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BACCALAUREAT SESSION 2023 – Série technologique

Texte N°9 – Mary Shelley (1797-1851), Frankenstein ou Le Prométhée


moderne (1818), traduit de l’anglais par Alain Morvan, chapitre X (extrait,
éditions Gallimard, 2014) : Rencontre avec le monstre.

Explication de texte linéaire de la rencontre de Victor Frankenstein avec la créature


Introduction : Mary Shelley, écrivaine anglaise de la première moitié du XIXe siècle, publie son
roman d’anticipation Frankenstein ou le Prométhée moderne en 1818, alors qu’elle est âgée de 21 ans.
Le roman narre la vie du savant Victor Frankenstein, qui a cherché à s’égaler à Dieu (comme
Prométhée) et a créé une créature vivante, mais hideuse, en assemblant des morceaux de cadavres. La
créature est livrée à elle-même dans un monde qui l’exclut et la condamne à commettre des crimes
pour survivre. Dans cet extrait, qui se situe au milieu du roman, Frankenstein se retrouve, au milieu de
la mer de glace à Chamonix, face à ce personnage en marge de la société dont il est, en quelque sorte,
le père.

Mouvement du texte en 3 parties :


1/ Début du texte à « de mon mépris furieux » : la rencontre du docteur Victor Frankenstein avec sa
créature ;
2/ De « Démon, m’exclamai-je » à « pour détruire la vie d’un autre » : dialogue avec le monstre et
expression de la rage et de la haine de Frankenstein ;
3/ De « Il m’évita aisément » à fin du texte : la prise de parole argumentée et pathétique du monstre.

Piste de lecture : Comment la créature, au début ignoble et haïssable, parvient-elle à rendre son
personnage humain ?

Première partie ou premier mouvement : Dès le début du texte, la créature apparaît à Victor
Frankenstein (VF) comme surpassant la condition humaine, ainsi que l’indiquent les hyperboles : « qui
avançait vers moi à une vitesse surhumaine », « il bondissait au-dessus des crevasses du glacier », et
« sa stature semblait aussi excéder celle d’un homme ». Il s’agit d’une créature d’apparence humaine,
mais plus grande et plus agile. Le narrateur VF (qui s’exprime en « je ») décrit son trouble à sa vue :
« mon regard se voila et je sentis que j’allai perdre connaissance ». La réaction est extrême, mais c’est
tout d’abord la surprise, et pas encore la colère et la haine, qui anime le narrateur. Le cadre spatial est
rappelé au lecteur par « le vent froid de la montagne me fit vite reprendre mes esprits ».
Le monstre est ensuite décrit de façon péjorative, voire injurieuse : « cette forme », « vision terrifiante
autant qu’abhorrée », « le misérable ». La créature s’est en effet rendue coupable du meurtre du jeune
frère de VF, William, et celui-ci ne lui pardonne pas cet acte criminel. VF est alors en proie à des
sentiments très forts : « Je tremblais de rage et d’horreur ». L’imparfait indique que cette réaction est
durable. L’idée de VF est de tuer à son tour la créature, pour venger la mort de son frère et pour éviter
que d’autres crimes ne soient commis : « l’affronter corps à corps dans un combat sanglant ». L’image
est ici celle du gladiateur face à une bête sauvage dans l’arène. Comme le monstre s’approche de VF,
celui-ci peut voir sa physionomie, décrite sur le plan moral : « son visage trahissait l’amertume de
l’angoisse, mêlée de dédain et de malveillance ». Le caractère extra-ordinaire (au-delà de l’ordinaire)
et surhumain de la créature est à nouveau montré : « sa laideur surnaturelle », « un spectacle presque
trop horrible pour des yeux d’homme ». Le narrateur cède alors à la colère, à la haine et au mépris, 3
émotions négatives : « rage et haine », « l’expression de ma détestation et de mon mépris furieux ».

Deuxième partie ou mouvement : Lors de sa prise de parole, VF s’adresse au monstre avec le terme
« Démon », en apostrophe, et l’expression « d’une façon diabolique » termine son discours. La
créature est ainsi caractérisée par sa fonction maléfique, ce qui la rapproche du diable. Deux questions
rhétoriques puis trois phrases exclamatives se succèdent, montrant l’émotion extrême de VF :
« comment oses-tu approcher de moi ? Et ne crains-tu pas la féroce vengeance que mon bras exercera
sur ta misérable tête ? Va-t’en, vil insecte ! ». On note le style imagé du discours de VF : les
métonymies (« mon bras », « ta tête ») et l’animalisation péjorative (« vil insecte »). Le champ lexical
du meurtre est ensuite convoqué : « en te piétinant te réduire en poussière », « mettant un terme à ta
misérable vie ». Mais ce discours tourne à la plainte élégiaque lorsque VF regrette la mort de William
et celle de Justine, condamnée à tort pour ce meurtre : « faire revivre les victimes que tu as assassinées
de façon diabolique ». C’est là l’origine de sa haine envers la créature.
La réponse de la créature révèle un être meurtri bien plus que criminel : « Tous les hommes haïssent
les malheureux », « moi qui souffre plus que tout être vivant ». Le registre pathétique apparaît, ainsi
que le sentiment d’isolement et d’injustice ressenti par la créature. Le monstre évoque ensuite les liens
qui l’unissent à son créateur, afin de l’émouvoir : « mon créateur », « ta créature, à laquelle tu es uni
par des liens que seul l’anéantissement de l’un de nous peut dissoudre », c’est-à-dire des liens que
seule la mort peut dénouer. Il accuse VF de vouloir le tuer au lieu de le protéger et propose à VF un
marché (on apprendra plus loin qu’il s’agit de lui donner une compagne) : « Fais ton devoir envers
moi, et je ferai le mien envers toi et envers les autres hommes », « Si tu acceptes mes conditions ».
Toutefois, ce marché est assorti de menaces : « mais si tu refuses, j’abreuverai la panse de la mort,
jusqu’à la rassasier du sang des amis qui te restent ». On note également le style imagé du discours de
la créature, qui s’exprime aussi élégamment que son créateur : la personnification de la mort, et
l’image forte de son estomac empli de sang, en témoignent.
La réaction de VF est tout d’abord l’horreur et le refus de céder à une forme de chantage, ainsi que
l’indiquent les 3 apostrophes exclamatives péjoratives : « Monstre abhorré ! Diable que tu es ! […]
Misérable démon ! ». VF n’abandonne pas l’idée de tuer sa créature, qu’il se reproche d’avoir conçue
(« l’étincelle que j’ai donnée avec tant de négligence »). Il joint le geste à la parole et se précipite alors
sur le monstre, mu par sa rage haineuse et horrifiée : « poussé par tous les sentiments capables d’armer
un être pour détruire la vie d’un autre ».

Troisième partie ou mouvement : La créature est remarquablement agile et évite « aisément » le coup.
Dans la prise de parole qui forme la fin du texte, elle cherche à ramener VF à la raison, avec différents
arguments rhétoriques. Tout d’abord, elle cherche à attirer l’attention de son interlocuteur, elle
pratique la « captatio benevolentiae », c’est-à-dire la recherche de la bienveillance de son auditoire,
comme le fait tout bon orateur en début de discours : « Je te supplie de m’entendre avant de laisser
libre cours à ta haine ». La question rhétorique qui suit cherche à attirer la pitié de VF, avec une
tonalité pathétique déjà présente dans l’expression « cette tête vouée à l’infortune » : « N’ai-je donc
point assez souffert, pour que tu cherches à me rendre encore plus malheureux ? » La créature rappelle
ensuite à son créateur son attachement à la vie et sa propre force vitale : « La vie m’est chère » et « tu
m’as fait plus fort que toi ; je suis d’une taille supérieure à la tienne ; mes articulations sont plus
souples ». Cela pourrait apparaître comme une menace, mais la créature balaie immédiatement cette
interprétation, avec le connecteur d’opposition « mais » : « Mais je ne veux pas être tenté de
m’opposer à toi ». La créature se soumet à son créateur : « Je suis ta créature », « je veux même être
doux et docile », « celui qui, par nature, est mon seigneur et mon roi ». Toutefois, comme dans la
relation seigneur-vassal, il faut qu’il y ait des devoirs réciproques : « dès lors que tu acceptes aussi de
jouer ton rôle et de faire ton devoir envers moi ». Le ton élégiaque revient ensuite, avec l’apostrophe
« Ah, Frankenstein » : le monstre se plaint d’être injustement traité par VF : « je suis le seul que tu
foules aux pieds », alors qu’il devrait être protégé par lui (« moi qui ai droit à ton esprit de justice, et
même à ta clémence et à ton affection ». L’anaphore « Souviens-toi » est un rappel mémoriel qui
cherche à établir une forme de complicité entre les deux êtres. L’opposition entre « ton Adam » et
« l’ange déchu » reprend le champ lexical de la religion initié par VF. La créature, dans sa détresse, ne
voit que l’injustice dont elle est victime, et non son crime : « alors que je n’ai point commis de
méfait ». On se rend compte que la créature se place selon la justice de Dieu et non celle des hommes,
et qu’elle apparente ici son créateur à Dieu, qui devrait lui manifester de la clémence malgré le crime
affreux qu’elle a commis. Les deux phrases suivantes sont construites en antithèse : « partout règne la
félicité » vs « moi seul en suis irrévocablement exclu », et « J’étais bienveillant et bon » vs « le
malheur a fait de moi un diable ». La créature attribue sa méchanceté à l’absence de bonté des
hommes envers lui. La dernière phrase sonne comme la conclusion logique du discours : donc
« Rends-moi heureux, et je serai derechef (= de nouveau) vertueux ».
Conclusion : Au cours du texte on assiste à une transformation de la créature : d’un personnage
diabolisé par le regard de VF il devient un personnage humanisé par le discours qu’il tient à son
créateur. Mais créateur et créature ne relèvent pas du même ordre : le savant VF a fait preuve d’un
orgueil démesuré (« hubris » chez les Grecs anciens) en donnant vie à un être humain, à l’égal de
Dieu, mais la justice des hommes n’appartient pas à cet ordre et la créature est donc exclue du monde
des humains.

Grille d’évaluation de l’explication de texte linéaire orale sur 20 points


- Lecture expressive : /2 pts
Introduction :
- Présentation auteur/œuvre : /2 pts
- Mouvement du texte : /1 pt
- Piste de lecture/problématique : /1 pt
Développement :
- Reformulation/explicitation pertinentes : /5 pts
- Analyse des procédés de style : /5 pts
Conclusion : /2 pts
- Langue correcte, débit/élocution et respect du temps (5/6-8 mn) : /2 pts

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