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Université A.

Mira de Bejaia
Faculté des sciences humaines et Sociales
Département des sciences sociales
Filière : Sociologie

L3 Sociologie

Support de cours

Sociologie du lien social 1

Dr. Leila HAMMOUD

Maître de conférences habilitée en sociologie

1
Année universitaire 2020 - 2021
Sommaire
Sociologie du lien social 2

- La théorie du lien social chez Serge Paugam : Sources et typologie


des liens sociaux …………………………………………………......24

- Typologie et sources des liens sociaux ………………………………28

- Fragilités et ruptures du lien social :


Concept de disqualification sociale…………………………............30

- Les phases de la disqualification sociale…………………………….33

- Les différents types de ruptures……………………………………..36

- Eléments de synthèse…………………………………………………38

- La désaffiliation chez Robert Castel…………………………………39

- Eléments de comparaisons : Danièle Debordeaux.


Désaffiliation, disqualification, désinsertion………………………...43

- Abdelkader Lakjaa, Les jeunes en Algérie : un désordre sociétal


porteur de nouveaux liens sociaux…………………………………...44

2
Sociologie du lien social 2
La théorie du lien social chez Serge Paugam
Sources et typologie des liens sociaux
La question du lien social a été une grande inquiétude pour la sociologie, depuis
l’époque des fondateurs.
Aujourd’hui, nous vivons dans des sociétés traversées par des crises multiples
qui font ressurgir cette inquiétude persistante sur le lien social : « …on entend
se multiplier les appels à « créer », « restaurer », « maintenir » ou «développer »
le lien social. On considère ainsi que cette dernière relève, soit d’une carence qui
se manifeste par des situations d’isolement ou de déréliction, soit d’une
détérioration se traduisant par un relâchement ou un rétrécissement du réseau
relationnel… ».
Actuellement, la question du lien social est souvent traitée sous deux angles
essentiels : la pluralité et la fragilité des liens sociaux.
Serge Paugam et Robert Castel ont tout les deux théorisés cette question, en
partant d’études de terrain appliquées sur des populations d’enquêtes différentes.
Nous allons aborder successivement les travaux de Serge Paugam et Robert
Castel pour comprendre leurs concepts clefs : la disqualification et la
désaffiliation sociale
Biographie :
Serge Paugam est sociologue au CNRS. Il enseigne à l'École des hautes études
en sciences sociales et à l'institut d'études politiques de Paris. Il est aussi
directeur du Centre Maurice Halbwachs et directeur de la collection « Le lien
social » et de la revue « Sociologie » aux Presses Universitaires de France.
Son champ d’intérêt est la sociologie des inégalités et des ruptures sociales d’où
ses travaux sur la pauvreté, la précarité et la solidarité.
Sur son Site officiel, Paugam précise son programme de recherche actuel :
« Mon programme de recherche actuel concerne l'analyse de la reproduction et
du renouvellement des inégalités, mais aussi, l'étude des fondements des liens
sociaux à partir desquels il est possible de définir et de conceptualiser différents
types de ruptures sociales. Il porte aussi sur l'analyse comparative des formes
contemporaines de solidarité. Il s'agit d’étudier ce qui attache les individus entre
eux et à la société dans son ensemble et d'analyser comment les liens sociaux
sont entrecroisés de façon normative dans chaque société. Ce programme
implique par conséquent des comparaisons entre plusieurs pays ou régions du
monde ». ( http://www.serge-paugam.fr/)

3
Il a publié entre autres :
- La Disqualification sociale,
- Essai sur la nouvelle pauvreté (PUF, 1994),
- La Société française et ses pauvres,
- L'expérience du revenu minimum (PUF, 1995).
- Vivre ensemble dans un monde incertain 2015
- Le lien social PUF 2008……

La pluralité des liens sociaux :

« … La notion de lien social est aujourd'hui inséparable de la


conscience que les sociétés ont d'elles-mêmes et son usage courant peut être
considéré comme l'expression d'une interrogation sur ce qui peut faire encore
société dans un monde où la progression de l'individualisme apparaît comme
inéluctable [1]. Une société composée d'individus autonomes est-elle encore une
société, et si oui comment ? Depuis la fondation de leur discipline, les
sociologues s'efforcent de répondre à cette question. Les premiers d'entre eux
ont tenté d'apporter des explications fondées sur l'analyse de l'évolution des
sociétés humaines. L'idée de lien social était alors inséparable d'une vision
historique à la fois du rapport entre l'individu et ses groupes d'appartenance et
des conditions du changement social de longue durée… »( Paugam, 2008,p3)

Le retour vers les premiers sociologues paraît instructif puisque les questions
posées depuis la fin du XIXème siècle sont toujours d’actualité.
Sauf que la question n’est plus posée en terme de consensus social et de
recherche de stabilité et d’équilibre mais en terme de la nature du lien social
dont la transformation est guidé par la montée de l’individualisme.
Ce qui fait dire à Serge Paugam que :
L’expression « lien social » est aujourd’hui employée pour désigner tout à la
fois le désir de vivre ensemble, la volonté de relier les individus dispersés,
l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble… »
(Op.cit. p4)
A la question : Comment s'est transformé le lien social avec la montée de
l'autonomie et de la différenciation des individus ? Paugam répond :

« De ses observations historiques, Georg Simmel tire un constat général :


l'élargissement quantitatif du groupe produit une différenciation accrue de ses
4
membres et se traduit par une individualisation plus poussée : «Plus étroit est le
cercle auquel nous nous dévouons, moindre est la liberté d'indvidualité que nous
possédons ; mais en échange ce cercle est lui-même un être individuel, et,
précisément parce qu'il est réduit, il se détache des autres en s'en délimitant
mieux. Corollairement : si le cercle où nous sommes actifs et auquel va notre
intérêt s'élargit, il donnera plus d'espace au déploiement de notre individualité ;
mais nous aurons moins de spécificité en tant qu'éléments de cet ensemble, ce
dernier sera moins individualisé comme groupe social» [8]. Ce qui frappe
surtout Simmel, c'est la diversification des appartenances. Le nombre élevé de
cercles auxquels peut appartenir l'individu est l'un des indicateurs de la culture. «
Si l'homme moderne appartient d'abord à la famille de ses parents, puis à celle
qu'il a fondée lui-même et donc aussi à celle de sa femme, ensuite à son métier,
qui de son côté l'intègre déjà à plusieurs cercles d'intérêts (...) ; s'il est conscient
d'appartenir à une nationalité et à une certaine classe sociale, si de plus il est
officier de réserve, fait partie de quelques associations et a des fréquentations
sociales dans des cercles les plus divers : alors on a déjà une grande variété de
groupes, dont certains sont certes sur un pied d'égalité, mais d'autres peuvent
être classées de telle sorte que l'un apparaît comme la relation originelle à partir
de laquelle l'individu se tourne vers un cercle plus éloigné, en raison de ses
qualités particulières qui le distinguent des autres membres du premier cercle» .

La protection et la reconnaissance : Deux sources du lien social

Pour Paugam : « …chaque type de lien social peut être défini à partir des deux
dimensions de la protection et de la reconnaissance. Les liens sont multiples et
de nature différente, mais ils apportent tous aux individus à la fois la «
protection » et la « reconnaissance » nécessaires à leur existence sociale
[Paugam, 2008]. La protection renvoie à l'ensemble des supports que l'individu
peut mobiliser pour face aux aléas de la vie (ressources familiales,
communautaires, professionnelles, sociales…), la reconnaissance renvoie à
l'interaction sociale qui stimule l'individu en lui fournissant la preuve de son
existence et de sa valorisation par le regard de l'autre ou des autres. L'expression
« compter sur » résume assez bien ce que l'individu peut espérer de sa relation
aux autres et aux institutions en termes de protection, tandis que l'expression «
compter pour » exprime l'attente, tout aussi vitale, de reconnaissance.
L'investissement affectif dans un « nous » est d'autant plus fort que ce « nous »
correspond à l'entité – qui peut être aussi réelle qu'abstraite – sur laquelle et pour

5
laquelle la personne sait pouvoir compter. C'est dans ce sens que le « nous » est
constitutif du « moi ». Les liens qui assurent à l'individu protection et
reconnaissance revêtent par conséquent une dimension affective qui renforce les
interdépendances humaines… »
Paugam, S. (2012). Chapitre 15. « Compter sur » et « compter pour ». Les deux
faces complémentaires du lien social. Dans : Robert Castel éd., Changements et
pensées du changement: Échanges avec Robert Castel (pp. 215-230). Paris: La
Découverte.
Types liens sociaux et formes de protection et de reconnaissance :
Paugam nous livre un tableau de synthèse pour définir clairement chaque type
lien social en relation avec les deux sources de chacun des quatre types de
liens :
Types de liens Formes de protection Formes de
reconnaissance
Lien de filiation (entre Compter sur la solidarité Compter sur ses parents,
parents et enfants) intergénérationnelle ses enfants.
reconnaissance

Lien de participation Compter sur la solidarité Compter pour l’entre-soi


élective (entre conjoints, de l’entre-soi électif. électif.
amis, proches choisis…)
Protection rapprochée Reconnaissance affective
ou par similitude

Lien de participation Emploi stable Reconnaissance par le


Protection travail et l’estime sociale
contractualisée qui en découle

Lien de citoyenneté Protection juridique Reconnaissance de


(entre membres d’une (droits civils, politiques l’individu souverain
même communauté et sociaux…)
politique)
Source : Paugam S. (2008), Le lien social, PUF, Paris, p 64

6
Typologie et sources des liens sociaux

Typologie des liens sociaux :


A partir ces deux sources du lien social, Paugam a proposé quatre grands types
de liens sociaux : le lien de filiation, le lien de participation élective, le lien de
participation organique et le lien de citoyenneté.
- Le lien de filiation qui comporte deux formes différentes :
-La consanguinité : une filiation dite «naturelle» du lien du sang.
-L’adoption qui est une sorte de filiation sociale
« … le lien de filiation… constitue le fondement absolu de l’appartenance
sociale qui assure la fonction socialisatrice et identitaire de ce lien. Il contribue à
l'équilibre de l'individu dès sa naissance puisqu'il lui assure à la fois protection
(soins physiques) et reconnaissance (sécurité affective)…. » (Paugam, Ibid, p64)
Le lien de filiation se rattache à celui de l’attachement des individus les uns aux
autres et la valorisation des uns les autres. D’où ‘importance de la socialisation
familiale (primaire) qui assure non seulement cet univers d’appartenance mais
aussi la protection dont les individus ont besoin depuis leur naissance.
-Le lien de participation élective
Si le lien de filiation est prescrit, le lien de filiation élective relève du choix mais
aussi par la nécessité d’adaptation.
Le lien de participation élective « …relève de la socialisation extra-familiale au
cours de laquelle l'individu entre en contact avec d'autres individus qu'il apprend
à connaître dans le cadre de groupes divers et d'institutions… le voisinage, les
bandes, les groupes d'amis, les communautés locales, les institutions religieuses,
sportives, culturelles, etc.
Au cours de ses apprentissages sociaux, l'individu est à la fois contraint par la
nécessité de s'intégrer, mais en même temps autonome dans la mesure où il peut
construire lui-même son réseau d'appartenances à partir duquel il pourra affirmer
sa personnalité sous le regard des autres.
… Il convient en effet de distinguer le lien de participation élective des autres
liens sociaux en mettant en avant sa spécificité, à savoir son caractère électif
qui laisse aux individus la liberté réelle d'établir des relations interpersonnelles
selon leurs désirs, leurs aspirations et leurs valences émotionnelles… »

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-Le lien de participation organique : « … se distingue du précédent en ce qu'il
se caractérise par l'apprentissage et l'exercice d'une fonction déterminée dans
l'organisation du travail. Ce lien se constitue dans le cadre de l'école et se
prolonge dans le monde du travail. Si ce type de lien prend tout son sens au
regard de la logique productive de la société industrielle, il ne faut pas le
concevoir comme exclusivement dépendant de la sphère économique. Pour
analyser le lien de participation organique, il faut prendre en considération non
seulement le rapport au travail conformément à l'analyse de Durkheim, mais
aussi le rapport à l'emploi qui relève de la logique protectrice de l'état social.
On peut donc définir le type idéal de l'intégration professionnelle comme la
double assurance de la reconnaissance matérielle et symbolique du travail et de
la protection sociale qui découle de l'emploi… »
- le lien de citoyenneté « … repose sur le principe de l'appartenance à une
nation. Dans son principe, la nation reconnaît à ses membres des droits et des
devoirs et en fait des citoyens à part entière. Dans les sociétés démocratiques, les
citoyens sont égaux en droit, ce qui implique, non pas que les inégalités
économiques et sociales disparaissent, mais que des efforts soient accomplis
dans la nation pour que tous les citoyens soient traités de façon équivalente et
forment ensemble un corps ayant une identité et des valeurs communes… »
« … Ces quatre types de liens sont complémentaires et entrecroisés. Ils
constituent le tissu social qui enveloppe l'individu. Lorsque ce dernier décline
son identité, il peut faire référence aussi bien à sa nationalité (lien de
citoyenneté), à sa profession (lien de participation organique), à ses groupes
d'appartenance (lien de participation élective), à ses origines familiales (lien de
filiation)… »
Pour élaborer ce cours, j’ai fait parler Serge Paugam, qui à traité le thème du
lien social dans ses différents ouvrages.
Cette première partie du cours j’ai utilisé deux ressources :

- Paugam S. (2008), Le lien social, PUF, Paris.


- Paugam, S. (2012). Chapitre 15. « Compter sur » et « compter pour ».
Les deux faces complémentaires du lien social. Dans : Robert Castel
éd., Changements et pensées du changement: Échanges avec Robert
Castel (pp. 215-230). Paris: La Découverte.

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Fragilités et ruptures du lien social
Concept de disqualification sociale

En 1988, Serge Paugam soutenait sa thèse de doctorat sous le titre « La


disqualification sociale » qu’il a publiée sous forme d’ouvrage qui devient
depuis une référence pour l’étude de la pauvreté et l’exclusion sociale.

L’élaboration du concept de « La disqualification sociale » sur la base d’enquête


de terrain rigoureuse alimente les cadres conceptuels d’études menées à travers
des terrains différents du terrain français notamment celles qui s’intéressent aux
formes de fragilisation des liens sociaux et à l’étude de la précarité et de la
pauvreté.

Définition :

9
Paugam considère la disqualification sociale comme un résultat de tout un
processus qui ne relève pas uniquement des trajectoires de vie des individus et
de leurs choix mais aussi de l’évolution des sociétés modernes notamment le
système du travail et de l’emploi.

Il remarque que « … si dans les sociétés modernes, c’est sur l’individu que
reposent les connexions entre les différents groupes auxquels il participe… le
tissage des liens n’est pas identique d’un individu à un autre… Dans certains
cas, les liens sont tous faibles et le maillage social est fragile. Dans d’autres cas,
certains liens sont plus solides que d’autres, mais le tissu n’en n’est pas l’abri
d’accros. En réalité, comme une étoffe où les fils sont entrecroisés, le risque est
toujours que la rupture de l’un d’entre eux entraîne un effilochage et … la
rupture des autres… » (Paugam,2015,p 78)

De par cette analogie, Paugam remet ce processus de rupture du lien social dans
son contexte global qu’est le système social dont les structurent évoluent et
mènent à la rupture des liens. Chose qui n’est pas «… un mal en soi.. » (Op.cit.)
puisqu’il est une des manifestations de la modernité qui à, parfois, positivement
libéré l’individu des liens communautaires traditionnels pour encourager une lus
grande mobilité sociale.

Donc le concept disqualification sociale « … renvoie au processus


d’affaiblissement ou de rupture des liens de l’individu avec la société au sens de
la perte de la protection et de la reconnaissance sociale. L’homme socialement
disqualifié est à la fois vulnérable face à l’avenir et accablé par le poids du
regard négatif qu’autrui porte sur lui… »

En étant en rupture avec les deux sources de production des liens sociaux,
l’individu entre dans une situation de coupure avec son milieu social et perd ses
appuis au sein de la société.

Dans les sociétés modernes, le travail assure une véritable socialisation . il ne


s’agit pas uniquement de rechercher une meilleure efficacité économique par
une division performante du travail, il s’agit aussi d’assurer une intégration
sociale aux individus de par leur intégration au marché du travail. Par son
emploi, un individu acquière un statut et une identité aussi bien
professionnelle que sociale.

Depuis l’avènement de la société industrielle, Le travail est devenu un créateur


de lien social et lieu d'intégration.

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Par son étude des « nouvelles formes de la pauvreté » en France des années 80,
Paugam retourne aux thèses de George Simmel qui voulait comprendre dans la
pauvreté «… la relation d’assistance entre eux et la société dans laquelle ils
vivent… »

Il voulait comprendre la relation de ces nouveaux pauvres aux services sociaux


et surtout savoir qui pouvaient êtres ces pauvres : est ce des « cas sociaux ? »
des « refoulés par le marché du travail »… .

« … la « nouvelle pauvreté » était en grande partie liée à l’érosion de la


protection sociale pour des franges de plus en plus nombreuses de la population
et non plus seulement d’ordre monétaire. Elle touchait le cœur même de
l’intégration sociale, à savoir la stabilité de l’emploi. De ce fait, elle se traduisait
le plus souvent par une pauvreté relationnelle, des problèmes de santé, des
difficultés d’accès au logement… »

Les hypothèses de l’étude :

La première recherche de Paugam c’est basé sur cinq hypothèses principales et


qui depuis à subi des évolutions diverses qu’il à traité dans ses travaux
ultérieures :

1- Le fait même d’être assisté assigne les « pauvres » à une carrière


spécifique, altère leur identité préalable et devient un stigmate
marquant l’ensemble de leurs rapports avec autrui ;
2- Si les pauvres, par le fait d’être assistés, ne peuvent avoir qu’un statut
social dévalorisé qui les disqualifie ; ils restent malgré tout pleinement
membres de la société dont ils constituent pour ainsi dire la dernière
strate ;
3- Si les pauvres sont stigmatisés, ils conservent des moyens de
résistance au discrédit qui les accable ;
4- Le processus de disqualification sociale comporte plusieurs phases
(fragilité, dépendance et rupture des liens sociaux) ;
5- Les trois conditions socio-historiques de l’amplification de ce
processus sont :
- un niveau élevé de développement économique associé à une forte
dégradation du marché de l’emploi ;
- une plus grande fragilité de la sociabilité familiale et des réseaux d’aide
privée ;

11
- une politique sociale de lutte contre la pauvreté qui se fonde de plus en
plus sur des mesures catégorielles proches de l’assistance.

Cette étude qui c’est intéressé aux formes d’exclusions liées à l’emploi , la
précarité des salariés y est analysée « … en partant de l’hypothèse que le rapport
au travail et le rapport à l’emploi constituent deux dimensions distinctes, aussi
fondamentales l’une que l’autre, de l’intégration professionnelle. C’est ainsi que
le type idéal de l’intégration professionnelle a été défini comme la double
assurance de la reconnaissance matérielle et symbolique du travail et de la
protection sociale qui découle de l’emploi. La première condition est remplie
lorsque les salariés disent qu’ils éprouvent des satisfactions au travail et la
seconde lorsque l’emploi qu’ils exercent est suffisamment stable pour leur
permettre de planifier leur avenir et d’être protégés face aux aléas de la vie. Ce
type idéal, qualifié d’intégration assurée, a permis de distinguer, par déduction,
et de vérifier ensuite empiriquement, trois types de déviations : l’intégration
incertaine (satisfaction au travail et instabilité de l’emploi), l’intégration
laborieuse (insatisfaction au travail et stabilité de l’emploi) et l’intégration
disqualifiante (insatisfaction au travail et instabilité de l’emploi). … »
Une faible intégration professionnelle risque de conduire à une faible intégration
au système social dans son ensemble.

Les phases de la disqualification sociale :


Le processus de rupture du lien social donc de disqualification sociale selon
Paugam, n’est pas unique et homogène. Il est multiple et diversifié autant que la
diversité des situations des individus qui le nourrissent.
Paugam à remarqué que dans ce processus passe par trois phases essentielles qui
sont la fragilité, la dépendance et la rupture des liens sociaux :
Phase 1 : La fragilité

« La protection et la reconnaissance sont aujourd’hui fragilisées. Le système de


protection généralisée mis en place au cours du XXe siècle apparait en recul et
des franges nombreuses de la population sont de plus en plus précaires ou
menacées de le devenir. La reconnaissance qui découlait de l’attachement stable
à des groups sociaux restreints…passe aujourd’hui de plus en plus par une plus
grande autonomie, voire émancipation, de l’individu par rapport à ses attaches
traditionnelles, ce qui lui confère une marge plus grande d’interprétation des
normes collectives, mais fragilise en même temps son identité tant celle-ci est
soumise au regard d’autrui et … aux menaces de déni ou de mépris. L’individu
12
précarisé est condamné… à l’expérience de la souffrance sociale… » (Op.cit.,
p79-80)

Cette phase de fragilité est souvent déclenché par un événement soudain qui
vient déstabiliser le rythme de la vie d’un individu : un drame familial, un échec
professionnel, une instabilité de logement,..., qui va influencer la vie d’un
individu et surtout déclenché un sentiment de déclassement et susciter des
comportements particuliers : réduction de la vie sociale, tensions dans les liens
familiaux...

les personnes fragilisées sont celles qui bénéficient d’une intervention


ponctuelle et sont en relation constante avec les sevices sociaux. « …Leurs
difficultés sont essentiellement d’ordre économique, du fait de revenus
incertains et irréguliers. Lorsqu’elles doivent demander de l’aide, elles le font
mais éprouvent un sentiment de honte et de culpabilité. En général, elles
préfèrent garder une certaine distance avec les travailleurs sociaux car elles
estiment qu’en demandant de l’aide, elles perdent une partie de leur statut social
et de leur dignité… »

« … Les fragiles refusent la dépendance vis-à-vis des travailleurs sociaux et


souhaitent un emploi permanant garantissant tout à la fois un revenu régulier,
une sécurité soicale, une reconnaissance sociale dans le monde professionnel et
… une identité au travail, ils éprouve un sentiment d’inférioruté sociale lié à une
crise de statut. On peut dire qu-is font l’apprentissage de la disqualification
sociale. L’ongoisse de l’échec, le malaise, l’attitude de repli ou de distantiation
dans les relations sociales, la contrainte d’etre assimilé aux « cas sociaux » et
enfin le refus d’une intervention sociale régulière sont les aspects les plus
marquants de la fragilité intériorisée… » (Paugam, 2009, p148)

Ces caractéristiques annoncent la deuxième phase de la dépendance.

Phase 2 : La dépendance :

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« Comment devient-on assisté ? Sachant que la plupart de ceux qui font
l’experience d’un déclassement considèrent l’assistance comme une situation
humiliante, contraire à leurs principes, comment peut-on expliquer, qu’à la
longue, certains s’habituent à fréquenter les sevices d’action sociale et en
viennent à revendiquer une meilleure prise en charge de leurs problèmes par la
collectivité ? …. »( Op.Cit, p9)

La dépendance vis-à-vis des aides de l’Etat devient alors une nécessité. La


longue phase de fragilité est traversée par un sentiment de découragement et de
prise de conscience de l’absence d’espoir d’insertion, le chômeur peut accepter
l’aide sociale. Il justifie souvent cette décision par le fait qu’il a des personnes à
charge. Toutefois, l’aide ne s’avère jamais suffisante ce qui entraîne parfois par
ailleurs un endettement. Mais, elle permet d’éviter l’extrême pauvreté.

« … A cette phase, les personnes ont pratiquement renoncé à retrouver un


travail. Les stages, les formations, les emplois d’insertion dont elles ont pu
bénéficier, n’ont pas donné les résultats escomptés. Elles n’y croient plus et
endossent peu à peu le statut d’assisté qu’elles justifient par un état de santé
dégradé, par le fait qu’elles doivent s’occuper de leurs enfants, ou en affirmant
qu’elles sont des victimes de la crise économique. Elles construisent leur
nouvelle carrière d’assisté et entretiennent parfois des relations de grande
proximité avec les assistantes sociales. Malgré cela, elles font vite l’expérience
que les revenus de l’assistance sont trop faibles pour vivre et se retrouvent
rapidement avec des problèmes de dettes et de surendettement… »

Phase 3 : La rupture :

Paugam trace le portait détaillé des individus en situation de rupture ou de


disqualification sociale :

« … ceux qui font l’expérience de la rupture connaissent un cumul de handicaps


(éloignés du marché de l’emploi, problèmes de santé, absence de logement,
pertes de contact avec la famille...), il s’agit de la phase ultime du processus, le
produit d’une accumulation d’échecs qui a conduit à une forte marginalisation.
N’ayant plus aucun espoir de s’en sortir, ses personnes ont le sentiment qu’elles
sont inutiles à la société… Parmi cette population, on trouve des personnes
frappées par des ruptures sociales graves au cœur de leur vie
professionnelle….la raison principale de cette marginalisation … est l’absence
de relations stables avec leur famille… » (Ibid., p 10)

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En fait, cette phase ultime de la fragilisation du lien social dans les sociétés
modernes industrialisées, témoigne des risques permanents de « ruptures
cumulatives » desquels apparait le sentiment persistant de la rupture des liens
sociaux : l’individu se sent menacé en permanence de tout perdre s’il cesse
d’être performant dans son emploi.

Les différents types de ruptures :

Paugam établi une typologie des ruptures qui relèvent des types des liens
sociaux. Il remarque que « … la rupture d’un lien peut être une épreuve
entrainant des conséquences graves pour l’individu, elle peut aussi être un
soulagement ou une sorte de libération… » (Paugam, 2009, p88).

A chaque type de lien correspond une forme de rupture qui lui est propre. Ainsi
la rupture du lien de filiation peut se produire de différentes manières ; « … des
situations de fait qui rendent toutes relations entre parents et enfant soit
impossibles soit improbables…les parents et les enfants se replient alors sue
eux-mêmes, n’attendent plus ni protection ni reconnaissance de la relation… »
(Ibid.)

La rupture du lien de participation élective couvre une multitude de situations et


conduit généralement à une forme d’isolement relationnel et à restreindre les
groupes dans lesquels vit un individu ; « puisque chacun est libre d’entretenir
ses relations, et chacun peut aussi librement s’en défaire… » (Op.Cit,p89.)

Lorsqu’un individu perd son emploi, il entre dans une rupture du lien de
participation organique ; qui « … tient du chômage, c’est-à-dire la cessation
contrainte de l’activité professionnelle… » qui va entrainer à la langue ; la
baisse du niveau de vie, la pauvreté et le recours à l’assistance et causer une
crise globale à la personne qui vit cette situation.

« … Le lien de citoyenneté n’est pas à l’abri d’une rupture. C’est le cas


notamment lorsque les individus sont trop éloignés… des institutions…on peut
parler de … de rupture de lien de citoyenneté chaque fois que l’on constate une
entorse au principe d’égalité des citoyens au regard de la loi… »

La rupture des lien sociaux chez Serge Paugam

Types de liens sociaux Déficit de protection Déni de reconnaissance


Lien de filiation - Impossibilité de - Abandon, mauvais
compter sur ses traitements,
parents ou ses mésentente
enfants en cas de durable, rejet.
difficultés - Sentiment de ne

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pas compter pour
ses parents ou pour
ces enfants

Lien de participation - Isolement - Rejet du groupe


élective relationnel des pairs
- Trahison, abandon

Lien de participation - Lien occasionnel - Humiliation sociale


organique avec le marché de - Identité négative
l’emploi - Sentiment d’être
- Chômage de inutile
longue durée
- Entrée dans une
carrière d’assité

Lien de citoyenneté - Eloignement des - Discrimination


circuits juridique
administratifs - Non-
- Incertitude reconnaissance des
juridique droits civils,
- Vulnérabilité à politiques et
l’égard des sociaux
instituions - Apathie politique
- Absences des
papiers d’identité
- Exile forcé

Source : Paugam S. (2008), Le lien social, PUF, Paris, p89.

Eléments de synthèse :

Dans la présentation de son livre « La disqualification sociale, Serge Paugam a


insisté sur le caractère social global de toute forme d’exclusion qui peut prendre
la forme d’une disqualification sociale grave pour ceux qui ont la malchance de
la vivre et pour la société dans laquelle ils vivent :

« … étudier la disqualification sociale ou, en d’autres termes, le discrédit de


ceux dont on peut dure, en première approximation, qu’ils ne participent pas à la
vie économique et sociale, c’est étudier la diversité des statuts qui les
définissent, les identités personnelles, c’est-à-dire les sentiments subjectifs de
leur propre situation qu’ils éprouvent au cours des diverses expériences sociales,
et enfin,, les rapports sociaux qu’ils entretiennent entre eux et avec autrui. Ce
16
n’est pas l’analyse en elles-mêmes des conduites en situation de pauvre qui
construit l’axe essentiel de cette recherche, mais plutôt le rapport au statut des
populations qui occupent les derniers échelons de la hiérarchie sociale, c’est-à-
dire l’identification partielle ou totale à un ensemble de comportements plus ou
moins systématisés et relativement fixe, correspondant à des rôles sociaux
reconnus comme légitimes par elles et par la société. Autrement dit, dans le
prolongement de l’analyse de la condition sociale objective, on se propose
d’étudier le sens vécu c’est-à-dire le sens que ces populations donnent à leurs
existence et à la place qu’elles occupent dans la société… » (Op.cit., p17)

Préciser de la sorte, le concept de la disqualification sociale rend compte des


maux d’une société qui voit les sources d’élaboration du lien social devenir
obsolètes.

Dans cette conjoncture, d’une pandémie mondiale, le sort des populations


précaires occupe l’opinion publique internationale en même temps que les
mécanismes de solidarité spontanée et l’entraide se sont dynamisés de manières
spectaculaires au point de remplacer l’effort des états dans certaines situations.

La désaffiliation chez Robert Castel


Robert Castel
« Formé à la fois à l’école de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault, il a d’abord
travaillé sur la psychanalyse et la psychiatrie. À partir du début des années 1980,
ses recherches portent sur les interventions sociales, la protection sociale, les
transformations des politiques sociales et du travail. Il a analysé les processus de
constitution de la société salariale, puis leur effritement à partir du milieu des
années 1970 et dégagé les conséquences de ces dynamiques sur l’intégration
sociale et le statut de l’individu contemporain. Publiée en 1995, Les
métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat est une œuvre
magistrale qui le fait accéder à la notoriété publique »
la désaffiliation :

Pendant les années 1990, Robert Castel avait construit le concept de « la


désaffiliation sociale » qui est « l’aboutissement d’un processus conjuguant
absence d’emploi et isolement relationnel… ».
Pour Castel, la désaffiliation est le processus historique de fragilisation de
la cohésion sociale qui passe par la précarisation de l’emploi et la fragilisation
des autres liens sociaux (familiaux, amicaux, etc.).

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Ce petit article résume l’essentiel des indicateurs qui donnent sens au concept de
Castel ;

Indicateurs
Les indicateurs de chômage ( taux de chômage, proportion de chômeurs de
longue durée) et de précarité de l’emploi (CDD, etc.) permettent de mesurer
l’évolution de l’intégration dans le monde du travail. Parallèlement,
l‘importance du nombre de divorces, du nombre de personnes seules, de
l’isolement social voire des discriminations complètent les indicateurs de
chômage.
Cette analyse a pour point de départ la société salariale qui était cimentée par
le travail et toutes les protections qu’elle apportait (protection contre
le chômage et les autres risques sociaux). A cette époque (disons les Trente
glorieuses), le travail à temps plein et avec un contrat à durée indéterminée était
la norme : le statut de salarié était donc protecteur et le travail intégrateur. De
plus, durant cette période, la famille était relativement stable et elle-aussi
intégratrice.
Avec le changement des formes de la famille liée à la fragilisation du couple et
avec la croissance du chômage et des emplois atypiques, précaires, les risques
de désaffiliation se développent.
Le processus de désaffiliation est-il complet ? N’y a-t-il pas souvent maintien de
liens sociaux mais qui, peut-être, ne font pas sens pour l’individu ? De ce point
de vue, quel peut être le rôle de l’Etat et des politiques sociales ? Les pouvoirs
publics n’ont-ils pas œuvré, même si ce n’était pas l’objectif, au déclin des
protections familiales en offrant sa propre protection ? En aidant les plus
désaffiliés, l’Etat ne risque-t-il pas de les stigmatiser ?
Enfin, quelles sont les personnes désaffiliées ou qui risquent cette
désaffiliation ? On peut penser qu’il s’agit surtout de jeunes peu qualifiés qui ont
du mal à s’insérer sur le marché du travail et qui n’ont pas d’espace
de sociabilité valorisé et notamment, en France, des jeunes d’origine immigrée.
Les enjeux portent ainsi sur le système scolaire et plus largement sur le système
de formation y compris professionnelle.
http://ses.webclass.fr/notion/desaffiliation
Les réponses à ces questions nous conduit à considérer ces indicateurs comme
une grille de lecture qui nous permet de comprendre le processus de rupture du
lien social vécu par « personnes particulièrement démunies ». Ce processus se
construit sur une série de « ruptures d’appartenances qui peuvent se lire sur deux
axes :
- un axe d'intégration-non intégration par le travail qui va de l'emploi stable
à l'absence complète de travail en passant par toutes les formes d'emplois
précaires ;

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- un axe d'insertion-non insertion dans une sociabilité socio-familiale qui va
de l'inscription dans des réseaux solides de sociabilité (familiale ou extra-
familiale) à l'isolement social total. Cet axe recouvre deux dimensions, deux
registres différents, d'une part, la variable familiale, d'autre part, la variable
culturelle qui se réfère à «une manière d'habiter un espace et de partager les
valeurs communes sur la base d'une unité de condition» (cf. les analyses de
Richard Hoggart sur la culture ouvrière). Il s'agit d'un double décrochage au
terme duquel «la précarité économique est devenue dénuement, la fragilité
relationnelle isolement». La position sur les deux axes représente les deux
faces d'une même condition.
Ces deux axes permettent de définir quatre grandes zones selon le degré de
cohésion qu'elles assurent, qui va de l'autonomie à la dépendance, de la stabilité
à la turbulence :
- la zone d'intégration signifie que l'on dispose des garanties d'un travail
permanent et que l'on peut mobiliser des supports relationnels solides ;
- la zone de vulnérabilité associe précarité du travail et fragilité relationnelle ;
la zone de l'assistance s'en distingue dans la mesure ou l'aide apportée est déjà
synonyme d'un minimum d'intégration ;
- la zone de désaffiliation conjugue absence de travail et isolement social.

Cette classification des statuts par rapport à la cohésion sociale ne recoupe pas
exactement la stratification économique dans la mesure où un bon score sur un
axe peut compenser un mauvais score sur l'autre.
https://doi.org/10.3406/caf.1994.1668 https://www.persee.fr/doc/caf_1149-
1590_1994_num_38_1_1668

Olivier Gajac considère qu’ « À travers cette notion, Robert Castel nous
montre qu’il y a une homologie de positions entre les vagabonds des sociétés
préindustrielles, les prolétaires des sociétés de l’ère du capitalisme et les
précaires de nos sociétés libérales et que les désaffiliés sont à l’aboutissement
d’un processus dont l’origine est à rechercher au centre des sociétés. De cette
manière, la désaffiliation révèle une situation dans laquelle les individus se
trouvent écartés des réseaux producteurs de la richesse et de la reconnaissance
sociale… ».

Eléments de comparaisons
Danièle Debordeaux. Désaffiliation, disqualification, désinsertion

19
Nous pouvons cherchez les lignes d’une comparaison éclairante entre les deux
concepts de disqualification sociale et de désaffiliation.

Danièle Debordeaux, considère que ces deux concepts sont complémentaires


puisqu’ils nous expliquent les mécanismes qui conduisent à l’exclusion dans les
sociétés modernes, pour témoigner de la rupture du lien social.

Pour Debordeaux et pour nous tous : « l'exclusion est un des problèmes les plus
préoccupants d'aujourd'hui… » (Debordeaux, 1994, p93).

Est-ce que le concept d’exclusion à remplacé celui de pauvreté ou s’agit-il d’un


nouveau phénomène plus complexe qui caractérise les sociétés modernes ?

Ce concept est couramment utilisé dans la littérature scientifique occidentale et


pleinement consacré dans les stratégies des politiques sociale, notamment dans
le contexte français, pour valoriser l’effort d’intégration sociale fourni par les
autorités publiques. Mais paradoxalement, c’est ce même effort qui semble
nourrir les débats autour de ce concept d’exclusion : « Il relève en particulier le
caractère paradoxal de la notion d'exclusion «qui se pratique plutôt dans le cadre
d'inclusions de plus en plus fortes, notamment au sein d'institutions publiques,
étatiques ou non, dont la vocation première est de fournir une forme
d'intégration sociale…». (Debordeaux, 1994, p94)

Debordeaux remarque que l’analyse de Robert Castel de la désaffiliation sociale


aborde « … cette forme particulière de dissociation du lien social que
représentent les situations de ces populations qui posent problème… »
(Debordeaux, 1994, p94), puisqu’il s’est éloigné de la dimension historique de la
pauvreté qui produit de la précarité pour présenter la situ ation de désaffiliation
sociale comme « … un processus à l'œuvre depuis le début de la modernité… »
(Debordeaux, 1994, p94).

Il apparait de ce raisonnement que la désaffiliation ne s’appuis pas uniquement


sur la perte de l’emploi et des ressources économiques mais surtout sur la perte
des ancrages sociaux et des tissus relationnels qui conduisent l’individu atomisé,
seul et sans ressources dans les sociétés occidentales à vivre l’état d’un
désaffilié, alors dans notre société , souvent une personne qui se retrouve dans
ces mêmes conditions continue à être pleinement intégrée dans le tissu social de
par l’activation des mécanismes de solidarité familiale vécus comme un devoir
moral, éthique et religieux .

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Castel conçois que « … La désaffiliation caractérise un processus de rupture
du lien social que vivent un certain nombre de personnes particulièrement
démunies. Cette notion se différencie donc de la paupérisation car elle ne se
réduit pas à la dimension économique de leur situation mais concerne également
le tissu relationnel dans lequel elles s'insèrent (ou plutôt ne s'insèrent pas)… ». »
(Debordeaux, 1994, p95).

Il s'agit d'un double décrochage au terme duquel «la précarité économique est
devenue dénuement, la fragilité relationnelle isolement» » (Debordeaux, 1994,
p95).

Proche de l’analyse de Robert Castel, le concept de La disqualification sociale,


élaboré par Serge Paugam, renvoie plutôt à une catégorie sociale des personnes
qui relèvent de l'assistance publique, celles qui sont socialement reconnues
comme pauvre et qui souffrent du : « … discrédit de ceux dont on peut dire
qu'ils ne participent pas pleinement à la vie sociale…». (Debordeaux, 1994,
p95).

Pourtant ces personnes qui se voient victimes du système sociale vont élaborées
des rapports spécifiques avec les services de l’aide publique et avec les
travailleurs sociaux en construisant des repères identitaires qui leur permettent
de résister à la stigmatisation. Paugam s’est intéressé à : « l'analyse de la relation
entre ceux-ci et les travailleurs sociaux et montrer comment des individus
discrédités parviennent à résister au stigmate en essayant de retourner, au moins
partiellement et symboliquement, le sens de leur infériorité sociale et de leurs
échecs…». (Debordeaux, 1994, p95).

Finalement, Paugam atteste que le concept de disqualification « … renvoie à la


logique de la désignation et de l'étiquetage et de ses effets sur le plan identitaire
et il va donc se référer aux statuts des assistés, à leur identité et aux rapports
sociaux qu'ils entretiennent entre eux et avec autrui… » (Debordeaux, 1994,
p95).

Debordeaux conclue son analyse par une juxtaposition de ces deux approches
qui ont traitées de l’exclusion comme une caractéristique des sociétés
modernes.

Pour lui « … La première approche cherche à élaborer un modèle explicatif


global, qui situe ce processus à la fois dans le temps long de l'histoire de
21
l'évolution de notre société et dans le temps court des trajectoires individuelles,
afin de repérer quels sont les facteurs contemporains de l'exclusion. C'est une
approche sociohistorique qui met en avant les phénomènes actuels de
dégradation de la situation salariale. La désaffiliation c'est la dissociation du lien
social… » Alors que la seconde met l’accent sur « …le vécu d'individus
appartenant à des populations spécifiques… »

Dans les deux approches la variable de la rupture du lien social se retrouve au


centre du raisonnement pour démonter les dynamiques sociales qui traversent les
sociétés modernes.

Comment peut-on mobiliser ces deux concepts dans l’analyse de la nature des
liens sociaux qu’entretiennent les jeunes algériens avec leur société ?

Abdelkader Lakjaa, Les jeunes en Algérie : un désordre sociétal porteur de


nouveaux liens sociaux.

La réponse à la question posée dans le cours précédent se trouve dans cette étude
que le sociologue algérien Abdelkader Lakjaa, que nous avons perdus
récemment, à élaboré dans le cadre d’un projet de recherche en 2012.

Dans ce dernier cours, nous allons aborder les grandes lignes de cette étude,
dont l’article de synthèse est en accès libre sur Internet.
Lakjaa, A. (2014). Les jeunes en Algérie : un désordre sociétal porteur de nouveaux liens
sociaux. Spécificités, 1(1), 234-255. https://doi.org/10.3917/spec.006.0234

1- Présentation de l’étude :
- Cette étude est une enquête de terrain1 dans trois quartiers d’Oran : Sidi el
Houari, Les Planteurs et Ras el Aïn.
- Réalisée à la demande d’une association oranaise Santé Sidi el Houari et
de l’Unicef-Algérie,
- Conçue pour répertorier et analyser les facteurs, les contours et les formes
de manifestation de la vulnérabilité chez des adolescents et des jeunes des
quartiers réputés pour être défavorisés (en équipements et infrastructures),
populaires (sociologie des groupes sociaux y résidant) et stigmatisés (pour
l’insécurité et la violence).
- Réalisée par questionnaire, entretiens (individuels et collectifs) et
observations, entre avril et juin 2012, l’enquête a permis de rentrer

22
directement en contact avec 851 jeunes de 13 à 19 ans. L’échantillonnage
a été réalisé à la lumière des données relatives aux trois quartiers et issues
du dernier recensement général de la population et de l’habitat (Rgph) de
2008.

2- Synthèse des résultats :


- Les résultats enregistrés ne semblent pas conforter la thèse de la
marginalité et de la désaffiliation, ni celle de vulnérabilité relationnelle, du
moins pas tous et pas dans le sens qu’affecte Robert Castel à ces notions.
- une première lecture aboutit à l’idée que les mécanismes de
vulnérabilisation, qui s’alimentent d’exclusion et de marginalisation,
semblent se muer en processus de distanciation par rapport aux institutions
de l’État. Ceci ressort d’une série de ruptures opérées par les jeunes eux-
mêmes : c’est le cas de leurs rapports à l’institution scolaire, au monde du
travail réglementé et au mouvement associatif ;

- si marginalité il y a, elle ne peut être qu’une marginalité librement et


collectivement assumée ;

- À l’opposé, la lecture des rapports de ces mêmes jeunes à l’institution


familiale et à la religion conduit au dépassement de l’analyse qui privilégie
la mise en œuvre des notions de marginalité, de vulnérabilité relationnelle
et de désaffiliation ;

- Les résultats militent pour l’adoption d’une lecture différentielle selon


qu’il s’agit de la famille et de la religion, d’une part, où les rapports des
jeunes s’inscrivent dans un ancrage identitaire évoluant en centralité
invisible et produisant du lien social et du sens ;

- de l’école et du travail officiellement réglementé, d’autre part où ces


mêmes jeunes traduisent plutôt un refus d’accrochage ;

L’étude s’est intéressée à étudier les formes de désaffiliation des jeunes


algériens, à travers le questionnement des acteurs qui sont les jeunes de la
région d’Oran.
Les détails de l’étude seront discutés en cours.

23
Bibliographie :
- Barbusse B, (2000), Introduction à la sociologie, Paris.
- Boudon & al, (2005), Dictionnaire de sociologie, Larousse, Paris.
- Bolliet D et Schmitt J-P, (2002), La socialisation, Bréal, France.
- Cazeneuve J.,(1976), Dix grandes notions de la sociologie, Seuil, Paris.
- Dubar C, (2000), La socialisation, Armand Colin, Paris.
- Darmon M., (2006), La socialisation, Armand Colin, Paris.
- Fischer, G. (2020). Chapitre 3. Le groupe social. Dans, G. Fischer, Les
concepts fondamentaux de la psychologie sociale (pp. 75-112). Paris:
Dunod.
- Maisonneuve J, (2017), La psychologie sociale, Que sais-je, Paris.
- Riutort, P. (2013). La socialisation: Apprendre à vivre en société. Dans :
P. Riutort, Premières leçons de sociologie (pp. 63-74). Paris cedex 14,
France: Presses Universitaires de France.
- Rocher G., (1968), Introduction à la sociologie générale, T1 l’action
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- Rezsohazy R, (2006), Sociologie des valeurs, Armand Colin, Paris.
- Steiner Ph, (2000), La sociologie de Durkheim, La sociologie de
Durkheim, La découverte, Paris.
- Paugam, S. (2009). Le lien social. Paris cedex 14, France: Presses
Universitaires de France.
- Paugam, S. (2009). La disqualification sociale: Essai sur la nouvelle
pauvreté. Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.
doi:10.3917/puf.paug.2009.01.

24
- Paugam, S. (2012). Chapitre 15. « Compter sur » et « compter pour ». Les
deux faces complémentaires du lien social. Dans : Robert Castel
éd., Changements et pensées du changement: Échanges avec Robert
Castel (pp. 215-230). Paris: La Découverte.
- Debordeaux Danièle. Désaffiliation, disqualification, désinsertion. In:
Recherches et Prévisions, n°38, décembre 1994. Pauvreté Insertion RMI.
pp. 93-100; doi : https://doi.org/10.3406/caf.1994.1668
https://www.persee.fr/doc/caf_1149-1590_1994_num_38_1_1668
http://ses.webclass.fr/notion/desaffiliation
- Castel, Robert (1995b). ’Les pièges de l’exclusion’, Lien social et
Politiques, n°34 : 13-21.
- Castel, Robert (1994). ’La dynamique des processus de marginalisation :
de la vulnérabilité à la désaffiliation’, Cahiers de recherche sociologique,
n°22 : 11-27.

- Castel, Robert (1991). ’De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation :


précarité du travail et vulnérabilité relationnelle’, Donzelot, Jacques.
(Dir.) Face à l’exclusion, le modèle français, Editions esprit, Paris.
- Olivier Gajac, « La notion de désaffiliation chez Robert Castel », Revue du
MAUSS permanente, 28 octobre 2015 [en ligne].
http://www.journaldumauss.net/./?La-notion-de-desaffiliation-chez-1250
- Lakjaa, A. (2014). Les jeunes en Algérie : un désordre sociétal porteur de
nouveaux liens sociaux. Spécificités, 1(1), 234-
255. https://doi.org/10.3917/spec.006.0234

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