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valeur
L’essentiel de ce discours critique, comme celui des mouvements
de type Occupy, demeure superficiel en se limitant à une approche
subjectiviste dénonçant l’élite du « 1 % » et des « vilains » banquiers.
Le grand mérite du courant dit de la « critique de la valeur » (Wert
kritik) est d’effectuer un retour au texte de Marx afin d’en dégager
une critique substantielle et de retrouver, par-delà le Marx écono-
miciste et subjectiviste, le Marx philosophe et sociologue. Le capita-
lisme est ainsi abordé comme un « fait social total », et de sa critique Débats pour le renouvellement
ressort la nécessité d’instituer d’autres formes de médiations socia-
les et d’autres institutions que celles qui consolident la domination
de la théorie critique
La tyrannie de la valeur
fétichiste du travail, de la marchandise, de la valeur sur la vie, la
société, la nature. Le sujet du capital n’est dès lors plus identifié à la
bourgeoisie ou au prolétariat eux-mêmes, mais plutôt au processus
TH
de valorisation capitaliste que bourgeois et prolétaires entretiennent
mutuellement, sans toutefois en tirer les mêmes avantages.
La tâche prioritaire de la théorie critique est donc double :
d’abord comprendre de manière critique les médiations fétichisées
07
du capitalisme, puis penser ce que pourraient être des médiations
non aliénées. C’est à ce projet que La tyrannie de la valeur entend
contribuer afin d’approfondir et de renouveler le discours de la
théorie critique.
Avec des textes d’Yves-Marie Abraham, Marie-Pierre Boucher,
Pierre Dardot, Jean-François Filion, Franck Fischbach, Anselm
Jappe, Gilles Labelle, Eric Martin, Louis Marion, Jacques Mascotto et
Maxime Ouellet.
Sous la direction de
Eric Martin et Maxime Ouellet
Coordination éditoriale : David Murray
Maquette de la couverture : Christian Bélanger
Typographie et mise en pages : Yolande Martel
ISBN 978-2-89719-153-5
Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de
publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entre-
mise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le gouvernement du Québec de son soutien par l’entremise du Programme
de crédits d’impôt pour l’édition de livres (gestion SODEC), et la SODEC pour son soutien
financier.
Table des matières
introduction
La crise du capitalisme est aussi la crise de l’anticapitalisme 7
Eric Martin et Maxime Ouellet
Glossaire 267
Le capitalisme a été, dès son avènement, secoué par des crises périodiques.
Depuis 2008, il connaît ce que nous pourrions appeler une « crise struc-
turelle », dans la mesure où les mécanismes d’endettement généralisé mis
en place pour contenir les contradictions du système ont défailli. Ces
bouleversements ont ramené la figure de Karl Marx à l’avant-scène et fait
exploser les ventes du Capital3. Mais ce regain de popularité et ce succès
en librairie ne se traduisent pas nécessairement par une évolution du
discours critique le plus répandu à gauche.
1. Karl Marx, « Lettre à Meyer, 30 avril 1867 », dans Correspondance VIII, Paris,
Éditions sociales, 1979, p. 369.
2. Traduction libre de Slavoj Zizek, « We Need Thinking », extrait de « Big Think ». En
ligne : <www.youtube.com/watch?v=MtPghWHAQfs>. Consulté le 10 avril 2014.
3. Zineb Dryef, « Le grand retour de Karl Marx et de son Capital », Rue89, 16 mai 2009,
<www.rue89.com/2009/05/16/le-grand-retour-de-karl-marx-et-de-son-capital>.
8 la tyrannie de la valeur
8. Cette proposition demeure par contre pour l’heure à l’état de piste à développer.
Pour une théorie sociologique des médiations symboliques et politiques, les lecteurs sont
invités à consulter l’œuvre du sociologue québécois Michel Freitag.
9. Dans les rares ouvrages qui cherchent à étudier et problématiser la critique radicale
de la valeur, on compte : Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn, L’évanescence de la valeur.
Une présentation critique du Groupe Krisis, Paris, L’Harmattan, 2004. Voir également,
dans le monde anglophone, le numéro consacré à Postone dans Historical Materialism,
vol. 12, no 3, 2004.
10. Pour les ouvrages d’Anselm Jappe : Les aventures de la marchandise. Pour une
nouvelle critique de la valeur, Paris, Denoël, 2003 ; Les habits neufs de l’Empire. Remarques
sur Negri, Hardt et Rufin (avec Robert Kurz), Paris, Léo Scheer, 2003 ; et Crédit à mort,
Fécamp, Lignes, 2011. Pour Robert Kurz, voir : Lire Marx. Les principaux textes de Karl
Marx pour le xxie siècle, Paris, La balustrade, 2002 ; Manifeste contre le travail (avec Ernest
Lohoff et Norbert Trenkle), Paris, Léo Scheer, 2002 ; Avis aux naufragés. Chroniques du
capitalisme mondialisé en crise, Paris, Léo Scheer, 2005 ; Critique de la démocratie balis-
tique. La gauche à l’épreuve des guerres d’ordre mondial, Paris, Mille et une nuits, 2006 ;
Vies et mort du capitalisme, Fécamp, Lignes, 2011. Pour Moishe Postone, voir : Marx est-il
devenu muet ? Face à la mondialisation, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003 ;
Temps, travail et domination sociale, Paris, Mille et une nuits, 2009 ; Critique du fétiche
capital. Le capitalisme, l’antisémitisme et la gauche, Paris, PUF, 2013. Bien que l’ouvrage
ne se rattache pas directement au courant de la critique de la valeur, il faut aussi souligner
ici la pertinence de l’ouvrage Marx, prénom : Karl, de Pierre Dardot et Christian Laval
(Paris, Gallimard, 2012).
introduction 11
12. Voir, entre autres, Maximilien Rubel, Marx critique du marxisme, Paris, Payot,
2000, notamment l’extrait « Marx, théoricien de l’anarchisme », disponible sur <www.
marxists.org/francais/rubel/works/1973/rubel_19731100.htm>. Il est également respon-
sable de l’édition des œuvres de Marx dans La Pléiade.
13. Voir Michel Henry, Marx I. Une philosophie de la réalité et Marx II. Une philoso-
phie de l’économie, Paris, Gallimard, 1976.
introduction 13
14. Isaac I. Roubine, Essais sur la théorie de la valeur de Marx, Paris, Syllepse, 2009.
14 la tyrannie de la valeur
de ses écrits au cours des années 1970 ouvrira la porte à certains débats
académiques sur la question de la valeur. Ceux-ci demeurent toutefois
périphériques en raison de l’hégémonie du marxisme althussérien à cette
époque, qui voyait dans la théorie marxienne du fétichisme de la mar-
chandise une pure coquetterie hégélienne qu’il était nécessaire de surpas-
ser au profit d’une réelle « science marxiste ». Comme le relève Tran Hai
Hac dans sa récente relecture du Capital15, c’est à l’économiste québécois
Gilles Dostaler que l’on doit l’une des dernières contributions au débat sur
la théorie de la valeur dans le monde francophone. Dans le cadre de deux
ouvrages publiés en 1978, Marx, la valeur et l’économie politique 16 et
Valeur et prix, histoire d’un débat17, il analyse la confusion entourant la
catégorie de la valeur au sein de la théorie économique. La méprise tien-
drait au fait que la plupart des théoriciens marxistes n’auraient pas perçu
les distinctions fondamentales introduites par Marx entre les notions de
valeur et de valeur d’échange. Ce qui intéresse principalement les écono-
mistes classiques ou néoclassiques est de savoir ce qui détermine les
rapports entre les objets échangés, c’est-à-dire leur valeur d’échange. Pour
ces derniers, c’est le travail qui est l’étalon de mesure de la valeur
d’échange. Le travail serait donc une activité qui aurait été de tout temps
au fondement de la valeur des marchandises. Or, c’est contre cette analyse
substantialiste et transhistorique de la valeur que Marx développe sa
critique du fétichisme de la marchandise. Celle-ci cherche à dévoiler la
forme de médiation sociale qui se cache derrière ce qui apparaît comme
un rapport entre des choses.
La question centrale qui est posée par Marx au début du Capital est de
savoir pourquoi les produits du travail prennent la forme de la valeur.
Reprenant la réflexion entamée par Aristote, qui se demandait comment
deux choses qui sont en soi incommensurables pouvaient malgré tout
s’échanger, Marx souligne que, dans la société capitaliste, c’est en raison
du procès d’abstraction du travail que les marchandises peuvent posséder
une valeur18. Comme le souligne Dostaler : « Il ne faut pas chercher, au
15. Tran Hai Hac, Relire « Le Capital », Lausanne, Page deux, 2003.
16. Gilles Dostaler, Marx, la valeur et l’économie politique, Paris, Anthropos, 1978.
17. Gilles Dostaler, Valeur et prix, histoire d’un débat, Paris, Maspero, 1978.
18. Cornelius Castoriadis traite de la question de la différence entre la conception
marxienne et aristotélicienne de la valeur dans un texte intitulé « Valeur, égalité, justice,
politique : de Marx à Aristote et d’Aristote à nous », dans Les carrefours du labyrinthe,
Paris, Seuil, 1978. Il y récuse la théorie de la valeur de Marx sous prétexte que ce dernier
poserait cette catégorie, comme celle du travail qui en constitue la substance, de manière
transhistorique et ontologique. Pourtant, la démarche marxienne consiste en une critique
du travail et de la valeur dans une perspective historique. Si la critique de Castoriadis peut
s’appliquer à une certaine analyse marxiste vulgaire, elle ne correspond pas à la pensée
de Marx, pour qui les catégories sont a priori sociales, culturelles, historiques et non
introduction 15
21. Karl Marx, Le Capital, Livre I, Paris, PUF, 1993 [1867], p. 87.
22. Jean-Marie Vincent, Critique du travail. Le faire et l’agir, Paris, PUF, 1987, p. 100.
introduction 17
Temps de Argent
Marchandise Valeur travail soc. Échange (équivalent
nécessaire universel)
Ces trois schémas illustrent les conceptions de la valeur chez les éco-
nomistes classiques (schéma 1), chez les néoclassiques (schéma 2) et chez
Marx (schéma 3). Chez Marx, au contraire des économistes classiques et
néoclassiques, l’ensemble des catégories apparaissent sous une forme
duale. Pour les économistes classiques, le travail, en tant qu’activité de
transformation de la nature, apparaît comme étant à la source de la
richesse de toutes les sociétés dans l’histoire. Selon Ricardo, c’est le travail
qui vient directement constituer la valeur d’une marchandise. Pour Marx,
au contraire, c’est le travail abstrait, en tant qu’il est représenté par la
norme moyenne de temps qu’il prend pour produire une marchandise (le
temps de travail moyen), qui fonde la valeur. La société dans son ensemble
est donc soumise à cette norme constituée socialement, mais qui apparaît
comme naturelle. Il cherche donc à montrer que les catégories écono-
miques ne sont pas naturelles, mais bien sociales et historiques. Il s’agit
pour Marx d’exprimer dialectiquement la différence entre la substance
d’un phénomène et sa forme d’apparition. La forme d’apparition possède
toutes les caractéristiques d’un fétiche, puisqu’elle masque le fondement
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Eric Martin et Maxime Ouellet
Eric Martin et Maxime Ouellet Eric Martin et Maxime Ouellet
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L’essentiel de ce discours critique, comme celui des mouvements
de type Occupy, demeure superficiel en se limitant à une approche
subjectiviste dénonçant l’élite du « 1 % » et des « vilains » banquiers.
Le grand mérite du courant dit de la « critique de la valeur » (Wert
kritik) est d’effectuer un retour au texte de Marx afin d’en dégager
une critique substantielle et de retrouver, par-delà le Marx écono-
miciste et subjectiviste, le Marx philosophe et sociologue. Le capita-
lisme est ainsi abordé comme un « fait social total », et de sa critique Débats pour le renouvellement
ressort la nécessité d’instituer d’autres formes de médiations socia-
les et d’autres institutions que celles qui consolident la domination
de la théorie critique
La tyrannie de la valeur
fétichiste du travail, de la marchandise, de la valeur sur la vie, la
société, la nature. Le sujet du capital n’est dès lors plus identifié à la
bourgeoisie ou au prolétariat eux-mêmes, mais plutôt au processus
TH
de valorisation capitaliste que bourgeois et prolétaires entretiennent
mutuellement, sans toutefois en tirer les mêmes avantages.
La tâche prioritaire de la théorie critique est donc double :
d’abord comprendre de manière critique les médiations fétichisées
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du capitalisme, puis penser ce que pourraient être des médiations
non aliénées. C’est à ce projet que La tyrannie de la valeur entend
contribuer afin d’approfondir et de renouveler le discours de la
théorie critique.
Avec des textes d’Yves-Marie Abraham, Marie-Pierre Boucher,
Pierre Dardot, Jean-François Filion, Franck Fischbach, Anselm
Jappe, Gilles Labelle, Eric Martin, Louis Marion, Jacques Mascotto et
Maxime Ouellet.