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ANTHOLOGIE

Le Duo de Personnages

Leila Almeida Ferreira


Quentin Bouttier
Leila Almeida Ferreira
Le duo de personnages est un thème récurrent dans de nombreux domaines comme le cinéma,
la musique ou l’art, mais nous retrouvons aussi considérablement cette thématique dans la
littérature. En effet, les duos de personnages dans la littérature sont nombreux et se placent dans
différentes époques et registres. De plus, ce thème comporte une multitude de possibilités, les
binômes peuvent être un couple, de simples amis, des connaissances ou bien des ennemis pouvant à
la fois être complémentaires ou à l’inverse s’opposer en tout point. A travers l’étude de ce thème,
nous cherchions à étudier les différentes possibilités d’écriture des duos de personnages par la
lecture d’œuvres divergentes, s’inscrivant dans des époques et registres multiples. Ainsi, notre
corpus se compose de quatre extraits d'œuvres.

Tout d’abord, nous avons choisi la tragédie de Shakespeare, Macbeth, rédigé au XVIIe siècle. Puis,
nous nous sommes penchés sur l'œuvre de Cervantes Don Quichotte publié en 1605. Nous avons
ensuite choisi une seconde tragédie, Œdipe Roi, écrite par Sophocle entre 430 et 420 avant J.-C.
Enfin, le dernier texte de notre corpus est extrait de l’Iliade l'épopée d’Homère, rédigée au VIII
siècle avant J.-C. 

Au cours de notre étude, nous avons mis en place notre problématique « Quelles incidences ont les
comportements et les actions de l’adjuvant sur le personnage principal ?». Notre questionnement
nous pousse à analyser les relations entre les personnages ainsi que les répercussions des actions de
chacun. Ainsi, nous avons relevé parmi les différents duos de personnages, que les binômes sont
toujours constitués du personnage principal de l'œuvre et d’un adjuvant. Dans le cas de notre étude,
les adjuvants sont des personnages qui ont pour fonction d’aider ou d'empêcher celui qui accomplit
l’action. Ainsi, à travers notre problématique, nous pouvons lier les quatre extraits de notre corpus.
Effectivement, ils possèdent tous un duo de personnages composés, comme expliqué
précédemment, un adjuvant et le personnage principal. De plus, tous les compagnons des
personnages principaux auront une influence positive comme négative selon l'œuvre étudiée. Dans
la tragédie de Macbeth, Lady Macbeth manipule son époux afin qu’il accède au trône pour qu’elle
puisse devenir reine. Pour l’Iliade, le combat et la mort de Patrocle, ami proche d’Achille, vont être
déclencheurs de sa célèbre colère mais aussi de sa tristesse. Ensuite, Jocaste présente dans la
tragédie de Sophocle Oedipe Roi va contribuer à la chute de son fils et époux Oedipe, vers la
découverte de son identité et donc de l’accomplissement du terrible oracle. Enfin, le personnage de
Sancho, valet de Don Quichotte issu de l'œuvre portant le même nom, va aider son mentor dans son
voyage et sera un compagnon essentiel pour le vieil homme fou. Nous analyserons donc les
différents binômes, dont chacun comportent des caractéristiques propres à leur registre et
mouvement, tout en se demandant comment les différents adjuvants influencent les protagonistes et
comment les protagonistes régissent et perçoivent cette influence.
I. L’Iliade

   L’Iliade est une épopée grecque qui, selon la légende, aurait été rédigée par Homère entre
-850 et -750 avant JC. Cette épopée, constituée de 24 chants, relate les origines et le déroulement de
la guerre de Troie, opposant d’un côté les Grecs, appelés aussi Achéens, et de l’autre les Troyens.
Au commencement, Paris, fils du roi de Troie, enlève la femme du roi de Sparte, Hélène. C’est ainsi
que les Grecs partent à l'assaut de Troie pour laver l’honneur achéen.
L’extrait de notre étude est issu du chant XVI  ; il commence au vers 765 et termine au vers 863. Ce
passage met en scène la mort de Patrocle, compagnon d’armes et ami proche d’Achille, le héros des
Achéens qui, au cours de cette bataille, ne voulant pas prendre part aux combats, à la suite d'un
désaccord avec le roi Agamemnon, donne son armure et ses armes à Patrocle. En effet, pour
réanimer les troupes Grecs découragées de l’absence de leur héros, Patrocle va s’engager dans le
combat face aux armées troyennes en ayant d’apparence l'identité d’Achille. Malheureusement,
n’ayant pas suivi le conseil d’Achille, Patrocle, s'avançant dans la guerre, se retrouve face au
terrible Hector, fils de Priam.
Ce passage est structuré en trois parties distinctes. La première relate l’assaut de Patrocle  et ses
combats contre les soldats Troyens. Puis la seconde partie évoque le face-à-face avec Hector et le
déroulement du duel. Enfin, la dernière partie représente la fin du combat et la mort tragique de
Patrocle. Ce texte nous installe dans un cadre épique et tragique où la mort de Patrocle est
inévitable, le personnage symbolise à la fois la bravoure et la persévérance et représente une figure
d’exemplarité héroïque. Dans le cadre de notre étude, les personnages d’Achille et Patrocle
représentent, dans cette œuvre, un duo de personnages mythiques. En effet, Patrocle dans l’Iliade
est toujours affilié à Achille, il joue à la fois le rôle d’écuyer, de messager et d’ami du Myrmidon.
Nous pouvons ensuite dire que Patrocle est dans ce passage le double d’Achille, car il revêt son
armure et ses armes et peut donc par conséquent, tout comme Achille, être considéré comme un
héros en raison de ses prouesses au combat. La mort de Patrocle symbolise, dans ce texte, la future
colère d’Achille et par conséquent l'inévitable vengeance de celui-ci contre Hector. Ainsi, par la
peine et la colère d’Achille, nous pouvons ressentir les liens forts qu'avaient ces deux personnages
et l’importance de Patrocle pour Achille.
Nous pouvons à présent répondre à notre problématique: quelles incidences ont les comportements
et les actions de l’adjuvant sur le personnage principal ? Il est tout d’abord intéressant de
mentionner l’importance de ce passage pour le personnage d’Achille, qui n’est pas présent dans cet
extrait. En effet, l’élément déclencheur de la mythique colère d’Achille et de son désir de vengeance
est la mort de son ami Patrocle énoncée dans cet extrait. Ainsi, Patrocle, par son décès, impacte les
actions et jugements d’Achille et provoque son futur combat de vengeance avec Hector. Ce passage
comporte plusieurs grandes singularités. D’une part, cet extrait permet d’observer comment
Patrocle est particulièrement mis en avant dans ce chant. En effet, il apparaît ici non pas comme
l’ami d’Achille, mais comme un héros de guerre, un fier combattant. De plus, la perspective de la
mort de Patrocle est assez novatrice dans le sens où Patrocle influence Achille non pas de son
vivant, mais lors de son décès : il n'interagit pas avec le héros, mais l’influence symboliquement.
Enfin, nous pouvons conclure cette analyse en associant ce texte avec l’œuvre de Sophocle Œdipe
Roi. En effet, les deux personnages adjuvants de ces œuvres décèdent, Jocaste par suicide et
Patrocle de la main d’Hector. Ils partagent également le choix de leur mort, Jocaste décide de se
suicider, honteuse, elle ne peut plus faire face à Œdipe, car la prophétie s’est finalement réalisée.
Quant à Patrocle, il décide de continuer le combat malgré la perte de ses armes et de mourir
dignement comme le ferait un héros. Ainsi, ces deux personnages se rapprochent sur ces différents
points

L’Iliade extrait du chant XVI :

(v. 765) Comme l’Euros et le Notos s’appliquent à l’envi, dans les gorges d’une montagne, à ébranler une
épaisse forêt, chênes, frênes, cornouillers aux longs fûts, qui projettent alors leurs longs rameaux les uns
contre les autres, dans un fracas prodigieux, où se distingue le bruit sec des branches brisées ; ainsi
Troyens et Achéens se ruent les uns contre les autres, cherchant à se déchirer, sans qu’aucun des deux
partis songe à la hideuse déroute. Autour de Cébrion, par centaines, des piques aiguës viennent se planter
au but, ainsi que des flèches ailées, jaillies de la corde d’un arc ; de grosses pierres, par centaines, vont
heurter les boucliers de tous les hommes qui luttent autour de lui (v. 775) — tandis que lui-même, dans un
tournoiement de poussière, est là, son long corps allongé à terre, oublieux des chars à jamais ! Tant que le
soleil, dans sa course, occupe le centre du ciel, les traits des deux côtés portent et les hommes tombent.
Mais voici le soleil qui approche de l’heure où l’on délie les bœufs. (v. 780) À ce moment les Achéens
remportent un avantage merveilleux : ils dérobent le héros Cébrion sous les traits, les menaces des
Troyens ; ils lui détachent ses armes des épaules, tandis que Patrocle se jette férocement sur les Troyens.
Trois fois il s’élance, émule de l’ardent Arès en poussant des cris effroyables : (v. 785) trois fois il tue neuf
hommes. Une quatrième fois encore, il bondit, pareil à un dieu. Mais, à ce moment, se lève pour toi,
Patrocle, le terme même de ta vie. Phoebos vient à toi, à travers la mêlée brutale. Il vient, terrible — et
Patrocle ne le voit pas venir à travers le tumulte, (v. 790) car Apollon marche vers lui, couvert d’une épaisse
vapeur. Il s’arrête derrière Patrocle ; il lui frappe le dos, les larges épaules, du plat de la main. Les yeux
aussitôt lui chavirent. Phoebos Apollon fait choir alors son casque de sa tête. Le casque au long cimier, sous
les pieds des chevaux, roule avec fracas ; le panache se souille de poussière et de sang. Eût-il été admis
naguère que ce casque à crins de cheval fût jamais souillé de poussière ? C’était d’un héros divin, c’était
d’Achille alors qu’il protégeait la tête et le front charmants. Mais aujourd’hui Zeus l’octroie à Hector, (v. 800)
afin qu’il le porte sur son propre front, à l’heure où sa perte est proche. La longue pique de Patrocle se brise
toute dans ses mains, la lourde et grande forte pique, coiffée d’un bronze. Son haut bouclier, son baudrier
même, de ses épaules tombent à terre. Sire Apollon, fils de Zeus, lui détache sa cuirasse. Un vertige (ἄτη
atè) prend sa raison ; ses glorieux membres sont rompus ; il s’arrête, saisi de stupeur. Par derrière alors,
dans le dos, entre les épaules, un Dardanien vient le frapper, à bout portant, d’un bronze aigu. C’est
Euphorbe, fils de Panthoos, qui dépasse tous ceux de son âge au lancer de la javeline, à la conduite des
chars, à la course à pied. (v. 810) Il a déjà jeté vingt guerriers à bas de leur char, la première fois où il est
venu avec son attelage s’instruire à la bataille. C’est lui qui, le premier, lance un trait sur toi, Patrocle, bon
meneur de chars. Mais il ne t’abat pas. Il s’enfuit en courant et se perd dans la foule, dès qu’il t’a du corps
arraché la pique de frêne. Il ne tient pas devant Patrocle, même désarmé, en plein carnage. Et Patrocle,
dompté par le coup du dieu et par la javeline, se replie sur le groupe des siens, pour se dérober au trépas.
Mais Hector aperçoit Patrocle magnanime reculant, (v. 820) blessé par le bronze aigu. Il s’approche à travers
les rangs ; avec sa pique, il le frappe au bas-ventre et pousse le bronze à fond. Patrocle tombe avec fracas,
pour le grand deuil de l’armée achéenne. On voit parfois un lion venir à bout en combattant d’un sanglier
infatigable ; tous deux, pleins de superbe, à la cime d’un mont, sont là à batailler pour une mince source, où
chacun prétend boire, et le lion finit par dompter sous sa force le sanglier haletant. Ainsi le vaillant fils de
Ménoetios, après tant de guerriers par lui abattus, se voit à son tour enlever la vie par un coup à bout portant
d’Hector, fils de Priam ; et Hector, triomphant, lui dit ses mots ailés : (v. 830) : « Ah ! Patrocle, tu croyais sans
doute que tu allais emporter notre ville, ravir aux femmes troyennes le jour de la liberté et les emmener sur
tes nefs aux rives de ta patrie. Pauvre sot ! pour les sauver, voici les chevaux rapides d’Hector qui allongent
l’allure, afin qu’il puisse se battre. Moi aussi, j’excelle à la lance parmi les Troyens belliqueux, de qui je
cherche à écarter le jour fatal. C’est toi qu’ici mangeront les vautours. Malheureux ! pour brave qu’il soit,
Achille ne t’aura guère servi ; lui qui, sans doute, quand tu partais sans lui, instamment te recommandait : (v.
840) « Ne reviens pas, je te prie, aux nefs creuses, Patrocle, bon meneur de cavales, avant d’avoir autour de
sa poitrine déchiré la cotte sanglante d’Hector meurtrier ». Voilà ce qu’il te disait, et toi, pauvre sot, tu l’as cru
! » D’une voix défaillante tu réponds, Patrocle, bon meneur de chars : « Hector, il est trop tôt pour triompher
si fort. Qui donc t’a donné la victoire ? (v. 845) Zeus le Cronide et Apollon. Ils m’ont dompté sans peine : ils
ont eux-mêmes détaché mes armes de mes épaules. Eussé-je devant moi trouvé vingt hommes de ton
genre, que tous eussent péri sur place, domptés par ma javeline. C’est le sort funeste (µοῖρα moira), c’est le
fils de Létô, qui m’ont abattu, et, parmi les hommes, Euphorbe. (v. 850) Tu n’es venu qu’en troisième, pour
me dépouiller. Mais j’ai encore quelque chose à te dire ; mets-le toi bien en tête. Tu ne vivras pas bien
longtemps non plus. Déjà, à tes côtés, voici la mort et l’impérieux destin, qui veut te voir dompté sous le bras
d’Achille, l’Éacide sans reproche. » (v. 855) Il dit ; la mort, qui tout achève, déjà l’enveloppe. L’âme quitte ses
membres et s’en va, en volant, chez 11 Hadès, pleurant sur son destin, quittant la force et la jeunesse. Il est
déjà mort, quand l’illustre Hector lui dit : « Patrocle, pourquoi me prédis-tu le gouffre de la mort ? (v. 860) Qui
sait si ce n’est pas Achille, fils de Thétis aux beaux cheveux, qui, frappé par ma lance, perdra le premier la
vie ? » Cela dit, de la plaie ouverte il retire la pique de bronze, en mettant le pied sur le corps, dont il pousse
le dos au sol, avant de dégager sa pique.
II. Œdipe Roi

  Œdipe Roi est une tragédie grecque rédigée par Sophocle et représentée pour la première
fois en 430 avant JC, elle connaît un grand succès et une postérité abondante, inspirant de nombreux
artistes et dramaturges. Sophocle reprend le mythe d’Œdipe selon le procédé d’une enquête
policière et de façon analeptique. La tragédie d’Œdipe Roi prend place après l’arrivée d’Œdipe sur
le trône de Thèbes, grâce à son triomphe face à l’énigme du Sphinx. L’intrigue de la pièce est
centrée sur les origines de la peste au royaume de Thèbes et sur l’enquête d’Œdipe face à cette
situation.

L’extrait que nous avons choisi dans le cadre de notre étude se situe dans le troisième épisode de la
tragédie. Cet épisode s’ouvre sur l'arrivée d’un messager qui va apprendre à Œdipe la mort de son
père Polybe, roi de Corinthe. Il lui révélera ensuite que le roi et la reine de Corinthe, parents
d’Œdipe, ne sont pas ses véritables parents et qu’un berger, l’ayant trouvé lorsqu’il était encore
nourrisson, le confia au couple désireux d’avoir un enfant. Ainsi, Œdipe, bien décidé à connaître la
vérité sur son identité et ses vrais parents, demande à rencontrer le berger, mais Jocaste, qui a
entendu les révélations du messager, comprend qu’elle est sa véritable mère et tente d’empêcher
Œdipe.

Le texte se structure autour d'un dialogue entre Jocaste et Œdipe avec quelques commentaires du
chœur. Les personnages d’Œdipe et de Jocaste offrent dans ce texte des discours et langages
distincts : Jocaste, meurtrie et désespérée, invite en vain Œdipe à l’oubli. Ces sentiments sont
accentués dans le texte par la forte ponctuation. Tandis qu’Œdipe est en quête de vérité et refuse
d’échouer dans la mission qui lui a été confiée. Dans le cadre de notre étude sur le duo de
personnages, Œdipe et Jocaste représentent la double identité. En effet, Œdipe est, dans cette
tragédie, à la fois le fils de Jocaste, mais aussi son époux, et Jocaste, parallèlement, est épouse et
mère d’Œdipe. De plus, le personnage de Jocaste, malgré sa faible présence, reste essentiel, car elle
représente un fragment de la prophétie, une partie du destin d’Œdipe. Ils sont unis par les liens du
mariage et par les liens du sang et symbolisent la figure du couple tragique.

Nous pouvons alors répondre à notre problématique en affirmant que Jocaste participe au destin
funeste d’Œdipe. Dans cet extrait, Jocaste apprend la terrible vérité sur l’identité d’Œdipe et décide
de lui mentir. Elle essaye de détourner son époux de sa quête, mais ses arguments sont trop imprécis
et attisent encore plus le désir de vérité d’Œdipe. Jocaste, en omettant la vérité, à voulu sauver
l’enfant qu’elle avait cru perdre par le passé. Cependant, en voulant sauver Œdipe de lui-même, elle
l’a précipité sa chute. La spécificité de cet extrait est la connaissance, dès le début de l’œuvre, du
dénouement. Les personnages liés à l’oracle sont soumis au destin, ils sont piégés et ne peuvent se
résoudre à l’éviter sous peine d’aggraver leur sentence. Nous pouvons à présent conclure cette
analyse en comparant cet extrait avec un autre de notre corpus. Le personnage de Jocaste dans ce
passage est similaire au personnage de Sancho dans Don Quichotte. En effet, chacun de ces deux
personnages n'agit pas de façon malveillante vis-à-vis du personnage principal. Ils veulent avant
tout les protéger de leurs problématiques personnelles, chacun de leur propre manière. Il faudrait
comparer avec l'ensemble des textes du corpus, à chaque fois.

Œdipe Roi troisième épisode :

LE CHOEUR. Je pense qu'il n'est autre que ce campagnard que tu désirais voir ; mais Jocaste te le
dira mieux que tous.
OEDIPE. Femme, penses-tu que l'homme à qui nous avons commandé de venir soit le même que
celui dont il parle ?
JOCASTE. De qui a-t-il parlé ? Ne t'en inquiète pas ; ne te souviens plus de ses paroles vaines.
OEDIPE. Il ne peut se faire qu'à l'aide de tels indices je ne rende pas manifeste mon origine.
JOCASTE. Par les dieux ! si tu as quelque souci de ta vie, ne recherche pas ceci. C'est assez que je
sois affligée.
OEDIPE. Aie courage. Même si j'étais esclave depuis trois générations, tu n'en serais abaissée en
rien.
JOCASTE. Cependant, écoute-moi, je t'en supplie ! Ne fais pas cela.
OEDIPE. Je ne consentirai point à cesser mes recherches.
JOCASTE. C'est dans un esprit bienveillant que je te conseille pour le mieux.
OEDIPE. Ces conseils excellents me déplaisent depuis longtemps
JOCASTE. Ô malheureux ! Plaise aux dieux que tu ne saches jamais qui tu es ! - 41 -
OEDIPE. Est-ce que quelqu'un ne m'amènera pas promptement ce pasteur ? Laissez celle-ci se
réjouir de sa riche origine.
JOCASTE. Hélas, hélas ! Malheureux ! C'est le seul nom que je puisse te donner, et tu n'entendras
plus rien de moi désormais !

Le Choeur, Oedipe, Le Message, Le Serviteur

LE CHOEUR. Oedipe, pourquoi s'en va-t-elle, en proie à une âpre douleur ? Je crains que de
grands maux ne sortent de ce silence.
OEDIPE. Qu'il en sorte ce qu'il voudra ! Pour moi, je veux connaître mon origine, si obscure
qu'elle soit. Orgueilleuse d'esprit, comme une femme, elle a honte peut-être de ma naissance
commune. Moi, fils heureux de la destinée, je n'en serai point déshonoré. La bonne destinée est ma
mère, et le déroulement des mois m'a fait grand de petit que j'étais. Ayant un tel commencement,
que m'importe le reste ? Et pourquoi ne rechercherais-je point quelle est mon origine ?
III. Macbeth

Macbeth est une tragédie rédigée au XVIIᵉ siècle par William Shakespeare. Cette pièce nous
installe dans le cadre de l’Écosse médiévale du XIe siècle où régna le roi Macbeth de 1040 à 1057,
qui devient ici notre protagoniste. L’auteur s’est inspiré de nombreux personnages et faits
historiques qu’il combine à l’univers fictif et imaginaire de la pièce, tout en imposant un cadre
pessimiste et mélancolique. L’extrait que nous allons présenter et analyser est la scène 2 de l’acte II.
Cette scène se place quelques instants après l’accomplissement du régicide orchestré par Macbeth et
sa compagne Lady Macbeth afin d’accéder au trône du roi Duncan. Le couple se réunit seul, et
converse sur les événements qui viennent de se dérouler et sur la finalité de leur machination. La
scène soumise à notre étude se compose donc d’un dialogue entre Lady Macbeth et Macbeth
marqué par de fortes ponctuations, avec notamment de nombreux questionnements de la part de
Macbeth, qui traduisent la perte de contrôle du personnage face à la situation. Il est aussi intéressant
de souligner l’abondance de métaphores et de commentaires ironiques qui soulignent les thèmes
majeurs de cette œuvre, c'est-à-dire la mort, le pouvoir et le crime. L’allégorie animale est aussi
utilisée dans cet extrait avec par exemple, le hibou et le grillon, ce qui permet à l’auteur d’apporter
des symboliques au texte. Enfin, la mort du roi n’étant pas représentée sur scène, c'est à travers les
personnages et leurs ressentis que nous pouvons comprendre l’horreur de la scène et l'impact
qu’elle cause sur le personnage de Macbeth. La tragédie de Macbeth représente avant tout la quête
du pouvoir d’un couple mené par un désir d’ascension sociale. Les personnages de Lady Macbeth et
de Macbeth forment dans cet extrait et dans cette pièce un duo de personnages mythiques et c’est
pourquoi ils sont le sujet même de notre étude. Dans cet extrait, les deux personnages sont
complémentaires, mais s'opposent aussi sur plusieurs points. Tout d’abord, le couple est uni dans ce
désir d’ascension et de pouvoir qui est le moteur même de l’ensemble de leurs actions. De plus, ils
partagent ensemble le crime commis envers le roi, ils sont tous deux à l’origine de ce meurtre et
doivent porter le poids de leur acte. Cet extrait nous montre aussi leur divergence, qui se remarque
dans la réception du régicide : Macbeth est bouleversé, ressent de la culpabilité et est sujet à des
hallucinations, Lady Macbeth quant à elle cache ses remords et se montre forte et persuasive, elle
reste ambitieuse et désirante de sa future place de reine et ranime par son ton ironique l’ambition de
son époux. Cependant, malgré ces différents ressentis, les deux personnages se complètent et ne
peuvent avancer l’un sans l’autre. Lady Macbeth a besoin d’un roi pour devenir reine et Macbeth a
besoin de son épouse pour élaborer des stratagèmes face aux ennemis ou aux obstacles qui se
dressent face à lui.
Nous pouvons donc alors répondre à la problématique que nous avons élaborée. Comme mentionné
précédemment dans notre analyse, Lady Macbeth est un personnage prédominant dans les choix et
les actions du protagoniste Macbeth. En effet, elle joue le rôle d’épouse et d’alliée, mais aussi de
stratège et de meneuse. Cet extrait expose bien ici la domination de Lady Macbeth face à son
époux, elle l’a poussé à accomplir le meurtre, à aller au-delà de ses retranchements et l’a guidé vers
une quête de pouvoir où le crime et la mort sont omniprésents. Lady Macbeth semble dans cette
scène s’être endurcie par ce crime et dédramatise la situation pour que Macbeth puisse reprendre ses
esprits et monter sur le trône. Ainsi, Lady Macbeth est donc à l’origine même du destin funeste de
Macbeth, mais aussi du sien, ayant organisé et mis en place le meurtre du roi dans lequel Macbeth
est le meurtrier ; elle a accompli en partie la prophétie de son époux de son plein gré. Ensuite, nous
allons mettre en évidence la singularité de cet extrait vis-à-vis des autres dans notre corpus. Tout
d’abord, il est intéressant de souligner le personnage considérable de Lady Macbeth, elle est
présentée comme une femme ambitieuse, aussi puissante et imposante que les personnages
masculins et autoritaires face à Macbeth. Il y a ici un bouleversement genré, les attributs
traditionnellement destinés aux personnages féminins sont ici accordés à Macbeth et les
caractéristiques masculines sont ici représentées à travers Lady Macbeth. Elle ne s’attarde pas sur
les sentiments et laisse de côté sa féminité pour suivre son objectif. Ce qui fait aussi la spécificité de
ce duo est l’absence de sentiments, même si les deux protagonistes forment un couple, les
sentiments et émotions ne sont pas ce qui caractérise leur lien, il n’y a que les intérêts et
l’accomplissement de leur aspiration qui les unissent.
Pour conclure, nous pouvons rapprocher cet extrait de la tragédie Œdipe Roi de Sophocle. En effet,
les personnages d’Œdipe et de Macbeth possèdent des similitudes. Par exemple, ils sont tous deux
soumis à un oracle ou une prophétie, qui dans les deux cas va se réaliser. De plus, leur quête
constitue l’élément principal et directeur de la pièce, comme la recherche du meurtrier de Laios
pour Œdipe ou la conquête du trône pour Macbeth. Il est aussi intéressant de souligner le thème de
la vision dans ces deux œuvres. Chez Œdipe, on retrouve une inversion de la vision et de la lucidité
et chez Macbeth un bouleversement du jour et de la nuit et une ambiguïté entre la réalité et le
surnaturel que l’on peut notamment observer dans les hallucinations de Macbeth.

Macbeth scène 2 Acte II :

Entre  LADY MACBETH.

LADY MACBETH — Ce qui les a rendus ivres m’a rendue hardie. — Ce qui les a éteints m’a enflammée. Écoutez !
Paix ! — C’est le hibou qui a crié, — fatal carillonneur qui donne le plus sinistre bonsoir… Il est à l’œuvre ; — les portes
sont ouvertes, et les grooms gorgés — narguent leur office par des ronflements. — J’ai drogué leur potion du soir (12),
— si bien que la mort et la nature disputent entre elles — s’ils vivent ou s’ils meurent.

MACBETH, apparaissant au fond du théâtre.  (13) —Qui est là ? … Holà ! (Il disparaît)

LADY MACBETH — Hélas ! j’ai peur qu’ils ne se soient éveillés — et que ce ne soit pas fait : la tentative, sans le
succès, — nous perd. Écoutons. J’avais disposé leurs poignards : — il a dû forcément les trouver… S’il n’avait pas
ressemblé — dans son sommeil à mon père, j’aurais fait la chose… Mon mari !

Entre  MACBETH.

MACBETH — J’ai fait l’action… N’as-tu pas entendu un bruit ?

LADY MACBETH — J’ai entendu le hibou huer et le grillon crier. — N’avez-vous pas parlé ?

MACBETH — Quand ?

LADY MACBETH — À l’instant même.

MACBETH — Quand je descendais ?

LADY MACBETH — Oui.

MACBETH — Écoute ! — Qui couche dans la seconde chambre ?

LADY MACBETH — Donalbain.

MACBETH, regardant ses mains — Voilà un triste spectacle.

LADY MACBETH — Niaise idée, de dire : triste spectacle !

MACBETH — Il y en a un qui a ri dans son sommeil et un qui a crié : Au meurtre ! — Si bien qu’ils se sont éveillés l’un
l’autre. Je me suis arrêté en les écoutant ; — mais ils ont dit leurs prières, et se sont remis — à dormir.

LADY MACBETH — Ils sont tous deux logés ensemble.

MACBETH — L’un a crié : Dieu nous bénisse ! et l’autre : Amen ! — comme s’ils m’avaient vu avec ces mains de
bourreau. — Écoutant leur frayeur, je n’ai pu dire : Amen ! — quand ils ont dit : Dieu nous bénisse !

LADY MACBETH — Ne vous préoccupez pas tant de cela.

MACBETH — Mais pourquoi n’ai-je pas pu prononcer Amen ? — J’avais le plus grand besoin de bénédiction, et le mot
Amen — s’est arrêté dans ma gorge !

LADY MACBETH — On ne doit pas penser à ces actions-là — de cette façon ; ce serait à nous rendre fous.

MACBETH — Il m’a semblé entendre une voix crier : « Ne dors plus ! — Macbeth a tué le sommeil ! » Le
sommeil innocent, — le sommeil qui démêle l’écheveau embrouillé du souci, — le sommeil, mort de la vie de chaque
jour, bain du labeur douloureux, — baume des âmes blessées, second service de la grande nature, — aliment suprême
du banquet de la vie !

LADY MACBETH — Que voulez-vous dire ?

MACBETH — Et cette voix criait toujours par toute la maison : Ne dors plus ! — Glamis a tué le sommeil ; et aussi
Cawdor — ne dormira plus, Macbeth ne dormira plus !

LADY MACBETH — Qui donc criait ainsi ? Ah ! digne thane, — vous ébranlez votre noble énergie par ces réflexions —
d’un cerveau malade. Allez chercher de l’eau, — et lavez votre main de cette tache accusatrice. — Pourquoi n’avez-vous
pas laissé à leur place ces poignards ? — Il faut qu’ils restent là-haut : allez les reporter ; et barbouillez — de sang les
chambellans endormis.

MACBETH — Je n’irai plus ; — j’ai peur de penser à ce que j’ai fait. — Regarder cela encore ! je n’ose pas !

LADY MACBETH — Faible de volonté ! — Donne-moi les poignards. Les dormants et les morts — ne sont que des
images ; c’est l’œil de l’enfance — qui s’effraie d’un diable peint. S’il saigne, — je dorerai de son sang la figure de ses
gens, — car il faut qu’ils semblent coupables.

Elle sort. On entend frapper derrière le théâtre.

MACBETH — De quel côté frappe-t-on ? — Dans quel état suis-je donc, que le moindre bruit m’épouvante ? (Regardant
ses mains.) Quelles sont ces mains-là ? Ah ! elles m’arrachent les yeux ! — Tout l’océan du grand Neptune suffira-t-il à
laver — ce sang de ma main ? Non, c’est plutôt ma main — qui donnerait son incarnat aux vagues innombrables, — en
faisant de l’eau verte un flot rouge.

Rentre LADY MACBETH.

LADY MACBETH — Mes mains ont la couleur des vôtres ; mais j’aurais honte — d’avoir le cœur aussi blême. (On
frappe.) J’entends frapper — à l’entrée du sud. Retirons-nous dans notre chambre. — Un peu d’eau va nous laver de
cette action. — Comme c’est donc aisé ! Votre résolution — vous a laissé en route. (On frappe.) Écoutez ! on frappe
encore. — Mettez votre robe de nuit, de peur qu’un accident ne nous appelle — et ne montre que nous avons veillé. Ne
vous perdez pas — si misérablement dans vos pensées.

MACBETH — Connaître ce que j’ai fait ! Mieux vaudrait ne plus me connaître ! (On frappe.) Éveille Duncan avec ton
tapage ! Je voudrais que tu le pusses. —

Ils sortent.

IV. Dom Quichotte

L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche est un roman de chevalerie parodique


rédigé en deux parties et écrit par Michel de Cervantès. Cette œuvre, parue entre 1605 et 1615 à
Madrid, peut être considérée comme un roman parodique et comique tout en étant un anti-roman et
une critique de la société et du roman chevaleresque. Considéré comme l’un des premiers romans
modernes, il marque la fin du réalisme en tant qu’esthétique littéraire pour mettre en avant un
nouveau genre romanesque, le roman picaresque. L’œuvre nous plonge dans les péripéties de Don
Quichotte, représenté comme un vieil homme fou et de son écuyer Sancho Panza. L’extrait issu du
roman de Cervantès dans le cadre de notre étude est le chapitre dix qui relate le retour des deux
hommes après un affrontement. En effet, Don Quichotte, sujet aux hallucinations, tente de libérer
une femme qu’il suppose prisonnière de deux moines. Le valet de ces religieux entame donc un
combat que Don Quichotte finit par remporter, mais au prix de nombreuses douleurs et blessures. 
L’extrait que nous venons d’introduire est un texte narratif où les enjeux de l’anti-roman sont
présentés notamment à travers la satire, l’ironie et l’absurdité des actions et des personnages et
particulièrement de Don Quichotte, qui est la figure même de l’anti-héros chevaleresque. Le thème
de notre étude duo de personnages s'applique aussi dans cet extrait avec les deux protagonistes. En
effet, les personnages de Don Quichotte et Sancho se rapprochent progressivement dans l'œuvre
jusqu'à devenir un binôme indissociable. Leur complicité est dans ce texte bien soulignée, Don
Quichotte traite l’écuyer avec respect et lui suggère une attention particulière, lui proposant même
son aide dans son éducation, lui apprendre à lire et écrire par exemple. Quant à Sancho, il éprouve
beaucoup d’admiration à son égard et tente de l’aider dans ses tâches de la meilleure manière
possible malgré son manque d’expérience. Ils éprouvent tous deux des intérêts personnels, mais ce
n’est pas pour autant qu’ils se montrent égoïstes. En effet, chacun aide l’autre dans sa quête et fait
de ce duo un binôme inséparable. Nous pouvons à présent répondre à notre problématique: quelles
incidences ont les comportements et les actions de l’adjuvant sur le personnage principal ?. Tout
d’abord, il est intéressant de noter les divergences entre les personnages de Don Quichotte et de
Sancho. En effet, Don Quichotte, considéré comme fou en raison de son esprit imaginatif et de ses
hallucinations, est un personnage comique et complexe. À l'opposé, Sancho est représenté comme
un homme posé, censé et lucide. Malgré leurs différences, ce duo reste indissociable, car ils
exercent l’un sur l’autre une influence. Dans le cadre de notre étude, nous allons étudier comment le
personnage de Sancho impact son maître. En premier lieu, Sancho se montre dans ce texte très
protecteur et patient vis-à-vis de Don Quichotte, il soigne sa blessure, l’aide dans ses tâches et
écoute ses conseils. Don Quichotte, confronté à diverses illusions, se place dans cette œuvre dans de
fâcheuses situations et Sancho est toujours présent près de lui pour le raisonner et le ramener à la
raison. Ainsi, Sancho permet à Don Quichotte de se contenir et de ne pas divaguer entièrement dans
la folie. Ces deux personnages sont assez singuliers vis-à-vis des autres duos de notre corpus. En
effet, là où les autres extraits évoquent la mort, le destin et la tragédie, ici nous avons plutôt la
représentation d’un duo comique et absurde. De plus, parmi l’ensemble des binômes de notre
corpus, ils représentent le seul à ne pas être séparé par la mort, ils restent ensemble du début à la fin.
Afin de terminer notre analyse, nous allons comparer cet extrait avec une autre œuvre de notre
corpus. Nous pouvons prendre comme exemple l’extrait d’Oedipe Roi, car les personnages de
Jocaste et Sancho comportent des ressemblances. En effet, ces deux adjuvants veulent le bonheur et
la santé du protagoniste, ils cherchent à les sauver de leur problématique comme la folie dans le cas
de Don Quichotte où de son identité dans Oedipe Roi.

Dom Quichotte chapitre 10 Livre 1 :

Du gracieux entretien qu’eurent don Quichotte et Sancho Panza, son écuyer

Il y avait déjà quelque temps que Sancho Panza s’était relevé, un peu maltraité par les valets des moines, et, spectateur
attentif de la bataille que livrait son seigneur don Quichotte, il priait Dieu du fond de son cœur de vouloir bien donner à
celui-ci la victoire pour qu’il y gagnât quelque île et l’en fît gouverneur suivant sa promesse formelle. Voyant donc le
combat terminé, et son maître prêt à remonter sur Rossinante, il accourut lui tenir l’étrier ; mais avant de le laisser
monter à cheval, il se mit à genoux devant lui, lui prit la main, la baisa, et lui dit : « Que Votre Grâce, mon bon seigneur
don Quichotte, veuille bien me donner le gouvernement de l’île que vous avez gagnée dans cette formidable bataille ;
car, si grande qu’elle puisse être, je me sens de force à la savoir gouverner aussi bien que quiconque s’est jamais mêlé
de gouverner des îles en ce monde. » À cela don Quichotte répondit : « Prenez garde, mon frère Sancho, que cette
aventure et celles qui lui ressemblent ne sont pas aventures d’îles, mais de croisières de grandes routes, où l’on ne
gagne guère autre chose que s’en aller la tête cassée, ou avec une oreille de moins. Mais prenez patience, et d’autres
aventures s’offriront où je pourrai vous faire non[1]seulement gouverneur, mais quelque chose de mieux encore. »
Sancho se confondit en remerciements, et, après avoir encore une fois baisé la main de don Quichotte et le pan de sa
cotte de mailles, il l’aida à monter sur Rossinante, puis il enjamba son âne, et se mit à suivre son maître, lequel,
s’éloignant à grands pas, sans prendre congé des dames du carrosse, entra dans un bois qui se trouvait près de là.
Sancho le suivait de tout le trot de sa bête ; mais Rossinante cheminait si lestement, que, se voyant en arrière, force lui
fut de crier à son maître de l’attendre. Don Quichotte retint la bride à Rossinante, et s’arrêta jusqu’à ce que son traînard
d’écuyer l’eût rejoint. « Il me semble, seigneur, dit ce dernier en arrivant, que nous ferions bien d’aller prendre asile dans
quelque église ; car ces hommes contre qui vous avez combattu sont restés en si piteux état, qu’on pourrait bien donner
vent de l’affaire à la Sainte-Hermandad , et nous mettre dedans. Et, par ma foi, s’il en était ainsi, avant de sortir de
prison, nous aurions à faire feu des quatre pieds. – Tais-toi, reprit don Quichotte ; où donc as-tu jamais vu ou lu qu’un
chevalier errant ait été traduit devant la justice, quelque nombre d’homicides qu’il eût commis ? – Je ne sais rien en fait
d’homéciles, répondit Sancho et de ma vie ne l’ai essayé sur personne ; mais je sais bien que ceux qui se battent au
milieu des champs ont affaire à la Sainte-Hermandad, et c’est de cela que je ne veux pas me mêler. – Eh bien ! ne te
mets pas en peine, mon ami, répondit don Quichotte ; je te tirerai, s’il le faut, des mains des Philistins, à plus forte raison
de celles de la Sainte-Hermandad. Mais, dis-moi, par ta vie ! as-tu vu plus vaillant chevalier que moi sur toute la surface
de la terre ? As-tu lu dans les histoires qu’un autre ait eu plus d’intrépidité dans l’attaque, plus de résolution dans la
défense, plus d’adresse à porter les coups, plus de promptitude à culbuter l’ennemi ? – La vérité est, répliqua Sancho,
que je n’ai jamais lu d’histoire, car je ne sais ni lire ni écrire ; mais ce que j’oserai bien gager, c’est qu’en tous les jours
de ma vie, je n’ai pas servi un maître plus hardi que Votre Grâce ; et Dieu veuille que ces hardiesses ne se payent pas
comme j’ai déjà dit. Mais ce que je prie Votre Grâce de faire à cette heure, c’est de se panser, car elle perd bien du sang
par cette oreille. J’ai dans le bissac de la charpie et un peu d’onguent blanc. – Tout cela serait bien inutile, répondit don
Quichotte, si je m’étais souvenu de faire une fiole du baume de Fierabras ; il n’en faudrait qu’une goutte pour épargner le
temps et les remèdes. – Quelle fiole et quel baume est-ce là ? demanda Sancho. – C’est un baume, répondit don
Quichotte, dont je sais la recette par cœur, avec lequel il ne faut plus avoir peur de la mort, ni craindre de mourir
d’aucune blessure. Aussi, quand je l’aurai composé et que je te le donnerai à tenir, tu n’auras rien de mieux à faire, si tu
vois que, dans quelque bataille, on m’a fendu par le milieu du corps, comme il nous arrive maintes et maintes fois, que
de ramasser bien proprement la partie du corps qui sera tombée par terre ; puis, avant que le sang soit gelé, tu la
replaceras avec adresse sur l’autre moitié qui sera restée en selle, mais en prenant soin de les ajuster et de les emboîter
bien exactement ; ensuite tu me donneras à boire seulement deux gorgées du baume, et tu me verras revenir plus sain
et plus frais qu’une pomme de reinette. – S’il en est ainsi, reprit Sancho, je renonce dès maintenant au gouvernement de
l’île promise, et je ne veux pas autre chose pour payement de mes bons et nombreux services, sinon que Votre Grâce
me donne la recette de cette merveilleuse liqueur ; car je m’imagine qu’en tout pays elle vaudra bien deux réaux l’once,
et c’est tout ce qu’il me faut pour passer cette vie en repos et en joie. Mais il reste à savoir si la façon en est bien chère.
– Pour moins de trois réaux, reprit don Quichotte, on en peut faire plus de trois pintes. – Par la vie du Christ ! s’écria
Sancho, qu’attend donc Votre Grâce, pour le faire et pour me l’apprendre ? – Paix, paix, ami ! répondit don Quichotte ; je
t’enseignerai, j’espère, de bien plus grands secrets, et te ferai de bien plus grandes faveurs ; mais pansons maintenant
mon oreille, car elle me fait plus de mal que je ne voudrais. » Sancho tira du bissac de la charpie et de l’onguent. Mais
quand don Quichotte vint à s’apercevoir que sa salade était brisée, peu s’en fallut qu’il ne perdît l’esprit. Portant la main
à son épée et levant les yeux au ciel, il s’écria : « Je fais serment au Créateur de toutes choses, et sur les quatre saints
Évangiles, de mener la vie que mena le grand marquis de Mantoue, lorsqu’il jura de venger la mort de son neveu
Baudouin, c’est-à-dire de ne pas manger pain sur table, de ne pas folâtrer avec sa femme et de s’abstenir d’autres
choses (lesquelles, bien que je ne m’en souvienne pas, je tiens pour comprises dans mon serment), jusqu’à ce que j’aie
tiré pleine vengeance de celui qui m’a fait un tel préjudice. » Sancho, entendant cela, l’interrompit : « Que Votre Grâce
fasse attention, dit-il, seigneur don Quichotte, que si le chevalier vaincu s’est acquitté de l’ordre qu’il a reçu, en allant se
présenter devant ma dame Dulcinée du Toboso, il doit être quitte et déchargé, et ne mérite plus d’autre peine qu’il ne
commette d’autre délit. – Tu as parlé comme un oracle et touché le vrai point, répondit don Quichotte ; ainsi j’annule mon
serment en ce qui touche la vengeance à tirer du coupable ; mais je le refais, le répète et le confirme de nouveau, quant
à mener la vie que j’ai dite, jusqu’à ce que j’enlève par force, à quelque chevalier, une salade aussi belle et aussi bonne
que celle-ci. Et ne t’avise pas de croire, Sancho, que je parle à l’étourdie ; car je ne suis pas sans modèle en ce que je
fais, et c’est ce qui se passa au pied de la lettre à propos de l’armet de Mambrin, qui coûta si cher à Sacripant . –
Croyez-moi, monseigneur, répliqua Sancho, que Votre Grâce donne au diable de tels serments, qui nuisent à la santé
autant qu’ils troublent la conscience. Sinon, dites-moi : nous n’avons, par hasard, qu’à passer plusieurs jours sans
rencontrer d’homme armé et coiffé de salade, que ferons-nous dans ce cas ? Faudra-t-il accomplir le serment malgré
tant d’inconvénients et d’incommodités, comme de dormir tout vêtu, de ne pas coucher en lieu habité, et mille autres
pénitences que contenait le serment de ce vieux fou de marquis de Mantoue, que Votre Grâce veut ratifier à présent ?
Prenez donc garde qu’il ne passe pas d’hommes armés par ces chemins-ci, mais bien des muletiers et des charretiers,
qui non-seulement ne portent pas de salades, mais peut-être n’en ont pas entendu seulement le nom en tous les jours
de leur vie. – C’est en cela que tu te trompes, reprit don Quichotte ; car nous n’aurons pas cheminé deux heures par ces
croisières de routes que nous y verrons plus de gens armés qu’il n’en vint devant la citadelle d’Albraque, à la conquête
d’Angélique la Belle. – Paix donc, et ainsi soit-il ! répondit Sancho ; Dieu permette que tout aille bien, et que le temps
vienne de gagner cette île qui me coûte déjà si cher, dussé-je en mourir de joie ! – Je t’ai déjà dit, Sancho, reprit don
Quichotte, de ne pas te mettre en souci de cela. Si nous manquons d’îles, voici le royaume de Dinamarque ou celui de
Sobradise , qui t’iront comme une bague au doigt, d’autant mieux qu’étant en terre ferme, ils doivent te convenir
davantage. Mais laissons chaque chose à son temps, et regarde dans ce bissac si tu n’aurais rien à manger, afin d’aller
ensuite à la recherche de quelque château où nous puissions loger cette nuit, et faire le baume dont je t’ai parlé ; car je
jure Dieu que l’oreille me cuit cruellement. – J’ai bien ici, répondit Sancho, un oignon, un peu de fromage, et je ne sais
combien de vieilles croûtes de pain ; mais ce ne sont pas des mets à l’usage d’un aussi vaillant chevalier que Votre
Grâce. – Que tu entends mal les choses ! répondit don Quichotte. Apprends donc, Sancho, que c’est la gloire des
chevaliers errants de ne pas manger d’un mois ; et, s’ils mangent, de prendre tout ce qui se trouve sous la main. De cela
tu ne ferais aucun doute, si tu avais lu autant d’histoires que moi. Quel qu’en ait été le nombre, je n’y ai pas trouvé la
moindre mention que les chevaliers errants mangeassent, si ce n’est par hasard et dans quelques somptueux banquets
qu’on leur offrait ; mais, le reste du temps, ils vivaient de l’air qui court. Et, bien qu’il faille entendre qu’ils ne pouvaient
passer la vie sans manger et sans satisfaire les autres nécessités naturelles, car, en effet, ils étaient hommes comme
nous, il faut entendre aussi que, passant la vie presque entière dans les déserts et les forêts, sans cuisinier, bien
entendu, leurs repas ordinaires devaient être des mets rustiques, comme ceux que tu m’offres à présent. Ainsi donc, ami
Sancho, ne t’afflige pas de ce qui me fait plaisir, et n’essaye pas de rendre le monde neuf, ni d’ôter de ses gonds la
chevalerie errante. – Excusez-moi, reprit Sancho ; car, ne sachant ni lire ni écrire, comme je l’ai déjà dit à Votre Grâce, je
n’ai pas eu connaissance des règles de la profession chevaleresque ; mais, dorénavant, je pourvoirai le bissac de toutes
espèces de fruits secs pour Votre Grâce, qui est chevalier ; et pour moi, qui ne le suis pas, je le pourvoirai d’autres
objets volatiles et plus nourrissants. – Je ne dis pas, Sancho, répliqua don Quichotte, qu’il soit obligatoire aux chevaliers
errants de ne manger autre chose que les fruits dont tu parles ; mais que leurs aliments les plus ordinaires devaient être
ces fruits et quelques herbes qu’ils trouvaient au milieu des champs, lesquelles herbes ils savaient reconnaître, ce que je
sais aussi bien qu’eux. – C’est une grande vertu, répondit Sancho, que de connaître ces herbes ; car, à ce que je vais
m’imaginant, nous aurons besoin quelque jour de mettre cette connaissance à profit. » Et, tirant en même temps du
bissac ce qu’il avait dit y porter, ils se mirent à dîner tous deux en paisible et bonne compagnie. Mais désirant trouver un
gîte pour la nuit, ils dépêchèrent promptement leur sec et pauvre repas. Ils remontèrent ensuite à cheval, et se
donnèrent hâte pour arriver à quelque habitation avant la chute du jour ; mais le soleil leur manqua, et avec lui
l’espérance d’atteindre ce qu’ils cherchaient, près de quelques huttes de chevriers. Ils se décidèrent donc à y passer la
nuit ; et autant Sancho s’affligea de n’avoir pas trouvé l’abri d’une maison, autant son maître se réjouit de dormir à la
belle étoile, parce qu’il lui semblait, chaque fois qu’il lui arrivait pareille chose, qu’il faisait un nouvel acte de possession,
et justifiait d’une nouvelle preuve dans l’ordre de sa chevalerie.

Le corpus que nous avons choisi permet donc de répondre à notre problématique, car il
comporte des extraits mettant en avant différents binômes suivants chacun, des quêtes différentes.
Les divers protagonistes sont tous accompagnés d’un autre personnage qui le complète et influe sur
ses actions. Ici, chaque duo est différent et les influences sont nombreuses, ce qui nous permet entre
autres d’établir diverses comparaisons selon les types de relations par exemple ou bien sur les
enjeux que peut avoir l’influence d’un personnage sur un autre. Il est aussi intéressant de souligner
que les relations peuvent être à la fois complémentaires et aussi  toxiques comme dans Macbeth, les
époux ne sont rien l’un sans l’autre et pourtant, nous pouvons voir la forte influence négative de
Lady Macbeth sur son époux. Le duo est une thématique vaste qui, comme nous l'avons vu, a
tendance à explorer les psychologies les plus profondes des personnages, pour les mettre en
perspective, en tant que pairs. Qu’ils se contredisent ou soient épris d’un amour fou, qu'ils se fassent
du mal ou se fassent l’amour, que l’un soit loin ou même mort, les personnages restent en
symbioses constantes. C’est du fruit de cette union, qui se contraste et/ou se complète, qu’une
avancée dans le comportement et le caractère des personnages, et donc, irrémédiablement, dans
l’intrigue, est rendue possible. 
Le thème du duo est un sujet que l’on retrouve fréquemment dans la littérature en général et plus
particulièrement dans la littérature européenne. Nous retrouvons dans diverses œuvres des duos
issus d'époques et de situations différentes. Ce thème est omniprésent dans notre quotidien, et cela,
sous plusieurs formes. Ainsi, les auteurs peuvent s’inspirer de leur vie quotidienne afin de créer et
interpréter différents duos concordants selon les caractéristiques propres de leur époque et de leur
mouvement. Cette abondance de réécriture et d’adaptation permet aux lecteurs d’aujourd’hui
d’avoir divers exemples de duos de personnages possédants chacun leur propre particularité.
Dans la même thématique, un autre “genre” de duo peut ressurgir dans la littérature et l’art en
général : celui d’un couple protagoniste/antagoniste. Nous ne voulons pas parler ici, d’une simple
animosité ou d’un héros œuvrant dans le but d'arrêter le vilain et ses plans. Nous parlons d’un
couple au lien aussi fort et puissant que la famille ou l’amitié, mais qui sont malgré dans
l’opposition et ont des idéaux contraires, les poussant à œuvrer contre l’autre. Nous prendrons pour
illustrer notre ouverture, une œuvre du mangaka Yamaguchi Takayuki, “Shigurui”. Placés dans un
contexte dur et corrompu, le Japon sous le règne du tyran Tadanaga, deux bretteurs prodiges, Fujiki
et Irako, tentent d’avancer dans leur vie contre un système qui fait d’eux des monstres. Leur lien
réside dans le fait que tous deux viennent du même milieu et ont tous deux souffert du système :
celui des samouraïs. La différence entre ces deux personnages (il n’y a ni héros ni vilain dans cette
œuvre) est la façon dont ils se battent face au système qui les déshumanise. Irako va à l’encontre de
celui-ci, en tuant tous ceux qui l’en empêche, Fujiki tente de rentrer dans le moule. C’est, en partie,
cet amour et cette haine mutuelle pour l’un et l’autre qui rend ce duo si iconique. Pour citer d’autres
exemples, nous pouvons évoquer Batman et Le Joker dont tout le monde connaît l’histoire, Le Joker
créa Batman, le soir du meurtre de ses parents et Batman créa Le Joker, en le poussant dans l’acide
des années plus tard. Le tandem est probablement dans l’inconscient collectif, l’archétype parfait du
“doppelganger”. Comme les autres paires, si l’un cesse d’exister, l’autre perd sa raison de vivre,
faisant donc s'ébranler le monde dans lequel il évolue.

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