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Fernand Dehousse (1906-1976) - un fédéraliste intégral

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Fernand Dehousse est né à Liège le 3 juillet 1906 et s’est éteint dans cette même ville le 11
août 1976, à l’aube de son éméritat. La brièveté de cette notice contraste avec l’ampleur de la
carrière de celui qui fut, tout à la fois, professeur de droit international public, militant européen et
homme politique wallon. Aussi, les quelques lignes qui suivent ne sont destinées qu’à présenter les
principaux traits d’une vie pour le moins riche. Il est malaisé d’étudier la trace que Fernand
Dehousse a laissée dans la Faculté de droit de l’Université de Liège sans aborder son expérience
engrangée en dehors de ses murs, tant celle-ci a influencé l’enseignement qu’il dispensait aux
étudiants. Moniste positiviste, celui qui fut titulaire de la chaire de droit des gens durant près de
quarante années estima toujours essentielle la dimension pratique de sa discipline. Animé par la
certitude profonde qu’il ne pouvait y avoir de coopération internationale aussi longtemps qu’on la
fondât obstinément sur la notion de souveraineté absolue des États, il mena de front des activités
politiques nationales, internationales et européennes en même temps qu’il assurait ses fonctions
universitaires.
Fils du littérateur Constant Dehousse, Fernand Dehousse accomplit ses études secondaires et
supérieures dans la Cité ardente. Diplômé docteur en droit et licencié en sciences sociales de
l’Université de Liège en 1929, il poursuivit sa formation à Paris, à Grenoble, puis à Genève. Sa
passion pour le droit international public éclipsa bien vite ses premières inclinations pour le droit
civil et il devint, en 1931, le disciple du professeur Ernest Mahaim, pour lequel il éprouvait un
profond respect.1 Son agrégation de l’enseignement supérieur en droit international public ayant
couronné la thèse que celui-ci avait consacré à la ratification des traités,2 ce fut un esprit
particulièrement ouvert à la discipline internationale, lauréat de l’académie de droit international de
La Haye en 1934 de surcroit, qui fut nommé comme chargé de cours l’année suivante. Il assurait de
la sorte la succession de son maître.
Tout juste devenu professeur ordinaire, le 1er janvier 1940, il fut démis de ses fonctions par
les autorités allemandes. Lui furent plus spécialement reprochés son départ pour la France en mai
1940 et un article des plus incisifs du 4 juin 1940 intitulé “Monsieur de Saxe-Cobourg Gotha”3 - le
ton était donné - à l’occasion duquel le Liégeois constatait, dans le prolongement de ses critiques
antérieures à l’encontre de la politique de neutralité, la déchéance pure et simple du Roi Léopold III.
Écarté de sa chaire tout au long de l’occupation, il reprit ses fonctions de professeur en 1945, et les
exerça jusqu’en 1976.
Au sortir de la guerre, Fernand Dehousse apparut rapidement comme un personnage aux
nombreuses facettes, toutes les convictions qu’il avait développées au cours des années trente se
trouvant à maturité suffisante pour qu’elles puissent pleinement se déployer à de multiples niveaux
de pouvoir. Dès 1944, il fut consulté par Paul-Henri Spaak pour être délégué du Royaume à la
conférence de San Francisco chargée d’élaborer la Charte des Nations Unies. Délégué ou délégué
suppléant aux 1ère, 2e, 3e et 6e assemblées générales de l’ONU, il fut en outre représentant
permanent au Conseil économique et social en 1946 et en 1949-1950. De 1946 à 1948, il collabora
avec Eleanor Roosevelt au sein de la commission des Droits de l’homme. Ce fut en qualité de
premier délégué qu’il représenta la Belgique à la conférence des Nations-Unies sur la liberté de
l’information (1948). Enfin, il siégea, à partir de 1957, à la Cour permanente d’Arbitrage de La
Haye.
Fervent défenseur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Fernand Dehousse fut
également un internationaliste intégralement acquis à la cause fédéraliste, dans tous les sens du
terme, liant la construction d’une Europe politique aux particularismes régionaux, une jonglerie
1
Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir la notice biographique que Fernand Dehousse a dédiée à
son ancien maître : voy. F. DEHOUSSE, “Ernest Mahaim”, in R. Demoulin (éd.), Liber memorialis -
L'Université de Liège de 1936 à 1966. Notices historiques et Bibliographiques, II, Liège, Rectorat de
l’Université de Liège, 1967, 294-302.
2
F. DEHOUSSE, La ratification des traités: essai sur les rapports des traités et du droit interne,
Paris, Librairie du recueil Sirey, 1935.
3
Publié dans L’Ere Nouvelle, 4 juin 1940 (Florence, Archives historiques de l’Union Européenne,
Fernand Dehousse, 122) : “Situation créée par les mesures prises à mon égard en 1941”).

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verbale qui ne déconcentrait, selon lui : “que les esprits qui ne vont pas au fond des choses”.4 À ses
yeux, la structure fédérale permettait de concilier, dans un cadre approprié aux besoins de chaque
peuple, le besoin d’autonomie avec celui d’association.
Son esprit marqué par l’état calamiteux du vieux continent en ruines, et inaudible, il milita
de toutes ses forces pour l’édification des ‘États-Unis d’Europe’, en dirigeant ses premiers efforts
vers le Conseil de l’Europe et la Convention européenne des droits de l’homme.5 Membre de
l’Assemblée consultative (1954-1961), il en fut président de 1956 à 1959. Alors que cette première
initiative continentale se révélait incapable de rencontrer les espoirs que certains avaient placés en
elle, il rejoignit l’Assemblée de la CECA, de 1952 à 1958 et l’assemblée de l’Europe occidentale de
1955 à 1961.
L’un des moments les plus importants de l’activité politique de Fernand Dehousse fut sans
nul doute sa participation - frénétique - aux travaux de l’Assemblée ad hoc mise sur pied lors du
projet de structure politique annexé à celui d’une communauté européenne de défense. Que ce soit
au cœur des organes de travail - au sein de la commission constitutionnelle, de la sous-commission
des Institutions politiques et du groupe de travail - ou en marge des négociations, il défendit
vigoureusement la thèse fédéraliste d’où auraient émergé une assemblée élue et un gouvernement
supranational bicéphale. L’échec de la CED en 1954, principalement causé par les réticences
françaises, entraina hélas la mort prématurée de l’union politique à laquelle il aspirait. C’est peu
dire que Fernand Dehousse en fut fortement et amèrement affecté.
Sa déception dépassée, il présida, au cours des années 1955 et 1956, les deux commissions
de l’Europe occidentale en Sarre et contribua de la sorte à la solution d’un litige qui freinait en un
certain sens la poursuite de l’intégration européenne jusqu’au rattachement de la Sarre à la
République fédérale d’Allemagne en 1957.
À ce stade, Fernand Dehousse plaça ses espoirs européanistes dans le nouveau marché
commun qui s’érigeait. En tant que membre du Parlement européen depuis sa création - il en assura
d’ailleurs la vice-présidence de 1967 à 1969 -, il milita en faveur d’une unification toujours plus
intense de l’Europe. Faisant écho à l’une des idées novatrices du projet du début des années
cinquante, il défendit le rapport du 30 avril 1960 qui porta son nom relatif, à l’élection de
l’Assemblée au suffrage universel direct. Le projet renvoyé aux calendes grecques, il fallut toutefois
attendre 1979 pour woir cette aspiration démocratique se concrétiser.
Dans un autre registre, son engagement européen transparut également à travers la création
d’un Institut d’études juridiques européennes au sein même de l’Université de Liège, institut qu’il
présida et qui fut inauguré le 17 mai 1962. L’organisation de plusieurs colloques à dimension
internationale garantit à l’Institut une portée pleinement européenne. Ce fut au cours du dernier de
ceux-ci, dédié à sa marotte, le Parlement européen et ses prochaines élections,6 que Fernand
Dehousse reçut, des mains du président du Parlement européen, la Grande Médaille d’Or de ce
dernier.
Fédéraliste, il le fut aussi sur le sol belge. Il s’engagea résolument en faveur d’une réforme
de la Belgique unitaire et du mouvement wallon au service duquel il mit ainsi son savoir
académique. En 1938, il rédigea avec le député socialiste Georges Truffaut une étude intitulée l’État
fédéral en Belgique,7 étude qui déboucha sur une proposition de loi, finalement rejetée à la chambre
des représentants le 2 février 1939.
À l’origine libéral, il rejoignit en juillet 1943 les rangs de la Fédération liégeoise du Parti
socialiste belge clandestin. Aux côtés des autres membres de la commission des affaires wallonnes,
4
F. DEHOUSSE, La Nouvelle Revue wallonne 1948.
5
V. P. CARLIER, “Fernand Dehousse”, in Nouvelle Biographie Nationale, III, Bruxelles, Académie
Royale de Belgique, 1994, 116.
6
INSTITUT D’ÉTUDES JURIDIQUES EUROPÉENNES, Le Parlement Européen: pouvoirs,
élection, rôle futur: actes du huitième colloque de l’I.E.J.E. sur les Communautés européennes organisé à
Liège, les 24, 25 et 26 mars 1976, Liège, Martinus Nijhoff, 1976.
7
G. TRUFFAUT et F. DEHOUSSE, L’État fédéral en Belgique, Liège, Éditions de l’Action wallonne,
1938.

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il y élabora un nouveau projet d’instauration du fédéralisme en Belgique. Alors qu’il était chef de
cabinet du ministre du travail et de la prévoyance sociale, Léon-Eli Troclet, Dehousse présenta lors
de la deuxième journée du fameux congrès national wallon de Liège d’octobre 1945 l’option
fédéraliste, privilégiant l’autonomie de la Wallonie dans le cadre de la Belgique, à laquelle se
rallièrent pratiquement tous les congressistes.8 Il prôna à plusieurs reprises le fédéralisme au cours
des années qui suivirent, notamment lors du premier Congrès du M.P.W. des 18 et 19 novembre
1961 au cours duquel il soumit, avec François Perin, un nouveau projet de Constitution.
Fernand Dehousse s’impliqua tout au long de sa vie dans l’univers politique du pays en
devenant sénateur coopté socialiste (1950-1968) avant de conduire la liste sénatoriale socialiste
liégeoise (1968-1971). Il fut successivement membre du Groupe de travail pour la révision
constitutionnelle (1962-1963), ministre de l’éducation nationale au sein du gouvernement Harmel-
Spinoy (1965-1966) puis membre du groupe des vingt-huit (1969) ainsi que de la commission
sénatoriale de la Révision constitutionnelle (1968-1971). Il remplaça Freddy Terwagne comme
ministre des relations communautaires dans le gouvernement Eyskens de 1971 à 1972.
Témoin à la fois de l’évolution de la Belgique et du développement de l’Europe d’après-
guerre, Fernand Dehousse fut un personnage complexe: exigeant, mais sensible, cohérent - tout en
donnant parfois l’illusion d’être paradoxal -, rigoureux, parfois féroce dans ses propos, éloquent et
ambitieux, l’époux de la médiéviste de renommée internationale, Rita Lejeune - avec laquelle il eut
deux enfants, Jean-Maurice et Françoise Dehousse - était un authentique professeur engagé pour les
causes qu’il défendait. Conscient de sa tendance, non à bien faire, mais à faire mieux que les autres,
cet auteur prolifique9 participa jusqu’à sa disparation soudaine à l’édification du droit international
public et laissa le souvenir d’un homme en trois dimensions, à la fois internationaliste, fédéraliste et
farouchement européen.

Xavier Miny
ULiège

Bibliographie

RENARD, C.-L et MELCHIOR, M., “Fernand Dehousse”, Ann. dr. Liège 1977, 5-9.
MELCHIOR, M., “Bibliographie de Fernand Dehousse”, in Mélanges Fernand Dehousse, I, Paris-
Bruxelles, Fernand Nathan-Labor, 1979, 15-21.
CARLIER, P., “Fernand Dehousse”, in Nouvelle Biographie Nationale, III, Bruxelles, Académie
Royale de Belgique, 1994, 114-117.
CARLIER, P., “Fernand Dehousse”, in 1940. Belgique. Une société en crise, un pays en guerre,
Bruxelles, CREHSGM, 1993, 373-383.
CARLIER, P., “Fernand Dehousse et le projet d’Union politique”, in G. Trausch (éd.), The
European integration from the Schuman-Plan to the Treaties of Rome, Baden-Baden/Milan,
Nomos/Giuffrè, 1993, 365-377

8
Le congrès de Liège des 20 et 21 octobre 1945: débats et résolutions, Liège, éditions du congrès
national wallon, s.d., 43-48.
9
Sa bibliographie complète peut être consultée aux pages 15 à 21 du tome premier des Mélanges
Fernand Dehousse, I, Bruxelles, Éditions Labor, 1979.

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