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PSYCHOLOGIE

Aide aux personnes ayant vécu un traumatisme

Le debriefing psychologique
Catastrophes aériennes, actes de terrorisme, incendies, disparition
de personnes, accidents, violences diverses: de tels événements notre survie (par ex. fuite en cas de dan-
ger). Toutefois dans certaines situations,
laissent des traces chez les victimes, mais aussi chez les personnes son ampleur est telle que le sujet n’arrive
plus à le maîtriser. Cela est vérifié lorsque
impliquées, dans les actions de sauvetage notamment.
l’intensité de l’événement dépasse le
Le personnel soignant est fréquemment concerné par ces situations. cadre habituel. Par exemple quand l’in-
tervenant (pompier, policier, sauveteur,
Un debriefing psychologique peut être d’un grand secours. témoin...) ou la victime sont directement
confrontés à une situation qui a impliqué
la mort, des blessures graves, une menace
à son intégrité physique ou celle d’autrui
DOMINIQUE BALADIER, milles qui sont confrontés directement ou ou encore si l’effort personnel déployé
A N N E LY S E FAV R E * indirectement à un traumatisme. pour sauver une vie est resté vain.
Même les soignants les plus aguerris
D A N S le cadre de notre perfectionne- Pourquoi le debriefing? atteignent le seuil de l’émotionnellement
ment professionnel, nous avons suivi supportable. Un délai de plusieurs mois est
le cours de debriefing psychologique On sait qu’un vécu traumatique laisse nécessaire pour arriver à gérer les émo-
post-traumatique avec la Dresse Gisela des traces, que l’on ait été directement tions qui surviennent suite à de tels événe-
Perren-Klinger. concerné ou témoin d’un événement dou- ments. Trop souvent, l’intervalle entre
Nous souhaitons présenter cette activité loureux. deux interventions n’est pas suffisant pour
et ainsi permettre de mieux comprendre Le stress appartient au quotidien de permettre à la personne de se rétablir.
l’intérêt que l’on peut en attendre pour les chacun de nous. Il est un élément moteur Dans ce cas, le traumatisme peut se mani-
équipes de soins, les patients et leurs fa- qui agit comme un stimulant et permet fester sous diverses formes (voir encadré).

Photos: Alban Kakulya/STRATES

Séquelles possibles du traumatisme


• mauvais souvenirs répétitifs et envahissants
(odeurs, images, pensées, perceptions ...)
• nervosité, hyperactivité
• insomnies, cauchemars
• difficultés de concentration
• irritabilité, intolérance face à ses proches, collègues de travail...
• évitement des endroits qui rappellent les événements
etc.

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SOINS INFIRMIERS
Transformer le traumatisme
Si ces symptômes persistent sur une en un souvenir acceptable
longue durée, le risque de développer des
troubles comportementaux, émotionnels Un immeuble est en feu depuis M. X. souffre de ce qu’on appel-
et physiques post-traumatiques augmen- une heure. Les pompiers sont ar- le un stress psychologique post-
te. Ils sont aggravés en cas de pertes rivés sur place rapidement. De traumatique. Il est important qu’il
humaines et compliquent ou empêchent le nombreuses personnes sont ras- consulte pour éviter que ce stress,
processus de deuil. semblées autour du périmètre de s’il dure, ne se transforme en ma-
sécurité et regardent le déroule- ladie physique ou psychique, fau-
Le déroulement du debriefing ment des opérations. Tous les ha- te de n’avoir pas pu être prise en
bitants de l’immeuble répondent compte.
Le debriefing psychologique permet la à l’appel sauf Mme D. qui est âgée Le debriefing psychologique se
gestion du stress engendré par un événe- et qui habite au deuxième étage. déroule sur deux séances, espa-
ment traumatique exceptionnel. L’atmosphère est tendue, les cées de huit semaines. Grâce à
Il concerne toutes les personnes vic- ordres fusent. une écoute dirigée, M. X. va être
times primaires (blessés, agressés...) ou M. X., pompier (employé de ban- invité à raconter les faits: où il
secondaires (sauveteurs, témoins, pom- que de formation), poursuit sa était, ce qu’il a vu, entendu, fait...
piers, policiers, soignants...). Le debrie- mission. Il atteint péniblement avec force détails pour que nous
fing n’est jamais dirigé par une personne l’étage en question qui est sur- puissions avec lui refaire l’his-
ayant participé à l’événement. Il peut être chauffé. Il transpire, ses yeux lui toire de l’événement sous forme
fait individuellement ou en groupe (de font mal. La fumée est dense. d’un fil rouge.
personnes ayant vécu la même situation Soudain, il aperçoit une forme Ensuite il va nous dire ce qu’il
traumatique). étendue par terre. a pensé, ressenti, ses émotions
Comment s’organise un debriefing? Il s’approche et trouve Mme D. d’alors et de maintenant, quelle a
Il n’intervient que 72 heures après inanimée sur le sol, le visage gra- été pour lui la pire des choses. Il
l’événement, après la critique de la ma- vement brûlé. Avec l’aide d’un va nous expliquer comment il res-
nœuvre (debriefing technique). collègue, il la transporte dans sent ces émotions concrètement
Il se déroule en deux séances espacées l’ambulance. Il apprendra plus dans son corps (aiguilles dans la
d’environ huit semaines l’une de l’autre. tard que malgré les soins prodi- poitrine, bloc de glace au niveau
Son objectif est de permettre aux diffé- gués, Mme D. n’a pas pu être sau- du ventre, battements dans la
rents participants de faire une histoire vée. tête...). Petit à petit il va pouvoir
cohérente de ce qui s’est passé, de recon- Lorsque la situation est maîtri- les nommer (culpabilité, tristesse,
naître et d’exprimer progressivement les sée, M. X. participe au debriefing révolte...).
émotions ressenties et de favoriser, par la technique avec ses collègues. On Nous insistons sur le fait qu’il
mise en mots, la transition entre la réalité analyse si chacun était à sa est normal de ressentir de telles
telle qu’elle a été vécue et un souvenir qui place, on fait la critique de la émotions, violentes parfois, lors
soit acceptable pour la personne. situation. Puis les pompiers par- d’un événement si inhabituel.
Une brève information permet d’expli- tagent un verre et chacun rentre Une technique de gestion du
quer le déroulement de la séance, les ob- chez soi une heure plus tard. stress par la respiration est ensei-
jectifs du debriefing et les points à respec- Les jours passent. M. X. n’a pas gnée ainsi que divers éléments
ter par les participants (respect de la pa- retrouvé le sommeil. En plus, d’hygiène de vie (sport, alimenta-
role de l’autre, écoute mutuelle, secret...). chaque nuit il se réveille en sueur, tion, sommeil...).
sujet à des cauchemars. Il revoit Nous mettons en place un rituel
Les faits le visage brûlé de cette dame et choisi par la personne elle-même.
n’arrive pas à chasser cette ima- M. X. a voulu déposer un bouquet
La personne concernée raconte les faits ge de son esprit. de roses devant l’immeuble. Il
dans l’ordre chronologique, dans le but de Au travail, il a l’air absent, a ainsi pu rendre hommage à
prendre conscience que l’événement est disent ses amis. Il a de la peine à Mme D. et vaincre son appré-
délimité dans le temps, qu’il y avait un se concentrer et n’est pas effi- hension à passer devant ce bâti-
«avant» et qu’il y aura un «après». cace. En plus, il évite de passer ment.
L’événement est minutieusement re- devant l’immeuble incendié, ce Le rituel aide la personne à
constitué avec force détails. On ne laisse qui l’oblige à faire un détour pour prendre conscience que l’événe-
rentrer chez lui. ment appartient définitivement
* Dominique Baladier, infirmier superviseur; au passé. Il peut être «classé»
Annelyse Favre, infirmière-conseillère de santé,
membres de l’Institut suisse de psychotrauma- (Le récit et les personnages sont totale- dans un souvenir acceptable non
tologie. ment fictifs) traumatique.
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remonter aucune émotion à ce stade.


Grâce au développement du récit, la per-
sonne elle-même, le groupe et les inter-
venants ont ainsi une vision précise et glo-
bale de ce qui s’est passé. Chacun pourra
ainsi mieux comprendre les agissements
et les réactions de ses coéquipiers.
Le récit devient la toile de fond sur la-
quelle les émotions ressenties pourront
s’exprimer et se situer.

Prise de conscience
On invite chaque personne à exprimer
quelle a été la pire des choses pour elle.
Les émotions ont ici toute leur place.
Refoulées lors de l’intervention ou de
l’événement, elles doivent être exprimées
et associées aux faits. La personne pourra
intégrer le souvenir d’une manière accep-
table pour elle et non traumatique. La Pompier, policier, infirmière, ambulancier ou encore pilote d’hélicoptère: ces groupes
mise en mots (retour à la conscience) évi- professionnels sont exposés en permanence au risque de traumatisme psychique.
te la mise en maux (somatisation ou trans-
fert des émotions refoulées sur le corps).
Cependant, on veillera à ne pas provo- L’enseignement porte sur: passé et qu’il peut être «classé» dans la
quer de débordement émotionnel qui – la technique de gestion du stress par la mémoire tel un souvenir acceptable.
pourrait nuire à l’acceptation et à l’inté- respiration Au terme de la séance, il est procédé à
gration des différents souvenirs. – l’hygiène de vie (sommeil, sport, alimen- un résumé des tâches à accomplir par les
tation...) participants (gestion du stress, respira-
L’enseignement – la prise de conscience des ressources de tion, rituel). Puis le debriefer fixe la date
chacun et des moyens utilisés dans sa de la prochaine rencontre. Un numéro de
La phase suivante consiste à informer propre histoire en cas de crise. téléphone est mis à disposition des parti-
les protagonistes du caractère normal et cipants en cas de besoin.
naturel de telles émotions ressenties dans Mise en place d’un rituel
des circonstances à caractère anormal et Reprendre le contrôle de la vie
inhabituel et leur apprendre à reconnaître Par l’intermédiaire d’un rituel concret
et à gérer les différents signes engendrés choisi par chaque personne pour elle, le Grâce au debriefing, la majorité des
par une situation de stress post-trauma- ou les individus prennent conscience que traumatismes peuvent être dépassés. Il
tique. l’événement appartient définitivement au permet aussi de repérer les personnes à
risque et de les aiguiller vers un médecin,
un psychiatre ou un psychothérapeute
pour un éventuel suivi. Un debriefing
n’a de sens que s’il se déroule dans un
La courbe du debriefing cadre bien défini, très contenant, dans le-
quel l’organisation, l’information, le suivi
psychosocial et le respect mutuel préva-
1. Introduction 7. Le futur lent. Il permet à la personne de reprendre
le contrôle sur sa vie en faisant appel à ses
propres ressources. ■
Pour de plus amples renseignements:
2. Les faits 6. Le rituel Annelyse Favre, tél. O79 541 16 40, Dominique
Baladier, tél. 076 385 09 36.

3. Les pensées 5. L’information Keywords


• Evénement traumatique
• Debriefing
4. Les émotions
• Gestion du stress

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