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Autre chanson
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Leconte de Lisle (1818-1894)
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Midi
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Mort du soleil
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: Toru Dutt: Autumn Sunset ]
Rêve du jaguar
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Les elfes
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Mort de Valmiki
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José-Marie Hérédia (1842-1905)
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L'oubli
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La jeune morte
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Le chevrier
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Charles Baudelaire (1821-1867)

Abel et Caïn
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Hamonie du soir
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Paul Verlaine (1844-1896)
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Chanson d'automne
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Art poétique
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Marceline Desbordes-Valmore (1786-1856)
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Pour endormir l’enfant
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L’oreiller d’une petite fille
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La Sincère Loin du monde
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Qu’en avez-vous fait?
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Loin du monde
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Maurice Maeterlinck (1862-1949)
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Désirs d'hiver
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Regards
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Sully Pudhomme (1839-1908)
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Un songe
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Charles van Lerberghe (1861-1907)
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Quand vient le soir
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Emile Verhaeren (1855-1916)
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C'est la bonne heure, où la lampe s'allume...
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Jean Dominique
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Paul Géraldy(1885-1983)
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Iwan Gilkin (1858-1924)
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La chanson des forges
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Jean Lahor ( Henri Cazalis d Ff" ,1840-1909)
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Fernand Séverin (1867-1931)
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Frédéric Mistral ( Frederic Mistral, 1830-1914)
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Rouget de Lisle
La Marseillaise
Allons, enfants de la Patrie,
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie,
L'étendard sanglant est levé, (bis)
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats ?
Ils viennent jusque dans vos bras
Égorger vos fils et vos compagnes !
(Refrain :) Aux armes, citoyens
Formez vos bataillons
Marchons, marchons !
Qu'un sang impur
Abreuve nos sillons !

Que veut cette horde d'esclaves,


De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés ? (bis)
Français, pour nous, ah ! quel outrage !
Quels transports il doit exciter !
C'est nous qu'on ose méditer
De rendre à l'antique esclavage !
Refrain

Quoi ! des cohortes étrangères


Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fiers guerriers ! (bis)
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Grand Dieu ! par des mains enchaînées
Nos fronts sous le joug se ploieraient
De vils despotes deviendraient
Les maîtres de nos destinées !
Refrain
Tremblez, tyrans et vous perfides
L'opprobre de tous les partis,
Tremblez ! vos projets parricides
Vont enfin recevoir leurs prix ! (bis)
Tout est soldat pour vous combattre,
S'ils tombent, nos jeunes héros,
La terre en produit de nouveaux,
Contre vous tout prêts à se battre !
Refrain

Français, en guerriers magnanimes,


Portez ou retenez vos coups !
Épargnez ces tristes victimes,
À regret s'armant contre nous. (bis)
Mais ces despotes sanguinaires,
Mais ces complices de Bouillé,
Tous ces tigres qui, sans pitié,
Déchirent le sein de leur mère !
Refrain

Amour sacré de la Patrie,


Conduis, soutiens nos bras vengeurs
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs ! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents,
Que tes ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire !
Refrain

Nous entrerons dans la carrière


Quand nos aînés n'y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus (bis)
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre

Enfants, que l'Honneur, la Patrie


Fassent l'objet de tous nos vœux !
Ayons toujours l'âme nourrie
Des feux qu'ils inspirent tous deux. (Bis)
Soyons unis ! Tout est possible ;
Nos vils ennemis tomberont,
Alors les Français cesseront
De chanter ce refrain terrible :
Aux armes, citoyens ! Etc.
Refrain
Après des siècles d'esclavage,
Le Belge sortant du tombeau,
A reconquis par son courage,
Son nom, ses droits et son drapeau.
Et ta main souveraine et fière,
Désormais peuple indompté,
Grava sur ta vieille bannière:
Le Roi, la Loi, la Liberté!

Marche de ton pas énergique,


Marche de progrès en progrès;
Dieu qui protège la Belgique,
Sourit à tes mâles succès.
Travaillons, notre labeur donne
À nos champs la fécondité!
Et la splendeur des arts couronne
Le Roi, la Loi, la Liberté!

Ouvrons nos rangs à d'anciens frères,


De nous trop longtemps désunis;
Belges, Bataves, plus de guerres.
Les peuples libres sont amis.
À jamais resserrons ensemble
Les liens de fraternité
Et qu'un même en' nous rassemble :
Le Roi, la Loi, la Liberté!
Noble Belgique, ô mère chérie,
À toi nos cœurs, à toi nos bras!
À toi notre sang, ô Patrie!
Nous le jurons tous tu vivras!
Tu vivras toujours grande et belle
Et ton invincible unité
Aura pour devise immortelle:
Le Roi, la Loi, la Liberté!
Pierre de Ronsard
(1524-1565)
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, devidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant :
Ronsard me celebroit du temps que j'estois belle.

Lors, vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,


Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille resveillant,
Benissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre et fantaume sans os :


Par les ombres myrteux je prendray mon repos :
Vous serez au fouyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et vostre fier desdain.


Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.
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Jean de La Fontaine (1624-1695)
L'Homme entre deux âges, et ses deux maîtresses
Un homme de moyen âge,
Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il était saison
De songer au mariage.
Il avait du comptant,
Et partant
De quoi choisir. Toutes voulaient lui plaire ;
En quoi notre amoureux ne se pressait pas tant ;
Bien adresser n'est pas petite affaire.
Deux veuves sur son coeur eurent le plus de part :
L'une encor verte, et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparait par son art
Ce qu'avait détruit la nature.
Ces deux Veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'allaient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.
La Vieille à tous moments de sa part emportait
Un peu du poil noir qui restait,
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La Jeune saccageait les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles,
Qui m'avez si bien tondu ;
J'ai plus gagné que perdu :
Car d'Hymen point de nouvelles.
Celle que je prendrais voudrait qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.
Il n'est tête chauve qui tienne,
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon.
Voltaire
(1694-1778)
Adieux à la vie.
Adieu ! Je vais dans ce pays
D'où ne revint point feu mon père.
Pour jamais adieu, mes amis,
Qui ne me regretterez guère,
Vous en rirez, mes ennemis.
C'est le Requiem ordinaire.
Vous en tâterez quelque jour,
Et, lorsque aux. ténébreux rivages
Vous irez trouver vos ouvrages,
Vous ferez rire à votre tour.

Quand sur la scène de ce monde


Chacun a joué son rôlet.
En partant il est à la ronde
Reconduit à coups de sifflet.
Dans leur dernière maladie
J'ai vu des gens de tous états
Vieux évêques, vieux magistrats,
Vieux courtisans à l'agonie...
Le public malin s'en moquait ;

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La satire un moment parlait
Des ridicules de sa vie ;
Puis à jamais on l'oubliait :
Ainsi la farce était finie...

Petits papillons d'un moment,


Invisibles marionnettes
Qui volez si rapidement
De Polichinelle au néant,
Dites-moi donc ce que vous êtes.
Au terme où je suis parvenu,
Quel mortel est le moins à plaindre ?
C'est celui qui ne sait rien craindre,
Qui vit et qui meurt inconnu.
Gabriel-Charles de Lattaignant
(1697-1779)
J'ai du bon tabac
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.
J'en ai du fin et du bien râpé,
Mais ce n'est pas pour ton vilain nez !
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Ce refrain connu que chantait mon père,


À ce seul couplet il était borné.
Moi, je me suis déterminé
À le grossir comme mon nez.
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Un noble héritier de gentilhommière


Recueille, tout seul, un fief blasonné.
Il dit à son frère puîné
Sois abbé, je suis ton aîné.
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Un vieil usurier expert en affaire,


Auquel par besoin l'on est amené,
À l'emprunteur infortuné
Dit, après l'avoir ruiné
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Juges, avocats, entr'ouvrant leur serre,


Au pauvre plaideur, par eux rançonné,
Après avoir pateliné,
Disent, le procès terminé
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

D'un gros financier la coquette flaire


Le beau bijou d'or de diamants orné.
Ce grigou, d'un air renfrogné,
Lui dit, malgré son joli nez
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Neuperg, se croyant un foudre de guerre,


Est, par Frédéric, assez mal mené.
Le vainqueur qui l'a talonné
Dit à ce Hongrois étonné
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.

Tel qui veut nier l'esprit de Voltaire,


Est, pour le sentir, trop enchifrené.
Cet esprit est trop raffiné
Et lui passe devant le nez.
J'ai du bon tabac dans ma tabatière,
J'ai du bon tabac, tu n'en auras pas.
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Antoine Vincent Arnault
(1766 -1834)

La feuille
De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu ? ― Je n'en sais rien.
L'orage a brisé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer:
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

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The Leaf
Detached from thy stalk,
Leaf yellow and dry,
Where goest thou amain ?
The tempest's fierce shock
Struck the oak proud and high.
And I struggled in vain.
Since then, — the sad day !
Winds changeful and rude
Transport me about,
Over mountains, — away.
And o'er valley and wood.
Hark ! their whistle rings out !
I go where they lead,
I fear not, nor heed,
Nor ever complain.
The rose too must go.
And the laurel, I know.
And all things below.
Then why should I strain,
Ah me ! to remain ?
—Translated by Toru Dutt (1856-1877),
A Sheaf gleaned in French Feilds, 3rd editon, 1880,
London, Kegan Paul&Co.,p13.

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>
Victor Hugo
(1802-1885)
Les Djinns
Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.

La voix plus haute


Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

>
>
La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.

Dieu! La voix sépulcrale


Des Djinns!... - Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,


Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle ou nous les narguons
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure!


L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, o ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophète! Si ta main me sauve


De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!
Ils sont passés! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!

De leurs ailes lointaines


Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.
>
Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas;
Leur essaim gronde;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.
-
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An Eastern Scene
Wall, town,
Port steep,
Death's own
Dark keep,
Gray seas
Where is
Slow breeze,
All sleep.
September, 1908.

—Roby Dutt
Echoes from East and West, 1909, p193.,
Cambridge, Galloway and Porter,
Autre chanson
L'aube naît, et ta porte est close !
Ma belle, pourquoi sommeiller ?
A l'heure où s'éveille la rose
Ne vas-tu pas te réveiller ?

Ô ma charmante,
Ecoute ici
L'amant qui chante
Et pleure aussi !

Tout frappe à ta porte bénie.


L'aurore dit : Je suis le jour !
L'oiseau dit : Je suis l'harmonie !
Et mon coeur dit : Je suis l'amour !

Ô ma charmante,
Ecoute ici
L'amant qui chante
Et pleure aussi !

Je t'adore ange et t'aime femme.


Dieu qui par toi m'a complété
A fait mon amour pour ton âme
Et mon regard pour ta beauté !

Ô ma charmante,
Ecoute ici
L'amant qui chante
Et pleure aussi
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Mornimg Eerenade

Still barred thy doors ! — the far east glows,


The morning wind blows fresh and free,
Should not the hour that wakes the rose
Awaken also thee ?
No longer sleep,
Oh, listen now !
I wait and weep,
But where art thou ?
All look for thee. Love, Light and Song ;
Light, in the sky deep red above.
Song, in the lark of pinion strong,
And in my heart, true Love.
No longer sleep.
Oh, listen now !
I wait and weep,
But where art thou ?
Apart we miss our nature's goal,
Why strive to cheat our destinies }
Was not my love made for thy soul i
Thy beauty for mine eyes ?
No longer sleep,
Oh, listen now !
I wait and weep,
But where art thou ?
—Translated by Aru Dutt (1854-1874)
A Sheaf Gleaned in French Fields, 3rd edition, 1880,
London, Kegan Paul & Co, p.77.
Pantoum malais
Les papillons jouent à l'entour sur leurs ailes ;
Ils volent vers la mer, près de la chaîne des rochers.
Mon cœur s'est senti malade dans ma poitrine,
Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente.

Ils volent vers la mer, près de la chaîne de rochers...


Le vautour dirige son essor vers Bandam.;
Depuis mes premiers jours jusqu'à l'heure présente,
J'ai admiré bien des jeunes gens ;

Le vautour dirige son essor vers Bandam,...


Et laisse tomber de ses plumes à Patani.
J'ai admiré bien des jeunes gens ;
Mais nul n'est à comparer à l'objet de mon choix.

Il laisse tomber de ses plumes à Patani.


Voici deux jeunes pigeons !
Aucun jeune homme ne peut se comparer à celui de mon choix,
Habile comme il l'est à toucher le cœur.
Alfred de Musset
(1810-1857)
Chanson : Bonjour, Suzon...
Bonjour, Suzon, ma fleur des bois !
Es-tu toujours la plus jolie ?
Je reviens, tel que tu me vois,
D'un grand voyage en Italie.
Du paradis j'ai fait le tour ;
J'ai fait des vers, j'ai fait l'amour.
Mais que t'importe ? (Bis.)
Je passe devant ta maison ;
Ouvre ta porte.
Bonjour, Suzon !

Je t'ai vue au temps des lilas.


Ton coeur joyeux venait d'éclore.
Et tu disais : " Je ne veux pas,
Je ne veux pas qu'on m'aime encore. "
Qu'as-tu fait depuis mon départ ?
Qui part trop tôt revient trop tard.
Mais que m'importe ? (Bis.)
Je passe devant ta maison ;
Ouvre ta porte.
Bonjour, Suzon !
>
À Mademoiselle ***
Oui, femmes, quoi qu'on puisse dire,
Vous avez le fatal pouvoir
De nous jeter par un sourire
Dans l'ivresse ou le désespoir.

Oui, deux mots, le silence même,


Un regard distrait ou moqueur,
Peuvent donner à qui vous aime
Un coup de poignard dans le coeur.

Oui, votre orgueil doit être immense,


Car, grâce à notre lâcheté,
Rien n'égale votre puissance,
Sinon votre fragilité.

Mais toute puissance sur terre


Meurt quand l'abus en est trop grand,
Et qui sait souffrir et se taire
S'éloigne de vous en pleurant.

Quel que soit le mal qu'il endure,


Son triste rôle est le plus beau.
J'aime encor mieux notre torture
Que votre métier de bourreau.
Théophile Gautier
(1811-1872)
Barcarolle
Dites, la jeune belle !
Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !

L’aviron est d’ivoire,


Le pavillon de moire,
Le gouvernail d’or fin ;
J’ai pour lest une orange,
Pour voile une aile d’ange,
Pour mousse un séraphin.

Dites, la jeune belle !


Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !
Est-ce dans la Baltique,
Sur la mer Pacifique,
Dans l’île de Java ?
Ou bien dans la Norwège,
Cueillir la fleur de neige,
Ou la fleur d’Angsoka ?

Dites, la jeune belle !


Où voulez-vous aller ?
La voile ouvre son aile,
La brise va souffler !

— Menez-moi, dit la belle,


À la rive fidèle
Où l’on aime toujours.
— Cette rive, ma chère,
On ne la connaît guère
Au pays des amours.
Love at Sea
We are in love’s land to-day;
Where shall we go?
Love, shall we start or stay,
Or sail or row?
There’s many a wind and way,
And never a May but May;
We are in love’s hand to-day;
Where shall we go?

Our landwind is the breath


Of sorrows kiss’d to death
And joys that were;
Our ballast is a rose;
Our way lies where God knows
And love knows where.
We are in love’s hand to-day;
Where shall we go?

Our seamen are fledged Loves,


Our masts are bills of doves,
Our decks fine gold;
Our ropes are dead maids’ hair,
Our stores are love-shafts fair
And manifold.
We are in love’s land to-day;
Where shall we go?
Where shall we land you, sweet?
On fields of strange men’s feet,
Or fields near home?
Or where the fire-flowers blow,
Or where the flowers of snow
Or flowers of foam?
We are in love’s hand to-day;
Where shall we go?

Land me, she says, where love


Shows but one shaft, one dove,
One heart, one hand.
— A shore like that, my dear,
Lies where no man will steer,
No maiden land.

― Algernon Charles Swinburne (1837–1909)


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_C. : $% / , D. * ,~ ".: He interprets love in all its
multiform expressions...Each and every one of these he portrays
with his characteristic softness of touch that recalls the lyrics of
Theophile Gautier, and with the exquisite felicity of Shelley and
Keats. [― Basanta Kumar Roy: Rabindranath Tagore, The Man
and His Poetry, New York, Dodd, Mead & Company, 1915,
p59]. @,. _C. : $ , )- *- D
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— ©ª E«¬ ;
La source
Tout près du lac filtre une source, 8h & E m< ", d,% E
Entre deux pierres, dans un coin ; p m ", , F ;
Allègrement l'eau prend sa course %P , " / H}
Comme pour s'en aller bien loin. @ 5 ! 5" '4 s

Elle murmure : Oh ! quelle joie ! on " ! “$Z ! , 5 dh (< !


Sous la terre il faisait si noir ! & , F 'J, !
Maintenant ma rive verdoie, $ ,
( ( $, E < F (<
Le ciel se mire à mon miroir. ( Z F d<" $ % ‫׀‬

Les myosotis aux fleurs bleues ‘;( " $ ’― $ 5d


Me disent : Ne m'oubliez pas ! F & , & 1 F, ( ( ; s
Les libellules de leurs queues $ (, 1 ,&5 !
M'égratignent dans leurs ébats ; % - < $GZ ;

A ma coupe l'oiseau s'abreuve ; < % <$ %^ P ,;


Qui sait ? - Après quelques détours , "?Z & " ~%
Peut-être deviendrai-je un fleuve % 5 $ , ,& , ,
Baignant vallons, rochers et tours. ; 8,@ , " , E I@% ?

Je broderai de mon écume " " !^ ,


Ponts de pierre, quais de granit, %P ,( T2 " & %P 5 ,
Emportant le steamer qui fume / -=1 " Z , "
A l'Océan où tout finit. 1 5< " ,F( '%1 s”

Ainsi la jeune source jase, , mK ! , , ,


Formant cent projets d'avenir ; "( F E , $1 Xb s
Comme l'eau qui bout dans un vase, F € $/ 5" &( 4 ,
Son flot ne peut se contenir ; • x P, % " $ s

Mais le berceau touche à la tombe ; 'P! " / 1 E,


Le géant futur meurt petit ; 5Z & E‚ & 5 s
Née à peine, la source tombe ƒ Z h m " %„ d
Dans le grand lac qui l'engloutit ! ( E … D, ― … ,T , s
'"( : %(† Eo‡
Charles-Marie Leconte de Lisle
(1818-1894)
Midi
Midi, Roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe en nappes d'argent des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L'air flamboie et brûle sans haleine ;
La Terre est assoupie en sa robe de feu.

L'étendue est immense, et les champs n'ont point d'ombre,


Et la source est tarie où buvaient les troupeaux ;
La lointaine forêt, dont la lisière est sombre,
Dort là-bas, immobile, en un pesant repos.

Seuls, les grands blés mûris, tels qu'une mer dorée,


Se déroulent au loin, dédaigneux du sommeil ;
Pacifiques enfants de la Terre sacrée,
Ils épuisent sans peur la coupe du Soleil.

Parfois, comme un soupir de leur âme brûlante,


Du sein des épis lourds qui murmurent entre eux,
Une ondulation majestueuse et lente
S'éveille, et va mourir à l'horizon poudreux.
Non loin, quelques bœufs blancs, couchés parmi les herbes,
Bavent avec lenteur sur leurs fanons épais,
Et suivent de leurs yeux languissants et superbes
Le songe intérieur qu'ils n'achèvent jamais.

Homme, si, le cœur plein de joie ou d'amertume,


Tu passais vers midi dans les champs radieux,
Fuis ! la Nature est vide et le Soleil consume :
Rien n'est vivant ici, rien n'est triste ou joyeux.

Mais si, désabusé des larmes et du rire,


Altéré de l'oubli de ce monde agité,
Tu veux, ne sachant plus pardonner ou maudire,
Goûter une suprême et morne volupté,

Viens ! Le Soleil te parle en paroles sublimes ;


Dans sa flamme implacable absorbe-toi sans fin ;
Et retourne à pas lents vers les cités infimes,
Le cœur trempé sept fois dans le Néant divin.
La mort du soleil
Le vent d'automne, aux bruits lointains des mers pareil,
Plein d'adieux solennels, de plaintes inconnues,
Balance tristement le long des avenues
Les lourds massifs rougis de ton sang, ô soleil !

La feuille en tourbillons s'envole par les nues ;


Et l'on voit osciller, dans un fleuve vermeil,
Aux approches du soir inclinés au sommeil,
De grands nids teints de pourpre au bout des branches nues.

Tombe, Astre glorieux, source et flambeau du jour !


Ta gloire en nappes d'or coule de ta blessure,
Comme d'un sein puissant tombe un suprême amour.

Meurs donc, tu renaîtras ! L'espérance en est sûre.


Mais qui rendra la vie et la flamme et la voix
Au coeur qui s'est brisé pour la dernière fois ?
( - ) র"# :
Autumn Sunset
The wind of autumn has its course begun !
With lamentations strange and sad adieus
Like far sea-murmurs, in the avenues
It sways the heavy branches ; these have won
A tinge of evening's rich vermilion,
And balanced, shed their leaves of various hues ;
Look at these nests the birds no longer use!
And look— oh, look at the departing sun !
Depart, O Sun ! Light's fountain ! Nature's choice !
And let thy glory like a blood-stream pure
Flow from thy wounds, but in thy death rejoice !
Thou shalt arise again ! Thy hope is sure !
But for a broken heart, with potent voice
Who shall again a lease of life procure ?

—Translated by Toru Dutt (1856-1877),


A Sheaf gleaned in French Feilds, 3rd editon, 1880,
London, Kegan Paul&Co.,p263.

>
Le rêve du jaguar

Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,


Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de bœufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.
Les elfes
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

Du sentier des bois aux daims familier,


Sur un noir cheval, sort un chevalier.
Son éperon d'or brille en la nuit brune ;
Et, quand il traverse un ravon de lune,
On voit resplendir, d'un reflet changeant,
Sur sa chevelure un casque d'argent.

Couronnés de thym et de marjolaine,


Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

Ils l'entourent tous d'un essaim léger


Qui dans l'air muet semble voltiger.
- Hardi chevalier, par la nuit sereine,
Où vas-tu si tard ? dit la jeune Reine.
De mauvais esprits hantent les forêts
Viens danser plutôt sur les gazons frais.

Couronnés de thym et de marjolaine,


Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

- Non ! ma fiancée aux yeux clairs et doux


M'attend, et demain nous serons époux.
Laissez-moi passer, Elfes des prairies,
Qui foulez en rond les mousses fleuries ;
Ne m'attardez pas loin de mon amour,
Car voici déjà les lueurs du jour.
Couronnés de thym et de marjolaine,
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

- Reste, chevalier. Je te donnerai


L'opale magique et l'anneau doré,
Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune,
Ma robe filée au clair de la lune.
- Non ! dit-il. - Va donc ! - Et de son doigt blanc
Elle touche au coeur le guerrier tremblant.

Couronnés de thym et de marjolaine,


Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

Et sous l'éperon le noir cheval part.


Il court, il bondit et va sans retard ;
Mais le chevalier frissonne et se penche ;
Il voit sur la route une forme blanche
Qui marche sans bruit et lui tend les bras :
- Elfe, esprit, démon, ne m'arrête pas !

Couronnés de thym et de marjolaine,


Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

- Ne m'arrête pas, fantôme odieux !


Je vais épouser ma belle aux doux yeux.
- Ô mon cher époux, la tombe éternelle
Sera notre lit de noce, dit-elle.
Je suis morte ! - Et lui, la voyant ainsi,
D'angoisse et d'amour tombe mort aussi.

Couronnés de thym et de marjolaine,


Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
La mort de Valmiki
Valmiki, le poète immortel, est très vieux.

Toute chose éphémère a passé dans ses yeux


Plus prompte que le bond léger de l'antilope.
Il a cent ans. L'ennui de vivre l'enveloppe.
Comme l'aigle, altéré d'un immuable azur,
S'agite et bat de l'aile au bord du nid obscur,
L'Esprit, impatient des entraves humaines,
Veut s'enfuir au delà des apparences vaines.
C'est pourquoi le Chanteur des antiques héros
Médite le silence et songe au long repos,
Au terme du désir, du regret et du blâme,
A l'ineffable paix où s'anéantit l'âme,
Au sublime sommeil sans rêve et sans moment,
Sur qui l'Oubli divin plane éternellement.

Le temps coule, la vie est pleine, l’œuvre est faite.

Il a gravi le sombre Himavat jusqu'au faîte.


Ses pieds nus ont rougi l'âpre sentier des monts,
Le vent des hautes nuits a mordu ses poumons ;
Mais, sans plus retourner ni l'esprit ni la tête,
Il ne s'est arrêté qu'où le monde s'arrête.
Sous le vaste figuier qui verdit respecté.

De la neige hivernale et du torride été,


Croisant ses maigres mains sur le bâton d'érable,
Et vêtu de sa barbe épaisse et vénérable,
Il contemple, immobile, une dernière fois,
Les fleuves, les cités, et les lacs et les bois,
Les monts, piliers du ciel, et l'Océan sonore
D'où s'élance et fleurit le Rosier de l'aurore.

L'homme impassible voit cela, silencieux.


La Lumière sacrée envahit terre et cieux ;
Du zénith au brin d'herbe et du gouffre à la nue,
Elle vole, palpite, et nage et s'insinue,
Dorant d'un seul baiser clair, subtil, frais et doux,
Les oiseaux dans la mousse, et, sous les noirs bambous,
Les éléphants pensifs qui font frémir leurs rides
Au vol strident et vif des vertes cantharides,
Les Radjahs et les chiens, Richis et Parias,
Et l'insecte invisible et les Himalayas.
Un rire éblouissant illumine le monde.
L’arôme de la Vie inépuisable inonde
L'immensité du rêve énergique où Brahma
Se vit, se reconnut, resplendit et s'aima.

L'âme de Valmiki plonge dans cette gloire.

Quel souffle a dissipé le temps expiatoire ?


>
O vision des jours anciens, d'où renais-tu ?
O large chant d'amour, de bonté, de vertu,
Qui berces à jamais de ta flottante haleine
Le grand Daçarathide et la Mytiléenne,
Les sages, les guerriers, les vierges et les Dieux,
Et le déroulement des siècles radieux,
Pourquoi, tout parfumé des roses de l'abîme,
Sembles-tu rejaillir de ta source sublime ?
Ramayana ! L'esprit puissant qui t'a chanté
Suit ton vol au ciel bleu de la félicité,
Et, dans l'enivrement des saintes harmonies,
Se mêle au tourbillon des âmes infinies.

Le soleil grandit, monte, éclate, et brûle en paix.

Une muette ardeur, par effluves épais,


Tombe de l'orbe en flamme où tout rentre et se noie,
Les formes, les couleurs, les parfums et la joie
Des choses, la rumeur humaine et le soupir
De la mer qui halète et vient de s'assoupir.
Tout se tait. L'univers embrasé se consume.
Et voici, hors du sol qui se gerce et qui fume,
Une blanche fourmi qu'attire l'air brûlant ;
Puis cent autres, puis mille et mille, et, pullulant
Toujours, des millions encore, qui, sans trêve,
Vont à l'assaut de l'homme absorbé dans son rêve,
Debout contre le tronc du vieil arbre moussu,
Et qui s'anéantit dans ce qu'il a conçu.

L'esprit ne sait plus rien des sens ni de soi-même.

Et les longues fourmis, traînant leur ventre blême,


Ondulent vers leur proie inerte, s'amassant,
Circulant, s'affaissant, s'enflant et bruissant
Comme l'ascension d'une écume marine.
Elles couvrent ses pieds, ses cuisses, sa poitrine,
Mordent, rongent la chair, pénètrent par les yeux
Dans la concavité du crâne spacieux,
S'engouffrent dans la bouche ouverte et violette,
Et de ce corps vivant font un roide squelette
Planté sur l'Himavat comme un Dieu sur l'autel,
Et qui fut Valmiki, le poète immortel,
Dont l'âme harmonieuse emplit l'ombre où nous sommes
Et ne se taira plus sur les lèvres des hommes.
José-Maria de Heredia
(1842-1905)
L'oubli
Le temple est en ruine au haut du promontoire.
Et la Mort a mêlé, dans ce fauve terrain,
Les Déesses de marbre et les Héros d'airain
Dont l'herbe solitaire ensevelit la gloire.

Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire,


De sa conque où soupire un antique refrain
Emplissant le ciel calme et l'horizon marin,
Sur l'azur infini dresse sa forme noire.

La Terre maternelle et douce aux anciens Dieux


Fait à chaque printemps, vainement éloquente,
Au chapiteau brisé verdir une autre acanthe ;

Mais l'Homme indifférent au rêve des aïeux


Écoute sans frémir, du fond des nuits sereines,
La Mer qui se lamente en pleurant les sirènes.
La jeune morte

Qui que tu sois, Vivant, passe vite parmi


L'herbe du tertre où gît ma cendre inconsolée ;
Ne foule point les fleurs de l'humble mausolée
D'où j'écoute ramper le lierre et la fourmi.

Tu t'arrêtes ? Un chant de colombe a gémi.


Non ! qu'elle ne soit pas sur ma tombe immolée !
Si tu veux m'être cher, donne-lui la volée.
La vie est si douce, ah ! laisse-la vivre, ami.

Le sais-tu ? Sous le myrte enguirlandant la porte,


Épouse et vierge, au seuil nuptial, je suis morte,
Si proche et déjà loin de celui que j'aimais.

Mes yeux se sont fermés à la lumière heureuse,


Et maintenant j'habite, hélas ! et pour jamais,
L'inexorable Érèbe et la Nuit Ténébreuse.
Le chevrier
O berger, ne suis pas dans cet âpre ravin
Les bonds capricieux de ce bouc indocile ;
Aux pentes du Ménale, où l’été nous exile,
La nuit monte trop vite et ton espoir est vain.

Restons ici, veux-tu ? J’ai des figues, du vin.


Nous attendrons le jour en ce sauvage asile.
Mais parle bas. Les Dieux sont partout, ô Mnasyle,
Hécate nous regarde avec son œil divin.

Ce trou d’ombre là-bas est l’antre où se retire


Le démon familier des hauts lieux, le Satyre ;
Peut-être il sortira, si nous ne l’effrayons.

Entends-tu le pipeau qui chante sur ses lèvres ?


C’est lui ! Sa double corne accroche les rayons,
Et, vois, au clair de lune il fait danser mes chèvres.
>
Charles Baudelaire
(1821-1867)
Abel et Caïn
Race d’Abel, dors, bois et mange ;
Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fange


Rampe et meurs misérablement.

Race d’Abel, ton sacrifice


Flatte le nez du Séraphin !

Race de Caïn, ton supplice


Aura-t-il jamais une fin ?

Race d’Abel, vois tes semailles


Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles


Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d’Abel, chauffe ton ventre


À ton foyer patriarcal ;

Race de Caïn, dans ton antre


Tremble de froid, pauvre chacal !
Race d’Abel, aime et pullule !
Ton or fait aussi des petits.

Race de Caïn, cœur qui brûle,


Prends garde à ces grands appétits.

Race d’Abel, tu croîs et broutes


Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes


Traîne ta famille aux abois.

II

Ah ! race d’Abel, ta charogne


Engraissera le sol fumant !

Race de Caïn, ta besogne


N’est pas faite suffisamment ;

Race d’Abel, voici ta honte :


Le fer est vaincu par l’épieu !

Race de Caïn, au ciel monte,


Et sur la terre jette Dieu !
Harmonie du soir
Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;


Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,


Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,


Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige...
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !
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Paul Verlaine
(1844-1896)
Chanson d'automne
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
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Art poétique

De la musique avant toute chose,


Et pour cela préfère 1'Impair
Plus vague et plus soluble dans 1'air,
Sans rien en lui qui pese ou qui pose.

II faut aussi que tu n'ailles point


Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Ou 1'Indécis au Précis se joint.

C'est des beaux yeux derrière les voiles,


C'est le grand jour tremblant de midi,
C'est, par un ciel d'automne attiedi,
Le bleu fouillis des claires etoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,


Pas la Couleur, rien que la nuance !
Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,


L'Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de 1'Azur,
Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'Éloquence et tords-lui son cou !


Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si Ton n'y veille, elle ira jusqu'où ?
O qui dira les torts de la Rime !
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime?

De la musique encore et toujours !


Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux a d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventure


Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym.
Et tout le reste est littérature.
>
Marceline Desbordes-Valmore
(1786-1859)
Pour endormir l'enfant
Ah ! Si j'étais le cher petit enfant
Qu'on aime bien, mais qui pleure souvent,
Gai comme un charme,
Sans une larme,
J'écouterais chanter l'heure et le vent…
(Je dis cela pour le petit enfant).
Si je logeais dans ce mouvant berceau,
Pour mériter qu'on m'apporte un cerceau,
Je serais sage
Comme une image,
Et je ferais moins de bruit qu'un oiseau...
(Je dis cela pour l'enfant du berceau).
Ah ! Si j'étais le blanc nourrisson,
Pour qui je fais cette belle chanson,
Tranquille à l'ombre,
Comme au bois sombre,
Je rêverais que j'entends le pinson…
(Je dis cela pour le blanc nourrisson).
Ah ! si j'étais l'ami des blancs poussins
Dormant entre eux, doux et vivants coussins
Sans que je pleure,
J'irais sur l'heure
Faire chorus avec ces petits saints...
(Je dis cela pour l'ami des poussins).
Si le cheval demandait à nous voir,
Riant d'aller nager à l'abreuvoir,
Fermant le gîte,
Je crierais vite :
« Demain l'enfant pourra vous recevoir !… »
(Je dis cela pour l'enfant qu'il vient voir).
Si j'entendais les loups hurler dehors
Bien défendu par les grands et les forts,
Fier comme un homme
Qui fait un somme,
Je répondrais : « Passez, Messieurs, je dors !… »
(Je dis cela pour les loups du dehors).
On n'entendit plus rien dans la maison,
Ni le rouet, ni l'égale chanson ;
La mère ardente,
Fine et prudente,
Fit l'endormie auprès de la cloison,
Et suspendit tout bruit dans la maison
L'oreiller d'une petite fille
Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !
Beaucoup, beaucoup d'enfants pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir ;
Ils ont toujours sommeil. O destinée amère !
Maman, douce maman, cela me fait gémir.
Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi j'embrasse le mien.
Seule, dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien !
Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube, au rideau bleu c'est si gai de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière :
Donne encore un baiser, douce maman ! Bonsoir !
La sincère
Veux-tu l'acheter ?
Mon coeur est à vendre.
Veux-tu l'acheter,
Sans nous disputer ?

Dieu l'a fait d'aimant ;


Tu le feras tendre ;
Dieu l'a fait d'aimant
Pour un seul amant !

Moi, j'en fais le prix ;


Veux-tu le connaître ?
Moi, j'en fais le prix ;
N'en sois pas surpris.

As-tu tout le tien ?


Donne ! et sois mon maître.
As-tu tout le tien,
Pour payer le mien ?

S'il n'est plus à toi,


Je n'ai qu'une envie ;
S'il n'est plus à toi,
Tout est dit pour moi.
Le mien glissera,
Fermé dans la vie ;
Le mien glissera,
Et Dieu seul l'aura !

Car, pour nos amours,


La vie est rapide ;
Car, pour nos amours,
Elle a peu de jours.

L'âme doit courir


Comme une eau limpide ;
L'âme doit courir,
Aimer ! et mourir.

>
Qu'en avez-vous fait ?
Vous aviez mon cœur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,


Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :

Qu'en avez-vous fait,


Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant


Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour


L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...

Vous viendrez rêvant


Sonner à ma porte;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l'on vous dira :


" Personne !... elle est morte. "
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?
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Loin du monde
Entrez, mes souvenirs, ouvrez ma solitude !
Le monde m'a troublée ; elle aussi me fait peur.
Que d'orages encore et que d'inquiétude
Avant que son silence assoupisse mon coeur !

Je suis comme l'enfant qui cherche après sa mère,


Qui crie, et qui s'arrête effrayé de sa voix.
J'ai de plus que l'enfant une mémoire amère :
Dans son premier chagrin, lui, n'a pas d'autrefois.

Entrez, mes souvenirs, quand vous seriez en larmes,


Car vous êtes mon père, et ma mère, et mes cieux !
Vos tristesses jamais ne reviennent sans charmes ;
Je vous souris toujours en essuyant mes yeux.

Revenez ! Vous aussi, rendez-moi vos sourires,


Vos longs soleils, votre ombre, et vos vertes fraîcheurs,
Où les anges riaient dans nos vierges délires,
Où nos fronts s'allumaient sous de chastes rougeurs.

Dans vos flots ramenés quand mon cœur se replonge,


Ô mes amours d'enfance ! ô mes jeunes amours !
Je vous revois couler comme l'eau dans un songe,
Ô vous, dont les miroirs se ressemblent toujours !

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Maurice Maeterlinck
(1862-1949)
Désirs d'hiver
Je pleure les lèvres fanées
Où les baisers ne sont pas nés.
Et les désirs abandonnés
Sous les tristesses moissonnées;

Toujours la pluie à l'horizon !


Toujours la neige sur les grèves l
Tandis qu'au seuil dos de mes rêves,
Des loups, couchés sur le gazon,

Observent en mon âme lasse.


Les yeux ternis dans le passé,
Tout le sang autrefois versé
Des agneaux mourants sur la glace.

Seule la lune éclaire enfin


De sa tristesse monotone,
Où gèle l'herbe de l'automne,
Mes désirs malades de faim.

>>
>
Regards
Ô ces regards pauvres et las !
Et les vôtres et les miens !
Et ceux qui ne sont plus et ceux qui vont venir !
Et ceux qui n'arriveront jamais et qui existent
cependant!
Il y en a qui semblent visiter des pauvres
un dimanche ;
II y en a comme des malades sans maison ;
II y en a comme des agneaux dans une prairie
couverte de linges.
Et ces regards insolites !
Il y en a sous la voûte desquels on assiste à l'exécution
d'une vierge dans une salle close,
Et ceux qui font songer à des tristesses ignorées !
A des paysans aux fenêtres de l'usine,
À un jardinier devenu tisserand,
À une après-midi d'été dans un musée de cires,

>
>
Aux idées d'une reine qui regarde un malade
dans le jardin,
À une odeur de camphre dans la forêt,
À enfermer une princesse dans une tour,
un jour de fête,
À naviguer toute une semaine sur un canal tiède.
Ayez pitié de ceux qui sortent à petit pas comme des
convalescents dans la moisson !
Ayez pitié de ceux qui ont l'air d'enfants égarés
à l'heure du repas !
Ayez pitié des regards du blessé vers le chirurgien,
Pareils à des tentes sous l'orage !
Ayez pitié des regards de la vierge tentée !
(Oh ! des fleuves de lait ont fui dans les ténèbres !
Et les cygnes sont morts au milieu des serpents!)

>
Et de ceux de la vierge qui succombe !
Princesses abandonnées en des marécages
sans issues;
Et ces yeux où s'éloignent à pleines voiles des navires
illuminés dans la tempête !
Et le pitoyable de tous ces regards qui souffrent
de n'être pas ailleurs !
Et tant de souffrances presque indistinctes et si
diverses cependant !
Et ceux que nul ne comprendra jamais !
Et ces pauvres regards presque muets !
Et ces pauvres regards qui chuchotent !
Et ces pauvres regards étouffés !
Au milieu des uns on croit être dans un château qui
sert d'hôpital !
Et tant d'autres ont l'air de tentes lys des guerres sur
la petite pelouse du couvent !
Et tant d'autres ont l'air de blessés soignés dans une
serre chaude !
Et tant d'autres ont l'air de sœurs de charité sur une
Atlantique sans malades !
Oh ! avoir vu tous ces regards !
Avoir admis tous ces regards !
Et avoir épuisé les miens à leur rencontre !
Et désormais ne pouvoir plus fermer les yeux !
Sully Prudhomme
(1839 – 1907)
Un songe

Le laboureur m'a dit en songe : Fais ton pain,


Je ne te nourris plus, gratte la terre et seme.
Le tisserand m'a dit : Fais tes habits toi-même.
Et le maçon m'a dit : Prends la truelle en main.

Et seul, abandonne de tout le genre humain


Dont je trainais partout 1'implacable anathème,
Quand j'implorais du ciel une pitié suprême,
Je trouvais des lions debout sur mon chemin.

J'ouvris les yeux, doutant si 1'aube était réelle :


De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle,
Les métiers bourdonnaient, les champs étaient semés.

Je connus mon bonheur et qu'au monde ou nous sommes


Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ;
Et depuis ce jour-là je les ai tous aimes.
>
Charles Van Lerberghe
(1861-1907)
Quand vient le soir
Quand vient le soir,
Des cygnes noirs,
Ou des fées sombres,
Sortent des fleurs, des choses, de nous
Ce sont nos ombres.

Elles avancent ; le jour recule.


Elles vont dans le crépuscule,
D'un mouvement glissant et lent.
Elles s'assemblent, elles s'appellent,
Se cherchent sans bruit,
Et toutes ensemble,
De leurs petites ailes,
Font la grande nuit.
Mais l'Aube dans l'eau
S'éveille et prend son grand flambeau.
Puis elle monte,
En rêve monte, et peu à peu,
Sur les ondes elle élève
Sa tête blonde,
Et ses yeux bleus.

Aussitôt, en fuite furtive,


Les ombres s'esquivent,
On ne sait où.
Est-ce dans l'eau ? Est-ce sous terre ?
Dans une fleur ? Dans une pierre ?
Est-ce dans nous ?
On ne sait pas. Leurs ailes closes
Enfin reposent.
Et c'est matin.
Emile Verhaeren
(1855 – 1916)
C'est la bonne heure...
C'est la bonne heure, où la lampe s'allume :
Tout est si calme et consolant, ce soir,
Et le silence est tel, que l'on entendrait choir
Des plumes.
C'est la bonne heure où, doucement,
S'en vient la bien-aimée,
Comme la brise ou la fumée,
Tout doucement, tout lentement.
Elle ne dit rien d'abord—et je l'écoute;
Et son âme, que j'entends toute,
Je la surprends luire et jaillir
Et je la baise sur ses yeux.
C'est la bonne heure, où la lampe s'allume,
Où les aveux
De s'être aimés le jour durant,
Du fond du cœur profond mais transparent,
S'exhument.
Et l'on se dit les simples choses :
Le fruit qu'on a cueilli dans le jardin ;
La fleur qui s'est ouverte,
D'entre les mousses vertes ;
Et la pensée éclose, en des émois soudains,
Au souvenir d'un mot de tendresse fanée
Surpris au fond d'un vieux tiroir,
Sur un billet de l'autre année
>
Iwan Gilkin
(1858 - 1924)
La chanson des forges
Je vous entends, clameurs redoutables! ô forges,
Feux rouges allumés dans les pays chenus.
Vous grondez sourdement, pareilles à des gorges
Que gonflent des jurons à demi retenus.
Quand l'homme aveugle et fou croit dompter la matière,
Dans vos gueules de feu les malédictions
Roulent sinistrement comme un lointain tonnerre.
Vous dites : Nous forgeons sans répit, nous forgeons,
Nous forgeons pour tes pieds le boulet et l'entrave,
Stupide humanité ! Nous forgeons les anneaux
Des chaînes qui te font à jamais notre esclave.
Va, travaille, halète, allume les fourneaux.
Consume le charbon, fais ruisseler la fonte
Sur le sable fumant, bats, écrase le fer,
Trempe des sabres, fonds des canons, blinde et ponte
Les vaisseaux cuirassés qui mitraillent la mer,
Va, martèle, martèle et construis sans relâche
Les machines, qui mieux que les anciens donjons
Asservissent le peuple et le font pauvre et lâche...
Stupide humanité, nous forgeons, nous forgeons
Le travail monstrueux avec la maladie,
Nous forgeons la chlorose et l'abrutissement
Et la haine et le meurtre et le rouge incendie
Et l'émeute sanglante et le lourd châtiment.
Nous forgeons le destin de ta décrépitude ;
Nous broierons tes enfants sous nos pilons de fer.
En crachant vers le ciel tout tremblant d'hébétude
La suie et le charbon de notre affreux enfer !

Vois ! Dans Tazur souillé nos hautes cheminées,


Hampes des noirs drapeaux qui proclament ton sort,
Déroulent sur l'horreur des landes calcinées
Leurs étendards de deuil, d'esclavage et de mort !
Jean Lahor
(1840- 1909)
Toujours
Tout est mensonge : aime pourtant,
Aime, rêve et désire encore ;
Présente ton cœur palpitant
A ces blessures qu’il adore.

Tout est vanité : crois toujours,


Aime sans fin, désire et rêve ;
Ne reste jamais sans amours,
Souviens-toi que la vie est brève.

De vertu, d’art enivre-toi,


Porte haut ton cœur et ta tête ;
Aime la pourpre comme un roi,
Et, n’étant pas Dieu, sois poète !

Aimer, rêver, seul est réel :


Notre vie est l’éclair qui passe,
Flamboie un instant sur le ciel,
Et se va perdre dans l’espace :

Seule la passion qui luit


Illumine au moins de sa flamme
Nos yeux mortels avant la nuit
Éternelle, où disparaît l’âme.
Consume-toi donc : tout flambeau
Jette, en brûlant, de la lumière ;
Brûle ton cœur, songe au tombeau,
Où tu redeviendras poussière.

Près de nous est le trou béant :


Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant ;
Aime, rêve, désire et souffre !
>
Frédéric Mistral
Occitan: Frederic Mistral
(1830-1914)

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