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DES MOTS POUR COMPRENDRE

Les traumatismes psychiques STRESS OU NÉVROSE ?


F. Lebigot (2006) distingue névrose trau-
matique et TSPT : ces deux conceptions

chez l’adulte étiopathogéniques présentent des enjeux


diagnostiques et thérapeutiques très diffé-
rents. Reprenant la métaphore de l’appa-
reil psychique proposé par Freud, Lebigot
Une rubrique bimestrielle pour comprendre les concepts envisage le stress comme une déformation
utilisés en psychiatrie… de la pratique vers la théorie provisoire de l’enveloppe psychique qui
reprend sa forme lorsque la menace dispa-
et de la théorie vers la pratique. Un double mouvement. raît. Les effets immédiats et précoces qui
suivent l’impact couvrent toute la clinique
LUDMILLA CHOSTAKOFF de l’angoisse. Dans le traumatisme, il y a
Psychologue clinicienne, CH Montperrin, Aix-en-Provence. « effraction du pare-excitation et incrus-
tation d’un corps étranger à l’intérieur de
l’appareil psychique ». Dès lors la scène
traumatique pourra réapparaître au détail
Une quinzaine de jours avant sa en proie à la détresse. Freud (1926) attri- près, provoquant le syndrome de répéti-
demande de consultation, Éric, 48 ans, a été bue à l’angoisse « une fonction de signal tion, constitutif de la névrose traumatique :
victime d’une violente agression sur le trajet protégeant le Moi de l’exposition aux dan- il peut y avoir « retour de la scène trau-
de son bureau à son domicile. On lui a gers externes ». Avec le traumatisme, les matique » parfois plusieurs années après
arraché son sac, le blessant gravement au mécanismes de préparation par l’angoisse l’épisode initial.
visage. Il a déposé plainte. Éric présente permettant de réduire l’excitation sont Lors de la prise en charge précoce, il est
des troubles du sommeil avec des réveils défectueux, laissant le sujet dans un état impossible de savoir si le sujet est trau-
fréquents, des cauchemars effrayants, un d’effroi. matisé puisque ce qui apparaît immé-
état d’irritabilité et d’anxiété manifeste Pour Ferenczi (1932), il se produit un sen- diatement est le syndrome de stress. La
avec des affects dépressifs. Son généra- timent d’anéantissement de soi entraînant différence essentielle de l’impact de l’évè-
liste lui a prescrit un arrêt de travail et des mécanismes de défense comme le cli- nement se fera en fonction de la structure
conseillé un suivi psychologique. vage du Moi, l’identification à l’agresseur, du sujet. C’est donc l’évolution et la per-
la fragmentation de la psyché… dans le sistance de la symptomatologie, qui défi-
NÉVROSE TRAUMATIQUE CHEZ FREUD but de survivre à la destructivité du trau- nissent la névrose traumatique.
Issu de la chirurgie (trauma signifie bles- matisme. Ces mécanismes se manifestent
sure), le concept de traumatisme est dans la diversité clinique des symptômes UNE ÉVOLUTION FAVORABLE
central en psychanalyse et met encore en post-traumatiques. Ainsi, dans le cas d’Éric, les premiers
débat de nos jours « la place accordée à entretiens cliniques ont pour but d’évaluer
la réalité externe et la réalité interne. » TROUBLE DE STRESS sa personnalité et de repérer d’éventuels
(Laroche Joubert, M, 2020). POST-TRAUMATIQUE antécédents d’évènements traumatiques.
En 1888, Oppenheim décrit la « névrose Après la guerre du Vietnam, les Américains Cette agression est un acte isolé dans son
traumatique », tableau clinique observé repensent la question du traumatisme et histoire. Présentant une vie stable et une
suite aux accidents de chemins de fer. Puis créent le Post-traumatic stress disorder, personnalité assez structurée, un suivi psy-
la notion apparaît chez Freud. Pour lui, le trouble de stress post-traumatique (TSPT). chothérapeutique lui permet de reprendre
traumatisme est d’abord infantile et d’ordre Ce trouble anxieux survient chez une per- relativement vite son activité profession-
sexuel, en lien avec la théorie de la séduc- sonnalité « normale » suite à un évène- nelle. Les symptômes initiaux dispa-
tion et donc central dans les névroses. Il ment traumatique soudain, se situant en raissent en quelques mois et la prise en
envisage le traumatisme comme réel, puis, dehors de son expérience habituelle, pro- charge peut être interrompue : il n’a donc
ne pouvant retrouver chez ses patientes voquant une détresse intense : le sujet est pas développé de névrose traumatique.
d’éléments de réalité de leur expérience, confronté directement au réel de la mort
de nature fantasmatique. et de l’anéantissement, sa propre mort ou
Avec Au-delà du principe de plaisir (1920), celle de l’autre. Du point de vue clinique,
Freud élabore une nouvelle conception. Le l’effet immédiat est l’effroi, comme mani- BIBLIOGRAPHIE
traumatisme est décrit comme « le débor- festation intime de l’effraction trauma- – E Dozio, M Laroche Joubert et T Baubet, Le trauma-
dement, l’attaque du système de pare-ex- tique, avec suspension des représentations tisme psychique chez l’adulte, 2020, Édition in press.
citation par un afflux d’excitations trauma- et des affects : il y a un « blanc de la pen- – Ferenczi S. (1932). Confusion de langue entre les
tiques, dont les sources appartiennent à la sée et blanc de l’affect » (Lebigot, 2006). adultes et l’enfant. Paris, Payot.
réalité interne ou externe ». Il développe Le trauma, ici, résulte toujours d’une per- – Freud S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. Paris,
alors le concept de « liaison » qui doit ception ou d’une sensation bien réelle. Il PUF.
maintenir, au sein de l’appareil psychique, n’y a donc pas de traumatisme « par pro- – Freud S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse.
l’excitation à un niveau le plus bas. Cette curation », ni de transmission génération- Paris, PUF.
opération de liaison est mise en échec par nelle. La notion de stress remplace celle – Lebigot F, (2006), Le traumatisme psychique,
la situation traumatique et laisse le sujet de névrose. Bruxelles, H Ingberg.

8 SANTÉ MENTALE | 247 | AVRIL 2020

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