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Analyse de la scène

La scène étudiée est un monologue de Médée, qui se livre à une introspection, questionne son besoin de
vengeance : est-elle soulagée ? éprouve-t-elle le besoin d’aller encore plus loin ? Répudiée et privée de ses
enfants, Médée laisse éclater sa colère et souhaite que Jason subisse les mêmes souffrances qu’elle. Elle
vient de tuer Créuse, sa rivale, et sa colère la porte à vouloir commettre un infanticide. Mais ses scrupules de
mère la font hésiter.
Le monologue exprime ces hésitations, ce balancement : assouvir par l’infanticide sa colère de femme trahie
ou épargner ses enfants.
Pb : dans quelle mesure ce monologue illustre-t-il les ravages de la passion ?

Monologue délibératif
Le monologue délibératif correspond à une situation caractéristique du héros tragique (on pourrait dire de la crise tragique) : le
personnage hésite entre deux solutions, il doute, il balance d’un choix vers l’autre. La question de la mort se pose : choix à faire
qui peut entraîner la mort (selon la décision : Rodrigue : venger son père, Cinna : assassiner l’empereur, Polyeucte : perdre la vie
pour défendre sa foi).
Comme le monologue permet l’expression des pensées du personnage, on assiste alors au combat de ses sentiments
contradictoires, avant la décision qui entraîne la catastrophe tragique.
Dans le « dilemme cornélien », l’alternative aboutit toujours à une mauvaise solution, quel que soit le choix qui sera fait. C’est
précisément pour cela qu’il y a dilemme : il n’y a pas de bonne solution, le personnage est comme pris au piège.
Dans les pièces ultérieures à Médée, il y a souvent un conflit entre bonheur individuel et choix politique.

Etapes :
1-9 : questionnement de Médée : son besoin de vengeance est-il assouvi ? Comment punir Jason
davantage ? L’idée d’un geste terrifiant (tuer ses enfants)
10-28 : les hésitations de Médée face au crime qu’elle imagine commettre
29-32 : décision terrifiante.

Vv 1-8 : questionnement de Médée : son besoin de vengeance est-il assouvi ?


Monologue qui s’ouvre par une question adressée à sa « vengeance »
Apostrophe son désir (« ma vengeance », ainsi personnifiée, illustre l’intensité du sentiment) équivalent à
une adresse à elle-même.
« Est-ce assez ? » Médée se pose une vraie question : sa vengeance est-elle assouvie ? La répétition du
présentatif interrogatif : souligne aussi la réalité des deux crimes.
Avec l’impératif « consulte », Médée bascule dans l’introspection. Elle est remuée par des émotions
intenses, « plus ardent transports » : superlatif « plus » et métaphore du feu .
Violence de la colère reprise v 4 : « fureur ». Paroxysme de la colère qui confine à une forme de folie, de
dérèglement.
A cela répond la violence des actes commis : « arracher » (assassinat sous-entendu, euphémisme ?) +
allitération en r sur deux vers.
-« Mon perfide » : adjectif transformé en nom pour désigner Jason : réduit Jason à une unique
caractéristique : la trahison. Renforcé par la rime Jason / trahison v 5-6
-Reprise de l’anaphore du questionnement : « est-ce (assez) pour assouvir » ? La réponse semble se dessiner
par l’anaphore elle-même : non, ce n’est pas assez.
-v5 : formulation d’un premier souhait : que Créuse ait déjà des enfants pour pouvoir les assassiner. Mais
immédiatement transformé en solution concrète et terrifiante : tuer ses propres enfants.
-Impératif « suppléons » : passage de l’imp 2e pers à l’imp 1ere pers : se rassemble, retrouve son unité ?
« immolons avec joie » : quasi oxymore, formulation suscitant la terreur. Un crime doublement contre
nature : infanticide commis sans regret, avec satisfaction.
- v9 : évocation du bannissement de Médée, qui va perdre ses enfants. Elle dépossédée de ses enfants par
Jason et. Créuse. De plus, les enfants ne sont pas nommés comme tels, mais réduits au pronom « ceux » : ce
qui accentue la distance entre leur mère et eux.

=> une introspection qui révèle la violence du besoin de vengeance, sans borne, de Médée, + aboutit à un
rime contre-nature : l’infanticide (alors qu’elle a déjà mis en œuvre la mort de Créuse et son père.)
Vv 9-28 : On entre dans le monologue délibératif : les doutes de Médée, prise entre deux sentiments :
la femme blessée et la mère. Une suite de revirements brusques, entre discours raisonnable et fureur.
-Nombreux revirements successifs.
-Argumentation
-Emploi du lexique de la justice ; de la souffrance
-Chiasmes, antithèses

vv 10-14 : arguments pour justifier le crime


-Apostrophe à la « Nature » pour se convaincre de la légitimité d’un tel acte.
-« Je le puis » = commettre l’infanticide « sans violer ta loi ». (diérèse : vi-o-ler : 3 syllabes)
A partir de là, le lexique de la justice va être employé, mais sans cesse perverti et détourné.
En effet, Médée se justifie en admettant une inversion rapide (mauvaise foi, ou aveuglement de la
passion ?) : « ils viennent de sa part », qui suffirait à ses yeux à rompre le lien mère-enfant.
Elle ne dit pas « mes enfants », + rejet par la négation (temporelle) : « ne sont plus à moi. » Absence de
déterminant possessif. Médée exprime ainsi une forme de dépossession qui justifierait l’horreur.

v 11 : 1ere brève hésitation (« innocents »). Mais l’argument de l’innocence des enfants est rejeté à son tour
car comparée à l’innocence du frère que Médée a sacrifié par amour pour Jason (parallélisme dans le vers).
Ce sacrifice devient une raison valable pour commettre l’infanticide. (Dans la mythologie : le père de
Médée a trompé Jason avec de fausses promesses. Celle-ci, tombée amoureuse, aide le héros, trahit son
père et s’enfuit avec Jason et son frère. Poursuivie, elle tue son frère et le laisse derrière eux pour ralentir
les poursuivants.)
-L’hésitation de Médée s’étale sur … un demi vers ! Aussitôt contrebalancée dans la 2e partie du vers.

-La brièveté de l’hésitation souligne l’aveuglement de Médée. Elle retourne l’accusation dans une inversion
frappante des rôles et des responsabilités : « trop criminels d’avoir Jason pour père ».
Elle fait de ses enfants une sorte d’objet, ils ne sont plus qu’un moyen pour toucher Jason : « que leur trépas
redouble son tourment ».
-Parallélisme « en père aussi bien qu’en amant » : à travers eux, elle souhaite viser doublement Jason, une
double affection : toucher à son être complet, amant et père.
De même qu’elle perd tout, enfant et amant, elle impose en qlq sorte à Jason la même blessure que la sienne.
Répétition du lex de la souffrance : tourment, souffre + « redouble » : amener J au paroxysme de la
souffrance : souhaite le soumettre à une véritable torture. + allitération en r (// torture)

v 15 : exclamation : trouble, émotion de Médée, doutes. Lex de l’affrontement : un combat intérieur entre
« audace » et « pitié ».
v 16 : Chiasme qui montre les revirements :
« pitié la combat - se met en sa place – cédant la place – à la fureur. »
vv18-20 : Médée rongée par le doute et la violence de ses émotions s’exprime ensuite par une série
d’antithèses : « j’adore – horreur » ; « amour-colère » ; « femme-mère ».
Médée est déchirée entre deux mouvements, d’un extrême à l’autre, deux sentiments (femme et mère) : perte
de repère, paroxysme du trouble, absence de nuance ou de demie mesure.

vv 21-22 : une tentative de décision : impératif « cessez » à l’adresse des « doutes », mais expression de la
décision au début du vers suivant : « d’épargner mes enfants » : ce rejet souligne que ce désir d’infanticide
est contre nature. Car du fait du rejet, on entend davantage « épargnez mes enfants » plutôt que « cessez
d’épargner mes enfants ». Phrase coupée symboliquement en deux.
Reprise d’un argument déjà dit : « que je ne verrai plus ». Médée sera privée de ses enfants. Mais est-ce une
justification ? Le motif est présent 2 fois : sous-entend un deuil impossible ? une déchirure qui redouble la
déchirure de la trahison.
vv 23-25 : adresse aux deux enfants : marque d’une résolution. Par l’emploie de la 2 e personne, Médée se
rapproche d’eux, pour mieux leur dire adieu, assumer une forme de deuil ?
-« chers fruits » : 1ere marque d’amour dans le texte.
-« Si je vous ai fait naître… / traître » : Médée ne tolère pas que les enfants aient un lien avec Jason (encore
une fois qualifié par son crime et non pas son nom : « traître ». Elle ne supporte pas leur proximité, en fait
des coupables malgré eux (argument déjà utilisé + haut)
-Csq : la seule résolution sera la mort : parallélisme + rythme binaire « me prive de vous / l’en priver. // des
crimes (talion, un œil pour un œil). Mais dysfonctionnement de ce parallélisme : c’est de leurs enfants
qu’elle parle, et met sur le même plan exil et assassinat.

vv 26-28 : nouvelle hésitation, rythme binaire (balancement et irrésolution)


Le vers qui conclue la phrase tient cet « équilibre » précaire. Deux « passions » : amour de femme et amour
de mère ? Ou bien vengeance et amour maternel ? Auquel cas mettre sur le même plan vengeance et amour
maternel est encore une fois problématique. Une fureur qui confine à la folie.

Vv 29-32 : la décision terrifiante, le choix de l’infanticide. Une résolution dans le crime.


-Impératif + négation qui stoppe la délibération. « ne délibérons plus ».
-« Mon bras en résoudra » : mais comme si c’était un geste dissocié d’elle-même. Comme si elle n’en
prenait plus la responsabilité complète ?
Dans la tragédie classique, souvent bras = bras qui tient l’épée (métonymie)
Nouveau // entre son sort et celui de Jason : je vous perds. Jason vous perdra
-1ere mention du nom et du GN attendus : Jason, mes enfants. => rassemble sa famille au moment, juste
avant, de la détruire. Ultime expression d’amour ?
- v31 : sentence répétée : « il ne vous verra plus. »
« Créon sort tout en rage » : signale qu’elle voit Créon (cela équivaut à une didascalie).
-v32 Impératif à elle-même : « allons » : se met en marche pour le crime. Décision prise : mise en
mouvement
Après la pause de la délibération, reprise de l’action tragique.

Pistes de conclusion

 Monologue délibératif révélant l’aveuglement et la violence de la passion de Médée : désir de


vengeance, fureur, mais aussi hésitations, trouble. = un bouleversement, un déchirement intérieur à
son paroxysme, jusqu’à la destruction de soi à travers sa famille ? De plus, le choix du crime
semble presque décidé dès le départ, le sentiment maternel n’intervient que comme un frein, non pas
comme un véritable choix ou contrepoids.
 Une fureur qui amène Médée à perdre le sens de la mesure, à confondre les valeurs et la raison
jusqu’à pervertir la réalité. Faire de ses enfants des criminels, les rendre responsables pour justifier
leur assassinat.
 Décision qui enferme l’héroïne tragique dans sa spirale criminelle, jusqu’à l’infanticide.
 Inspire terreur et pitié, question de la catharsis.
 Est-ce un vrai dilemme ? Pas exactement : c’est la soif de vengeance de Médée qui n’a plus de borne.
Elle est davantage en proie au furor que confrontée à un véritable dilemme.

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