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Entrainement à l’épreuve écrite de l’EAF : Le commentaire littéraire

OE : le théâtre
Parcours associé : « crise personnelle, crise familiale »

Texte support : Corneille, Médée, V, 2 (Empreintes littéraires, p. 276)

(Chaque paragraphe commence par un alinéa)

Corneille, dans la première moitié du XVIIe, compose des tragédies considérées comme des modèles
: Horace, Cinna, par exemple, comptent au nombre de ses triomphes. Pour Médée, sa première tragédie,
créée en 1635, il s’inspire non de l'histoire romaine mais du mythe grec de la Toison d’or et des Argonautes,
déjà mis en scène par Euripide à Athènes au Ve siècle av. J-C. Médée, fille du roi de Colchide, et magicienne
redoutable, met son pouvoir au service de son amour pour Jason, pour lequel elle accumule les crimes.
Quand Jason, de retour en Grèce, lui préfère la fille du roi de Corinthe, Créüse, Médée décide d’empoisonner
sa rivale et son père. Le spectateur apprend, dans la première scène de l’acte V, l’exécution de son forfait :
Créüse et Créon agonisent. Dans le monologue de la scène 2, Médée envisage d’accroître sa vengeance par
le meurtre de ses enfants. La délibération se clôt, sans surprise, par la résolution de commettre
l'innommable. Dans quelle mesure donc ce monologue révèle-t-il un personnage monstrueux, propre à
susciter la catharsis, ou purgation des passions, qu’Aristote, dans sa Poétique, définit comme une des finalités
de la tragédie ? Nous verrons d'abord que le monologue développe les caractéristiques délibératives propres
à un procès : il doit aboutir à une relaxe ou une condamnation. Ce monologue a, en outre, une fonction
expressive en ce qu'il traduit la fureur et la folie d'un personnage tragique.

(Laisser deux lignes entre l’introduction et le développement)

Le monologue de Médée fonctionne comme une plaidoirie pour et contre, qui doit entraîner un
jugement.
D’abord, Médée s’encourage au meurtre, par l’anaphore expressive, soulignée par l’hémistiche : « Est-
ce assez ? » Cette question est développée par le champ lexical judiciaire qui mime une sorte de procès dans
lequel il faut décider du sort des enfants : « consulte », « innocents », « criminels » « exécuter », « délibérer
». Ce champ lexical de la délibération est doublé par des injonctions pressantes, formulées à la première
personne de l’impératif pour s’exhorter à l'action : « suppléons », « immolons », « n'en délibérons plus », ou
« allons ». De la même manière, l’anaphore « Il faut que » (v. 13 et 14) présente l'exécution comme une
nécessité légitime, alors qu’elle n’est que l’expression de sa passion.
Le monologue est aussi l'occasion de convoquer les absents dont Médée instruit le procès. Créüse est
directement nommée (v. 8), mais simplement nommée « une femme » (v. 3), ce qui réduit son importance.
Médée l'évoque également sur le mode du regret « Que n'a-t-elle eu des enfants de Jason » ce qui fait d'autant
mieux ressortir la possibilité́ d'un meurtre. Quant au procès de Jason, il est clairement instruit : l’accusé est
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d'abord désigné par les périphrases « mon perfide » (v. 3) et « traître » (v. 24). Médée fait rimer son nom
avec trahison (v. 6 et 7) : il devient donc le seul coupable. Mais c'est à travers ses propres enfants que
s'exprime la délibération de Médée. En effet, la longue périphrase « Ceux qu'à me dire adieu Créüse me
renvoie » (v. 8) tente de légitimer le meurtre, tout comme le rythme binaire du vers suivant : « Ils viennent
de sa part et ne sont plus à moi » qui s'oppose donc explicitement au pronom possessif « les miens » (v.7).
De la même manière, l’antithèse « innocents » et « criminels » (v. 11-12) les condamnent à la mort. Enfin les
périphrases « des enfants que je ne verrai plus » ou « chers fruits de mon amour » placé en apostrophe fait
resurgir la tendresse maternelle.
Enfin, Médée présente le choix qui s’impose à elle comme la résolution d’un dilemme. En effet, le
monologue fait se succéder des sentiments et des décisions contraires, comme le soulignent la conjonction
adversative « mais » à trois reprises, et le rythme saccadé du monologue, proposant des revirements brutaux.
Par exemple, le point-virgule souligne la parataxe et oblige le spectateur à compléter lui-même
l’argumentation sous-entendue, procédé qui le rend symboliquement complice de Médée. De la même
manière, la double figure de la « mère » et « la femme » (v. 20) souligne l’ambiguité du personnage. De plus,
Médée se présente comme le siège d'un véritable combat à travers une métaphore filée convoquée par le
lexique : « combat », « cède », « met en sa place » ou « braver », dans laquelle des allégories désignent les
adversaires : « ma vengeance » (v. 1) et la « pitié » (v. 26.)
Le monologue remplit donc bien sa fonction délibérative. La synecdoque « mon bras en résoudra »
annonce les meurtres à venir. Toutefois, le monologue a aussi une vocation expressive puisqu'il contribue à
dresser le portrait d'un personnage tragique saisi par la folie.

(laisser une ligne entre les deux parties du développement)

Dans un second temps, Médée apparaît comme un monstre dans une mécanique tragique.
D’abord, elle se présente comme un personnage tragique en proie à la démesure. En effet, le nom «
fureur » (v. 4 et 17) a, au XVIIe siècle un sens très fort, et peut être associé à une rage meurtrière, soulignée
par la métaphore du feu et le superlatif : « tes plus ardents transports ». Le lexique de la violence illustre la
fureur du personnage : arracher » « violer » « immoler ». La diérèse sur « violer » accentue cet effet, ainsi
que les allitérations en sifflantes, par exemple.
La monstruosité́ du personnage s'exprime également dans sa facilité à légitimer l'impensable : elle
apostrophe la Nature (v. 9), elle établit un rapport fallacieux de cause à effet : « ils sont trop criminels d'avoir
Jason pour père » (v. 12) et associe le verbe « immoler » et « avec joie » dans une sorte de plaisir sadique. Les
euphémismes qu'elle utilise « Les « projets » (v. 18), « triste ouvrage » (v. 32) sont-ils l'indice d'une parfaite
inconscience ou au contraire d'une difficulté́ à nommer l'innommable ? ◦
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Médée apparaît également possédée par un désir de vengeance qui la prive de raison : cette obsession
se traduit par l’apostrophe à « ma vengeance » (v.1) et par le polyptote « venger » « vengeance ». Elle compte
appliquer à Jason une sorte de loi du talion, comme le suggèrent les chiasmes « Il me prive de vous, et je l'en
vais priver. » (v. 25) et « Je vous perds mes enfants, mais Jason vous perdra » (v. 30) par lesquels elle lie le
sort qui lui est infligé à celui qu'elle entend infliger à Jason. Médée multiplie les parallèles, pour appuyer sur
la réciprocité de la peine : ainsi, « des enfants que je ne verrai plus » (v. 22) appelle « Il ne vous verra plus. »
(v. 31)
Enfin le personnage engage une mécanique tragique qui précipite les catastrophes, mécanique
perceptible à travers le champ lexical de la mort, omniprésente : « trépas » (v. 13) « immoler » (v. 7) « deux
morts » (v. 1) et par euphémisme « priver » (v. 25), le champ lexical de la souffrance : « souffre » (v. 14), «
tourment » (v.13). De plus, les verbes Les verbes « perdra », « ne vous verra plus » rappellent constamment
l'infanticide à venir en mettant l'accent sur al souffrance de Jason. Les temps verbaux soulignent l’infanticide
inéluctable : les temps verbaux présentent cet infanticide comme une action certaine : le futur proche « je
vais l'en priver » (v. 25), le futur « il ne vous verra plus » (v. 31), « vous perdra » (v. 30) ou « mon bras en
résoudra » (v. 29). Et le présent : « je vous perds » signifie que l’infanticide est déjà en cours de réalisation.

(Laisser deux lignes entre le développement et la conclusion)

Le monologue de Médée est donc bien délibératif : l’héroïne, en proie aux atermoiements de sa
conscience, qui allie sens de la justice et amour maternel, choisit d’assouvir sa vengeance en pervertissant
sa raison pour légitimer son acte. En proie à la déraison, elle est une héroïne tragique monstrueuse par
l’ignominie de l’infanticide, qui transgresse consciemment les lois de la justice et de la nature. On peut aussi
considérer Médée comme une héroïne victime des passions humaines, dont Corneille peint ici les
souffrances qu’elles engendrent. Le dramaturge suscite donc dans le public l’effroi devant ce personnage
monstrueux qui se laisse manipuler par la passion.

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