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Un élève modeste

Je suis resté auprès de lui, qui demeurait la casquette à la main d'un côté de la porte d'entrée de la
cour où arrivaient continuellement des pères et des mères avec leurs fils.

-Seuls quelques-uns seront choisis, me dit mon père avant que je ne le quitte au pied du grand
escalier de marbre. Seuls quelques-uns resteront, fils : les meilleurs. Pourvu que tu sois l'un d'entre
eux.

Nous nous sommes assis à des pupitres flambant neufs sur lesquels tout était déjà prêt : quelques
feuilles, une gomme et un crayon. Il s'agissait de choisir la bonne réponse parmi les quatre
proposées aux questions formulées dans le questionnaire. J'aurais voulu rassurer mon père, qui
attendait en bas, nerveux, à mesure que je me rassurais moi-même en voyant la facilité des réponses
qui me paraissaient toutes simples.

-C'était clair comme de l'eau de roche -lui ai-je dit en descendant une fois l'examen terminé. Et il
m'a compris.

Quelques jours après nous avons reçu une lettre dans laquelle on invitait mon père à se rendre au
secrétariat du collège en question. Ce n'était pas obligé mais il a voulu que je l'accompagne, et nous
ne sommes pas tombés sur d'autres pères ni sur d'autres enfants. Il s'en est rendu compte, intrigué et
content.

-Moi je crois qu'ils ne m'auraient pas appelé si c'était pour nous dire que tu ne faisais pas l'affaire,
disait-il.

On lui a demandé s'il possédait des biens à lui : une voiture, un appartement. Mais lui a pensé qu'il
valait mieux couper court à l'interrogatoire ; il a montré ses mains, les paumes vers le haut, striées et
déformées par de dures callosités, et il a dit simplement :

-Ces mains sont des biens ; et les deux fils que j'ai, s'ils sont bons à quelque chose.

Il n'a fallu rien de plus. Ils m'ont donné des livres neufs, un équipement complet de fournitures, un
emploi du temps et une lettre pour le maître que j'avais eu à l'école du quartier.

Le premier pas était fait.

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