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Eric Martin et Maxime Ouellet

Eric Martin et Maxime Ouellet Eric Martin et Maxime Ouellet

25 $ / 19 € · ISBN 978 2 89719 153 5 · Collection Théorie · ecosociete.org


la
La tyrannie de la valeur
Débats pour le renouvellement
de la théorie critique
La crise économique de 2008 a suscité un « renouveau » du discours
critique sur le capitalisme. Mais pour les auteur-e-s de La tyrannie tyrannie
de la
de la valeur, cela n’a pas pour autant donné lieu à un approfondisse-
ment de la théorie critique, si bien que la crise actuelle du capitalisme
s’accompagne d’une crise de l’anticapitalisme, prenant la forme d’une
carence théorique.

valeur
L’essentiel de ce discours critique, comme celui des mouvements
de type Occupy, demeure superficiel en se limitant à une approche
subjectiviste dénonçant l’élite du « 1 % » et des « vilains » banquiers.
Le grand mérite du courant dit de la « critique de la valeur » (Wert­
kritik) est d’effectuer un retour au texte de Marx afin d’en dégager
une critique substantielle et de retrouver, par-delà le Marx écono-
miciste et subjectiviste, le Marx philosophe et sociologue. Le capita-
lisme est ainsi abordé comme un « fait social total », et de sa critique Débats pour le renouvellement
ressort la nécessité d’instituer d’autres formes de médiations socia-
les et d’autres institutions que celles qui consolident la domination
de la théorie critique

La tyrannie de la valeur
fétichiste du travail, de la marchandise, de la valeur sur la vie, la
société, la nature. Le sujet du capital n’est dès lors plus identifié à la
bourgeoisie ou au prolétariat eux-mêmes, mais plutôt au processus
TH
de valorisation capitaliste que bourgeois et prolétaires entretiennent
mutuellement, sans toutefois en tirer les mêmes avantages.
La tâche prioritaire de la théorie critique est donc double :
d’abord comprendre de manière critique les médiations fétichisées
07
du capitalisme, puis penser ce que pourraient être des médiations
non aliénées. C’est à ce projet que La tyrannie de la valeur entend
contribuer afin d’approfondir et de renouveler le discours de la
théorie critique.
Avec des textes d’Yves-Marie Abraham, Marie-Pierre Boucher,
Pierre Dardot, Jean-François Filion, Franck Fischbach, Anselm
Jappe, Gilles Labelle, Eric Martin, Louis Marion, Jacques Mascotto et
Maxime Ouellet.

Eric Martin est professeur au département de philosophie du Col-


lège Édouard-Montpetit. Maxime Ouellet est professeur à l’École des
médias de l’UQAM. Tous deux ont coécrit Université inc. Des mythes
sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir (Lux, 2011).
la tyrannie de la valeur
la tyrannie de la valeur
Débats pour le renouvellement de la théorie critique

Sous la direction de
Eric Martin et Maxime Ouellet
Coordination éditoriale : David Murray
Maquette de la couverture : Christian Bélanger
Typographie et mise en pages : Yolande Martel

© Les Éditions Écosociété, 2014

Dépôt légal : 3e trimestre 2014

ISBN 978-2-89719-153-5

Ce livre est disponible en format numérique

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec


et Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :


La tyrannie de la valeur : débats pour le renouvellement de la théorie critique
(Collection Théorie ; TH 07)
Comprend des références bibliographiques.
ISBN 978-2-89719-153-5
1. Plus-value (Économie marxiste). 2. Fétichisme de la marchandise. 3. Capitalisme.
I. Martin, Eric, 1982- . II. Ouellet, Maxime, 1978- . III. Collection : Collection Théorie
(Montréal, Québec) ; TH 07.
HB206.T97 2014        335.4’12       C2014-940959-1

Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de
publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entre-
mise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du Programme
de crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC), et la SODEC pour son soutien
financier.
Table des matières

introduction
La crise du capitalisme est aussi la crise de l’anticapitalisme 7
Eric Martin et Maxime Ouellet

Une histoire de la critique de la valeur à travers les écrits


de Robert Kurz 52
Anselm Jappe

Marx : la critique du capitalisme comme critique


du communisme 67
Jacques Mascotto

« Sérialité » ou « totalité » ? Ontologies du social, capitalisme


et socialisme 94
Gilles Labelle

La valeur n’est pas une substance 118


Pierre Dardot

Ce que la valeur fait au temps et à l’histoire 145


Franck Fischbach

Activités féminines, travail et valeur 159


Marie-Pierre Boucher

Révolution du moteur et machination de la valeur


(Essai sur la machine et le capital) 198
Louis Marion

Comment arrêter l’automate ? 222


Yves-Marie Abraham
Prolégomènes à une analyse comparative de la sociologie
dialectique de Freitag et de la Wertkritik 235
Jean-François Filion

Glossaire 267

Bibliographie sélective sur la critique de la valeur 271

Les auteurs 275


introduction
La crise du capitalisme est aussi la crise
de l’anticapitalisme
Eric Martin et Maxime Ouellet

Je me ris des gens soi-disant « pratiques » et de leur sagesse. Si l’on voulait


se comporter comme une bête, on pourrait évidemment tourner le dos
aux tourments de l’humanité et ne s’occuper que de sa propre peau. Mais
je me serais vraiment considéré comme non pratique si j’avais crevé sans
avoir achevé mon livre.
– Karl Marx, Lettre à Meyer, 30 avril 18671

Je pense que le danger aujourd’hui se situe précisément dans un genre


d’activisme pragmatique aveugle. Vous savez lorsque les gens vous
disent : « Mon Dieu les enfants en Afrique meurent de faim et vous avez
du temps pour vos stupides débats philosophiques. Il faut faire quelque
chose. » J’entends toujours dans cette injonction : « Agissez et ne pensez
pas trop. » Aujourd’hui nous avons besoin de penser.
– Slavoj Zizek, We Need Thinking2.

Le capitalisme a été, dès son avènement, secoué par des crises périodiques.
Depuis 2008, il connaît ce que nous pourrions appeler une « crise struc-
turelle », dans la mesure où les mécanismes d’endettement généralisé mis
en place pour contenir les contradictions du système ont défailli. Ces
bouleversements ont ramené la figure de Karl Marx à l’avant-scène et fait
exploser les ventes du Capital3. Mais ce regain de popularité et ce succès
en librairie ne se traduisent pas nécessairement par une évolution du
discours critique le plus répandu à gauche.

1. Karl Marx, « Lettre à Meyer, 30 avril 1867 », dans Correspondance VIII, Paris,
Éditions sociales, 1979, p. 369.
2. Traduction libre de Slavoj Zizek, « We Need Thinking », extrait de « Big Think ». En
ligne : <www.youtube.com/watch?v=MtPghWHAQfs>. Consulté le 10 avril 2014.
3. Zineb Dryef, « Le grand retour de Karl Marx et de son Capital », Rue89, 16 mai 2009,
<www.rue89.com/2009/05/16/le-grand-retour-de-karl-marx-et-de-son-capital>.
8 la tyrannie de la valeur

En effet, l’essentiel du discours4 des mouvements Occupy ou autres se


limite à critiquer les vilains « spéculateurs », la « haute » finance, ou encore
l’élite du « 1 % ». Cette critique subjectiviste suppose que les inégalités
sociales et les ratés du système sont le résultat d’un complot quasi occulte
ourdi par un groupe de personnes mal intentionnées qui ponctionnent la
richesse au lieu de la redistribuer. La solution coule de source : contenir
ces « dominants », ou alors s’en débarrasser. Ici, la critique reproduit l’une
des dérives de ce qu’il convient d’appeler le « marxisme traditionnel » ou
orthodoxe, c’est-à-dire la lecture classique de Marx popularisée par le
marxisme-léninisme des années 1960-1970. Ignorant la critique dialec-
tique des catégories qui médiatisent la pratique sociale dans la totalité
capitaliste, initiée par Marx, cette lecture – inspirée le plus souvent de ses
commentateurs plutôt que de Marx lui-même – réduit le problème du
capitalisme à un « rapport de force » entre pôles subjectifs (« bonne » classe
prolétaire contre « méchante » classe dominante5). Dans sa version actua-
lisée, le même schéma devient « bon » 99 % / « mauvais » 1 %, « bons » tra-
vailleurs, « mauvais » spéculateurs, etc.
Pire encore, la nouvelle critique tronquée du capitalisme va moins loin
que ne le faisait le marxisme traditionnel. En effet, comme le note un des
principaux contributeurs du courant de la critique de la valeur, Anselm
Jappe, sa critique est limitée à la « sphère de la circulation », alors que les
anciens communistes ne se contentaient pas de réclamer une meilleure
redistribution de la richesse. Leur critique atteignait jusqu’à la sphère de
la production, au sens où ils désiraient voir les travailleurs s’approprier les
moyens de production, ce dont il n’est plus question aujourd’hui dans les
critiques superficielles comme celles qu’on trouve dans les mouvements
du type Occupy.
La critique de la « propriété privée des moyens de production »
demeurait tout de même elle aussi mâtinée de subjectivisme, puisqu’elle
considérait que c’était l’appropriation de l’appareil de production par
la bourgeoisie qui constituait la contradiction principale de la société
capitaliste (contradiction capital-travail). La source du problème était
encore posée comme relevant de l’action d’un groupe d’individus mal
intentionnés, ou encore d’un rapport de propriété inégal. L’appareil et le
rapport de production eux-mêmes n’étaient aucunement problématisés,

4. Anselm Jappe, « L’anticapitalisme est-il toujours de gauche ? », La vie est à nous !/


Le Sarkophage, no 35, 16 mars-18 mai 2013, <http://palim-psao.over-blog.fr/article-l-
anticapitalisme-est-il-toujours-de-gauche-par-anselm-jappe-119083043.html>.
5. Tant Moishe Postone que Robert Kurz et Anselm Jappe ont noté les racines antisé-
mites d’une telle critique subjectiviste du capitalisme, lequel se trouve personnifié dans
la figure de quelque bouc émissaire à débusquer.
introduction 9

pas plus que les catégories médiatrices de la pratique sociale propres à la


forme sociale capitaliste. La pensée écologique a depuis montré combien
le mode de production industriel était, dans sa forme même, porteur
d’aliénation écocide. Mais le cœur, le noyau du capitalisme, l’objet princi-
pal de la critique de Marx, n’est toujours pas abordé dans les résurrections
populistes de sa pensée auxquelles se livre l’anticapitalisme soft, lesquelles
sont incapables d’atteindre le ventre de la bête capitaliste.
On peut ainsi dire que la crise du capitalisme entraîne au même
moment une crise de l’anticapitalisme, dans la mesure où les prétendues
analyses, limitées à des reprises édulcorées des simplifications subjecti-
vistes propres au marxisme traditionnel, ne sont pas à la hauteur de la
tâche critique urgente et vitale qui s’impose aux peuples auxquels le
capital fait la guerre. Comme on le verra plus loin dans le texte de Gilles
Labelle, ce type de marxisme a fait sienne une ontologie nominaliste du
social qui réduit la société aux individus atomisés ; cela l’empêche de
penser la société comme totalité, de même que les formes de médiations
qui structurent le rapport social.
Dans les dernières décennies, un courant dit de la  « critique de la
valeur » (Wertkritik) s’est organisé notamment autour des revues Krisis et
Exit ! On y associe principalement les noms de Robert Kurz ou Anselm
Jappe, de même que, à sa manière, Moishe Postone6. Son mérite le plus
significatif fut de travailler à diffuser une lecture de l’œuvre de Marx
beaucoup plus probante qui, par delà la vulgate marxiste orthodoxe et les
commentaires remâchés, choisit de faire retour à Marx, afin de penser
avec lui, et même au-delà des limites de son analyse. La pertinence de ce
courant novateur provient du retour qu’il a opéré au texte de Marx afin
d’en dégager une critique substantielle, laquelle avait été gommée par la
sédimentation de décennies de simplifications outrancières, de contre-
sens, de raccourcis. La pensée de Marx, victime du discrédit, de la propa-
gande, de l’oubli, a été laissée « à la critique rongeuse des souris ». De nos
jours, par delà le Marx économiciste et subjectiviste, on peut enfin
retrouver le Marx philosophe7 et sociologue, un penseur plus dialectique
et plus hégélianisant, celui qui analyse le capitalisme comme un « fait
social total », comme une forme de médiation ou un ensemble de catégo-
ries organisant la pratique sociale. La critique, alors, ne porte plus tant sur
la dénonciation des « vilains » banquiers que sur la nécessité d’instituer

6. Moishe Postone ne fait pas partie du courant allemand de la Wertkritik, même si


sa pensée présente des points de rencontre avec celle de Kurz-Jappe et al., et même s’il y
a déjà eu des tentatives de dialogue entre les deux écoles.
7. Voir Olivier Clain (dir.), Marx philosophe, Montréal, Nota bene, 2009.
10 la tyrannie de la valeur

d’autres formes de médiations sociales et d’autres institutions8 que celles


qui consolident la domination fétichiste du travail, de la marchandise, de
la valeur sur la vie, la société et la nature. Hélas, pour l’heure, le courant
de la critique de la valeur est encore trop peu connu et trop peu discuté
au Québec et dans le monde francophone9. Quelques ouvrages d’Anselm
Jappe, de Robert Kurz ou de Moishe Postone sont récemment parus en
français10. Robert Kurz est malheureusement décédé en 2012, peu de
temps après la parution de son recueil Vies et mort du capitalisme. Il est à
espérer que le présent ouvrage puisse stimuler l’intérêt pour son œuvre et
pour celle de ses collaborateurs, de même que pour celle de Moishe
Postone.
La critique de la valeur libère Marx du rôle réducteur qu’on lui a fait
jouer en le présentant comme un « économiste » (!), comme le promoteur
d’un « modèle économique » collectiviste alternatif au capitalisme. Cette
interprétation superficielle, qui est aussi un contresens complet, n’est pas
le fruit du hasard. D’abord, les œuvres philosophiques les plus impor-
tantes de Marx sont demeurées perdues jusqu’en 1932. Il faut ajouter à
cela les déformations que l’on fera subir à sa pensée, comme celle du
marxisme soviétique et du marxisme-léninisme, qui deviendront vite des
lectures hégémoniques. On peut aussi relever l’économisme et le positi-
visme du structuralo-marxisme althussérien, très influent en France et au

8. Cette proposition demeure par contre pour l’heure à l’état de piste à développer.
Pour une théorie sociologique des médiations symboliques et politiques, les lecteurs sont
invités à consulter l’œuvre du sociologue québécois Michel Freitag.
9. Dans les rares ouvrages qui cherchent à étudier et problématiser la critique radicale
de la valeur, on compte : Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn, L’évanescence de la valeur.
Une présentation critique du Groupe Krisis, Paris, L’Harmattan, 2004. Voir également,
dans le monde anglophone, le numéro consacré à Postone dans Historical Materialism,
vol. 12, no 3, 2004.
10. Pour les ouvrages d’Anselm Jappe : Les aventures de la marchandise. Pour une
nouvelle critique de la valeur, Paris, Denoël, 2003 ; Les habits neufs de l’Empire. Remarques
sur Negri, Hardt et Rufin (avec Robert Kurz), Paris, Léo Scheer, 2003 ; et Crédit à mort,
Fécamp, Lignes, 2011. Pour Robert Kurz, voir : Lire Marx. Les principaux textes de Karl
Marx pour le xxie siècle, Paris, La balustrade, 2002 ; Manifeste contre le travail (avec Ernest
Lohoff et Norbert Trenkle), Paris, Léo Scheer, 2002 ; Avis aux naufragés. Chroniques du
capitalisme mondialisé en crise, Paris, Léo Scheer, 2005 ; Critique de la démocratie balis-
tique. La gauche à l’épreuve des guerres d’ordre mondial, Paris, Mille et une nuits, 2006 ;
Vies et mort du capitalisme, Fécamp, Lignes, 2011. Pour Moishe Postone, voir : Marx est-il
devenu muet ? Face à la mondialisation, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003 ;
Temps, travail et domination sociale, Paris, Mille et une nuits, 2009 ; Critique du fétiche
capital. Le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, Paris, PUF, 2013. Bien que l’ouvrage
ne se rattache pas directement au courant de la critique de la valeur, il faut aussi souligner
ici la pertinence de l’ouvrage Marx, prénom : Karl, de Pierre Dardot et Christian Laval
(Paris, Gallimard, 2012).
introduction 11

Québec11 ; Althusser recommandait d’ailleurs de ne pas lire le premier


chapitre du Capital, où est exposée la critique du fétichisme de la mar-
chandise, sous prétexte que ce passage était trop hégélien. Nous pourrions
donner encore bien d’autres exemples. Qu’il suffise de retenir que le
marxisme a souvent plus à voir avec l’interprétation des successeurs de
Marx, et qu’il a donc, en s’attardant essentiellement aux questions écono-
miques, été conduit à gommer la richesse de l’analyse philosophique et
sociologique de Marx. C’est ce qui explique l’emphase stratégique autour
de la lutte des classes et de l’appropriation collective des moyens de pro-
duction, le tout à cause de l’évacuation de la théorie et de la critique de la
médiation fétichisée que l’on n’a généralement pas su prendre en compte
dans la première réception de Marx.
En URSS, sous l’égide du marxisme, l’économie fut effectivement
collectivisée, mais le capitalisme n’a pas pour autant disparu. Les analyses
ultérieures ont montré qu’on y trouvait dans les faits un capitalisme
d’État, administré par le gouvernement plutôt que par les corporations
privées, sans que le productivisme ou les catégories fondamentales du
rapport capitaliste (le travail, la marchandise, l’argent, la valeur) y aient
été modifiées, critiquées ou supprimées. Dans le reste du monde, on
attendit partout un soulèvement du prolétariat qui ne vint pas, si bien que
l’École de Francfort, Gramsci et autres s’attachèrent à creuser la question
de l’intégration du prolétariat à l’idéologie et à la culture dominantes,
notamment à travers la consommation et l’influence de l’industrie cultu-
relle, pour tenter d’expliquer la situation. Chez Herbert Marcuse, cette
démarche a par exemple pris la forme d’une quête du nouveau sujet
révolutionnaire : les jeunes, les hippies, les exclus défilent dans la case
laissée vacante par les adieux forcés au prolétariat. Hélas, l’étude des
mécanismes de réification conduisit la première génération de l’École de
Francfort à s’abîmer dans un pessimisme sans issue, alors que le monde
occidental s’enfermait au même moment dans un capitalisme social-
démocrate qui neutralisait les aspirations révolutionnaires et semblait,
comme le pensait Friedrich Pollock, pouvoir consolider indéfiniment
l’hégémonie capitaliste.
La deuxième génération de l’École de Francfort, celle d’Habermas, a
été séduite par les sirènes de la pensée américaine et du tournant linguis-
tique, jusqu’à renoncer à la pensée révolutionnaire. Abandonnant Hegel
et Marx, elle se mit plutôt à rêver d’une utopie du dialogue communica­
tionnel idéal, une idée somme toute très libérale. Ce glissement vers la

11. Voir Nicole Laurin-Frenette, « Genèse de la sociologie marxiste au Québec »,


<http://classiques.uqac.ca/contemporains/laurin_frenette_nicole/genese_socio_marxiste
_qc/genese_socio_marxiste_qc.html>.
12 la tyrannie de la valeur

communication s’est transmué, chez Axel Honneth, en théorie de la


reconnaissance mâtinée des influences de la « théorie de la justice » de
John Rawls, si bien qu’aujourd’hui il est difficile de voir ce qu’il reste de
véritablement « critique » dans la « théorie critique » de Francfort. La chute
de l’Union soviétique et du marxisme officiel a laissé derrière elle un
immense vacuum, de sorte que les mouvements de gauche se retrouvent
sans théorie, sans projet ou stratégie révolutionnaire. Ne voyant pas
comment on peut encore espérer renverser le Moloch capitaliste, la gauche
se limite à critiquer les « excès » du système et à se battre contre « l’exclu-
sion », luttant pour les droits individuels et la redistribution de la richesse,
et fustigeant la caste des pachas de la « haute finance ». Il est moins ques-
tion maintenant de renverser les règles du jeu que de lutter pour que tous
puissent entrer dans la danse macabre du capital. C’est pourquoi la plu-
part des luttes sont aujourd’hui des critiques de « l’exclusion » ou des luttes
de reconnaissance visant l’obtention de nouveaux droits, sans que jamais
la question ne soit posée d’interroger ce à quoi ou en quoi on demande à
être inclus, ce à quoi on demande la reconnaissance. L’existence du sys-
tème lui-même est invisibilisée par la gauche, qui articule plutôt sa cri-
tique à partir d’une nostalgie du fordisme, de l’État-providence et du plein
emploi : si seulement nous pouvions revenir au moment où il y avait de la
place pour tous dans la machine à exploiter… Le nombre des concessions
adaptatives faites au « réel » a tout naturellement augmenté à mesure que
s’agrandissait le désert théorique, ce qui empêche maintenant de jeter un
éclairage différent sur ce qui est partout présenté comme l’inéluctable : la
« création d’emplois », le développement, la croissance, etc.
C’est le mérite de théoriciens comme Maximilien Rubel12, Michel
Henry13 et d’autres de s’être entêtés, dans ce contexte d’assèchement
intellectuel, à faire revivre la pensée de Marx. Contre l’économisme, ils
ont pris le contrepied, en tant que philosophes, pour dire qu’on avait mal
lu Marx et qu’il fallait retourner aux textes de l’auteur du Capital. Leur
travail a fait revivre la marxologie au milieu des années 1980, donc au
moment même où prenait son essor le néolibéralisme triomphant. Le
groupe Krisis, dont faisaient notamment partie Robert Kurz et Anselm
Jappe, a commencé vers la fin des années 1980 à travailler à une relecture
de Marx, qui allait remettre de l’avant la critique du fétichisme de la
marchandise articulée au début du Capital. En 1993, Moishe Postone

12. Voir, entre autres, Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Paris, Payot,
2000, notamment l’extrait « Marx, théoricien de l’anarchisme », disponible sur <www.
marxists.org/francais/rubel/works/1973/rubel_19731100.htm>. Il est également respon-
sable de l’édition des œuvres de Marx dans La Pléiade.
13. Voir Michel Henry, Marx I. Une philosophie de la réalité et Marx II. Une philoso-
phie de l’économie, Paris, Gallimard, 1976.
introduction 13

offrira dans la même veine une contribution importante avec l’ouvrage


Time, Labor and Social Domination. Il faudra attendre l’année 2009 pour
que cet ouvrage fondamental de Postone soit traduit en français sous le
titre Temps, travail et domination sociale.
Encore aujourd’hui, nombre de têtes d’affiche de la « gauche » rangent
ces écrits dans le camp de l’idéalisme. Ce sont souvent les mêmes qui
disent que ces textes sont « trop difficiles à lire », ce qui conduit à se
demander s’ils ont déjà pris le temps de lire Marx sérieusement. À les
entendre, la gauche devrait se limiter à la défense du pluralisme libéral,
de la « démocratie » ou des droits de l’homme. Céder à de telles impréca-
tions signifierait se refuser à penser la totalité que constitue le capitalisme,
les formes de médiation qui le sous-tendent et son possible dépassement
par l’institution de médiations dans le cadre d’une société postcapitaliste.
Nous faisons le pari opposé. C’est pourquoi, en 2013, nous avons invité
Anselm Jappe à prononcer des conférences à Montréal et à Ottawa, ce qui
a entraîné par la suite la publication du présent ouvrage de discussion de
la critique de la valeur. Son objectif est de mieux faire connaître le courant
de la critique de la valeur, mais aussi de mettre en débat certains aspects
de celui-ci. Le tout ne peut pas prétendre à l’exhaustivité tant la question
serait longue à épuiser, mais nous espérons que ce livre aura au moins le
mérite de contribuer à ouvrir une brèche permettant à la gauche, au
Québec et dans le monde francophone, de sauter en dehors du cercle où
l’emprisonne pour l’heure sa lecture marxiste néo-orthodoxe ou post-
marxiste.

Qu’est-ce que la valeur ?


Le concept de valeur demeure une énigme non résolue qui a fait l’objet de
nombreux débats dans le domaine de la science économique. Chez les
marxistes orthodoxes comme chez les économistes classiques, la valeur
reposerait sur le travail compris comme une activité naturelle et transhis-
torique. Un des premiers théoriciens marxistes à remarquer l’inconsé-
quence de la conception naturaliste de la théorie de la valeur-travail fut
Isaac Roubine, dans son livre Essais sur la théorie de la valeur de Marx14
publié dans les années 1920. À partir de la notion fondamentale de féti-
chisme de la marchandise, Roubine remettait en question l’orthodoxie du
marxisme stalinisé qui fétichisait le travail comme une activité naturelle
et transhistorique. Sa posture non orthodoxe aura pour conséquences non
seulement la disparition de son œuvre, mais également celle, tragique, de
sa personne dans le cadre des purges staliniennes en URSS. La traduction

14. Isaac I. Roubine, Essais sur la théorie de la valeur de Marx, Paris, Syllepse, 2009.
14 la tyrannie de la valeur

de ses écrits au cours des années 1970 ouvrira la porte à certains débats
académiques sur la question de la valeur. Ceux-ci demeurent toutefois
périphériques en raison de l’hégémonie du marxisme althussérien à cette
époque, qui voyait dans la théorie marxienne du fétichisme de la mar-
chandise une pure coquetterie hégélienne qu’il était nécessaire de surpas-
ser au profit d’une réelle « science marxiste ». Comme le relève Tran Hai
Hac dans sa récente relecture du Capital15, c’est à l’économiste québécois
Gilles Dostaler que l’on doit l’une des dernières contributions au débat sur
la théorie de la valeur dans le monde francophone. Dans le cadre de deux
ouvrages publiés en 1978, Marx, la valeur et l’économie politique 16 et
Valeur et prix, histoire d’un débat17, il analyse la confusion entourant la
catégorie de la valeur au sein de la théorie économique. La méprise tien-
drait au fait que la plupart des théoriciens marxistes n’auraient pas perçu
les distinctions fondamentales introduites par Marx entre les notions de
valeur et de valeur d’échange. Ce qui intéresse principalement les écono-
mistes classiques ou néoclassiques est de savoir ce qui détermine les
rapports entre les objets échangés, c’est-à-dire leur valeur d’échange. Pour
ces derniers, c’est le travail qui est l’étalon de mesure de la valeur
d’échange. Le travail serait donc une activité qui aurait été de tout temps
au fondement de la valeur des marchandises. Or, c’est contre cette analyse
substantialiste et transhistorique de la valeur que Marx développe sa
critique du fétichisme de la marchandise. Celle-ci cherche à dévoiler la
forme de médiation sociale qui se cache derrière ce qui apparaît comme
un rapport entre des choses.
La question centrale qui est posée par Marx au début du Capital est de
savoir pourquoi les produits du travail prennent la forme de la valeur.
Reprenant la réflexion entamée par Aristote, qui se demandait comment
deux choses qui sont en soi incommensurables pouvaient malgré tout
s’échanger, Marx souligne que, dans la société capitaliste, c’est en raison
du procès d’abstraction du travail que les marchandises peuvent posséder
une valeur18. Comme le souligne Dostaler : « Il ne faut pas chercher, au

15. Tran Hai Hac, Relire « Le Capital », Lausanne, Page deux, 2003.
16. Gilles Dostaler, Marx, la valeur et l’économie politique, Paris, Anthropos, 1978.
17. Gilles Dostaler, Valeur et prix, histoire d’un débat, Paris, Maspero, 1978.
18. Cornelius Castoriadis traite de la question de la différence entre la conception
marxienne et aristotélicienne de la valeur dans un texte intitulé « Valeur, égalité, justice,
politique : de Marx à Aristote et d’Aristote à nous », dans Les carrefours du labyrinthe,
Paris, Seuil, 1978. Il y récuse la théorie de la valeur de Marx sous prétexte que ce dernier
poserait cette catégorie, comme celle du travail qui en constitue la substance, de manière
transhistorique et ontologique. Pourtant, la démarche marxienne consiste en une critique
du travail et de la valeur dans une perspective historique. Si la critique de Castoriadis peut
s’appliquer à une certaine analyse marxiste vulgaire, elle ne correspond pas à la pensée
de Marx, pour qui les catégories sont a priori sociales, culturelles, historiques et non
introduction 15

début du Capital, de théorie des rapports d’échange. Le travail n’est pas


pour Marx ce qu’il est pour Ricardo : un étalon de mesure. Il fonde la
valeur, il constitue, en tant que travail abstrait, travail social, le champ
d’homogénéisation des produits du travail humain, constitués dès lors en
marchandises19. » C’est uniquement lorsqu’on fait abstraction de l’activité
concrète d’un individu particulier qu’il est possible de la quantifier et
d’échanger les produits de son travail. C’est pourquoi Marx nomme
« travail abstrait » la forme spécifiquement capitaliste que prend le travail
dans le monde moderne. Contre Ricardo, Marx ne propose donc pas une
théorie positive de la valeur-travail, il critique plutôt le fait que le travail
ait une fonction de médiation sociale dans les sociétés capitalistes. C’est
uniquement dans ce type de société que les fruits du travail de chacun
servent à s’approprier les fruits du travail des autres, donc que le salariat
est au cœur ou au centre du lien social. Marx critique donc cette forme
substantialiste de la valeur comprise comme temps de travail. Selon lui,
la valeur ne peut se limiter à une théorie de la valeur-travail comme dans
la perspective ricardienne. Il s’agit plutôt d’une forme abstraite de richesse,
qui ne peut être comptabilisée que si l’on fait abstraction de l’élément
subjectif qui en est constitutif, c’est-à-dire la vie humaine elle-même.
Plutôt qu’une théorie de la valeur-travail, Marx propose une critique de
la forme de la valeur. Pour lui, la forme de richesse spécifique au capita-
lisme se constitue comme une abstraction réelle20 qui agit comme une
norme objective de régulation de la pratique sociale.
En concentrant son analyse sur le travail concret, l’économie classique
est uniquement en mesure de produire une théorie de la valeur d’échange,
donc ultimement une théorie des prix (voir le schéma 1). Or, selon Marx,
le travail concret ne peut, lui, produire que des choses utiles, des valeurs
d’usage. Pour sa part, le travail abstrait n’est pas le fait d’un travail indi-
viduel et isolé ; il est l’expression du travail en tant que puissance sociale
dont la valeur se réalise dans l’échange, c’est-à-dire dans le marché.
L’économie classique est donc victime du fétichisme de la marchandise
puisqu’elle ne voit que les formes phénoménales que prennent les rapports
sociaux, à savoir : le travail concret, la valeur d’échange et les prix. Or,
prix et valeur, bien qu’ils semblent référer à la même chose, expriment des
réalités différentes que seule une approche dialectique qui ne confond pas
l’essence avec les apparences peut démystifier. La valeur d’échange est le

économiques. En ce sens, l’approche de Castoriadis se rapproche de celle de la critique de


la valeur, comme le souligne Pierre Dardot dans le texte qu’il a écrit pour ce livre (cf.
infra, « La valeur n’est pas une substance », p. 118-144).
19. Gilles Dostaler, Valeur et prix, op. cit., p. 5.
20. Alfred Sohn-Rethel, La pensée-marchandise, Paris, Éditions du Croquant, 2010.
Pour une définition du terme « abstraction réelle », voir le glossaire.
16 la tyrannie de la valeur

mode d’expression de la valeur, laquelle correspond à la forme phénomé-


nale de la puissance sociale telle que constituée par le travail abstrait. Le
prix, quant à lui, ne fait qu’exprimer la valeur sous la forme d’une quantité
d’argent. Les analyses qui se limitent aux formes phénoménales, par
exemple les prix, ne sont donc pas en mesure de saisir l’essence sociale-
historique des formes sous-jacentes et se trouvent par le fait même à
naturaliser les catégories d’analyse – c’est-à-dire le travail, la valeur, la
marchandise – comme si celles-ci avaient existé de tout temps. Il ne suffit
donc pas de critiquer la redistribution injuste de la richesse, mais il faut
aussi critiquer la médiation sociale, le travail abstrait, qui donne son
contenu à cette forme abstraite de richesse : la valeur. Sans quoi on ne fait
que changer le mode de distribution capitaliste par la planification, mais
sans changer le mode de production qui fait que le travail abstrait sub-
sume le travail concret.
La critique de l’économie politique élaborée par Marx consiste à
déconstruire les catégories centrales de l’économie politique – le travail,
la marchandise, la valeur, le capital – qui, selon lui, ne sont pas des caté-
gories naturelles ou économiques, mais bien des catégories sociales et
culturelles qui n’appartiennent qu’à une époque socio-historique déter-
minée (voir le schéma 3). Ces catégories ne sont pas pour autant « fausses » :
elles sont fétichisées. Selon Marx, le principal problème théorique des
économistes classiques (Smith, Ricardo) réside dans le fait qu’ils posent
de manière transhistorique les catégories économiques principales
(comme si ces concepts étaient applicables à l’ensemble des sociétés à
travers l’histoire). Dans Le Capital, Marx dira notamment des catégories
de l’économie politique que « ce sont des formes de pensée qui ont une
validité sociale, et donc une objectivité, pour les rapports de production
de ce mode de production social historiquement déterminé qu’est la
production marchande21 ». Le fétichisme dans lequel sont empêtrés les
économistes classiques ne relève cependant pas de la fausse conscience,
comme le voudrait une critique superficielle de l’idéologie bourgeoise. Le
fétiche est une « abstraction réelle », dans la mesure où la marchandise, le
travail et l’argent structurent les pratiques et les formes de conscience
humaine « par-dessus la tête des acteurs », comme le dit Jean-Marie
Vincent22. Le fétichisme ne consiste pas en une illusion subjective ; il
exprime plutôt la manière dont la réalité ne peut apparaître autrement
dans le contexte d’une société où l’activité est médiatisée par la « forme
valeur ».

21. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris, PUF, 1993 [1867], p. 87.
22. Jean-Marie Vincent, Critique du travail. Le faire et l’agir, Paris, PUF, 1987, p. 100.
introduction 17

Hélas, en amalgamant la catégorie de la valeur d’échange à celle de


valeur, le marxisme traditionnel a accepté de manière acritique les postu-
lats épistémologiques empiristes, positivistes et transhistoriques de l’éco-
nomie classique. Alors que l’ambition de Marx était de produire une
critique de l’économie politique, le marxisme traditionnel ou orthodoxe
s’est contenté de formuler une économie politique alternative. Cette der-
nière a consisté en une reformulation acritique de la théorie de la valeur-
travail, postulée au départ par l’économiste anglais David Ricardo, afin
de démontrer comment le capitalisme se fonde sur l’exploitation des tra-
vailleurs. Si cette théorie s’est révélée utile historiquement en ce qu’elle a
fourni une justification normative pour assurer une redistribution plus
juste de la richesse produite socialement, elle s’avère incapable, comme
nous le verrons plus loin, de critiquer de manière adéquate la forme de
domination abstraite qui est au fondement de la société capitaliste.
Le marxisme ricardien a donc substantialisé la valeur-travail parce
qu’il n’a pas su reconnaître la rupture épistémologique que Marx tentait
d’opérer avec l’économie classique et ses catégories réifiées. La faiblesse
de cette analyse substantialiste s’est révélée dans le champ disciplinaire
de l’économie, lorsqu’elle s’est avérée incapable de montrer empirique-
ment comment s’opérait le passage de la valeur en prix. Le paradigme de
la valeur-travail fut alors remplacé par celui de la valeur-utilité des éco-
nomistes néoclassiques, considéré comme étant mieux à même de refléter
une théorie adéquate de la formation des prix dans le marché (voir le
schéma 2). L’hégémonie du paradigme marginaliste de la valeur dans le
domaine économique est venue clore le débat et consacrer l’impossibilité
de formuler une approche normative de l’économie. Gilles Dostaler et
d’autres avant lui, comme Isaac Roubine, ont bien montré qu’il existe au
sein de la théorie économique une confusion d’ordre épistémologique
entourant la notion de la valeur. L’originalité de la relecture de Marx
proposée par la théorie critique de la valeur est qu’elle permet de dépasser
ce débat en apparence strictement « économique » ou interne à la théorie
économique, en montrant qu’il est nécessaire d’élaborer une critique
beaucoup plus englobante de la façon dont la pratique sociale est régulée
et médiatisée dans les sociétés capitalistes.
18 la tyrannie de la valeur

Schéma 1 : La valeur chez Ricardo (économie politique classique)

Travail concret – bien – valeur d’échange

Schéma 2 : La valeur chez Walras (économie néoclassique)

Bien – utilité – prix du marché

Schéma 3 : La valeur dans le chapitre 1 du Capital de Marx 23

Usage Concret relative

Temps de Argent
Marchandise Valeur travail soc. Échange (équivalent
nécessaire universel)

Échange Abstrait équivalente

Ces trois schémas illustrent les conceptions de la valeur chez les éco-
nomistes classiques (schéma 1), chez les néoclassiques (schéma 2) et chez
Marx (schéma 3). Chez Marx, au contraire des économistes classiques et
néoclassiques, l’ensemble des catégories apparaissent sous une forme
duale. Pour les économistes classiques, le travail, en tant qu’activité de
transformation de la nature, apparaît comme étant à la source de la
richesse de toutes les sociétés dans l’histoire. Selon Ricardo, c’est le travail
qui vient directement constituer la valeur d’une marchandise. Pour Marx,
au contraire, c’est le travail abstrait, en tant qu’il est représenté par la
norme moyenne de temps qu’il prend pour produire une marchandise (le
temps de travail moyen), qui fonde la valeur. La société dans son ensemble
est donc soumise à cette norme constituée socialement, mais qui apparaît
comme naturelle. Il cherche donc à montrer que les catégories écono-
miques ne sont pas naturelles, mais bien sociales et historiques. Il s’agit
pour Marx d’exprimer dialectiquement la différence entre la substance
d’un phénomène et sa forme d’apparition. La forme d’apparition possède
toutes les caractéristiques d’un fétiche, puisqu’elle masque le fondement

23. Ce tableau est tiré de la présentation du chapitre 1 du livre 1 du Capital proposée


par David Harvey, disponible sur <http://davidharvey.org/2008/06/marxs-capital-class-02/>.
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Eric Martin et Maxime Ouellet
Eric Martin et Maxime Ouellet Eric Martin et Maxime Ouellet

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la
La tyrannie de la valeur
Débats pour le renouvellement
de la théorie critique
La crise économique de 2008 a suscité un « renouveau » du discours
critique sur le capitalisme. Mais pour les auteur-e-s de La tyrannie tyrannie
de la
de la valeur, cela n’a pas pour autant donné lieu à un approfondisse-
ment de la théorie critique, si bien que la crise actuelle du capitalisme
s’accompagne d’une crise de l’anticapitalisme, prenant la forme d’une
carence théorique.

valeur
L’essentiel de ce discours critique, comme celui des mouvements
de type Occupy, demeure superficiel en se limitant à une approche
subjectiviste dénonçant l’élite du « 1 % » et des « vilains » banquiers.
Le grand mérite du courant dit de la « critique de la valeur » (Wert­
kritik) est d’effectuer un retour au texte de Marx afin d’en dégager
une critique substantielle et de retrouver, par-delà le Marx écono-
miciste et subjectiviste, le Marx philosophe et sociologue. Le capita-
lisme est ainsi abordé comme un « fait social total », et de sa critique Débats pour le renouvellement
ressort la nécessité d’instituer d’autres formes de médiations socia-
les et d’autres institutions que celles qui consolident la domination
de la théorie critique

La tyrannie de la valeur
fétichiste du travail, de la marchandise, de la valeur sur la vie, la
société, la nature. Le sujet du capital n’est dès lors plus identifié à la
bourgeoisie ou au prolétariat eux-mêmes, mais plutôt au processus
TH
de valorisation capitaliste que bourgeois et prolétaires entretiennent
mutuellement, sans toutefois en tirer les mêmes avantages.
La tâche prioritaire de la théorie critique est donc double :
d’abord comprendre de manière critique les médiations fétichisées
07
du capitalisme, puis penser ce que pourraient être des médiations
non aliénées. C’est à ce projet que La tyrannie de la valeur entend
contribuer afin d’approfondir et de renouveler le discours de la
théorie critique.
Avec des textes d’Yves-Marie Abraham, Marie-Pierre Boucher,
Pierre Dardot, Jean-François Filion, Franck Fischbach, Anselm
Jappe, Gilles Labelle, Eric Martin, Louis Marion, Jacques Mascotto et
Maxime Ouellet.

Eric Martin est professeur au département de philosophie du Col-


lège Édouard-Montpetit. Maxime Ouellet est professeur à l’École des
médias de l’UQAM. Tous deux ont coécrit Université inc. Des mythes
sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir (Lux, 2011).

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