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© Les Éditions du Boréal 2014

Dépôt légal : 3e trimestre 2014


Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Diffusion au Canada : Dimedia


Diffusion et distribution en Europe : Volumen

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du


Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Bouchard, Gérard, 1943-
Raison et déraison du mythe : au cœur des imaginaires collectifs
Comprend des références bibliographiques et un index
ISBN 978-2-7646-2335-0
1. Mythe. 2. Représentations sociales. I. Titre.
BL304.B68 2014 201’.3 C2014-941514-1
ISBN PAPIER 978-2-7646-2335-0
ISBN PDF 978-2-7646-3335-9
ISBN ePUB 978-2-7646-4335-8
Introduction1

Il existe dans toutes sociétés, celles d’aujourd’hui comme celles d’hier, des
valeurs et des croyances qui en viennent à exercer un tel ascendant qu’elles
s’imposent aux esprits. D’origine religieuse ou non, elles jouissent d’un
statut qui leur permet d’échapper en grande partie à la contestation. Toute
remise en question est perçue comme une profanation. Ainsi, qui voudrait
rejeter les libertés civiles en Angleterre, l’égalité des citoyens en France, le
droit de propriété aux États-Unis, l’égalité des races en Afrique du Sud ou
l’égalité homme-femme au Québec ? Baignant dans l’émotion et la
sacralité, ces valeurs sont devenues intouchables. Par quel chemin y sont-
elles arrivées ?
En d’autres mots, comment naît un mythe ? Comment accède-t-il à la
sacralité ? Comment se diffuse-t-il et assure-t-il sa reproduction ? Comment
vient-il à décliner ? Quel rôle y jouent d’un côté les forces de l’inconscient,
de l’autre les acteurs sociaux ? Et pourquoi ne porte-t-on pas davantage
attention à ces représentations puissantes qui expriment les sentiments les
plus profonds d’une société, qui nourrissent les identités, les idéologies, qui
structurent les visions du passé et de l’avenir, qui inspirent les choix
collectifs et balisent le débat public ? Toutes ces questions et quelques
autres sont le sujet du présent ouvrage.
Au cours des trois dernières décennies, la sociologie culturelle est
devenue un champ de recherche particulièrement actif et créatif qui s’est
déployé dans de nombreuses directions. Il en a résulté une impressionnante
variété de spécialisations, d’approches théoriques, de concepts et de
méthodes. En conséquence, ce domaine de recherches se présente
aujourd’hui comme un vaste ensemble éclaté de questions et d’avenues qui
défient toute tentative de synthèse2. Cela dit, on note que la sociologie tout
comme l’ensemble des sciences sociales, au contraire d’autres disciplines,
se sont étrangement détournées de l’étude du mythe, ce concentré
d’imaginaire, d’émotion, de raison et de sacré qui se nourrit de récits,
s’enracine dans la psyché et sert de levier dans les jeux de pouvoir.
En conséquence, des questions fondamentales demeurent ouvertes. C’est
le cas, notamment, de la place du mythe dans les sociétés contemporaines
et, plus généralement, des rapports entre le culturel et le social. De même,
divers courants ont beaucoup exploré les ressorts profonds des
représentations collectives, en particulier les images préconscientes, les
structures mentales. Mais ces travaux sont lacunaires sur la question du
changement qui affecte ces images ou structures : comment prennent-elles
forme ? D’où tirent-elles leur force ? Comment évoluent-elles ? Comment
s’articulent-elles aux contextes mouvants3 ?
Ce sont là, indiscutablement, des problèmes très complexes que le
présent essai, s’il est utile de le préciser, ne cherche pas à résoudre ni même
à embrasser dans leur totalité. Plus modestement, j’aimerais baliser au sein
de l’univers culturel une voie d’analyse – parmi bien d’autres possibles –
susceptible de combler certaines des carences qui viennent d’être évoquées.
Cet itinéraire est centré sur un élément spécifique, à savoir les mythes
sociaux en tant que représentations logeant au cœur des imaginaires
collectifs.
On pourrait soutenir raisonnablement que ce concept d’imaginaire offre
un accès à l’ensemble de la culture, comme c’est le cas avec d’autres
démarches, notamment le structuralisme, la sémiotique ou la critique
littéraire. Cependant, je ne m’engagerai pas dans cette direction, et ce, pour
diverses raisons, l’une étant que la sphère culturelle est trop difficile à
appréhender dans sa totalité. Pour H. J. Gans (2012) par exemple, le
concept de culture est probablement indéfinissable ; au mieux, ce serait un
terme à la recherche d’une définition (p. 126, 1314). Pour s’en remettre à un
raccourci commode, on dira simplement que la culture renvoie à l’univers
plus ou moins structuré et cohérent des symboles dont se nourrissent les
membres d’une collectivité5 et qui président aux interactions sociales.
La démarche que je propose met en forme une approche sociale du mythe
tel qu’il opère dans nos vies quotidiennes, mais elle emprunte
inévitablement aux principaux courants qui animent la sociologie culturelle
(ou la sociologie de la culture6). D’une façon générale, elle se situe dans le
sillage de Max Weber, mais aussi dans la tradition durkheimienne,
particulièrement soucieuse des fondements symboliques du lien social, à
savoir les valeurs, croyances, idéaux et traditions qui sont largement
partagés au sein de toute collectivité, qui commandent l’adhésion aux
institutions et fondent le lien social7. Elle se démarque cependant en
transposant aux sociétés actuelles des interrogations ordinairement

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