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Introduction

Le sujet, qui est né un jour et qui va mourir un autre jour, a des pulsions, des envies de
coucher avec sa mère, de tuer son voisin, etc. On habite ensemble mais on va mourir
tout seul, et c’est une chose extrêmement angoissante. C’est pour cela que les Grecs du
5e siècle a.c. vont créer un lieu ou les sujets peuvent partager toutes leurs émotions et
pulsions : le théâtre. La parole poétique apparaît : la fable.

Aristote va parler de katharsis. D’abord il l’utilise pour parler de la transparence de


l’eau et après comme un moyen pour “traverser jusqu’au bout”, cela signifie un moyen
pour “traverser les ténèbres jusqu’ à la lumière”. C'est à cette dernière définition que
nous pouvons avoir une notion du théâtre comme instrument cathartique c'est-à-dire un
lieu où pouvoir former nos émotions, que nous définissons comme une altération de
l'âme. Ce processus va être vécu par l'acteur et par le spectateur.

L'acteur va être le sujet qui exprime la fable, qui cesse d'être « il » pour prendre le
papier et l'histoire d'un personnage. Cette histoire sera composée d’un conflit, de son
développement et finalement d’une solution à celui-ci. Ce trajet consiste en ce qu'il
résultera à la catharsis, tant de l'acteur à son processus d'expressivité, du personnage au
cours de l'œuvre, comme du spectateur qui se sentira identifié à ce conflit / émotion.

C'est à ce moment que je voudrais introduire le concept d'espace, depuis sa conception


sociale et sa sémiotique, jusqu'à conclure dans une définition plus particulière et subtile
qui permet à l'acteur de s'approcher du spectateur en réduisant l'espace qui les sépare.

Conception spatiale du théâtre : une distribution d'acteurs et de spectateurs.

Nous distinguons deux types de lieux dans une représentation :

1. Des lieux érigés expressément pour la représentation : les édifices théâtraux.

2. Des lieux qui ont été créés pour d'autres fonctions pratiques qui sont utilisées
éventuellement ou d'une manière permanente comme théâtres.

Dans le premier cas, le propre édifice contient déjà les signifiés d'un caractère social et
historique et la représentation peut avoir une fonction religieuse ou liturgique,
représentative, politique, pédagogique, évasive, etc.
Dans le deuxième cas, le lieu n'a pas d’emblée ces signifiés, mais est choisi comme
espace théâtral. Par exemple dans le Moyen Âge, le théâtre était célébré dans l'église; et
tout de suite cette représentation se soustrayait à la place publique et aux rues, par
conséquent, tout l'espace se convertissait en une extension du lieu sacré et le peuple était
mêlé aux acteurs. C’est pour cela que l'espace semble relatif. On peut prendre n'importe
quel espace vide et le transformer en une scène nue, la chose unique qui est nécessaire
est quelqu'un qui marche dans cet espace et l'autre qui l'observe pour le nommer « acte
théâtral ».

Dans n'importe lequel de ces deux espaces, le travail de l'acteur est fondamental, il doit
analyser et créer avec son travail de représentation un rapprochement entre le texte à
réciter, l'action et l'émotion en arrivant à un processus cathartique. L'acteur doit être
sensible à l'espace scénique et pour s'adapter à lui, il est nécessaire que le corps soit
capable de "le mesurer" en établissant un rythme concret qui l'adapte à l'espace d'une
manière presque inconsciente. Soit déjà dans l'expansion ou dans la contraction le corps
doit rester actif, même dans l'immobilité : il s'agit de s'intégrer à un espace vital, qui doit
toujours être dynamique, même quand son mouvement sera arrivé à sa limite maximale.

En unissant les deux concepts nous pouvons dire que l'espace est un acteur à part, il
n'est pas neutre et il réagit en fonction de l'action. Si l'espace varie, les relations entre les
acteurs varient. Nous pouvons vivre l'espace de deux manières : celui que nous
occupons qui est positif et celui qui reste vide autour de nous qui est négatif. Le
mouvement dans la scène peut se convertir en jeu dynamique d'espaces négatifs qui se
convertissent en positifs et vice versa.

L'espace est aussi composé par la lumière et les objets qui veulent être utilisés. La
lumière offre l'opportunité de se cacher dans l'ombre. De renforcer quelque chose ou de
le suggérer. Nos corps provoquent une relation et différentes expressions en dépendant
du degré de la lumière qu'ils réfractent.

Nous devons nous servir, alors, des éléments de l'espace pour compléter l’expression
artistique avec notre corps. En considérant que les objets, leurs formes, et leur
disposition renforcent le message qui veut être obtenu.
L’espace vital : "Il y a entre lui et moi des espaces que je ne serais pas capable de
traverser" A. Camus

Chaque acteur possède un espace vital, cette bulle fragile qui explose au moment où
l'espace que l'on construit dans la relation avec l'objet ou avec un compagnon n'est pas
réglée. Selon le psychologue Kurt Lewin, l'espace vital est l'ensemble d'influences qui
agissent simultanément sur la conduite d'un individu. Il inclut dans cela les facteurs
psychologiques de la personne et les facteurs de l'environnement. De même il n'a pas de
taille déterminée si ce n’est différente en fonction de l'environnement dans lequel nous
avons grandi et des circonstances de ce moment.

L'espace vital de chaque personne est extrêmement important parce que c'est là que
chacun peut tranquillement se déplacer et sans incommodité : pour obtenir cela il faut
travailler la gestion du mental et du corps. Il est primordial de pouvoir localiser le centre
et l'appui du corps et de pouvoir générer un contrôle au moyen de la concentration et la
connexion avec soi même : pourquoi trouver son propre centre est-il transcendant ?
Parce que cela aide à ce que l'équilibre se connecte immédiatement au mouvement á
faire. Tous les acteurs doivent connaître leur corps physiquement et manier la posture
pour ne pas envahir l'espace vital d'autres compagnons, en plus de contrôler le sien
puisqu'il influe sur la santé émotionnelle.

Alors nous pouvons rattacher l'espace aux mots « intimité » et « confiance ». Si un


travail de concentration et de confiance préalable au jeu théâtral n’a pas été fait, l'espace
scénique se trouvera extrêmement limité et non crédible. Nous pouvons interagir avec
l'espace vital de l'autre non seulement avec des mouvements et de l’immobilité, mais
aussi avec des mots et des silences.

Pour conclure, en plus de tous les espaces creusés antérieurement, il y en a un plus


subtil entre l'acteur / personnage et le personnage / spectateur auquel il faudrait porter
une attention particulière au moment de faire une performance.
Les simulations

Avant de commencer à parler des séances, j'aimerais expliquer comme l'espace, qu’on a
utilisé pour faire le cours, était composé. C’est un grand salon, entouré de fenêtres qui
donnent à l'extérieur, avec une vue sur un parc. Il n’y a pas d’éléments décoratifs dans
l'espace mais certains élèves ont proposé l'utilisation de chaises et tapis. Il n’y a pas de
division structurelle entre la scène et les spectateurs, plutôt cette séparation a surgi par
une décision d'organisation de l'espace. Les spectateurs étaient donc situes en face de la
scène.

Pour cette section, j'ai choisi la deuxième séance de Juliette et la première de Shanti.
Dans les deux cas, j'ai participé en tant que spectatrice.

Juliette a proposé un travail sur "la voix, son volume et ses intonations" et il y a eu la
participation de Roman et Shanti.

Dans toute la classe, il y avait une tendance à utiliser le milieu de la scène, à la fois pour
les exercices de respiration, pour la relaxation et pour l'échauffement. Ensuite, les
participants ont commencé à se promener dans l’espace pendant qu’ils devaient dire un
mot dans différentes humeurs. Shanti a fait des rondes sur l’espace dans le même sens,
alors que Roman rompait avec cette géométrie en explorant d'autres possibilités.

Même si on peut dire qu’il y avait une utilisation complète de l’espace puisque tous les
points étaient utilisés (le milieu, les angles, la profondeur et l’approche à la limite avec
le spectateur: lieu où se termine l’espace scénique), il n’y avait pas d’intégration
spatiale. C’est ce que j’entends pour créer une relation entre espace, acteur, exercice et
spectateur. Mon sentiment comme spectatrice était celui d'un certain vide. Aucune
présence n’a comblé ce vide et cela pourrait être dû à un manque de présence de Juliette
et à un manque de concentration et de confiance des participants. Le corps n'était pas
présent, le centre et les appuis n'ont pas été travaillés pour générer une réelle prise de
conscience du lieu. Chacun était à un moment différent par rapport à l'autre.

Shanti, au contraire, a travaillé sur la présence dans une conscience de notre centre (tan
tien, hara). Il y a eu la participation de Mara et Roman.
La séance reposait sur un travail très spécifique du centre du corps en tant que point de
gravitation corporelle et en tant que point énergétique, tous deux nécessaires pour
générer une présence réelle de nos gestes et de nos mots.

La séance a commencé par une promenade dans tout l’espace, elle a été dirigée avec
rigueur par Shanti, qui a exigé une présence corporelle et l’utilisation de la force et de
l’énergie du ventre comme point d’origine du mouvement.

Ils ont ensuite suivi des exercices d’échauffement, de concentration et de respiration au


milieu de l’espace. Shanti a suggéré une improvisation ayant pour axe central les
jambes. Les participants ne les ont pas bougés, ils ont seulement fait des mouvements
avec le torse, les bras, la tête, etc. Et ces mouvements ont rempli l'espace, ils ont été
pleinement utilisés bien qu'il n'y ait eu aucun mouvement autour de la pièce. L'espace
était intégré aux mouvements. Les acteurs faisaient partie de l'espace et ce dernier était
aussi un acteur. En tant que spectatrice, je peux dire que je sentais que je faisais partie
de la classe, j'étais une participante de plus. Et ceci, à mon avis, c'est parce que ce qui se
passait sur la scène était réel, il y avait une énergie vitale qui était vraie pour les
participants. Tous ces gestes étaient ressentis et avaient un lien avec quelque chose de
total, quelque chose de plus général, étaient liés à un tout dont le spectateur faisait
également partie.

Shanti avait une présence plus forte dans la direction des acteurs et elle avait fait un
travail très spécifique dans l'utilisation du centre, ce qui permettait une stabilité, une
concentration et une confiance en l'acteur. Et, par conséquent, une intégration efficace
entre les acteurs, l'espace et les spectateurs.
Conclusion

L'espace n'est pas seulement une structure physique où exercer une activité, en
l'occurrence une activité théâtrale. L'espace est un tout. C'est l'intégration du corps, de
l'énergie, des objets, de la lumière, de la présence et de l'absence. C'est une relation
entre l'acteur et son corps, entre son corps et son énergie vitale, entre les mots et le
silence, entre l'acteur et le spectateur. La capacité d'expression du corps mobilise
l'espace, les lignes de l'espace s'animent à travers la forme organique et les mouvements
de l'homme. Un corps qui devrait être, à mon avis, conscient et efficace.

Il existe une relation spatiale entre l'acteur et le personnage, car le geste et l'activité du
premier agissent comme un signe ou une représentation du second. Cette distance entre
l'acteur et le personnage symbolise le voyage que nous devons effectuer pour jouer un
rôle théâtral, de notre propre expérience à celle du personnage. L'acteur doit éviter la
distance et le bruit qui peuvent exister sur le chemin entre les deux sujets. Pour ce faire,
il crée les signes pour représenter le personnage, à travers un corps conscient et un
travail émotionnel. Et cette relation spatiale s’étend à celle du personnage avec le
spectateur qui doit décoder ces symboles pour pouvoir les ressentir comme tels. Et ainsi
faire la catharsis du personnage est inclusif pour l'acteur et le spectateur.

Ensuite, nous devrions travailler sur la question suivante: quels sont les éléments que
l’acteur possède pour pouvoir approcher le personnage et plus tard le spectateur,
générant ainsi un espace intime qui permet une communication artistique fluide et
efficace?
Bibliographie

Felisa De Blas (2009). El teatro como espacio. Barcelona: Fundación Caja de


Arquitectos.

Marie Jose Mondzain (2003). Une politique du regard (conférence). Marseille.

Peter Brook (2011). L’espace vide. Paris, Editions Points

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