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Classe de troisième Septembre 2022

DNB blanc n°1

Compréhension et compétences d’interprétation


Compétences linguistiques et grammaticales

Texte littéraire :

Alain Mabanckou raconte dans cet ouvrage son retour, après vingt-trois ans
d’absence, dans la ville où il a grandi, PointeNoire, au Congo. Il explique pourquoi il
a longtemps refusé d’accepter la mort de sa mère, survenue entre-temps, et évoque
quelques souvenirs d’enfance.

Oui, j’ai longtemps laissé croire que ma mère était encore en vie. Je n’avais, pour
ainsi dire, pas le choix, ayant pris l’habitude de ce genre de mensonges depuis l’école
primaire lorsque je ressuscitais mes sœurs aînées dans le dessein d’échapper aux
railleries de mes camarades qui, eux, se glorifiaient d’avoir une famille nombreuse et se
proposaient de « prêter » des rejetons à ma mère.
Obsédée par l’idée de voir un autre enfant sortir de son ventre, elle avait consulté
les médecins les plus réputés de la ville et la plupart de ces guérisseurs traditionnels qui
prétendaient avoir soigné des femmes dont la stérilité datait au moins d’une vingtaine
d’années. Déçue […], ma mère s’était résolue à accepter sa condition : n’avoir qu’un seul
enfant et se dire qu’il y avait sur terre d’autres femmes qui n’en avaient pas et qui auraient
été comblées d’être à sa place. Elle ne pouvait pas pour autant balayer d’un revers de
main le fait que la société dans laquelle elle vivait considérait une femme sans enfants
comme aussi malheureuse que celle qui n’en avait eu qu’un seul. Dans ce même esprit,
un fils unique était un pestiféré (1) . Il était la cause des malheurs de ses parents […].
Sans compter qu’on lui attribuait les pouvoirs les plus extraordinaires : il était
capable de faire pleuvoir, d’arrêter la pluie, de causer la fièvre à ses ennemis, de rendre
les plaies de ces derniers incurables. Tout juste s’il ne pouvait influer sur la rotation de la
Terre. […]
Lorsque j’évoquais ces sœurs devant mes camarades j’exagérais sans doute.
J’avançais avec fierté qu’elles étaient grandes, belles et intelligentes. J’ajoutais, sûr de
moi, qu’elles portaient des robes aux couleurs d’arc-en-ciel et qu’elles comprenaient la
plupart des langues de la terre. Et pour convaincre certains de mes détracteurs, j’insistais
qu’elles roulaient dans une Citroën DS décapotable rouge conduite par un boy(2) , qu’elles
avaient maintes fois pris l’avion, et qu’elles avaient traversé les mers et les océans.
Je savais alors que j’avais marqué des points lorsque les interrogations fusaient :
– Donc toi aussi tu es entré dans cette Citroën DS avec tes sœurs ? questionnait le plus
candide de mes camarades dont les yeux luisaient de convoitise. Je trouvais vite un alibi
inattaquable.
– Non, je suis trop petit, mais elles ont promis de me laisser entrer dedans quand j’aurai
leur taille… Un autre, plutôt animé par la jalousie, essayait de me contrarier :
– C’est du n’importe quoi ! Depuis quand il faut être grand pour entrer dans une voiture ?
J’ai vu des enfants plus petits que nous dans les voitures ! Je ne perdais pas mon calme :
– Est-ce que c’était dans une Citroën DS que tu les avais vus, ces enfants ?
– Euh… non… C’était une Peugeot…
– Ben voilà… Dans la Citroën DS décapotable il faut être plus grand que nous parce que
c’est une voiture qui va vite, et c’est dangereux si tu es encore petit…
Puisque personne n’avait vu ces sœurs, mitraillé de questions par une assemblée
de mômes de plus en plus curieux, mais dont l’incrédulité croissait au rythme de ma
mythomanie (3) , je prétextais qu’elles étaient en Europe, en Amérique, voire en Asie et
qu’elles reviendraient en vacances pendant la saison sèche. […] Égaré dans la nasse (4)
de mes propres fictions, je commençais à y croire plus que mes camarades, et j’attendais
de pied ferme le retour de mes aînées.

Alain Mabanckou, Lumières de Pointe-Noire, 2013, © Éditions du Seuil, « Fiction et Cie »,


2013, Points, 2014 S

VOCABULAIRE
1. Pestiféré : maudit.
2. Boy : domestique.
3. Mythomanie : tendance excessive à mentir et à inventer des histoires.
4. Nasse : filet dont le poisson ne peut plus s’échapper après y être entré

Image :

• Lam, Niño en blanco, 1940


Compréhension et compétences d’interprétation

1. Comment sait-on que texte est-il autobiographique ? Justifiez votre réponse.

2. a) Quels sont les membres de sa famille que le narrateur mentionne ? Qu’apprend-on


d’eux dès les premières lignes ? Justifiez votre réponse (4 points)
b) Quelles sont les croyances populaires attachées à un enfant unique au Congo,
mentionnées dans le texte ? (4 points)

3. « […] “prêter” des rejetons à ma mère. » (ligne 6) (4 points) :


a) Que propose-t-on de « prêter » à la mère du narrateur ?
b) Pourquoi le verbe prêter est-il entre guillemets ?

4. a) Quelle image le narrateur donne-t-il de ses sœurs à ses camarades ? (1 point)


b) Quelles sont les figures de style employées pour faire leur portrait ? Justifiez votre
réponse avec des exemples précis (2 points)
c) Pourquoi dresse-t-il leur portrait ? (2 points)

5. a) Quels sont les différents sentiments qui poussent les camarades du narrateur à lui
poser des questions ? (2 points)
b) « […] dont l’incrédulité croissait au rythme de ma mythomanie […] » (lignes 49-50)
Expliquez le sens de ce passage en vous aidant de ce qui précède et de ce qui suit. (2
points)

6. Selon vous, le narrateur souffre-t-il de sa situation familiale ? (4 points)

7. Selon vous, quels sont les éléments qui permettent de rapprocher la peinture et le
texte ? (3 points) (rappel méthode : on identifie l'image (artiste, support, date..), on la
décrit, puis on analyse selon ce qui est demandé)

8. Qu’évoque en vous cette peinture ? Pourquoi ? Comparez ces impressions à celles


provoquées par la lecture du texte. (3 points)

Grammaire et compétences linguistiques

1. « L’incrédulité » (l. 50)


a) Expliquez précisément la formation de ce mot, et donnez sa signification. (4 points)
b) Relevez dans le texte deux adjectifs construits avec le même préfixe. (2 points)

2. « Mitraillé de questions par une assemblée de gosses de plus en plus curieux » (l. 48-
49)
a) Que signifie le mot « mitraillé » dans cette phrase ? (2 points)
b) Donnez un mot de la même famille. (1 point)

3. « Égaré dans la nasse de mes propres fictions, je commençais à y croire plus que mes
camarades, et j’attendais de pied ferme le retour de mes aînées. »
a) Quelle est la figure de style utilisée dans ce passage. Faites-en l'analyse. (rédigez
votre réponse)

b) Réécrivez ce passage en remplaçant la première personne du singulier par la première


personne du pluriel, et l’imparfait par le présent de l’indicatif. Vous ferez toutes les
modifications nécessaires. (10 points)

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