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ETUDES TRADITIONNELLES 42° Année Novembre 3937” Ne ans "ESPRIT DE LINDE Nous reproduisons ci-aprés wn article publié sous ce ttre en juin 1930, par M, René Guénon dans bs reoue «Le Monde Nouveau >. Nos lecteurs y trowveront rapbeldes des ides qui Tour sont familieres, mais ils trowverond wussi sur le rle de Tinde, des vues que Vauiowr wa peut.cir jamais exprimées ile ance aunt Ae foes of da prcvion 5 oo conde. jons nous ont pare suffisamment 4s intes pour justi/ Pages tet article. a NDLR ‘opposition de Orient et de I'Occident, ramenée & ses termes les plus simples; est au fond identique & celle que I’on se plait souvent a établir entrela contemplation et action. Nous nous sommes déja expliqué la-dessus en maintes occasions, et nous avons examiné les différents points de vue ot I’on peut se placer pour envisager les rap- ports de ces deux termes : sont-ce vraiment lA deux con- traires, ou ne seraient-ce pas plutdt deux complémentaires, ou bien encoren’y aurait il pas,en réalité, entrel’un et l'autre une relation, non de coordination, mais de subordination ? Nous ne ferons donc ici que résumer tris rapidement ces considérations, indispensables & qui veut comprendre l’esprit de YOrient en général et celui de I'Inde en particulier. Le point de vue qui consiste & opposer purement et simplement I’une & l'autre la contemplation et I'action est le plus extérieur et le plus superficiel de tous. L’opposition 29 366 ‘frupES TRADITIONNELLES ‘existe bien dans les apparences, mais elle ne peut dtre abéex Toment irréductible ; ailleurs, on pourrait en dire autank; pour tous les contraires, qui cessent d’étre tels dés qu’om #'ive au-dessus d’un certain niveau, celui ob leur opposi+ tion a toute sa xéalité, Qui dit opposition ou contraste dit, par la meme, désharmonie ou déséquilibre,c'est-a-dire quel- que chose qui ne peut exister que sous un point de vue particulier et limité ; dans Yensemble des choses, V'équi- libre est fait de la somme de tous les déséquilibres, et tous les désordres partiels concourent bon gré mal gré & l'ordre total. En considérant Ja contemplation et 'action comme com-' plémentaires, on se place 4 un point de vuedéja plus profond et plus vrai que le précédent, parce que opposition s'y trouve conciliée et résolue, ses deux termes s'équilibrant, en quelque sorte l'un par Y'autre. Il s’agirait alors de dew Aéments également nécessaires qui se complétent et s'ap~ puient mutuellement, et qui constituent la double activité, intérieure et extérieure, d’un seul et shime &tre, que ce soit chaque homme pris en particulier ou I"humenité envisagée collectivement. Cette conception est assurément plus harmo~ niease et: plus satisfaisante que la premitre ; cependant, si Yon s'y tenait exelusivement, on serait tenté,en vertu de le! ‘corrélation ainsi établie, de placer sur Je méme plan la con+ templation et l'action, de sorte qu'il n'y aurait qu’a s'efforcer de tenir autant que possible la balance égale entre elles, sans jemais poser la question d'une supériorité queleonque ds Tune par rapport l'autre. Or, en fait, cette question s'est toujours posée, et, en ce qui conceme l’antithése de I'Orient et de VOccident, nous pouvons dire qu'elle consiste préci- sément en ce que YOrient maintient 1a supériorité de Ia contemplation, tandis que I'Occident, et spécialement 'Occk, dent moderne, affirme au contraire la supériorité de l'action sar la contemplation, Ici, il ne s'agit plus de points de vue dont chacun peut avoir sa raison d’étre et @tre accepté tout ‘au moins comme Fexpression d'une vérité relative ;-un rape URSPRIT DE LINDE 367, Port de subordination étant irréversible, les deux conceptions en présence sont réellement contradictoires, donc exclusives Vane de T'autre, de sorte que foroément I'une est vraie et Yautre fausse. Il faut donc choisir et peut-ttre la nécessité de ce choix ne s’est-elle jamais imposte avec autant de force et aargence ‘que dans les circonstances actuelles ; peut-ttre méme s'imposera-t-elle encore davantage dans un prochain avenir. Dans ceux de nos ouvrages anxquels ous avons fait allusion plus haut (r), nous avons exposé que la contempla- tion est supérieure & action, comme Vimmuable est supé- rieur au changement. L’action, n’étant qu’ane modification transitoire et momentanée de I'étre, ne sauraitavoir en elle méme son principe et sa raison suffisante; si elle ne se rat- tache un principe qui est au dela de son domaine contin- gent, elle n’est qu'une pure illusion ; et ce principe dont elle tire toute Ia réalité dont elle est susceptible, et son existence et sa possibilité méme, ne peut se trouver que dans la con- templation ou, si Y'on préfére, dans Ia connaissance. De méme, le changement, dans son acception la plus générale, est inintelligible et contradictoire, c'est-A-dire impossible, sans un principe dont il procéde et qui,par IA méme qu'il est son principe, ne peut lui étre soumis, done est forcément immmable ; et c’est pourquoi, dans l’'antiquité occidentale; Aristote avait affinmé la nécessité du « moteur immobile » dé ‘toutes choses. I] est évident que I'action appartient au monde ‘du changement, du « devenir » ; la connaissance seule permet de sortir de ce monde et des limitations qui Iui sont inhé- rentes, et, Jorsqu’elle atteint V'immuable, elle posséde elle- méme l'immutabilité, car toute connaissance est essentielle- ment identification avec son objet. C’est 18 précisément ce qu'ignorent les Occidentaux mademes, qui, en fait de con- naissance, n’envisagent plus qu’une connaissance rationnelle et discursive, donc indirecte et imparfaite, ce.qu’on pourrait 1. Orient ot Occident; La Crise du monde moderne ; Antorité spiituelle t pouveir temporti. 368 ETUDES TRADITIORNELLES appeler une connaissance: par reflet, et qui, de plus en plus, n'apprécient méme cette connaissance inférieure que dans. Ja mesure oi elle peut servir directement 2 des fins pratiques; engagés dans I’action au point de nier tout ce qui la dépasse, ils ne s'apergoivent pas que cette action méme dégénére ainsi, par défaut de principe, en une agitation aussi vaine que stérile. Dans lorganisation sociale de I'Inde, qui n’est qu'une application de la doctrine métaphysique @ V'ordre humain, les rapports dela connaissance et de!'action sont représentés par ceux des deux premieres castes, les Brahmanes et les Ksha- triyas, dont elles sont respectivement les fonctions propres. IL est dit que le Brahmane est le type des étres stables, et que le Kshatriya est le type des étres mobiles ou changeants; ainsi, tous les étres de ce monde, suivant leur nature, sont principalement en relation avec l'un ou avec l'autre, car il y a une parfaite correspondance entre l'ordre cosmique et Vordre humain, Ce n'est pas, bien entendu, que I'action soit interdite au Brahmane, ni fa connaissance au Kehatriya, mais elles ne leur conviennent en quelque sorte que par acci- dent et non essentiellement ; le swadharma, la loi propre de la caste, en conformité avec la nature de I’étre qui lui appar- tient, est dans la connaissance pour le Brabraane, dans lac tion pour le Kshatriya. Aussi leBrabmane est -il supérieur ou Kshatriya, comme la connaissance est supérieure & action ; en d'autres termes, I'autorité spirituelle est supérieure au pouvoir temporel, et c'est en reconnaissant sa surbordina- tion vis-A-vis de celle-1a que celui-ci sera légitime, c'est-A-dire qu'il sera vraiment ce qu'il doit étre ; autrement, se séparant de son principe, il ne pourra s'exercer que d'une fagon désor- donnée et ira fatalement & sa perte. ‘Aux Kshatriyas appartient normalement toute la puis- sance extérieure, puisque le domaine de I'action, c'est le monde extérieur ; mais cette puissance n’est rien sans um principe intérieur, purement spirituel, qu’incarne Vautorité des Brahmanes, et dans lequel elle trouve sa seule garantie eewente we wane, oy valable, En échange de cette garantie, les Kshatriyas doi- vent, & aide de la force dont ils disposent, assurer aux Brahmanes le moyen d’accomplir en paix, 4 l/abri du trouble et de l'agitation, leur propre fonction de connaissance et G'enseignement ; c'est ce qu‘on représente sous la figure de Skanda, le Seigneur de la guerre, protégeant la méditation de Ganésha, le Seigneur de la connaissance. Tels sont les rapports réguliers de l'autorité spirituelle et du pouvoir tem- pore! ; et, s'ils étaient partout et toujours observés, aucun conflit ne pourrait jamais s'élever entre I'une et l'autre, chacun occupant le place qui doit Ini revenir en vertu de la hhigrarchie des fonctions et des étres, hirarchie strictement conforme a la nature des choses. On voit que la place qui est faite aux Kshatriyas, et par conséquent l’action, tout en étant subordonnée, est fort loin d’étre négtigeable, puisqu'elle comprend tout le pouvoir extérieur, & la fois militaire, admi- nistratif et judiciaire, qui se synthétise dans la fonction royale, Les Brihmanes n'ont a exercer qu’une autorité invi- sible, qui, comme telle, peut étre ignorée du vulgaire, mais qui n’en est pas moins le principe de tout pouvoir visible ; cette autorité est comme Ie pivot autour duquel tournent toutes choses, I'axe fixe autour duquel le monde accomplit sa, révolution, le centre immuable qui dirige et régle le mou vemnent cosmique sans y participer ; ot c'est ce que repré- sente I'antique symbole du swatiska, qui est, pour cette raison, un des attributs de Ganéshe. Il convient d’ajouter que la place qui doit étre faite aT’action sera, dans l'application, plus ou moins grande selon les circonstances ; il en est, en effet, des peuples comme des individus, et, alors que la nature de certains est surtout contemplative, celle des autres est surtout active. Tl n'est sans doute aucun pays ot laptitude a Ja contemplation soit aussi répandue et aussi géndralement développée que dans TTnde ; et c'est pourquoi celle-ci peut étre considérée comme représentant par excellence l'esprit oriental. Par contre, parmi les peuples occidentaux, il est bien certain que c'est 0 ETUDES TRADITIONNELLES Vaptitade a l'action qui prédomine chez le plus grand nombite: des hommes, et que, méme si cette tendance n’était pas ‘exagérée et daviée comme elle West présentement, elle sub sisterait néanmoins, de sorte que la contemplation ne pour ait jamais étre [8 que l'affaire d'une élite beaucoup phys restreinte. Cela suffirait cependant pour que tout rentre dans Yordre, car la puissance spirituelle, tout au contraire de la force matérielle, n'est nullement basée sur le nombre ; mais, actuellement, Jes Occidentaux ne sont véritablement que des hommes sans caste, aucun d’eux n'occupant la place et a fonction qui conviendraient A sa nature. Ce désordre s'étend méme rapidement, il ne faut pas se le dissimuler, et semble gagner jusqu’a Y Orient, bien qu'il ne l'affecte encore que d’une fagon trés superficielle et beaucoup plus limitée que ne poutraient se ’imaginer ceux qui, ne connaissant que des Orientaux plus ou moins occidentalisés, ne se doutent pas du peu d'importance qu'ils ont en réalité. I n'en est pas ‘moins vrai qu’il y a fa un danger qui, malgré tout, risque de slaggraver, au moins transitoirement ; le « péril occidental » nest pas un vain mot, et l’Occident, quien est Iuiméme la premidce victime, semble vouloir entrainer 'homanité tout entire dans la ruine dont il est menacé par sa propre fante. Ce péril, c'est celui de Maction désordonnée, parce que privée de son principe ; une telle action n’est en elle-méme qu'un pur néant, et elle ne peut conduire qu’A une catas- tropho. Pourtant, dira-t.on, si cela existe, c'est que ce désordre méme doit finalement rentrer dans ordre universel, qu'il en est un élément au méme titre que tout le reste ; et, d'un point de vue supérieur, cela est rigonreusement vrai. Tous les étres, qu’ils le sachent ou non, qu'ils le veuillent ou non, dépendent entitrement de leur principe en tout ce quills ont ; action désordonnée n’est elle-méme possible que ‘par le principe de toute action, mais, parce qu’elle est incons- ‘ciente de ce principe, parce qu'elle ne reconnait pas la dépen- dance ob elle est & son égard, elle est sans régle et sans efi WESPRIT DE L'INDE at -cacité positive, et, si Yon peut s’exprimer ainsi, elle ne pos side que Je plus bas degré de réalité, celui qui est le plus proche de J'illusion pure et simple, précisément parce qu'il est Je plus éloigné du principe, en lequel seu! est In réalité absolue, Au point de vue du principe, il n'y a que Vordre ; mais, au point de vue des contingences, le désordre existe, et, en cé qui concerne I’humanité terrestre, nous sommes & une époque ob ce désordre, paratt triompher. On peut se demander pourquoi il en est ainsi, et la doc- ‘trine hindoue, avec la théorie des eycles cosmiques, fournit une réponse a cette question, Nous sommes dans le Kali- Yuga, dans l'age sombre ott Ja spiritualité est réduite & son ‘minimum, par les lois mémes du développement du cycle humain, amenant une sorte de matérialisation progressive A thavers ses diverses périodes, dont celle-ci est la dernitre ; par cycle humain, nous entendons ici uniquement Ia durée d'un Manvantare, Vers la fin de cet ge, tout est confondu, les castes sont mélangées, la famille méme n’existe plus ; n’est- ce pas Ia exactement ce que nous voyons autour de nous 2, Faut-il en conclure que le cycle actuel touche effectivement & sa fin, et que bientOt nous verrons poindre l'aurore d’un nou- veau Manvaniara ? On pourrait étre tenté de le croire, sur- tout si l'on songe a la vitesse crofssante avec laquelle les événements se précipitent ; mais peut-étre le désordre til pas encore atteint son point le plus extréme, peut-Btre Vhumanité doit-elle descendre encore plus bas, dans les excts d'une civilisation toute matérielle, avant de pouvoir remonter vers le principe et vers les réalités spirituelles et divines. Peu importe d’ailleurs : que ce soit un peu plus t6t ou un peu plus tard, ce développement descendant que les Occidentaux modemes appellent « progrés » trouvera sa limite, et alors I’ « ge noir » prendra fin ; alors paraitra Je Kalkin-avatira, Celui qui eat monté sur Ye cheval blanc, qui porte sur sa téte un triple diadéme, signe de la souveraineté dans les trois mondes, et qui tient dans sa main un glaive flamboyant comme la queue d’une comite ; alors le monde 372 ‘ETUDES TRADITIONNELLES du désordre et de Yerreur sera détruit, et, par Ja puissance purificatrice et régénératrice d'Agni, toutes choses seront rétablies et restaurées dans I'intégralité de leur état primor- dial, la fin du eycle présent étant en méme temps le com- mencement du cycle futur. Ceux qui savent qu'il doit en ttre ainsi ne peuvent, méme au milieu de la pire confusion, perdre leur immuable sérénité ; si facheux qu'il soit de vivre dans une époque de trouble et d’obscurité presque générale, ils ne peuvent en étre affectés au fond d’eux-mémes, et c'est 1a ce qui fait Ja force de I’élite veritable. Sans doute, si obs curité doit encore aller en ¢’étendant de plus en plus, cette élite pourra, méme en Orient, étre réduite & un trés petit nombre ; mais il suffit que quelques-uns gardent intégrale- ment la véritable connaissance, pour étre préts, lorsque les temps seront accomplis, & sauver tout ce qui pourra encore étre sauvé du monde actuel, et qui deviendra Ie germe du ‘monde futur. Ce réle de conservation de I'esprit traditionnel, avec tout ce quill implique en réalité lorsqu’on 'entend dans son sens le plus profond, c'est Orient seul qui peut le remplir actuellement ; nous ne voulons pas dire 'Orient tout entier, puisqie malheureusement le désordre qui vient de I’Occident peut ’atteindre dans certains de ses éléments; mais c’est en Orient seulement que subsiste encore une véritable dlite, oft Yesprit traditionnel se retrouve avec toute sa vitalité. Ail- leurs, ce qui en reste se réduit A des formes extérieures dont la signification est depuis longtemps déja & peu prés incom- prise, et, si quelque chose de YOccident pout étre sauvé, ce ne sera possible qu’avec I’aide de ’Orient ; mais encore faudra- til que cette aide, pour étre efficace, trouve un point d’appui dans le monde occidental, et ce sont 1A des possibilités sur esquelles il serait actuellement bien difficile d’apporter quelque précision. Quoi qu'il em soit, I'Tnde a en un certain sens, dans Ven semble de l'Orient, une situation privilégi¢e sous le rapport que nous envisageons, et Ia raison en est que, sans esprit VESPRIT DE LINDE 373 traditionnel, I'Inde ne serait plus rien, En effet, I'unité Ikindoue (nous ne disons pas indienne) n'est pas une unité de race ni de langue, elle est exclusivement une unité de tradition ; sont Hindous tous ceux qui adherent effective- ment & cette tradition, et ceux-IA seulement.Ceci explique ce que nous disions précédemment de l'aptitude 4 le contem- plation, plas générale dans I'Inde que partout ailleurs ; la participation A la tradition, en effet, n'est pleinement effec- stive que dans la mesure ot elle implique la compréhension de Ja doctrine, et celle-ci consiste avant tout dans la. connais- sance métaphysique, puisque c’est dans l’ordre métaphysique par que se trouve le principe dont dérive tout le reste. C'est pourquoi I’Inde apparatt comme plus particuliérement desti- née & maintenir jusqu'au bout la suprématie de la contem- plation sur I'action, & opposer par son élite une barritre infranchissable & Venvahissement de l'esprit occidental moderne, & conserver intacte, au milieu d'un monde agité par des changements incessants, la conscience du perma- nent, de 'immnable et de'éternel. It doit étre bien entends, d’ailleurs, que ce qui est immua- ble, c'est le principe seul, et que les applications auxquelles {il donne lieu dans tous les domaines peuvent et doivent méme varier suivant les circonstances et suivant lesépoques, car, tandis que le principe est absolu, les applications sont relatives et contingentes comme le monde auquel elles se rapportent, La tradition permet des adaptations indéfini- ‘ment multiples et diverses dans leurs modalités; mais toutes ces adaptations, dés lors qu’elles sont faites rigoureusement selon Vesprit traditionnel, ne sont autre chose que le déve- loppement normal de certaines des conséquences qui sont Sternellement contenues dans le principe ; il ne s'agit donc, dans tous Jes cas, que de rendre explicite ce qui était jusque- 1 implicite, et ainsi le fond, la substance méme de la doc- trine, demeure toujours identique sous toutes les différences des formes extérieures, Les applications peuvent étre de bien des sortes : telles sont notamment, non seulement 374 ‘TUDES TRADITIONNEELES les institutions sociales, auxquelles nous avons déja fait? allusion, mais aussi les sciences, quand elles sont vraiment ce qu’elles doivent étre; et ceci montre la différence essen- -tielle qui existe entre la conception de ces sciences tradition: nelles et celle des sciences telles que les a constituées!'es-, prit occidental moderne, Tandis que celles-1a prennent toute leur valeur de leur rattachement ala doctrine métaphysique, celles-ci, sous prétexte d'indépendance, sont étroitement renfermées en elles mémes et ne peuvent prétendre qu’é pousser toujours plus Join, mais sans sortir de leur domaine borné ni en reculer les limites d’un pas, une analyse qui pour. rait se poursuivre ainsi indéfiniment sans qu'on en soit jamais plus avanof dans la. vraie connaissance des choses. Est-ce par un obscur sentiment de cette impuissance que les modemes en sont arrivés & préférer la recherche au savoir, ‘on est-ce tout simplement parce que cette recherche sans. terme satisfait leur besoin d'une incessante agitation qui ‘veut étre elle-méme sa propre fin ? Que pourraient faire les Orientaux de ces sciences vaines que 'Occident prétend leur apporter, alors qu’ils possédent d’autres sciences incompa- rablement plug réelles et plus vastes et que le moindre effort de concentration intellectuelle leur en apprend bien plus que toutes ces vues fragmentaires et dispersées, cet ‘amas chaotique de faits et de notions qui ne sont reliés que ‘par des hypothéses plus ou moins fantaisistes, péniblement édifiges pour @tre aussitOt renverstes et remplanées par autres qui ne seront pas mieux fondées ? Et qu'on ne vante ‘pas outre mesure, en croyant compenser par Ia tous leurs . Cependant, ce n'est a que la signification la plus extérieure de ce nom, qui, en un sens plus profond, se relie A tout l'ensemble du symbo- lisme de Ja pierre, dont nous avons eu & parler & diverses reprises, soit & propos des « bétyles », soit & propos des « pierres de foudre » (jdentifiées précisément a la hache de pierre ou Jabrys), et qui présente encore bien d'autres aspects. M. J. Smith ’a tout au moins entrevu, car il fait allusion aux hommes « nés de la pierre » (ce qui, notonsJe en passant, donne Vexplication du mot grec laos), dont la er une * techniqus,, basse sur Le connaissance yquellos celles-ci exereeat leur ution. les inflnences malésqu 4e tertaines lols salvant 388 * BODES TRADITIONNELLES Uégende de Deucalion offre exemple le plus conn : cect se rapporte A une certaine période dont une étude plus précise, si elle était possible, permettrait assurément de. donner au soi-disant « age de pierre » un tout autre sens que celui que lui attribuent Jes préhistoriens, Nous sommes ailleurs ramené par JA a Ja caverne, qui, en tant qu'elle est creusée dans le roc, naturellement ou artificiellement, tient aussi d’assez prés an méme symbolisme (x) ; mais nous devons ajouter que ce’n’est pas une raison pour supposer que le Iabyrinthe Iui-méme ait di foroément étre aussi réusé dans le roc : bien qu'il ait pu en étre ainsidans certains cas, ce n'est A qu'un élément accidentel, pourrait-on dire, et qui ne saurait entrer dans sa définition méme, car, quels que soient les rapports de la caverne et du labyrinthe, il importe pourtant de ne pas les confondre, surtout quand il s'agit de la caverne initiatique, que nous avons ici en vue d'une fagon plus particulitre. En effet, il est bien évident que, si Ja caverne est le tiew ob s'accomplit Vinitiation méme, le Tabyrinthe, Tiew des épreuves préalables, ne peut étre rien de plus que le chemia qui y conduit, en méme temps que I’obstacle qui en interdit Yapproche aux’profanes « non-qualifiés ». Nous rappellerons ailleurs que, 4 Cumes, c'est sur les portes qu’était repré- senté le labyrinthe, comme si, d’une certaine facon, cette figuration tenait lieu ici du labyrinthe Iui-méme (2) ; et Yon Pourrait dire qu'Enée, pendant qu'il s’arréte & Ventrée Pour Ia considérer, parcourt en effet le labyrinthe mentale- ment, sinon corporellement, D’autre part, il ne semble pas que ce mode d’accés ait toujours été exclusivement réservé Gus non yon ngiuer gst done das ee is lrose dot ivagit que cavers rare ret, tx rapport avec tne certain “enelton de h cousioanoanig soe? Siete fre gen ogo Gee Sai a sini ent Gran st ae gee Aes tle ln ry dae ree anes par tere ot aon 1a Céad int pe LaByRINTEE 389 & des sanctusires établis daris des cavernes ou ascimilés symboliquement & celles-¢i, -puisque, comme nous I'avons déja indiqué, ce n'est pas 1A un trait commun a toutes les formes traditionnelles ; et 1a raison d’étre du labyrinthe, telle qu’elle a &t6 définie plus haut, peut convenir également bien aux abords de tout lieu d'initiation, de tout sanctuaire destiné aux « mystéres » et non pas aux rites publics. Cette réserve faite, il y a cependant une raison de penser que, & Vorigine tout au moins, usage du labyrinthe a dd. étre lit plus spécialement & celui de la caverne initiatique : c'est que Yun et Yautre paraissent avoir appartenu tout d’abord aux mémes formes traditionnelles, celles de cette époque des « hommes de pierre » & laquelle nous avons fait allusion tout & Trheure ; ils auraient done commencé ainsi par étre étroite- ment unis, bien qu’ils ne le soiertt pas demeurés invariable- ment dans toutes les formes ultérienres. Si nous considérons le cas ob le labyrinthe est en connexion avec la cayerne, celle-ci, qu'il entoure de ses replis et & laquelle il aboutit finalement, occupe par Ia-méme, dans Vensemble ainsi constitué, le point le plus intérieur et central, ce qui correspond bien & l'idée du centre spirituel, et ce qui concorde également avec le symbolisme équivalent du coeur, sur lequel nous nous proposons de revenir. Il faut encore remarquer que, lorsque la méme caverne est A la fois le lieu de la mort initiatique et celui de Ia «seconde naissance » elle doit dés lors étre regardée comme donnant acc8s, non pas seulement aux domaines souterrains ou « infernaux », ‘mais aussi aux domaines supra-terrestres; ceci encore répond & Ja notion du point central, qui est, tant dans l'ordre macro- cosmique que dans l'ordre microcosmique, celui ob s'effectue Ta communication avec tous les états supérieurs et inférieurs; et c’est seulement ainsi que la caverne peut étre, comme nous Tavons dit, Yimage complte du monde, en tant que tous ces états doivent s’y refléter également ; s'il en ¢tait autrement, assimilation de sa volte au ciel serait absolument incom- préhensible, Mais, d'autre part, sic’est dans la caverne méme 3 ETUDES TRADITIONNELLES que, entre la mort initiatique et la «seconde naissance »,s'ac~ complit Ja « descente anx Enfers », on voit qu’il fandrait bien se garder de considérer celle-ci comme représentée par le parcours du labyrinthe, et alors on peut encore se demander & quoi ce dernier correspond en réalité ; ce sont les « téntbres extérieures », auxquelles nous avons déja fait allusion, et anxquelles s‘applique parfaitement état d’ « errance », s'il est permis d’emplayer ce mot, dont un tel parcours est Texacte expression. Cette question des «ténébres extérieures » pourrait donner lieu encore a d'autres précisions, mais ceci nous entratnerait en dehors des limites du présent article nous pensons d’ailleurs en avoir dit assez pour montrer, d'une part. Vintérét que présentent des recherches comme celles qui sont exposées dans lelivre de M. J. Knigth, mais aussi, d’autre part, Ja nécessité, pour en mettre au point les résultats et pour en saisir la véritable portée, d'une con- naissance proprement « technique » de ce dont il s‘agit, connaissance sans laquelle on ne parviendra jamais qu’a des reconstitutions hypothétiques et incomplétes, qui, méme dans la mesure oi elles ne seront,pas faussées par quelque idée précongue, demeureront aussi « mortes que les vestiges mémes qui en auront été le point de départ. Rent Guinon.

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