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BACCALAUREAT SESSION 2023 – Série technologique

Texte N°2 – Jean de La Bruyère, Les Caractères (1688)


Livre XI « De l’homme », 7 : « Ménalque »

Explication de texte linéaire de « Ménalque »


Dans Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, ouvrage publié dans sa première édition en 1688, le moraliste
La Bruyère dresse une galerie de portraits qui lui permet de donner une image variée de l’« ample comédie »
humaine, de critiquer les comportements de ses contemporains et d’amener son lecteur à un jugement personnel.
Cet auteur s’inscrit dans le mouvement du classicisme qui prend place sous le règne de Louis XIV, et dépeint les
travers des courtisans. Le portrait de « Ménalque » est la 7e remarque du livre XI intitulé « De l’Homme ». C’est
l’un des plus connus du recueil, sinon le plus long. Nous nous intéressons ici au début du texte. Ménalque
incarne le type du distrait, de l’étourdi, de l’ahuri.
Le mouvement du texte est en 2 parties :
1/ Du début jusqu’à « un ouvrier sur ses épaules » : le récit de ce qui arrive à Ménalque quand il sort de chez
lui ;
2/ De « On l’a vu une fois » jusqu’à « croyant qu’il s’est trompé » : le récit des différentes situations dans
lesquelles Ménalque fait preuve de son excessive distraction.
Piste de lecture : Comment La Bruyère fait-il, à travers le caractère distrait de Ménalque, une satire
sociale et morale de la société aristocratique de son époque ?

Partie 1 : Le texte s’ouvre sur le pantonyme « Ménalque », qui est probablement inspiré du grec « menis » :
croissant de lune, le nom Ménalque désignant ainsi quelqu’un de distrait, d’inattentif, qui est dans la lune.
Ménalque ici représente un prototype et son portrait pourrait s’appliquer à de nombreuses personnes. Le portrait
est dynamique, en mouvement, comme l’indique la succession de verbes d’action au présent de narration :
« descend son escalier, ouvre sa porte pour sortir, il la referme ». Les adjectifs possessifs « son » et « sa »
marquent l’importance des biens matériels pour Ménalque. Le premier indice de la distraction du personnage se
produit à la 4e proposition de la phrase : « il s’aperçoit qu’il est en bonnet de nuit » puis « il se trouve rasé à
moitié, il voit que son épée est mise du côté droit, que ses bas sont rabattus sur ses talons, et que sa chemise est
par-dessus ses chausses ». Les verbes à la voie passive montrent que Ménalque n’est pas responsable de ces
incongruités. La phrase suivante narre un nouvel incident ou une nouvelle étourderie de Ménalque, alors qu’il
est à présent sorti de chez lui, comme le signale la tournure hypothétique « S’il marche dans les places ». Il se
sent « frapper à l’estomac ou au visage » et ne comprend ce qui lui arrive que lorsque « ouvrant les yeux et se
réveillant », ce qui signifie qu’il était endormi, au sens figuré ou métaphorique puisque Ménalque est ailleurs,
dans la lune. Il comprend que ses douleurs proviennent du fait qu’il s’est s'embroché sur l'une des branches
d’une voiture hippomobile, ou bien qu’il est frappé au visage par une solive, une planche portée sur les épaules
d'un ouvrier menuisier.

Partie 2 : La 2e partie revient sur l’autres comportements plus anciens de Ménalque, avec une analepse (« On l’a
vu une fois »). Ménalque, lui-même somnambule, aveugle ou infirme puisque endormi, se heurte la tête contre
celle d’un aveugle et tous deux tombent à la renverse. C’est une scène de farce qui est décrite ici, Ménalque est
un mime ou un pantomine comique. Ensuite, c’est quand il rencontre un prince que Ménalque perd la tête
puisque, lui-même noble, ne sait que « se reconnaître à peine » et « se coller à un mur pour lui faire place ».
Cette rencontre venant juste après la rencontre avec l’aveugle, on ne peut que faire une analogie : les aristocrates
sont comme des aveugles, des infirmes cérébraux. La phrase suivante est constituée d’une accumulation
hyperbolique de verbes d’action, montrant l’affolement et l’énervement ridicules de Ménalque : « Il cherche, il
brouille, il crie, il s'échauffe, il appelle ses valets l'un après l'autre » (le verbe « brouiller » signifie « s’agiter »).
« on lui perd tout, on lui égare tout » est un discours rapporté de Ménalque au DIL (discours indirect libre), qui
donne de la vie au personnage. Autre malentendu ou effet de la distraction de Ménalque : « il demande ses
gants, qu’il a dans ses mains ». La comparaison qui suit, avec une femme (« cette femme », avec le démonstratif
« cette » qui la rend présente aux yeux du lecteur) « qui prenait le temps de demander son masque lorsqu'elle
l'avait sur son visage » est à nouveau une métaphore de l’apparence, du costume, du déguisement. Ménalque n’a
que l’apparence d’un grand, d’un noble. La phrase suivante indique que Ménalque rentre chez lui (« entre à
l’appartement ») et qu’il y est victime d’une nouvelle mésaventure : sa perruque s’accroche à un lustre et y
« demeure suspendue ». Outre le fait que la scène est à nouveau digne d’une farce médiévale ou de la commedia
dell’arte, on peut y lire la comédie des apparences de l’aristocratie : la perruque, signe extérieur de richesse, est
attirée par le « lustre », c’est-à-dire ce qui éclaire, ce qui brille, et Ménalque se trouve ainsi à la fois mis à nu,
chauve, et ridiculisé. D’ailleurs, tous les courtisans présents regardent et rient, sans bien se rendre compte qu’ils
rient en fait aussi d’eux-mêmes, car Ménalque rit lui aussi « plus haut que les autres » en cherchant qui a bien pu
perdre sa perruque. Ménalque est certes ridicule, mais les moqueurs sont également moqués, en miroir. Aucun
grand ni aucun courtisan n’échappe à l’ironie mordante -mais cachée- de La Bruyère. La dernière situation
décrite montre Ménalque à nouveau dans la rue (« S’il va par la ville ») et met en scène sa confusion entre sa
propre demeure et celle d’un autre noble : « il se croit égaré […] et il demande où il est à des passants, qui lui
disent précisément le nom de sa rue ; il entre ensuite dans sa maison, d’où il sort précipitamment, croyant qu’il
s’est trompé ». Cette confusion est le signe que Ménalque est un pantonyme, le représentant de l’ensemble de la
noblesse, qui s’égare en confondant valeurs morales (celles de l’honnête homme, tempérance, courtoisie…) et le
costume, l’apparence. Cette distraction, tout à fait risible, mais aussi quelque peu tragique, est celle de toute une
classe sociale.

Conclusion : Ménalque, sorte de bouffon naïf et ahuri, sert de modèle à La Bruyère pour faire la critique, le
blâme de la caste des nobles, des grands, des courtisans, des gens dits de qualité, qui forment l’entourage de
Louis XIV et celui de La Bruyère. Toutefois, cette critique ironique et satirique est cachée sous les apparences
trompeuses de la comédie et du rire, car Ménalque est décrit aussi comme un véritable pantomime victime de sa
distraction.

Grille d’évaluation de l’explication de texte linéaire orale sur 20 points


- Lecture expressive : /2 pts
Introduction :
- Présentation auteur/œuvre : /2 pts
- Mouvement du texte : /1 pt
- Piste de lecture/problématique : /1 pt
Développement :
- Reformulation/explicitation pertinentes : /5 pts
- Analyse des procédés de style : /5 pts
Conclusion : /2 pts
- Langue correcte, débit/élocution et respect du temps (5/6-8 mn) : /2 pts

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