t’enverrai ça !
La température grimpait. La syndicaliste avait chaud.
Karen regarda sa montre.
— On commence bientôt…
— Vivement ma retraite !

Dans sa chambre, Angèle consultait le Blog des Anges.


À part sa grand-mère, elle ne voyait personne d’autre. Le
Blog était son passe-temps. Elle déprimait. L’été 2017 lui
paraissait interminable.
La petite-fille de Susan lut les commentaires d’un
forum. Jack, un Ange, y lançait un débat autour du

28
Seigneur des Ténèbres. En titre : « MYTHE OU
RÉALITÉ ? »
Lumière2005 : « Mythe, il n’existe pas ! »
MisterF : « Ben si, c’est le Diable ! »
Antisecte : « C’est la réincarnation d’Hitler, lol »
Chocodonuts : « Haha, encore là, antisecte ! »
Wififorever : « Qui l’a déjà vu ? »
Oldschool : « @wififorever Euh… personne ! »
Croppervilton : « Mon père est à sa recherche pour le
détruire… »
Intriguée, Angèle s’arrêta sur le dernier commentaire.
Qui pouvait bien se cacher derrière ce pseudo ?
Lumière2005 : « @croppervilton D’où tu sors, toi ? »
Chocodonuts : « @lumière2005 Un illuminé qui a
échoué ici, mdr »
Oldschool : « Croppervilton ne sait pas ce qu’il dit ! »
Angèle voulut intervenir lorsque la connexion internet
s’en alla. Elle frappa nerveusement sur le clavier.
— Merde !

Le soleil descendait lentement du ciel. C’était le soir.


Susan rentra du boulot. Les mains chargées de sacs, la
grand-mère venait de faire les courses. Elle était haletée.
— Mon cœur, Mamie est là !
L’Ange descendit. Susan rangea les produits dans le
frigo. Sa petite-fille était déjà en pyjama.
— Tu vas te coucher ? Il est tôt !
— Nan, j’ai juste un peu dormi…
— J’ai une bonne nouvelle !
— Ah bon ? Quoi ?

29
— T’es inscrite à la plaine de Ganlow !
Angèle sauta de joie.
— Youpi !!! Merci, Mamie !!!
— De rien, mon cœur !
— Je suis trop contente !
— Et tu rencontreras Elliot ! Il est aussi à la plaine !
— Enfin, je vais le voir ! Tu me parles si souvent de
lui…

Susan et sa petite-fille dînèrent. Après le repas, la


grand-mère lava les assiettes. Elle prit place sur le canapé.
Pendant qu’elle tricotait, Angèle demanda :
— Une personne ordinaire peut se marier avec un
Membre de La Secte ?
— Oui, à condition que celle-ci devienne comme eux !
— Et comment ?
— Par l’hypnose !
— Est-ce qu’ils peuvent avoir des enfants ?
— Bien sûr, l’enfant naîtra avec une cicatrice !
L’Ange bâilla.
— Je vais me coucher, Mamie…
— Vas-y, mon cœur !
Angèle embrassa sa grand-mère. Elle était pressée
d’aller à la plaine et avait hâte de rencontrer Elliot.

Le lendemain, Karen et Susan se fixèrent rendez-vous


devant la plaine. Celles-ci étaient accompagnées de leur
enfant. Timide, Elliot s’approcha d’Angèle.

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— Euh… Salut !
— Salut !
Les deux collègues se regardèrent. Elles pouffèrent de
rire. La grand-mère lança à sa petite-fille :
— T’étais pas comme ça, hier soir…
Karen donna une claque derrière la tête de son fils.
— Qu’est-ce qui t’arrive ?
Susan suggéra :
— On devrait les laisser… Viens, Karen !
La mère et la grand-mère montèrent dans leur voiture.
Elles repartirent.
Angèle prit la main d’Elliot. Celui-ci rougit.
— J’ai construit une cabane… Je te la montre ?
— Oh, oui !
Il entraîna sa nouvelle amie jusqu’au pied d’un arbre qui
se situait au fond de la plaine.
— Regarde là-haut !
La petite-fille de Susan leva la tête. Une maisonnette
était bâtie entre deux branches. Angèle sourit et grimpa la
première. Elliot la suivit.
À l’intérieur de la cabane, il y avait un matelas. Ils se
jetèrent dessus.
La petite-fille de Susan sortit de sa poche des bonbons
et des chocolats. Un rayon de lumière jaillit de ses yeux.
Surpris, Elliot recula.
— T’es aussi un Ange ?
— Oui…
Le rayon devenait intense. Elliot était presque aveuglé.
— Arrête, je dois te dire un truc !
Angèle éteignit la lumière de ses yeux. Elliot se mit à
rire.
— Pourquoi tu rigoles ?

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Le garçon se concentra et ferma les yeux. Lorsqu’il les
rouvrit, il envoya toute la lumière vers Angèle. Cette
dernière lança :
— Je sais que t’es un Ange !
Elliot fit disparaître la lumière.
— Comment ça ?
— Ta mère l’a dit à ma mamie…
— Oh, zut !
— T’inquiète, c’est la plus gentille !
— Mon Papy Richie aussi ! Et mon père va tuer le
Seigneur des Ténèbres !
— Ah… C’était donc toi ?
— Quoi, moi ?
— Le fameux Croppervilton !
— T’as été sur le forum ?
— Oui, ha ha !
La petite-fille de Susan saisit une poignée de M & M’s
et les fourra dans sa bouche. Avec ses dents, Elliot arracha
le bout d’un ruban de réglisse.
— Tu vis chez ta grand-mère ?
Angèle hocha la tête.
— Et toi ?
Elliot parla la bouche pleine. La petite-fille de Susan
reçut des morceaux de réglisse sur son visage.
— Papy Richie… Maman… Depuis mes chi ans…
Angèle s’essuya le visage. Celle-ci rit.
— J’ai plus ou moins compris !
À ce moment précis, les deux Anges se regardèrent.
Une amitié venait de naître.

32
CHAPITRE 5

Meurtre avant un nouveau job

Mary Bogman, 50 ans, était Membre de La Secte. Elle


méprisait la cicatrice sur son poignet. Heureusement que la
pommade magique existait.
Mary était mariée avec Arach Bogman, un Hypnotisé.
Le couple vivait dans une ville voisine de Ganlow. Ils
avaient deux fils âgés de 22 et 18 ans.
Noah et James étudiaient au séminaire de La Secte. Les
professeurs leur enseignaient l’hypnose, la manipulation de
la population et la doctrine du Seigneur des Ténèbres.
Mary était gérante d’une boutique de chaussures. Arach
tenait un restaurant italien le jour et tuait des Anges
maléfiques la nuit.
La boutique de Mary se trouvait dans une ruelle isolée.
Durant les soldes, Mary travaillait avec une étudiante. Le
chiffre d’affaires était catastrophique. Peu de clients
achetaient dans ce petit magasin.
Mary s’habillait en noir pour le boulot. Elle gardait le
même uniforme lors des réunions avec les Membres de La
Secte. Parfois, il arrivait à Mary de fermer un instant la

33
boutique pour, au cours d’une petite promenade dans la
ruelle, hypnotiser des passants.

Il était 18 heures. Mary baissa le volet du magasin et


rentra avant son mari. Des armes à feu, exposées dans une
vitrine, décoraient le salon. Ceux-ci appartenaient à Arach.
L’Hypnotisé les collectionnait. En plus d’assassiner des
Anges maléfiques, Arach effectuait des contrats de
règlement de compte. Il adorait ça. Les Membres de La
Secte le surnommaient « le Sanguinaire ».
Tandis qu’un gigot d’agneau rôtissait au four,
l’Hypnotisé arriva. Arach Bogman mesurait 2 mètres et
avait une balafre sur la joue. Le Sanguinaire portait cette
balafre depuis son premier délit, à l’âge de 14 ans.
Arach embrassa sa femme.
— Comment vas-tu, chérie ?
— Nous n’avons pas eu un seul client… Par contre, j’ai
hypnotisé un pauvre malheureux !
— C’est déjà ça ! Il était jeune ou vieux ?
— Un retraité. Il était désespéré et venait de perdre sa
femme…
— Demain, t’en hypnotises une dizaine !
— T’es malade ? Je dois rattraper le chiffre !
— Toute façon, ça sert à quoi ? Vous êtes déjà proche
de la faillite !
— C’est vrai…
Le couple dîna. À table, l’Hypnotisé se versa du vin.
— T’en veux ?
— Non, merci ! Après un verre, je vois déjà une étoile !
Le Sanguinaire se mit à rire. Il dégustait la viande.

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L’odeur de l’agneau se propageait dans la cuisine.
— Hier soir, j’ai abattu un gars de plusieurs balles… Il
avait arnaqué un de mes potes !
— Quel salaud…
— Tu l’as dit…
— Et les Anges maléfiques ?
Arach sourit.
— Une vingtaine… Étranglés jusqu’à en rétrécir le
cou !
— Je suis jalouse ! T’as de la chance d’être un
Hypnotisé ! Ça me gonfle de ne pas pouvoir crisper mes
mains autour de leur cou !
Les Bogman terminèrent de manger. Tout au long de la
soirée, ils discutèrent des crimes qu’ils avaient commis. Ils
en riaient.

Chez Manno, Nathalie Cursey répondait aux plaintes


des clients. Ceux-ci affirmaient que la réduction de -20 %
ne passait pas à la caisse.
Une étudiante scanna l’article d’une dame âgée. Cette
dernière avait pris un pantalon pour son mari. La jeune fille
annonça :
— Ça vous fait 100 dollars !
— 100 dollars ? Un simple pantalon ? C’est pas
possible ! Où sont mes -20 % ?
Stressée, l’étudiante rougit.
— Euh… le prix est correct, Madame…
La cliente s’énerva.
— Je refuse de payer ! Appelez-moi votre responsable !
— D’accord…

35
La jeune fille se dirigea vers le téléphone. Celle-ci
composa le numéro de la chef. Sa main qui tenait l’appareil
était moite.
— J’ai un problème avec une cliente…
À l’autre bout du fil, Nathalie s’exclama :
— Encore ? Ça n’arrête pas, aujourd’hui ! J’arrive !
La chef raccrocha.
Après quelques minutes, elle arriva, tout essoufflée. Ses
grandes boucles d’oreilles se balançaient au moindre de ses
mouvements. Nathalie Cursey mâchait un chewing-gum à
la menthe. La cliente dévisageait la chef. Cette dernière
lança à l’étudiante :
— Va manger, je reprends la caisse !
Soulagée, la jeune fille remercia Nathalie. Sur l’écran,
la chef encoda son mot de passe. Elle s’adressa à la cliente.
— Que se passe-t-il, Madame ?
— Je vous ai attendue un quart d’heure !
— Vous exagérez ! En cinq minutes, j’étais ici !
— Menteuse ! Je veux ma réduction !
Plusieurs clients assistaient à la confrontation. Ils se
regardèrent. La file commença à s’allonger. Les clients
s’impatientaient, certains quittèrent le magasin.
Furieuse, Nathalie fixa les yeux de la cliente. La dame
se sentit paralysée. Personne ne voyait ce qu’il se passait.
La victime ne pouvait plus parler. Ses yeux étaient dirigés
vers la chef qui l’hypnotisait. La cliente entendit une voix
caverneuse et diabolique. Celle-ci retentit dans sa tête.
« Je sais qu’un billet de 100 dollars se cache dans votre
portefeuille… Vous allez payer votre pantalon… et ensuite
vous tuerez des Anges maléfiques ! Maintenant, revenez à
vous ! »
La dame se ressaisit. Désorientée, elle regarda autour

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d’elle. La cliente donna son billet à la chef. Cette dernière
sourit.
— Merci…

Le lendemain matin, Mary Bogman, en robe de


chambre, vida la boîte aux lettres. La Membre de La Secte
venait de se réveiller. Celle-ci sortit une lettre qui lui était
adressée. Mary appuya sur son couteau à cran d’arrêt. La
lame s’éjecta. La Membre s’en servit pour ouvrir
l’enveloppe. Elle lut la lettre. Mauvaise nouvelle : la
boutique allait fermer définitivement. Mary déchira la
feuille en riant.
Durant l’après-midi, elle laissa l’étudiante gérer le
magasin. La Membre de La Secte s’aventura dans la ruelle
où se situait la boutique. Elle était à la recherche de futurs
Hypnotisés. Ses bottines claquaient sur les pavés. Mary se
promenait avec son sac en bandoulière. Celui-ci contenait
une brochure de La Secte.
Un couple de touristes se baladait, main dans la main.
L’homme s’arrêta un moment. Il consulta sa carte. Sa
femme lui demanda :
— C’est le bon chemin ?
— Non, nous sommes perdus…
Cachée derrière une poubelle, la Membre les observait.
Mary ouvrit son sac et sortit la brochure. Décidée, elle
interrompit le chemin du couple.
Les touristes se saisirent. L’homme grogna :
— Que voulez-vous ?
La Membre de La Secte leur présenta la brochure
devant les yeux.

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— La Parole du Seigneur, Gloire au Tout-Puissant !
Rejoignez-nous !
Le touriste la repoussa.
— Foutez-nous la paix avec vos idées ! On n’en veut
pas !
Le couple reprit son chemin. Déçue, Mary poursuivit le
sien. Soudain, elle croisa un jeune homme. Ce dernier était
assis sur le bord du trottoir et sanglotait. Réjouie, la
Membre l’aborda.
— Pourquoi pleures-tu, mon grand ?
— Mon père ne croit plus en moi ! Je veux mourir !
« Je tiens enfin mon pigeon… », pensa Mary.
— Ne dis pas ces choses… La vie est belle !
Elle lui tendit la brochure.
— Si tu lis ce livre, tu seras un homme heureux !
La victime sécha ses larmes.
— C’est vrai ?
— Oh que oui ! Allez, salut !
Satisfaite, la Membre retourna à la boutique.
Le jeune homme lut la première page. Celui-ci riait
spasmodiquement. Il commençait à haïr les Anges
maléfiques.
« Des vermines à exterminer ! », pensa-t-il.
Un enfant fila devant lui. L’Hypnotisé l’aperçut. Une
lumière jaillissait des yeux du gamin.
Furieux, le jeune homme se releva et rattrapa son
ennemi. L’Ange ressentit une présence derrière lui et se
retourna. L’Hypnotisé l’étrangla. L’Ange se mit à
suffoquer. Il mourut en quelques secondes.
L’Hypnotisé embrassa la brochure.
— Merci, Seigneur des Ténèbres !

38
*

Le lendemain, les vendeuses de Manno remarquèrent la


présence d’une nouvelle employée. Celle-ci s’appelait
Mary Bogman et venait de perdre son boulot. Monsieur
Menren l’avait engagée, sous l’hypnose de Nathalie
Cursey…
Angoissée, Susan alla trouver Karen au rayon de la
chemiserie. La syndicaliste murmura :
— Méfie-toi de la nouvelle !
— Pourquoi ?
— Dans les toilettes, je l’ai vue passer la pommade sur
son poignet cicatrisé !

39
40
CHAPITRE 6

La famille des Pourris

Papy Richie était assis sur une chaise, dans le jardin.


Les yeux fermés, il bronzait. Le soleil tapait fort en ce
samedi après-midi. Le thermomètre montait à 35°C. Le
grand-père but une gorgée d’eau fraîche. Celui-ci ne
supportait pas cette chaleur.
La porte coulissante de la terrasse s’ouvrit. C’était
Elliot. L’Ange s’installa à côté de Papy Richie. Le grand-
père lui sourit. Son petit-fils demanda :
— Dis, Papy…
— Oui, mon grand ?
— Est-ce que le Seigneur des Ténèbres a un bras droit ?
Papy Richie se rapprocha d’Elliot. Il murmura :
— Oui, elle s’appelle Teresa Palmer ! C’est l’Adjointe !
— Quel âge à cette femme ?
— Elle est plus vieille que moi… Elle est hyper
dangereuse !
— C’est quoi son rôle dans La Secte ?
— Teresa, l’Adjointe, conseille le Seigneur des
Ténèbres ! C’est une femme très astucieuse… Elle sait que

41
l’étranglement est le seul moyen de vous tuer ! Grâce à
elle, les Hypnotisés savent qu’ils doivent vous serrer le
cou ! C’est aussi elle qui a inventé la pommade pour
effacer les cicatrices !
L’Ange frissonna, tétanisé. Son grand-père se frotta les
mains.
— Teresa fait partie de la famille des Pourris…
— La famille des Pourris ?
— Oui… Ils sont nombreux et supérieurs aux Membres
de La Secte !
— Pourquoi « Pourris » ?
— À cause de Claudia Palmer…
— C’est qui ?
— La base de tous les problèmes ! La Fondatrice de La
Secte ! Celle qui a invoqué pour la première fois le
Seigneur des Ténèbres ! C’est la grande sœur de Teresa !
Elliot frémit. L’Ange avait la chair de poule. Il ne
sentait même plus la chaleur de l’été. Papy Richie s’essuya
le front.
— Lorsque t’étais petit, l’Adjointe voulait tuer tes
parents…
— Et tu ne m’as rien dit ?
— T’avais un an, mon garçon !
— Raconte-moi cette histoire !
— Pas maintenant ! Tu vas faire des cauchemars !
Le petit-fils croisa les bras et râla. Triste, Papy Richie le
regarda.
— L’Adjointe avait essayé… Mais j’étais là pour vous
protéger ! Teresa avait aussi ramené sa nièce…
— Sa nièce ?
— Oui, Margaret… Une des filles de Claudia Palmer, la
Fondatrice !

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— Parle-moi de ces gens, la famille des Pourris !
Le grand-père consulta sa montre. Il était 15 heures.
— Je t’en parlerai ce soir… Pour l’instant, je voudrais
prendre encore un peu de soleil !
— Qu’est-ce que je ferais sans toi, Papy !
— Je sais, je suis le meilleur…

Chez Manno, Karen ne quittait pas Mary des yeux. La


mère d’Elliot surveillait la Membre de La Secte.
Mary Bogman s’occupait du rayon de la maroquinerie.
Toutes les vendeuses s’intéressaient à Mary. Celles-ci
tentaient de découvrir qui se cachait derrière la nouvelle
venue. La Membre de La Secte se prenait déjà pour la
vedette de Manno.
Derrière le comptoir de la bijouterie, Susan écrivait dans
son carnet. La syndicaliste faisait un rapport. Elle notait
toutes les erreurs de Mary. Cette dernière arrivait toujours
en retard, critiquait souvent ses collègues et était insolente
envers les clients. Susan la détestait. La syndicaliste décida
d’en parler à la prochaine réunion avec le gérant.
Pendant que Karen classait les chemises par taille, la
chef arriva.
— Tu termineras à 22 heures au lieu de 19 !
— Et pourquoi ?
— Mary ne se sent pas bien…
— Comme d’habitude, quoi !
— Un autre ton, ma chère !
— De toute façon, ta « Mary » est plus arrogante que
moi…
— Ma pauvre Karen… Tu sais que je peux te virer ?

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— C’est Monsieur Menren qui décide ! Pas toi !
Nathalie ricana.
— Une jeune mère au chômage… C’est triste à voir !
La mère d’Elliot sentit l’adrénaline qui montait. Elle
voulait frapper la chef.
Nathalie lança :
— Ce soir, tu resteras avec Martin et Nelly… Vous
ferez l’inventaire !
— Au moins, eux sont gentils !
— Épargne-moi tes commentaires !
La chef s’en alla. Karen abhorrait Nathalie Cursey.

Après la fermeture du magasin, la mère d’Elliot


commença à scanner les articles. Elle entama le rayon des
accessoires avec Nelly.
Nelly était une jeune femme de trente ans. Celle-ci
adorait le métier de vendeuse. À chaque fois, elle était
nommée « employée du mois ». Nelly ne recevait que des
compliments de la clientèle. Mary en était jalouse.
Au fond du magasin, Martin parlait tout seul. Tandis
qu’elle scannait un bracelet, Nelly regarda son collègue
avec émoi. Elle se retourna vers Karen.
— Il me fait de la peine, le pauvre…
— À moi aussi… Hier, il se marrait. Aujourd’hui, il
nous tire la tête !
— C’est sa maladie…
— Je ne supporte pas les moqueries des autres !
— Surtout celles de Nathalie !
— C’est une vipère !
— Oui, comme cette Mary !

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La mère d’Elliot arrêta de scanner et déposa la machine
sur l’étagère.
— Méfie-toi de Mary…
— Elle a déjà parlé derrière mon dos ?
— Non, elle est bien pire que ça…

Papy Richie se posa sur le divan et retira ses sandales.


Ses pieds sentaient le fromage. Le grand-père brancha le
ventilateur près de lui.
Le soleil commençait de se coucher. Papy Richie reçut
un SMS de Karen. Celle-ci allait finir plus tard que prévu.
Il restait du poulet au frigo. Le grand-père n’avait pas faim.
Il faisait trop chaud pour manger.

Dans sa chambre, Elliot discutait avec Angèle sur le


Blog des Anges.
Croppervilton : « Ta grand-mère t’as déjà parlé de la
famille des Pourris ? »
Angy2006 : « Famille des Pourris ? C’est quoi ça ? »
Croppervilton : « Des Membres de La Secte… Papy
m’en dira plus tantôt… »
Angy2006 : « T’as de la chance d’avoir un grand-père
qui est Wikipédia ! Mamie ne connaît pas tout sur La
Secte… Elle me raconte le peu qu’elle sait, la pauvre !
C’est pas facile d’être déléguée syndicale ! »
L’Ange entendit la voix de son grand-père. Ce dernier
l’appelait d’en bas.
Croppervilton : « Je vais devoir te laisser ! A + ! »

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Angy2006 : « Ok, gros bisous ! »
Elliot se déconnecta et descendit au salon. Papy Richie
l’invita à s’asseoir en face de lui. Le ventilateur tournait
lentement. Le petit-fils sentit l’air circuler partout dans la
pièce. Le grand-père commença :
— Les Pourris sont une grande famille… T’as la
branche des Palmer et t’as celle des Raven. Claudia Palmer
est la femme la plus redoutable de La Secte…
— Alors, pourquoi sa sœur est l’Adjointe du Seigneur
des Ténèbres ?
— Ça, c’est une autre histoire… D’abord, il est
important que tu saches qui sont les Pourris !
L’Ange se gratta la nuque. Papy Richie se moucha et
poursuivit :
— Claudia Palmer est mariée avec Burt Raven, un
Cicatrisé. Ils ont quatre enfants. Rita, l’aînée, dirige une
entreprise où des Hypnotisés kidnappent et torturent des
Anges…
— Mon Dieu…
— Peggy, la seconde, pratique la magie noire… Elle
l’utilise contre vous, les Anges !
— Affreux !
— Sylvia est la sœur qui habite en Suisse… La plus
dangereuse des Pourris et de La Secte !
— Pourquoi ?
— Elle hypnotise des milliers de personnes par
semaine !
— Waw…
— Sylvia se déguise pour hypnotiser ses victimes afin
d’éviter qu’on la reconnaisse… Celle-ci possède différents
déguisements dans sa garde-robe ! Sylvia est polyglotte,
elle parle une dizaine de langues !

46
Le petit-fils était abasourdi. Son grand-père continua.
— Margaret… La sadique, l’hystérique de la famille !
Lorsqu’elle s’énerve, un filet de bave coule de sa bouche !
— Beurk !
— John, le dernier de la fratrie… Il chante dans des
karaokés où les paroles de ses chansons hypnotisent tous
ceux et celles qui l’écoutent ! Ses chansons parlent de la
destruction de votre espèce…
— Quelle horreur, Papy ! C’est quoi cette famille de
fous ?
— Bienvenue chez les Pourris…

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48
CHAPITRE 7

Le Rassemblement

Le lendemain, peu avant midi, Karen frappa au bureau


de Madame Logis.
— Entrez !
La mère d’Elliot ouvrit la porte. Une odeur de fruits des
bois parfumait la pièce. L’assistante tapait sur le clavier de
son ordinateur. Elle consultait le chiffre de la matinée.
Celui-ci était au-dessus de la moyenne. Madame Logis
était contente. Elle tourna son regard vers Karen.
— Bonjour, Karen ! Comment allez-vous ?
— Bien, Madame Logis ! Et vous ?
— Ça va, merci ! Que puis-je faire pour vous ?
La mère d’Elliot prit place.
— Nathalie m’a programmée jusqu’à la fermeture,
aujourd’hui… C’est pas juste ! Hier, j’ai terminé à 22
heures ! J’ai droit à ma récupération !
— Je vais voir ça…
L’assistante cliqua sur l’horaire de Karen.
— Effectivement, il y a un problème… Avez-vous déjà
parlé à Susan ?

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— Oui, au téléphone… Elle m’a conseillé de venir chez
vous.
— Vous faites bien… En tant qu’assistante, je vous
autorise à récupérer vos heures. Vous finissez maintenant !
— Oh, merci ! Vous êtes géniale !
— C’est normal, vous y avez droit !
La mère d’Elliot était comblée de joie. Elle allait
pouvoir visiter son exposition de peinture. Les tickets
partaient comme des petits pains. L’exposition se déroulait
au centre culturel de Ganlow.
Karen se dépêcha. Celle-ci courut jusque dans les
vestiaires, prit ses affaires et quitta le boulot.
Lorsque la chef apprit que la mère d’Elliot avait terminé
plus tôt, elle explosa de colère…

Le centre culturel de Ganlow comportait plusieurs


bâtiments. Il se situait dans un grand parc. Le complexe
possédait des musées, des cinémas et des salles de concert.
Karen adorait les œuvres d’art et se passionnait pour la
peinture sur toile. Elle projetait de dresser un portrait, celui
de son grand-père, Elliot Vilton Sr.
En roulant vers le domaine, la mère d’Elliot aperçut une
famille. Les enfants suivaient leurs parents en file indienne.
Ils marchaient sur le trottoir et étaient habillés en noir.
« Un mariage, sans doute… », pensa Karen.
Avant d’entrer au parking, la mère d’Elliot vit une autre
famille, elle aussi vêtue de noir. Les ados de cette tribu se
chamaillaient entre eux tandis que leurs petits frères
couraient dans tous les sens. Karen n’y prêta plus attention.
La barrière s’ouvrit. Les graviers craquèrent sous les

50
pneus de la voiture. Le parking était plein. Embêtée, la
mère d’Elliot frappa le volant et soupira. Elle ne trouvait
pas de place.
Karen continua de chercher. Après quelques minutes,
elle se gara devant un arbre. À travers le rétroviseur, la
mère d’Elliot n’en crut pas ses yeux… Une foule se
dirigeait vers un immense bâtiment. Habillés de noir, ces
individus étaient une centaine !

Indécise, Karen regardait la porte-tambour du musée.


Elle hésita à acheter son billet. Cette communauté étrange
l’intriguait. La mère d’Elliot décida de les suivre.
Derrière une haie, elle emprunta un chemin. Celui-ci
contournait l’immeuble où se rendait l’assemblée. Karen
ne quittait pas des yeux ces hommes, femmes et enfants.
Elle s’introduisit dans le bâtiment par l’issue de secours.
À l’intérieur, des lampes éclairaient la pièce. Ça sentait
fort le gymnase. La mère d’Elliot monta les escaliers en
métal. Ses pas résonnaient. Les marches paraissaient
interminables. Anhélante, Karen atteignit le sommet. D’en
haut, elle vit la salle remplie. Parmi ce monde assis, il y
avait des enfants, des pères de famille, des mères, des veufs
et des anciens. Certains discutaient, d’autres riaient. Des
mamans ajustaient la cravate de leurs petits. Elles
arrangeaient leurs cheveux. Quelques papas les prenaient
en photo. Au balcon, la mère d’Elliot les observait par-
dessus une balustrade. Soudain, l’assemblée se mit à
applaudir.
Une femme se dirigea vers l’estrade. Karen n’en crut
pas ses yeux… Elle se pinça. Non, la mère d’Elliot ne

51
rêvait pas… C’était bien sa chef !
Les Membres acclamaient Nathalie Cursey qui souriait
devant son public. Karen remarqua la présence de Mary.
Cette dernière tenait la main d’Arach, au premier rang. Une
marque apparut sur le poignet de Mary. C’était la cicatrice.
Celle-ci avait une couleur grisâtre. Elle formait une croûte
qui ressemblait à de l’eczéma. Mary Bogman sortit le tube
de pommade de son sac et s’enduisit de crème. La cicatrice
s’effaça rapidement.
La marque refit surface sur d’autres poignets. Les
enfants détestaient la cicatrice car elle était « moche ». Les
parents leur appliquèrent la crème. Un bambin se plaignit.
Il trouvait que la pommade était glaciale. Sa mère lui
lança :
— C’est mieux ça que le cou brûlant d’un Ange
maléfique !
Apeuré, le môme grinça des dents.
La chef de Manno s’approcha d’un micro. Nathalie
avait mis un rouge à lèvres mauve. Ses grandes boucles
d’oreilles scintillaient.
— Bonjour à tous ! Bienvenue dans cette nouvelle
réunion !
La salle cria de joie. La mère d’Elliot ne comprenait
pas. Est-ce que Nathalie était Membre de La Secte ?
Karen serra ses mains sur les balustres. Qu’allait-il se
passer ?

En ce début d’après-midi, la plaine ferma


exceptionnellement. Des animateurs étaient malades. Papy
Richie récupéra Elliot. Le grand-père fit la connaissance

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d’Angèle. Il la trouvait sympa.
— Tu veux qu’on te raccompagne ?
— C’est gentil, Monsieur Vilton… mais j’irai à pied !
— T’es sûre ?
— Oui, je n’habite pas loin ! Merci quand même !
Papy Richie lui tendit un bout de papier.
— Si t’as un problème, appelle-moi !
La petite-fille de Susan sourit. Elliot donna une bise à
son amie. Les yeux de celle-ci s’allumèrent légèrement.
Papy Richie haussa les sourcils. Il était surpris par ce
qu’il venait de voir.

À la maison, le grand-père demanda à son petit-fils :


— Dis-moi… Cette fille est un Ange ?
— Euh… Tu savais pas ?
— Non, je viens de le remarquer !
— T’as vu ses yeux, hein ?
— Oui…
Papy Richie s’écroula sur le fauteuil. Tandis qu’il
feuilletait un magazine, le grand-père lança :
— Hier soir, ta mère pleurait dans sa chambre…
— Maman était triste ?
— Oui… Elle parlait au téléphone avec la syndicaliste.
— La mamie d’Angèle ?
Papy Richie hocha la tête.
— Apparemment, sa chef l’embête au travail…
— Nan… Pauvre Maman !
Le grand-père soupira. Il se connecta à Facebook et
répétait :
« Nathalie… Nathalie… Nathalie… »

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Inquiet, Elliot ouvrit grand les yeux.
— Tout va bien, Papy ?
Papy Richie ne répondit pas. Celui-ci était concentré sur
l’ordinateur. Il tapa le nom de la chef. Un profil apparut.
Le compte était protégé. Le grand-père cliqua sur la photo.
Nathalie Cursey, la chef, regardait dans le vague à travers
des lunettes de soleil. Elle se trouvait au bord d’un bateau
et portait un décolleté. Le mot « vacances » avait été tagué.
— Viens deux minutes…
L’Ange se releva du tapis. Papy Richie pointa le doigt
sur la photo. Elliot s’approcha de plus près. Le petit-fils
observa.
— C’est qui ?
— La garce qui ennuie ta mère au boulot… Son visage
me dit quelque chose… Je crois la connaître… Mais d’où ?
— C’est une belle femme !
— De l’extérieur, ouais !
À l’aide des touches du clavier, le grand-père captura
l’écran.
— Qu’elle ose foutre ta mère à la porte… Et elle aura
affaire à moi !
— Elle veut virer Maman ?
— Ne t’inquiète pas, je suis là !

Les Membres de La Secte continuaient d’applaudir


Nathalie. Celle-ci en avait assez. La chef s’énerva.
— Ça suffit, maintenant !
Tout le monde se tut. Un silence régna. Les lumières de
la salle se mirent à clignoter. Angoissée, Karen se cacha
derrière une colonne. Soudain, un épais nuage de fumée

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enveloppa Nathalie. Une odeur de pneu brûlé se répandit
dans toute la salle. L’odeur remontait jusqu’au nez de
Karen. Répugnée, la mère d’Elliot boucha ses narines. Ce
qu’elle vit ensuite la fit trembler.
Nathalie Cursey commença à se transformer en une
affreuse créature. C’était un monstre, un squelette pourri
dépourvu de chair. Il lui restait encore sa peau putride sur
les os. Le monstre était vêtu d’une longue cape noire. Son
crâne était caché sous une capuche où ses yeux rouges
flamboyants brillaient telles les flammes de l’enfer…
Karen rencontrait pour la première fois le Seigneur des
Ténèbres.

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CHAPITRE 8

Le Seigneur des Ténèbres

Le Seigneur des Ténèbres regarda les Membres de La


Secte. Celui-ci grogna. Le démon bouillonnait de colère.
D’une voix caverneuse et diabolique, il hurla :
— HONTE À VOUS !
Sa voix démoniaque résonnait dans toute la salle. Les
Membres se mirent à chuchoter entre eux. Ils ne
comprenaient pas.
— SILENCE !!!
Au balcon, Karen claquait des dents. Elle avait peur.
Nathalie, le Seigneur des Ténèbres ? Qui pouvait croire
une chose pareille ? Lorsque la mère d’Elliot pensa à son
mari, celle-ci eut les larmes aux yeux.
« Pauvre William… Il est parti pour rien ! », se dit-elle.
Karen se tapa la main sur le front.
« Idiote que je suis… Pourquoi n’ai-je pas vu ça
avant ? »
La mère d’Elliot travaillait avec cette créature… Elle
obéissait, elle acceptait les heures supplémentaires et se
faisait évaluer par ce démon !

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Le Seigneur des Ténèbres pointa son doigt griffu vers
les Membres.
— Vous ne serez jamais à la hauteur de vos confrères !
Dans les autres pays, ils hypnotisent des milliers de
serviteurs par mois ! En Suisse, n’en parlons même pas…
La nièce de mon Adjointe est une championne ! La
meilleure de vous tous, pauvres misérables ! Ici, je n’ai
droit qu’à une dizaine d’Hypnotisés par semaine ! C’est
nul !
Un père de famille se leva.
— On y arrivera, Messire !
— En vous faisant passer pour des Témoins de
Jéhovah ? Vous les faites fuir ! Vous n’avez rien compris !
Une femme assise au milieu demanda :
— Quelle est la solution, alors ?
Le Seigneur des Ténèbres avança de quelques pas. La
traîne de sa cape suivait son mouvement.
— Habillez-vous normalement lorsque vous hypnotisez
des victimes ! Bannissez les vêtements de cérémonie !
Un ado, assis devant, posa une question.
— Messire, devons-nous encore leur tendre les
brochures ?
— Éradiquez-les ! Avec ces livrets ridicules, vous avez
l’air d’une communauté religieuse !
Un vieillard du fond lança :
— Et l’Adjointe ? Pourquoi elle ne nous aide pas ?
Le démon de La Secte sourit, laissant apparaître une
série de crocs pointus qui effrayait le vieux.
— Teresa prépare une invention magique, mes chers…
Vous verrez bientôt cela !
Le Seigneur des Ténèbres ricana. Son rire était
machiavélique. Derrière les balustrades, Karen, en proie à

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la terreur, se mordillait les doigts. Celle-ci craignait pour
son fils. Soudain, la mère d’Elliot éternua.
« Merde… », se dit-elle.
En bas, le Seigneur des Ténèbres se saisit. Furieux, il
regarda autour de lui. Un enfant de La Secte s’écria :
— Ça vient d’en haut !
Le démon leva la tête vers le balcon. Ses yeux rouges
s’enflammèrent. Karen sentit son cœur battre à un rythme
accéléré. Elle s’abaissa pour se cacher.
Le Seigneur des Ténèbres rugit de fureur.
— J’ai cru voir un intrus…
Excitée, une femme demanda :
— Un Ange maléfique ?
— Non… Bref, ça n’a pas d’importance !
La mère d’Elliot s’essuya le front, soulagée.

En fin d’après-midi, Papy Richie regardait la télévision.


Elliot l’interrompit.
— Comment reconnaître la famille des Pourris ?
Le grand-père baissa le volume.
— Ils ont aussi une cicatrice sur le poignet… Sauf qu’en
plus, ils sentent l’ordure !
— C’est-à-dire ?
— Vous, les Anges, vous pouvez ressentir la présence
d’un Pourri grâce à sa puanteur !
— Quand tu parles « d’ordure », ça signifie… Ce qu’on
trouve dans les poubelles ?
— Oui ! Si un jour, tu croises une personne qui sent
cette odeur et porte la cicatrice… Tu sauras que c’est un
Pourri !

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— Intéressant… Merci, Papy !
Le grand-père lança un clin d’œil à son petit-fils. Celui-
ci sourit.
Au moment de monter dans sa chambre, l’Ange fit
demi-tour et retourna au salon.
— Une dernière chose, Papy…
— Quoi ?
— Les Pourris participent aussi aux réunions de La
Secte ?
— Ben, non. Ils sont dispensés. Je te l’ai dit, mon
grand : ils sont supérieurs aux Membres ! Claudia Palmer
est la Fondatrice, sa sœur est l’Adjointe… Ça explique
tout !

Dans la salle, le Seigneur des Ténèbres conclut la


réunion.
— Hypnotisez sans cesse et partout ! Ne vous limitez
pas au porte-à-porte ! Obéissez-moi et vous irez loin !
Les Membres applaudirent. Vaniteux, le démon s’écria :
— MORT AUX ANGES MALÉFIQUES !
Les Membres répétèrent en chœur :
— MORT AUX ANGES MALÉFIQUES !!!
Au balcon, Karen pleurait. Celle-ci vivait un véritable
cauchemar.
Une fumée rose entoura le Seigneur des Ténèbres.
Nathalie Cursey réapparut. La chef mâcha un chewing-
gum et frotta son blazer noir. De la poussière tomba.
Nathalie arrangea le col de son chemisier.
— C’est clair pour tout le monde ?
Les Membres de La Secte acquiescèrent.

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— Magnifique ! Vous pouvez partir !
Les familles se précipitèrent vers la sortie. Les chaises
grinçaient, les enfants criaient et d’autres personnes se
bousculaient.
Karen attendit que la salle se vide. Devait-elle tout dire
à son père ? En parler à Susan ? Prévenir Elliot ?
Une fois tout le monde parti, elle quitta ce lieu maudit.
En rentrant dans la voiture, la mère d’Elliot n’en
revenait toujours pas. La chef de Manno était… le
Seigneur des Ténèbres !

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CHAPITRE 9

Elle travaille à côté !

Au lever du soleil, Angèle débarqua dans la cuisine.


Celle-ci portait un short et des baskets, prête pour aller à la
plaine. D’une traite, l’Ange but un verre de jus d’orange.
Sa grand-mère arriva. Susan s’était mis du gel sur ses
cheveux blond platine.
— T’as bien dormi, mon cœur ?
— Oui ! Et toi ?
— Bof…
La veille, la grand-mère avait pris un calmant. Elle ne
pouvait plus supporter la chef et Mary.
Susan n’avait pas encore ouvert WhatsApp. Pendant
qu’elle beurrait du pain, elle parcourut les messages. Tout à
coup, elle arrêta de tartiner.
« Faut qu’on parle, c’est urgent ! On se voit au boulot.
Karen »
Les yeux grands ouverts, la syndicaliste était inquiète.
Sa petite-fille l’observa.
— Ça va, Mamie ?
— Oui, oui…

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Susan ne comprenait pas ce message. Qu’est-ce que ça
signifiait ?

Karen emmena son fils dans la voiture. Le visage


blême, la mère avait des petits yeux larmoyants. Celle-ci
avait pleuré toute la nuit.
Assis sur la banquette arrière, l’Ange, préoccupé,
demanda :
— Maman, que se passe-t-il ?
— Ne t’en fais pas, chéri… Je vais bien !
Dehors, Papy Richie se tenait devant la porte. Depuis ce
matin, sa fille n’était pas comme habitude. Cette dernière
broyait du noir. Le grand-père avait de la peine pour elle.
Comment pouvait-il l’aider si Karen ne disait rien ?
La voiture démarra et partit. Affligé, Papy Richie rentra.
Tôt ou tard, il allait savoir ce qui n’allait pas chez sa fille.

Avant l’ouverture du magasin, la chef, feuilles en


mains, rassembla les vendeuses pour le briefing. Celle-ci
avait fait un dégradé sur ses cheveux courts. Le vernis
rouge de ses ongles émettait une lumière vive. Maquillée
d’un fond de teint agressif, Nathalie regarda l’ensemble de
ses collègues. Karen et Susan se trouvaient à l’arrière du
groupe. La syndicaliste murmura :
— Alors, que veux-tu me dire ?
— Pas maintenant…
La chef commença.
— Hier, nous avons bien travaillé ! Le chiffre a

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augmenté ! Bravo !
Une vendeuse lança :
— C’est grâce à Nelly, elle a vraiment le sens du
commerce !
Exaspérée, Nathalie cilla des yeux.
— Mary vend des sacs à 2000 dollars… C’est pas
magnifique, ça ?
Susan chuchota :
— On s’en fout de cette mégère !
À l’extérieur de Manno, l’annonce de la galerie retentit.
« Bonjour, il est 10 heures ! Vos magasins ouvrent ! On
vous souhaite un agréable shopping ! »
Les volets de Manno se levèrent. La chef termina :
— Respectez vos heures de table et n’oubliez pas de
porter le badge !
Les vendeuses se dispersèrent. Au moment où Karen
voulut parler à la syndicaliste, Nathalie s’interposa entre
elles.
— Susan, tu dois monter au bureau !
— Pourquoi ?
— Rien de grave, t’inquiète !
Gênée, Susan regarda la mère d’Elliot. Impatiente, la
chef l’attendait. La syndicaliste finit par suivre Nathalie
Cursey.
Aujourd’hui, Karen devait s’occuper des emballages
cadeaux. Le visage effrayant du Seigneur des Ténèbres lui
revenait sans cesse. Il était là, chez Manno… C’était sa
chef !
La mère d’Elliot résista et décida de ne plus y penser.

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Dans leur cabane, les Anges étaient installés sur le
matelas. Tandis qu’Angèle rongeait ses ongles, Elliot
confia :
— Ma mère était bizarre, ce matin…
— Mamie s’est couchée tôt, hier soir… Elle qui
s’endort toujours à minuit !
— Tu crois qu’elles ont un secret ?
— Aucune idée. C’est louche, je trouve…
Au bas de l’arbre, des enfants jouaient à cache-cache.
Sur le terrain, un animateur sifflait pour recadrer certains
turbulents. Les oiseaux chantaient. Les rayons de soleil
traversèrent la fenêtre (sans vitre) de la cabane.
La petite-fille de Susan lança :
— Tu m’as toujours rien dit au sujet des Pourris ! Ton
grand-père devait t’en révéler plus !
— Accroche-toi… Ces gens sont bien pires que les
autres Membres !
— Balance, je veux tout savoir !
Elliot transmit à son amie ce que Papy Richie lui avait
raconté. Intriguée, Angèle écoutait avec attention.

Karen emballait un parfum, une femme se dirigea vers


elle. Celle-ci n’était pas plus haute que trois pommes et
avait les cheveux crollés noirs. Ses boucles rebondissaient
à chacun de ses pas. Cette femme avait le nez pointu. Son
nez était crochu comme celui d’un perroquet. Quelques
rides creusaient la peau de son visage. L’individu portait
un pull décolleté avec un jeans et des bottines.
Lorsque la mère d’Elliot leva la tête, elle se saisit.
Margaret Raven se tenait devant le comptoir. La Pourrie

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sentait le tabac. D’une voix rauque, celle-ci menaça Karen.
— Fais gaffe, je travaille à côté !
— Je m’en fiche ! Si tu viens encore, j’appelle la
police !
Margaret ricana et quitta le magasin. Déboussolée, la
mère d’Elliot sortit du comptoir, les larmes aux yeux. Nelly
remarqua l’état de sa collègue.
— Pourquoi pleures-tu, ma chérie ?
Karen se moucha.
— C’est rien…
— C’était qui cette femme ? J’ai vu qu’elle te
provoquait !
La mère d’Elliot pensa aux Pourries. Teresa et Margaret
voulaient la tuer. L’Ange n’avait qu’un an à l’époque…
— Une mauvaise rencontre…
Nelly jeta un œil sur son rayon.
— Je reprends ta caisse, va respirer un peu !
— T’es sûre ?
— Oui, elles sont beaucoup de toute façon !
— Merci…
Karen se réfugia dans les vestiaires. Celle-ci sanglota.
« Le Seigneur des Ténèbres… Et maintenant, une
Pourrie ! Qu’ai-je fait au Bon Dieu ? », se lamenta-t-elle.
Un agent de la sécurité l’entendit pleurer. Le vigile
s’approcha de la jeune femme.
— Que se passe-t-il, Karen ? Pourquoi tu pleures ?
— Elle… Elle…
— Calme-toi, respire un peu ! Veux-tu un verre d’eau ?
Les sanglots étouffaient la mère d’Elliot.
— Non… Merci…
— On t’a ennuyée ?
Une voix retentit dans le couloir.

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— Tiens, tiens…
Karen tourna la tête. C’était Nathalie. La mère d’Elliot
se mit à trembler.
— Non, pas elle !
Le vigile recula.
— Bonjour, Madame Cursey.
— Salut… Il y a un souci ?
— Elle n’est pas dans son assiette, Madame…
— Est-ce une raison pour fuir le travail, Karen ?
La mère d’Elliot n’osait pas regarder la chef dans les
yeux. À présent, elle la craignait.
— Madame, je dois l’emmener au bureau… C’est dans
notre…
Nathalie cria :
— Hors de question ! Elle ira dans le mien !
Karen ressentit un grand froid intérieur. Elle stressait.
Sa chef allait-elle se transformer ? La mère d’Elliot ne
voulait pas revoir cette hideuse créature.
— Comme vous voudrez, Madame… Karen, si tu as
besoin, je suis là !
La chef ordonna :
— Dispose et laisse-nous !
La tête baissée, le vigile continua son chemin. D’une
voix calme, Nathalie dit :
— Suis-moi, Karen…
À contrecœur, la mère d’Elliot obéit à sa responsable,
alias le Seigneur des Ténèbres.

Le bureau de Nathalie Cursey se situait près des cabines


d’essayage. Celui-ci était petit. Derrière l’ordinateur, la chef

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fixait Karen. La tête penchée, cette dernière regardait le sol.
— Karen, je suis ta responsable et je suis là pour régler
tous les problèmes !
La mère d’Elliot était terrifiée. Le Seigneur des
Ténèbres parlait comme une femme, il agissait comme une
femme, il ressemblait à une femme…
— Une personne m’a harcelée pendant que je
travaillais…
Nathalie sourit.
— Qui peut bien t’embêter, enfin ?
— Elle travaille juste à côté…
— Ah, mais oui… Tu connais Margaret ?
— Ne faites pas semblant, Messire…
Choquée, la chef haussa les sourcils.
— Comment m’as-tu appelée ?
Une pensée redonna du courage à Karen. C’était
William Cropper. La mère d’Elliot leva la tête. D’un air
sournois, elle souriait.
— Je n’ai pas peur de vous, je sais qui vous êtes !
Nathalie ricana.
— Arrête ce cinéma, ma belle ! Bientôt, Margaret
intégrera Manno !
— Si jamais vous l’engagez, je fais intervenir le
syndicat !
La chef éclata de rire.
— T’es un sacré numéro, toi ! Je comprends… Deux
femmes avec leur Ange « chéri »…
Karen retomba dans l’angoisse. Celle-ci regretta sa
raillerie et se dirigea vers la porte. Avant qu’elle ne puisse
l’atteindre, la mère d’Elliot sentit une force invisible la
retenir. La voix du Seigneur des Ténèbres résonna dans sa
tête.

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« Je me débarrasserai un jour de ton sale petit
morveux ! »
Karen entendit des crépitements de feu. Des cris de
douleur se faisaient écho. La mère d’Elliot se croyait en
enfer…
Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Karen se trouvait déjà près
des caisses. Celle-ci transpirait. Le Seigneur des Ténèbres
savait tout depuis le début.

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CHAPITRE 10

Plan échoué

Dans la matinée du 30 juillet, deux jeunes hommes se


baignaient à la plage. Jason et Andrew se connaissaient
depuis le lycée. Ceux-ci venaient d’être diplômés
d’Harvard.
L’eau de la mer était tiède. Jason et Andrew nageaient.
La plage était déserte. Une jeune fille longeait la côte au
loin. Celle-ci avançait vers les deux amis et marchait pieds
nus. La demoiselle aux longs cheveux noirs portait une
robe en satin vert émeraude. Le vent de la mer soulevait
légèrement sa robe. La jeune fille chantait. Sa voix, la plus
belle du monde, montait dans les aiguës. Jason et Andrew
se regardèrent, fascinés par cette beauté.
— Quelle bombe…
Jason saisit le bras de son ami.
— Andy, elle se dirige vers toi !
Andrew tourna la tête. La jeune fille marchait dans sa
direction. Soudain, elle s’orienta plus vers Jason. Andrew
fit une petite tape à son ami.
— Non, regarde… C’est toi qu’elle veut !

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La demoiselle se trouvait maintenant devant eux. Elle
arrêta de chanter et fixa les deux garçons. Un tourbillon
tournoyait dans les yeux de Jason et d’Andrew. Ceux-ci
n’entendaient plus les vagues ni les mouettes. Hypnotisés,
ils imaginaient embrasser cette jeune fille. Dans leur rêve,
des Anges maléfiques les en empêchaient. Jason et Andrew
voulaient tuer ces immondes créatures. La Membre de La
Secte s’adressa aux deux amis.
— Étranglez-les… Au travail !
Les Hypnotisés marchèrent le long de la plage à la
recherche d’Anges maléfiques.

Au-dessus de l’arbre, dans leur quartier général, Angèle


récapitula pour Elliot tout ce qu’il lui avait raconté au sujet
des Pourris.
— La famille des Pourris est donc notre ennemie
numéro 1… Rita envoie des kidnappeurs Hypnotisés pour
capturer des Anges. Peggy, la sorcière, utilise sa magie
noire contre nous. Sylvia, la plus dangereuse de tous, se
déguise pour hypnotiser des milliers de victimes par
semaine…
La petite-fille de Susan s’arrêta. Hésitante, elle
demanda :
— Quel est encore le nom du frère ?
— John !
— Ah, oui… Le chanteur de karaoké !
Angèle se coiffa avec une brosse. Elliot rappela :
— T’as oublié Margaret !
— Ah, l’hystérique de la famille !
— Oui…

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Le petit-fils de Papy Richie avait des crampes au ventre.
Margaret… Celle qui, avec l’Adjointe, voulait tuer ses
parents.
À la plaine, un nouveau semait la terreur. Il s’appelait
Marvin et avait 7 ans. C’était un gamin aux traits
caucasiens. Celui-ci portait des lunettes rondes qui lui
donnaient un air d’Harry Potter.
Marvin lançait des cailloux sur les autres enfants et les
insultait. Il se mettait tout le monde à dos. Un animateur
saisit Marvin par le bras et le mit au coin.
En bas de l’arbre, un des enfants avertit les Anges.
— Ne vous approchez pas du nouveau, c’est un voyou !
Par la fenêtre de la cabane, Elliot demanda :
— Quoi, il vous frappe ?
— Il nous jette des cailloux !
Angèle lança :
— S’il vous embête encore, venez chez nous, il y a
assez de place !
— C’est gentil ! De toute façon, il est puni !
Après la mise en garde, le garçon retourna jouer avec
ses amis. Les Anges ne se souciaient plus trop de l’arrivée
du nouveau, tant que celui-ci n’était pas un Hypnotisé, un
Membre ou pire, un Pourri.
Isolé sur un banc, Marvin éclatait de rire. Ce gamin était
différent des autres…

Dans un dépôt, Arach Bogman torturait un Ange. Celui-


ci avait une quarantaine d’années. Les mains liées, l’Ange
transpirait, cheveux mouillés et visage ensanglanté. Une
lampe, dirigée vers lui, l’aveuglait. La victime cligna des

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yeux. Elle sanglotait.
— Par pitié… Libérez-moi !
Arach rit à gorge déployée.
— Ça ne sert à rien de pleurer… Tu ne partiras pas !
Le Sanguinaire se dirigea vers une table en bois. Le
meuble présentait toutes sortes de couteaux. Tourmenté,
l’Ange demanda :
— Qu’allez-vous me faire ?
L’Hypnotisé prit une machette et se retourna. Arach
sourit à son prisonnier.
— Tu verras bien…
— NAAAN !!!

Au magasin, Susan cherchait Nelly partout. Manno était


rempli de monde. La syndicaliste slalomait entre les
rayons. Elle avait une bonne nouvelle pour la jeune
vendeuse. Le gérant était d’accord pour engager Nelly
définitivement. Celle-ci ne serait plus temporaire. Avant, la
chef devait l’évaluer. Susan avait insisté pour défendre la
jeune vendeuse lors de son évaluation mais Nathalie avait
refusé. Face à cette décision, la syndicaliste était en colère.
En chemiserie, Martin était de bonne humeur. Il riait
tout le temps. Karen s’en réjouissait. Le vendeur lui lança :
— Hier, j’ai vu un ovni dans mon jardin…
— Sérieux ?
Martin pouffa de rire. D’un sourire, la mère d’Elliot le
repoussa.
— Sacré coquin !
Mary Bogman était dans les parages. La Membre
marchait à grands pas. Elle se prenait pour une reine. Mary

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avait observés les deux vendeurs.
— Waw, je vois que Martin a repris ses pilules !
Celui-ci devint sérieux. Humilié, Martin continua de
ranger les chemises. Karen dévisagea la Membre.
— Va-t’en, tu n’es pas dans ton rayon !
Mary s’esclaffa.
— Ce magasin ne t’appartient pas, ma chère !
— Retourne chez ta chef « adorée » !
D’un air méfiant, la Membre regarda la mère d’Elliot.
Elle murmura :
— Notre Seigneur t’a vue dans la salle, en train de nous
espionner !
Karen trémula. Celle-ci se sentit impuissante. Mary
Bogman repartit dans son rayon en chantant. Perturbée, la
mère d’Elliot déballa la marchandise.

En fin d’après-midi, les parents récupérèrent leurs


enfants à la plaine. Devant la grille, une grand-mère
chercha son petit-fils des yeux. C’était une grande dame
aux cheveux blonds. La vieille avait un visage ridé avec de
gros cernes creux. Elle portait une blouse blanche plissée et
une longue jupe. L’individu tenait un sac à main. De loin,
Marvin courut chez sa grand-mère. Celle-ci embrassa son
petit-fils. Elle aborda ensuite un animateur pour lui
demander quelque chose…
Pendant que les Anges jouaient sur un toboggan,
l’animateur avança vers eux.
— Elliot ?
— Euh… Oui, Alex ?
— Une personne voudrait te voir !

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— Qui ça ?
Elliot glissa sur la rampe inclinée. Angèle le suivit.
L’animateur montra du doigt la grand-mère de Marvin.
— Tu vois cette dame ?
— Oui…
L’Ange ne la connaissait pas. La vieille lui sourit. Qui
était cette mystérieuse inconnue ?
— C’est la meilleure amie de ton Papy !
« Papy est ami avec cette femme ? Il ne me l’a jamais
présentée ! », pensa Elliot.
— Elle s’est arrangée avec ton grand-père pour te
déposer à la maison !
L’Ange était tout excité.
— C’est vrai ?
— Oui, bonhomme !
Sans réfléchir, Elliot fila vers la grand-mère de Marvin.
De son sac, celle-ci sortit une paire de gants en cuir verni
noir. Alors que la vieille enfilait un gant, Angèle, à
plusieurs mètres, aperçut une croûte rougeâtre qui se
formait sur le poignet de la grand-mère… C’était la
cicatrice !
Horrifiée, la petite-fille de Susan se dépêcha pour
rattraper son ami et l’arrêta.
— T’as perdu la tête ou quoi ?
L’Ange s’énerva.
— Lâche-moi ! Qu’est-ce qui te prend ? C’est la
meilleure amie de Papy !
— Tu ne vois pas qu’elle te tend un piège ? Regarde son
poignet !
En voyant la cicatrice, Elliot, effrayé, recula. Soudain, il
sentit une odeur. Angèle aussi. L’odeur était un mélange de
moisissure, de boue, de poisson et de viande avariée.

76
Dégoûtés, les Anges se pincèrent le nez. Ils avaient la
nausée. Avec une voix de canard, la petite-fille de Susan
demanda :
— D’où vient cette puanteur ?
Elliot regarda la vieille. Cette dernière se mit à rire. À
côté de sa grand-mère, Marvin tira la langue aux Anges.
Elliot s’exclama :
— J’ai compris !
— Quoi ?
— La grand-mère de Marvin… Elle fait partie de la
famille des Pourris !
— Comment tu peux savoir ça ?
— Grâce à cette puanteur !
— Hein ?
— Ah ouais, j’avais oublié de t’expliquer ce détail…
Un surveillant s’approcha des Anges et se mit à rire.
— Qu’est-ce qui pue, ici ? Vous êtes trop bizarres, les
gars…
Elliot entraîna Angèle plus loin et lui parla du dernier
élément à propos de La Secte : comment distinguer un
Membre d’un Pourri.
L’Adjointe du Seigneur des Ténèbres repartit avec son
petit-fils. Son plan, tuer Elliot Cropper, avait échoué…

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CHAPITRE 11

L’Arme redoutable

Jason et Andrew échouèrent près des rochers. Le


coucher du soleil se reflétait sur la mer. Assis par terre, un
vieil homme contemplait l’horizon. Une lumière émanait
de ses yeux. C’était un Ange.
Les Hypnotisés avancèrent lentement vers le vieux. Les
deux amis se léchèrent les babines. Ils tenaient leur première
victime.
L’Ange tourna la tête et vit les Hypnotisés. Épouvanté,
celui-ci se leva. La lumière de ses yeux s’éteignit. Avant qu’il
n’ait pu prendre la fuite, Jason se jeta sur le vieil homme.
L’Hypnotisé étrangla l’Ange maléfique de toutes ses forces.
Le visage de Jason était inondé de sueur. Le vieux se tortillait
dans tous les sens. Ses mouvements brusques laissèrent des
traces sur le sable. La figure de l’Ange devenait pourpre. Le
sang lui montait à la tête. Debout, Andrew observait son
meilleur ami assassiner un Ange maléfique. Il sourit.
— Oui… C’est bien… Continue, Jason…
Le vieil homme finit par ne plus respirer. Celui-ci était
mort.

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Jason se releva, se frotta les mains et regarda son pote.
— Allons tuer d’autres Anges maléfiques… Le
Seigneur des Ténèbres nous l’ordonne !
Les Hypnotisés escaladèrent les rochers. Les deux amis
poursuivirent leur chasse aux Anges maléfiques.

Tandis qu’Elliot dormait, Karen décida de tout raconter à


son père. Celle-ci était au bout du rouleau. Au travail, elle
vivait dans la peur et l’angoisse. La mère d’Elliot n’avait
toujours rien dit à Susan. La syndicaliste était fort sollicitée.
Elle devait gérer beaucoup de problèmes au sein du magasin.
Karen s’approcha de son père. Papy Richie était assis
sur le divan. Il regardait la télévision. Lorsqu’il vit sa fille
près de lui, le grand-père diminua le volume. La mère
d’Elliot était pâle. Elle avait froid et était encore plus
mince qu’avant.
— Que se passe-t-il, ma chérie ? T’es malade ?
— Je suis en train de vivre un vrai cauchemar, Papa…
— Raconte !
Papy Richie prit la main de sa fille et la caressa.
— Une Membre de La Secte travaille chez nous…
— Merde…
Karen commença à chevroter.
— Une Pourrie est venue me trouver… au boulot. Elle
m’a menacée…
— Laquelle ?
— L’Hystérique !
Le grand-père soupira.
— Elle ne nous laissera jamais tranquilles… Donne ta
démission !

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La mère d’Elliot s’énerva.
— Nan ! Ce travail, c’est ma vie ! J’aime ce boulot et je
ne veux pas le quitter !
En colère, Papy Richie se leva.
— D’accord, comme tu voudras… Si mon petit-fils est
en danger, ça sera de ta faute !
Karen dévisagea son père.
— Tu me dégoûtes, t’es qu’un sale égoïste !
— Égoïste ? Moi ? Vingt ans que je me suis éloigné des
Pourris… Vingt ans ! La guerre contre les Anges vient
d’eux, ne l’oublie pas !
— C’est toi qui as provoqué cette guerre, à cause de ton
erreur de jeunesse !
— Pardon ? Répète ce que tu viens de dire !
— La vérité blesse, Papa !
Désemparé, Papy Richie saisit la télécommande et la
jeta violemment par terre. Il pointa sa fille du doigt.
— Ne m’adresse plus la parole !
Vexée, la mère d’Elliot prit ses affaires et partit. En
pleurs, elle démarra la voiture et se rendit à sa propre
maison. La demeure se situait à un kilomètre de chez son
père. Celle-ci était inhabitée depuis la disparition de
William Cropper. Isolée, la maison se trouvait en face d’un
bois. Une route les séparait. Une bordure en pavés
entourait le domicile. Des fois, Papy Richie passait
s’occuper du jardin. Karen nettoyait souvent la maison.
Lorsqu’elle le faisait, elle ne restait pas longtemps. Trop de
souvenirs…
La mère d’Elliot se gara devant la porte et coupa le
moteur. Karen regarda, à travers la fenêtre de la voiture,
son ancien chez elle. Elle se mit à pleurer.

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*

Face au miroir de la chambre, Arach boutonna sa


chemise noire. Le Sanguinaire se parfuma. Il caressa la
balafre de sa joue et sourit. Le soleil commençait à se
lever.
Mary débarqua. Maquillée, celle-ci venait de la salle de
bains. La Membre étala un peu de pommade sur sa
cicatrice. La marque s’effaça.
Avec leurs habits noirs, les Bogman étaient prêts pour la
réunion. Arach sortit du tiroir une main coupée. Celle-ci
appartenait à l’Ange qu’il avait torturé. Il y avait encore
une trace de sang séché. Le Sanguinaire leva la main
démembrée et la présenta à sa femme.
— Voici notre trophée…
— Chéri, nous allons arriver en retard à la réunion !
L’Hypnotisé serra la main coupée contre lui. Un
morceau de chair tomba de la partie tranchée. Arach se mit
à rire.
Les Bogman quittèrent la maison. Le Seigneur des
Ténèbres avait une nouvelle importante à annoncer aux
Membres…

Papy Richie se réveilla en sursaut. Celui-ci transpirait


de partout. Le grand-père avait passé une mauvaise nuit.
Dans la cuisine, Papy Richie rata plusieurs fois son café.
Après un quatrième essai, la cafetière fuita. Énervé, le
grand-père frappa son poing sur la table.
— Merde !
Il alla dans la chambre de sa fille. Était-elle rentrée ?

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Lorsque Papy Richie ouvrit la porte, il fronça les
sourcils. Il n’y avait personne.
— Où peut-elle bien être ?
Le grand-père redescendit. Il brancha la radio. On
parlait du meurtre d’un vieil homme à la mer. Papy Richie
augmenta le volume.
« C’est ici, sur la plage de Paradise Beach, qu’a été
retrouvé le corps de Ted Packson, âgé de 75 ans. Il aurait
été étranglé. Le message « Pour vous, mon Seigneur… » »
Le grand-père retira la prise. Il ne voulait plus entendre
ces choses-là. Avant d’accompagner Elliot à la plaine,
Papy Richie prépara le petit déjeuner.
Dans son lit, l’Ange repensait à la Pourrie qui l’avait
attendu à la sortie. Cette vieille femme lui faisait peur…
Pour l’instant, Elliot décida de ne pas en parler à sa famille.

Dans la salle, les Membres de La Secte attendaient.


Ceux-ci bougeaient les jambes et s’impatientaient.
Nathalie Cursey arriva. La chef monta sur l’estrade.
Tout le monde l’applaudit. Elle prit le micro. Les Membres
cessèrent de l’acclamer.
— Notre heure de gloire est arrivée… Nous allons
pouvoir étrangler nos ennemis… sans brûler nos mains !
Les Membres de La Secte poussèrent des cris de joie.
Un faisceau rouge lumineux se propagea sur Nathalie. La
femme charmante disparut et laissa apparaître le Seigneur
des Ténèbres.
Vêtu de sa cape encapuchonnée, le démon ricana. Son
visage de squelette faisait trembler quelques enfants. Le
Seigneur des Ténèbres tenait des gants dans ses mains

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griffues. Ceux-ci étaient en cuir verni noir. Le démon les
montra à l’assemblée.
— Je vous présente l’Arme du siècle ! Elle a été
inventée par mon Adjointe, Teresa !
Émerveillés, les Membres regardèrent les gants. Ils
bavaient.
— Ces gants sont ensorcelés ! En les enfilant, vos mains
seront protégées ! Le cou des Anges maléfiques ne vous
brûlera plus !
Un homme demanda :
— Et si on les retire ?
Le Seigneur des Ténèbres sourit.
— Vos mains se réduiront en cendres !
Une adolescente se leva.
— Avez-vous suffisamment de paires pour nous tous ?
— Non, il n’y a que celle-ci !
Au fond de la salle, une dame lança :
— Une paire ? Pour les millions que nous sommes ?
C’est pas juste !
Un vieillard s’écria :
— Madame Palmer a bâclé son travail !
Les Membres de La Secte se mirent à huer. Les
flammes de l’enfer tourbillonnèrent dans les yeux du
démon. Le Seigneur des Ténèbres serra les crocs. Furieux,
il hurla :
— TAISEZ-VOUS !!!
Les Membres arrêtèrent. Le gourou diabolique
expliqua :
— La création de l’Arme ne pouvait fonctionner qu’une
fois !
Au premier rang, Mary demanda :
— Comment allons-nous faire, Messire ?

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— Vous allez devoir vous les partager ! Cette paire de
gants ira de famille en famille… Mais avant, c’est moi qui
les utiliserai ! Vous autres, continuez à hypnotiser ! Notre
communauté doit encore s’agrandir !
En haut, cachée derrière la balustrade, Karen avait tout
entendu… Les Membres de La Secte pourront tuer eux-
mêmes les Anges maléfiques !

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CHAPITRE 12

Pauvre Nelly

En ce début août 2017, Papy Richie et Elliot marchaient


dans les bois. Ils avaient emprunté un raccourci pour se
rendre à la plaine. Les rayons de soleil illuminaient toute la
verdure de la forêt.
L’Ange pensait à sa mère. Cela faisait plusieurs jours
que celle-ci n’était pas rentrée à la maison. Pour apaiser
son petit-fils, Papy Richie inventait qu’elle avait pris des
vacances. Elliot oublia et préféra raconter sa rencontre avec
la présumée Pourrie.
— L’autre jour, une vieille femme a voulu me parler…
— Où ça ?
— À la sortie de la plaine.
— Comment était-elle ?
L’Ange s’arrêta un instant et ferma les yeux. Celui-ci
plongea dans ses souvenirs. Elliot se rappela le moment où
Angèle avait voulu l’arrêter dans son élan vers la vieille
dame. Il revit le sourire de la vieille et l’apparition de sa
cicatrice. L’odeur nauséabonde des ordures lui revint…
L’Ange rouvrit les yeux. Le grand-père restait près de
son petit-fils.

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— Une grande femme blonde avec des cernes… Elle
prétendait être ta meilleure amie !
— Elle mentait !
— Elle avait une cicatrice… sur le poignet ! Ça puait les
poubelles !
Papy Richie haussa les sourcils. Il murmura :
— Une Pourrie… Malheur !
— Elle voulait me raccompagner à la maison ! Angèle
m’a empêché d’aller chez cette femme !
— Angèle a bien fait, elle a été méfiante ! T’es encore
trop naïf, mon garçon !
Ils reprirent leur chemin. Elliot demanda :
— Tu sais qui est cette Pourrie ?
— Comme ça, non…
Le grand-père et son petit-fils arrivèrent à la sortie du
bois. L’Ange se remémora un détail.
— Avant qu’Angèle me retienne, la vieille était en train
d’enfiler des gants noirs…

Dans le magasin, Nelly bondissait gaiement. Susan lui


avait annoncé la bonne nouvelle. La jeune vendeuse allait
signer son contrat définitif. La syndicaliste lui conseilla de
canaliser son énergie. Au fond, Susan redoutait son
évaluation. La chef était mauvaise et était capable du pire…
Karen était en congé de maladie. Celle-ci ne donnait
plus signe de vie à la syndicaliste. Susan lui envoyait des
messages sur WhatsApp. La mère d’Elliot ne les lisait pas.
La syndicaliste était inquiète.
Alors que Nathalie se dirigeait vers le bureau, Susan
l’aborda.

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— Tous les travailleurs ont droit à une défense ! Je dois
être présente à cette évaluation !
La chef éclata de rire.
— Susan, nous en avons déjà discuté… C’est non !
— Pourquoi ?
— Le gérant a rejeté ta demande !
— Comment ?
Nathalie arriva devant la porte du bureau.
— Oui, il m’a écouté… À plus tard, Susan !
La chef entra et claqua la porte. Courroucée, la
syndicaliste marmonna :
— Elle a réussi son coup, cette vipère !

De bonne humeur, Nelly aida Martin en chemiserie.


Celui-ci était silencieux et ne souriait pas. Heureuse, la
jeune vendeuse chantonnait. Elle avait hâte de signer son
contrat définitif.
— Allez, Martin ! Où est passé ton sourire ?
— Laisse-moi tranquille, je ne vais pas bien !
— Sans blague !
Un client avança vers Nelly. L’individu tenait deux
chemises dans les mains. Il demanda :
— Laquelle m’irait le mieux, Madame ?
— La bleu marine, vous serez très élégant ! Je peux
vous en conseiller d’autres !
— Ça c’est un service de qualité ! Votre nom ?
— Nelly !
À cet instant, Nathalie débarqua. Celle-ci mâchait son
chewing-gum à la menthe. Le client regarda la chef.
— Vous êtes la gérante de ce magasin ?

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Nathalie cilla des yeux.
— Oui !
D’une main, le client désigna Nelly.
— Vous avez un bon élément, gardez-la !
La chef sourit.
— Ne vous en faites pas, les dés sont déjà jetés…
Nathalie tourna son regard vers la jeune vendeuse. Le
client emporta la chemise bleu marine jusqu’à la caisse. De
loin, il fit un clin d’œil à Nelly. Flattée, celle-ci regardait
dans le vague. La chef claqua des doigts. Nelly se ressaisit.
— Réveille-toi, c’est l’heure de ton évaluation !
— Susan sera là, j’espère ?
— T’oublie ! Monsieur Menren ne souhaite pas de
délégué syndical !
— Mais avant…
— On ne discute pas ! Suis-moi !
Martin les observait. Il baissa la tête. D’un air moqueur,
Nathalie lui lança :
— T’as pas pris tes pilules, Martin !
Une femme se gondola derrière la chef. Nathalie se
retourna. C’était Mary. La chef caressa son visage.
— Prend ta pause, ma chérie…
— Merci, Nath…
La Membre de La Secte tira la langue à la jeune
vendeuse. La cicatrice apparut soudain sur le poignet de
Mary. Avant de monter, la chef murmura :
— Cache-moi ça !
Vite, la Membre sortit le tube de pommade et se
précipita aux toilettes. Découragée, Nelly suivit la chef
jusqu’au bureau du gérant.
Grand et mince, le gérant de Manno avait de longues
jambes. La silhouette élancée de Monsieur Menren était

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comparable à celle d’une asperge. Le gérant portait
toujours un costume. Il n’était pas souvent au magasin.
Lors de ses absences, Nathalie gérait Manno.
La chef toqua à la porte. Monsieur Menren ouvrit.
— Super, vous êtes en avance !
Nelly entra la première et s’installa sur une chaise. La
jeune vendeuse flageola. Elle avait le trac. La chef prit
place au coin de la table. Le gérant s’assit en face de Nelly.
Celui-ci parcourut les feuilles de l’évaluation.
— Nelly… Il y a plusieurs facteurs…
— De quoi ?
Monsieur Menren leva les yeux de la feuille.
— Nous devons parler…
— Je n’aurai pas le contrat ? C’est ça ?
— Nelly, s’il vous plaît…
Nathalie coupa :
— Pouvons-nous commencer ? Je n’ai pas beaucoup de
temps !
— Allez-y, Madame Cursey…
La chef se racla la gorge. Nelly avait peur. Nathalie
commença la lecture de l’évaluation.
— Nelly est ponctuelle. Sa tenue est sobre et correcte
pour l’image du magasin. J’ai dû lui faire une fois la
remarque pour un décolleté…
Le gérant interrompit :
— Si vous n’êtes pas d’accord, dites-le-nous, Nelly !
La jeune vendeuse acquiesça. La chef reprit :
— Nelly doit apprendre à écouter sa hiérarchie. Nelly
provoque régulièrement des conflits…
Révoltée, Nelly se leva.
— C’est faux ! C’est depuis que…
D’une voix calme, Nathalie ordonna :

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— Rassois-toi et écoute !
Anxieuse, la jeune vendeuse regarda le gérant de
Manno.
— Monsieur, s’il vous plaît ! Vous savez bien que…
— Nelly… Obéissez à votre chef…
La jeune vendeuse se laissa tomber sur la chaise.
— Nelly est trop enthousiaste… C’est agaçant. Cela
crée des jalousies au sein du magasin…
— Mary me harcèle depuis le début ! Elle est envieuse
et méchante !
La chef haussa la voix.
— Je t’interdis de parler mal de Mary ! Elle travaille et
ne se mêle de rien !
Monsieur Menren voulut interagir. Nathalie fixa les
yeux du gérant. Celui-ci était hypnotisé.
— Nelly… Votre chef a raison…
— Réveillez-vous, enfin ! Elle est en train de vous
ensorceler !
La chef s’écria :
— Tais-toi !
Hypnotisé, Monsieur Menren lança :
— Nelly… Ce sont des remarques constructives… C’est
pour votre bien…
Réjouie de sa sorcellerie, Nathalie conclut :
— Nous avons décidé de ne plus continuer avec Nelly.
La jeune vendeuse perdit son sang-froid. Celle-ci se
releva, bouscula la chef et éclata en sanglots.
— T’es qu’une sorcière !!! Je vous déteste, toi et ta
Mary !!!
Nathalie saisit Nelly par le bras. La jeune vendeuse y
sentit une force de lion. La chef émit soudain un
grognement qui n’avait rien d’humain. Effrayée, Nelly

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recula. Nathalie Cursey se mit à rire et quitta le bureau. La
jeune vendeuse continua de pleurer. Monsieur Menren
revint à lui.
— Nelly ? Que se passe-t-il ? Pourquoi pleurez-vous ?
— Elle m’a virée !
— Personne ne peut vous virer à part moi ! Vous êtes la
meilleure !
Nelly lui balança la feuille d’évaluation. Le gérant lut le
contenu et s’exclama :
— J’ai signé ce papier ? Moi ? Où est-il indiqué qu’on
vous licencie ?
— Elle vous a piégé !
À nouveau hypnotisé, Monsieur Menren soupira.
— Nelly, si j’ai signé ce papier… C’est que nous
devons nous dire au revoir…
— Nan, pitié !!! Je ne gagnerai pas assez au chômage !!!
Je dois payer mon loyer !!!
La porte du bureau s’ouvrit. Madame Logis entra. Avec
tendresse, l’assistante prit les mains de la jeune vendeuse.
— Allons, ma chère, calmez-vous…
— Je suis virée, Madame Logis !
Le gérant se ressaisit. L’hypnose était repartie. Madame
Logis s’installa près de Nelly et lui caressa les cheveux. En
pleurs, la jeune vendeuse suffoquait, visage rosé et plein de
larmes. L’assistante la serra contre elle. Madame Logis
tapota sur le dos de sa collègue.
— Cela vous dirait d’habiter chez moi ?
Nelly cessa de pleurer et se releva.
— J’aurais pas envie de…
— Vous êtes la bienvenue ! Je m’occuperai bien de
vous !
Le gérant lança :

93
— Dites oui, Nelly !
La jeune vendeuse finit par accepter et enlaça
l’assistante. Pendant ce temps, Monsieur Menren avait des
hallucinations… Il revoyait les Anges maléfiques
s’approcher de lui.

94
CHAPITRE 13

Margaret infecte Manno

Au petit matin, Karen Vilton se réveilla dans la chambre


où elle dormait autrefois. Celle-ci, peinte en orange, était
spacieuse. La pièce possédait un velux qui donnait vue sur
le bois. Allongée, la mère d’Elliot fixait le plafond. Elle
passa une main sur l’autre oreiller. Non, William n’était
plus à ses côtés. À présent, il n’était plus qu’un souvenir…
Karen enfila son pyjama, se frotta les yeux et bâilla. La
mère d’Elliot traîna les pieds jusque dans la cuisine. Près
de l’évier, son iPhone était branché. Karen débrancha
l’appareil et saisit son code. Elle avait une vingtaine de
messages non lus venant de Susan. La mère d’Elliot les lut
par ordre chronologique.
« Coucou, ça va ? »
« Désolé, j’étais fort occupée ces derniers temps pour
qu’on se parle… »
« T’es en maladie ? »
« La vipère a viré Nelly ! Le gérant a été influencé…
Quel idiot ! »
« Pourquoi tu ne me réponds plus ? »

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Karen avait honte d’avoir nié sa meilleure amie.
« Elle ne mérite pas ça, la pauvre… », pensa-t-elle.
La mère d’Elliot appela Susan. La syndicaliste
décrocha.
— Allô ?
— Coucou, ma chérie…
— Oh, qui voilà ! J’étais morte d’inquiétude ! Qu’avais-
tu ?
— Je t’expliquerai… T’es libre, ce midi ?
— Pour toi, je serai toujours libre !
— Rejoins-moi au Wonderfull Dinner… Nous devons
discuter d’un grave problème !

Tandis qu’Elliot déjeunait dans la cuisine, Papy Richie,


énervé, débarqua. L’histoire des gants le perturbait.
— Pourquoi la Pourrie gantait ses mains ? Quelle était
l’intention de cette peste ? Cette famille de malheur ne
nous lâche pas d’une semelle !
L’Ange avala son dernier morceau de bacon. La bouche
pleine, il demanda :
— Finalement, c’est qui cette Pourrie ?
Inquiet, Papy Richie regarda son petit-fils.
— Je crois savoir… Mais j’espère me tromper !
— Pourquoi ?
— Si c’est la personne à laquelle je pense, nous devons
faire très attention !
Le grand-père accompagna Elliot à la plaine. Durant le
trajet, Papy Richie observait partout. Celui-ci redevenait
parano et n’était plus tranquille.

96
*

Après le déjeuner au Wonderfull Dinner, Susan rentra à


la maison. Épuisée, la syndicaliste en avait trop entendu.
Nathalie Cursey… Cette charogne qui a fait licencier
Nelly… était le Seigneur des Ténèbres !
La tête lourde, la grand-mère se prépara du thé. Susan
avait peur pour sa petite-fille et pour les Anges du monde
entier. La paire de gants magiques allait devenir l’Arme
redoutable de La Secte…

Le lendemain, sous les conseils de Susan, Karen


retourna travailler. Oppressée et furieuse en même temps,
la mère d’Elliot devait dissimuler ses sentiments. Absente
du magasin, la syndicaliste avait pris quelques jours de
congé.
Un quart d’heure avant l’ouverture, toutes les vendeuses
étaient rassemblées près de Nathalie. La chef souriait. En la
voyant, Karen, les poings serrés, ronchonna. La mère
d’Elliot voulut frapper ce démon. Elle repensa à la pauvre
Nelly. Maintenant, la jeune vendeuse habitait avec
Madame Logis. Nelly se plaisait chez l’assistante.
Au rassemblement, Martin éclata de rire pour rien. Les
vendeuses se regardèrent. Nathalie leur dit :
— Ne vous inquiétez pas, Mesdames… Il est fou !
Une collègue lança :
— Toute façon, demain il sera de mauvais poil !
La chef ricana. Celle-ci commença ensuite le briefing.
— Comme vous le savez sûrement, Nelly n’est plus des
nôtres…

97
Une vendeuse commenta :
— C’est pas juste, c’était la meilleure !
De l’autre côté, Mary pointa le doigt vers la vendeuse.
La Membre de La Secte contredit :
— Elle parlait mal de vous et bavardait sans arrêt !
Au moment où Karen voulut intervenir, une femme se
manifesta. Cette dernière tapa des mains. La mère d’Elliot
l’avait reconnue. Petite, mince, cheveux crollés et nez
crochu, Margaret Raven débarqua. La Pourrie se plaça près
de la chef. Nathalie la présenta.
— Voici Margaret, votre nouvelle collègue ! Elle
prendra la place de Nelly !
Karen rougit de colère. La mère d’Elliot n’en revenait pas.
Une Pourrie à son travail… Il ne manquait plus que ça !
Pendant que les autres lui souhaitaient la bienvenue,
Margaret s’approcha de Karen.
— Alors ? On ne dit pas bonjour à Maman ?
Rien que d’entendre cette phrase, tellement prononcée
dans le passé, Karen avait des flashs… Ça lui donnait envie
de vomir.
Les vendeuses chuchotèrent entre elles. Une
responsable de la parfumerie demanda :
— Karen, c’est ta mère ?
— Ma mère est morte depuis longtemps !
Nathalie, Mary et Margaret s’esclaffèrent. Leur rire était
un concert de sorcières. La Pourrie lança devant tout le
monde :
— Je vous présente ma fille, insolente comme son père !
La mère d’Elliot bouillait de rage.
— T’es qu’une garce !
Sourire aux lèvres, Margaret tenta d’approcher sa fille.
Cette dernière la poussa violemment. La Pourrie recula

98
vite. Mary lança :
— Ta fille est mal élevée, Maggie !
— T’inquiète ma chérie, sa mauvaise éducation vient
des Vilton !
Humiliée, Karen s’éloigna du groupe et se dirigea vers
son rayon. Elliot lui manquait.

Dans leur antre au sommet de l’arbre, les Anges


écoutaient du rock. La petite-fille de Susan avait ramené
son enceinte Bluetooth. La musique résonnait dehors.
Elliot et Angèle secouaient la tête. Ils s’amusaient.
Elliot pensa à sa mère qui n’était plus rentrée depuis
plusieurs jours. L’Ange arrêta de s’agiter. La petite-fille de
Susan coupa la musique.
— Ça va ?
— Non, Maman me manque…
Angèle se rapprocha de son ami et lui caressa les
cheveux.
— No stress, elle va revenir !
— Papy Richie me ment !
— Ne dis pas ça…
— Si ! J’ai l’impression qu’il me prend pour un idiot !
— Tu sais, avec Mamie ça va pas non plus…
— C’est vrai ?
— Oui… Elle ne pense qu’à son syndicat !
— Angèle, voyons… Ta grand-mère doit gérer plein de
problèmes !
— C’est une raison pour ne plus s’intéresser à moi ?
Les Anges restèrent silencieux. Ils s’allongèrent sur le
matelas.

99
Déprimés, Elliot et Angèle pensèrent tout l’après-midi à
leurs parents. Ceux-ci les avaient abandonnés.

À la plaine, le petit Marvin donnait des coups de pied


aux autres enfants. Lorsqu’il se rapprocha de l’arbre, les
Anges se pincèrent le nez. La puanteur d’un Pourri était
vraiment désagréable.
Marvin leva la tête vers la cabane et se frotta les mains.
Il souriait d’un air malicieux.
Le petit-fils de l’Adjointe préparait quelque chose… Il
attendait seulement le dernier jour pour exécuter son plan.

100
CHAPITRE 14

Démonstration

La villa de Madame Logis se situait en pleine


campagne. Celle-ci était construite sur un monticule
couvert de graviers, dépourvue de voisinage. Quelques
vaches broutaient l’herbe de la prairie d’en face. Dans la
chambre d’ami, Nelly s’étira. L’ex-employée de Manno
venait de se réveiller. Une peinture sur toile surplombait le
lit. Le plaid était épais et en fourrure. Une petite étagère en
bois servait de bibliothèque. Un fauteuil et un repose-pied
étaient posés à côté du radiateur.
En robe de chambre, Nelly arriva à la cuisine. Les murs
de la pièce étaient recouverts de briquettes de parement. Le
robinet et l’évier se trouvaient devant une fenêtre à petits
carreaux donnant sur le jardin. En habit de travail, Madame
Logis versa du café à son invitée. D’une voix douce,
l’assistante demanda :
— Comment vous sentez-vous ?
— Beaucoup mieux… C’est grâce à vous !
— C’est normal, je n’allais pas vous laisser dans le
pétrin !

101
Nelly but une gorgée de café. Celui-ci, doux, sentait
bon.
— La nuit passée, j’ai rêvé de Nathalie… Elle se
transformait en démon !
Madame Logis se mit à rire.
— Vous en avez de l’imagination !
L’invitée étala du beurre sur un toast. Son hôte lui parla
de sa famille. Madame Logis était veuve depuis une
dizaine d’années. L’assistante avait deux filles. Elles
étudiaient le droit dans une université à New York.
Madame Logis adorait lire des livres sur la psychologie.
La lecture de ces ouvrages aidait l’assistante à mieux
comprendre l’humain. Larmes aux yeux, Nelly ressassait
son licenciement. L’hôte consola son invitée.
Après que Nelly eut déjeuné, l’assistante, indignée
contre l’exclusion abusive de la jeune vendeuse, songea à
se venger de la chef…

Avant de quitter la maison, Arach Bogman chargea son


revolver. Le Sanguinaire plaça un silencieux sur le canon.
L’Hypnotisé devait tuer un homme qui n’habitait pas loin.
L’individu avait frappé un enfant de La Secte. Le gamin
voulait l’hypnotiser.
Sur le chemin, Arach tira une balle en l’air. Pour le
plaisir. Le projectile retomba et transperça la tête d’un
passant. Ce dernier s’écroula. Du sang coulait de sa tête. Le
piéton n’avait rien senti. L’Hypnotisé éclata de rire. On ne
le surnommait pas « Le Sanguinaire » pour rien.
Arrivé devant la porte, Arach sonna. Un homme costaud
lui ouvrit. Le baraqué était torse nu. Le colosse avait des

102
abdominaux bien dessinés et des tatouages sur ses bras
musclés. Celui-ci grogna :
— Dégage, pauv’type !
Sa bouche exhala une odeur de bière. Placide, le
Sanguinaire sourit. L’homme robuste craqua ses doigts.
— Je crois que t’as pas compris… C’est pas grave, nous
allons régler ça…
Toujours muet, Arach dégaina son revolver. Il pointa
l’arme sur le front de l’homme musclé. Ce dernier n’eut
pas le temps de paniquer. La tête déchiquetée, la victime
s’affala sur le seuil de la porte. L’Hypnotisé lui avait tiré
quatre balles.
Le Sanguinaire souffla sur le canon. Un filet de fumée
se dégagea. Une odeur de poudre remonta du silencieux.
D’une main, Arach Bogman essuya le sang sur son visage.
Avant de repartir, il lança :
— De la part du Seigneur des Ténèbres !

Après quelques tours sur le tourniquet, Elliot et Angèle


retournèrent dans leur cabane. C’était l’avant-dernier jour.
Les activités de la plaine reprendraient ensuite à l’été 2018.
Les autres enfants profitaient un maximum. Certains
grimpaient même sur les arbres. Les animateurs bronzaient
devant le pavillon. Le petit Marvin n’était pas là
aujourd’hui. Son absence faisait du bien à toute l’équipe
éducative. Les enfants pouvaient enfin jouer
tranquillement. L’odeur du Pourri n’incommodait plus les
Anges à la plaine.
Avec son iPhone, Angèle se connecta au Blog tandis
qu’Elliot se divertissait avec Candy Crush. La petite-fille

103
de Susan regardait les dernières infos. En Chine, un Ange
adulte avait été étranglé par une fillette hypnotisée. Au
Maroc, un Ange artisan avait été la victime d’une touriste
italienne. Celle-ci était hypnotisée depuis son arrivée à
l’aéroport de Fès-Saïss. À Genève, en Suisse, c’était la
catastrophe… Plus de 100.000 Anges étranglés par des
Hypnotisés ! Angèle montra l’article à son ami. Celui-ci
arrêta sa partie de Candy Crush.
— 100.000 Anges ! Tu te rends compte, Elliot ?!
— C’est l’œuvre de Sylvia Raven, la Pourrie qui vit là-
bas !
— Ah oui, les Pourris… Ceux qui chlinguent !
— Cherche plus d’infos à leur sujet… J’ai encore rien
trouvé !
La petite-fille de Susan inscrivit « Pourris » sur le
moteur de recherche. À sa grande surprise, il n’y avait
aucun résultat.
— Étrange… Pourtant, ils sont connus dans La Secte !
La Fondatrice est une Pourrie, l’Adjointe aussi !
— Tape « Teresa Palmer »…
Angèle s’exécuta. Là, une page s’afficha. Pas de photo,
juste une description.
« Teresa Palmer est l’Adjointe du Seigneur des
Ténèbres. Elle organise toutes les tâches administratives
de La Secte. Elle propose des stratégies pour éliminer
définitivement la race des Anges… »
Elliot suggéra :
— Essaye maintenant avec « Claudia Palmer »…
La petite-fille de Susan effaça « Teresa » et remplaça le
prénom par « Claudia ». Un texte apparut.
« Claudia Palmer est la Fondatrice de La Secte. Elle est
née en Irlande, en 1933, dans le village de Clifferville. Elle

104
a immigré aux États-Unis en 1946. Installée dans le
Mississippi, Claudia Palmer est mariée à Burt Raven, un
Cicatrisé comme elle. De cette union sont nés 5 enfants :
Rita, Peggy, Sylvia, Margaret et John. La fratrie Raven
représente un véritable danger public pour les Anges. »
Elliot fronça les sourcils.
— Clifferville ? Ils sont du même village que les
Vilton ?
— T’es d’origine irlandaise ?
— Oui, du côté de Maman.
— Au moins, nous avons trouvé !
— Le Blog n’a rien proposé avec le surnom
« Pourris »…
— Le site ne reconnaît peut-être pas ce nom…
Une notification s’afficha. Le titre effraya Angèle. Cette
dernière se mordilla les doigts. Inquiet, Elliot demanda :
— Que se passe-t-il ? Dis-moi !
La petite-fille de Susan tourna l’écran vers son ami.
— Mon Dieu !
Angèle se mit à pleurer. Elliot était tourmenté. Ils
venaient d’apprendre l’existence de l’Arme redoutable…

Au travail, Karen avait fini plus tôt sa journée. Elle


voulait retourner chez son père et reprendre soin de son
fils. La mère d’Elliot ignorait la Pourrie dans le magasin.
Personne ne la comprenait. Les vendeuses voyaient
Margaret comme une femme charismatique. La Pourrie
leur racontait sa vie, donnait des conseils et manipulait les
plus faibles.
Avant de démarrer la voiture, Karen aperçut Martin.

105
Celui-ci marchait, tête baissée, dans le parking. Une
lumière éclairait le sol… Elle venait de ses yeux ! La mère
d’Elliot se saisit.
— C’est un Ange ! J’espère qu’elles ne le savent pas
déjà…
Martin, l’Ange, s’éloigna du parking. Il avait aussi
terminé son boulot.
Karen rentra chez elle. La mère d’Elliot commençait à
ne plus aimer l’ancienne maison. Vide et isolée, la demeure
gardait les fantômes du passé.

Chez Manno, la chef alla trouver Mary et Margaret. La


Membre et la Pourrie discutaient près de la parfumerie.
Nathalie leur dit :
— D’ici quelques secondes, il y aura un appel dans le
magasin… Dès que vous l’entendrez, rejoignez-moi dans
la réserve !
La chef continua son chemin. Mary et Margaret se
regardèrent. La Pourrie lança :
— Il va nous montrer comment ça marche !
— J’attends ce moment depuis si longtemps…
Un bip résonna. C’était l’appel.
« L’équipe secouriste est attendue dans la réserve,
équipe secouriste ! »
Excitées, Mary et Margaret filèrent dans la réserve. À
l’intérieur, Nathalie Cursey empoignait et plaquait une
fillette contre le mur. Les portes automatiques se
refermèrent. Celles-ci se verrouillèrent. La fillette ne
pouvait pas crier. Un ruban adhésif était collé sur sa
bouche. La chef portait les gants en cuir verni noir. La

106
Membre et la Pourrie se mirent à rire. La fillette transpirait
et avait peur. Nathalie parla soudain d’une voix caverneuse
et diabolique.
— Observez bien, vous deux !
Mary et Margaret se rapprochèrent du Seigneur des
Ténèbres. L’enfant poussait des cris, étouffée par le ruban
adhésif. La chef posa ses mains gantées autour du cou de la
malheureuse. Sa voix redevenue féminine, Nathalie lança :
— Que le spectacle commence !
La chef serra le cou de la victime. Les yeux de celle-ci
s’allumèrent. Nathalie serra de plus en plus fort. La lumière
des yeux de l’Ange diminua. Les yeux de la chef devinrent
rouges. Les flammes de l’enfer tournoyèrent dans ses
pupilles. Nathalie lui cria :
— Regarde, mes yeux peuvent aussi s’allumer comme
votre espèce, idiote !
La chef ricana. La Membre et la Pourrie applaudirent.
Nathalie relâcha le cou de la fillette. L’Ange s’éteignit par
terre. Elle était morte. La chef s’écria :
— J’ai réussi ! J’ai tué un Ange maléfique de mes
propres mains ! Sans me brûler !
Margaret murmura :
— Merci, Tante Teresa…

107
108
CHAPITRE 15

Un souvenir douloureux

En cette matinée ensoleillée, Dylan, un Ange de 8 ans,


jouait sur sa balançoire dans le jardin. Derrière la clôture
en bois, Anthony, 7 ans et Membre de La Secte, observait
l’Ange maléfique. Anthony avait tout d’un garçon normal.
Il portait un t-shirt et une casquette de Spider-Man. Il
dégustait une crème glacée. En revanche, quelque chose
clochait chez cet enfant… Ses petites mains étaient
gantées, en plein été ! Le cuir verni des gants brillait au
soleil. Lorsque Dylan, avec sa balançoire, atteignit une
certaine hauteur, il remarqua la présence du Membre. Les
yeux de l’Ange se mirent à projeter de la lumière. Anthony
adressa un rictus à l’Ange maléfique. La lumière des yeux
de Dylan s’éteignit. Derrière la clôture, le Membre s’écria :
— Tu viens jouer avec moi ?
Pendant qu’il continuait à se balancer, l’Ange répondit :
— Je veux bien… Mais ma maman m’interdit de quitter
la maison !
— Viens, allez ! Il y a un parc d’attraction, pas loin
d’ici !

109
Excité, Dylan freina, avec ses pieds, la balançoire.
— Attends, j’arrive !
De l’autre côté, Anthony ricana. L’Ange ouvrit la petite
porte du jardin. Il se retrouva en face du garçon. Avec son
poignet, le Membre s’essuya la bouche où restait encore
une tache de chocolat. Intrigué, Dylan regarda les gants
d’Anthony. L’Ange n’en avait jamais vu tels que ceux-ci.
Le noir verni envoyait des éclats de lumière qui
aveuglaient Dylan.
— Pourquoi tu portes ces gants ? Il fait chaud à crever !
Tes mains doivent transpirer !
— C’est pour la bonne cause, enfin !
— Hein ?
Anthony se jeta sur l’Ange maléfique et l’étrangla. Le
Membre de La Secte grogna de plaisir. Il éprouvait une
sensation hors du commun, inédite. Étouffé, Dylan
suffoquait. Il vit brièvement les rayons de soleil et les
nuages qui traversaient le ciel… avant de s’éteindre.
— Youpi !!! J’ai tué mon premier Ange maléfique !
Papa va être fier de moi !
Anthony quitta les lieux et continua son chemin.
Dommage, il n’existe qu’une seule paire…
Lorsque la mère de Dylan découvrit le corps sans vie de
son fils, elle hurla de toutes ses forces.

Durant tout l’après-midi, Elliot et Angèle n’avaient pas


dit un mot. Les Anges étaient assis contre les planches en
bois de la cabane. Ils déprimaient. C’était le dernier jour à
la plaine. L’existence de l’Arme redoutable les avait
affaiblis. Angèle n’avait pas dormi de la nuit. Elliot avait

110
fait un cauchemar. Dans son rêve, la vieille femme lui avait
griffé le visage. Celle-ci avait ensuite enfilé ses gants et
l’avait étranglé. Dans la réalité, c’est ce qu’elle voulait
faire, à la sortie de la plaine…
À 16 heures, les animateurs réunirent tous les enfants
devant le pavillon. Ils leur adressèrent un discours. Assis
par terre, les petits écoutaient. Certains avaient les larmes
aux yeux. D’autres se remémoraient les bons moments
passés. Pendant qu’ils assistaient au discours, les Anges se
donnèrent la main. Ceux-ci espéraient se revoir bientôt.
Lorsque les animateurs eurent terminé, les parents
attendirent leurs enfants derrière la grille. Elliot voulait que
sa mère vienne le chercher. Il ne l’avait plus revue depuis
sa fugue. De loin, il ausculta le groupe des parents. Déçu, il
vit Papy Richie.
Après avoir fait la bise à Angèle, Elliot courut vers son
grand-père. Papy Richie arrangea les cheveux de son petit-
fils. Le grand-père lui donna une bouteille d’eau.
— Merci, Papy…
— La Pourrie est encore venue ?
— Non.
Triste, Angèle regarda Elliot s’éloigner avec son grand-
père. Il était devenu un frère pour elle.
Silencieux, Papy Richie et son petit-fils parcoururent les
bois. Le vent soufflait légèrement. Les feuilles des arbres
bougeaient. Après un long moment de silence, le grand-
père lança :
— La vieille voulait t’étrangler… Tu sais pourquoi ?
L’Ange marmonna :
— La paire de gants… Cette arme les protège de la
brûlure !
— Mais il n’y en a qu’une… Donc, pas de panique !

111
— Il y aura toujours les Hypnotisés…
Tandis qu’ils se dirigeaient vers la sortie du bois, Elliot
s’arrêta. Il sentit une odeur. L’Ange avait des frissons. Il
devint pâle et avait la nausée. Le petit-fils se pencha.
Celui-ci cracha toutes les régurgitations. Papy Richie
comprit. Alarmé, le grand-père regarda autour de lui. Il
caressa le dos de son petit-fils.
— Ça va aller, mon grand…
Soudain, ils entendirent le cri d’un enfant en colère. Ça
venait de derrière. Papy Richie se retourna. Le grand-père
tomba sur Marvin. Le Pourri avait les mains remplies de
cailloux. La cicatrice s’étendait sur son poignet. Papy
Richie grogna :
— Dégage, sale fumier ! Si t’oses t’approcher…
Énervé, Marvin s’écria :
— GRAND-MÈRE !!!
Surpris, Papy Richie recula. Il resta sur ses gardes.
Elliot but une gorgée d’eau pour enlever toute l’acidité de
sa bouche. Le grand-père serra fort la main de son petit-
fils.
Cachée derrière un arbre, une femme âgée se montra. La
tête levée, elle avança vers Papy Richie. L’Ange la
reconnut. C’était la vieille. Celle-ci était plus ridée que la
dernière fois. Elle avait des petits yeux gris. Ses cernes
creux donnaient l’impression qu’elle n’avait pas dormi
depuis des siècles. D’une voix stridente, la vieille lança :
— Richard Vilton… Nous revoilà après des années !
Elliot murmura à son grand-père :
— C’est elle, Papy, celle qui m’attendait à la sortie ! Tu
la connais ?
— Oui, c’est l’Adjointe en personne…
Épouvanté, Elliot mit sa main devant la bouche.

112
L’Adjointe du Seigneur des Ténèbres souriait.
— Tu voulais frapper mon petit-fils ?
— T’as raté ton plan, Teresa… Elliot est vivant !
Marvin dansait autour de sa grand-mère. Celui-ci lançait
des rires. Le Pourri faisait le pitre. L’Ange ne lâchait pas la
main de son grand-père.
— Fuyons, Papy !
— N’aie pas peur, je suis là !
L’Adjointe se mit à rire.
— Tu mourras bientôt, Elliot Cropper !
Furieux, Papy Richie se pinça les lèvres.
— Si tu touches à mon Ange… Je vous tue, toi et le
petit !
Teresa fixa le grand-père. Mentalement, l’Adjointe
récita un tour de sorcellerie. Tout à coup, une batte de
base-ball apparut dans l’autre main de Papy Richie. Celui-
ci se saisit et lâcha l’objet. Teresa lança :
— Tu veux plus nous tuer ? Je venais de te faciliter la
tâche ! Ton père voulait le faire, il y a des années… Il
voulait me massacrer avec une batte de base-ball !
Exacerbé, le grand-père avait les larmes aux yeux. Le
petit-fils demanda :
— C’est quoi cette histoire, Papy ?
— Rien !
L’Adjointe ricana.
— On t’a rien dit, mon grand ? Elliot Vilton Senior, ton
arrière-grand-père, était un assassin, un criminel !
Sous l’émotion et la colère, Papy Richie hurla :
— MENTEUSE !!! VOUS ÊTES TOUS POURRIS,
TOI ET TA FAMILLE !!!
Le grand-père entraîna l’Ange vers la sortie du bois. De
loin, Teresa s’écria :

113
— Ton père aussi avait des surnoms !!!

Tout au long de la soirée, Papy Richie, noyé dans ses


pensées, ne quitta pas son fauteuil. Assis près de son
grand-père, Elliot l’observait. Ce dernier brisa le silence.
— Raconte-moi en détail le jour où…
— Les Pourries ont voulu tuer tes parents ?
— Oui…
Papy Richie soupira. Il ne voulait pas raconter cette
histoire. L’Ange le suppliait avec des petits yeux de chiot.
Le grand-père se laissa convaincre. Papy Richie commença
le récit.

Dimanche, 24 juin 2008


Le soleil brillait, ce jour-là. Dans le living, William et
Karen Cropper caressaient leur bébé. Celui-ci dormait dans
son berceau. L’enfant venait d’avoir un an. C’était un
garçon. Il s’appelait Elliot, comme son arrière-grand-père
maternel. Ses parents étaient fous de lui.
Dehors, les cloches de la basilique sonnèrent. La messe
était finie. Sur le parvis, le prêtre bénissait chaque fidèle.
Par terre, les pigeons mangeaient les graines. La nonne les
avait jetées exprès. Elle adorait nourrir les oiseaux. Entre la
basilique et la maison des Cropper, deux femmes, armées,
marchaient. Teresa Palmer tenait un couteau dans la main.
Margaret Raven, sa nièce, transportait une mallette. À
l’intérieur de la mallette se trouvait un pistolet à clous.
Arrivées devant la maison, Margaret sortit son arme et

114
commença à tirer sur la porte. À l’aide de son couteau, la
tante creva les pneus de la voiture.
Les Cropper entendirent les clous qui démolissaient
l’entrée. Alerté par le bruit, William regarda derrière les
rideaux. Il se retourna vers sa femme.
— Encore ces sorcières !
Karen trémula et prit le bébé dans ses bras.
— J’ai peur, Will !
— Appelle ton père, tout de suite !
Le petit Elliot pleurait. Une mauvaise odeur dérangeait
l’Ange… Karen téléphona à son père. Après avoir
raccroché, celui-ci se précipita. Papy Richie mit une
casquette et monta dans sa jeep. Il démarra. Le gaz
s’échappa du tuyau d’échappement. Le grand-père fonça.
Lorsque la voiture s’arrêta brutalement, les Pourries se
retournèrent. Teresa lâcha son couteau. Margaret déposa le
pistolet à clous par terre. Mal rasé, Papy Richie sortit du
véhicule. Il ausculta les dégâts. Les pneus de la voiture
étaient aplatis. La porte de la maison était trouée. Le grand-
père siffla.
— Waw…
L’Adjointe lança :
— On allait commencer par ta fille et son mari !
D’une voix rauque, la nièce s’écria :
— On va te tuer !
Papy Richie brandit son Smith & Wesson et le dirigea
vers les Pourries. Effrayée, Margaret hurla. Sa tante resta
calme. Celle-ci sourit.
— Ne t’inquiète pas, ma chérie… Il n’osera pas le
faire !
— Tirons-nous d’ici, Tatie !
Teresa et sa nièce s’enfuirent. Papy Richie rangea son

115
revolver. William ouvrit la porte en pleurant.
— Merci, Richard…
Le beau-père serra son gendre dans ses bras.
— Allons, c’est fini…

116
CHAPITRE 16

Les envoyés de Madame Logis

La fin du mois d’août approchait. Le matin, avant de


partir au boulot, Madame Logis prit le téléphone dans le
salon. Dehors, les vaches meuglaient. Le soleil était rosé.
Nelly ronflait, la joue contre l’oreiller. Elle dormait
paisiblement. Loin de Manno, loin de tous les problèmes,
dans une maison reculée. Les quelques vaches de la prairie
apportaient une présence. L’assistante composa le numéro
d’un vieil ami qui travaillait au lycée de Ganlow. Celui-ci
était préfet de discipline.
— Allô ?
— Philip ? C’est Marcia ! Comment vas-tu ?
— Ah, Marcia ! Je suis content de t’entendre ! Quoi de
neuf ?
— Bien… J’ai besoin de ton aide !
— Dis-moi…
— Manno recherche deux étudiants pour travailler cette
semaine…
— Je connais deux de mes élèves… Ils sont super
gentils !

117
— En fait, je voudrais le contraire…
— Marcia… Tu plaisantes, j’espère ?
— Non. Trouve-moi un duo d’emmerdeurs… Les pires
du lycée !

Aujourd’hui, c’était au tour de la famille Pecks


d’utiliser les gants. Frank Blumberg, un Membre de La
Secte, sonna peu avant midi chez les Pecks. Frank et ses
proches avaient déjà employé l’Arme redoutable. Anthony,
son fils de 8 ans, avait tué son premier Ange maléfique.
Frank en avait tué cinq. Mélanie, sa femme, avait étranglé
un Ange catcheur. Le cou de celui-ci était difficile à
atteindre. Le catcheur mesurait plus de 2 mètres. Mélanie
avait simulé un malaise… Et c’était gagné !
Gerald Pecks, 30 ans, ouvrit la porte. Gerald était
banquier. Il portait un costume à rayures avec une cravate
et une chemise blanche.
— Frank, mon ami !
Frank lui tendit les gants. Le verni noir lançait des
étincelles. Gerald prit l’Arme redoutable qu’il serra contre
sa poitrine et ferma les yeux.
— Ô Teresa… Merci pour ce cadeau…
Frank lui donna un coup sur l’épaule.
— Hé ! Reviens à toi !
Gerald rouvrit les yeux. Frank demanda :
— Il te reste un tube de pommade ?
— Pour la cicatrice ? Non. Par contre, j’ai une astuce…
— C’est quoi ?
Gerald lui désigna la montre qu’il portait au poignet.
— Très drôle… C’est pas ce que notre Seigneur veut !

118
— Le temps que je rachète une pommade, cette
méthode me dépanne toujours !
Frank regarda l’heure.
— Je dois filer !
— Moi aussi ! La banque ouvre bientôt…
— En tout cas, tu verras… Ces gants sont extra !
— Ça t’as fait quoi de tuer un Ange maléfique ?
— Oh… C’est merveilleux ! Encore mieux que
lorsqu’on hypnotise une personne !
Gerald se lécha les lèvres.
— J’en tuerais bien un maintenant, juste avant de
commencer le boulot…
— Ta famille et toi avez trois jours pour profiter de
l’Arme… Après, tu passeras les gants aux Clark !
— Ils habitent à Los Angeles ! C’est de l’autre côté !
— C’est pas moi qui ai décidé ça… C’est le Seigneur
des Ténèbres !
Frank repartit. Tandis que la voiture s’éloignait, Gerald
salua son ami de loin. Devant la porte, il aperçut une
adolescente. Celle-ci faisait du patin à roulettes dans la rue.
Ses yeux envoyaient une lumière…
Gerald enfila les gants et alla tuer son premier Ange
maléfique.

Dans sa chambre, Elliot discutait avec Angèle sur le


Blog des Anges. Sa meilleure amie lui manquait déjà. Ils
avaient peur pour leur espèce. L’Arme redoutable était une
invention révolutionnaire. Si les gants se multipliaient, ça
serait la fin pour tous les Anges.
Angy2006 : « Je sais où est ta maman, Mamie l’a vue…

119
Elles ont déjeuné ensemble ! »
Croppervilton : « C’est vrai ? Où est-elle ? »
Angy2006 : « Elle habite dans votre ancienne maison. »
Croppervilton : « Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Papy
Richie n’est qu’un menteur ! »
Angy2006 : « Ne recommence pas comme à la plaine !
Ta maman devait se reposer ! »
Croppervilton : « Elle m’a plus téléphoné ! Elle est
partie sans rien me dire ! »
Angy2006 : « Calme-toi, Elliot ! Ton grand-père est là !
Je suis là ! »
Croppervilton : « Pourquoi Maman a fait ça ? »
Angy2006 : « Mamie m’a pas tout dit… Ce sont des
histoires d’adultes ! »
Croppervilton : « Je me déconnecte un moment… »
Cabré, Elliot descendit dans le salon. Assis devant la
télévision, Papy Richie tapait sur le clavier de son
ordinateur. L’Ange ferma brusquement le capot du PC. Le
grand-père grogna :
— Qu’est-ce qui te passe par la tête ?
— Menteur ! Escroc !
— Tu me parles autrement, je suis ton grand-père !
— Maman n’est pas en vacances ! T’es qu’un
imposteur !
— Arrête ton cinéma, irrespectueux ! Ta mère va
revenir ! Cette histoire ne regarde que les grandes
personnes !
— Je ne suis plus un bébé !
Triste et énervé, Elliot remonta dans sa chambre.
L’Ange se jeta sur son lit et se mit à pleurer.

120
Au début de l’après-midi, deux jeunes garçons
arrivèrent à Manno. Ceux-ci étaient en retard et devaient
commencer le matin. Zach et Steve déposèrent leurs
affaires dans les vestiaires. Ils avaient tous les deux 15 ans.
Zach était le maladroit du lycée. Lorsqu’il marchait, il
traînait tout le temps les pieds. Zach avait les cheveux
longs. Une mèche lui tombait souvent devant les yeux. Il
avait plein de boutons sur son visage et sa peau était
grasse. Zach portait un appareil dentaire. Il postillonnait à
chaque mot.
Steve était un adolescent têtu et insupportable. Il ne
valait pas mieux que son ami. Steve était grand et mince.
C’était un garçon avec des traits fins. Il avait un petit nez et
une petite bouche. Son visage était blanc comme un linge.
Toutes les filles le regardaient. La beauté de Steve les
attirait.
Les deux étudiants se présentèrent dans le magasin. La
chef s’énerva.
— Il est 13 heures ! Manno ouvre à 10 heures ! J’exige
des explications !
Zach et Steve pouffèrent de rire. Les rires de Zach
propulsèrent des gouttelettes de salive sur le visage de
Nathalie. L’odeur forte de la salive remontait dans les
narines de la chef. Dégoûtée, Nathalie n’osait pas essuyer
les postillons sur sa figure. Elle grommela :
— Arrêtez tout de suite ! Sinon, je vous vire !
Les lycéens continuèrent de rire. La chef devint rouge.
— Vous ne serez pas payés pour aujourd’hui !
Steve se souvint d’un passage qu’il avait lu dans un
livre. Il le récita.
— » Seuls un motif grave, une faillite ou des absences
répétitives peuvent justifier un licenciement. »

121
« Si nous n’étions pas en pénurie de personnel, je les
renverrais direct ! », pensa Nathalie.
Karen avait fini plus tôt. Susan était encore en congé.
Martin ne venait plus depuis quelques jours. Mary était
malade. Madame Logis avait un empêchement. Il ne restait
plus que les autres vendeuses… et Margaret.
La chef envoya Zach à la caisse. Tandis qu’il traînait les
pieds, celui-ci se mit à bâiller. Nathalie prit ensuite Steve
par le bras et l’entraîna jusqu’au rayon de la parfumerie.
Là, la Pourrie faisait du réassort. La chef relâcha Steve.
— Maggie, ce jeune garçon t’aidera à ranger !
Nathalie repartit. Margaret dévisagea Steve. La Pourrie
s’était mis du crayon sur les lèvres. Elle avait teint ses
cheveux crollés en blond dégradé. Margaret empestait la
cigarette. Avec son t-shirt, Steve se couvrit le nez et la
bouche.
— Vous devriez arrêter le tabac, ma parole !
De sa voix rauque, la Pourrie répondit :
— Tais-toi et travaille !
— Poliment, ça donne quoi ?
— La ferme !
— Oh ! Je ne vois pas de chevaux ni de moutons…
Irritée, Margaret gifla l’étudiant. Un client assista à la
scène. Steve se caressa la joue. Le client interagit.
— Je vais appeler votre responsable, Madame !
Une mousse blanche dégoulina au coin des lèvres de la
Pourrie. D’un air dégoûté, le lycéen gémit :
— Beurk…
Margaret grommela une injure au client. Les bulles de la
mousse éclataient entre ses dents jaunes.
— Vous me faites pas peur ! Allez trouver la
responsable !

122
Le client regarda la Pourrie avec mépris.
— Vous êtes répugnante… Je ne reviendrai plus dans ce
magasin !
Avant de quitter Manno, le client s’adressa à Steve.
— Ne te laisse pas faire, mon garçon !
À la caisse, Zach commettait d’innombrables erreurs. Il
oubliait de rendre la monnaie, encodait plusieurs fois le
même article et n’enlevait jamais les antivols. Les clients
se plaignaient. Margaret devait supporter toutes les
provocations de Steve. La chef était furieuse.
À la fermeture, les lycéens élaborèrent un plan pour le
lendemain…
Sur WhatsApp, Madame Logis les félicita pour cette
première journée.

123
124
CHAPITRE 17

Désastre dans le magasin

Dès le matin, Karen prépara ses affaires. Elle avait


l’intention de retourner chez son père. Papy Richie ne
savait pas encore que Nathalie, la chef, était… le Seigneur
des Ténèbres ! Comment Karen allait-elle le lui annoncer ?
Sans compter que la Pourrie travaillait maintenant chez
Manno…
La mère d’Elliot passa vite un coup d’aspirateur dans la
maison. Pendant qu’elle faisait le living, Karen s’arrêta
devant une photo, encadrée au mur. La mère d’Elliot
éteignit un instant la machine et se rapprocha du cadre. Sur
ce cliché, les Cropper étaient assis. Ils souriaient face à
l’objectif. William portait une chemise blanche. Karen
avait une blouse orange. Entre ses parents, Elliot, bébé,
était habillé en marin. L’Ange devait avoir un mois. Karen
frotta le cadre où de la poussière s’éparpilla. La mère
d’Elliot voulait tant embrasser son mari. Cette maison la
rendait mélancolique. Elle y avait passé de beaux
moments. Cependant, elle n’arrivait pas à oublier l’attaque
des Pourries, survenue neuf ans plus tôt… Heureusement

125
que Papy Richie était là pour protéger les Cropper.
Avant de partir travailler, Karen vérifia qu’elle n’avait
rien oublié. Elle ouvrit sa sacoche. Tout était bien dedans.
Elle avait hâte de retrouver son fils.

Papy Richie toqua à la porte de la chambre. L’Ange ne


répondit pas.
— Elliot… Ouvre, s’il te plaît… Je m’excuse pour
hier… Pardonne-moi !
À l’intérieur, le petit-fils s’écria :
— Va-t’en !
Le grand-père soupira.
— J’ai reçu un message de ta mère… Elle vient ce soir !
— C’est pas vrai ! N’essaie pas de m’avoir !
— Je te montre le SMS ?
Après quelques secondes de silence, Elliot ouvrit la
porte. Celui-ci était encore en pyjama.
— Elle va revenir, alors ?
Papy Richie prit son petit-fils dans ses bras.
— Oui, mon grand…
Il embrassa le front de l’Ange. Ce dernier sourit et fit la
paix avec son grand-père.

Assise dans le jardin, Susan tricotait des chaussons. La


grand-mère avait perdu ses pantoufles. Elle ne les
retrouvait plus. Susan ne supportait pas de marcher pieds
nus.
Angèle débarqua. La petite-fille s’installa sur l’herbe.

126
Elle regarda sa grand-mère. Susan continuait à tricoter.
Angèle marmonna :
— J’en ai marre ! Tu me racontes plus d’histoires !
— Il y a le Blog des Anges, pour ça !
— T’es bizarre depuis quelques temps…
La grand-mère arrêta son occupation.
— Angèle, c’est mon dernier jour de congé… Ne me le
gâche pas !
— On n’a rien fait ! Nous sommes restées dans cette
maison !
— Je t’avais dit d’aller jouer avec Elliot ! Tu ne m’as
pas écoutée !
— Il n’est pas bien, sa mère lui manque !
Susan se leva. La grand-mère fit tomber les pelotes de
fil et les aiguilles.
— Mon cœur… Nous avons un gros problème !
— C’est quoi ?
Les lèvres de Susan tremblèrent.
— Ma chef au travail est…
— Une Membre ?
— Non, pire…

À midi, Karen prit sa pause. La mère d’Elliot monta


dans le réfectoire. Elle évitait un maximum de croiser la
Pourrie. Celle-ci était au rayon des lunettes de soleil. Sa
cicatrice réapparut sur son poignet. La marque s’élargissait
et était pourpre. Margaret passa la crème magique. Elle
frotta. La pommade pénétra sous l’épiderme de la Pourrie.
La cicatrice commença à rétrécir.
Mary remplaça Karen à la chemiserie. Martin riait tout

127
seul. C’était son jour. En passant dans le rayon, les clients
pensaient qu’il avait trop bu. Mary s’approcha de lui. Elle
murmura :
— Comment va notre Ange bipolaire ?
Le vendeur se mit à rougir. Martin sentit son cœur
battre.
— Que… Que…
Mary retroussa la manche de sa chemise. La Membre lui
montra son poignet. Apeuré, le vendeur recula.
— Ne t’inquiète pas… Si je touche ton cou, je me
brûle !
Terrorisé, Martin alla se réfugier aux toilettes.

En bagagerie, Zach et Steve pastillaient les derniers


trolleys soldés. Ils se regardèrent. Le moment était venu
pour semer le désastre.
Pendant que Nathalie affichait les nouvelles promotions,
Zach fit tomber tous les mannequins. Il les poussa un par
un. Les clients se saisirent. Une femme cria de panique. Un
enfant courut vers son papa. Un vieux monsieur lança :
— Foutons le camp d’ici !
La chef serra les poings et grogna. Elle marcha à grands
pas vers Zach.
Steve enleva tous les prix des articles. Il éteignit ensuite
les caisses. Personne ne pouvait plus payer. Les clients se
mirent à rouspéter. Folle de rage, Margaret se jeta sur
Steve. La Pourrie lui griffa le visage. Allongé par terre, le
lycéen se débattait.
— Lâche-moi, sorcière !
— Tu vas pas t’en tirer comme ça !

128
Nathalie poursuivit Zach dans le magasin. Celle-ci
courait entre les rayons. Elle ouvrait les rideaux de toutes
les cabines d’essayage. Embêtée, la chef ne trouvait pas sa
proie.
Martin sortit des toilettes. Un boucan infernal régnait à
Manno. Le vendeur avançait doucement. Il voyait les gens
s’agiter partout. Martin ne comprenait pas ce qu’il se
passait.
Un vigile sépara la Pourrie et l’étudiant. Visage griffé,
Steve sentait encore les picotements. Margaret avait les
cheveux en pétard. Ceux-ci étaient défaits. Une cliente s’en
mêla et pointa du doigt la Pourrie.
— Cette Madame a agressé le jeune homme !
La cliente désigna le lycéen.
— Regardez le visage de ce garçon !
Le vigile prit son talkie-walkie. Il appela Monsieur
Menren.

Zach était caché dans une douche aux vestiaires. Il


claquait des dents. L’étudiant entendit la voix de Nathalie
résonner.
— Je sais où tu es… Montre-toi !
Le lycéen transpirait. Il paniquait. Ses cheveux étaient
encore plus gras que d’habitude. Au fur et à mesure que la
chef s’approchait, Zach essayait de trouver une solution.
L’étudiant réfléchit. Il regardait autour de lui. Lorsqu’il vit
le jet de la douche, Zach eut alors une idée…

129
Monsieur Menren descendit les escalators. Celui-ci ne
reconnaissait plus le magasin. Tout était désordonné.
Vêtements par terre, mannequins et présentoirs renversés,
étiquettes de prix éparpillées et caisses éteintes.
— C’est quoi ce bordel ? Qui a fait ça ?
Margaret désigna Steve du doigt.
— C’est lui !
Furieux, le gérant regarda l’étudiant.
— Vous ?
Le vigile lança :
— Ce garçon a été griffé au visage !
— Par qui ?
Steve se mit à sourire et désigna la Pourrie.
— Par cette femme monstrueuse !
Hautain, Monsieur Menren fixa Margaret. Enragée, la
Pourrie se pinça les lèvres. Soudain, le gérant cligna des
yeux. Il grelottait de la tête aux pieds. Les visions
recommençaient. Monsieur Menren revoyait les Anges
maléfiques. Cela dura quelques secondes. Le gérant se
ressaisit et revint à lui. Margaret riait. Celle-ci avait le rire
rauque d’une fumeuse. Calme, Monsieur Menren lança :
— Vous êtes virée.
La Pourrie cessa de ricaner. Discret, Steve lui fit un
doigt d’honneur. Le lycéen était content.

Zach prit le jet de la douche et fit couler de l’eau


chaude. Le bruit de l’écoulement amena la chef dans la
pièce. Lorsqu’elle vit l’étudiant, celui-ci dirigea le jet d’eau
bouillante sur elle. Nathalie hurla. La chef sentit tout son
corps brûler. Sa peau crépitait. Elle était en train de rôtir.

130
Des plaies se formèrent sur son visage. On voyait sa chair à
vif. Ses yeux ressortaient de sa tête. Ils devenaient rouges
flamboyants ! Zach n’avait jamais vu un tel spectacle. Il se
croyait dans un film. Bouche bée, le lycéen recula.
Nathalie Cursey se réduisit en cendres. Au final, la chef
n’était plus qu’un tas de poussière.
L’eau continuait de couler. Elle emporta toute la
poussière dans la canalisation de la douche. Zach ferma le
robinet. Celui-ci avait l’impression d’avoir rêvé.
— C’est pas possible ! Comment a-t-elle pu…
Une ombre flottait au-dessus de l’étudiant. L’ado poussa
un cri. L’ombre formait un visage. C’était le visage le plus
effrayant. Il avait des yeux enflammés, un nez de squelette
et des crocs à la place des dents… D’une voix caverneuse,
le Seigneur des Ténèbres lança :
— Soyez maudits, vous et les Anges maléfiques !
Le démon rit comme un diable et disparut. Zach
s’évanouit.

131
132
CHAPITRE 18

Mises au point

Tôt le matin, Madame Logis entra dans la chambre


d’amis. Le soleil commençait à se lever. Nelly se frotta les
yeux et bâilla. Celle-ci avait bien dormi. Souriante,
l’assistante s’assit sur le bord du lit.
— J’ai une excellente nouvelle pour vous !
Avec la voix grave du matin, Nelly demanda :
— Ah bon ? C’est quoi ?
— Nous allons redevenir collègues !
Le cœur de la jeune vendeuse, bouche ouverte, palpitait
de joie. Émue, elle se jeta dans les bras de Madame Logis.
— Vous êtes un ange ! Merci !
L’assistante tapota le dos de la jeune vendeuse. Cette
dernière essuya ses larmes.
— La chef ne va pas être contente de me revoir…
— Nathalie Cursey a disparu…
— Hein ?
— On ne la retrouve plus… Pourtant, elle n’a pas quitté
le magasin !
— C’est insensé, enfin !

133
— Sur la vidéosurveillance du parking, on ne la voit pas
sortir de Manno…
— Bizarre…
— Mary Bogman a été virée !
— Bien fait, elle le méritait !
— Margaret aussi.
— C’est qui ?
— Ah oui, c’est vrai… Elle était arrivée juste après
votre départ ! Vous n’avez rien raté… C’était une vipère !
Nelly pouffa de rire. La jeune vendeuse était heureuse.
Elle allait retrouver Susan, Martin et Karen. Ses trois
collègues préférés.
Madame Logis se rendit dans le living. Elle envoya un
message à Zach et Steve.
« Encore merci pour hier… Vous êtes géniaux ! »
Malgré leurs actes héroïques, les deux lycéens furent
condamnés à des travaux d’intérêt général pour
vandalisme. Selon son psychiatre, Zach avait été sujet à
une hallucination. L’étudiant avait inventé la mort de
Nathalie Cursey.

Assis sur le divan, Elliot se connecta, avec la tablette, au


Blog des Anges. Sa mère était rentrée depuis hier soir.
Karen lui avait fait d’énormes câlins. Papy Richie s’était
excusé auprès de sa fille. Celui-ci avait été trop dur.
Pendant que Karen et Papy Richie discutaient dans le
jardin, Elliot chattait avec Angèle.
Croppervilton : « Maman est revenue à la maison ! Je
suis hyper heureux ! »
Angy2006 : « Elle t’a dit pour la chef ? »

134
Croppervilton : « Celle qui l’ennuie au travail ? »
Angy2006 : « Oui. »
Croppervilton : « Non, je ne suis pas au courant. »
Angy2006 : « Vaut mieux pas que tu le saches, alors… »
Devant son écran, Elliot commença à s’inquiéter. De
quoi pouvait-il s’agir ?
Croppervilton : « Dis-le-moi ! »
Angy2006 : « Nan, c’est difficile à croire… »
Au moment où il écrivait, un message s’afficha. Celui-ci
indiquait en rouge : « AVIS ». L’Ange agrandit
l’information.
« Edward Sayer, porte-parole du Blog, vient de nous
annoncer la disparition du Seigneur des Ténèbres. Ce
matin, l’Adjointe n’a plus pu communiquer avec le démon.
C’est comme ça que Teresa Palmer a réalisé qu’il était
mort. La Secte est en deuil. Claudia, la Fondatrice,
reprendra les rênes de l’organisation. »
Sous le choc, Elliot n’en revenait pas… La chef des
Pourris allait diriger à nouveau La Secte !
Angy2006 : « T’as vu aussi le message ? »
Croppervilton : « Oui… Nous devons être plus vigilants
qu’avant ! »
Angy2006 : « Ça me fait de la peine pour ton père… Il
voulait le détruire lui-même ! »
Croppervilton : « Papa est vivant ! J’y crois ! »
Déprimé, l’Ange se déconnecta. Son père avait échoué.
William Cropper était sans doute mort, tué par un Membre
ou par le Seigneur des Ténèbres. Elliot se mit à sangloter.
Il monta dans sa chambre et s’enferma.
Le soleil de l’après-midi tapait fort. Karen bronzait sur la
terrasse. Elle portait un chapeau de paille et des lunettes de
soleil. La mère d’Elliot avait tout raconté à son père. Celui-ci

135
ne pouvait pas imaginer… La chef de sa fille… à la beauté
divine… Qu’il avait vue sur Facebook, qui harcelait Karen
au travail… Cette femme, le Seigneur des Ténèbres ? Papy
Richie s’était muré dans le silence. Il ne faisait que penser.
Sa fille avait assisté à une réunion de La Secte, le
rassemblement des ennemis. Elle connaissait, avant les
Anges, l’existence de l’Arme redoutable. Le grand-père était
furieux… Margaret, la Pourrie, avait travaillé pour Manno.
Celle-ci avait martyrisé Karen et avait dit du mal des Vilton.
Elle avait prononcé le mot « Maman »…
Papy Richie ne voulait pas repenser au passé. C’était il
y a longtemps… La famille Vilton, la famille Raven. Le
casus belli, La Guerre. Le petit Gary, celui qui…
Elliot débarqua en larmes. Le grand-père prit son petit-
fils par la main.
— Qu’est-ce qui ne va pas, mon grand ?
— Claudia Palmer…
— Elle a fait quoi ?
— Elle va le remplacer…
— Remplacer qui ?
— Le Seigneur des Ténèbres !

Depuis que les activités à la plaine étaient finies, Angèle


s’ennuyait à mourir. Le jardin, internet et la télévision ne
lui suffisaient pas. La petite-fille de Susan voulait revoir
son ami. Elle voulait retourner dans la cabane. Écouter de
la musique. S’empiffrer de bonbons. Parler de leur famille.
Critiquer La Secte. Tout ça manquait à l’Ange.
Sur son lit, Angèle alluma la radio. Les pubs pour la
rentrée des classes envahissaient chaque chaîne. Le ventre

136
de la petite-fille de Susan gargouillait. Elle ne voulait pas
reprendre les cours.
Les infos du soir commencèrent. Angèle augmenta le
volume. La politique ne l’intéressait pas. Les sorties ciné
non plus. Le sport, elle s’en fichait royalement. On évoqua
soudain cette mystérieuse disparition… Celle de Nathalie
Cursey, 42 ans, qui était la chef du grand magasin Manno,
à Ganlow. L’Ange se rapprocha de l’enceinte.
« À l’heure actuelle, nous n’avons encore aucune
nouvelle concernant cette affaire. Pour rappel, Nathalie
Cursey ne s’est plus manifestée à son travail depuis hier
soir… Avant sa disparition, deux étudiants avaient semé la
zizanie dans le magasin. Selon des témoignages, ils étaient
victimes de harcèlement… »
Angèle changea de fréquence. Cette fois, elle tomba sur
une info inédite.
« Au moment de la disparition de Nathalie Cursey,
Zach, un des étudiants, avoue avoir été le témoin d’une
scène paranormale. Il aurait vu la chef se transformer en
une entité démoniaque, dans les vestiaires de Manno.
D’après le docteur Calloway, psychiatre du jeune garçon,
Zach serait en proie à des hallucinations causées par les
médicaments… »
La petite-fille de Susan avait peur. Elle attendait que sa
grand-mère revienne du boulot. La syndicaliste faisait la
fermeture.

Dans la cuisine, Mary éteignit la radio. La Membre


soupira. Arach était en train de terminer son assiette de
pâtes.

137
— T’as entendu, chéri ? Ce gamin a tout compris !
La bouche pleine, le Sanguinaire lança :
— Il y a un truc… que je ne pige pas… dans cette
histoire…
— Je t’écoute.
Arach aspira son dernier fil de spaghetti. L’Hypnotisé
but une gorgée de vin blanc.
— Pourquoi Notre Seigneur a disparu comme ça ? Du
jour au lendemain ?
— Chou… T’es bête ou tu le fais exprès ?
— Hein ?
— Il est mort ! Notre Seigneur est mort ! Il a été
détruit !
— Par qui ?
— Le jeune homme en question !
— Comment tu sais ça, toi ?
— L’eau chaude est le talon d’Achille de Notre
Seigneur ! Il a poursuivi le gamin jusqu’aux vestiaires… Et
là, le crétin lui a sans doute fait une mauvaise blague !
Voilà !
Le Sanguinaire se leva. Il embrassa sa femme.
— J’admire ton intelligence !
— Je sais… Vite que je retrouve un boulot !
— Envoie tes CV partout !
— Euh… N’exagérons pas ! Je veux rester dans la
vente !
— C’est con qu’ils t’aient virée ! T’étais la meilleure !
— Oui… Mais j’ai insulté le gérant ! Faute grave !
— Au moins, t’as défendu Maggie… une consœur !
— Et pas n’importe laquelle… La fille de notre
Fondatrice, Claudia Palmer !

138
CHAPITRE 19

La petite-fille de la Fondatrice

Au bord du lac Tahoe, dans le Nevada, la famille


McStellon, Membre de La Secte, pique-niquait. C’était une
journée ensoleillée. La surface de l’eau reflétait les
montagnes, situées de l’autre côté du lac. Cela faisait un
bel effet miroir. Le domaine était bordé de forêts de pins.
Les McStellon étaient assis sur le sable, au-dessous
d’une falaise de granit. Ils savouraient des sandwichs, du
fromage et des fruits. Charles, le père, se servait de raisin
dans le panier en osier. Charles, 45 ans, était un homme
grand aux cheveux gris. Il travaillait dans le marketing.
Chaque jour, le Membre hypnotisait au moins une
personne. Il en était fier. Amy, la mère, était plus jeune que
son mari. Celle-ci avait 38 ans et était comptable. Amy
regrettait de ne pas avoir étudié au séminaire de La Secte.
Elle voulait devenir influenceuse pour amener plus de gens
dans l’organisation. Kilian, leur fils unique, avait 12 ans. À
l’école, il avait hypnotisé certains de ses camarades.
Maintenant, les amis de Kilian étaient des Hypnotisés. Le
Membre était jaloux de voir ses copains étrangler des

139
Anges maléfiques. Parfois, les Hypnotisés se moquaient de
sa malédiction. Ceux-ci lui répétaient sans cesse : « Tu
n’auras jamais la chance de tuer un Ange maléfique ! »
Sous le coup de la colère, Kilian leur répondait : « Vous
allez voir… Un jour, j’en tuerai un de mes propres
mains ! »
Tandis que ses parents contemplaient le paysage du
Lake Tahoe, Kilian fouilla dans le sac de sa mère. Il
cherchait les gants.
Les McStellon avaient l’Arme redoutable pour trois
jours. Ensuite, la paire de gants irait chez la famille
Bennett, à Atlanta. Charles avait étranglé une dizaine
d’Anges. Il prenait plaisir à tuer ces vermines… car les
Anges maléfiques étaient, avant tout, les ennemis de La
Secte. S’il n’y avait pas La Malédiction, les Membres
n’auraient guère besoin d’hypnotiser.
Kilian continuait à fouiner dans les affaires de sa mère.
Cette dernière avait le dos tourné. Lorsqu’elle entendit le
bruit des trousseaux de clés, Amy, furieuse, saisit la main
de son fils.
— T’es qu’un voyou ! Que voulais-tu prendre ?
— Seulement les gants, Maman…
Charles cracha un pépin de raisin.
— Chérie, ne sois pas agressive avec lui !
— Il fouille dans mon sac ! Sans permission !
Le père s’adressa à leur enfant.
— Kilian, demain, c’est promis, nous allons chasser des
Anges maléfiques !
— C’est pas juste ! Toi, t’en as tué plein, hier ! Maman
aussi !
Amy lança :
— Va plutôt jouer ! Tu recommences l’école vendredi !

140
Et puis, les gants sont à la maison !
Déçu, Kilian s’aventura dans la forêt. Celui-ci emprunta
un sentier. Le Membre entendit des bêtes crier. Kilian avait
un peu peur. Il franchit les rochers de granit. En altitude, le
Membre voyait l’ensemble du lac, des montagnes et des
arbres. C’était une vue digne d’une carte postale.
Killian reçut un gros caillou sur le genou. Il hurla de
douleur. En même temps, la cicatrice apparut sur son
poignet. La pommade magique était dans le sac de sa mère.
Le lanceur du gros caillou était un enfant plus jeune.
Celui-ci devait avoir moins de dix ans. Il avait les cheveux
blonds, les yeux bleus et les joues bien roses.
— Ça fait mal, n’est-ce pas ?
Kilian pleurait.
— Je vais t’étrangler, espèce de salaud !
— Je t’en prie !
Fou de rage, le Membre sauta sur le petit garçon. Les
mains de Kilian se mirent à brûler. Il avait touché le cou
d’un Ange. Ses mains étaient complètement carbonisées.
Le Membre souffrait le martyre.
Accroupi derrière un arbre, un Ange de 16 ans filmait la
scène avec son iPhone.
Le lanceur du caillou regardait Killian. Il souriait. La
lumière jaillissait de ses yeux.
— La prochaine fois, tu diras à ta mère qu’elle n’oublie
pas ses gants…

En début d’après-midi, Papy Richie alla faire les


courses au supermarché. Le grand-père en profita pour
passer chez le coiffeur. Maintenant, Elliot savait. Toute la

141
matinée, il avait discuté avec Angèle sur le Blog. La petite-
fille de Susan lui avait tout dit. Elliot était fier de sa mère.
Celle-ci avait surmonté tant d’épreuves… Elle était en vie !
C’est ce qui comptait pour l’Ange.
Karen débarqua dans la chambre. La mère apporta les
vêtements de son fils. Ceux-ci étaient lavés et repassés. Ils
étaient prêts pour la rentrée.
Assis sur le bord de son lit, Elliot regardait sa mère.
Cette dernière rangea les habits propres dans la garde-robe.
La mère referma l’armoire.
— Voilà ! Tâche de ne pas les salir le premier jour !
— T’inquiète, Maman !
Karen donna une bise sur le front de l’Ange.
— Maman…
— Oui, mon cœur ?
— Le Seigneur des Ténèbres est-il vraiment mort ?
— Je sais pas…
— Depuis quand La Secte nous pourchasse, nous, les
Anges ?
La mère soupira. Elle s’installa à côté de son fils.
— Je vais te révéler un secret… Tu le gardes pour toi !
— T’as ma parole !
Karen respira un bon coup.
— Il y a trente-quatre ans, Papy Richie s’est marié avec
une Pourrie…
— T’es sérieuse ?
— Oui… Ton grand-père a épousé Margaret Raven ! Il
était fou amoureux d’elle… Ce mariage représentait une
victoire pour ton arrière-grand-père ! Elliot Vilton Sr. était
orgueilleux. Son fils était le seul de la famille à être marié
avec une Cliffervilloise !
— Les Vilton fréquentaient les Pourris ?!

142
— Bien sûr ! Papy Richie connaissait toutes les sœurs
de Margaret ! John, le frère, aussi !
— Tous ces gens méchants ? Qui hypnotisent ? Qui
veulent nous voir mourir ?
— Oui, c’était avant La Guerre. Elliot Vilton Sr. a
grandi avec leurs parents, en Irlande. Ils ont immigré
ensemble. Ils étaient dans le même bateau.
— Arrière-Papy est arrivé ici avec…
— Claudia Palmer et son mari, Burt Raven ! Ensuite,
Arrière-Papy a rencontré Virginia, ton arrière-grand-mère.
Ils ont eu des enfants, dont Papy Richie. Mais ça, c’est une
autre histoire ! La Guerre des Anges est à l’origine d’un
conflit entre deux familles, opposant les Vilton aux Raven.
Claudia Palmer a fondé La Secte en 1953. Elle avait 20
ans. La Pourrie ne voulait que des Cicatrisés dans sa
communauté. Ils ont cette marque sur le poignet grâce au
Seigneur des Ténèbres ! Dès la naissance, le démon
désignait chaque enfant et leur transmettait la cicatrice…
pour qu’ils deviennent méchants !
— Horrible ! Comment ça se fait que tout ça n’est pas
dit dans le Blog ?
— Papy Richie a ordonné la censure de ces infos au
créateur du site… afin que tu ne tombes pas dessus, un
jour !
Désolée, Karen caressa le visage de son fils.
— Avant La Guerre entre les deux familles, La Secte
ignorait votre existence. Les Membres vivaient leur vie.
Tous les dimanches, ils écoutaient Claudia Palmer. La
Pourrie récitait des versets de La Bible… En vérité, elle
idolâtrait le Seigneur des Ténèbres !
— Comment La Guerre s’est déclenchée ?
— À cause de ce garçon… que Papy Richie a ramené à

143
la maison. Il s’appelait Gary. Une lumière émanait de ses
yeux, comme toi. Margaret était d’accord pour l’adopter.
Lorsque Papy Richie partait travailler, Margaret emmenait
Gary chez sa mère, la Pourrie. Elles réalisaient des
expériences sur lui, le frappaient et le maltraitaient. Un
jour, ton grand-père a découvert des hématomes. L’Ange
en avait partout sur le corps ! Gary raconta tout à Papy
Richie. Furieux, ton grand-père se disputa avec sa femme.
La Pourrie est retournée dans sa famille. Celle-ci leur a
raconté que Papy Richie la battait… Or, c’était faux !
— Quelle sorcière !
— Les Pourris se sont mis à haïr la famille Vilton. Il y
eut des bagarres, des insultes, des plaintes à la police, des
diffamations… Ton grand-père voulait divorcer.
— Il ne l’a pas fait directement ?
— Non, car il a un bon cœur ! Malgré tout ce que les
Pourris lui ont fait subir, Papy Richie a pardonné à sa
femme. En 1987, je suis née. J’étais l’enfant de la
réconciliation.
— Margaret… C’est alors…
— Oui… C’est ma mère ! Je suis la fille d’une Pourrie !
Le sang de La Secte coule dans mes veines ! Je suis la
petite-fille de la Fondatrice ! Tu descends de ces horribles
gens, mon Elliot…
— Pourquoi nous n’avons pas la cicatrice ?
— Parce que Papy Richie ne s’est pas fait hypnotiser
par la Pourrie. Cette pratique n’existait pas encore, à
l’époque. C’est lors de La Guerre contre votre espèce que
l’hypnose a débarqué !
— Quand je tape « Pourris » sur le Blog, je ne trouve
rien… Pourquoi ?
— Cette injure venait d’Arrière-Papy. À l’origine,

144
« Pourrie » évoquait uniquement Claudia Palmer. Au final,
on a fini par appeler toute sa famille comme ça !
— La Fondatrice était la première « Pourrie »…
— C’est une bagarreuse ! Elle cherche toujours des
problèmes ! Elle est en dispute avec tous ses frères et sœurs
de Clifferville ! Certains sont marqués par la cicatrice.
— La Fondatrice a combien de frères et sœurs ?
— Une chiée ! Il y a Ferdinand, Félix, Joachim, Robert,
Baptiste, Victoria, Ellen… J’ai oublié les autres noms. Au
total, ils sont douze !
— Douze ? Waw !
— Papy Richie allait à l’école avec les enfants Palmer
Non-Cicatrisés !
— Ceux-là n’étaient pas « Pourris », alors ?
— Non, ces enfants sont en guerre avec leur tante, la
Fondatrice !
— Et après ?
— Margaret me frappait sans cesse. Gary habitait
encore chez nous. Il me protégeait. Il était mon ange
gardien. Un jour, Papy Richie en eut marre. Il a demandé le
divorce. C’était une longue bataille, je me souviens…
— T’avais une marraine pour te défendre aussi ?
— Non. Ma marraine est… Sylvia Raven !
— Quoi ? Celle de Genève ? La plus méchante de tous ?
— Oui…
La porte de la maison s’ouvrit. Papy Richie entra. Le
grand-père déposa les courses sur la table de la cuisine.
— Je suis là, mes amours !
La mère termina son récit dans la chambre.
— Margaret a été déchue des droits parentaux. Papy
Richie a gagné le procès contre la Pourrie. Gary s’est
enfui… On ne l’a plus jamais revu. Pour se venger,

145
Claudia Palmer a déclaré La Guerre contre vous, les
Anges. Le Seigneur des Ténèbres est apparu dans son rêve.
Le démon avait prédit une terrible malédiction… Les
Membres de La Secte et les Pourris ne pourront jamais tuer
des Anges… En revanche, ils hypnotiseront toutes les
personnes de ce monde… qui, une fois hypnotisées, feront
le sale boulot !

146
CHAPITRE 20

Avant la rentrée

En ce jeudi 31 août, le temps était sec et nuageux. Chez


Manno, avant l’ouverture, les vendeuses se réunirent
autour de Madame Logis. L’assistante était devenue la chef
du magasin. Une bonne ambiance régnait à présent au sein
de l’enseigne. Cependant, le mystère de la disparition de
Nathalie Cursey continuait de planer. Les membres du
personnel en parlaient durant les pauses. L’ancienne chef
se cachait peut-être… ou bien elle était magicienne. Ce
n’est pas possible de disparaître comme ça !
Karen était heureuse de retrouver Nelly. La jeune
vendeuse lui raconta tout depuis l’épisode de l’évaluation.
Martin se joignit à elles. Celui-ci n’avait plus de sautes
d’humeur. La vie était meilleure sans les trois vipères.
Susan arriva, maquillée et parfumée. L’odeur forte de la
vanille sauvage enivrait le nez de ses collègues. Émue et
larmes aux yeux, la syndicaliste serra Nelly dans ses bras.
— Ta place est parmi nous, ma chérie !
— Merci… Je n’oublierai jamais ça !
Avant de commencer, Madame Logis demanda :

147
— Tout le monde est là ?
Les collègues affirmèrent en chœur :
— Oui !!!
— Super. Dans tout le pays, notre magasin figure en
troisième position ! Bravo ! Un jour, nous atteindrons la
première place ! Je crois en vous ! Souriez, aimez-vous et
n’oubliez pas…
Une vendeuse lança avec humour :
— Le badge ?
Tous les collègues se mirent à rire. La chef riait
également.
— Non, voyons ! N’oubliez pas que la vie est belle !
Après les retrouvailles avec Nelly, Karen dépoussiéra
son rayon. Martin passa à côté d’elle. Le vendeur souriait.
— Quoi de neuf ?
— J’aime te voir comme ça !
— Oh… Que c’est gentil ! Merci !
— T’aurais pas un truc à m’avouer, toi ?
Martin gloussa. Ses yeux répandirent une lumière.
Celle-ci clignotait. La mère d’Elliot se rapprocha de
l’Ange. Elle murmura :
— T’as de la chance qu’elles ne travaillent plus ici !

Pendant que Papy Richie tondait la pelouse, Elliot et


Angèle se baladaient dans le quartier. Le grand-père leur
avait dit : « On ne s’éloigne pas à plus de 300 mètres ! »
Les Anges savaient pourquoi. Le risque zéro de croiser un
Hypnotisé ou un Membre n’existait pas.
En se dirigeant vers le parc, ils avaient dépassé les
300 mètres. Les Anges prirent place sur un banc public.

148
Plus loin, des enfants jouaient. Le ciel était dégagé. Avec
sa tablette, Angèle se connecta au Blog. Une vidéo avait
été postée. Vue un million de fois, elle avait pour titre :
« Voilà ce qu’il se passe lorsqu’on oublie ses petits
gants… »
Intriguée, la petite-fille de Susan appuya sur Play. Ce
qu’elle vit la fit marrer.
— Elliot, regarde ! C’est trop drôle !
Curieux, le petit-fils de Papy Richie pencha la tête vers
l’écran. Il éclata de rire.
— Haha ! Bien fait pour lui !
— T’as vu ça ? Il a plus de mains, maintenant !
— Tu m’étonnes, elles ont été brûlées vives !
— Cette vidéo mérite un like !
— Celui qui a filmé ça va recevoir une grosse prime !
Tandis qu’ils revoyaient la séquence, deux hommes
avancèrent vers eux. Les individus portaient des lunettes de
soleil teintées noires. Sérieux, ils ne souriaient pas. C’était
des Hypnotisés.
Les bras croisés, les Hypnotisés se tenaient devant les
Anges. Ils enlevèrent leurs lunettes. Elliot et Angèle
levèrent la tête. Simultanément, les deux hommes
lancèrent :
— Bonjour, les enfants. Teresa nous envoie pour vous
tuer. Vous allez mourir.
Les Anges se mirent à crier. Angèle donna vite un coup
de pied à l’un des Hypnotisés. Celui-ci hurla et s’écroula
au sol. Angèle et Elliot coururent. L’autre Hypnotisé les
suivit. Il marchait très rapidement.
Les Anges couraient. Un garçon leur coupa le chemin.
Celui-ci avait les cheveux bruns coupés au bol.
— Arrêtez ! Je connais un bon endroit pour se cacher !

149
Étonnée, la petite-fille de Susan lui demanda :
— Comment tu sais qu’on…
— Je suis de votre espèce !
Les yeux du garçon projetèrent la lumière. Elliot et
Angèle se regardèrent. Ils comprirent.
— Je m’appelle Tom. J’ai 10 ans.
— Moi, c’est Angèle. J’ai un an de plus que toi !
— Elliot. Bientôt 11.

Serrés l’un contre l’autre, les trois Anges étaient cachés


sous une roche. Essoufflés, ils avaient peur et ne voulaient
pas mourir.
L’Hypnotisé parcourait le bois. Il reniflait. Ses pas
faisaient craquer les écorces de pin.
— Vous n’êtes pas loin… Je le sais !
Sous la roche, les Anges suaient. Elliot chuchota :
— Nous allons compter. À trois, on se taille d’ici !
Dans leur tête, les Anges commencèrent.
« Un… »
— Je vais vous étrangler ! Il n’y aura plus
d’échappatoire !
« Deux… »
— Notre Seigneur ressuscitera ! Il sera de nouveau
parmi nous ! Sortez d’où vous êtes !
« … Trois ! »
Sans réfléchir, les Anges filèrent jusqu’à la sortie du
parc en faisant de grandes enjambées. Ils n’avaient jamais
couru aussi vite de leur vie.
Arrivés devant la maison, les Anges respirèrent
précipitamment. Elliot gémit :

150
— Papy Richie va m’engueuler…
— C’est simple, nous ne dirons rien ! Je procède
comme ça, avec Mamie !
Tom consulta sa montre.
— Oups ! Mes parents m’attendent… Vous êtes sur le
Blog ?
— Oui ! Mon pseudo c’est Angy2006 !
— Croppervilton. On va t’ajouter !
— Merci, les gars !
Elliot et Angèle regardèrent le nouveau s’éloigner. La
petite-fille de Susan lança :
— Au moins, nous avons gagné un ami…

Karen entra dans la supérette du quartier. La mère


d’Elliot venait de finir le boulot. Entre les fous rires, des
ventes incroyables et le retour de Nelly, Karen avait passé
la plus belle journée de sa vie. Elle avait même oublié tous
ses soucis. Madame Logis motivait sans cesse le personnel.
Celle-ci était la chef idéale.
La mère d’Elliot poussa la charrette vers le rayon
boucherie. Elle prit des steaks hachés et regarda la date. La
viande était périmée aujourd’hui. Karen redéposa l’article
au frigo. À la place, elle choisit du blanc de poulet. Ceux-ci
étaient bons jusqu’à la semaine prochaine. La mère d’Elliot
continua son tour. Elle arriva au rayon des conserves. La
musique diffusée dans la supérette l’apaisait. Alors qu’elle
sélectionnait les produits, une cliente passa, panier en
main. Celle-ci avait les cheveux tirés en un gros chignon.
Un grain de beauté surplombait sa lèvre supérieure. Cette
femme devait avoir une quarantaine d’années. Curieuse,

151
elle regarda Karen. L’individu la connaissait.
En face du rayon des conserves, un jeune garçon se
pinçait le nez. L’odeur qu’il sentait était nauséabonde. Il
voulait vomir. La puanteur venait de cette cliente au chignon.
Le jeune garçon s’en alla. Celui-ci n’en pouvait plus. La
lumière de ses yeux s’alluma. L’Ange sortit du magasin.
Par accident, Karen fit tomber une boîte de thon. La
cliente ramassa le produit et le rangea. Gênée, la mère
d’Elliot lança :
— Oh, c’est gentil…
La femme sourit.
— Avec plaisir ! Quel est votre nom ?
— Karen !
— Molly ! Enchantée ! Vous habitez dans cette ville ?
— Oui, depuis toujours ! Et vous ?
— Pas loin… Ça vous dit qu’on aille boire un café,
après ?
— Vous êtes très aimable mais… mon fils m’attend !
— Vous avez raison, c’est plus important !
La cicatrice de Molly commençait à s’étendre.
— J’y vais ! À bientôt, peut-être !
Karen vit la cliente se précipiter jusqu’à la sortie. Cette
femme paraissait si gentille… L’était-elle vraiment ?

La mère d’Elliot rangea ses courses dans le coffre de la


voiture. Au moment de prendre la route, elle aperçut
Molly. Cette dernière se disputait avec… Papy Richie ! Le
grand-père l’insultait depuis l’autre bout du trottoir.
— Pourrie comme ta famille ! Sorcière ! Que Dieu vous
maudisse !

152
— Tais-toi, ordure ! T’es qu’un misérable ! Tu vas
crever !
— Espèce de garce ! Comment oses-tu ? Votre famille
est à la base de tous les problèmes !
— Tu frappais ma cousine ! Tu la battais ! Enflure !
Karen baissa la vitre de la voiture.
— Monte, Papa !
Avant d’embarquer, Papy Richie cracha vers la Pourrie.
Celle-ci lui fit un doigt d’honneur.
— Va au diable !
Le grand-père referma la portière. Il fulminait.
— C’était qui, Papa ?
— Une des nièces de la Fondatrice !
— Raven ou Palmer ?
— Palmer…
— Elle s’appelle Molly ?
— Comment tu sais ça, toi ? Tu lui as parlé ?
— Pourquoi tu m’agresses ? Je ne connais pas cette
femme ! À la supérette, elle semblait…
— Stop ! Je veux plus qu’on parle de ces pourritures !
D’ailleurs, je déménage en septembre !
— Quoi ? Et tu vas t’installer où ?
— Vous le saurez… au moment venu !
Les Vilton rentrèrent à la maison. Elliot se coucha tôt.
Le lendemain, il avait école. L’Ange allait retrouver ses
camarades de classe. Il espérait revoir Angèle et Tom, leur
nouvel ami.

153
154
CHAPITRE 21

Papy Richie déménage

Après un été difficile, la vie reprenait son cours chez les


Vilton. Elliot était débordé de devoirs. L’Ange travaillait à
fond les mathématiques. Chaque soir, il récitait ses tables
de multiplication. C’était devenu un jeu. Elliot adorait ça.
Le week-end, il allait chez Angèle. Tom les rejoignait. Ils
se remémoraient leurs aventures des deux derniers mois.
La petite-fille de Susan passait en boucle la vidéo où
Kilian, Membre de La Secte, se brûlait les mains. La
séquence était devenue culte.
Karen était maintenant l’assistante du magasin. Elle avait
plus de responsabilités qu’avant et travaillait souvent au
bureau. La mère d’Elliot effectuait beaucoup de tâches
administratives. Elle évaluait aussi ses collègues. C’était un
job différent que de ranger les rayons. Susan avait contribué
à son évolution. La syndicaliste était fière du résultat. La chef
et le gérant appréciaient également le travail de Karen.
À la maison, Papy Richie préparait son déménagement.
Le grand-père allait enfin quitter cette baraque. Ça lui
rappelait trop de mauvais souvenirs… Il mit tous les

155
albums photo et les cassettes dans un carton. Papy Richie y
rajouta les CD, les DVD et tous ses autres documents. Le
grand-père laissa les assiettes et les couverts pour le
nouveau propriétaire. Il jeta les jouets d’Elliot à la
poubelle. Papy Richie tondit une dernière fois la pelouse et
aspira toute la maison. Le grand-père nettoya ensuite à
l’eau. Après une journée entière de travail, il se reposa
dans son fauteuil, fatigué.

Le lendemain matin, les Vilton prirent leur petit


déjeuner. Avant 8 heures, les déménageurs arrivèrent. Ils
emportèrent tous les cartons. Le nouveau propriétaire
arriverait ce soir. Celui-ci avait déjà les clés.
Réunis devant la porte, les Vilton regardèrent la maison.
Papy Richie lança :
— J’ai passé les pires années de ma vie, là-dedans !
— Moi aussi, Papa…
— J’aimais bien habiter ici !
— Pour toi, c’était chouette, mon cœur…
— T’étais pas né… Ta mère et moi avons vécu l’enfer !
Elliot savait pourquoi. Grâce à sa mère, l’Ange
connaissait l’histoire.
Papy Richie serra ses deux amours dans ses bras.
— Vous avez intérêt à me rendre visite ! Je payerai les
billets d’avion !
— Tu nous enverras des photos de l’Indiana, hein,
Papy ?
— Promis, mon grand ! On pourra même passer un
week-end ensemble !
— Oui !!!

156
Karen donna une petite fessée à son fils.
— D’abord, l’école !
— Ta mère a raison…
Le chauffeur du camion klaxonna. Avant de partir, le
grand-père leur dit :
— Téléphonez-moi s’il y a un problème… Je prendrai
le premier vol !
— Arrête de t’inquiéter, Papa !
— Oui, je m’inquiète ! Tu t’étais retrouvée avec une
Pourrie, une Membre et…
— Stop ! C’est fini, tout ça !
Papy Richie les embrassa. Elliot versa une larme. Avec
ses yeux, l’Ange envoya la lumière. Son grand-père lui
murmura à l’oreille :
— Fais attention aux Hypnotisés et… fuis les personnes
qui portent les gants noirs ! Je vous aime…
Papy Richie monta dans sa voiture et démarra. Il en avait
pour dix-huit heures de route. Karen et son fils retournèrent
vivre chez eux. Elliot n’avait plus revu sa chambre depuis
des lustres. Ça sentait le renfermé. Il n’aimait pas la maison.
Elle était isolée. Sans son père, c’était différent. Il y avait un
vide. L’Ange entendait souvent le son des cloches. La
basilique de Ganlow ne se trouvait pas loin. Elliot était triste.
Papy Richie lui manquait, ses histoires aussi. Avec son père,
Karen se sentait en sécurité. Mère et fils devaient s’habituer à
cette nouvelle vie.

Noah et James Bogman passaient le week-end chez


leurs parents. Noah, 22 ans, était un jeune homme aux yeux
verts. Celui-ci avait les cheveux courts. Froid, intelligent et

157
impitoyable, il voulait posséder les gants. Hypnotiser ne
l’intéressait plus. Noah désirait passer à l’action.
James, 18 ans, était un garçon turbulent et violent. Petit, il
avait les cheveux rasés. Au séminaire de La Secte, il se faisait
tout le temps exclure des cours et répondait à ses professeurs.
James n’aimait guère obéir. C’était un hors-la-loi. Il s’en
fichait des Anges maléfiques. Les Membres de La Secte
craignaient qu’un jour James ne trahisse l’organisation…
La famille Bogman dînait dans la cuisine. Mary leur
avait préparé un pain de viande au lard. Celui-ci était
tendre et juteux. James mangeait la bouche pleine. Il
mastiquait bruyamment. Ça énervait son frère.
— Les porcs t’ont élevé ? Arrête, s’il te plaît…
James tapa du poing sur la table. Arach cria :
— Si tu continues, je t’enferme ! C’est clair ?
Exaspérée, Mary regarda son fils.
— Comporte-toi correctement ! Chaque jour, on nous
téléphone pour tes bêtises ! Grandis un peu ! Ton frère est
un bon exemple !
Furieux, James se leva.
— J’en ai marre de cette famille ! Vous êtes des gens
odieux !
Noah pouffa de rire.
— Odieux ? T’as pas honte de dire ça ? Va étudier !
T’es en échec !
— La ferme, toi ! Je vais te casser la figure, un de ces
quatre !
Arach soupira.
— File dans ta chambre ! Tout de suite ! Je ne veux plus
te voir !
En colère, James claqua la porte de la cuisine. Mary
lança :

158
— Ce gamin est un cas à part…
— T’inquiète, mon amour… Je finirai par l’inscrire à
l’école militaire !
Noah demanda à sa mère :
— T’as trouvé un boulot ?
— Rien du tout, ouais ! Ces deux vauriens ont tout foutu
en l’air !
— Des nouvelles de Notre Seigneur ?
— Non, Noah. Teresa cherche un moyen…
— Un moyen de quoi ?
— De le faire revenir !

L’automne arriva. Les feuilles mortes tombaient des


arbres. Le vent soufflait. Les rues de Ganlow n’étaient
qu’un tapis de feuillage brunâtre et jaunâtre.
Dans la cour de récréation, Elliot jouait au basket. Il
voyait moins Angèle. La petite-fille de Susan passait son
temps à l’étude. En revanche, ils continuaient de s’écrire
sur le Blog. Elliot apprenait à mieux connaître Tom.
L’Ange à la coupe au bol avait un petit frère de 5 ans.
Celui-ci s’appelait Adam. Adam n’était pas un Ange. Tom
avait des cousins de leur espèce. Ils vivaient tous en
Californie. Tom avait failli être tué par les mains d’un
Hypnotisé. Alors qu’il se rendait chez un ami, l’Hypnotisé
le prit par le bras et l’entraîna dans une sombre ruelle. Un
policier était de passage. Lorsque celui-ci surprit
l’Hypnotisé en train d’étrangler Tom, il sortit son arme.
L’agent l’abattit de plusieurs balles. Traumatisé par cet
événement, l’Ange en faisait des cauchemars. Les parents
de Tom savaient peu de choses à propos de La Secte.

159
Dommage que Papy Richie ait déménagé…
Elliot termina la partie de basket. Les joues rouges, il
était tout en transpiration. Ses cheveux étaient mouillés et
aplatis. Peu avant la sonnerie, une lycéenne s’approcha de
lui. Elle sentait mauvais. On aurait dit qu’elle avait dormi
dans une benne à ordures. En revanche, elle était jolie.
Bronzée, l’adolescente avait les yeux verts. Celle-ci portait
des bas et des bottines. Deux filles l’accompagnaient.
Elliot se pinça le nez. Un élève, assis sur un banc, lança :
— J’ignorais que la cour puait !
La lycéenne et ses deux copines se mirent à rire.
L’Ange grogna :
— Vous n’avez rien à faire ici ! C’est la section
primaire !
La jeune fille poussa Elliot.
— Tu agis exactement comme ton grand-père !
— Et toi, comme une Pourrie !
— Ho là là… Je vois que rien n’a changé, chez les
Vilton !
— T’es qui ?
— Ornella Stemple. Je suis la petite-fille de Teresa !
— Ta grand-mère a essayé de…
— Je m’en fous, Cropper !
— Alors, qu’est-ce que tu veux ?
— Rien ! Ton grand-père a été très méchant avec ta
grand-mère ! Elle ne méritait pas ça, la pauvre !
— Margaret « Pourrie » Raven n’est pas ma grand-
mère ! Elle veut voir les Anges mourir !
— Waw ! Ton grand-père t’a bien manipulé !
— Pourquoi tu ne poses pas plutôt tes mains sur mon
cou, hein ? Vos Hypnotisés le font bien !
— Oh, j’attendrai les gants pour ça !

160
Les deux copines d’Ornella se marraient. Toute la cour
les regardait rire comme des pestes. Elliot était gêné.
La sonnerie retentit. Ornella Stemple et ses amies
regagnèrent leur bâtiment. L’Ange n’était plus tranquille.
Une Pourrie se trouvait dans son école !
Le soir, Elliot raconta tout à sa mère. Celle-ci se mit à
pleurer. Elle téléphona à Papy Richie. Ils discutèrent durant
un bon quart d’heure. Karen essuya ses larmes.
— Elliot…
— Oui, Maman ?
— Tu iras habiter chez Papy Richie… Je réserve ton
billet !
— Et… Angèle ? Tom ? Toi ? Tu seras seule !
— Ça devient dangereux, ici… Ils savent où on habite !
Je vais aussi vendre cette maison !
— Tu vas me manquer, Maman !
L’Ange se jeta dans les bras de sa mère. Ils sanglotèrent.
Pendant que Karen préparait la valise de son fils, Elliot
se connecta au Blog.
Croppervilton : « Les gars, je déménage ! »
Tommyboy : « Ah… Tu vas où, du coup ? »
Croppervilton : « État de l’Indiana »
Tommyboy : « La vache ! C’est loin ! »
Angy2006 : « Elliooot !!! Mon amour !!! Ne pars pas !
Je vais être en dépression ! »
Tommyboy : « On viendra te voir ! Hein, Angèle ? »
Angy2006 : « Mon Elliot… Je t’aime ! »
Croppervilton : « Moi aussi ! Merci de m’avoir sauvé la
vie cet été ! »
Derrière son écran, l’Ange, triste, repensait aux bons
souvenirs. Il ne voulait pas quitter Ganlow.

161
*

Quelque part, dans ce monde, un homme explorait une


grotte souterraine. Celui-ci marchait avec un bâton et avait
une barbe de plusieurs années. Il se nourrissait d’insectes et
d’eau. L’individu n’avait plus de téléphone sur lui. Il
l’avait perdu. L’homme devait accomplir une mission.
Celle-ci s’avérait dangereuse, risquée. Peut-être fallait-il
arrêter les recherches ? Tuer ce démon n’était pas comme
tuer un humain…
Fatigué et découragé, l’homme s’assit sur un rocher. Il
n’en pouvait plus. Ces gouttes d’eau qui tombaient à
longueur de journée l’insupportaient. Il sortit de sa poche
une photo où une femme tenait un bébé dans les bras. Elle
souriait. William Cropper serra tendrement la photo contre
lui. Il voulait rentrer. Ses deux amours lui manquaient.
Tout à coup, un rugissement démoniaque résonna dans
la grotte. William se leva. Il savait que c’était l’Ennemi.
Courageux, le père d’Elliot s’écria :
— Manifeste-toi ! J’ai attendu trop longtemps !
Une voix caverneuse répondit :
— Tu ne m’auras jamais, pauvre idiot !
— C’est ce que nous verrons ! Viens, démon de l’enfer !
— À ta guise…
L’ombre du Seigneur des Ténèbres flottait dans les
couloirs de la galerie souterraine. Elle se rapprocha de
William Cropper…

162
CHAPITRE 22

Les Pourries

Scarbrook était un quartier dangereux de Boston. La


délinquance y régnait. Les gangs rivalisaient entre eux. Les
plus jeunes agressaient les passants dans la rue. Ils
rackettaient n’importe qui. Les anciens partaient s’installer
ailleurs. Scarbrook n’était plus le paisible refuge des
Irlandais d’autrefois.
Une impasse sinistre suscitait la crainte des habitants du
quartier. C’était la Raven Street. La ruelle était sombre. Les
éboueurs oubliaient souvent d’y ramasser les poubelles.
Elle était infestée de rats. L’éclairage public de Raven
Street ne fonctionnait jamais. Le trottoir était humide. Les
ordures attiraient les mouches. Des vers rampaient sur le
sol. Les voyous crachaient par terre. La Raven Street était
la pourriture de Boston.
Une famille habitait au numéro 53. Ce n’était pas des
gens ordinaires… Monsieur et Madame Raven étaient un
vieux couple d’immigrés. Ils venaient d’un petit village
d’Irlande. Le village s’appelait Clifferville. Burt Raven
avait servi de main d’œuvre pour la construction d’un

163
chemin de fer, dans le Mississippi. Claudia, sa femme, était
la Fondatrice de La Secte, une organisation redoutable.
Madame Raven et ses Membres vénéraient une entité
diabolique… Le Seigneur des Ténèbres ! À l’origine,
Claudia avait fondé cette secte dans le but de réunir tous
les Cicatrisés. Si Margaret, une fille des Raven, ne s’était
pas mariée avec un certain Richard Vilton, les Anges
maléfiques auraient pu vivre tranquillement…
Tous les jours, Monsieur et Madame Raven recevaient
la visite de leurs deux filles. Rita, l’aînée, avait un nez
pointu et une bouche fine. Ses joues étaient épaisses et
rebondies. Elle fumait sans arrêt. La voix de Rita était
éraillée. L’aînée aimait donner des ordres à ses esclaves
d’Hypnotisés. Son entreprise marchait très bien. Les Anges
maléfiques y étaient torturés et tués. Claudia éprouvait de
la fierté pour sa fille.
Peggy, la seconde, était une femme ronde et petite.
Celle-ci avait le teint pâle et les yeux globuleux. Peggy
fumait cinq paquets de cigarettes par jour. Dans la famille,
c’était un vrai record. La benjamine voyageait beaucoup en
Europe. Elle rencontrait des femmes qui, comme elle,
pratiquaient la magie noire. Peggy n’hypnotisait jamais.
Elle souhaitait du mal aux Anges maléfiques et priait pour
que leur vie soit une succession d’échecs. Un Ange tué ne
suffisait pas à Peggy. Il devait souffrir sur terre.
Chez les Raven, Claudia Palmer commandait. C’était
une matriarche. Celle-ci était grande, mince et avait une
coiffure haute. Ses cheveux étaient gris foncé. Claudia
Palmer parlait avec une voix aiguë. Elle décidait. Elle
imposait. Personne ne devait la contrarier.
Burt Raven était un homme petit et trapu. Il avait les
cheveux dégarnis et poussait des grognements. Depuis sa

164
retraite, Burt restait vautré dans un fauteuil crasseux. Il ne
se lavait jamais et avait une épaisse couche de tartre sur les
dents. Ses oreilles n’avaient plus été nettoyées depuis des
siècles. Le cérumen s’accumulait dans son conduit auditif.
Burt entendait peu. Par contre, il écoutait tout ce que sa
femme disait.
La famille Raven passait ses journées dans la cuisine.
Celle-ci, petite, se situait au sous-sol de la maison. À part
la lumière de la hotte, la pièce était obscure.
Assises autour de la table, Rita et Peggy fumaient. Les
deux sœurs soufflaient d’épais ronds de fumée qui
flottaient dans l’air. Leur mère, cigarette entre les doigts,
remuait un bouillon. Quelques cendres tombèrent dans la
soupe.
Rita et Peggy étaient influencées par leur mère. Elles
l’idolâtraient. C’était leur « Maman chérie ». Depuis
trente-quatre ans, le sujet de conversation n’avait pas
changé. Les Pourries critiquaient la famille Vilton. Elles
avaient la haine envers ces gens. Pendant qu’elle rajoutait
du sel dans son consommé, Claudia s’adressa à ses filles.
— Le bâtard a menacé votre tante ! Il était armé d’une
batte de base-ball !
Rita écrasa son mégot dans le cendrier. Choquée, elle
demanda :
— Il a menacé Thérèse ?
La mère se retourna et pointa du doigt sa fille. Furieuse,
Claudia cria :
— On dit « Tante Teresa », impolie ! Tu manques de
respect à ma sœur ! C’est l’Adjointe !
— Pardon, Ma…
Peggy lança :
— Cette vermine de Richard imite son père ! Elliot

165
Vilton Sr. se comportait aussi de cette manière ! Ce sont
des gangsters ! Des psychopathes ! Une famille de fous !
Les murs de la cuisine étaient jaunis par le tabac.
L’odeur avait imprégné le tissu du fauteuil où Burt, cloué,
se mit à toussoter. Ses toussotements irritaient sa femme.
Cette dernière lui balança la louche en pleine figure. Le
vieux gémit. Il avait mal. Burt cligna d’un œil. L’œil avait
été touché. Claudia ramassa l’ustensile.
— On ne crache pas ses poumons ! Je te l’ai répété des
centaines de fois !
Énervé, le mari répondit :
— Ferme-la ! T’es qu’une sauvage !
Claudia devint rouge. Celle-ci était en colère. La mère
regarda l’aînée.
— Va corriger ton père !
Rita se leva et gifla son père. Le bruit du coup était sec.
— Aïe !
— C’est pas bien d’insulter Maman, Pa !
Peggy alluma une autre cigarette.
— Tu frappes mieux que Maman, ma sœur !
— J’ai pris d’elle, Peg !
Claudia laissa mijoter le velouté à feu doux. La mère
s’installa à table, auprès de ses filles.
— La prochaine réunion de La Secte aura lieu en
novembre !
La benjamine demanda :
— Où ça ?
— J’ai réservé une grande salle dans une petite ville
d’Indiana ! Vous allez venir avec moi, toutes les deux !
L’aînée lima ses ongles longs.
— Sylvia sera là ?
— Non ! Votre sœur de Genève est occupée !

166
— Comment elle réussit à hypnotiser des milliers de
gens par semaine ?
— Elle est intelligente !
— Moi, je ne le suis pas ?
— T’es jalouse de ta sœur ? Ton entreprise
d’Hypnotisés est un succès ! Pense à toi, ma fille !
Peggy ouvrit son miroir de poche et se mit du rouge à
lèvres.
— Le mois prochain, je vais dans le Berry, Ma !
— Tu vas voir Madame Marie-France ?
— Oui ! Nous devons ensorceler un médaillon !
— Embrasse-la de ma part !
Rita vida le cendrier dans la poubelle. Elle le remit sur
la table.
— T’es contente de reprendre l’organisation, Ma ?
— La disparition de Notre Seigneur me perturbe ! Il
avait prévu un plan ! Karen… Cette chipie… C’est elle qui
est derrière tout ça !
— La fille de ma sœur ?
— Oui, idiote ! Y’a pas 36.000 garces comme elle !
Peggy referma le miroir.
— On ne connaît pas toute l’histoire, Ma…
— Tu défends une Vilton ? Une saloperie ?
— Non ! Elle est dans le coup, c’est sûr ! On lui a prêté
main forte… C’est ce que je pense !
— Votre sœur Margaret a été impulsive ! Elle s’est
attiré trop d’ennuis !
L’aînée lança :
— Tu m’étonnes, on l’a foutue à la porte !
— Notre Seigneur aurait arrangé les choses… Il savait
comment contrôler le gérant ! À cette heure-ci, votre sœur
serait encore chez Manno !

167
Dans son fauteuil tout sale, Burt s’écria :
— Teresa a raté aussi ! Elle n’a pas tué le môme !
Enragées, Claudia et ses filles se jetèrent sur le vieillard.
Elles le rouèrent de coups. Peggy tabassa son père avec une
pantoufle. Rita griffa le vieux au visage. Claudia étrangla
son mari. Burt sentait arriver les douleurs. Celles-ci
devenaient intenses. Il avait mal. On lui arrachait la peau
du visage. Il étouffait.
— Arrêtez, s’il vous plaît !!!
Les trois mégères cessèrent. Burt avait des hématomes
partout. Son visage était griffé. Il avait une bosse sur le
crâne. Claudia lui cracha dessus.
— Ose te foutre à nouveau de ma sœur, gros tas de
fientes !
Rita et Peggy ricanèrent. Leur mère les regarda d’un air
sévère.
— Stop ! Rasseyez-vous !
Les deux sœurs obéirent. La cicatrice de Claudia
s’élargit à son poignet. La blessure formait une tache
grisâtre. La benjamine murmura à sa mère :
— Ta cicatrice, Ma…
— Où est le problème ? Nous sommes à la maison !
L’aînée montra la jaquette d’un CD à sa mère. Sur la
pochette, il y avait une illustration. Celle-ci représentait un
diable qui, avec une lance, transperçait un ange. Le titre
était : « Dead Angels Forever ».
— Le nouvel album de ton fils ! Il cartonne dans le
monde ! Spotify compte déjà 2000 abonnés ! Des
Hypnotisés !
Claudia saisit la jaquette. Elle y jeta un œil et sourit.
— Mon bébé… Il ne m’a jamais déçu, celui-là !
— John va bientôt dépasser notre sœur de Genève…

168
Peggy demanda :
— Quand allons-nous avoir les gants ?
La mère caressa son menton.
— Patience… L’Arme redoutable continue de tourner !
Amoché par les coups qu’il avait reçus, Burt se marra. Il
s’adressa à sa femme.
— Au lieu de fabriquer plusieurs paires, l’imbécile de ta
sœur n’en a fait qu’une… Quelle incompétente !
Claudia commençait à bouillonner. Elle retroussa les
manches de sa chemise rose. La mère regarda ses filles.
Les deux sœurs rirent comme des hyènes. Les trois
sorcières avancèrent, les poings serrés, vers le malheureux.
Cloué dans son fauteuil, Burt paniqua. Il allait revivre le
supplice.

Dans la campagne genevoise, Christine, 30 ans, balayait


devant la porte de sa maison. Le ciel était bleu malgré
quelques nuages. La maison de Christine était située en
face d’un champ. De l’autre côté de celui-ci se trouvaient
les montagnes.
Un berger et son troupeau de moutons passèrent. Les
bêtes bêlaient. On entendait le son des sonnailles. Le
berger sourit à Christine. Avec un petit rictus, la jeune
femme lui répondit d’un signe de tête. Lorsque le pasteur et
ses animaux s’éloignèrent, Christine déposa son balai
contre la porte. Essoufflée, elle s’essuya le front. Elle avait
assez travaillé pour aujourd’hui.
Soudain, une vieille femme bossue avança vers elle. La
vieille marchait à l’aide d’une canne. Elle portait un
foulard sur la tête. Fripée jusqu’à la moelle, ses yeux

169
étaient noirs. La vieille avait une bouche en cul de poule et
une grosse verrue sur le nez. Elle devait avoir une centaine
d’années. Avec sa main tremblotante, l’ancienne tendit une
brochure à la jeune femme. Une colombe décorait la
couverture du livret. D’une voix grinçante, la vieille lança :
— Achetez mon livre, s’il vous plaît ! Je suis pauvre !
Je vois très mal !
Apitoyée, Christine répondit :
— Combien vous demandez pour votre livre ?
— Oh, pas beaucoup… 1 franc suisse !
— Je le prends !
Au moment où la jeune femme regarda la couverture de
la brochure, la vieille se mit à rire. Christine ne voyait plus
l’image de la colombe. À la place, des yeux rouges
flamboyants apparurent. Des flammes tournoyaient autour
des yeux rouges. Christine commença à haïr les Anges
maléfiques. Hypnotisée, elle murmura :
— Oui… Je vais tous les étrangler…
La centenaire s’en alla dans la forêt et retira son
masque. Une femme au visage glamour se cachait derrière
ce déguisement. Celle-ci avait les cheveux courts et frisés.
Sylvia Raven ricana. La Pourrie venait d’hypnotiser sa
centième victime de la journée…

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CHAPITRE 23

Une machine extraordinaire

En ce début du mois d’octobre, les Mitchell arrivèrent à


Paris. La France était une première pour cette famille de La
Secte. Tyler et Alice Mitchell avaient deux enfants. Candice,
16 ans, était une adolescente accro aux séries télévisées. Elle
se refaisait tous les épisodes de Glee et était amoureuse du
Dr. House. Candice dépensait entièrement son argent de
poche pour avoir accès à Netflix. Elle hypnotisait peu. Cela
agaçait ses parents. Finn, 13 ans, passait son temps sur
Instagram. Il était abonné à tous les Membres d’Amérique. Il
les suivait du matin au soir. Finn adorait ça.
Les Mitchell déposèrent leurs valises dans la chambre
d’hôtel. Celui-ci était situé à Saint-Germain-des-Prés. En
face, il y avait les cafés, les restaurants et les boutiques
élégantes. Les Mitchell regardèrent derrière les rideaux,
fascinés par la vue. Tyler lança :
— L’endroit idéal pour les faire rejoindre notre
communauté !
Alice pouffa de rire.
— Chéri, enfin ! Nous sommes en vacances ! Profitons !

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Sur son smartphone, Finn était en train de visionner les
stories. Candice vérifia combien de chaînes proposait la
télévision. Pas grand-chose, apparemment. Disney
Channel, c’était pour les gosses. France 2, si vous ne pigez
pas la langue de Molière, vous avez l’air d’un idiot.
Canal +, si vous n’aimez pas le sport et le cinéma, mieux
vaut passer à la chaîne suivante. Embêtée, l’adolescente
éteignit le poste. Vivement Netflix. Soudain, Finn s’écria :
— Maman ! Papa ! Venez voir ça !
Alice soupira.
— Quoi, encore ? On sait bien qu’Al Bennett s’est
évanoui lorsqu’il a enfilé ses gants pour la première fois…
La mère traîna les pieds. Finn avait son doigt sur
l’écran.
— Regarde !
Il s’agissait d’une vidéo avec un effet « boomerang ».
On y voyait un homme soulever un Ange maléfique par le
cou. Il portait le gant. L’action se répétait en boucle. Le
père lança :
— Envoie-la-moi ! Je vais la poster !
— Ce soir, chéri ! Le bateau-mouche nous attend !
Candice demanda à sa mère :
— Je peux rester ici, moi ? J’ai horreur des excursions !
— Non ! Tu viens ! Ça te changera de tes séries
stupides ! Elles n’apportent rien à la vie !
— T’es chiante !
Tyler grommela :
— Hey ! Soigne ton langage !
Finn s’esclaffa. Alice s’adressa à son fils.
— Toi, tu mets Instagram en hibernation !
Réjouie, Candice fit une grimace à son frère. Ce dernier
râla.

172
— C’est pas juste !
— Oh que si ! Tu nous saoules avec tes conneries !
— Je ne t’ai rien demandé, Miss Streaming !
Le père se fâcha.
— C’est fini, cet acharnement ?
Frère et sœur baissèrent les yeux. Avant de quitter la
chambre, les Membres de La Secte repassèrent vite une
couche de pommade au poignet.
La famille Mitchell découvrit Paris. La french food était
différente des burgers, hot-dogs et autres crasses. Éberlués,
ils admirèrent la cathédrale Notre-Dame. Finn tira plein de
photos et les publia sur Instagram. Les Membres de son
pays « likèrent ».
Les Mitchell visitèrent la Tour Eiffel. Pas terrible. Les
gratte-ciels aux États-Unis étaient plus impressionnants. Ils
allèrent ensuite au Musée du Louvre. Cette pyramide dans
la cour Napoléon… Quelle merveille !
La famille se rendit aussi au Château de Versailles.
Incroyable, ce monument historique !
Finalement, les Mitchell tombèrent amoureux de cette
ville.

Au collège Arthur Rimbaud, la fin des cours approchait.


En classe, Augustin, discret, envoyait des textos à sa
copine. Celle-ci s’appelait Roxane. Roxane pensait
qu’Augustin le trompait. Le collégien se justifia. Il
commença à bouger les jambes. Têtue, Roxane refusait de
croire son copain.
Agité, Augustin fit trembler la table. Madame Terrieu,
professeur de sciences, se retourna. Elle avait terminé

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d’écrire au tableau. La prof se frotta les mains. La poudre
de la craie s’éparpilla. Loïc, un élève, demanda :
— Une interrogation est prévue, Madame ?
— Non… Néanmoins, je pourrais en imposer une à
l’improviste !
Jérôme, le « bizarre » du collège, lança :
— Je vous aime, Madame Terrieu !
Toute la classe se mit à rire. Le professeur avait la main
sur la tête, embarrassée.
— Jérôme… Qu’est-ce qu’on va faire de toi ?
Une élève proposa :
— Enfermez-le dans un congélateur !
Les camarades continuèrent de se marrer. Jérôme
regrettait d’avoir ouvert la bouche. Le regard de Madame
Terrieu s’arrêta soudain sur Augustin. Ce dernier avait la
tête baissée. L’élève installé derrière lui siffla. Il tentait de
le prévenir. Mais c’était trop tard. Mains sur les hanches,
Madame Terrieu se tenait devant Augustin. Elle tapa du
pied.
— Que faites-vous avec ce téléphone ? À qui écrivez-
vous ?
Le collégien répondit :
— Heu… À mon père !
— Sortez de mon cours ! Immédiatement !
— Je…
— Dehors ! Donnez-moi votre iPhone ! Il est
confisqué !
— Comment je vais joindre…
— C’est pas mon problème ! Dégagez !
À contrecœur, Augustin tendit le téléphone à son
professeur. Il prit ses affaires et claqua la porte.
Tandis qu’il marchait dans les couloirs, le collégien

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aperçut une ancienne caisse enregistreuse qui traînait par
terre. Celle-ci était en bronze métallique. Un post-it était
collé dessus.
Intrigué, Augustin lut le petit mot.
« Bravo Lucas ! 20/20 pour cette magnifique
invention ! »
« Ça n’a rien de magnifique, ça existait déjà avant ! »,
pensa le collégien.
Il souleva la machine. Celle-ci était lourde et sentait le
fer. Augustin l’examina. Il y avait plein de boutons. La
caisse comportait un tiroir. Au verso du post-it, un autre
mot était écrit.
« Cette machine peut multiplier n’importe quel
objet… »
De l’argent…
Le collégien était excité. Il allait devenir riche.
Milliardaire. Il se voyait déjà dans une grande villa de Los
Angeles avec trois piscines, une salle de cinéma, un jet
privé et…
La sonnerie de l’école retentit. Rapidement, Augustin
fourra la machine dans son sac.
En sueur, il rentra à la maison. Son cartable pesait une
tonne. Il le déposa par terre. Le bruit du métal résonna.
Curieux, son père lui demanda :
— Il y a quoi, à l’intérieur ?
— Heu… Rien… C’est… une encyclopédie !
— Mon œil… Ouvre ce sac !
— Mais…
— Dépêche !
Augustin s’exécuta. La tirette de son Eastpak était
cassée. Le sac s’ouvrait presque tout seul tellement il
l’avait forcée. En voyant la machine, le père grogna :

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— Où as-tu trouvé ça ?
— À l’école… Cet engin est capable de multiplier des
objets !
— N’importe quoi ! Redescends sur terre !
— C’est la vérité, Papa ! On peut reproduire du
pognon ! Nous deviendrons riches !
Furieux, le père emporta la caisse et l’enferma dans la
buanderie. Il dit à son fils :
— Dimanche, on s’en débarrassera à la brocante !

Les Mitchell connaissaient Paris par cœur. Tyler pouvait


raconter toute l’histoire de la capitale à ses amis. Alice
avait noté les recettes de la cuisine française. Elle allait les
réaliser dès qu’ils seraient rentrés chez eux. Candice avait
acheté le coffret de Plus belle la vie. Elle espérait que cette
série serait captivante. Finn bombardait Instagram de
photos. Ses confrères de La Secte le suivaient à la seconde
près. Certains étaient jaloux. Ils n’avaient jamais mis les
pieds en Europe.
Avant leur départ, les Mitchell parcoururent une
brocante. Les particuliers avaient ressorti des objets
antiques, des VHS, des vieilles radios et d’autres perles
rares. La famille de La Secte regardait cette ancienne
caisse enregistreuse. Celle-ci était belle, en bronze
métallique. Elle datait au moins des années 1950.
Tyler sourit. Ça lui rappelait de vieux souvenirs… Il
était petit. Il entendait le son. Le « dring » de la caisse. Il
achetait des sucettes au citron. C’étaient ses préférées.
Tyler devait prendre cette machine. Le Membre devait
rester connecté avec ce passé maintenant révolu.

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Augustin et son père étaient assis sur une chaise. Ils
observaient cette famille. Celle-ci semblait être intéressée
par la caisse enregistreuse.
Le père d’Augustin lança :
— C’est un modèle de 1955.
Tyler ne dit rien. Le collégien lui demanda :
— English ?
Le Membre de La Secte répondit dans la langue de
Molière.
— Je sais parler français !
— Cette machine n’est pas une caisse, vous savez !
— Ah bon ? C’est quoi, alors ?
Le père d’Augustin marmonna :
— Arrête, s’il te plaît ! T’es ridicule !
Le collégien s’en ficha. Il continua.
— Un engin qui multiplie des objets !
Tyler pouffa de rire. Alice et les enfants se regardèrent.
Ceux-ci ne comprenaient rien au français.
Augustin soupira.
— Vous voulez qu’on fasse un essai ?
— Je veux bien, même si c’est absurde…
Énervé, le père s’adressa à son fils.
— Abruti ! Tu te venges de moi, c’est ça ?
Le collégien le nia et détacha la montre de son poignet.
Augustin ouvrit le tiroir de la machine et y déposa l’objet.
Il referma et demanda à Tyler :
— Combien vous en voulez ?
— Oh, disons… dix !
— Très bien !
Le collégien appuya sur la touche 1 et la touche 0. La
machine se mit en marche. Elle vibra. Ça sentait le brûlé.
Une fumée se dégagea. On aurait dit que ça allait exploser.

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Les Mitchell reculèrent. Le père d’Augustin haussa les
sourcils. Son fils avait raison…
Lorsque le « dring » retentit, l’appareil cessa de bouger.
Le tiroir s’ouvrit. Il y avait bien dix montres, toutes
identiques.
Tyler se frotta les yeux. Celui-ci n’en revenait pas.
Alice resta bouche bée. Candice et Finn se regardèrent. Ils
étaient impressionnés. Cela voudrait dire que…
Tyler tendit un billet de 100 euros au collégien.
— C’est pour toi, mon garçon !
Les poings serrés, Augustin ne voulait pas vendre cette
machine extraordinaire. La famille de La Secte lui souriait.
Il arracha le billet des mains de Tyler.
— Merci !
Le père du collégien grogna en silence. Celui-ci aurait
dû écouter son fils…

De retour en Amérique, les Mitchell présentèrent la


machine à tous les Membres de La Secte. Claudia Palmer,
la Fondatrice, décora Tyler. La Pourrie le nomma Co-
Adjoint. En outre, la famille Mitchell reçut une prime d’un
million de dollars.
La paire de gants, l’Arme redoutable qui était unique
jusqu’à présent, se multipliait chaque jour grâce à la
machine. Désormais, La Secte n’avait plus besoin
d’hypnotiser. L’heure de la fin arrivait bientôt pour les
Anges maléfiques…

FIN DU TOME 1

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