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réservées aux sociétés prémodernes et en mettant en forme une vision

sociale des mythes et des imaginaires collectifs.


Plus précisément, ma démarche se fonde sur l’idée que tous les types de
mythes, modernes ou prémodernes, procèdent d’une dynamique sociale
animée par des stratégies de pouvoir, des divisions, des conflits et des
contradictions. Elle remet aussi en question la coupure qui a été opérée
entre les mythes des sociétés dites primitives et ceux des sociétés modernes.
En somme, ma tentative est restreinte, étant centrée sur un seul type de
représentations collectives, mais elle est ambitieuse aussi, car elle vise à en
rendre compte en profondeur et d’une manière qui, sur divers points,
s’écarte des sentiers jusqu’ici pratiqués8.
En résumé, cet essai est construit autour de cinq idées maîtresses :
1. Les mythes sont couramment associés soit à des chimères, soit à des
discours trompeurs et dangereux ; mais c’est là une simplification qui
empêche de discerner leur vraie nature, laquelle va bien au-delà de ces deux
perceptions familières ;
2. Les mythes demeurent un puissant mécanisme dans nos sociétés, en
dépit de ce que suggère une tradition de pensée encore très influente qui en
fait un attribut des sociétés prémodernes, lequel, grâce au progrès, aurait
cédé la place à l’empire de la raison ;
3. Le fonctionnement de ce mécanisme social et symbolique, de nature
universelle, a été insuffisamment étudié par les sciences sociales au cours
des dernières décennies ;
4. Il presse de s’interroger sur les facteurs et processus qui commandent
la naissance, la reproduction et le remplacement des mythes, lesquels jouent
aujourd’hui un rôle peut-être d’autant plus important qu’il passe souvent
inaperçu ;
5. C’est cette lacune que je voudrais combler en proposant un modèle
original d’analyse des mythes sociaux, à la rencontre de la réflexion
théorique et de l’enquête empirique.

À toutes fins utiles, je crois devoir aussi préciser que je ne reconnais pas
de préséance aux mythes et aux imaginaires collectifs parmi l’ensemble des
facteurs explicatifs du social. Je ne prétends pas non plus tirer au clair les
rapports ou les modes d’interaction complexes entre le culturel et le social,
bien que j’aurai quelques réflexions à proposer sur ce sujet. Par ailleurs, je
me distancie de la tradition de recherche initiée par Clifford Geertz, comme
de toutes les théories structuralistes qui abordent la culture comme si elle
était un système cohérent. Je préfère l’aborder comme un amalgame formé
a) de segments parfois cohérents et parfois contradictoires, mais toujours en
interaction, et b) de larges plages d’indétermination.
Pour cette raison et pour d’autres, je suis réfractaire à l’approche de
Claude Lévi-Strauss dans la mesure où elle ne laisse pas de place à
l’émotion, alors que je tiens celle-ci pour une composante centrale du
mythe. En outre, cette approche ne se montre pas assez soucieuse de mettre
au jour les enracinements sociaux du mythe.
Enfin, à ma courte honte, je confesse éprouver un malaise à l’endroit des
théories générales. Elles me semblent souvent établir leur cohésion aux
dépens de la complexité du social ; en systématisant, il arrive qu’elles
amputent ou occultent autant qu’elles éclairent.

1. Je remercie Alain Roy qui, depuis quelques années, a accompagné ma réflexion sur le mythe, de
même que les membres du groupe Successful Societies du Canadian Institute For Advanced Research
(CIFAR), tout spécialement Peter Hall, Michèle Lamont, William Sewell et Ann Swidler. Ma
reconnaissance va également à Nathan Glazer, Susan Hodgett et Jean-Jacques Wunenburger. J’ai
aussi tiré grand profit des commentaires formulés à l’occasion de nombreuses présentations de mes
propositions dans le cadre de communications ou de conférences en Amérique, en Europe et ailleurs.
Ce texte s’inscrit dans la programmation de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires
collectifs, dont je suis le détenteur. Il a aussi bénéficié du soutien financier de l’Université du Québec
à Chicoutimi et de la Fondation de l’Université du Québec à Chicoutimi.

2. On peut en trouver des survols et des discussions dans L. Spillman (2002), J. C. Alexander (2003),
R. Friedland et J. Mohr (2004), M. D. Jacobs et N. Weiss Hanrahan (2005), J. R. Hall et alii (2010),
J. C. Alexander, R. Jacobs et P. Smith (2012), de même que les Reviews in Cultural Theory
(www.reviewsinculture.com). Enfin, M. Schudson (1989), D. Crane (1994) et W. H. Sewell (1999)
demeurent des références très utiles.

3. À ce propos, voir entre autres P. DiMaggio (1997).

4. Pour un point de vue similaire : J. R. Hall (1993)

5. Je donne à ce dernier concept une acception très étendue en y incluant toutes les formes de lien
social qui s’instituent aux échelles les plus diverses : famille, communauté, ville, région, classes,
nation… J’y inclus également la socialité qui se déploie dans les institutions et organisations. Quant
au concept de société, il doit être compris au sens de « société globale », en référence à la théorie
sociologique de Georges Gurvitch. En pratique, cette expression est couramment assimilée au cadre
de la nation ou de l’État-nation.

6. De brefs survols sont présentés notamment dans D. Crane (1994, chapitre 3), M. Lamont et M. L.
Small (2008). Selon J. C. Alexander et P. Smith (2001, p. 2-3), la sociologie de la culture présenterait
cette dernière comme devant être expliquée par des facteurs externes, tirés du social. Pour les
praticiens de la sociologie culturelle, la culture est vue comme autonome et elle contiendrait son
propre principe explicatif. J’y reviendrai.

7. C’est une idée que l’on retrouve chez de nombreux classiques des sciences sociales, mais aussi
chez divers auteurs plus récents comme C. Castoriadis (1975) ou D. Schnapper (1994).

8. Pour une présentation sommaire, voir G. Bouchard (2013c).

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