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Mouvement sensoriel

Pédagogie perceptive
(Laurent SOUBISE)

Proposition d’ateliers en direction de jeunes de 16 à 25 ans, en service


civique aux Ecoles buissonnières des Cités d’Or à Lyon

La réconciliation est un préalable au vivre-ensemble

Réconciliation avec soi-même (sortir des contradictions qui nous déchirent au quotidien),
entre nous (dépasser les fractures visibles et invisibles qui nous séparent) et avec le monde
(en tant que planète et en tant que concert de nations, dans un monde qui reste meurtri par
la blessure coloniale).

Vivre ensemble, c’est constamment faire effort pour mieux se connaître et ainsi mieux se
reconnaître, car sans reconnaissance réciproque, il ne peut y avoir ni confiance, ni respect, ni
sentiment de participation à une aventure commune. Le premier chantier serait donc, à mon
avis, d’inventer ou de réinventer des espaces de frottement, de connaissance et donc de
reconnaissance réciproque. On ne peut pas se reconnaître si on se connaît pas, ni se
réconcilier si on ne se reconnaît pas.

Pourquoi la pratique de l’attention ?

Notre existence est toujours corporelle, c’est pourquoi dans la pratique de l’attention nous
tournons d’abord notre regard sur notre corps. La pratique de l’attention est un outil de la
réconciliation, par laquelle nous pouvons éprouver un certain rapport à la vérité, et un
rapport de reconnaissance réciproque avec l’autre. En ce sens, la PA se veut un exercice laïc
à la citoyenneté, et participe de ce fait à la compétence humaine de se connaitre et de
s’accepter.

« Devenir citoyen demande une discipline, une attention, une conscience de tous les instants »
KARIM MAHMOUD-VINTAM
Le corps
Nous vivons dans un corps, que nous avons et que nous sommes dans le même temps.
Notre corps est le premier à nous dire qui nous sommes et où nous sommes. Par le corps,
nous nous reconnaissons, il représente notre carte d’identité la plus intime et la plus
fondamentalement incarnée. Notre corps, c’est la partie et le tout de notre être, notre prise
sur le réel, émetteur et récepteur de soi vers le monde, et réciproquement.

Parce qu’il est vivant, tout comme la personne, le corps ne se laisse pas apercevoir
totalement. Il n’est pas un objet parmi les objets du monde que l’on peut cerner. Le corps
ouvre sur quelque chose que nous ne pouvons pas circonscrire, parce que nous sommes
incarnés dans le corps.

Le corps, mon corps, est porteur de mon histoire singulière depuis ma naissance
(biographie). Mais aussi porteur d’une histoire plus ancienne qui nous concerne tous, nous
dépasse et nous contient (l’histoire du règne de la vie, de notre espèce, mais aussi de notre
culture, de notre famille). Notre corps est donc un lieu à la fois singulier et universel. C’est le
lieu où l’on rencontre notre propre vie, en même temps que la vie universelle qui, passant à
travers nous, devient notre vie singulière.

En nous reliant au corps par une écoute particulière et sensorielle, par des consignes claires
et simples (c’est tout l’objet de la Pédagogie perceptive), nous retrouvons un lien vivant, qui
procure solidité et confiance (ancrage organique), qui n’a rien à voir avec notre personnalité.
C’est la conscience corporelle de notre part commune (humaine), dont nous sommes
dépositaires et responsables, et que nous tentons de vivre de notre mieux. Notre devoir est
de lui laisser la voie libre1.

Le corps est l’interface d’un double univers, à la fois tourné vers le dehors et vers le dedans,
faisant sans cesse le lien entre les deux :

- Au-dedans, il sécrète et abrite nos variations de tonus, nos élans, nos envies, les ébauches,
les émergences, la création secrète, intime et invisible de la vie (la nôtre, pleinement acteur
de sa vie).
- Au dehors, nous apparaissons dans le visible, affirmant notre capacité à naître, à nous
mettre en action, à déployer notre destin individuel, à contribuer à l’évolution du monde
(pleinement acteur de la société).
Lorsque le monde intérieur devient aussi réel et présent pour moi que le monde extérieur, le
monde et moi sommes enfin en alliance véritable.

1
Rainer Maria Rilke (23 déc. 1903, Lettre à Mr Kappus) : « Le moins que nous puissions faire, c’est de ne pas
plus lui résister que ne résiste la terre au printemps, quand il vient »
Le corps est le lieu d’un lien indéfectible avec le vivant. Il est le terrain où l’éprouver dans
toute sa puissance, un observatoire où étudier ses modalités propres d’intelligence.
Retrouver l’intelligence du corps est donc une voie, une voie pour être pleinement acteur de
sa vie, une voie pour vivre relié au vivant, une voie pour une alliance véritable avec le
monde.

A partir de ce point de vue, nous pourrions dire qu’une pratique sensorielle de l’attention
est un outil de la réconciliation avec soi-même, de la restauration de l’unité de soi, par
laquelle nous pouvons également éprouver un rapport de reconnaissance réciproque avec
l’autre. En ce sens, la pratique de l’attention participe à la compétence humaine de se
connaitre et de s’accepter.

Le mouvement
Le corps est vivant, cela veut dire que la matière corporelle est animée de vie : le matériau
dont est fait tout être humain est animé par une mouvance, un tonus vivant organisé en
mouvements invisibles de l’extérieur, cachés à la conscience habituelle, insoupçonnables,
sous la peau, au cœur de la chair du corps, des mouvements sous les mouvements (Voir le
mouvement des fascias et la fasciathérapie). Cette mouvance cachée est l’une des sources
de nos facultés humaines les plus singulières et les plus universelles à la fois. Car chacune de
nos actions ou interactions vers l’extérieur s’initie et s’incarne dans cette profondeur
intérieure du corps. Or, nous ne savons plus entendre son langage.

Le mouvement est un sens à part entière et surtout, c’est le seul qui nous permette de nous
percevoir de l’intérieur.

Cette mouvance (mouvement sensoriel) est en quelque sorte la cellule souche de notre vie
extérieure et relationnelle. Ou encore comme la braise du feu vivant se déployant au dehors.
Et il y a urgence à raviver les braises, à nous reconnecter à cette intelligence fondamentale
de notre corps, à s’appuyer sur le corps pour relier l’universel, le singulier et le collectif.

La perception
Nous ne percevons que ce qui est perceptible dans la conception du monde qui nous est
propre. Nous ne percevons que ce dont notre faculté de percevoir, forgée par notre histoire
et notre culture, nous permet de percevoir. Et cette perception, nous l’appelons « le réel ».
Mais ce « réel » perçu n’est qu’une partie de la réalité, qui ne comprend pas tout ce que
nous n’avons pas pu ou pas su percevoir. Car nous ne percevons que ce que nous avons
appris à percevoir. Sachant cela, nous pouvons dire que la perception humaine, c’est un
point de vue singulier sur le réel, qui ne peut jamais être totalisé. Le réel nous dépasse
toujours.

La perception est essentiellement liée à la vie corporelle : toutes les sensations que l’on peut
capter du monde extérieur dans lequel nous vivons, tout autant que les états de notre
disposition intérieure, nos sentiments et nos affects, nous sont donnés par le corps et dans le
corps. C’est là notre corps vécu par nous de l’intérieur, notre propre corps subjectif, que
nous sommes seuls à percevoir et à vivre. Il n’est pas comparable au corps objectif qui, lui,
est vu de l’extérieur par tous ; ni au corps organique, que seul le chirurgien ou le radiologue
peuvent apercevoir ; le corps subjectif ou corps propre est celui que personne ne voit et que
nous sommes seul à apercevoir de l’intérieur, notre corps intime et secret.

Le pouvoir de sentir, c’est la possibilité que chacun a de sentir. Percevoir n’est pas passif,
c’est un acte de soi-même, comme créer est un acte de soi-même. Percevoir et créer ne sont
pas de nature différente, car toute création est une réponse à un appel, perçu en soi.

Une perception nouvelle peut entrainer un point de vue nouveau et être créateur de
possibilités nouvelles pour l’existence, et pour le monde.

En conclusion
Formons-nous à un rapport au corps différent. Par des compétences qui peuvent être
éduquées, développées, pour un art de la relation fondée sur le respect équilibré de soi et
de l’autre : réorienter le plus souvent possible notre attention vers le dedans, ralentir pour
retrouver le temps du vivant qui l’anime, restaurer son unité globale, apprendre à mettre en
œuvre le corps, non pas seulement pour agir, mais pour interagir avec lui, l’écouter et
entrer en dialogue avec lui. Apprenons à l’écouter comme un interlocuteur de qualité, à
découvrir le langage du vivant, comme une part de soi qui nous appartient en propre et que
nous avons le sentiment de retrouver.

Car partout où la perception des corps n’est plus soignée ni interrogée, nous courons le
risque que le respect des intimités soit bafoué, que la frontière entre consentement et refus
du contact soit transgressée, et que germent ainsi la domination et la violence dans les
rapports humains.
(NB : Certaines de ces réflexions sont issues de mon mémoire de Master de philo, d’autres m’ont été
inspirées par des méditations, et d’autres encore ont été puisées dans le livre de mon amie Eve
Berger : « Retrouver l’intelligence du corps : une urgence dans nos organisations et modes de vie »,
Dunod Editeur, InterEditions 2019)

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