Vous êtes sur la page 1sur 4

INTRODUCTION

(Contextualisation)
Pierre Corneille est, avec Jean Racine, un dramaturge emblématique du XVIIème siècle, cet âge d’or
du théâtre classique où il s’illustre surtout par ses tragédies. Si Le Cid est son œuvre la plus célèbre,
Médée, sa première tragédie, créée en 1635, met en scène le personnage éponyme, magicienne liée au
mythe grec de la Toison d’or, amoureuse de Jason et réputée pour ses vengeances impitoyables. Dans
la scène qui précède la scène 2 de l’acte V, le spectateur apprend qu’elle a empoisonné Créüse, la jeune
épouse de Jason, pour laquelle il l’a abandonnée, et son père, Créon. Dans le monologue que nous
allons étudier, Médée laisse libre cours à sa fureur, et s’interroge pour savoir si ce double meurtre
suffit à assouvir sa soif de vengeance : doit-elle y ajouter le meurtre de ses enfants ?
(Lecture du texte, ou de l’extrait indiqué par l’examinateur)
(Problématique et annonce du plan)
Dans quelle mesure peut-on voir en Médée un personnage monstrueux susceptible de provoquer la
purgation des passions, la catharsis, telle que l’a définie Aristote ?
Nous verrons d’abord (v. 1-10) que Médée est la proie d’une fureur qui échappe à la raison.
Ensuite, (v. 11-22), elle subvertit sa raison pour la soumettre à sa passion, dans un dilemme où
s’opposent amour maternel et jalousie féminine. Enfin (v. 23- 31), elle résiste aux derniers soubresauts
de son amour maternel et se résout à mettre en œuvre le double infanticide.

DEVELOPPEMENT
D’abord, Médée est la proie d’une fureur qui échappe à la raison.
En effet, la double interrogation « est-ce assez » qui scande le vers en deux hémistiches parallèles, et
qui insiste sur une allitération persifflante, annonce au spectateur qu’elle est au comble de la fureur.
Ce paroxysme est également exprimé par la double antithèse lexicale au vers suivant : « consulte »,
qui met en jeu la raison, et « transports », qui met en jeu la passion ; de plus, « avec loisir » implique
le calme nécessaire à la réflexion, tandis que l’adjectif « ardents » suppose l’urgence à travers la
métaphore du feu qui dévore. Les vers suivants proposent le même champ lexical de la violence :
« arracher », « assouvir », « fureur », « venger », tandis que les deux personnages objets de sa haine
sont désignés par une périphrase : « mon perfide », c.a.d. Jason, et de façon vague et sans doute avec
une connotation méprisante, « une femme ». Ces deux vers forment la question à laquelle le
monologue apportera une réponse.
Cette réponse commence par l’expression d’un regret, comme l’indique l’adverbe exclamatif « que »
et la forme négative. La place à la rime de « Jason » et « trahison » font écho à la « vengeance » du v.
1 et s’imposent comme une évidence. Les deux verbes à l’impératif « suppléons » et immolons »
sonnent donc comme une décision qui s’impose.
L’enjambement des v. 8 et 9 donne une ampleur rythmique à cette décision, dans laquelle elle nomme
« Créüse », qui lui sert d’alibi pour justifier cet infanticide. Elle sous-entend que Créüse est la
nouvelle mère des enfants, en opposant, dans un hémistiche parallèle, « de sa part », « à moi »,
assorti du verbe être à la forme négative. Elle n’est donc plus symboliquement la mère de ses enfants,
ce qui justifie l’affirmation du vers précédent : elle n’agit pas contre la morale, qui interdit tout
meurtre par ascendant (« violer ta loi », soulignée par la diérèse). L’infanticide est donc décidé, et
licite. Mais Médée

Dans un second mouvement, (v. 11-22), Médée subvertit sa raison pour la soumettre à sa
passion, dans un dilemme où s’opposent amour maternel et jalousie féminine.
Le combat qui obsède Médée est marqué par l’anaphore de la conjonction adversative « mais » et
dans les vers 11 et 15, elle expose les soubresauts de sa conscience devant le dilemme : aller, ou non,
au bout de sa soif de vengeance ? Elle développe d’abord une argumentation pour/contre, avant de
se présenter comme une victime de sa passion.
D’abord, des vers 11 à 14, elle développe une argumentation fallacieuse.
En effet, son premier argument est celui que dicte la logique universelle : « ils sont innocents ». Elle
balaie cette objection par la mention d’un fratricide ancien. L’innocence d’autrui n’a donc aucune
prise sur sa conscience. La césure souligne la perversité de sa justification.
Le deuxième argument n’est pas sans rappeler celui du loup dans la fable de La Fontaine « Le loup et
l’agneau ». Comme ce prédateur sans conscience, Médée pervertit l’injustice en justice. En effet,
l’antithèse « innocents » « coupables », lui permet de présenter ses enfants comme des instruments
légitimes au service de sa vengeance. Aux vers 13 et 14, l’anaphore « Il faut que » impose le crime
comme une fatalité, soulignée par le champ lexical de la souffrance « tourment », « souffre » et de la
mort « trépas. » Médée parvient donc à justifier l’injustifiable.
Ce deuxième mouvement est marqué par une sorte de pause, des v. 15 à 22. Elle exprime, à travers
une interjection pathétique « Mais quoi ! » en début de vers, son désarroi d’avoir à lutter contre sa
conscience et son amour maternel. Elle analyse le « combat », développé par le champ lexical de
l’effort vain : « j’ai beau », « cédant ». Elle oppose dans une tension insupportable, la « colère », « la
fureur », d’un côté, et « la pitié », « l’amour » de l’autre. Les adverbes de temps « puis », « aussitôt »
soulignent ce déchirement intérieur, dans une forme d’incohérence temporelle. Ce combat s’exprime
pleinement dans le vers 18, dans l’antithèse « j’adore » et « horreur », placé symboliquement en tête
et fin de vers.
Dans un ultime effort pour se convaincre du bien-fondé de sa décision, elle clôt le débat par un
impératif « cessez » en imposant silence aux objections. Le procès est terminé. Les enfants ont tort,
et elle a raison.

Dans troisième mouvement du texte, (v. 23- 31), Médée résiste aux derniers soubresauts de
son amour maternel et se résout à mettre en œuvre le double infanticide. Elle s’adresse à ses
enfants (le pronom personnel « vous » est employé à 4 reprises) dans une prosopopée1 pathétique,
d’abord à travers une périphrase, dominée par le champ lexical de la tendresse : « chers », « amour »,
et enfin directement « mes enfants » (v. 30).
Au vers 25, sa décision irrévocable est soulignée par le chiasme à l’hémistiche et l’anaphore du verbe
« prive », qui oppose les pronoms « me » et « le », pour établir une forme d’égalité entre elle et Jason.
Cependant, son amour maternel ou son sens de la justice qui lui demande de ne pas sacrifier des
innocents (« ma pitié », v. 26) n’est pas encore vaincu. La conjonction adversative « mais » et la
métaphore de la guerre (« braver ») soulignent ce combat douloureux.
L’enjambement aux vers 26 et 27 fait écho à celui des vers 13 et 14 : mais cette fois, ce n’est plus un
ordre, mais l’aveu d’un déchirement intérieur insupportable, comme le souligne l’adjectif
« éperdue », qui souligne son trouble, et l’aveu de son incapacité à « exécuter ». Ce verbe et son
complément, le pronom indéfini négatif « rien » la montrent comme paralysée par la monstruosité
de l’acte qu’elle s’apprête à commettre.
La construction antithétique du vers 29 offre un paradoxe : le dilemme est résolu par la violence,
comme le suggère la synecdoque « mon bras ». Ce paradoxe est souligné par l’emploi du verbe
« résoudre », qui signifie normalement une solution qui trouve sa source dans la raison et non dans
la violence. Cette violence est légitimée au vers suivant par la construction parallèle qui oppose
Médée et Jason. Le dernier hémistiche peut résonner comme un sanglot : sa consolation, paradoxale,
est de savoir que Jason sera privé de ses enfants comme elle le sera.

1La prosopopée est une figure de rhétorique qui consiste à donner la parole à des personnages absents. Elle consiste
aussi à s’adresser à des personnages absents.
CONCLUSION
Nous avons donc vu comment Médée parvient à se convaincre du bien-fondé de l’infanticide qu’elle
s’apprête à commettre, par un raisonnement perverti par la passion. Son trouble intérieur, dans sa
violence, en font un personnage baroque, tout en excès et en mouvement. Elle est donc propre à
susciter la catharsis « la purgation des passions », spectateurs, en entendant Médée pervertir la
raison et la loi naturelle qui interdit l’infanticide, sont à même de mesurer la perversion d’une raison
dévoyée qui justifie l’injustifiable.

Vous aimerez peut-être aussi