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ETUDES TRADITIONNELLES 44° Année Juillet 1939 Ne 235, LE DON DES LANGUES “ Pris pivildees des wirtables RoseCroix, ou, pour parler plus exactement (car le mot de « priviléges » pourrait donner liew & de fausses interprétations), parmi leurs ‘signes caractéristiques, on mentionne souvent le « don des langues » ; mais il ne semble pas que I’'on ait jamais expli- qué nettement ce qu'il faut entendre par 14. Sans doute, le sens littéral d'une telle expression pent étre justifié d’une certaine fagon : en effet, Ia possession de certaines olefs du langage peut fournir, pour compreridre et parler les langues Ies"plus divérses, des moyens tout autres qtie ceux dont on dispose d’ordinaire ; et il est trés certain qu'il existe ce qu’on pourrait appeler une philologie sacrée, qui est entidrement difiérente de la philologie profane. Cependant, tout en accep- tant cette premiere interprétation, il est permis de considérer surtout un sens symbotique, ordre plus élevé, qui s'y ‘superpose sans la contredire aucunement, et qui s'accorde ailleurs avec les données initiatiques communes 4 toutes les traditions, qu’elles sient d’Orient ou d’Occident. 1. Par snite dan retard ds courrier, a suite du travail de notre érafsent geliahoraesr, René Guénon Levy el daneecorp oa corp dana esprit? ne nous ext pas patvanus X tompe pour paraitte dana le présent ‘auméro. Noas nous en excusons auprés de tos lecteors. — A la demande un cortaln nombre dPabounds, noun reprodulsons Jal Vartcle de M. Reng avalt 616 publié dane lo Voile dts 238 ‘TUDES TRADITIONNELLES ‘A ce point de vue, on peut dire que celui qui posstde ‘véritablement Je « don des langues +, c'est celui qui parle & chacun son propre langage, en ce sens qu'il s'exprime tou- jours sous une forme appropri¢e aux fagons de penser des hommes auxquols il s'adresse. Clest aussi ce & quoi il est fait allusion, d’une manitre plas extéricure, lorsqu'll est dit ‘que les Rose-Croix devaient adopter les habitudes des pays ottils se trouvaient ;et certains ajoutent méme quils devaient prendre un nouveau nom chaque fois qu’ils changeaient de pays, comme s'ils revétaient alors unc individualité nou~ velle, Ainsi, le Rose-Croix, en vertu du degré spirituel quit avait atteint, n’était pluslié & aucune forme définie, nom plas qu’aux conditions spéciales d’aucun liew déterming, et c'est pourquoi il était un « Cosmopolite » au vrai sens de ce mot. ‘Le mime enseignement se rencontre dans Pésotérisme mu- sulman : Mohyiddin ibn Arabi dit que « le vrai sage ne se lie & aucune croyance », parce qu'il est au dela de toutes les croyances particulidres, ayant obtenu Ia connaissance de ce qui est Jeur principe commun ; mais c'est: précisément pour cela qu'il peut, suivant les circonstances, parler le langage propre chaque croyance. Il n'y a d'ailleurs 1, quoi que puissent en penser Jes profanes, ni s opportunisme » ni dissi- mulation d'aucune sorte ; au contraire, c'est la conséquence nécessaire d'une connaissance qui est supérienre & toutes Jes formes, mais qui ne peut se communiquer (dans la mesure oi elle est communicable) qu’a travers des formes, dont cha- cune ne convient pas indistinctement & tous les hommes, On. peut, pour le comprendre, comparer ce dont il s’agit & Ta tra~ duction d’une méme pensée en des langues diverses : c'est Dien toujours la méme pensée, qui, en elle-méme, est indé- pendante de toute expression ; mais, chaque fois qu'elle est exprimée en une autre lengue, elle devient accessible & des hommes qui, sans cela, n'auraient pu la connaftre ; et cette analogie est d’ailleurs rigonreusernent conforme au symbo- isme du «don des langues », : Celui qui en est arrivé a ce point, c'est celui qui a atteint, LE DON DES LANGUES 239 Par une connaissance directe et profonde, le fond identique de toutes les doctrines traditionnelles, qui a trouvé Ia vérité June qui s'y cache sous la diversité et fa multiplicité des formes oxtérieures. La diffrence, en effet, n'est jamais que dans la forme et dans Yapparence ; le fond essentiel est par- tout et toujours le méme, paree qu'il n'y a qu’tine vérité, et que; comme ie disent encore les initiés musulmans, « doctrine de I’ Unité est uniaue » ; mais il faut une variété de Tormes pour s‘adapter aux conditions mentales de tel om tel pays, de felle ou telle époque ; et ceux qui s'arrétent A la forme voient surtout los diftérences, tandis qu’elles dispa- raissent an contraire pour ceux qui vont au dela. Ceux-ci peuvent ensuite redescondre dans Ja forme, mais sans plus em @ire aucunement affectés, sans que leur connaissance profonde en soit modifige en quoi que ce soit ; ils peuvent, comme on tire Tes conséquences d’un principe, réaliser, en procédant de haut en bas, de Vintérieur & Vextérienr (et c'est en cela que la véritable synthése est tout Lopposé dia valgaire « syncrétisme 9), tontes les adaptations de Ia doc- ‘tine fondamentale. C'est ainsi que, pour reprendre toujours Je méme symbolisme, a'étant plus astreints & parler une langue déterminge, ils pouvent les parler toutes, parce quills ont pris conscience du principe méme dont toutes les langues dérivent par adaptation. Ce que nous appelons ici les langues, ce sont toutes les formes traditionnelles, reli- gicuses ou autres, qui ne sont, en effet, que des adaptations de la grande Tradition primordiale et universelle, des véte- ments divers de Yunique vérité. Ceux qui ont dépassé toutes les formes particuliéres et sont parvenus 4 I'universalité, et qui « savent » ainsi ce que les autres ne font que « croire » simploment, sont nécessaitement « orthodoxes » an regard de toute tradition réguliére ; et, en méme temps, ils sont les seuls qui puissent se dire pleinement et effectivement « catholiques », au sens rigoureusement étymologique de ce mot, tandis que les autres ne peuvent I'étre que virtuelle- ment, par une aspiration qui n/a pas encore réalisé son objet. 240 {Er0DES TRADITTONNELLES Cenx qui sont pasés au dela de Ja forme sont, par 1- méme, libérés des lisitations inbérentes A la condition indi- ‘viduelle de Fhumanké ordinaire ; c'est pourquoi ils peuvent, comme nous Je disims plus haut, revétir des individualités diverses pour s'adayter & toutes les citconstances ; oes indi- vidualités, pour eux n'ont véritablement pas plus d’impor- tance que de simple: vétemnents, Is sont, suivant le doctrine hhindoue, supérienrsats ¢néth vet A la « forte », qui repeé- centent les Géments constitutifs de 'individualité ; le nom, c'est Lexpression de essence individuelle elleméme, et Yon ‘peut comprendre pat l8.ce que 1e changement de nom signific vraiment au point de vue initiatique, La méme formelité extérieure se rencatre ¢ailleurs partout pour symboliser ‘un changement d’éat ; et, dans les ordires monastiques eux qnémes, sa raison détre n’est mullement différente au fond, car, TA aussi, Vindvidualité profane doit disparaitre pour faire place A un étrenouvean, et, méme quand le symbolisme n'est plus entiéremmt compris dans son sens profond, dl garde pourtant encore par lu-méme une certaine efficacité, Si Yon comprené ces quelques indications, on comprendra en mime temps pearquoi les vrais Rose-Croix n'ont jamais pu constituer uné« société » au sens moderne et profane de ce mot : ceux qii sont au-delA de toute forme ne penvent s‘enfermer dans les formes d'une organisation possédant des statuts et des réglments écrits, des lieux de réunion déter- minés, des signes extérieurs de reconnaissance, toutes choses dont ils n’ont d’aileurs aucun besoin. Is peuvent sans doute, ainsi que cola se veit encore en Orient, inspirer plus oa moins directement, et ei quelque sorte invisiblement, des orga~ nisations extérieures constituées temporairement en vue de tel ou tel but spécal et défini ; mais eux-mémes ne se Tient point & ces organiations et; sauf dans des cas tout & fait exceptionnels, n'y jouent aucun r6le apparent, Ce qu’on appélé les Rose-Crix en Occident depuis le xiv® sidele, et qui a regu d'autres dénominations en d'autres temps et en. d'autres lieux, pane que le nom n’e ici qu'une valeur pure- EB TON DES LANGUES 24n ment symbolique et doit Jui-méme s'adapter aux circons- tances, ce n'est pas ume association queleonque, c'est la collectivité des étres qui sont parvenus & un méme état supérieur a celui de Fhumanité ordinaire, & un méme dogré @’initiation, dont nous avons essayé d’indiquer un des aspects essentiels, et qui possdent ainsi les mémes caractéres inté- rieurs, ce qui leur suffi: pour se reconnattre entre eux. C'est pourquoi ils n'ont dautre liew de réunion que « Je Temple du Saint Esprit, qui est partout » ; et c'est aussi pourquoi ils ‘demeurent inconnus des profanes parm lesquels ils viyent, précisément parce que leurs seuls signes distinctifs sont pure- ment intérieurs et ne peuvent étre pergus que par ceux qui ont atteint le aiéme développement spirituel, de sorte que lent influence s'exerce par des voies qui sont incompréhen- sibles au commun des hommes. Rewé Guéxow. LES ORIGINES DU MORMONISME AME Tes sectes religienses on pseudo-religieuses répan- dues en Amérique celle des Mormons est assurément une des plus anciennes et des plus importantes, et nous croyons qu'il n’est pas sans intérét d'en exposer les origines. ‘Au début du xix® siécle vivait dans Ja Noavelle-Angleterre un pasteur presbytérien nommé Salomon Spalding, qui avait abandonné son ministére pour le commerce, ob il ne tarda pas a faire faillite ; aprés cet échec, il se mit & composer une sorte de roman en style biblique, qu'llintitula le Manus- crit retrouvé, et sur lequel il comptait, paratt-il, pour remon- ter sa fortune, en quoi il se trompait, car il mourut sans avoir pu le faire accepter par aucun éditeur. Le sujet de ce livre se rapportait & I'histoire des Indiens de l’Amérique du Nord, qui y étaient présentés comme les descendants du Patriarche Joseph ; c’était un long récit de leurs guerres et de leurs émigrations supposées, depuis I’épeque de Sédécias, roi de Juda, jusqu’au v° siécle de l’ére chrétionne ; et ce récit était censé avoir &é écrit par divers chroniqueurs successifs, dont le dernier, nommé Mormon, Vaurait déposé dans quel- que cachette souterraine, Comment Spalding avait-il eu V'idée de rédiger cet ouvrage, @aillours fort ennuyeux, prodigieusement monotone et écrit, dans un style déplorable ? C’est ce qu'il ne nous paratt guére possible de dire, et I'on peut se demander si cette idée lui vvint spontanément ou si elle Ini fut suggérée par quelqu’un autre, car il est loin d’avoir &t6 seul A chercher ce qu’ étaient 262 ETUDES TRADITIONNELLES. devenues les dix tribus perdnes d’Israél et A essayer de’ résoudre ce probleme & sa fagon, On sait que certains ont voulu retrouver les traces de ces tribus en Angleterre, et il est ménte des Anglais qui tiennent fort & revendiquer pour leur nation l’honneur de cette origine ; d'autres ont été recher- cher ces mémes tribus beaucoup plus loin, ¢t jusqu’au Japon. Cequilly ede certain c'est qu'il existe dans quelques régions de Orient notamment! Cochin, dans I'Inde méridionale, et aussi ca Chine, des colonies juives fort anciennes, qui prétendent y &tre établies depnis I’époque de Ia. captivité de Babylone. Lidée d'une emigration en Amérique peut parattre beaucoup plus invraisemblable et pourtant elle est venue A d'autres qu’a Spalding ; il y a JA une colncidence: assoz singulidee, En 1825, un Ieradlite d'origine portugaise, Mordecai Manuel Noah, ancien consul des Etats-Unis a ‘Tunis, acheta une fle appelée Grand Island, située dans la riviére Niagara, et langa une proclamation engageant tous ‘ses coreligionnaires a venir s’établir dans cette ile, & laquelle illdonna le nom d'Ararat. Le 2 septembre dea méme année, ‘on célébra en grande pompe la fordation de la nouvelle cité ; oF, et c’est IA ce que nous voulions signaler, les Indiens avaient été invités & envoyer des représentants A cette ofté- monie, en qualité de descendants des tribus perdues d'Israél, ct ils devaient aussi trouver un refuge dans le nouvel Ararat. Ce projet n'eut aucune suite, et la ville ne fut jamais biti une vingtaine d’années plus tard, Noah écrivit un livre dans Jequel il préconisait Ie rétablissemiént de la nation juive en Palestine, et, bien que son nom soit aujourd’hui assez oublié, on doit le regarder comme le véritable promoteur du Sio- nisme, L’épisode que nous venons de rapporter est antéciear de prés de cing ans A la fondation du Mormonisme ; Spal- dling était déja mort, ct nousne pensons pas que Noah ait ew connaissance de son Manuscrit retrowvé. En tout cas, on ne pouvait guére prévoir alors la fortune extraordinaire qui était réservée & cet ouvrage, et Spalding lui-méme ne s'était probablement jamais donté qu'un jour devait venir of il TES ORIGINES DU MORMOWTSKE 263 serait considéré par des multitudes comme une nouvelle révélation divine ; A cette époque on n’en était pas encore arrivé A composer de dessein prémédité des écrits soi-disant «inspizés », comme la Bible d’Oahspe ou I'Evangile Aquarion, izarres élucubrations qui trouvent chez les Américains de nos jours un milieu tout préparé pour les recevoir, Ty avait & Palmyra, dans le Vermont, un jeune homme assez mauvaise réputation, nommé Joseph Smith ; il s’était <'abord signalé & T'attention de ses concitoyens, pendant une de ces périodes d’enthousiasme religieux que les Américains appellent revivals, en répandant le récit d'une vision dont il prétendait avoir été favoris¢ ; pais il s'était fait « trouveur de trésors », vivant de Vargent que Joi remettafent les gens rédules auxquels il promettait d'indiquer, grace & certains procédés divinatoires, les richesses enfouies dans le sol. Crest alors qu'il mit le main sur le manuscrit de Spalding, douze ans aprés la mort de son auteur ; on croit que ee mantis ‘crit Ini fut donné par un de ses compéres, Sydney Rigdon, qui Vaurait dérobé dens une imprimerie oi il faisait son apprentissage ; toujours est-il que Ia veuve, le frére et Y'an- cien associé de Spalding reconnurent et affirmérent for- mellement I'identité du Livre de Mormon avec le Manuscrit ‘retrouvé. Mais le © trouveur de trésors » prétendit que, guidé par un ange, il avait tiré ce livre de la terre of Mormon avait enfoui, sous la forme de plaques d'or convertes de caractéres hiroglyphiques ; il ajoutait que I'ange lui avait également fait découvrir deax pierres translucides, qui n’étaieat autre que !'Urimn et le Thummim qui fignraient sur le pectoral du Grand-Prétre d'Israal (1), et dont la possession, procurant te don des langues et l’esprit de prophétie, lai avait permis de traduire les plaques mystérieuses. Une dizaine de témoins 1, Beod XXVIIL 9, — Ove doax mots hSbreux sgntlont *lumitre 5 et varity 264 ‘ros TRADMONNELIES déclarérent avoir vu ces plagues ; trois d’entre eux affir, mérent méme qu’ils avaient aussi vu I'ange, qui les avait ensuite enlovées et reprises sous se garde, Parmi ces deniers était un certain Martin Harcis, qui vendit sa ferme pour subvenir aux freis de publication du manuscrit, malgré les avis da professeur Anthon, de New-York, & qui il avait soumis un échantillon des prétendus hidroglyphes, et qui Yavait mis en garde contre ce qui lui paraissait bien n’étre qu'une vulgaice supercherie, II est A supposer que Smith s'était procuré quelques plaques de laiton et y avait tiacé des caractires empruntés & divers alphabets ; d’aprés. ‘ML Anthon (2), il y avait surtout un mélange de caractéres grees et hébralques, ainsi qu'une grossiére imitation du calen- drier mexicain publié par Humboldt. Il est dVailleurs extré- mement difficile de dire si ceux qui aidérent Smith & ses débuts furent ses dupes ou ses complices ; pour ce qui est de Harris, dont la fortune fut gravement compromise parle pett de succés qu’eut tout d’abord le Livre de Mormon, il ne tarda pas A senier la foi nouvelle et A se brouiller avec Smith. Celui-ci eut bientot une révélation qui mettait son entretien Ala charge de ses adhérents ; puis, le G avril 1830, une autre ‘évélation vint le constituer prophéte de Dieu, avec la mis- sion d'enselgner aux hommes une religion nouvelle et d’éta~ blir I’ « Eglise des Saints des Derniers Jours » (Church of Latier-Day Saints), dans laquelle on devait entrer par un nouveau baptéme, Smith et son associé Cowdery s'adminis- trérent I'un & autre ce bapttme ; I'Eglise ne comptait alors. que six membres, mais, au bout d'un mois, elle en avait une trenteine, parmi lesquels le pére et les fréres de Smith. Cette Hglise, en somme, ne se différenciait guése de la majorité des sectes protestantes ; dans les treize articles de foi qui furent alors forraulés par Je fondateur, il y a liew de signaler seulement la condamnation du baptéme des enfants (arti- dle 4), Ia croyance ¢ qu'un homme peut étre appelé & Diea 2. Leltre At Howe, 17 t6roior 18%. Es ORIGINES DU MORMONISME 265 par la prophétie et par imposition des mains » (article 5), ome Jes dons miraculenx tels que « prophétie, révélation, 5, guérison, exorcisme, interprétation des langues », ment perpétués dans I'Eglise (article 7), l'adjonction du Liore dz Mormon a la Bible comme étant la « parole de Dieu » (article 8), enfin la promésse « que Dieu révélera encore de grandes choses concernant Son Royaume » (article 9). Men- tionnons encore V'article x0, ainsi congu’: « Nous croyons au rassemblement littérel d’Isradl et & la restauration des dix tribus ; nous croyons que Sion sera rebatie sur ce continent, ‘que le Christ régnera personnellement sur Ia terre, et que la ‘terme sera renouvelée et recevra la gloire paradisiaque ». Le début de cet article rappelle curieusement les projets de Noah ; la suite est expression d'un millénarisme » qui est pas absolument exceptionnel dans les Eglises protes- tantes, et qui, dens cette méme région dela Nouvello-Angle- terre, devait aussi donner naissance, vers 1840, aux « Adven- tistes du Septiéme Jour ». Enfin, Smith voulut reconstituer Yorgatisation de I'Eglise primitive ; Apotres, Prophétes, Patriarches, Evangélistes, Anciens, Diacres, Pasteurs et Docteurs, plus deux hiérarchies de pontifes, ane selon l'or- red’ Aaron, autre selon Vordre de Melchissédec, Les premiers adbérents de Ja nouvelle Eglise étaient des gens fort peu instruits, petits fermiers ou artisans pour Ja plupart ; le moins jgnorant d'entre eux était Sydney Rigdon, ‘celui qui avait probablement mis Smith en possession da manvecrit de Spalding ; aussi est-ce lui qui, par une révéla- ‘tion, fot chargé de la partie littéraire de Yeeuvre, et om hui attribue la premiere partie du livre des Doctrines et Alliances, publié en 1846, et qui est en quelque sorte le Nouveau Tes- ‘tament des Mormons ; du reste, il ne tarda pas A obliger le prophéte, A qui il s'était ainsi rendu indispensable, & avoir une autre révélation qui partageait entre eux la suprématie, Cependant, Ia secte commencait & grandir et & faire con- nnaftre son existence an dehors : Jes [rvingiens anglais, qui croient aussi a Ia perpétuation des dons miraculeux dans 266 ‘ET0DES TRADITIONNELUES TEglise, envoy2rent@ Smith une lettre signée d'un « concile de pasteurs » et exprimant leur sympathie, Mais Ie saccds méme suscita A Smith des adversaires qui me manquérent pas de rappeler son passé peu honorable ; aussi, dis 1832, le Prophite jngea-til prudent de changer de résidence : de Fayette, dans le conté de Seneca, Etat de New-York, ot i avait institué sonEgtise, i alla s'établir & Kirtland, dans VOhio ; puis i fit ayec Rigdon un voyage d'exploration dans les pays de l'Ouest, ct, & son retour, il émit une série de révé- lations ordonnant ar< « Saints » de se rendre dans le caté de Jackson, Etat de Missouri, pour y batir une « Sion sainte», En quelques mois, douze cents croyants répondirent & cet appel et se mirent Atravailler au céfrichement du pays et & Vérection de la « Jérusalem nouvelle »; mais les premiers ‘occupants de la régi leur firent subir toutes sortes de vexa- tions, etficalement Is expulsérent de Sion, Pendant ce temps, Joseph Smith, demerré A Kirtland, y avait fondé une maison de commerce et de bunque, dans la caisse de laquelle, comme nous Tapprend sa propre autobiographie, Iui-méme et a famille avaient un doit ilimité de puiser & pleines mains; en 1837, la banque fui mise en faillite, et Smith et Rigdon, menacés de poursuits pour escroquerie, durent s'enfuir chez. leurs fidéles du Misouri. Quatre ans s’étaient déjd écoulés depuis que cewx-ci avaient été chassés de Sion, mais ils s'6taient retirés dans les régions avcisinantes, of ils avaiont acquis de nouvelles propriétés ; Smith, das son arriyée, leur déclare que I’heure éait venue oi il allait « fouler ses enitemnis sous ses pieds », Les Missouriens, ayant eu connaissance de son attitude, en fuent exaspérés, et les hostilités s'enga- gérent presque imnédiatement ; les Mormons, vaincus, durent capituler et sengager & quitter le pays sans tarder ; Ie prophite, livré asx autorités, parvint A échapper A ses. gardes et A rejoinde ses disciples dans I’Lllinois, La, les « Saints » se remiren: A construire une ville, la cité de Nau- ‘vo, sur Ja rive du Mississipi ; des prosélytes y arrivérent, séme d'Europe, car une mission envoyée en Angleterre en. LES ORIGINES DU MORNONISME 267 3837 avait amené dix mille baptimes, et une révélation somma ces nouveanix convertis d'accourir 4 Nauvoo « avee Jeur argent, leur or et leurs pierres précienses », L’Btat d’Tlli- nois accorda A la cité une charte d'incorporation ; Joseph ‘Smith en fut constitué maire, et il organisa une milice dont iL fut nomamé général ; depuis lors, il afiecta rméme de paraltre souvent & cheval et en uniforme. Son conseiller militaire était un certain général Bennet, qui avait servi dans Yarmée- des Etats-Unis ; ce Bennet avait offect ses services & Smith dans une lettre ob, tout en professant une compléte incré- dulité quant a la mission divine de celui-ci, et en traitant miéme de « joyeuse mascarade » le baptéme mormon qu'il avait reru; il promettait au prophéte «une assistance dévouée et les apparonces d'une foi sincére », La prospérité croissante de la secte porta Ja vanité de Smith A un tel point qu'il sa, en 1844, poser sa candidature A la présidence des Rtats- Unis. Crest vers cette époque que le polygamic fut introduite dans le Mormonisme ; la révélation qui I'autorisa est datée de juillet 1843, mais elle fut longtemps tenue secréte et réser- vée un petit nombre d’initiés ; ce n'est qu'au bout d'une dizaine d/années que cette pratique fut avouée publiquement ppar les chefs mormons (r). Seulement, on avait eu beau taire Ja révélation, les résultats en avaient é8 connus malgré tout ; un corps d'opposition, formé dans le sein mnéme de la secte, fit entendre ses protestations dans un journal intitulé The Expositor. Les partisans du prophéte rastrent I'atelier de ce journal ; les rédacteurs s'enfuirent et dénonctrent aux auto- rités Joseph Smith et son fréxe Hiram comme perturbateurs. de Vordre public, Un mandat d'arrét fut Janeé contre eux, et, pour le faire exécuter, le gouverneur de ITilinois dut faire 4, Larévlation dont lag a 6:6 publide dors Pergans oflsiel dole sects, Mienary Star (Bice sénaic) en java 18. — Les antes r6ré- reat ont toast esting ‘es eru_aéoeamale @iadiquer a "auction , 00 268 ‘ETUDES TRADITIONNELLES appel aux milices ; Joseph Smith voyant qu'il ne pou sésister, jugea prudent de se rendre ; il fut enfermé avec frére A la prison du comté, A Carthage. Le 27 juillet 1844 -une foule en armes envahit la prison et fit feu sar les détenas{ ‘Hiram Smith fut tué sur place, et Joseph, en voulant s’en- fuir par la fenétre, manqua son élan et alla se briser au pied des murs ; i était agé de trente-neut ans, Il est peu vraisem- ‘lable que les assaillants se soient assemblés spontanément devant la prison ; on ne sait par qui ils furent dirigés ou tout at moins influencés, mais il est trés possible que quel- qu'un ait eu intérét 4 faire disparattre Joseph Smith an moment précis oft il voyait se réaliser toutes ses ambi- tions. ‘ Diailleurs, si celtic fut imcontestablement un imposteur, ‘bien que quelques-uns aient essayé de le présenter comme un fanatique sinedre, il n'est pas stir qu'il ait lui-méme ima- -giné toutes ses imnpostures ; iLy a trop d'autres cas plus ou moins similaires, ob les chefs apparents d’un mouvement ne furent souvent que les instruments d'inspirateurs cachés, qu’eux-mémes ne connurent peut-tre pas toujours ; et un hornme tel que Rigdon, par exemple, pourrait fort bien avoir joué un rile d’intermédiaire entre Smith et de semblables inspirateurs, L’ambition personnelle qui était |dans le carac- tere de Smith ponvait, jointe A son absence de serupules, le rendre apte a Ja réalisation de desseins plus ou moins téné- Dreux ; mais, an dela de certaines limites, ele risquait de devenir dangereuse, et d'ordinaire, en pareil cas, instrument -est brisé impitoyablement ; c'est précisément ce qui arriva pour Smith, Nous n'indiquons ces considérations qu’ titre @hypothése, ne voulant établir aucun rapprochement ; mais cela suffit pour montrer qu’il est difficile de porter un jugement désnitif sur les individus, et que la recherche des -véritables responsabilités est beaucoup plus compliquée que ne l'imaginent ceux qui s’en tiennent aux apparences exté- ‘Tieures, Les Onions DU MoRMONtsiME 269 Aprés 1a mort du prophete, quatre prétendants, Rigdon, William Smith, Lyman Wight et Brighman Young, se dis- putérent sa succession ; ce fut Brigham Young, ancien ou- vriex charpentier et président du « Collage des Apdtres », qui Yemporta finalement et fat proclamé « voyant, révélateur et président des Saints des Demniers Jours ». La sscte con- tinuait A s'accroitre ; mais on apprit bientdt que les habitants de neuf comtés s'étaient ligués dans V'intention d’exterminer les Mormons, Les chefs de ceux-ci décid@rent alors une émi- gration en masse de leur peuple dans une région éloignte et déserte de la Hante-Californie, qui appartenait au Mexique ; cette nouvelle fut annoncés per une « éptire catholique » datée du 20 janvier 1846. Les voisins des Mormons consen- tient & les laisser tranguilles, moyennant la promasse de partir avant le commencement de Iété suivant ; les. Saints » profitdrent de ce’ délai pour achever le temple qu’lls cons- truisaient sur le sommet de la colline de Nauvoo, et auquel une révélation avait attaché certaines bénédictions mysté> rieuses ; Ja consécration eut lieu en mai, Les habitants de 1 Tiinois, voyant 12 un manque de sinoérité et Ia marque une volonté de retour de la part des Mormons, chasstrent brutalement de leurs demeures ceux qui s’y trouvaient encore et, Je 17 septembre, prirent possession de Ja ville abandonnée, Les émigrants entreprirent un pénible voyage ; beaucoup restrent en route, certains méme moururent de froid et de privations. Au printemps, Je président partit en avant avec un corps de pionniers j le ax juillet 1847, ils ettei- gnirent Ia vallée du Grand Lag Salé et, frappés par les rap- ports de sa configuration géogrepbique avec celle de la terre de Chanaan, résolurent dy fonder un ¢ jalon de Sion » (stake of Sion), en. attendant le moment ott ils pousraient reconguérir Ja vraie Sion, c'est-Avdire la cité du comté de ‘Jackson que les prophéties de Smith leur assuraient devoir 290 ETUDES TRADITIONNELLES tre leur héritage. Quand la colonie fut rassemblée, elle comptait quatre mille personnes ; elle s’augmenta rapidement et, six ans plus tard, le nombre de ses membres s'élevait déja A trente mille, En 1848, le pays avait été cédé par le Mexique aux Etats-Unis ; les habitants demandérent au Congrés & étre constitués en Etat souverain, sous le nom a’ « Etat de Deseret », tiré dn Livre de Mormon ; mais le Congets érigea seulement Je pays en Testitoire sous le nom d’Utah, le ‘Territoire ne pouvant se transformer en Etat libre que quand ‘sa population atteindrait le chifire de soixante mille hommes, ‘ce qui engages d’ailleurs les Mormons & intensifier leur pro- pagande pour y parvenir au plus vite et pouvoir ainsi l4ga~ liser la polygamie et Iours autres institutions particulitres ; en attendant, le président Brigham Young fut dailleurs nommé gouverneur de I'Utab, A partir de ce moment, la prospérité matérielle des Mormons alla toujours en croissant, ainsi que leur nombre, malgré quelques épisodes malheureux, parmi lesquels il faut noter un schisme qui se produisit en 1887 : ceux qui n’avaient pas suivi l’émigration constituérent tune ¢ Eglise Réorganisée » ayant son sitge 4 Lamoni, dans Iowa, et qui se prétend seule légitime ; ils plactrent & leur téte le jeune Josoph Smith, le propre fils du prophete, qui &tait demeuré & Independence, dans le Missouri. D'aprés tune statistique officielle datant de xgrr, cette « Eglise Réor- ganisée » comptait alors cinquante mille membres, tandis que la branche d’Utah en comptait trois cent cinquante mille, . Le succ#s du Mormonisine peut sembler étonnant ; il est probable qu’il est plutét di & Yorganisation hiérarchique et théocratique de la secte, fort habilement congue, il faut le reconnattre, qu'd Ja valeur de sa doctrine, quoique extra- vagance meme de celle-ci soit susceptible d'exercer un attrait sur certains esprits ; en Amérique surtout, Jes choses les plus absurdes dans ce genre réussissent d'une faron incroyable, aad oxcmies DU NORWONISiE an Cette doctrine n'est pas restée ce qu’elle ¢iait an début, et cela se comprend sans peine, puisqne de nouvelles révéla- tions pouyaient venir la modifier A chaque instant : c'est ainsi que In polygamie était appelée dans le Liore de Mormon «une abomination aux yeux du Seigneur », ce qui n'empéciia pas Joseph Smith davoir une autre révélation par laquelle elle devenait ela grande bénédiction de la dernidre Alliance », Les innovations proprement doctrinales paraissent avoir été dues surtont & Orson Pratt, sous la domination intellectuelle dnquel Smith était tombé vers Ja fin de sa vie, et qui avait tune connaissance plus ou moins vague des idées de Hegel et de quelques autres philosophes allemands, popularisées par des écrivains tels que Parker et Emerson (2). Les conceptions religieuses des Mormons sont du plus grossier anthropomorphisme, comme le prouvent ces extraits dium de leurs catéchismes : « Question 28. Qu’est-ce que Dien ?— Un étre intelligent et matérie, ayant un corps et des membres, « Question 38. Est-il aussi susceptible de passion ? — Oui, il mange, il boit, i hait, i aime. « Question 44. Peut-il habiter plusieurs liewx a la fois ?— Non. » Ce Dieu matériel habite la planéte Coloé ; clest matérielle- ment aussi qu'il est le Pére des oréatures et qu'il les a engen- drées, ot le prophete dit dans son dernier sermon ; «Dieu n'a pas eu Ie pouvoir de oréer esprit de Vhorame, Cette idée amoindrirait "homme & mes yeux ; mais je sais mieux que cela «. Ce quill savait ou prétendait savoir, c'est ceci : d’abord, Je Dien des Mormons est un Dieu qui «évolue ; son origine fut « la fusion de deux particules de matidre élémentaire », et, par un ‘développement progressif, il atteignit la forme hue maine : « Dieu, cela va sans dire, a commencs par étre un 1, Orvon Pratt ble on ua organ nllé The Seer(Le Voyent) xuquel ‘nous emprantons use grande partie des citations qui suivent. ae 272 ATODES TRADITIONNELLES homme, et, per unt voie de contimelle progression, il est aévenn co quill est, et il peut continuer & progresser de Ia méme manitre éternellement et indéfiniment. L’homme, de méme, peut crofire en comiaissance ¢t en pouvoir aussi loin qu'il Jui plaira, Si done I’homme est doué d'une progression @ternelle, il viendra certainement un temps ob il en saura autant que Dieu en sait maintenant » Joseph Smith dit cticore : «Le plus faible enfant de Dieu qui existe maintenant sur Ia terre, possédera en ‘son temps plus de domination, de sujets, de puissance et de gloire que n’en posstde aujour- @hui JésasChrist on son Pére, tandis que le pouvoir et Yélévation de ceux-ci se seront accrus dans la m&me propor- ». Et Parly Pratt, frére d’Orson, développe ainsi catte ide : ¢ Que fera homme lorsque ce monde-ci sera trop peu Bié ? U fera @autres mondes et s'envolera comme un essaim qabeilles. Et quand un fermior aura trop denfants pour sa part de terre, il leur dira : Mes fils, la matitre est infinie ; ceréet-vous un monde et peuplez-le ». Les représentations de Ja vie future sont dVailleurs aussi matérielles que possible, et comportent des détails aussi ridicules que les descriptions du Summerland des spirites anglo-saxons : « Supposez, dit Je méme Parly Pratt, que de la population de notre terre, “une personne sur cent ait part & la résurrection bienheurense j quelle portion pourrait bien avoir chacun des Saints ? Nous xépondons : chacun d'enx pourrait bien avoir cent cinquante acres de terre, ce qui serait pleinement sulfisant pour ramas- ‘ser Ia thanne, batir de splendides habitations, et aussi pour cultiver des fleurs et toutes les choses qu’affectionnent Yagriculteur et le botaniste ». Un autre « Apdtre », Spencer; chanoelier de I'Université de Deseret et auteur de 1'Grére Patviercal, dit anssi : ¢ La résidence future des Saints n'est ‘point tme chose fignrée ; aussi bien qu’ici-bas, ils auront be- soin de maisons pour eux et leurs familles, C'est littérale- iment que eux qui ont été dépouillés de leurs biens, maisons, fonds de terre, femme ou enfants, en recevront cent fois davantage... Abraham et Sarah continueront & multiplier LES ORIGINES DU MORMONISKE, 273 non seulement ici-bas, mais dans tous les mondes A venir... ‘La résurrection vous rendra votre propre femme, que vous garderes pour I'éternité, et vous éléveres. des enfants de votre propre chair ». Certains spirites, ill est vrai, n’attendent méme pas la résurrection pour nous parler de « mariages célestes » et d’ « enfants astraux o! ‘Mais ce n'est pas tout encore ; de Vidée d'un Dien « en devenir », qui ne Jeur appartient pas exclusivement et dont on peut trouver plus d'un exemple dans la pensée moderne, Jes Mormons sont bient6t passés & celle d'une pluralité de dieux formant une hiératchie inaéfinie. En effet, il fut révlé a Smith « que notre Bible actuelle n’était plus qu'un texte tronqué et perverti, qu'il avait la mission de ramener A sa pareté orjginclle », ef que le premier verset de la Gentse devait ttre interprété ainsi: « Dieu le chef engendra les autres deux avec le ciel et la terre », En outre, « chacun de ces dieux est le Dieu spécial dos esprits de toute chair qui habite dans Ie monde ‘qu'il a formé ». Enfin, chose plus extraordinaire encore, une révélation de Brigham Young, en 1853, nous apprend que le Dieu de notre plantte est Adam, qui n'est Iuisméme qu'une autre forme de Varchange Michel : « Quand notre pére Adam vint en Eden, il amena avec Ini Eve, une de ses femmes, Tl aida. & Vorganisation de ce monde. C'est Ini qui est Michel, l'Ancien des Jours. Il est notre pare et notre Dieu, le seu! Diew avec qui nous ayons & faire », Dans ces his- toires fantastiques, il y a des choses qui nous rappellent certaines spéoulations rabbiniques, tandis que, d’un autre c6té, nous ne pouvons nous empécher de songer au « plura- lisme » de William James ; les Mormons ne sont-ils pas parmi les premiers & avoir formulé Ia conception, chére aux prag- matistes, d’un Dieu limité, I’ « Invisible Roi » de Wells ? La eosmologic des Mormons, autant qu'on peut em juger d'aprés des formnules assez vagues et confuses, est une sorte de monisme atomiste, dans lequel tz conscience ou I'intelli- gence est regardée comme inhérente @ la matitre : ia seule chose qui ait existé de tonto éternité est « une quantité ars TUDES. TRADITIONNELLES indéfinie de matigre mouvante et inielligente, dont chaque particule qui existe maintenant a existé dans toutes les pro} fondeurs de I'éternité & état de libre locomotion. Chaque individu du régne animal ou végétal contient um esprit vivant et intelligent. Les personnes ne sont que des taber~ nacles oi réside I’éternelle vérité de Dieu. Quand nous disons quiln’y a qu'un Dieu et qu'll est éternel, nous ne désignons aucun Gtre on particulier, mais cette supreme Vérité qui babite une grande variété de substances ». Cette conception d'un Dieu impersonnel, que nous voyons apparattre ici, paratt étre en contradiction absolue avec la conception anthropomorphique et évolutionniste que nous avons indi- quée précéderment ; mais sans doute faut-l faire une dis- tinction et admettre que le Dieu corporel qui réside dans 1a planéte Colob n'est que le chef de cette hiérarchie d’étres « particuliers » que les Mormons appellent aussi des dieux ; et encore devons-nous ajouter que le Mormonisme, dont les dirigeants passent par toute une série d’« initiations »,a vzai- semblablement un exotérisme et un ésotérisme, Mais conti- auons :«¢ Chaque homme est un agrégat d’autant d’individus intelligents qu'il entre dans sa formation de particules de matitre », Ici, nous trouvons quelque chose qui rappelle A la fois le monadisme leibnitzien, entendu d’silleurs dans son sens le plus extérieur, et la théorie du« polypsychisme » que soutiennent certains « néo-spiritualistes », Enfin, toujours dans Je méme ordre d’idées, le président Brigham, Young, dans un de ses sermous, proclama que « Ja récompense des bons sera une progression éternelle, et la punition des mé- chants wn retour de leur substance aux éléments-primitifs de toutes choses ». Dans diverses écoles doccultisme, on menace pareillement de « dissolution finale » ceux qui ne pourront parvenir & acquérir limmortalité ; et il y a aussi quelques sectes protestantes, comme les Adventistes notam- ment, qui n'admettent pour "homme qu'une « immortalité conditionnelle ». ‘Nous pensons en avoir asses dit pour montrer ce que valent LES ORIGINES DU MORMONISE 278 tes doctrines des Mormons, et aussi pour faire comprendre que, malgré leur singularité, leur apparition ne constitue pas un phénoméne isolé ; elles représentent en somme, dans beau coup de leurs parties, des tendances qui ont trouvé de maul- tiples expressions dans le monde contemporain, et dont Ie développement actuel nous apparaft méme comme le symp- ‘tome assez inguiétant d'un déséquilibre mental qui risque de se généraliser si l'on n'y veille soigneusement ; les Améci- cains ont fait & l'Europe, sous ce rapport, de bien facheux présents. Rsxé Guénon,

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