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J.-D. Nordmann
Les critères d'analyse de l'OIDEL en matière de liberté d'enseignement sont les suivants:
1) La liberté de créer et de gérer des écoles non gouvernementales (ENG) au sens de l'article 13
du Pacte International relatif aux droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC)
Cette liberté implique que l'Etat doit veiller à l'élimination de toute discrimination dans la
jouissance des libertés fondamentales, parmi lesquelles on compte le droit pour les parents à
choisir une école "autre que celle des pouvoirs publics". Mais l'Etat doit également protéger et
garantir l'exercice de ce droit, et œuvrer positivement à sa pleine implémentation, ce qui signifie
qu'il ne peut se contenter de concéder ou de reconnaître ce droit, mais qu'il doit prendre les
mesures nécessaires à ce que le choix scolaire soit un véritable choix pour tous.
4) L'enseignement à domicile
Cette méthode d'enseignement, impliquée par l'article 13 du PIDESC, dépend directement des
contraintes que peut imposer un Etat en matière de surveillance. Le pays doit reconnaître que le
concept d'ENG peut englober une école composée d'un ou de quelques élèves.
En France, pour la plupart, ces critères sont remplis. La liberté d’enseignement est, dans son
principe, solidement ancrée dans la législation française (Loi Debré de 1959 qui en codifie l’exercice
en offrant aux promoteurs d’écoles « différentes » le choix entre des solutions variées, allant de
l’intégration pure et simple au réseau public, à un statut de liberté et d’autonomie très larges).
D’autre part, les parents ont une véritable possibilité de choisir une scolarisation en ENG pour
autant qu’ils acceptent un sacrifice financier important ou alors qu’ils consentent à ce que la
« différence » éducative ne soit que partielle.
• En France, la liberté d’enseignement est très souvent assimilée à une scolarité religieuse ou
confessionnelle, le plus souvent catholique. De ce fait, l’école a toujours été « otage » de la
querelle que se livrent laïcs et catholiques. De plus, la laïcité en France devient aujourd’hui
du laïcisme. Ce qui signifie que ce qui est censé relever d’une neutralité en matière de
• Une des particularités du système français est sa centralisation extrême. Tout ce qui se fait
en matière d’enseignement est estampillé Education Nationale, ce qui fournit au citoyen
une sorte de garantie, une assurance. Dans un contexte comme celui-ci, l’inventivité et
l’initiative pédagogique, ainsi que l’adaptabilité à la diversité toujours croissante des élèves
et de leurs besoins sont bridés par une timidité et une peur du risque et de l’anti-
conformisme. La pédagogie se retrouve reléguée au rang de technique qui doit être tenue
sous contrôle strict. Ce centralisme et ce qui en découle constituent un des grands obstacles
à l’exercice de la liberté, qui comprend toujours une part de risque.
• Les conditions de conclusion d’un contrat d’association d’une ENG avec l’Etat, telles que le
prévoit la loi Debré, sont extrêmement limitatives, et l’autonomie des écoles dites libres
est très relative. Une ENG sous contrat, qui reçoit beaucoup de subventions, n’est pas
autorisée à s’écarter du curriculum national, doit se conformer aux normes officielles
d’organisation, et ne dispose que d’une liberté très restreinte en matière de gestion du
personnel. A l’inverse, une ENG hors contrat jouit d’une autonomie beaucoup plus large,
mais au prix d’une privation de fonds publics. De plus, la prise en charge des salaires des
enseignants n’est pas complète. Le nombre de poste rémunérables est défini par l’Etat, en
fonction de critères déterminés par le nombre d’élèves dans les écoles publiques. Les écoles
privées, qui doivent faire face à une demande croissante se voient donc retirer chaque
année des postes d’enseignants. Autre condition limitative : avant de pouvoir bénéficier des
subventions de l’Etat, une ENG doit avoir fait ses preuves en fonctionnant pendant cinq ans
seule.
Cependant, l’exercice concret de cette liberté est fortement limité par tous les points énoncés plus
haut. Cette situation n’est pas irrémédiable, et il est possible de l’améliorer en favorisant
l’évolution du système selon deux axes principaux :
2. Une des missions de l’OIDEL consiste à analyser les politiques scolaires sous
l’angle de la liberté d’enseignement, en se référant aux définitions contenues
dans les textes internationaux. C’est ainsi que, en 2002, elle a publié un
« Rapport sur la liberté d’enseignement dans le monde ». Ce travail élaborait et
calculait un « indice de liberté d’enseignement » pour chaque pays, indice
permettant ensuite un « classement » des 85 pays étudiés. L’indice élaboré en
2002 tenait compte des dispositions juridiques, en étudiant le droit de créer des
écoles non gouvernementales et l’existence de règles permettant le
financement, même partiel, de ces écoles. Analysée sous cet angle de vue
partiel, la France s’est retrouvée en excellente position (4ème ). Dans nos
commentaires, nous faisions toutefois remarquer que ce bon classement de la
France ne tenait pas compte de l’autonomie pédagogique effective dont dispose
une école non gouvernementale et nous annoncions, pour ce pays, des résultats
nettement moins favorables, le jour où un tel critère pourrait être sinon
objectivement mesuré, du moins évalué avec une certaine pertinence.
1
Les textes du droit international en matière de liberté d’éducation sont consignés en A.
Fernandez/ S. Jenkner, Déclaration et conventions internationales sur le droit à l’éducation et la
liberté d’enseignement, Info 3 Verlag, Frankfurt, 1995.
Art 13 du PIDESC
(3) les Etats parties au présent pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et,
le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements
autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui
peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat en matière d'éducation, et de faire
assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres
convictions.
(4) aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant
atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des
établissements d'enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe
1 du présent article3 soient observés et que l'éducation donnée dans ces
établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par
l'Etat.
Existe-t-il, par conséquent, des dispositions légales claires permettant aux parents
de « faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à
leurs propres convictions » ?
2
Le Rapport 2002 proposait de regrouper sous le terme général d’ « Ecoles non gouvernementales »
(ENG) toutes les écoles que le PIDESC désigne comme « établissements autres que ceux des pouvoirs
publics ». Ce choix a pour objectif d’éviter les connotations, très différentes d’un pays à l’autre,
d’expressions comme « école libre », « école privée », etc….
3
Ce premier paragraphe rappelle « le droit de toute personne à l’éducation ». Il précise aussi que
« l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité
et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Deux « clés de lecture » font aujourd’hui l’objet d’un consensus international dans
l’interprétation de tous les droits économiques, sociaux et culturels.
4
Pour davantage de détails, cf. J.-D. Nordmann et A. Fernandez, Le droit de choisir l’école, L’Âge
d’Homme, Lausanne 2000 et J.-D. Nordmann et J.-P Chenaux, Libérez l’école ! Les libertés
scolaires, mode d’emploi, Etudes&Enquêtes, Centre Patronal, 2004, Cp 1215, 1001 Lausanne.
5
Cette typologie a été élaborée par A. Eide, d’abord pour l’interprétation du « droit à
l’alimentation ». Elle a ensuite été adaptée par F. Coomans au droit à l’éducation, puis à
l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels. Voir l’observation générale n°12, relative
au « Droit à une nourriture suffisante » (art. 11 du Pacte des desc) cfr. § 1-20 (Nations Unies, Doc.
HRI/GEN/1/Rev. 4, 2000, p. 64-68) complétée dans l’observation générale n°13 sur le « Droit à
l’éducation » (art. 13 du Pacte des desc) (Nations Unies, Doc. HRI/GEN/1/Rev. 4, 2000, p. 74-91).
F. COOMANS / F VAN HOOF, (1995) The Right to Complain about Economic, Social and Cultural
Rights, Utrecht: SIM n°18.
6
Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme, préambule et art 26.
7
Ce qui est évidence au plan théorique comporte pourtant de redoutables dangers au plan
pratique : à vouloir appliquer cette dernière norme dite d’« adaptabilité » à l’organisation scolaire,
on risque de tomber dans une dans une véritable épilepsie des réformes. C’est exactement ce qui se
passe lorsqu’un Ministère de l’éducation entend imposer à tous les élèves d’un pays une même
éducation, les mêmes programmes et les mêmes méthodes d’enseignement. Une véritable
adaptabilité d’un système éducatif, si elle veut maintenir une bonne sérénité dans l’école, passe
donc nécessairement par un transfert des décisions à l’échelon de l’établissement scolaire, lequel
peut « adapter » ses prestations aux besoins analysés par les professeurs, sans que cela conduise à
une « réformite » permanente.
Le lien que nous avons établi entre liberté et financement nous a conduit, tout
naturellement, à « évaluer » le degré de liberté d’enseignement selon une échelle
progressive, en partant des financements « flous », voire inexistants, en passant
par la subvention des salaires et des frais de fonctionnement, puis réservant la
« note » la plus élevée aux pays contribuant au moins à une partie des
investissements. Notre Rapport 2002 a en effet montré que c’est bien dans cet
ordre que peut se mesurer la « générosité » d’un Etat en faveur des ENG.
Il n’en demeure pas moins – et c’est une des limites incontournables d’un essai de
systématisation – que la réalité du terrain est souvent beaucoup plus complexe que
ne peut le laisser supposer un exercice de classification.
De notre point de vue, un pays reconnaissant aux parents le droit d’instruire eux-
mêmes leurs enfants réalise une forme de mise en œuvre de la liberté
d’enseignement. Un tel pays reconnait implicitement que le concept d’école non
gouvernementale peut s’étendre jusqu’à englober une « école » composée d’un
seul ou de quelques élèves. Nos critères d’analyse tiennent aussi compte du risque
– assez théorique il est vrai – de voir cette liberté amputée de sa substance par des
exigences trop strictes en matière de programmes et de surveillance.
On objectera avec raison que, dans de très nombreux pays, beaucoup d’écoles non
gouvernementales se distinguent ou prétendent se distinguer par un caractère
confessionnel. Notre conviction demeure toutefois que cette approche est
réductrice et explique en partie les impasses dans lesquelles s’engouffre souvent le
débat scolaire.
L’art 13 du PIDESC, qui nous sert de fil conducteur, n’est évidemment pas d’un
grand secours pour lever cette confusion lorsqu’il parle de « faire assurer
l’éducation religieuse et morale »9 des enfants dont les parents auraient choisi une
« école autre que celle des pouvoirs publics ». L’expression figure également dans
l’article 18 du PIDCP.
8
« Nous croyons qu'éduquer des hommes et des femmes en leur proposant la Bonne Nouvelle du
Christ, c'est rendre service à la société française. C'est pour cela que les établissements catholiques
ne sont, en fait, pas "privés" mais associés au service public d'éducation. Le caractère propre de
l'enseignement catholique ce n'est pas la catéchèse, même si bien sûr elle a toute sa place, mais le
lien, la cohérence entre enseigner, éduquer, évangéliser ", déclarait, en 2004, Gilles de
Bailliencourt, Directeur Diocésain de l'Enseignement catholique, Diocèse de Nice. Critiquant cette
position, l’Union rationaliste française disait : « C'est donc bien de reconquête qu'il s'agit, de
reconquête de la laïcité scolaire et institutionnelle, de reconquête du service public sur tout le
territoire, et donc, à l'aube de nouvelles étapes décisives sur le plan des institutions de la nouvelle
Europe, de reconquête de la démocratie. » (Le service public et l'école dite libre, par Michel Naud ,
Intervention au colloque laïcité 2004 de l'union rationaliste au collège de France)
9
On notera au passage l’étrangeté – et l’inélégance - de la version française de l’article 13, qui
utilise deux infinitifs, « faire assurer », alors que la version anglaise se contente de « to ensure the
religous and moral education… » , la version espagnole portant l’expression « … y de hacer que sus
hijos…reciban ». Peut-être ne faut-il pas attribuer trop d’importance à ces nuances. Reste que, en
rigueur de termes, « faire assurer » implique plutôt une délégation de l’éducation à des instances
autres que la famille, alors que « ensure » et « hacer…que reciban » consacrent davantage la
responsabilité propre des parents.
10
Il existe néanmoins des textes plus explicites :« Le droit à la liberté de l’enseignement implique
l’obligation pour les Etats membres de rendre possible également sur le plan financier l’exercice
pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de
leur mission et à l’accomplissement de leurs obligations dans des conditions égales à celles dont
bénéficient les établissements publics correspondants, sans discrimination à l’égard des
organisateurs, des parents, des élèves ou du personnel; cela ne fait toutefois pas obstacle à ce
qu’un certain apport personnel soit réclamé aux élèves des écoles créées par l’initiative privée, cet
apport traduisant leur responsabilité propre et visant à conforter leur indépendance. » Résolution
sur la liberté d’enseignement dans la communauté européenne, Parlement européen, 16 avril 1984.
C’est donc tout naturellement que nous avons introduit cette clé de lecture dans
notre analyse, malgré les difficultés que constituent et la « jungle » des
législations scolaires et surtout la diversité des applications concrètes de ces
législations.
Nous nous attachons d’abord à vérifier qu’une ENG puisse effectivement proposer
un « projet d’établissement » qui le distingue clairement et de l’école publique et
des autres ENG.
Le deuxième critère d’autonomie porte sur la liberté qu’a l’ENG de «choisir» ses
élèves. Ce critère soulève une réelle difficulté, puisqu’il faut éviter d’ériger en
preuve de liberté ce qui relèverait, en réalité, de la discrimination. Dans le cas où
une ENG bénéficie d’un financement public, elle doit assumer sa part de « service
public » et cela ne contredit nullement le principe de liberté. Lorsque nous parlons
de « liberté de choisir les élèves », nous évoquons simplement le droit d’une ENG à
exiger des parents qu’ils adhèrent au projet d’établissement et qu’ils y adhèrent
non seulement en théorie mais aussi dans la pratique qui en résulte. Il serait, par
exemple, illusoire de conférer une réelle autonomie à une Ecole Montessori ou à
une Ecole Steiner sans lui permettre de refuser un élève dont les parents
n’accepteraient pas qu’il soit soumis à la pédagogie Montessori ou Steiner, avec
toutes les conséquences que cela implique, parfois pour les parents eux-mêmes. Ce
critère d’analyse pose bien des problèmes en France, du fait que le caractère
propre affirmé des ENG est de nature confessionnelle et que la « liberté de choisir
l’élève » apparaît souvent comme une offense à la liberté de conscience.
11
Notons au passage que cela complique singulièrement toute tentative d’y voir clair dans l’analyse
de la liberté scolaire dans le monde. Certains pays, au Nord de l’Europe particulièrement, octroient
à leurs écoles publiques une liberté pédagogique dont bien des chefs d’établissements privés, en
France par exemple, n’oseraient même pas rêver. De plus, les parents ont une très grande liberté
de déterminer l’école publique – ou privée – de leur choix. Dans notre Rapport 2002, nous
soulignions déjà qu’il fallait remettre en question la distinction école publique / école privée pour
lui préférer des critères directement centrés sur l’autonomie pédagogique des écoles et la liberté
réelle de choix des parents.
Même si l’Art.13 du PIDESC évoque avec une certaine insistance les « normes
minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat », le simple bon sens
suffit à comprendre que lorsque ces normes se font trop tatillonnes et
bureaucratiques, il n’existe plus de liberté du tout.
Nous sommes maintenant à pied d’œuvre pour étudier, sous l’éclairage de ces
quatre critères, la liberté d’enseignement en France
Nous l’avons déjà relevé : la notion de liberté scolaire, en France, recoupe presque
toujours la liberté des établissements catholiques.
Au cours des années 1870-1880 apparaît une « laïcité de combat », avec toute une
série de mesures touchant les établissements d’enseignements tenus par l’Eglise.
Se déclarant pacificateur, Jules Ferry renforce le camp laïc par les lois de 1881 et
1882, des lois qu’il refuse de voir nommer « lois de combat » mais qu’il définit
comme de « grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays ». Ces lois Ferry
instituent, de fait, à la fois la gratuité et la laïcité de l’école publique.
Contrairement à une idée souvent émise, Ferry ne s’oppose pas frontalement aux
catholiques, qui sont les « assises de granit » de la République. Mais son action
signifie clairement une profonde remise en question du rôle de l’Eglise en matière
d’éducation : la création d’un Conseil supérieur de l’instruction publique (1880)
supprime le contrôle de l’école par l’Eglise et les notables ; l’Etat obtient un
monopole de la « collation des grades » et les religieux connaissent toujours plus
de difficultés à obtenir des postes d’enseignement.
12
Il convient de rappeler ici que la conception de la « laïcité » revêt, en France, une coloration
proche de « laïcisme ». « Laïc/laïque peut signifier simplement une neutralité en matière de
religion, mais peut aussi se référer à une ensemble de convictions sur l’essence-même du réel, sur
la nature d’une bonne société, sur la définition de ce que devraient être les relations humaines et
ainsi de suite. Utilisé dans ce sens, le mot (laïc) ne désigne pas une neutralité qui refuserait d’opter
pour une vision spécifique du monde mais signifie en lui-même une conception particulière du
monde qui refuse aux tenants de telle ou telle religion le droit d’interférer dans le débat public. »
(cf. Charles Glenn et Jan de Groof, Balancing Freedom, Autonomy and Accountability in Education,
Vol II, p. 135, Wolff, 2005, notre traduction.)
13
La Loi Guizot du 28 juin 1833 présente la particularité d’intituler son « Titre 2 » par « Des écoles
primaires privées » et de ne traiter « Des écoles primaires publiques » qu’en « Titre 3 » ! Lisons
l’article 4, titre 3 de la loi Guizot : « Tout individu âgé de dix-huit ans accomplis pourra exercer la
profession d’instituteur et diriger tout établissement quelconque (sic !) d’instruction primaire sans
autres conditions que de présenter préalablement au maire de la commune où il voudra tenir
école : 1) un brevet de capacité…….2) un certificat constatant que l’impétrant est digne, par sa
moralité, de se livrer à l’enseignement…. »
En 1905 est votée la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat, qui va mettre le pays
au bord de la guerre civile. La première guerre mondiale apaisera le débat en
réunissant les Français en une « union sacrée ».
Aux termes de cette Loi Debré, les ENG peuvent choisir entre 4 options :
3. Le « contrat simple » : l’Etat rémunère les maîtres mais ne participe en rien aux
autres frais de l’école. L’Ecole sous contrat simple doit satisfaire à des normes
minimales en ce qui concerne la qualification des professeurs, l’effectif des
classes et l’organisation générale de l’enseignement. Aujourd’hui, cette option
n’est possible que pour les établissements d’enseignement primaire.
4. Le « contrat d’association » : les maîtres sont payés par l’Etat, qui assume, par
ailleurs, certains frais de fonctionnement. Les collectivités locales doivent
participer – ce qui est aujourd’hui l’objet de tensions constantes - aux
investissements nécessaires des ENG. En contrepartie, les Ecoles libres sous
contrat d’association sont tenues à respecter des exigences très contraignantes
en matière de programmes, d’organisation, de matériel scolaire et de politique
d’engagement des collaborateurs. Les parents demeurent responsables du
financement des prestations relevant, par exemple, du caractère confessionnel
de l’Ecole. (Cours de religion, frais de culte, etc…)
Dès 1981, Alain Savary, Ministre de l’éducation nationale, tente de limiter la marge
de manœuvre des ENG en demandant aux Préfets de ne pas inscrire d’office les
crédits municipaux destinés aux écoles primaires privées sous contrat. Dès l’année
suivante, Savary met en route un plan de réforme de l’éducation nationale qui doit
conduite à l’ «insertion du secteur privé au sein du service public
d’enseignement. » Les écoles libres deviendraient des « EIP » (Ecoles d’intérêt
public) et la carte scolaire serait renforcée. Le projet se heurte à une résistance
imprévue des milieux catholiques qui parviennent à mettre sur pied, en 1984,
plusieurs grandes manifestations qui contraignent le gouvernement à renoncer
et…deux ministres à démissionner.
Si l’on peut constater aujourd’hui une certaine accalmie sur le front de la « guerre
scolaire » que se livrent « laïcs » et catholiques, c’est sans doute moins en raison
d’une satisfaction des deux camps que pour le motif que ce débat tend à être
supplanté par de profondes interrogations sur le rôle de l’école en général et sur la
laïcité, qui ne concerne plus, désormais, que les seules communautés catholiques.
Ce bref rappel historique permet, sans forcer les textes, de reconnaître qu’existent
en France « des écoles autres que celles des services publics », telles qu’elles sont
prévues par l’Art 13 du PIDESC.
Ce dernier article évoque la conformité aux « aux normes minimales qui peuvent
être prescrites ou approuvées par l’Etat.» Ce minimum prescriptible fait
évidemment question, notamment si l’on examine, comme nous nous apprêtons le
faire, les contraintes liées à la signature d’un contrat d’association. La conformité
14
Décision No 77-87, par. 3 du 23 novembre 1977
15
On notera toutefois que, sur un plan strictement juridique, le gouvernement français ne connaît
comme interlocutrices que les écoles privées elles-mêmes et non leurs associations.
La législation française fait très nettement le lien entre le droit à l’existence d’une
ENG et la nécessité d’en assurer le financement, au moins partiel.
Nous avons déjà exposé les 4 voies s’offrant aux établissements privés depuis la Loi
Debré (1959). La caractéristique du système français est ainsi de coupler « en
raison inverse » l’octroi de subventions et l’acceptation de la mise en œuvre d’un
projet pédagogique spécifique. En langage plus clair, une ENG sous contrat
d’association, qui reçoit beaucoup de subventions, n’est pas autorisée à s’écarter
du curriculum national, doit se conformer aux normes officielles d’organisation et
ne dispose que d’une liberté très restreinte en matière de gestion du personnel.17 A
16
Un exemple symptomatique : suite à l’adoption de la Loi Censi, le 5 janvier 2005, une loi portant
notamment sur le régime des retraites, on a vu des syndicats de personnels de l’enseignement privé
monter « aux barricades » pour revendiquer…le statut de « fonctionnaires », « le seul statut qui
vaille », dit un tract du Syndicat Unitaire National Démocratique des personnels de l’Enseignement
et de la formation privée. (http://sundep.lyon.free.fr/sommaire.php3). Une telle situation serait
considérée dans n’importe quel autre pays comme surréaliste.
17
La question de l’autonomie du chef d’établissement privé dans l’engagement de son personnel
est, à vrai dire, assez difficile à trancher. Nous avons nous-même interrogé des dizaines de
personnes connaissant bien la question en France et directement impliquées soit dans
l’enseignement, soit dans la gestion, soit dans des Associations de parents d’élèves, tous dans le
secteur privé. La diversité des appréciations est confondante : certains affirment que, en pratique,
le chef d’établissement peut engager le personnel à sa guise ; d’autres estiment que les termes du
« contrat » constituent, au contraire, une limitation très stricte des prérogatives dans ce domaine.
Ce qui paraît clair au plan théorique, c’est que le statut d’ « agent public » payé par l’Etat ne
constitue guère un signe probant d’autonomie et d’indépendance pour les ENG. Reste qu’il semble
Si l’on sait que l’Etat garantit le paiement des salaires des enseignants de l’Ecole
sous contrat, on ignore souvent que le nombre de postes rémunérables est aussi
défini par l’Etat, en fonction de critères déterminés…. par le nombre d’élèves dans
les écoles publiques. Cela conduit aujourd’hui à un paradoxe : les ENG connaissent
une demande croissante et se voient chaque année retirer des postes
d’enseignants. A la rentrée 2005, les écoles sous contrat ont dû, pour ce motif,
refuser l’inscription de plus de 20'000 élèves.
Une autre difficulté surgit pour les promoteurs d’écoles libres. En effet, pour être
admis à signer un contrat avec l’Etat, donc à recevoir des subventions, un
établissement scolaire doit avoir fonctionné pendant cinq ans, durée pendant
laquelle il aura dû se débrouiller seul. Il s’agit là d’un obstacle important mis à la
création d’établissements scolaires différents de ceux des pouvoirs publics.
L’octroi de fonds publics pour les investissements des ENG sous contrat est plus
difficile à cerner. Si une loi de 1886 interdit, en principe, une subvention aux
bâtiments scolaires du primaire, les autorités locales peuvent participer à un tel
investissement pour les établissements secondaires, mais dans des proportions
strictement limitées. La mise en œuvre effective de ce type de subventionnement
est très variable, peu transparente pour l’observateur extérieur et fait l’objet de
nombreuses polémiques opposant les tenants du privé, agacés par la pingrerie des
aides accordées et les adversaires de l’enseignement confessionnel, qui voient en
toute subvention un détournement de fonds publics en faveur d’une Eglise
particulière.
La Loi Falloux (1850) plafonne l’aide aux ENG de l’Etat à une part de 10% de leurs
dépenses. Toujours en vigueur, cette loi empêche souvent les chefs
d’établissement d’effectuer les travaux nécessaires à mettre leurs locaux aux
normes de sécurité et d’hygiène, normes imposées par ailleurs.
Dans les établissements sous contrat, seuls les salaires des enseignants sont payés
par le Ministère de l’Education nationale. La rémunération des chefs
d’établissement, est assurée au titre des frais de fonctionnement par les autorités
locales (primaire), le département (collèges) ou la région (lycées), selon un mode
de calcul incluant des paramètres d’équivalence avec les dépenses de même
nature dans le secteur privé.
que, selon les régions, la personnalité du chef d’établissement et les relations - notamment
politiques - qu’il a su créer, influent grandement sur sa marge de manœuvre effective.
Une loi de 1882, amendée en 1946, confirme qu’en France, il existe une obligation
d’instruction mais non une obligation de scolarisation.
Ces dispositions relatives au contrôle des « homeschoolers » par les autorités sont
relativement récentes et procèdent de la volonté affichée dès 1998 de lutter
contre de possibles influences sectaires que pourraient subir ces enfants. D’autres
restrictions sont à l’ordre du jour : un projet de Loi sur la délinquance pourrait
conduire à soumettre aux exigences stipulées dans le Code à l’Art. L.131-10,
également les enfants suivant un enseignement à distance, tel le CNED par
exemple. Cela signifie que les parents faisant le choix de cet enseignement
auraient à justifier leurs motifs, alors même que les établissements
d’enseignement à distance sont généralement considérés comme des écoles
publiques particulières. Ce projet fait l’objet de vives protestations de la part de
milieux favorables à l’enseignement à domicile pour le double motif qu’il introduit
une discrimination entre élèves de l’enseignement public mais surtout qu’il paraît
assimiler le choix de l’enseignement à distance à une forme de délinquance !
Dans son article premier, la Loi Debré évoque le caractère propre en ces termes :
« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous,
l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État.
L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet
enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants
sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyances, y ont accès »
18
Cf Enseignement catholique français ECD 210, avril 1996, chap 3. Les objectifs cités sont
considérés comme le « souci primordial » des responsables de l’enseignement catholique. Cette
définition, qualifiée de laïque, du « caractère propre » de l’école catholique est toutefois précédée
d’une référence claire au document conciliaire Gravissimum educationis, au contenu clairement
religieux et spirituel.
19
Le texte de Mgr Cattenoz est un texte concernant prioritairement son propre diocèse.
Nous avons déjà mentionné le fait qu’un des critères de liberté consistait en la
marge de manœuvre accordée aux ENG de choisir leur personnel et de le gérer.
Cette liberté est vécue, sur le terrain, de manière assez restrictive. D’une part, les
enseignants de l’école privée ont obtenu le statut d’agents publics ; d’autre part,
ils sont majoritairement formés au sein des IUFM, comme leurs collègues des écoles
publiques. Si l’énergie et la combativité de bien des chefs d’établissement leur
permettent de constituer une équipe pédagogique cohérente et acquise au
caractère propre qu’ils entendent promouvoir, force est de constater qu’il reste un
long chemin à parcourir pour développer, en France, une « culture d’entreprise »
dans le milieu de l’enseignement. Les enseignants de l’Ecole libre bénéficient,
grâce au statut de fonctionnaire, d’une sécurité de l’emploi et de conditions
financières qui pourraient être moins favorables, si leur statut relevait du droit
privé. C’est là, sans aucun doute, qu’il convient de chercher les causes de
l’empressement modéré de l’enseignement catholique à revendiquer davantage
d’autonomie et de liberté.
Enfin, l’inspectorat des ENG est régi de façon précise, du moins pour les écoles
sous contrat.
20
Cf. B. Toulemonde, cité par Glenn & de Groof, op.cit. p. 142.
21
Cf Glenn & de Groof, op.cit. p.143.
1. A moins d’accepter – lorsqu’ils en ont les moyens – de financer une école hors
contrat, les parents ne disposent, pour l’essentiel, que de l’alternative offerte
par l’Ecole confessionnelle sous contrat. Ce faisant, ils cherchent surtout une
école leur garantissant un meilleur « esprit éducatif ».22 Ils font confiance aux
enseignants catholiques, considérés comme plus attentifs, comme animés par
des valeurs autres que celles de leurs collègues du public. Le contexte souvent
violent, verbalement et physiquement, de l’école publique leur fait attendre
des ENG des conditions d’enseignement plus sereines et, simplement, plus
humaines. A en juger par le succès croissant des Ecoles catholiques, cette
attente paraît satisfaire les parents.
22
« Depuis quelques années, le traitement médiatique de la rentrée scolaire se concentre sur « le
succès du privé » et sur les motivations des parents d’élèves. La dernière enquête commandée par
l’Unapel au Credoc (avril 2005) révèle à ce sujet un fait intéressant : les trois premiers critères, sur
neuf, du choix des parents, relèvent d’une appréciation qualitative : bon encadrement : 81 % ,
épanouissement de l‘enfant : 76 %, transmission de valeurs morales : 67 % , …alors que la
motivation strictement religieuse n’arrive qu’en dernière place avec 14 %. » (Cf. Frédéric Gautier,
directeur diocésain, La Croix, 14 septembre 2006)
c. Cette dernière caractéristique est renforcée par une tendance qui se fait
jour dans de nombreux pays européens : le citoyen attend de l’Etat qu’il lui
garantisse une « assurance tous-risques », le protégeant contre des dangers
supposés ou réels. Même si ce phénomène dépasse largement l’objet de
notre étude, nous pouvons néanmoins en signaler une conséquence dans le
domaine de la politique éducative : l’initiative pédagogique, l’inventivité, la
capacité de s’adapter à la diversité toujours croissante des élèves et de
leurs besoins sont littéralement stérilisées par des réflexes de peur. La
pédagogie, qui est un art, est ravalée au rang de « technique », une
technique qui doit avant tout éviter les risques et demeurer sous un contrôle
strict. L’obsession du « tout maîtrisable » constitue, à notre sens, un des
grands obstacles à l’exercice de la liberté, qui comprend toujours une part
de risque.
23
Cf. note 8
24
L’égalité des chances est aujourd’hui une valeur indiscutée. Reste que son interprétation peut
conduire à des politiques diamétralement opposées. Notons au passage que le mot « chance » est ici
ambigu, par le fait qu’il recèle une connotation de hasard, même s’il se comprend généralement
dans le sens de « avoir sa chance ». Si, en France particulièrement, l’égalité des chances conduit
souvent à une forme de nivellement, l’expression signifie, dans de nombreux autres pays, qu’il faut
offrir à chaque enfant la « chance », l’occasion de se réaliser dans sa personnalité propre. L’égalité
des chances conduit alors à un système scolaire où, selon l’expression de l’UNESCO, « l’école réagit
à l’élève et non au programme. ».
25
On nous permettra cette petite note personnelle : Dans notre expérience de direction d’école
privée en Suisse, nous sommes amenés à accueillir des familles provenant d’horizon fort divers. Or,
il est un fait indubitable que le souci des familles francophones – françaises, suisses romandes,
3. Le débat scolaire est –timidement – relancé par les perspectives des élections
présidentielles de 2007. Les deux candidats principaux que sont Mme Royal et
M. Sarkozy s’y sont engagés par leur critique de la « sectorisation » ou « carte
scolaire ». Cette carte scolaire, dont on se souvient que le Ministre Alain Savary
avait voulu la renforcer, constitue de fait un obstacle à la liberté
d’enseignement, puisqu’elle condamne les enfants issus de milieux défavorisés
à fréquenter l’école de leur quartier, donc à ne jamais avoir accès à d’autres
horizons. Certains y voient une politique délibérée de « ghettoïsation »26.
Comme le souligne Alain Madelin, la suppression de la carte scolaire n’est qu’un
élément de solution. « Le grand soir de la suppression de la carte ne peut pas
tenir lieu de politique. En parallèle, il faut diversifier l'offre éducative, en
accordant une autonomie plus large aux établissements. Grâce à cette double
démarche, liberté de choix des parents et liberté des enseignants de faire une
meilleure école, on échappera aux critères pesants de l'excellence académique
- le modèle du lycée Louis-le-Grand pour tous. La diversification de l'offre
permettra à des talents différents de trouver le collège de leur choix. Et de
donner ainsi de meilleures chances à tous les gamins de France. » 27
Le système des contrats, instauré par la Loi Debré, présente, sur la situation
connue dans d’autres pays, l’avantage de consacrer implicitement l’idée selon
laquelle une école « privée » accomplit, d’une certaine manière, un service
public. Il démontre aussi que l’Etat français reconnaît le besoin d’une
alternative scolaire et ne se contente par d’une acceptation passive de la
liberté d’enseignement.
Il n’en demeure pas moins que l’exercice concret de cette liberté est fortement
limité par la très grande similitude des prestations offertes d’une part dans les
écoles publiques et d’autre part dans les ENG sous contrat. Cette situation
pourrait s’améliorer en favorisant l’évolution du système selon deux axes
principaux :
belges dans une moindre mesure – porte surtout sur l’équivalence de nos prestations avec celles de
l’école publique. Les familles provenant d’autres horizons culturels, formulent leur demande de
manière inverse : pouvons-nous être sûrs de bénéficier chez vous d’une prestation vraiment
différente de celle des écoles publiques ?
26
Cf La fabrique du crétin, J.-P. Bringhelli, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2005.
27
L'Express du 19/10/2006.