Vous êtes sur la page 1sur 21

Florent Christol

« Hop-Frog » (1849), fiction matricielle


du film d’horreur américain des années
1970-1980 ?

O n se souvient de Pierre Ménard, chez Borgès, réécrivant au


mot prêt certains chapitres du Don Quichotte de Cervantès
en prenant soin de ne pas faire le plus petit écart, la copie finis-
sant par coïncider totalement avec son modèle 1. Un cas de réé-
criture tout aussi singulier mais encore plus improbable est celui
de l’auteur réécrivant un texte qu’il n’a jamais lu. C’est de ce cas
que nous traiterons ici, en nous penchant sur les multiples « réé-
critures » de « Hop-Frog », nouvelle tardive d’Edgar Poe, dans le
cinéma américain des années 1970-1980.
Parue dans la revue Flag of our Union (17 mars 1849), « Hop-
Frog » raconte la vengeance d’un nain, esclave d’un roi tyran-
nique qui en a fait son bouffon et son souffre-douleur. Objet de
toutes les moqueries à cause de son apparence difforme, Hop-
Frog doit son nom à sa démarche sautillante particulière (en plus
d’être nain, il se déplace en boitant). Le nain ne trouve de conso-
lation qu’auprès de la naine Tripetta, sa seule amie, également
victime de la cruauté du souverain. Un jour, après une mauvaise
plaisanterie particulièrement cruelle (le roi force le bouffon à
s’enivrer alors que ce dernier ne supporte pas l’alcool, puis jette
le gobelet au visage de Tripetta), il décide mettre un terme à ces
abus et de se venger. Exploitant le contexte de la mascarade pré-
vue le soir même, il propose aux ministres et au roi de se dégui-
ser en orangs-outangs, de se relier par une chaîne afin de donner
l’impression qu’ils viennent de se libérer de leur geôlier, et de
faire intrusion dans le bal masqué pour effrayer les convives.
Trouvant l’idée amusante, le roi accepte avec enthousiasme. Le
soir venu, la fête démarre sur un ton ludique : les ministres et
le monarque font irruption dans le bal dans leurs costumes très

1. Jorge Luis Borgès, « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », in Fictions,


Paris, Gallimard, 1983.

02-05_christol.indd 1 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 2

r­ éalistes et tous enchaînés ensemble, suscitant chez les invités


rire et effroi. Croyant à la réalité de la supercherie, certains sont
pris de panique. Mais le roi profite peu de temps des effets de
la farce sur les invités : au moment où les « singes » passent à sa
portée, Hop-Frog relie leur chaîne à celle du grand chandelier
surplombant la salle principale. Il actionne alors un levier pro-
pulsant le chandelier et le groupe costumé dans les airs, puis il
se hisse jusqu’aux huit hommes et s’approche d’eux muni d’une
torche, sous prétexte de les démasquer. Dévoilant l’identité des
« bêtes sauvages » au public attroupé, Hop-Frog clame : « Mainte-
nant, […] je vois distinctement de quelle espèce sont ces masques.
Je vois un grand roi et ses sept conseillers privés, un roi que ne
se fait pas scrupule de frapper une fille sans défense, et ses sept
conseillers qui l’encouragent dans son atrocité. Quant à moi, je
suis simplement Hop-Frog, le bouffon, – et ceci est ma dernière
bouffonnerie ! » 1. Sur ces mots, Hop-Frog appose sa torche sur le
costume des invités royaux. Ayant été préalablement aspergés de
poix par le nain, ceux-ci s’embrasent aussitôt et les huit « singes »
sont brûlés vifs. Laissant les invités hagards devant les cadavres
calcinés, le nain s’échappe par le toit avec Tripetta.
Alors que de nombreux contes de Poe ont été fréquemment
portés à l’écran avec plus ou moins de succès, « Hop-Frog » fait
figure de canard boiteux au sein du corpus filmique d’inspiration
poesque. Selon les livres consacrés au cinéma d’horreur et les
sites du type Internet Movie Data Base, « Hop-Frog » n’aurait été
porté à l’écran qu’une seule fois dans le cadre du cinéma amé-
ricain « commercial », par Roger Corman en 1964, par inclusion
dans une adaptation d’un autre texte de Poe plus célèbre, « Le
Masque de la Mort rouge ». Pour cette adaptation, Corman et ses
scénaristes ont largement modifié la nouvelle de départ : Hop-
Frog est rebaptisé Hop-Toad (Skip Martin), et Tripetta devient
la danseuse naine Esmeralda (Verina Greenlaw). De plus, Hop-
Toad ne s’en prend pas directement à Prospero et à ses ministres
mais au prince Alfredo (Patrick Magee), personnage qui n’appa-
raît dans aucune des deux nouvelles, ce qui rend l’insertion de
« Hop-Frog » dans le cadre du Masque de la mort rouge plus arti-
ficielle encore.
Si le film de Corman est la seule adaptation « officielle » de
« Hop-Frog » à l’écran, elle demeure néanmoins périphérique,
imbriquée au sein du récit enchâssant qu’est « Le Masque de la
Mort Rouge ». Cette transposition officielle aurait-elle masqué
la reprise, peut-être inconsciente, mais néanmoins massive, de

1.  Edgar Poe, « Hop-Frog », Nouvelles histoires extraordinaires, Paris, Le


Livre de poche, 1972, p. 175

02-05_christol.indd 2 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 3

cette histoire et de ses figures dans le cinéma d’horreur amé-


ricain des années 1970-1980 ? L’histoire d’un personnage phy-
siquement et psychologiquement faible, souffre-douleur de ses
supérieurs hiérarchiques et de ses pairs, qui se venge atrocement
de ses persécuteurs, se retrouve en effet dans un grand nombre
de films de l’époque. L’exemple le plus connu est sans doute
­Carrie (Brian De Palma, 1976), adapté du roman de Stephen King
publié en 1974. La protagoniste, Carrie White (Sissy Spacek),
est une jeune fille au physique disgracieux, persécutée par ses
camarades mais aussi par sa mère (Piper Laurie), une fanatique
religieuse abusive. Carrie compense ses faiblesses par des pou-
voirs télékinésiques qui se déclenchent lorsqu’elle n’arrive pas
à contrôler sa colère. Le soir du bal de fin d’année, elle est vic-
time d’une mauvaise plaisanterie particulièrement cruelle : alors
qu’elle vient d’être élue « reine de la promo », un saut rempli de
sang de cochon lui est déversé dessus par ses tourmenteurs et
elle se trouve recouverte de ce liquide nauséabond, vision gro-
tesque suscitant aussitôt les rires moqueurs de la communauté
lycéenne. Publiquement humiliée, Carrie se venge en déchaînant
ses pouvoirs sur ceux qui se sont moqués d’elle, ainsi que sur
toutes les autres personnes présentes, victimes collatérales de sa
rage.
Carrie a souvent été perçu comme un film isolé, n’ayant pas
entraîné de véritable descendance, si l’on excepte quelques
copies « officielles » comme The Spell (Lee Philips, 1977), Jennifer :
Horrible Carnage (Jennifer, Brice Mack, 1978), et The Initiation of
Sarah (Robert Day, 1978), ainsi qu’une suite, un remake télévisuel
et un remake cinématographique 1. Pourtant le film de De Palma
constitue le sommet émergé d’un iceberg générique jamais offi-
ciellement identifié sur la carte du cinéma américain. Dans ce
genre du “nerd 2 victimisé qui se venge”, on peut citer, avant
Carrie, Willard (Daniel Mann, 1971), Stanley (William Grefe,
1972), Horror High (Larry Stouffer, 1974), Phantom of the Paradise
(Brian De Palma, 1974), The Love Butcher (Don Jones, 1975), Le
baiser de la tarentule (Kiss of the Tarantula, Chris Munger, 1976),
et Les Baskets se déchaînent (Massacre at Central High, René
Daalder, 1976). Après Carrie, on peut mentionner Rayon Laser
(Laserblast, Michael Rae, 1978), Fondu au noir (Fade to Black,

1.  The Rage : Carrie 2 (Katt Shea, 1999) ; Carrie (David Carson, 2002) ; Carrie
(Kimberley Pierce, 2013).
2.  Le « nerd » est une personne introvertie, timide, cérébrale, souvent mal à
l’aise avec son corps et qui s’évade d’une réalité pénible en se réfugiant
dans le monde de l’imaginaire (science, jeux vidéos, comic books, etc.).
Son incarnation archétypale à l’écran est sans doute Jerry Lewis dans le
film The Nutty Professor (Jerry Lewis, 1963).

02-05_christol.indd 3 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 4

Vernon Zimmerman, 1980), Christmas Evil (Lewis Jackson, 1981),


Fear No Evil (Frank Laloggia, 1981), Teddy, la mort en peluche
(The Pit, Lew Lehman, 1981), Messe noire (Evilspeak, Eric Weston,
1981), et Trick or Treat (Charles Martin Smith, 1986).
À cette liste on peut ajouter le sketch « The Crate » de Creepshow
(George Romero, 1982) dans lequel un mari (Hal Holbrook), humi-
lié par une épouse castratrice (Adrienne Barbeau), se venge en la
précipitant dans les griffes d’un monstre simiesque trouvé dans la
caisse ramenée d’une expédition arctique. Dans un registre plus
parodique, on peut penser à The Toxic Avenger (Michael Herz,
1985), où un nerd 1 victimisé se transforme en justicier grotesque
après avoir chuté dans une cuve de produits toxiques, ou encore
à Funland (Michael A. Simpson, 1987), dans lequel le clown d’un
parc d’attraction se venge de ceux qui l’ont licencié en se postant
en haut d’une tour avec un fusil et en tentant d’abattre ses anciens
employeurs.
Comme Carrie, tous ces films décrivent l’humiliation puis la
vengeance de personnages marginaux, pathétiques, souffre-
douleurs de leur communauté qui, à force d’être poussé à bout,
« explosent » et décident de se faire justice en exécutant leurs per-
sécuteurs dans des scènes de meurtres spectaculaires.

Le Foolkiller movie
De manière générale, le protagoniste de ces films est malingre,
parfois maladif (Eric dans Fondu au noir ne cesse de tousser)
et considéré comme peu masculin du point de vue de la norme
patriarcale et des codes de la masculinité hégémonique en
vigueur dans la culture américaine 2. Avec son physique atypique,
difforme, déficient ou sous-développé, qui s’oppose de manière
binaire au corps séduisant et musclé de ceux qui se moquent
de lui, le nerd représente l’« Autre », l’outsider, l’exclu, prenant
en charge les sentiments refoulés ou désavoués d’inadéquation
physique et sociale et de vulnérabilité qui font partie des affects
primordiaux de la petite enfance 3. Maladroit et socialement
impopulaire, le nerd n’a pas d’amis, c’est un « loser » dans la lutte
darwinienne de la survie.

1.  Le « nerd » est une personne introvertie, timide, cérébrale, souvent mal à
l’aise avec son corps et qui s’évade d’une réalité pénible en se réfugiant
dans le monde de l’imaginaire (science, jeux vidéos, comic books, etc.).
Son incarnation archétypale à l’écran est sans doute Jerry Lewis dans le
film The Nutty Professor (Jerry Lewis, 1963).
2.  Sur la notion de masculinité hégémonique, voir R. W. Connell, Masculini-
ties, Polity, Cambridge, 1995.
3.  Sur cette question, voir les écrits de Mélanie Klein.

02-05_christol.indd 4 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 5

Cette figure grotesque 1 peut être rattachée à la catégorie socio-


culturelle du fool, défini par le sociologue Orrin Klapp comme
un personnage pathétique et ridicule, à l’apparence étrange,
souffrant parfois d’une difformité physique (le fool recoupe à de
nombreux niveaux la figure du freak), psychologiquement plus
proche de l’enfant que de l’adulte (le fool est parfois un idiot ou
un simple d’esprit) :

The fool is distinguished from the normal group member by a devia-


tion in person or conduct which is regarded as ludicrous and improper.
He is usually defined as a person lacking in judgment, who behaves
absurdly or stupidly. The antics of the fool, his ugliness, gracelessness,
senselessness, or possible deformity of body represent departures from
corresponding group norms of propriety. The fool is the antithesis of
decorum, beauty, grace, intelligence, strength, and other virtues embo-
died in heroes ; and, therefore, as a type is antiheroic 2.
[Le fool se distingue du membre normal du groupe par une dévia-
tion physiologique ou comportementale perçue comme ridicule ou
impropre. C’est une personne manquant de bon sens, qui se conduit
de manière absurde ou stupide. Les bouffonneries du fool, sa laideur,
son manque de grâce, sa bêtise ou sa difformité représentent des
déviations par rapport aux normes de comportement habituelles du
groupe. Le fool est l’antithèse du decorum, de la beauté, de la grâce, de
l’intelligence, de la force, et d’autres vertus incarnées par les héros ; et,
par conséquent, comme type, est anti-héroïque]

Du fait de cette différence, de ce décalage à la fois comique


et inquiétant par rapport à la norme, le fool suscite souvent la
moquerie, voire l’hostilité du groupe social dans lequel il évo-
lue. Sa faiblesse physique le dissuadant en général de se venger,
et personne n’ayant intérêt à lui venir en aide (de peur notam-
ment de s’encourir l’hostilité des bullies 3), il constitue un bouc
émissaire « idéal » sur lequel le groupe peut déchaîner son agres-
sivité 4. Cependant, loin de s’aligner sur le point de vue des bour-

1.  Nous entendons ici le terme au sens général d’« a-normal » mais aussi de
manière plus spécifique envisagé par Allon White et Peter Stallybrass
dans The Poetics and Politics of Transgression (New York, Cornell
University Press, 1986), qui étudient le recours au grotesque pour exclure
et diaboliser des groupes sociaux devenus Autres avec l’apparition de la
bourgeoisie en Europe et aux États-Unis, groupes qui récupèrent tous
les attributus corporels « populaires » (sécrétions, odeux, animalité) dont
la classe bourgeoise et capitaliste souhaite se dissocier afin de se « civili-
ser », selon le processus mis en lumière par Norbert Elias dans….
2.  Orin Klapp, « The Fool as a Social Type », in American Journal of Sociology,
septembre 1949, vol. 55, no 2, p. 157-162.
3.  On pourrait traduire ce terme qui n’a pas d’équivalent précis en français
par « brute épaisse » ou tyran.
4.  Notons que nous n’employons pas ce terme au sens spécifique où l’entend
René Girard (comme figure sacrificielle permettant de mettre un terme
à une crise sociale) mais, de manière plus neutre et plus générale,

02-05_christol.indd 5 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 6

reaux cherchant à transformer le fool en clown ridicule exclu du


champ de l’humanité, les films de notre corpus génèrent de la
sympathie pour ce dernier en le présentant comme une victime
innocente. Comme l’écrit Orrin Klapp,
en souffrant ou en revêtant des traits « humains » qui suscitent la sym-
pathie, une personne peut échapper au rôle du fool. La persécution
excessive, par exemple le fait de « pousser une farce trop loin », tend à
faire du fool un martyr. La cruauté gratuite de la part des opposants,
particulièrement si on comprend que le fool souffre, qu’il est humain,
a des sentiments, etc., servira à générer de l’identification et à briser
le prisme consistant à la voir comme sous-humain 1.

Parce que la figure centrale du genre que nous défrichons


est un fool vengeur, mais qu’il s’agit aussi d’un tueur de fools
au sens de l’Ancien Testament (c’est-à-dire des personnes immo-
rales et socialement irresponsables 2), nous avons baptisé cette
figure le foolkiller, et ces films Foolkiller movies 3. À l’instar du
Freaks (1931) de Tod Browning, dans lequel des phénomènes de
foire humiliés se vengent cruellement de leurs tourmenteurs, et
qui constitue une sorte de prototype filmique de cette lignée, ces
films subvertissent la logique du film d’horreur sous sa forme
classique. Là où ce dernier met en scène une confrontation entre
un monstre « anormal » (le monstre de Frankenstein, fabriqué de
toutes pièces ; le vampire Dracula, etc.) et une communauté « nor-
male » 4, le monstre des Foolkiller movies est d’abord la société
elle-même, présentée comme ostracisante, prête à exclure et à
lyncher ceux qui diffèrent trop de la norme.
Le tueur de ces films incarne en apparence une justice expédi-
tive proche de celle prise en charge par les justiciers américains
de l’époque (les années 1970-1980) tels que Billy Jack (la série
Billy Jack), Paul Kersey (la série Death Wish), ou encore Bufford
Pusser (la trilogie Walking Tall), tous des déclinaisons du vigi-
lante de la Frontière 5. Mais là où ces derniers s’en prennent à des
criminels, des personnes coupables d’infractions à la loi, le fool-

comme synonyme de souffre-douleur.


1.  Orrin Klapp, « The Fool as Social Type », op. cit., p. 160.
2.  Sur ce point, voir Welsford et Willeford.
3.  Pour des développements sur le genre, nous nous permettons de renvoyer
à notre article « The Foolkiller Movie : Uncovering an Overlooked Horror
Genre », in Interdisciplinary Humanities : Expanding the Scope of Horror,
Edmund Cueva et William Nowak (éds), El Paso, University of Texas,
p. 93-106.
4. Sur la dynamique politiquement conservatrice film d’horreur classique,
nous renvoyons aux écrits de Robin Wood et de Noel Carroll (on en
trouve des extraits représentatifs dans l’anthologie Horror, the Film
Reader, éd. Marc Jancovich, Londres, Routledge, 2002).
5. Pour une exploration de la figure du vigilante, voir Brown et Slotkin
(Gunfighter).

02-05_christol.indd 6 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 7

killer châtie des transgressions d’ordre « moral » (immaturité ou


méchanceté) qui non seulement ne sont pas punies par la loi aux
Etats-Unis, mais qui sont au contraire souvent perçues comme
normales et légitimes dans une culture prônant le culte du plus
fort et le darwinisme social. Le foolkiller, qui va jusqu’à tuer ses
persécuteurs, est donc une figure monstrueuse car excessive.
N’atteignant jamais un statut héroïque, il passe directement du
statut de victime à celui de monstre car sa violence n’est pas sou-
tenue ou légitimée par la mythologie de la Frontière 1. Se dérou-
lant dans un univers anomique où la morale et l’ordre social
sont désintégrés (dans « Hop-Frog », le désordre est généré par le
Roi lui-même, donc précisément par la personne censée incar-
ner l’ordre et la Loi), les actions du foolkiller s’inscrivent dans
un espace d’exception au sens où Giorgio Agamben entend ce
terme 2, cet espace liminal où se déploie la violence de l’« exé­
cuteur sacré » étudié par Hyam Jaccoby :
L’exécuteur sacré est condamné au désert parce qu’il a accompli
un sacrifice humain, que la société, à ce stade, désapprouve et auquel
elle n’a recours qu’en des temps de profond désespoir. En envoyant
l’exécuteur dans le désert, la société l’excommunie déclarant en effet :
« Il n’est pas des nôtres. Nous ne sommes pas responsables de ce qu’il
a fait. » Il devient un hors-la-loi et n’est plus protégé par les lois de la
société, ce qui fait que le tuer ne constitue pas un crime ; c’est même
un acte méritoire, à cause de l’horreur de son crime, mais aussi parce
que, devenu hors-la-loi, il est craint et ne peut vivre que dans la vio-
lence : il devient une créature du désert, désavouée au démon du
désert.

Dans cet univers de désordre où la Loi se trouve bafouée par


ceux-là mêmes qui sont censés l’incarner, la victime grotesque
va incarner la justice, dans un processus rappelant l’intronisation
du mock-king dans les rites carnavalesques médiévaux, où la per-
sonne la plus faible physiquement et socialement parlant se trou-
vait temporairement investies des prérogatives politiques pour
critiquer et punir les abus du pouvoir, et dont le sacrifice permet-

1.  Esthétiquement et moralement, le Foolkiller movie relève pleinement de la


tradition grotesque, un mode qui court-circuite le sens traditionnellement
généré par la structure mythologique telle qu’étudiée par Lévi-Strauss,
avec ses catégories étanches (bien / mal, centre / périphérie, beau / laid,
masculin / féminin, etc.), et empêche le lecteur ou spectateur de sta-
tuer sur la légitimité de la violence du foolkiller. Sur l’aporie morale sur
laquelle débouche le mode grotesque, voir Geoffrey Galt Harpham, On
the Grotesque, Strategies of Contradiction in Art and Literature, Princeton,
Princeton University Press, 1982.
2. Voir Giorgio Agamben, Le Pouvoir souverain et la vie nue, Homo Sacer,
L’intégrale, Paris, Seuil, “Opus”, 2017. (Maccoby, L’exécuteur sacré. Le
sacrifice humain et le legs de la culpabilité, Paris, Cerf, 1999, p. 43-44).

02-05_christol.indd 7 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 8

tait de ressouder la communauté en la purgeant du « désordre 1 ».


Mock-king contemporain déviant de manière excessive de la
norme morale après avoir accompli ses actions justicières, le fool-
killer est abattu à la fin du film, sacrifié sur l’autel de l’ordre res-
tauré. Ainsi Willard est tué par ses propres rats qui se retournent
contre lui, Carrie meurt poignardée par sa mère et écrasée
sous les décombres de sa maison, Eric Binford (Fade to Black)
est abattu par un sniper, Harry Stadlin ((Brandon Maggart dans
Christmas Evil) se trouve lynché par une foule de vigilantes, etc.

Reprise des motifs de « Hop-Frog »


Les liens entre ces films et « Hop-Frog » sont nombreux. Sans
chercher l’exhaustivité, on peut établir les rapprochements sui-
vants :
– Hop-Frog est un Fou du roi difforme 2. Willard (Bruce Davi-
son), Carrie, Winslow Leach (William Finley, Phantom of the
Paradise) ou Eric Binford (Dennis Christopher, Fondu au noir)
sont, comme le Fou du roi imaginé par Poe, des personnages
socialement marginaux, des outcasts, des misfits, des freaks 3,
bouc-émissaires d’une société dépeinte sous ses traits les plus
noirs. Comme Hop-Frog, qui, en plus d’être nain, se déplace en
boitant, ils souffrent parfois d’un handicap ou d’une difformité

1.  « Il arrive […] qu’on délègue à un membre de la communauté le soin d’as-
sumer ce rôle de roi indigne, de souverain à rebours. Le roi se décharge
sur un individu qui est comme son image retournée de tout ce que son
personnage peut comporter de négatif. Tel est bien le pharmakos : double
du roi, mais à l’envers, semblable à ces souverains de carnaval qu’on
couronne le temps d’une fête, quand l’ordre est mis sens dessus dessous,
les hiérarchies sociales inversées […] alors le trône doit être occupé par
le plus vil, le plus laid, le plus ridicule, le plus criminel. Mais la fête ter-
minée, le contre-roi est expulsé ou mis à mort, entraînant avec lui tout
le désordre qu’il incarne et dont il purge du même coup la commu-
nauté » (Jean-Pierre Vernant, « Ambiguïté et renversement. Sur la struc-
ture énigmatique d’Oedipe Roi », in Mythe et tragédie en Grèce ancienne I.
Paris, La Découverte, 2001, p. 123. Nous développons ce point dans notre
article « Vulnérabilité et intronisation carnavalesque dans le film d’hor-
reur américain des années 1970-1980 » in revue online Leaves, Université
Bordeaux-Montaigne, Pascale Antonin et Nathalie Jaeëck (éds.), 2017)
http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves/55-leaves-n-3-textes/317-vulnera-
bilite-et-intronisation-carnavalesque-dans-le-film-d-horreur-americain-
des-annees-1970-80-f-christol
2. « Notre roi, naturellement, avait son fou. […] Néanmoins, son fou, son
bouffon de profession n’était pas seulement un fou. Sa valeur était tri-
plée aux yeux du roi par le fait qu’il était en même temps nain et boi-
teux ». (Poe, op. cit., p. 164).
3. Ces termes peuvent renvoyer à des réalités singulières, mais nous les
appréhendons ici d’un point de vue structurel et les employons donc
dans le reste de ce texte comme des synonymes.

02-05_christol.indd 8 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 9

physique. Ainsi, après avoir absorbé une potion de sa composi-


tion le transformant en figure bestiale, Vernon Potts dand Horror
High (1974) se met à boiter. De la même manière, David (Derrel
Maury) dans Les Baskets se déchaînent (1976), se met à claudi-
quer après qu’une voiture qu’il est en train de réparer lui a écrasé
la jambe. Dans Phantom of the Paradise (1974), Winslow Leach
(William Finley) a le visage défiguré après l’avoir coincé dans
une presse à disque. De même, le Toxic Avenger (Mitch Cohen)
devient difforme après avoir chuté dans une cuve remplie de pro-
duits toxiques.
– Les figures tyranniques de ces films (le patron de Willard,
le producteur de Phantom of the Paradise, les bullies de Horror
High, les adolescents moqueurs de Carrie) apparaissent comme
des avatars contemporains du roi et des ministres poesques, et
les lycées et camps de vacances retirés dans lesquels se déroulent
ces films peuvent être appréhendés comme autant de déclinai-
sons contemporaines du château isolé du roi. Dans « Hop-Frog »,
le roi torture le bouffon psychologiquement et physiquement en
forçant Hop-Frog à boire à la santé de ses amis disparus (alors
que le fool ne supporte pas l’alcool) puis en lançant le contenu
de son gobelet au visage de Tripetta. 1 On retrouve cette humi-
liation par l’absorption ou la projection de liquide dans les Fool-
killer movies. Ainsi, Carrie est ridiculisée via un seau de sang
de cochon qui lui est déversé dessus, et Jennifer (Lisa Pelikan
dans le film éponyme) et Eddie (Marc Price) dans Trick or Treat
chutent quant à eux dans une piscine suite à une mauvaise plai-
santerie fomentée par des étudiants sadiques.
– Les différentes manifestations festives ponctuant les Fool-
killer movies (le bal de Carrie, la fête du patron de Willard, le
mariage de Swan dans Phantom of the Paradise, Noël dans
Christmas Evil, Halloween dans Teddy : la mort en peluche, etc.),

1. « Quand les deux petits amis obéirent à l’ordre du roi, ils le trouvèrent
prenant royalement le vin avec les sept membres de son conseil privé ;
mais le monarque semblait de fort mauvaise humeur. Il savait que Hop-
Frog craignait le vin ; car cette boisson excitait le pauvre boiteux jusqu’à
la folie […]. Mais le roi aimait ses propres charges et prenait plaisir à
forcer Hop-Frog à boire, et, − suivant l’expression royale, à être gai.
—  Viens ici, Hop-Frog, − dit-il, […] − avale-moi cette rasade à la santé
de vos amis absents […], et sers-nous de ton imaginative. […] Allons,
bois ! – le vin allumera ton génie ! Hop-Frog s’efforça, comme d’habitude,
de répondre par un bon mot aux avances du roi ; mais l’effort fut trop
grand. C’était justement le jour de naissance au pauvre nain, et l’ordre
de boire à ses amis absents fit jaillir les larmes de ses yeux. […]
—  Ha ! ha ! ha ! – rugit ce dernier, comme le nain épuisait la coupe avec
répugnance, − vois ce que peut faire un verre de bon vin ! Eh ! tes yeux
brillent déjà ! […] Ils semblaient tous s’amuser prodigieusement du suc-
cès de la farce royale » (Edgar Poe, op. cit., p. 165-166).

02-05_christol.indd 9 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 10

peuvent être vues comme des avatars de la fête organisé par le


roi dans « Hop-Frog ». Comme chez Poe, la fête tourne au mas-
sacre.
– Comme Hop-Frog portant le costume grotesque du Fou du
roi 1, la victime vengeresse de ces films est souvent déguisée.
Carrie est ainsi vêtue du costume qu’elle s’est elle-même con­­­
fectionnée pour aller au « bal du diable » dans le film de Brian
De Palma. Dans Phantom of the Paradise, Winslow porte un
costume moulant en cuir, une grande cape noire et un masque
d’oiseau dérobés dans une pièce du Paradise où sont remisés
les costumes. Dans Christmas Evil, Harry Stadlin endosse un
costume de Père Noël de sa propre fabrication avant d’entamer sa
mission vengeresse. Lors de ses virées meurtrières, Eric Binford
(Dennis Christopher dans Fondu au noir) revêt divers costumes
inspirés de ses films préférés. Il apparaît ainsi déguisé en momie,
en Dracula, ou encore en gangster inspiré de James Cagney.
Quant au Toxic Avenger, il porte un tutu de danse lui conférant
une allure ridicule.
– Hop-Frog tue le roi et ses ministres de manière specta­culaire,
les pendant au-dessus de la salle de bal, puis mettant feu à leur
costume devant les invités. De même, le foolkiller tue souvent ses
victimes en les pendant ou en les brûlant pendant que des per-
sonnes assistent, impuissantes, à l’exécution (incendie du lycée
provoqué par Carrie ; celui de l’église brûlant les bullies dans
Messe noire ; électrocution du chanteur ridicule Beef par un néon
lancé par Winslow dans Phantom of the Paradise, mort de Swan
devant le public assemblé pour son mariage ultra-médiatique
dans le même film, etc.).
– Dans « Hop-Frog », le fool tue par le biais d’une inversion
carnavalesque en transformant des costumes destinés à faire
rire (les déguisements simiesques prévus pour la mascarade)
en instruments de mort, c’est à dire en détournant ces figures
du cadre festif 2. Ce détournement est également présent dans
de nombreux Foolkiller movies. Ainsi, dans Horror High, Vernon
tue son professeur d’anglais en la décapitant avec un massi-

1.  « À l’époque où se passe cette histoire, les bouffons de profession n’étaient
pas tout à fait passés de mode à la cour. Quelques-unes des grandes
puissances continentales gardaient encore leurs fous ; c’étaient des mal-
heureux, bariolés, ornés de bonnets à sonnettes, et qui devaient être
toujours prêts à livrer, à la minute, des bons mots subtils, en échange des
miettes qui tombaient de la table royale » (Id., p. 164).
2.  Mikhaïl Bakhtine note que, dans le carnaval, les objets quotidiens comme
les ustensiles de cuisine sont détournés de leur fonction habituelle et
transformés en armes parodiques (Mikhaïl Bakhtine, L’œuvre de François
Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance,
Paris, Gallimard, 1970, p. 408).

02-05_christol.indd 10 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 11

cot, objet du quotidien employé ici comme une arme, retour-


nant contre le professeur sadique l’objet par lequel elle avait
humilié le jeune homme au début du film en réduisant en lam-
beaux son devoir de biologie. De même, dans Phantom of the
Paradise, Winslow tue Beef en transformant un néon servant au
spectacle musical en arme. Au moment où le rocker commence
à chanter, Winslow fait chuter le néon sur lui et l’électrocute.
Dans Christmas Evil, Harry Stadlin égorge une de ses victimes
avec une étoile de Noël et tue quelqu’un qui s’est moqué de lui
en lui plantant la baïonnette d’un soldat de plomb dans l’œil 1.
– Dans « Hop-Frog », les invités, étourdis par l’atmosphère dio-
nysiaque et fantasque du bal masqué, pensent un temps que l’hu-
miliation et la mise à mort du Roi et de ses courtisans font partie
intégrale du spectacle. Ils ne comprennent leur erreur que trop
tard. On retrouve cette idée d’indistinction entre réel et fiction
dans plusieurs Foolkiller movies. Certains meurtres de Phantom
of the Paradise se déroulent ainsi pendant un spectacle et jouent
sur la confusion entre représentation et réel. C’est notamment
le cas de la mort de Beef, électrocuté sur scène alors qu’il est en
train de chanter : ne comprenant pas que sa mort est réelle, le
public continue à danser et à s’amuser 2. C’est également le cas
des morts de Swan et de Winslow qui ont lieu durant la céré-
monie de mariage du producteur, mais pendant laquelle la foule
continue néanmoins à danser. Dans Fondu au noir, Eric exé-
cute deux bullies à une fête foraine. Lorsqu’il apparaît, déguisé
en cowboy, les deux hommes sont persuadés qu’il s’agit d’une
attraction liée à la fête foraine, l’atmosphère carnavalesque de
celle-ci codant les événements comme « fictifs ». L’illusion prend
fin quand Eric leur tire réellement dessus. Dans Trick or Treat,
Sammie Curr (Tony Fields), une star de heavy metal ramenée à
la vie par un adolescent martyrisé, massacre plusieurs personnes
pendant le bal de fin d’année du lycée par le biais de rayons lasers
« tirés » par sa guitare électrique. Le bal ayant pour thème Hal-
loween, plusieurs lycéens pensent qu’il s’agit d’effets spéciaux.
Comme les invités du roi dans « Hop-Frog », ils ne comprennent
leur erreur que trop tard
– Comme Hop-Frog, qui se venge et punit également l’humi-
liation de Tripetta, le foolkiller exécute ceux qui se sont moqués

1. Pour une analyse plus développée de ce film, nous renvoyons à notre


article « Christmas Evil and the Cultural Myth of the Foolkiller », in
Yuletide Terror : Christmas Horror on Film and Television, éd. Kier-La
Janisse, Paul Corupe, Spectacular Optical, 2017.
2.  Pour une élaboration sur cette scène, voir Jean-Baptiste Thoret, 26 secon­­
des. L’Amérique éclaboussée. L’assassinat de JFK et le cinéma américain,
Pertuis, Rouge profond, 2003, p. 95-104.

02-05_christol.indd 11 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 12

de lui mais aussi ceux dont le comportement irresponsable met


en péril un de ses proches. Ainsi, Willard punit son patron Martin
(Ernest Borgnine) après qu’il a tué Socrates, un rat inoffensif,
et tyrannisé la frêle Joan (Sandra Locke). Vernon défend Robin
(Rosie Holotik) dans Horror High, et Winslow protège Phoenix
(Jessica Harper) dans Phantom of the Paradise.

Ces exemples devraient suffire à appréhender les similitudes


frappantes existant entre « Hop-Frog » et les films de notre corpus.
Carrie, qui se venge de ses persécuteurs lors du bal de fin d’an-
née, les adolescents martyrisés de Horror High et des Baskets se
déchaînent qui assassinent leurs bourreaux sans aucun remords,
le Père Noël meurtrier de Christmas Evil, tous ces personnages
et bien d’autres peuvent être envisagés comme des incarnations
contemporaines du bouffon meurtrier de Poe.

Notons toutefois qu’au-delà du déplacement géographique et


temporel de l’action dans l’Amérique contemporaine, il existe une
différence importante entre « Hop-Frog » et ces films : alors que le
foolkiller est tué à la fin des films, chez Poe Hop-Frog s’échappe
en toute impunité après avoir assassiné le roi. Pour significa-
tives qu’elles soient, ces différences ne devraient cependant pas
nous détourner des ressemblances multiples qui existent entre
les deux objets. Ces films restituent en outre des éléments de la
nouvelle absents de la version de Roger Corman, a priori plus
« fidèle », particulièrement la notion de violence collective : là où
Alfredo est seul à humilier le fool dans Le Masque de la mort
rouge, les Foolkiller movies mettent en scène un groupe de persé-
cuteurs. Ils reprennent également l’idée d’individus entraînés par
un meneur particulièrement puissant ou influent, de même que
les ministres se moquent des deux nains sous l’influence du roi
dans « Hop-Frog ». Ainsi dans Carrie, la farce est initiée par Chris
Hargensen (Nancy Allen) ; ses collaborateurs (dont son petit ami,
interprété par John Travolta) ne font que céder à la séduction
du leader charismatique telle qu’analysée par Freud dans son
ouvrage sur la psychologie des foules 1. Si ces œuvres s’éloignent
donc à certains égards de la lettre du conte de Poe, elles sont
en définitive plus proches de celui-ci que l’adaptation « officielle »
de Corman. Elles paraissent reprendre ce que Michel Serceau,
écrivant sur les remakes, appelle la « substance » mythique de
l’originel :

1. Sigmund Freud, Psychologie des masses et analyse du moi, Paris, PUF,


« Quadrige », 2010.

02-05_christol.indd 12 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 13

Le véritable remake de King Kong ne serait pas King Kong mais Les
Dents de la mer. Le véritable remake de La chose d’un autre monde
serait moins La Chose qu’Alien. Le mot remake perd ici son sens éty-
mologique pour acquérir un sens métaphorique. Ce n’est plus le récit
filmique qui est à nouveau fabriqué après avoir été créé. C’est sa subs-
tance qui, en dépit du récit ou scénario original aussi bien que de la
réalisation est réinventée. 1

Dans cette logique, on pourrait dire que la véritable adapta-


tion de « Hop-Frog » au cinéma est moins la version « officielle »
proposée en Roger Corman en 1964 (au fond assez peu fidèle à
Poe), que Horror High, Carrie, Le baiser de la tarentule ou encore
Teddy : la mort en peluche, c’est-à-dire des films tournés dans les
années 1970-1980, qui n’ont aucun rapport explicite avec la nou-
velle de Poe, mais qui retranscrivent « l’esprit » de celle-ci avec
leurs propres ressources figuratives.

Du Foolkiller movie au slasher :


une question de point de vue
Le schéma narratif qui se déploie dans le Foolkiller movie (une
victime abusée se retourne violemment contre ses tourmenteurs)
se retrouve également dans de nombreux slashers produits suite
au succès de La Nuit des masques (Halloween, John Carpenter,
1978) 2. Dans L’ange du mal (The Redeemer, Constantine Gochis,
1978), un concierge difforme (T. G. Finkbinder) exécute des
personnes qui persécutaient les plus faibles au lycée. Dans Ven-
dredi 13 (Friday the 13th, Sean Cunningham, 1980), une mère
(Betsy palmer) tue des adolescents symbolisant à ses yeux les
personnes responsables de la mort de son fils trisomique Jason.
Dans Carnage (The Burning, Tony Maylam, 1981), Cropsy (Lou
David), un gardien de camp de vacances (Lou David), est victime
d’une mauvaise plaisanterie (il est gravement brûlé) de la part
d’adolescents dont il est le souffre-douleur, et revient des années

1.  Michel Serceau, « Le remake et l’adaptation », in CinémAction, no 53, Guy


Hennebelle (dir.), Condé-sur-Noireau, Corlet, octobre 1989, p. 11.
2.  Nous n’avons pas ici la place de développer le cas de Halloween. En dépit
des apparences (Michael Myers ne se venge pas d’une personne qui l’a
harcelé), le film de Carpenter peut être indexé sur le genre que nous
dégageons ici. Le film s’ouvre en effet sur le meurtre d’une jeune fille
irresponsable (elle préfère folâtrer avec son boyfriend que de s’occuper
de son jeune frère) par son frère, un jeune garçon vêtu d’un costume
de jester (Fou du roi) lors de la fête d’Halloween. On se trouve donc
d’emblée dans le cadre esthétique et moral du Foolkiller movie (Voir nos
article « La violence du slasher film : une affaire de morale », Darkness
n° 15, Besançon, Sin’Art, 2014, et « Était-ce bien le croque-mitaine ?
Pour une démystification d’Halloween », in CinémAction, Les cinémas de
l’horreur, éd. Anne-Marie Paquet-Deyris, Paris, Corlet, 2010.

02-05_christol.indd 13 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 14

plus tard sur les lieux de l’accident en massacrant un groupe de


jeunes qui symbolisent à ses yeux ceux qui l’ont victimisé. Dans
The House on Sorority Row (Mark Rosman, 1981), le tueur ­(Car-
los Sério) venge la mort de sa mère, accidentellement tuée à la
suite d’une mauvaise plaisanterie fomentée par des étudiantes.
On retrouve dans ces films plusieurs éléments esthétiques
caractéristiques du Foolkiller movie, notamment le déguisement
du tueur. Grandissant isolé des autres enfants dans une chambre
dont les murs sont tapissés de dessins de clowns de cirque, le
tueur de The House on Sorority Row apparaît à la fin du film
revêtu d’un costume de bouffon vert et rouge avec une collerette
blanche et des pompons ainsi que d’un masque de clown blanc
et rouge. Le tueur difforme de L’ange du mal assouvit celle-ci à
l’aide de mannequins clownesques qu’il manipule par le biais de
pouvoirs télépathiques à la Carrie. On retrouve également dans
ces films le cadre festif (Halloween, Noël, bal de fin d’année, fête
d’anniversaire, etc.), ainsi que le motif de la difformité physique.
Dans Carnage, le visage et le corps de Cropsy sont horriblement
brûlés suite à la mauvaise farce dont il a été victime. D’autres
tueurs présentent des difformités congénitales, tells que Jason
Voorhees ou le tueur de The House on Sorority Row qui ont un
crâne hypertrophié. Cependant, à la différence de Carrie ou Wil-
lard, le point de vue dominant dans ces slashers n’est pas celui de
la victime vengeresse mais celui de ses tourmenteurs (et futures
victimes), comme si « Hop-Frog » était raconté non plus du point
de vue du bouffon mais de celui du roi ou de ses courtisans
sadiques. Une fois passée la scène d’ouverture dévoilant l’ori-
gine de son traumatisme, le fool se trouve en effet rejeté dans le
hors-champ, son point de vue se trouvant désormais indiqué par
des plans en caméra subjective. Lors de son affrontement avec
la dernière survivante (la Final Girl), il réapparaît plein cadre,
mais assez brièvement, le temps de se faire refouler pour de bon.
En utilisant la terminologie de Rick Altman, on pourrait dire
que le slasher constitue une réorganisation syntaxique d’élé-
ments sémantiques apparus dans le Foolkiller movie 1. En outre,
la victimisation du futur tueur est, la plupart du temps, visualisée
brièvement au début du film ou racontée par un personnage sur
le mode de l’anecdote. À l’opposé des moqueries cruelles et répé-
tées dont est victime le foolkiller, le trope de la blague qui tourne
mal déresponsabilise en partie les coupables et produit l’image
d’un tueur dont la violence, excessive, n’est plus conceptualisée
comme une forme de justice mais comme une expression pul-

1.  Rick Altman, Film / Genre, Londres, BFI Publishing, 1999.

02-05_christol.indd 14 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 15

sionnelle purement criminelle. La reconfiguration syntaxique


de l’histoire empêche le spectateur d’entrer en empathie avec le
tueur et de comprendre les raisons de sa violence. Alors que le
foolkiller est humanisé, le tueur du slasher est présenté comme
une présence quasi spectrale traquant la jeunesse américaine,
« un maniaque qui, telle une machine sans émotions, est débar-
rassé des marqueurs reconnaissables de l’humanité, le trans-
formant en une créature à la fois inhumaine et surhumaine » 1.
Le slasher transforme ainsi la figure pathétique mais humaine
du foolkiller en monste psychopathe 2. À l’inverse du Foolkiller
movie, qui montre la culpabilité de la foule et révèle l’innocence
de la victime, le slasher, à la manière du mythe chez René Girard,
se présente comme une opération de déni, déplaçant la culpabi-
lité de la communauté sur une figure présentée comme psycho-
tique et monstrueuse 3.

Dégénérescence clownesque
La série des « Freddy » inaugurée en 1984 par Wes Craven
marque une nouvelle évolution dans la formule originelle, inver-
sant les codes du genre en faisant du tueur un monstre sadique
qui, au lieu de punir ceux qui s’en prennent aux plus vulnérables,
les met au contraire en péril. Premier film d’une série extrême-
ment populaire qui compte aujourd’hui sept épisodes (et un cros-
sover très médiatisé, Freddy vs. Jason, sorti en 2003), Les Griffes
de la nuit (A Nightmare on Elm Street, Wes Craven, 1984) signale
la première apparition de Freddy Krueger (Robert Englund),
croque-mitaine muni d’un gant aux lames d’acier, autant connu
pour ses jeux de mots bouffons que pour son aspect terrifiant.
Tueur d’enfants lynché par des parents furieux après que la jus-
tice institutionnelle a échoué à le mettre en prison, Freddy revient
d’entre les morts pour se venger en massacrant les enfants de ses
bourreaux. S’immisçant dans les rêves de ses victimes, il prend
la forme de leurs pires cauchemars et les tue dans leur sommeil.

1.  Richard Nowell, Blood Money, A History of the First Teen Slasher Film Cycle,
New York, Continuum, 2011, p. 23.
2.  Depuis le milieu des années 1990 on assiste cependant à une résurgence
régulière de cette formule de slashers fondés sur la vengeance d’un
freak ou fool harcelé avec des films comme Valentine (Jamie Blanks,
2001), Tamara (Jeremy Haft, 2005), Burger Kill (Drive Thru, Brendan
Cowles, 2007), Truth or Die (Robert Heath, 2007), Dark Clown (Stitches,
Conor McMahon, 2012), ainsi que l’épisode de la série Masters of Horror,
Péchés de jeunesse (We All Scream for Ice Cream, Tom Holland, 2007).
Cette résurgence est selon-nous à mettre en lien avec l’explosion des
tueries scolaires dans les années 1990/2000.
3.  Voir René Girard, La violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972.

02-05_christol.indd 15 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 16

Dans ce film et la série qui en découle, certains motifs du


Foolkiller movie sont encore discernables. Comme Vernon (Hor-
ror High) ou Carrie, Freddy possède des attributs physiques
grotesques (il est extrêmement maigre et son visage porte des
traces de brûlure). Cependant, à l’inverse des Foolkiller movies
et des slashers, où la victime « innocente » bascule dans la crimi-
nalité suite à la persécution dont elle est l’objet, la criminalité
de Freddy précède son lynchage. Dans la logique diégétique et
idéologique du film, Freddy n’est pas un bouc émissaire inno-
cent mais un criminel qui « mérite » son châtiment. Adepte des
mauvaises plaisanteries et des jeux de mots douteux, il joue la
fonction du mauvais plaisantin prise en charge par le roi dans
« Hop-Frog ». Dans cette perspective, et en considérant le slasher
et la série des Freddy comme des reformulations du Foolkiller
movie (se constituant largement, sur un plan idéologique, en
opposition à lui), Carrie, bouc émissaire persécuté, et Freddy,
tueur d’enfants, ne constitueraient pas deux figures opposées ou
n’ayant aucun rapport – comme cela est souvent présenté – mais
la même figure appréhendée à deux stades de son évolution his-
torique et génétique. Pour le dire autrement, alors que Carrie
serait un équivalent contemporain de Hop-Frog, Freddy pourrait
être considéré comme ce que serait devenu le bouffon une fois
le roi assassiné, la loi ne voyant désormais en lui qu’un « clown »
criminel car n’ayant plus accès aux origines de la violence du
Foolkiller (le harcèlement répété).
Un cycle de films mettant en scène des clowns maléfiques
(It [1984], Blood Harvest [1987], Clownhouse [1989]), versions
terminales et négatives du foolkiller, entérine ce changement
de paradigme : là où Hop-Frog est un clown qui se fait justicier
en vengeant les abus du roi, ces clowns tueurs s’en prennent,
comme Freddy, aux plus vulnérables. En parallèle à ce devenir
horrifique, certains attributs du genre migrent vers la comédie
avec des films comme Les tronches (Revenge of the Nerds, Jeff
Kanew, 1984), racontant la vengeance burlesque de nerds à
l’Université. Une autre évolution est la transformation du genre
en films destinés à des enfants ou des jeunes adolescents, dans
lesquels des créatures surnaturelles, magiques ou animales
viennent à l’aide d’enfants maltraités, abandonnés, persécutés,
comme The Garbage Pail Kids Movie (Rod Amateau, 1987), The
Heavenly Kid (Cary Medoway, 1987), Cameron’s Closet (Armand
Mastroianni, 1988), The Invisible Kid (Avery Crounse, 1988), Mac
and Me (Stewart Raffill, 1988), Little Monsters (Richard Green-
berg, 1989), The Willies (Brian Peck, 1990), ou Munchie (Jim
Wynorski, 1992). Dans ces films le foolkiller se trouve clivé en
deux figures distinctes : l’enfant maltraité et la figure « mons-

02-05_christol.indd 16 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 17

trueuse » venant le venger.

Dans cet article nous avons tâché de montrer que toute une
série de films d’horreur des années 1970-1980 constituaient des
réécritures plus ou moins directes du conte d’Edgar Poe « Hop-
Frog », et que tout un pan du cinéma d’horreur (dont le slasher ou
la série des Freddy) pouvait être éclairé et réévalué à l’aune de
cette fiction. Comment rendre compte des rapprochements que
nous proposons ici entre deux objets a priori si dissemblables
(une nouvelle de quelques pages publiée en 1849 et des dizaines
de films des années 1970-1980) ? Ceux-ci sont-ils conscients,
voire volontaires de la part des auteurs (réalisateurs, produc-
teurs, scénaristes, acteurs, etc.) de ces films ? La réponse à cette
question est, de prime abord, négative. En effet, ce rapproche-
ment n’apparaît dans aucun des livres sur le cinéma fantastique
ou sur le film d’horreur consultés, ni dans les revues spécialisées
épluchées pour ce travail. Il est vrai qu’on ne peut en déduire
que ces auteurs ne connaissaient pas, directement ou indirecte-
ment, la nouvelle. Poe fait partie de l’imaginaire culturel amé-
ricain ; c’est aujourd’hui encore un auteur très étudié dans les
lycées par exemple. Son actualité demeure indéniable, et « Hop-
Frog », son dernier texte fictionnel achevé, est une référence
relativement connue dans la culture américaine 1. Il ne fait aucun
doute, par exemple, que Stephen King, grand lecteur de Poe et
amateur de films d’horreur et de revues d’épouvante, connaît
la nouvelle. Bien que le maître de l’épouvante n’en ait, à notre
connaissance, jamais fait mention explicite, Carrie constitue une
réécriture relativement évidente de « Hop-Frog » 2. S’il est possible
que les auteurs des Foolkiller movies aient songé, consciem-
ment ou inconsciemment, au conte de Poe en créant ces films,
ce n’est cependant pas l’hypothèse que nous privilégions. Nous
pensons plutôt que ces auteurs ont « réécrit » « Hop-Frog » sans
s’en rendre compte (pour ceux qui connaissaient ce texte) et sans

1.  Nous avons déjà mentionné l’adaptation de Roger Corman, mais la nou-
velle fit également l’objet de deux adaptations dans des magazines de
bandes dessinées d’épouvante : une en 1954 dans la revue Nightmare et
l’autre en 1965 dans la revue Creepy. « Hop-Frog » a aussi été adapté plu-
sieurs fois à la radio et a été illustré à différentes reprises, notamment
par le grand illustrateur anglais Arthur Rackham.
2.  On trouve même une référence partiellement cryptée au bouffon de Poe
qui n’a, à notre connaissance, jamais été relevée, dans le passage où
King décrit l’attitude de Carrie sur scène, lors du bal de fin d’année :
« She almost got tangled in her own feet and fell over, and that made
people laugh even more. Then she sort of… hopped off the stage. It was
like watching a big red frog hopping off a lily pad » (Stephen King, Carrie,
New York, Anchor Books, 2002, p. 200). Nous soulignons.

02-05_christol.indd 17 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 18

doute (pour la plupart) sans même savoir que cette nouvelle exis-
tait. Comment peut-on réécrire un texte sans jamais l’avoir lu ?
Un tel phénomène n’est envisageable qu’à condition que le conte
de Poe dépasse le stade d’une « simple » expression artistique ou
littéraire, et soit la manifestation d’un archétype ou d’un mythe
culturel dont les films constitueraient une expression contempo-
raine. On peut ici rappeler qu’un mythe est une entité narrative
désincarnée seulement appréhendable dans des artefacts tels
que des textes littéraires, des films, des peintures, etc. Comme
l’écrit Richard Slotkin,
the mythopeic mode of consciousness is dependent on – but distinct
from – the myth-artefact, which is the actual tale or some sacred image
or object connected with the myth-narrative. The artefact symboli-
cally embodies the mythopoeic perception and makes it concrete and
communicable. The legends and stories we commonly call myths are
simply the artefacts of the myth, and they retain their mythic powers
only so long as they can continue to evoke in the minds of succeeding
generations a visions analogous in its compelling power to that of the
original mythopoeic perception. 1
[Le mode de conscience mythopoétique dépend de – mais est dis-
tinct de – l’artefact mythique, qui est le récit ou une image ou objet
sacré connecté au récit mythique. L’artefact incarne symboliquement
la perception mythopoétique et la rend concrète et communicable. Les
légendes et histoires que nous appelons communément des mythes
sont en fait des artefacts mythiques, et ils retiennent leur pouvoir
mythique tant qu’ils continuent à évoquer dans l’esprit des générations
qui se succèdent une vision analogue dans son pouvoir d’évocation à
celle de la perception mythopoétique originelle.]

Dudley Andrews rappelle quant à lui que les textes littéraires


souvent repris au cinéma (l’œuvre de Shakespeare par exemple)
recèlent en général un certain nombre de thèmes ou de symboles
mythiques dont la société a régulièrement « besoin » pour sur-
monter des contradictions idéologiques qui peuvent se poser en
situation de crise par exemple, ou fournir une morale, un modèle
d’action individuelle ou collective lorsque la culture « contempo-
raine » se révèle impuissante à trouver des réponses à tel ou tel
problème 2. L’exemple proposé par Andrews implique que les
auteurs de ces films sont conscients de s’inspirer d’une œuvre
préexistante. Mais on peut très bien imaginer que la culture ait
« besoin » de mobiliser un mythe dont il existe une ou plusieurs
formulations littéraires sans que les auteurs soient conscients

1. Richard Slotkin, Regeneration through Violence, The Mythology of the


American Frontier, Norman, University of Oklahoma Press, 1973, p. 8-9.
2.  Dudley Andrews, « Concepts in Film Theory », in Film Theory and Criticism,
Leo Braudy and Marshall Cohen (éds.), Oxford, Oxford University Press,
2009, p. 463

02-05_christol.indd 18 31/03/2020 12:29


de l’existence de celles-ci. C’est, selon nous, ce qui s’est passé
dans le cas des Foolkiller movies. À plus d’un siècle d’intervalle,
les films seraient venus reformuler le mythe culturel « attrapé »,
comme un papillon, par Poe, et couché sur papier dans « Hop-
Frog ». Afin de ne pas multiplier inutilement les terminologies,
nous nommerons celui-ci le « mythe du Foolkiller ». Selon cette
hypothèse, « Hop-Frog » ne serait, à l’instar de Carrie ou The Pit,
qu’une version singulière, originelle, de ce mythe dans l’espace
culturel américain 1.

FLORENT CHRISTOL
CAS, UNIVERSITÉ TOULOUSE JEAN-JAURÈS

1.  Le rejet brutal du Freaks de Tod Browning par le public à sa sortie en 1931
est la preuve que le contexte socio-culturel de l’époque n’était pas adé-
quat pour l’épanouissement de ce mythe. Nous n’avons pas ici la place
pour évoquer les raisons ayant poussé la culture américaine à activer le
potentiel mythique de la nouvelle de Poe dans les années 1970. Le lec-
teur curieux trouvera des hypothèses de réponses à cette question dans
l’article « La violence du slasher film », op. cit.

02-05_christol.indd 19 31/03/2020 12:29


« h o p - f r o g  » (1849) , f i c t i o n m at r i c i e l l e … 20

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

AGAMBEN Giorgio, Le pouvoir souverain et la vie nue, Homo Sacer,


L’intégrale, Paris, Seuil, « Opus », 2017.
ALTMAN , Rick, Film / Genre, Londres, BFI Publishing, 1999.
BAKHTINE , Mikhaïl, L’œuvre de François Rabelais et la culture popu-
laire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Gallimard, « Tel », 1970.
BROWN , Richard Maxwell. Strain of Violence : Historical Studies of
American Violence and Vigilantism, New York, Oxford University
Press, 1975.
CHRISTOL , Florent, «  La violence du slasher film : une affaire de
morale », in Darkness n° 15, Besançon, Sin’Art, 2014.
— «  The Foolkiller Movie  : Uncovering an Overlooked Horror
Genre », in Interdisciplinary Humanities : Expanding the Scope of
Horror, éds. Edmund Cueva et William Nowak, El Paso, University
of Texas, 2016, p. 93-106.
— « Christmas Evil and the Cultural Myth of the Foolkiller », in Yule-
tide Terror : Christmas Horror on Film and Television, éd. Kier-La
Janisse, Paul Corupe, Spectacular Optical, 2017.
—  « Vulnérabilité et intronisation carnavalesque dans le film d’hor-
reur américain des années 1970-1980 », in revue online Leaves, Uni-
versité Bordeaux-Montaigne, éds. Pascale Antonin, Nathalie Jaeëck,
http://climas.u-bordeaux3.fr/leaves/55-leaves-n-3-textes/317-
vulnerabilite-et-intronisation-carnavalesque-dans-le-film-d-hor-
reur-americain-des-annees-1970-80-f-christol 2017.
—  « Était-ce bien le croque-mitaine ? Pour une démystification d’Hal-
loween », in CinémAction, Les cinémas de l’horreur, éd. Anne-Marie
Paquet-Deyris, Paris, Corlet, 2010, p. 105-111.
CLOVER , Carol, Men, Women, and Chain Saws : Gender in the Modern
Horror Film, Princeton, Princeton University Press, 1988.
CONNELL , Raewyn, Masculinities, Cambridge, Polity, 1995.
FREUD , Sigmund, Psychologie des masses et analyse du moi, Paris,
PUF, « Quadrige », 2010.
GIRARD , René, La violence et le sacré, Paris, Hachette, 1972.

02-05_christol.indd 20 31/03/2020 12:29


FLORENT CHRISTOL 21

HARPHAM , Geoffrey Galt, On the Grotesque, Strategies of Contradic-


tion in Art and Literature, Princeton, Princeton University Press,
New Jersey, 1982.
JANCOVICH , Marc (éd.), Horror, the Film Reader, Londres, Routledge,
2002.
KING , Stephen, Carrie, New York, Anchor Books, 2002.
KLAPP , Orian, « The Fool as a Social Type », in American Journal of
Sociology, septembre 1949, vol. 55, no 2, p. 157-162.
NOWELL , Richard, Blood Money, A History of the First Teen Slasher
Film Cycle, New York, Continuum, 2011.
POE , Edgar Allan, « Hop-Frog » (1849).
SERCEAU , Michel, « Le remake et l’adaptation », in CinémAction, no 53,
Guy Hennebelle (dir.), Condé-sur-Noireau, Corlet, octobre 1989,
p. 11.
SLOTKIN , Richard Slotkin, Regeneration through Violence, The Mytho-
logy of the American Frontier, Norman, University of Oklahoma
Press, 1973, p. 8-9.
THORET , Jean-Baptiste, 26 secondes. L’Amérique éclaboussée. L’assas-
sinat de JFK et le cinéma américain, Pertuis, Rouge profond, 2003.
VERNANT , Jean-Pierre, « Ambiguïté et renversement. Sur la structure
énigmatique d’Oedipe Roi », in Mythe et tragédie en Grèce ancienne I,
Paris, La Découverte, 2001, p. 123.
WILLEFORD , William, The Fool and his Scepter. A Study in Clowns
and Jesters and Their Audience, Evanston, Northwestern University
Press, 1969.
WELSFORD , Enid, (1961), The Fool. His Social and Literary History,
Anchor Edition.

02-05_christol.indd 21 31/03/2020 12:29

Vous aimerez peut-être aussi