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LA LITTÉRATURE MAROCAINE

)CAINE... 133
1945-1968 Maghreb Algérie Tunisie/Maroc
romans et récits 64 48 16
nouvelles et contes 5 3 2
recueils et poèmes 89 69 20
pièces de théâtre 15 11 4
Total 173 131 42

L'apport du Maroc

En ce qui concerne le Maroc, maintenant, mais complé-


tés jusqu'en 1972, les chiffres sont les suivants :
1945-1972 Marc
romans et récits 17
nouvelles et contes 2
recueils de poèmes 16
pièces de théâtre 4
Total 39

Sur une période de vingt-cinq ans, quelque trois douzaines


d'ouvrages de littérature seulement, la plupart édités en
France, par ailleurs, la réussite est évidemment modeste. Pou-
vait-on s'attendre à mieux ? D'autres chiffres, ici, doivent être
mentionnés.
On devra se rappeler, en effet, qu'au Maroc, en 1945, soit
33 ans après le début du Protectorat français, le taux de scola-
risation, dans l'enseignement primaire, n'atteignait que 4%<T);
qu'en 1951, à Casablanca, 400,000 arabes ne disposaient que
de 8 écoles (1 école/50,000 h.), contre 33 écoles pour les
150,000 Européens (11 écoles/50,000 h.)' 8 ' ; qu'en 1956 la
population musulmane du Maroc n'était scolarisée qu'à
(7) Jean-Louis Miège, Le Maroc. Paris, P.U.F., 1971, (Que sais-je?, no 439),
p. 64.
(!) Driss Chraibi. Osi va le Maroc? Casablanca, Antar, 1952, p. 137.
(9) Souffles, no 20-21, 1971.
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13%<9> ; qu'en 1970 enfin, dans ce pays « jeune » (50% de la


population a moins de 25 ans, et 70% a moins de 30 ans),
« moins de 30% des enfants marocains prennent le chemin de
l'école, 1% des Marocains de 20 à 25 ans le chemin de l'uni-
versité », et que « trois jeunes Marocains de 20 à 25 ans sur
quatre, et 9 sur 10 de 20 à 29 ans sont analphabètes' 10 ' ».
Dans ces conditions, le nombre des écrivains ne peut pas être
très élevé. L'Algérien Halek Haddad notait, dans les zéros
tournent en rond : « Je suis moins séparé de ma patrie par
la Méditerranée que par la langue française. Ecrirais-je l'ara-
be qu'un écran se dressait quand même entre mes lecteurs
et moi : l'analphabétisme" 1 ' ». Cette constatation, tel ou tel
écrivain marocain actuel peut la faire sienne, et parler pour
tous :
je suis analphabète
mon seul délit
est que je m'appelle Hamid
(...)
je suis analphabète
et je reste seul
trébuchant comme un aveugle dans les
marécages de mon esprit
(Hamid El Houadri)' 1 2 '

La littérature marocaine d'expression française a donc


connu des débuts très lents. Dans la mesure où un classement,
en la matière, est possible, deux périodes seraient aujourd'hui
à cnsidérer : une première période, qui s'achève vers 1962,
et une seconde période, qui s'ouvre à partir des années 1965-
1966. Nous nous sommes proposés de nous arrêter davantage
sur celle-ci ; jetons quand même d'abord un bref coup d'oeil
sur celle-là.

(10) Kamal-Eddine Mourad, Le Maroc à la recherche d'une révolution. Paris,


Sindbad, 1972, p . 16S.
(11) Malek Haddad, Ecoute et je t'appelle, poésie, précédé de Les héros tournent
en rond. Paris, Maspéro, 1961, p . 9
(12) Hamid El Houadri, dans Souffles, no 1, 1966.
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Les débuts de la littérature marocaine


d'expression française.

Sur les quelque vingt auteurs marocains de langue fran-


çaise qui se sont manifestés jusqu'à ce jour, il s'en trouve
plusieurs, dans la période 1945-1962, dont la présence, il faut
bien le dire, ne s'avère pas absolument nécessaire, et ce n'est
que pour mémoire que nous rappellerons les noms du dra-
maturge Ahmed Belhachmy, des romanciers Taieb Djemeri,
Abdelkader Bel Hachmy et Abdelkader Oulhaci, et des poètes
Mohammed El Hocein et Kamel Zebdi. Trois écrivains, tout
au plus, méritent d'être signalés : Sefrioui, Lahbabi, Chraibi.
Les nouvelles du Chapelet d'ambre i l 3 ) que Hamed Se-
frioui (né à Fès en 1915, de parents berbères) faisait paraître
en 1949 sont considérées comme l'acte de naissance de la lit-
térature marocaine d'expression française. Sefrioui, qui est
essentiellement un conteur, a peu publié : un roman, la Boîte
à merveilles11**, en 1954, complète son oeuvre. Une littérature
c ethnographique », ou documentaire, a-t-on dit à propos de
Sefrioui ; une oeuvre, en tout cas, où la description de la vie
traditionnelle se tourne plus volontiers vers le passé que vers
le présent, et que les qualités de l'écriture ne suffisent pas,
aujourd'hui, à racheter' 18 '.
Mohammed Aziz Lahbabi (Fès, 1922) a par contre davan-
tage publié. Ecrivant en arabe et en français, c'est d'abord un
philosophe (Le personnalisme musulman, 1964), doublé par-

(13) Ahmed Sefrioui, Le Chapelet d'ambre. Paris, Julliard, 1949 — réédition au


Seuil, 1964.
(14) Ahmed Sefrioui, La Boite à merveilles. Paris, Seuil, 1954 — réédité en
1971.
(15) O n nous demandera peut-être de citer un passage de Sefrioui ? « Depuis que
je suis en possession de ce chapelet d'ambre, mes pas deviennent fermes,
mes yeux voient clair et mes narines s'ouvrent à toutes les senteurs. Le
chapelet d'ambre sera la main tendue pour soutenir mes défaillances. Il me
servira de collier et pendra sur ma poitrine. Son odeur rendra mes
jours ensoleillés. Un principe de vie germe dans chacune de ses bou-
les. De leur éclosion naîtra un univers. Lorsque je prendrai femme, je
poserai sur son ventre blanc et poli comme jade dans la chaude moiteur
du lit, les grains parfumés de mon chapelet. Avec l'aide de Dieu, ma
semence donnera son fruit. Un mâle héritera de mon sang. ( . . . ) » (Le
Chapelet d'ambre).
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fois d'un poète : Les chants d'espérance, 1952' ', Misères et
lumières, 1958' 17 ', Ma voix à la recherche de sa voix, 1968' 18 '.
Pas plus que Sefrioui toutefois, Lahbabi ne semble trouver
beaucoup d'audience parmi les écrivains marocains actuels' 19 '.
Il n'en va pas tout à fait de même dans le cas de Driss
Chraibi, auteur qui a été défendu récemment, quoique de
façon nuancée, par l'équipe de la revue Souffles<20). Chraibi
(El Ladida, 1926), avec huit romans (dont un, signé d'un
pseudonyme, que nous n'avons pas identifié) et un recueil
de nouvelles' 21 ', fait preuve depuis vingt ans d'une belle
constance. Le passé simple (1954), son premier roman' 2 2 ',
avait provoqué à l'époque une certaine controverse, le monde
politique marocain s'en emparant pour accuser l'auteur, dans
les circonstances (les relations franco-marocaines connaissaient
alors un moment difficile), de donner des armes à l'adver-
saire. Par son refus, par sa révolte — « Je pisse. Je pisse dans
l'espoir que chaque goutte de mon urine tombera sur la tête
de ceux que je connais bien, qui me connaissent bien, et
qui me dégoûtent. » — le Passé simple, « violent pamphlet
contre la sclérose de la société musulmane et particulièrement
de la famille patriarchale' 23 ' », innovait sur l'époque : âpre-
ment, on passait au réalisme.
(16) Mohammed Aziz Lahbabi, Les chants d'espérance. Le Puy, Cahiers du
nouvel humanisme, 1952.
(17) Mohammed Aziz Lahbabi, Misères et lumières. Paris, P. J. Oswald, 1958.
(18) Mohammed Aziz Lahbabi, Ma voix à la recherche de sa voix. Paris, Seghers,
1968.
(19) «Le poète fait vibrer les couleurs du Verbe», etc. (Ma v o i x . . . ) —
Le philosophe ne parait pas davantage apprécié : « Quand un philosophe
arabe écrit un livre sur le < personnalisme musulman » on peut longtemps
et vainement se demander si c'est le personnalisme qui est musulman par
nature ou si c'est l'Islam qui se convertit au personnalisme » (Abdallah
Laroui, L'idéologie arabe contemporaine. Paris, Maspéro, 1967, p. 177.
(20) Souffles, no 3, 1966 ; no S, 1967.
(21) Driss Chraibi, De tous les horizons, Paris, Denoel, 1958.
(22) Driss Chraibi, Le Passé simple. Paris, Denoel, 1954 — les autres romans
de Chraibi ont aussi été édités chez Denoel.
(23) Abdelkebir Khatibi, Le roman maghrébin. Paris, Maspéro, 1968. — Sur
l'importance qu'il convient d'accorder au Passé simple : « A l'Orient ver-
moulu, Taha Hussein n'a pas été capable de porter, dans le Livre des
Jours, les coups de boutoir que lui assène le Passé simple » (Hassan El
Nouty, < Les écrivains maghrébins d'expression française initiateurs ou dé-
racinés ? » dans Actes du lVe congrès de littérature comparée (Fribourg,
1964), Paris & La Haye, Mouton, 1966, p. 353.

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