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Rapport sur la liberté d’enseignement en France

J.-D. Nordmann

Organisation internationale pour le droit à l’éducation et la liberté d’enseignement


Ong avec statut consultatif auprès de l’ONU, l’UNESCO et le Conseil de l’Europe.

32, rue de l’Athénée / 1206 Genève / Suisse / dg @oidel.ch / www.oidel.ch

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 1


RESUME
L'OIDEL œuvre depuis une vingtaine d'années à la promotion de la liberté d'éducation, en se fondant
sur des concepts aussi universels que possible. Une des missions de l'OIDEL consiste à analyser les
politiques scolaires sous l'angle de la liberté d'enseignement, en se référant aux définitions
contenues dans les textes internationaux. Après une première version en 2002, un "Rapport sur la
liberté d'enseignement dans le monde" est en cours de préparation et devrait paraître en automne
2007. Voici une étude concernant la France.

Les critères d'analyse de l'OIDEL en matière de liberté d'enseignement sont les suivants:

1) La liberté de créer et de gérer des écoles non gouvernementales (ENG) au sens de l'article 13
du Pacte International relatif aux droits Economiques, Sociaux et Culturels (PIDESC)
Cette liberté implique que l'Etat doit veiller à l'élimination de toute discrimination dans la
jouissance des libertés fondamentales, parmi lesquelles on compte le droit pour les parents à
choisir une école "autre que celle des pouvoirs publics". Mais l'Etat doit également protéger et
garantir l'exercice de ce droit, et œuvrer positivement à sa pleine implémentation, ce qui signifie
qu'il ne peut se contenter de concéder ou de reconnaître ce droit, mais qu'il doit prendre les
mesures nécessaires à ce que le choix scolaire soit un véritable choix pour tous.

2) L'obligation pour l'Etat de financer les ENG


La véritable liberté pour les parents de choisir une école autre que celle des pouvoirs publics ne
doit pas être limitée par des questions budgétaires. Sans financement de la part de l'Etat, il n'y pas
de liberté éducative effective.

3) Le genre de financement accordé aux ENG


Les types de financement varient d'un pays à un autre. Il est donc difficile de les évaluer. Le
financement va de la prise en charge des salaires des enseignants, jusqu'à la participation aux frais
d'investissement en passant par des subventions aux frais de fonctionnement.

4) L'enseignement à domicile
Cette méthode d'enseignement, impliquée par l'article 13 du PIDESC, dépend directement des
contraintes que peut imposer un Etat en matière de surveillance. Le pays doit reconnaître que le
concept d'ENG peut englober une école composée d'un ou de quelques élèves.

5) L’autonomie des ENG


C'est la véritable substance du concept d' « établissements autres que ceux des pouvoirs publics ».
Cette autonomie implique que l’ENG puisse proposer un « projet d’établissement » qui la distigue
de l’enseignement public et des autres ENG, la liberté de choisir ses élèves, c’est-à-dire d’exiger
des parents qu’ils adhèrent au projet d’établissement dans la théorie et dans la pratique, ainsi que
la liberté de pouvoir choisir ses enseignants. L’inspectorat est aussi, dans sa pratique, déterminant
de cette autonomie.

En France, pour la plupart, ces critères sont remplis. La liberté d’enseignement est, dans son
principe, solidement ancrée dans la législation française (Loi Debré de 1959 qui en codifie l’exercice
en offrant aux promoteurs d’écoles « différentes » le choix entre des solutions variées, allant de
l’intégration pure et simple au réseau public, à un statut de liberté et d’autonomie très larges).
D’autre part, les parents ont une véritable possibilité de choisir une scolarisation en ENG pour
autant qu’ils acceptent un sacrifice financier important ou alors qu’ils consentent à ce que la
« différence » éducative ne soit que partielle.

Il existe cependant des obstacles et des limites à l’application de la liberté d’enseignement en


France. Les voici énoncés en quelques points :

• En France, la liberté d’enseignement est très souvent assimilée à une scolarité religieuse ou
confessionnelle, le plus souvent catholique. De ce fait, l’école a toujours été « otage » de la
querelle que se livrent laïcs et catholiques. De plus, la laïcité en France devient aujourd’hui
du laïcisme. Ce qui signifie que ce qui est censé relever d’une neutralité en matière de

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religion, qui refuse d’opter pour une vision spécifique du monde, est devenu, au contraire,
une conception particulière du monde, qui refuse aux tenants de telle ou telle religion le
droit d’interférer dans le débat public. Les écoles catholiques sont donc obligées d’adopter
un profil bas pour ne pas se voir accusées d’une volonté de « reconquête » d’un
catholicisme missionnaire. Une autre conséquence de ce constat est le manque d’un
véritable pluralisme éducatif. L’offre pédagogique est très pauvre, en partie parce que
l’enseignement catholique est vu comme seule alternative aux écoles publiques. La variété
pédagogique est un concept encore trop peu exploité en France, et qui mériterait un
développement important.

• Une des particularités du système français est sa centralisation extrême. Tout ce qui se fait
en matière d’enseignement est estampillé Education Nationale, ce qui fournit au citoyen
une sorte de garantie, une assurance. Dans un contexte comme celui-ci, l’inventivité et
l’initiative pédagogique, ainsi que l’adaptabilité à la diversité toujours croissante des élèves
et de leurs besoins sont bridés par une timidité et une peur du risque et de l’anti-
conformisme. La pédagogie se retrouve reléguée au rang de technique qui doit être tenue
sous contrôle strict. Ce centralisme et ce qui en découle constituent un des grands obstacles
à l’exercice de la liberté, qui comprend toujours une part de risque.

• Les conditions de conclusion d’un contrat d’association d’une ENG avec l’Etat, telles que le
prévoit la loi Debré, sont extrêmement limitatives, et l’autonomie des écoles dites libres
est très relative. Une ENG sous contrat, qui reçoit beaucoup de subventions, n’est pas
autorisée à s’écarter du curriculum national, doit se conformer aux normes officielles
d’organisation, et ne dispose que d’une liberté très restreinte en matière de gestion du
personnel. A l’inverse, une ENG hors contrat jouit d’une autonomie beaucoup plus large,
mais au prix d’une privation de fonds publics. De plus, la prise en charge des salaires des
enseignants n’est pas complète. Le nombre de poste rémunérables est défini par l’Etat, en
fonction de critères déterminés par le nombre d’élèves dans les écoles publiques. Les écoles
privées, qui doivent faire face à une demande croissante se voient donc retirer chaque
année des postes d’enseignants. Autre condition limitative : avant de pouvoir bénéficier des
subventions de l’Etat, une ENG doit avoir fait ses preuves en fonctionnant pendant cinq ans
seule.

La France a certes, certains acquis en matière de liberté d’enseignement, comme la reconnaissance


de l’idée selon laquelle une école « privée » accomplit, d’une certaine manière, un service public.
Le système de contrats instauré par la Loi Debré démontre également que l’Etat français reconnaît
le besoin d’une alternative scolaire et ne se contente pas d’une acceptation passible de la liberté
d’enseignement.

Cependant, l’exercice concret de cette liberté est fortement limité par tous les points énoncés plus
haut. Cette situation n’est pas irrémédiable, et il est possible de l’améliorer en favorisant
l’évolution du système selon deux axes principaux :

1) Il faudrait que la distinction entre le discours relevant de la laïcité et la doctrine de la


liberté d’enseignement soit enfin réalisée, tant dans les mentalités, que dans les textes
législatifs. Un assouplissement des exigences d’uniformité des programmes et de
l’organisation scolaire permettrait l’émergence d’ENG sous contrat offrant une alternative
pédagogique, le caractère propre « catholique » devenant une alternative parmi d’autres.

2) La voie de la décentralisation paraît également prometteuse. La France manque de


connaissances et d’intérêt pour les systèmes éducatifs des autres pays européens.
L’évolution des pays nordiques en matière d’enseignement est spectaculaire, avec des
résultats concrets sur le plan de la qualité de l’enseignement. Et c’est bien ce dernier
critère qui doit occuper la première place au rang des préoccupations sur l’éducation :
améliorer l’efficacité de l’enseignement en permettant aux enseignants et aux parents
d’offrir aux enfants une école capable de répondre à leurs besoins réels.

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Notre propos

Liberté, égalité, fraternité. Mais lorsque la liberté est d’enseignement, la


fraternité s’épuise, au nom de l’égalité. Telle pourrait être la conclusion d’une
réflexion sur la liberté d’enseignement en France. Précisons ! Le sujet demeure
hautement polémique. Il divise les Français peut-être, les élites politiques
sûrement, et la ligne de fracture tient moins à la raison pédagogique qu’à une
querelle quasi théologique portant sur la « laïcité » et les rapports entre l’Eglise
catholique et l’Etat.

En France, la liberté d’enseignement est souvent une valeur « catholique », moins


au sens universel que confessionnel. Pour les laïcs : une porte ouverte au retour de
l’obscurantisme. Pour les catholiques : une occasion d’évangélisation,
d’affirmation d’une différence morale et spirituelle, une occasion aussi de débats
entre eux. En mode de caricature : d’un côté, les apôtres de la paix scolaire,
bénissant les contrats signés avec l’Etat et les dividendes qui en résultent ; de
l’autre, les militants d’un catholicisme plus visible dans les écoles, prêts à
demeurer libres et« hors-système » au prix de mille difficultés financières.

Or, la liberté d’enseignement s’incarne d’abord dans la liberté pédagogique et


donc une multiplicité d’offres éducatives. La liberté des parents n’est pas
seulement binaire : laïcs ou « cathos », Ferry ou Jésus. Elle ne saurait se limiter à
un choix confessionnel, même si la possibilité d’un tel choix fait partie intégrante
de la liberté d’enseignement. Le pluralisme pédagogique fait, en France, l’objet
d’une attention marginale.

Il nous faudra donc partir du terrain concret de la liberté scolaire « à la


française », c'est-à-dire d’une dialectique portant sur le caractère public ou privé
de la religion et les exigences de la laïcité. Ces tensions, dégénérant en conflits
parfois violents depuis la fin du 19ème siècle, ont produit une abondante littérature,
souvent partisane, au point que la rédaction d’une synthèse sur ce sujet demeure
extrêmement complexe.

Il importe donc de bien spécifier notre propos et de le situer en son contexte


particulier.

1. Notre organisation, l’OIDEL, œuvre depuis une vingtaine d’années à la


promotion de la liberté d’éducation. D’innombrables définitions de cette liberté
ont été proposées. L’OIDEL a donc cherché à penser cette liberté en se fondant
sur des concepts aussi universels que possible. Pour ce faire, elle s’appuie sur
les dispositions contenues dans le droit international, notamment le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte
international relatif aux droits économiques sociaux et culturels (PIDESC), deux
textes ratifiés par la quasi-totalité des pays du monde et faisant donc l’objet

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d’un consensus, au moins théorique. L’accent, on le verra, est porté sur l’Art 13
du PIDESC plutôt que sur l’Art 18 du PIDCP. La raison en est simple : les droits
dits économiques, sociaux et culturels sont considérés comme impliquant une
intervention de l’Etat. Ils fondent le citoyen à exiger une action concrète de
l’Etat. Les droits civils et politiques, traduisent plutôt, en grossière
approximation, des « devoirs de retrait » de la part de l’Etat ou alors obligent
ce dernier au « respect » d’un certain nombre de libertés. Dans la mesure où
notre objectif est de comprendre et, d’une certaine manière, d’ « évaluer »
l’action des Etats en matière d’éducation (cf. infra), nous nous appuyons sur
l’art 13 du PIDESC, tout en gardant l’art 18 du PIDCP – et beaucoup d’autres
textes normatifs1 – comme outil d’interprétation.

2. Une des missions de l’OIDEL consiste à analyser les politiques scolaires sous
l’angle de la liberté d’enseignement, en se référant aux définitions contenues
dans les textes internationaux. C’est ainsi que, en 2002, elle a publié un
« Rapport sur la liberté d’enseignement dans le monde ». Ce travail élaborait et
calculait un « indice de liberté d’enseignement » pour chaque pays, indice
permettant ensuite un « classement » des 85 pays étudiés. L’indice élaboré en
2002 tenait compte des dispositions juridiques, en étudiant le droit de créer des
écoles non gouvernementales et l’existence de règles permettant le
financement, même partiel, de ces écoles. Analysée sous cet angle de vue
partiel, la France s’est retrouvée en excellente position (4ème ). Dans nos
commentaires, nous faisions toutefois remarquer que ce bon classement de la
France ne tenait pas compte de l’autonomie pédagogique effective dont dispose
une école non gouvernementale et nous annoncions, pour ce pays, des résultats
nettement moins favorables, le jour où un tel critère pourrait être sinon
objectivement mesuré, du moins évalué avec une certaine pertinence.

3. Un nouveau Rapport est en cours de rédaction. Il devrait paraître en automne


2007, muni, cette fois, de critères nouveaux permettant une évaluation de
l’autonomie des établissements scolaires. La brève étude présentée ici utilise
donc les critères retenus pour le Rapport 2007.

Ces critères doivent être maintenant présentés.

1
Les textes du droit international en matière de liberté d’éducation sont consignés en A.
Fernandez/ S. Jenkner, Déclaration et conventions internationales sur le droit à l’éducation et la
liberté d’enseignement, Info 3 Verlag, Frankfurt, 1995.

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Nos critères d’analyse

A. La liberté de créer et de gérer des ENG2 au sens de l'art. 13 du PIDESC

Art 13 du PIDESC

(3) les Etats parties au présent pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et,
le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements
autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui
peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat en matière d'éducation, et de faire
assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres
convictions.

(4) aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant
atteinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des
établissements d'enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragraphe
1 du présent article3 soient observés et que l'éducation donnée dans ces
établissements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par
l'Etat.

Ce premier critère d’analyse peut donc être résumé comme suit :

Existe-t-il, dans le pays étudié, des dispositions légales claires et explicites


permettant la création d’écoles non gouvernementales ?

Existe-t-il, par conséquent, des dispositions légales claires permettant aux parents
de « faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à
leurs propres convictions » ?

En théorie, la réponse à ces deux questions est positive en ce qui concerne la


France : le réseau d’écoles dites « libres » est une vieille tradition en France ; les
parents peuvent effectivement choisir de confier leurs enfants à une école
catholique ou à une autre école libre. Ils ne s’en privent d’ailleurs pas, puisque
deux millions d’enfants fréquentent aujourd’hui des écoles privées. Certaines
études affirment que 50% des familles françaises confient un jour ou l’autre un de
leurs enfants à l’école catholique.

2
Le Rapport 2002 proposait de regrouper sous le terme général d’ « Ecoles non gouvernementales »
(ENG) toutes les écoles que le PIDESC désigne comme « établissements autres que ceux des pouvoirs
publics ». Ce choix a pour objectif d’éviter les connotations, très différentes d’un pays à l’autre,
d’expressions comme « école libre », « école privée », etc….
3
Ce premier paragraphe rappelle « le droit de toute personne à l’éducation ». Il précise aussi que
« l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité
et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

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Le PIDESC date de 1966. Il a fait, depuis, l’objet de nombreux commentaires4 que
nous nous contentons de résumer ici.

Deux « clés de lecture » font aujourd’hui l’objet d’un consensus international dans
l’interprétation de tous les droits économiques, sociaux et culturels.

1. La première consiste en la typologie proposée par le Comité des droits


économiques sociaux et culturel en 19995. Selon cette typologie, qui sert
aujourd’hui de critère d’évaluation des rapports présentés au Comité par tous
les pays ayant ratifié le PIDESC, il incombe aux Etats un triple devoir :

a. L’Etat doit respecter le droit. Il a, autrement dit, le devoir de veiller à


éliminer, dans sa propre action, toute discrimination dans la jouissance
des libertés fondamentales. Parmi ces libertés fondamentales, on compte
bien évidemment le droit pour les parents de choisir l’école « autre que
celles des pouvoirs publics ».

b. L’Etat doit protéger l’exercice du droit de toutes les violations


« horizontales » qui pourraient faire obstacle à sa pleine réalisation. Il
est, par exemple, responsable d’empêcher que la liberté d’enseignement
ne soit détournée de son but et ne se retourne contre la liberté de
l’enfant. Le devoir de l’Etat consiste, en autres, à empêcher
l’implantation d’écoles qui ne respecteraient pas les droits
fondamentaux, notamment les droits de l’enfant. Ce devoir de protection
donne à l’Etat les moyens concrets d’éviter que ne s’établissent des
écoles de type sectaire lorsque, du moins, les sectes en question sont
porteuses d’idéologies contraires aux libertés fondamentales. La tâche
est éminemment complexe et ses limites sujettes à de nombreuses
interprétations.

c. L’Etat doit œuvrer positivement à la pleine implémentation du droit.


Autrement dit, il ne peut se contenter de concéder la liberté éducative –
ce qui serait d’ailleurs contradictoire dans les termes, une liberté
fondamentale n’étant jamais concédée mais simplement reconnue – mais
il doit prendre des mesures pour que le choix scolaire soit un véritable
choix pour tous. En clair, un Etat qui se contente d’accepter la liberté
d’éducation sans veiller à garantir les moyens de son exercice sera
réputé ne point respecter la liberté d’éducation.

4
Pour davantage de détails, cf. J.-D. Nordmann et A. Fernandez, Le droit de choisir l’école, L’Âge
d’Homme, Lausanne 2000 et J.-D. Nordmann et J.-P Chenaux, Libérez l’école ! Les libertés
scolaires, mode d’emploi, Etudes&Enquêtes, Centre Patronal, 2004, Cp 1215, 1001 Lausanne.
5
Cette typologie a été élaborée par A. Eide, d’abord pour l’interprétation du « droit à
l’alimentation ». Elle a ensuite été adaptée par F. Coomans au droit à l’éducation, puis à
l’ensemble des droits économiques, sociaux et culturels. Voir l’observation générale n°12, relative
au « Droit à une nourriture suffisante » (art. 11 du Pacte des desc) cfr. § 1-20 (Nations Unies, Doc.
HRI/GEN/1/Rev. 4, 2000, p. 64-68) complétée dans l’observation générale n°13 sur le « Droit à
l’éducation » (art. 13 du Pacte des desc) (Nations Unies, Doc. HRI/GEN/1/Rev. 4, 2000, p. 74-91).
F. COOMANS / F VAN HOOF, (1995) The Right to Complain about Economic, Social and Cultural
Rights, Utrecht: SIM n°18.

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2. Une seconde typologie a été élaborée par le même Comité et complétée par
Katarina Tomasevki (1999) dans le premier rapport à la Commission des droits
de l’homme. Là aussi, cette typologie est adoptée comme critère d’évaluation
de tous les droits économiques, sociaux et culturels. Elle affirme que la
réalisation du droit l’éducation suppose remplies quatre conditions. Cette règle
est souvent appelée la « règle des 4A » :

a. Availability (Dotations): le droit à l’éducation exige que les Etats veillent


à ce qu’il y ait une mise à disposition suffisante de moyens éducatifs de
qualité.
b. Accessibility (Accessibilité) : le droit à l’éducation exige que l’Etat
permette l’accès physique, économique et non discriminatoire à ces
moyens de formation.
c. Acceptability (Acceptabilité): L’offre éducative doit être « acceptable »
par les acteurs de l’éducation, et donc par les parents, en leur qualité de
premiers responsables de l’éducation de leurs enfants.6
d. Adaptability (Adaptabilité): L’offre éducative doit être telle qu’elle
permette une adaptation rapide aux besoins changeants de la société.

Nous retiendrons en particulier qu’on ne saurait parler de véritable liberté


d’enseignement lorsque l’Etat se contente de « laisser faire » et n’intervient pas
activement pour la promouvoir et la protéger. Nous remarquerons ensuite que la
pleine réalisation du droit implique organiquement que les services d’éducation
offerts aux familles soient « acceptables », c’est-à-dire correspondent
véritablement à leurs besoins et à leurs convictions. Autrement dit, le droit n’est
pas respecté lorsqu’une « pensée unique », élaborée en dehors de toute
consultation des parents et de toute analyse des besoins réels de chaque enfant,
conduit à la mise en place d’un monopole scolaire, dont un « grand service
national, unifié et laïc » paraît être une des formes de réalisation. Enfin, et la
remarque possède une dimension éminemment pédagogique, la prestation des
écoles doit être « adaptable ». D’autres parleraient ici de « flexibilité ». Une fois
encore, il s’agit – et c’est simple bon sens – d’adapter en permanence l’école aux
besoins de l’enfant et de son intégration dans une société en continuelle
mutation.7

Nous aurons donc à examiner, pour la France, les principales dispositions


législatives que l’on pourrait considérer comme compatibles, voire comparables
avec l’esprit de l’Art. 13 du PIDESC et des commentaires normatifs qui lui sont
associés.

6
Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme, préambule et art 26.
7
Ce qui est évidence au plan théorique comporte pourtant de redoutables dangers au plan
pratique : à vouloir appliquer cette dernière norme dite d’« adaptabilité » à l’organisation scolaire,
on risque de tomber dans une dans une véritable épilepsie des réformes. C’est exactement ce qui se
passe lorsqu’un Ministère de l’éducation entend imposer à tous les élèves d’un pays une même
éducation, les mêmes programmes et les mêmes méthodes d’enseignement. Une véritable
adaptabilité d’un système éducatif, si elle veut maintenir une bonne sérénité dans l’école, passe
donc nécessairement par un transfert des décisions à l’échelon de l’établissement scolaire, lequel
peut « adapter » ses prestations aux besoins analysés par les professeurs, sans que cela conduise à
une « réformite » permanente.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 8


B. L'obligation pour l’Etat de financer les ENG

Pourquoi évoquer tout de suite le financement plutôt que la pédagogie, les


programmes et les méthodes ? Simplement parce qu’une véritable liberté
d’enseignement consiste, pour les parents, à pouvoir choisir effectivement l’école
de leurs enfants sans que ce choix soit limité par des considérations d’ordre
budgétaire. S’il existait, par hypothèse, un pays où un nombre important d’écoles
différentes seraient mises à la disposition des familles, pourrait-on parler de
liberté de choix dès lors que ce choix serait réservé aux seuls parents fortunés ?

Cette situation serait évidemment acceptable si l’école était un simple objet de


« consommation » libre à la vente. La liberté, ici, ne saurait faire obligation à
l’Etat de garantir l’égalité des citoyens devant les possibilités d’achat.

Nous considérons que l’ensemble des textes relatifs à la liberté d’enseignement,


lus à la lumière de tant de dispositions relatives aux droits humains en général – par
exemple tout ce qui touche au principe de non-discrimination – nous autorise à
considérer que sans financement, il n’y a pas de liberté éducative qui vaille. Notre
Rapport 2002 a démontré que le lien « liberté-financement » est admise par une
majorité des pays dans le monde.

La politique éducative française a longtemps vécu – depuis 1879 – sur le principe


« A école publique, fonds publics ; à école privée, fonds privés. » Nous le verrons,
la situation a considérablement évolué, notamment depuis les fameuses « lois
Debré » de 1959. Aujourd’hui, en France, la loi lie directement la reconnaissance
d’un « droit de choisir » à des mesures de financement. Que ce financement fasse
régulièrement l’objet de remises en cause et qu’il soit souvent appliqué de
manière restrictive est une autre affaire.

C. Genre de financement accordé aux ENG

Il y a financement et financement. Certains Etats contribuent au financement des


salaires des enseignants de l’ENG ou plutôt d’une partie des ENG, selon des critères
fort variables. D’autres accordent des subventions aussi pour les frais de
fonctionnement. Les plus généreux, nous dirions plutôt : les plus cohérents,
contribuent aussi aux frais d’investissements. D’autres Etats pratiquent des
politiques assez floues et donc difficiles à évaluer.

Le lien que nous avons établi entre liberté et financement nous a conduit, tout
naturellement, à « évaluer » le degré de liberté d’enseignement selon une échelle
progressive, en partant des financements « flous », voire inexistants, en passant
par la subvention des salaires et des frais de fonctionnement, puis réservant la
« note » la plus élevée aux pays contribuant au moins à une partie des
investissements. Notre Rapport 2002 a en effet montré que c’est bien dans cet
ordre que peut se mesurer la « générosité » d’un Etat en faveur des ENG.

Il n’en demeure pas moins – et c’est une des limites incontournables d’un essai de
systématisation – que la réalité du terrain est souvent beaucoup plus complexe que
ne peut le laisser supposer un exercice de classification.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 9


D. Enseignement à domicile

Nous traduisons littéralement par « enseignement à domicile » le concept de


« homeschooling », dont l’acception peut être variable d’un pays à l’autre. Il s’agit
d’un phénomène toujours davantage observé, en particulier aux Etats-Unis.
Certains parents, par choix ou par nécessité, souhaitent assurer eux-mêmes
l’instruction de leurs enfants. Dans certains cas, les enfants restent à domicile et
sont instruits directement par leurs parents. Dans d’autres cas, on assiste à des
regroupements de quelques familles et cette situation s’apparente à la création de
minuscules « écoles » non-gouvernementales.

Quoiqu’il en soit et de la forme du « homeschooling » et du caractère marginal du


phénomène, il est indubitable que l’article 13 du PIDESC implique au moins la
possibilité pour les parents de choisir cette manière d’enseigner. De plus, le degré
de liberté dont jouissent les familles est directement dépendant des contraintes
que peut imposer l’Etat en matière de surveillance d’une telle manière d’agir.
Dans certains pays – le Portugal par exemple, les « homeschoolers » doivent être
rattachés à une école publique qui supervise le processus. Dans d’autres pays –
certaines provinces du Canada, par exemple – un financement est même octroyé
aux parents.

De notre point de vue, un pays reconnaissant aux parents le droit d’instruire eux-
mêmes leurs enfants réalise une forme de mise en œuvre de la liberté
d’enseignement. Un tel pays reconnait implicitement que le concept d’école non
gouvernementale peut s’étendre jusqu’à englober une « école » composée d’un
seul ou de quelques élèves. Nos critères d’analyse tiennent aussi compte du risque
– assez théorique il est vrai – de voir cette liberté amputée de sa substance par des
exigences trop strictes en matière de programmes et de surveillance.

La pratique de l’enseignement à domicile relève de la distinction, établie dans


certains pays seulement, entre obligation scolaire et obligation d’instruction. Il
faut le reconnaître : cette distinction, même dans les régions où elle est établie,
est souvent décrite avec un vocabulaire ambigu. Ainsi trouvera-t-on souvent des
pays autorisant le « homeschooling » tout en gardant l’expression « école
obligatoire », plutôt qu’ « enseignement obligatoire ». C’est le cas, notamment, de
la France.

E. L’autonomie des écoles non gouvernementales

Il s’agit ici de dégager la véritable substance du concept : «établissements autres


que ceux des pouvoirs publics » qui est au centre de l’article 13 du PIDESC.

Qu’est-ce qu’un établissement « autre » ?

Si l’on s’en réfère à l’histoire – très particulièrement, mais pas seulement en


France – cette altérité désigne la possibilité pour une école de manifester
explicitement un caractère religieux ou confessionnel. Cette conception –
réductrice, nous le verrons – de l’altérité, est à l’origine de la confusion constante
entre deux débats qu’il conviendrait aujourd’hui de distinguer : l’argumentation

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 10


« pour ou contre » le libre choix de l’école et la réflexion sur les rapports entre
l’Eglise et l’Etat.

On objectera avec raison que, dans de très nombreux pays, beaucoup d’écoles non
gouvernementales se distinguent ou prétendent se distinguer par un caractère
confessionnel. Notre conviction demeure toutefois que cette approche est
réductrice et explique en partie les impasses dans lesquelles s’engouffre souvent le
débat scolaire.

La grande majorité des responsables d’écoles libres à caractère confessionnel


reconnaissent aujourd’hui que les motifs pour lesquels les parents choisissent une
école religieuse ne sont plus prioritairement religieux. N’est-il pas évident que les
« laïcs » français reprochent constamment à l’Ecole libre d’être une sorte de « bras
armé » de l’Eglise catholique, accusée de mener une « reconquête » par le biais de
l’évangélisation dans ses écoles, alors même que bon nombre de catholiques se
plaignent de la « sécularisation » de leurs écoles, qui ne seraient
plus…catholiques ? 8

Le motif de choix des parents est essentiellement d’ordre pédagogique et éducatif.


Ce qu’ils veulent, c’est une autre manière de prise en compte des besoins de
l’élève, une autre « ambiance » scolaire et souvent, davantage de droits d’être
consultés et entendus en tant que premiers responsables de l’éducation de leurs
enfants. Dans plusieurs pays, - mais de manière encore très explicite en France – on
doit constater un véritable décalage entre les discours « idéologiques », tant des
opposants à l’école confessionnelle que de leurs promoteurs, et la réalité concrète
du « terrain scolaire ».

L’art 13 du PIDESC, qui nous sert de fil conducteur, n’est évidemment pas d’un
grand secours pour lever cette confusion lorsqu’il parle de « faire assurer
l’éducation religieuse et morale »9 des enfants dont les parents auraient choisi une
« école autre que celle des pouvoirs publics ». L’expression figure également dans
l’article 18 du PIDCP.

8
« Nous croyons qu'éduquer des hommes et des femmes en leur proposant la Bonne Nouvelle du
Christ, c'est rendre service à la société française. C'est pour cela que les établissements catholiques
ne sont, en fait, pas "privés" mais associés au service public d'éducation. Le caractère propre de
l'enseignement catholique ce n'est pas la catéchèse, même si bien sûr elle a toute sa place, mais le
lien, la cohérence entre enseigner, éduquer, évangéliser ", déclarait, en 2004, Gilles de
Bailliencourt, Directeur Diocésain de l'Enseignement catholique, Diocèse de Nice. Critiquant cette
position, l’Union rationaliste française disait : « C'est donc bien de reconquête qu'il s'agit, de
reconquête de la laïcité scolaire et institutionnelle, de reconquête du service public sur tout le
territoire, et donc, à l'aube de nouvelles étapes décisives sur le plan des institutions de la nouvelle
Europe, de reconquête de la démocratie. » (Le service public et l'école dite libre, par Michel Naud ,
Intervention au colloque laïcité 2004 de l'union rationaliste au collège de France)
9
On notera au passage l’étrangeté – et l’inélégance - de la version française de l’article 13, qui
utilise deux infinitifs, « faire assurer », alors que la version anglaise se contente de « to ensure the
religous and moral education… » , la version espagnole portant l’expression « … y de hacer que sus
hijos…reciban ». Peut-être ne faut-il pas attribuer trop d’importance à ces nuances. Reste que, en
rigueur de termes, « faire assurer » implique plutôt une délégation de l’éducation à des instances
autres que la famille, alors que « ensure » et « hacer…que reciban » consacrent davantage la
responsabilité propre des parents.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 11


De ce point de vue, l’article 14 de la Charte européenne des droits fondamentaux
est nettement plus explicite lorsqu’il évoque: « la liberté de créer des
établissements d’enseignement dans le respect des principes démocratiques, ainsi
que le droit des parents d’assurer l’éducation et l’enseignement de leurs enfants
conformément à leurs convictions religieuses, philosophiques et pédagogiques,
sont respectés selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. »

L’apport essentiel de ce dernier texte – outre l’élimination de l’expression « faire


assurer » - est la mention des « convictions pédagogiques ». Si les convictions
religieuses, morales et philosophiques doivent être évidemment respectées dans un
système de liberté d’enseignement, la prise en compte des choix pédagogiques
nous paraît encore plus constitutive du champ de liberté appartenant en droit aux
parents dans le domaine du choix de l’école. Bien sûr, un choix pédagogique repose
souvent sur un choix philosophique. Il est souvent éclairé par des options
religieuses et comporte d’indéniables conséquences morales. Reste que l’objet
propre de l’école demeure la pédagogie et que c’est à l’évidence sur ce terrain là
qu’il convient de placer la réflexion sur la liberté d’enseignement et le choix
parental.

Si l’Observation Générale No 13 demeure très floue quant à l’obligation des Etats


de financer les ENG10, elle est un peu plus explicite sur cet aspect de l’autonomie,
quoique de manière indirecte. Les paragraphes 38 à 40 développent le concept de
« liberté académique », dans le sens que revêt ce terme dans l’enseignement
supérieur. Le même document énonce, au paragraphe 40 que « l’exercice des
libertés académiques nécessite l’autonomie des établissements d’enseignement
supérieur », après avoir précisé que « le comité souhaite cependant souligner que
le personnel enseignant et les élèves, à tous les niveaux de l’enseignement, sont
fondés à jouir des libertés académiques, de sorte que nombre des observations ci-
après sont d’application générale. » (par. 38)

Certes, la liberté académique des élèves et des enseignants ne recouvre pas


exactement ce que nous entendons par liberté d’enseignement, cette dernière
concernant en priorité les parents d’élèves dans leur possibilité de choisir et les
chefs d’ENG dans la marge de manœuvre dont ils disposent en matière de projet
pédagogique. En France et en Espagne notamment, il est même arrivé que certains
professeurs se prévalent de leur liberté académique contre le projet
d’établissement. Il n’en demeure pas moins que se fait jour, un peu partout et à
tous les niveaux d’enseignement, la conviction que le centralisme pédagogique et
donc le monopole d’enseignement sont foncièrement liberticides et inefficaces.

10
Il existe néanmoins des textes plus explicites :« Le droit à la liberté de l’enseignement implique
l’obligation pour les Etats membres de rendre possible également sur le plan financier l’exercice
pratique de ce droit et d’accorder aux écoles les subventions publiques nécessaires à l’exercice de
leur mission et à l’accomplissement de leurs obligations dans des conditions égales à celles dont
bénéficient les établissements publics correspondants, sans discrimination à l’égard des
organisateurs, des parents, des élèves ou du personnel; cela ne fait toutefois pas obstacle à ce
qu’un certain apport personnel soit réclamé aux élèves des écoles créées par l’initiative privée, cet
apport traduisant leur responsabilité propre et visant à conforter leur indépendance. » Résolution
sur la liberté d’enseignement dans la communauté européenne, Parlement européen, 16 avril 1984.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 12


Ces réflexions correspondent à une tendance générale à la « décentralisation » de
l’enseignement. Les politiques de « dégraissement du mammouth », selon la
célèbre expression de Claude Allègre, ne sont pas l’apanage de la France, mais
concernent quasiment tous les systèmes scolaires dans les pays développés.

Les grands systèmes d’éducation nationale sont devenus ingérables et partout se


fait jour la tendance, au sein même du secteur public, à confier davantage
d’autonomie et de responsabilités aux autorités locales et, surtout, aux
responsables des établissements scolaires.

En 1997, Eurydice publiait son traditionnel ouvrage « Les chiffres clés de


l’éducation dans l’Union européenne ». Une part importante du rapport tente
d’évaluer l’autonomie réelle des établissements publics dans chaque pays de
l’Union. Le critère d’autonomie de l’établissement scolaire n’est plus, désormais,
un thème caractérisant les rapports entre pouvoirs publics et écoles privées ; il
devient une préoccupation touchant le secteur public lui-même.11

C’est donc tout naturellement que nous avons introduit cette clé de lecture dans
notre analyse, malgré les difficultés que constituent et la « jungle » des
législations scolaires et surtout la diversité des applications concrètes de ces
législations.

Nous nous attachons d’abord à vérifier qu’une ENG puisse effectivement proposer
un « projet d’établissement » qui le distingue clairement et de l’école publique et
des autres ENG.

Le deuxième critère d’autonomie porte sur la liberté qu’a l’ENG de «choisir» ses
élèves. Ce critère soulève une réelle difficulté, puisqu’il faut éviter d’ériger en
preuve de liberté ce qui relèverait, en réalité, de la discrimination. Dans le cas où
une ENG bénéficie d’un financement public, elle doit assumer sa part de « service
public » et cela ne contredit nullement le principe de liberté. Lorsque nous parlons
de « liberté de choisir les élèves », nous évoquons simplement le droit d’une ENG à
exiger des parents qu’ils adhèrent au projet d’établissement et qu’ils y adhèrent
non seulement en théorie mais aussi dans la pratique qui en résulte. Il serait, par
exemple, illusoire de conférer une réelle autonomie à une Ecole Montessori ou à
une Ecole Steiner sans lui permettre de refuser un élève dont les parents
n’accepteraient pas qu’il soit soumis à la pédagogie Montessori ou Steiner, avec
toutes les conséquences que cela implique, parfois pour les parents eux-mêmes. Ce
critère d’analyse pose bien des problèmes en France, du fait que le caractère
propre affirmé des ENG est de nature confessionnelle et que la « liberté de choisir
l’élève » apparaît souvent comme une offense à la liberté de conscience.

11
Notons au passage que cela complique singulièrement toute tentative d’y voir clair dans l’analyse
de la liberté scolaire dans le monde. Certains pays, au Nord de l’Europe particulièrement, octroient
à leurs écoles publiques une liberté pédagogique dont bien des chefs d’établissements privés, en
France par exemple, n’oseraient même pas rêver. De plus, les parents ont une très grande liberté
de déterminer l’école publique – ou privée – de leur choix. Dans notre Rapport 2002, nous
soulignions déjà qu’il fallait remettre en question la distinction école publique / école privée pour
lui préférer des critères directement centrés sur l’autonomie pédagogique des écoles et la liberté
réelle de choix des parents.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 13


Le troisième critère retenu porte sur la liberté dont dispose une ENG pour engager
ses professeurs. La direction d’une école réputée « libre » cesserait de jouir d’une
réelle liberté dès lors que les professeurs lui seraient imposés et qu’elle n’aurait
aucune possibilité de se séparer d’un collaborateur déficient. Dans notre étude
internationale, nous rencontrons même des situations où l’ENG peut choisir ses
collaborateurs, pour autant que ces derniers bénéficient des même titres que les
maîtres de l’Ecole publique. Si cette dernière exigence peut, à première vue,
paraître raisonnable, elle est profondément attentatoire à la liberté. On sait le
débat provoqué en France par la prise en charge, par les IUFM, de la formation des
maîtres de l’Ecole catholique. Cette situation nouvelle est apparue à de nombreux
observateurs comme le signal d’une perte probable du « caractère propre » de
l’école libre. Cela est encore plus évident lorsque ce caractère propre est de
nature non pas religieuse mais pédagogique. De notre point de vue, la liberté
d’enseignement peut s’accommoder, pour l’engagement des maîtres de l’ENG, de
l’exigence de « qualifications jugées équivalentes à celles requises par l’école
publique», même si la notion d’équivalence peut prêter le flanc à des
interprétations plus ou moins restrictives. Mais on ne fait pas une école
« différente » avec les mêmes professeurs. Tel est, semble-t-il, une des difficultés
rencontrées par les responsables d’écoles catholiques en France.

Même si l’Art.13 du PIDESC évoque avec une certaine insistance les « normes
minimales qui peuvent être prescrites ou approuvées par l'Etat », le simple bon sens
suffit à comprendre que lorsque ces normes se font trop tatillonnes et
bureaucratiques, il n’existe plus de liberté du tout.

Enfin, le dernier critère d’autonomie concerne la supervision ou l’inspectorat. La


manière de pratiquer la supervision est évidemment déterminante pour la liberté.
Elle dépend certes directement du premier critère d’autonomie : si le caractère
propre de l’établissement peut être spécifié en toute liberté, l’inspection ne
portera que sur des aspects seconds, tels que la sécurité, l’hygiène etc. Plus l’on
restreint le champ d’extension du caractère propre, plus l’inspection – officielle –
se fera proche et pesante. Pourquoi donc séparer ce quatrième point de vue du
premier ? Parce que nous avons constaté, dans l’analyse, que certains Etats
tendent à reprendre de la main gauche – l’inspectorat – ce qu’ils ont octroyé de la
main droite – la possibilité d’une formulation d’un projet d’établissement original.

Nous sommes maintenant à pied d’œuvre pour étudier, sous l’éclairage de ces
quatre critères, la liberté d’enseignement en France

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 14


la liberté d’enseignement en France

CRITERE 1 : La liberté de créer et de gérer des ENG au sens de l'art. 13 du


PIDESC

Nous l’avons déjà relevé : la notion de liberté scolaire, en France, recoupe presque
toujours la liberté des établissements catholiques.

Dès la Révolution française, puis sous le Directoire et la Deuxième République, le


rôle de l’Eglise catholique en matière d’éducation est fortement remis en cause et
même combattu avec opiniâtreté. Au contraire, sous l’Empire et le Second Empire,
l’Eglise apparaîtra à beaucoup comme l’unique rempart capable de s’opposer aux
idées radicales des enseignants laïcs. Mais le fond de la question ne change pas :
l’Ecole reste « otage » de la querelle que se livrent « laïcs »12 et catholiques.

En 1850, la Loi Falloux émancipe l’école secondaire de la tutelle de l’Etat tout en


limitant les subventions octroyées. La liberté d’enseignement au primaire avait été
préalablement formulée par la Loi Guizot en 1833.13

Au cours des années 1870-1880 apparaît une « laïcité de combat », avec toute une
série de mesures touchant les établissements d’enseignements tenus par l’Eglise.
Se déclarant pacificateur, Jules Ferry renforce le camp laïc par les lois de 1881 et
1882, des lois qu’il refuse de voir nommer « lois de combat » mais qu’il définit
comme de « grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays ». Ces lois Ferry
instituent, de fait, à la fois la gratuité et la laïcité de l’école publique.
Contrairement à une idée souvent émise, Ferry ne s’oppose pas frontalement aux
catholiques, qui sont les « assises de granit » de la République. Mais son action
signifie clairement une profonde remise en question du rôle de l’Eglise en matière
d’éducation : la création d’un Conseil supérieur de l’instruction publique (1880)
supprime le contrôle de l’école par l’Eglise et les notables ; l’Etat obtient un
monopole de la « collation des grades » et les religieux connaissent toujours plus
de difficultés à obtenir des postes d’enseignement.

12
Il convient de rappeler ici que la conception de la « laïcité » revêt, en France, une coloration
proche de « laïcisme ». « Laïc/laïque peut signifier simplement une neutralité en matière de
religion, mais peut aussi se référer à une ensemble de convictions sur l’essence-même du réel, sur
la nature d’une bonne société, sur la définition de ce que devraient être les relations humaines et
ainsi de suite. Utilisé dans ce sens, le mot (laïc) ne désigne pas une neutralité qui refuserait d’opter
pour une vision spécifique du monde mais signifie en lui-même une conception particulière du
monde qui refuse aux tenants de telle ou telle religion le droit d’interférer dans le débat public. »
(cf. Charles Glenn et Jan de Groof, Balancing Freedom, Autonomy and Accountability in Education,
Vol II, p. 135, Wolff, 2005, notre traduction.)
13
La Loi Guizot du 28 juin 1833 présente la particularité d’intituler son « Titre 2 » par « Des écoles
primaires privées » et de ne traiter « Des écoles primaires publiques » qu’en « Titre 3 » ! Lisons
l’article 4, titre 3 de la loi Guizot : « Tout individu âgé de dix-huit ans accomplis pourra exercer la
profession d’instituteur et diriger tout établissement quelconque (sic !) d’instruction primaire sans
autres conditions que de présenter préalablement au maire de la commune où il voudra tenir
école : 1) un brevet de capacité…….2) un certificat constatant que l’impétrant est digne, par sa
moralité, de se livrer à l’enseignement…. »

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 15


L’arrivée d’Emile Combes à la Présidence du Conseil, en 1902, inaugure une
période politique encore plus ouvertement hostile aux Ecoles catholiques. En juillet
1902, 3000 écoles de congrégations religieuses sont fermées. La Loi du 7 juillet
1904 interdit les prêtres et les religieux de tout enseignement. Cette situation
conduit progressivement à la rupture des relations diplomatiques avec le Vatican,
rupture que Combes avait pourtant cherché à éviter pour ne pas obérer le
Concordat signé entre Napoléon Bonaparte et le pape un siècle plus tôt. Il s’agissait
d’éviter de rendre caduc un traité permettant au gouvernement de la France
d’exercer un réel contrôle sur les évêques.

En 1905 est votée la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat, qui va mettre le pays
au bord de la guerre civile. La première guerre mondiale apaisera le débat en
réunissant les Français en une « union sacrée ».

Après une vaine tentative de faire inscrire la liberté d’enseignement dans la


Constitution de 1946, l’année 1959 s’avère décisive pour les ENG en France. Le 31
décembre est voté la Loi Debré sur laquelle se fondent aujourd’hui encore les
relations entre ENG et Etat.

Aux termes de cette Loi Debré, les ENG peuvent choisir entre 4 options :

1. Intégration à l’enseignement public. Seules quelques écoles opteront pour ce


statut.

2. L’option strictement privée : il n’existe aucune relation entre l’Etat et l’école,


hormis quelques exigences minimales. On parle aujourd’hui d’écoles « hors-
contrat ».

3. Le « contrat simple » : l’Etat rémunère les maîtres mais ne participe en rien aux
autres frais de l’école. L’Ecole sous contrat simple doit satisfaire à des normes
minimales en ce qui concerne la qualification des professeurs, l’effectif des
classes et l’organisation générale de l’enseignement. Aujourd’hui, cette option
n’est possible que pour les établissements d’enseignement primaire.

4. Le « contrat d’association » : les maîtres sont payés par l’Etat, qui assume, par
ailleurs, certains frais de fonctionnement. Les collectivités locales doivent
participer – ce qui est aujourd’hui l’objet de tensions constantes - aux
investissements nécessaires des ENG. En contrepartie, les Ecoles libres sous
contrat d’association sont tenues à respecter des exigences très contraignantes
en matière de programmes, d’organisation, de matériel scolaire et de politique
d’engagement des collaborateurs. Les parents demeurent responsables du
financement des prestations relevant, par exemple, du caractère confessionnel
de l’Ecole. (Cours de religion, frais de culte, etc…)

En 1977, la Loi Guermeur étend les dispositions de la Loi Debré en accroissant la


protection du caractère propre des ENG et en améliorant le statut de leurs
enseignants. Le recours contre cette loi motive la Décision du Conseil
Constitutionnel selon laquelle la liberté d’enseignement « constitue l’un des
principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 16


Préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a
conféré valeur constitutionnelle. »14

Dès 1981, Alain Savary, Ministre de l’éducation nationale, tente de limiter la marge
de manœuvre des ENG en demandant aux Préfets de ne pas inscrire d’office les
crédits municipaux destinés aux écoles primaires privées sous contrat. Dès l’année
suivante, Savary met en route un plan de réforme de l’éducation nationale qui doit
conduite à l’ «insertion du secteur privé au sein du service public
d’enseignement. » Les écoles libres deviendraient des « EIP » (Ecoles d’intérêt
public) et la carte scolaire serait renforcée. Le projet se heurte à une résistance
imprévue des milieux catholiques qui parviennent à mettre sur pied, en 1984,
plusieurs grandes manifestations qui contraignent le gouvernement à renoncer
et…deux ministres à démissionner.

En 1992, l’enseignement catholique et l’Etat concluent un accord, souvent appelé


accord Lang-Cloupet, aux termes duquel les écoles catholiques récupèrent une
partie des sommes dues et non versées par l’Etat (un peu moins de 2 milliards de
francs sur 11 milliards d’arriérés). Ces accords établissent par ailleurs une parité
entre les secteurs privés et publics en ce qui concerne le statut du personnel et
intègrent la formation des « enseignants catholiques » aux IUFM officiels. Cet
accord est considéré par les « laïcs » comme une véritable trahison du ministre
socialiste Jack Lang et, par de nombreux catholiques, comme une forfaiture du
Secrétaire général de l’enseignement catholique, Max Cloupet qui, en signant ces
accords, aurait renoncé au remboursement d’une grande partie de la dette de
l’Etat et largement compromis le caractère propre de l’Ecole catholique, en
acceptant la proposition des IUFM .15

Cette dernière péripétie est caractéristique de la dialectique animant, en France,


le débat sur l’Ecole. L’ancrage constitutionnel étant bien établi, le combat des
opposants se portera désormais sur les modalités – et l’étendue – des financements
à accorder aux ENG.

Si l’on peut constater aujourd’hui une certaine accalmie sur le front de la « guerre
scolaire » que se livrent « laïcs » et catholiques, c’est sans doute moins en raison
d’une satisfaction des deux camps que pour le motif que ce débat tend à être
supplanté par de profondes interrogations sur le rôle de l’école en général et sur la
laïcité, qui ne concerne plus, désormais, que les seules communautés catholiques.

Ce bref rappel historique permet, sans forcer les textes, de reconnaître qu’existent
en France « des écoles autres que celles des services publics », telles qu’elles sont
prévues par l’Art 13 du PIDESC.

Ce dernier article évoque la conformité aux « aux normes minimales qui peuvent
être prescrites ou approuvées par l’Etat.» Ce minimum prescriptible fait
évidemment question, notamment si l’on examine, comme nous nous apprêtons le
faire, les contraintes liées à la signature d’un contrat d’association. La conformité

14
Décision No 77-87, par. 3 du 23 novembre 1977
15
On notera toutefois que, sur un plan strictement juridique, le gouvernement français ne connaît
comme interlocutrices que les écoles privées elles-mêmes et non leurs associations.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 17


des programmes à ceux de l’école publique, l’obligation – en pratique – de
n’engager que des « agents publics » pour occuper des fonctions enseignantes, le
monopole de la collation des grades et tant d’autres exigences peuvent-elles être
sérieusement considérées comme « minimales » dès lors qu’on voit mal ce qu’on
pourrait exiger en plus sans faire perdre à l’école son statut d’école « autre » ?

Si, en effet, on examine la manière dont la législation est appliquée, deux


caractéristiques se dégagent très facilement : tout d’abord, la France connaît un
système que de nombreux experts qualifient de « duopole ». A côté d’une Ecole
publique très centralisée – malgré une volonté affirmée et parfois réalisée de
décentralisation – un réseau important d’Ecoles privées, très majoritairement
catholiques et sous contrat, tente de survivre ou de se développer. Ces écoles
« sous contrat » offrant des prestations très proches des écoles publiques, il ne
reste que les écoles hors contrat pour assurer une offre pédagogique réellement
différente.

L’Education nationale demeure l’héritière directe du centralisme napoléonien et


sans doute une des plus grandes administrations publiques au monde, avec son
million de fonctionnaires. Ce gigantisme couplé avec le réflexe naturellement
centralisateur des Français rend le système scolaire particulièrement difficile à
réformer et imperméable à l’idée d’un véritable pluralisme éducatif.16 Le critère
dit d’ « adaptabilité » paraît ici ne pas être satisfait.

CRITERES 2 et 3 : L’obligation de financer les ENG et type de financement.

La législation française fait très nettement le lien entre le droit à l’existence d’une
ENG et la nécessité d’en assurer le financement, au moins partiel.

Nous avons déjà exposé les 4 voies s’offrant aux établissements privés depuis la Loi
Debré (1959). La caractéristique du système français est ainsi de coupler « en
raison inverse » l’octroi de subventions et l’acceptation de la mise en œuvre d’un
projet pédagogique spécifique. En langage plus clair, une ENG sous contrat
d’association, qui reçoit beaucoup de subventions, n’est pas autorisée à s’écarter
du curriculum national, doit se conformer aux normes officielles d’organisation et
ne dispose que d’une liberté très restreinte en matière de gestion du personnel.17 A

16
Un exemple symptomatique : suite à l’adoption de la Loi Censi, le 5 janvier 2005, une loi portant
notamment sur le régime des retraites, on a vu des syndicats de personnels de l’enseignement privé
monter « aux barricades » pour revendiquer…le statut de « fonctionnaires », « le seul statut qui
vaille », dit un tract du Syndicat Unitaire National Démocratique des personnels de l’Enseignement
et de la formation privée. (http://sundep.lyon.free.fr/sommaire.php3). Une telle situation serait
considérée dans n’importe quel autre pays comme surréaliste.
17
La question de l’autonomie du chef d’établissement privé dans l’engagement de son personnel
est, à vrai dire, assez difficile à trancher. Nous avons nous-même interrogé des dizaines de
personnes connaissant bien la question en France et directement impliquées soit dans
l’enseignement, soit dans la gestion, soit dans des Associations de parents d’élèves, tous dans le
secteur privé. La diversité des appréciations est confondante : certains affirment que, en pratique,
le chef d’établissement peut engager le personnel à sa guise ; d’autres estiment que les termes du
« contrat » constituent, au contraire, une limitation très stricte des prérogatives dans ce domaine.
Ce qui paraît clair au plan théorique, c’est que le statut d’ « agent public » payé par l’Etat ne
constitue guère un signe probant d’autonomie et d’indépendance pour les ENG. Reste qu’il semble

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 18


l’inverse, une ENG « hors contrat » jouit d’une autonomie beaucoup plus
considérable, mais au prix d’une privation de fonds publics. Il faut noter que le
« monopole de la collation des grades » constitue indirectement une limite
pratique à l’exercice de la « liberté académique » des ENG, même hors contrat.

Par ailleurs, un contrat – et donc l’octroi de subventions, - peut ne concerner que


certaines classes d’un établissement donné.

Si l’on sait que l’Etat garantit le paiement des salaires des enseignants de l’Ecole
sous contrat, on ignore souvent que le nombre de postes rémunérables est aussi
défini par l’Etat, en fonction de critères déterminés…. par le nombre d’élèves dans
les écoles publiques. Cela conduit aujourd’hui à un paradoxe : les ENG connaissent
une demande croissante et se voient chaque année retirer des postes
d’enseignants. A la rentrée 2005, les écoles sous contrat ont dû, pour ce motif,
refuser l’inscription de plus de 20'000 élèves.

Une autre difficulté surgit pour les promoteurs d’écoles libres. En effet, pour être
admis à signer un contrat avec l’Etat, donc à recevoir des subventions, un
établissement scolaire doit avoir fonctionné pendant cinq ans, durée pendant
laquelle il aura dû se débrouiller seul. Il s’agit là d’un obstacle important mis à la
création d’établissements scolaires différents de ceux des pouvoirs publics.

L’octroi de fonds publics pour les investissements des ENG sous contrat est plus
difficile à cerner. Si une loi de 1886 interdit, en principe, une subvention aux
bâtiments scolaires du primaire, les autorités locales peuvent participer à un tel
investissement pour les établissements secondaires, mais dans des proportions
strictement limitées. La mise en œuvre effective de ce type de subventionnement
est très variable, peu transparente pour l’observateur extérieur et fait l’objet de
nombreuses polémiques opposant les tenants du privé, agacés par la pingrerie des
aides accordées et les adversaires de l’enseignement confessionnel, qui voient en
toute subvention un détournement de fonds publics en faveur d’une Eglise
particulière.

La Loi Falloux (1850) plafonne l’aide aux ENG de l’Etat à une part de 10% de leurs
dépenses. Toujours en vigueur, cette loi empêche souvent les chefs
d’établissement d’effectuer les travaux nécessaires à mettre leurs locaux aux
normes de sécurité et d’hygiène, normes imposées par ailleurs.

Dans les établissements sous contrat, seuls les salaires des enseignants sont payés
par le Ministère de l’Education nationale. La rémunération des chefs
d’établissement, est assurée au titre des frais de fonctionnement par les autorités
locales (primaire), le département (collèges) ou la région (lycées), selon un mode
de calcul incluant des paramètres d’équivalence avec les dépenses de même
nature dans le secteur privé.

que, selon les régions, la personnalité du chef d’établissement et les relations - notamment
politiques - qu’il a su créer, influent grandement sur sa marge de manœuvre effective.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 19


CRITERE 4 : L’enseignement à domicile

Une loi de 1882, amendée en 1946, confirme qu’en France, il existe une obligation
d’instruction mais non une obligation de scolarisation.

Aujourd’hui, la situation est régie par Le Code de l'Education, adopté par


l'ordonnance n°2000-549 du 15 juin 2000, publiée au Journal officiel de la
République française du 22 juin 2000. L’Art. L.131-2 stipule : « L'instruction
obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publiques ou
privées, soit dans les familles par les parents ou l'un d'entre eux ou toute personne
de leur choix. »

Une des formes de « homeschooling » en France consiste en la possibilité pour les


élèves d’étudier à domicile avec du matériel fourni par le CNED. (Centre National
d’Enseignement à Distance). Ils bénéficient ainsi, sans être astreints à se rendre à
l’école, de l’enseignement officiel et d’un suivi personnalisé de leurs études.
Jusqu’à ce jour, cependant, ces élèves ne sont pas considérés à strictement parler
comme relevant de l’enseignement à domicile mais comme des élèves d’une Ecole
publique, le CNED. Cette situation pourrait pourtant rapidement évoluer (cf infra).

La volonté de scolariser un enfant à domicile doit être déclarée à la mairie et à


l’inspecteur d’académie. Le Code ajoute : « Les enfants soumis à l'obligation
scolaire qui reçoivent l'instruction dans leur famille font dès la première année, et
tous les deux ans, l'objet d'une enquête de la mairie compétente, uniquement aux
fins d'établir quelles sont les raisons alléguées par les personnes responsables, et
s'il leur est donné une instruction dans la mesure compatible avec leur état de
santé et les conditions de vie de la famille. Le résultat de cette enquête est
communiqué à l'inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de
l'éducation nationale » (Art L.131-10). L’inspecteur d’académie est responsable de
vérifier la conformité de l’enseignement assuré au droit de l’enfant à l’instruction.

Ces dispositions relatives au contrôle des « homeschoolers » par les autorités sont
relativement récentes et procèdent de la volonté affichée dès 1998 de lutter
contre de possibles influences sectaires que pourraient subir ces enfants. D’autres
restrictions sont à l’ordre du jour : un projet de Loi sur la délinquance pourrait
conduire à soumettre aux exigences stipulées dans le Code à l’Art. L.131-10,
également les enfants suivant un enseignement à distance, tel le CNED par
exemple. Cela signifie que les parents faisant le choix de cet enseignement
auraient à justifier leurs motifs, alors même que les établissements
d’enseignement à distance sont généralement considérés comme des écoles
publiques particulières. Ce projet fait l’objet de vives protestations de la part de
milieux favorables à l’enseignement à domicile pour le double motif qu’il introduit
une discrimination entre élèves de l’enseignement public mais surtout qu’il paraît
assimiler le choix de l’enseignement à distance à une forme de délinquance !

Ce dernier « incident » nous a paru intéressant en raison de son caractère


« symptomatique » : il existe en France, une tension quasiment insoluble entre une
législation très soucieuse de liberté et une défiance envers les particularismes
engendrés par cette liberté.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 20


CRITERE 5 : L’autonomie des ENG

Chaque ENG française a la possibilité de se doter d’un « projet d’établissement »


mettant en valeur son « caractère propre ». Nous l’avons maintes fois relevées : le
caractère propre d’une ENG en France se confond souvent avec son identité
confessionnelle. La majeure partie des ENG sous contrat et hors contrat sont
catholiques. On compte par ailleurs une quinzaine d’écoles protestantes et une
cinquantaine d’écoles juives. Cette caractérisation religieuse de l’ENG, quel qu’en
soit le contenu effectif, semble être une caractéristique des pays latins, tant en
Europe qu’en Amérique du Sud et en Amérique centrale. Plus on remonte vers le
Nord de l’Europe et, même de manière moins nette, vers le Nord de l’Amérique,
plus on constate que le « caractère propre » de l’ENG porte sur des éléments liés à
la pédagogie, au programme ou aux méthodes d’enseignement.

La question du caractère propre de l’école catholique fait l’objet d’incessants


débats au sein du monde catholique lui-même. Le « Statut de l’enseignement
catholique », en 1992, propose une définition plutôt « laïque » du caractère
propre, consistant à « développer harmonieusement les dons physiques, moraux et
intellectuels des adolescents et enfants et de leur permettre d'acquérir un sens
plus parfait de la responsabilité et un juste usage de la liberté, et devenir
capables de participer à la vie sociale ».18 En 2006, l’archevêque d’Avignon, Mgr
Cattenoz, propose une définition beaucoup plus spécifique de l’Ecole catholique,
avec une forte connotation confessionnelle.19 Si le débat promet d’être vif, du
moins au sein de l’Eglise catholique, force est de constater une fois encore que la
spécificité d’ENG non confessionnelles ne fait l’objet que de rares prises de
position.

Dans son article premier, la Loi Debré évoque le caractère propre en ces termes :
« Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous,
l'enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l'État.
L'établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet
enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants
sans distinction d'origine, d'opinions ou de croyances, y ont accès »

D’une part, le « caractère propre » est clairement mentionné, même si la


perspective demeure ici implicitement confessionnelle. D’autre part, la Loi
empêche que l’Ecole catholique impose des critères d’admission fondés sur ce qui
fait sa spécificité, puisque l’accès à l’Ecole sous contrat est garanti « sans
distinction d'origine, d'opinions ou de croyances ». Cela peut, on le conçoit
facilement, poser d’épineux problèmes aux chefs d’établissement.

Si l’on comprend la liberté d’établissement dans la perspective qui est la nôtre, à


savoir la possibilité, pour les parents, de choisir parmi des offres d’enseignement

18
Cf Enseignement catholique français ECD 210, avril 1996, chap 3. Les objectifs cités sont
considérés comme le « souci primordial » des responsables de l’enseignement catholique. Cette
définition, qualifiée de laïque, du « caractère propre » de l’école catholique est toutefois précédée
d’une référence claire au document conciliaire Gravissimum educationis, au contenu clairement
religieux et spirituel.
19
Le texte de Mgr Cattenoz est un texte concernant prioritairement son propre diocèse.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 21


diversifiées, on doit aussi admettre qu’une ENG puisse disposer d’une certaine
souplesse dans l’admission des élèves, dont on peut exiger qu’ils adhèrent au moins
au caractère propre de l’établissement. Comment, dans ces conditions, satisfaire
au critère dit d’ « acceptabilité » ?

Depuis une vingtaine d’années, le thème de la « décentralisation » scolaire est


discuté au sein même de l’école publique. Au cœur de cette discussion se trouve
précisément la volonté d’accroître l’autonomie aux établissements publics, en leur
demandant de proposer des « projets d’établissement ». Certains auteurs
suggèrent que l’intérêt manifesté par les pouvoirs publics pour davantage de
« flexibilité et de pluralisme » serait motivé par la volonté d’apaiser certains
ressentiments « de gauche » face à la liberté dont jouissent – ou jouiraient – les
écoles privées.20

Ces intentions décentralisatrices n’ont, en réalité, guère augmenté l’autonomie


des établissements scolaires, du moins en ce qui concerne le « cœur » de
l’enseignement. Tout au plus ont-ils pu développer certaines activités
extrascolaires ou insister sur tel ou tel aspect du curriculum21.

L’ « esprit » de la décentralisation a néanmoins permis quelques réalisations


intéressantes. On ne retiendra ici que l’accord passé entre l’Education nationale et
le groupe d’écoles Diwan, dont le « caractère propre » porte sur l’enseignement de
la langue bretonne par la méthode de l’immersion. 32 écoles étaient concernées en
2001, ainsi que 4 collèges et un lycée. Même si la situation de ces écoles demeure
précaire et souvent critiquée par les défenseurs d’une « école unique » enseignant
en français, les écoles Diwan représentent une brèche intéressante dans le
monopole éducatif.

Nous avons déjà mentionné le fait qu’un des critères de liberté consistait en la
marge de manœuvre accordée aux ENG de choisir leur personnel et de le gérer.
Cette liberté est vécue, sur le terrain, de manière assez restrictive. D’une part, les
enseignants de l’école privée ont obtenu le statut d’agents publics ; d’autre part,
ils sont majoritairement formés au sein des IUFM, comme leurs collègues des écoles
publiques. Si l’énergie et la combativité de bien des chefs d’établissement leur
permettent de constituer une équipe pédagogique cohérente et acquise au
caractère propre qu’ils entendent promouvoir, force est de constater qu’il reste un
long chemin à parcourir pour développer, en France, une « culture d’entreprise »
dans le milieu de l’enseignement. Les enseignants de l’Ecole libre bénéficient,
grâce au statut de fonctionnaire, d’une sécurité de l’emploi et de conditions
financières qui pourraient être moins favorables, si leur statut relevait du droit
privé. C’est là, sans aucun doute, qu’il convient de chercher les causes de
l’empressement modéré de l’enseignement catholique à revendiquer davantage
d’autonomie et de liberté.

Enfin, l’inspectorat des ENG est régi de façon précise, du moins pour les écoles
sous contrat.

20
Cf. B. Toulemonde, cité par Glenn & de Groof, op.cit. p. 142.
21
Cf Glenn & de Groof, op.cit. p.143.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 22


Les inspecteurs, mandatés par l’éducation nationale, doivent contrôler 4 aspects
des activités des établissements :

a. la conformité avec le curriculum officiel et l’organisation temporelle des


cours,
b. le respect de la liberté de conscience des élèves et du personnel,
c. l’absence de toute forme de discrimination dans l’admission des élèves,
d. la conformité de la gestion et de l’administration avec les lois et règlements
en vigueur.

On le constate : cette inspection ne concerne en rien la qualité de l’enseignement


dispensé ni la réalité des acquisitions scolaires des élèves, ce dernier élément
étant toutefois sanctionné par l’obligation de passer les examens et concours
officiels.

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 23


Conclusions et perspectives

La liberté d’enseignement est, dans son principe, solidement ancrée dans la


législation française. Les lois Debré de 1959 en ont codifié l’exercice en offrant aux
promoteurs d’écoles « différentes » le choix entre des solutions variées, allant de
l’intégration pure et simple au réseau public à un statut de liberté et d’autonomie
très large.

D’autre part, les parents ont véritablement la possibilité de choisir une


scolarisation en ENG pour autant qu’ils acceptent un sacrifice financier important
(écoles hors contrat) ou alors qu’ils consentent à ce que la « différence » éducative
ne soit que partielle.

Il existe cependant de nombreux obstacles à la liberté.

1. A moins d’accepter – lorsqu’ils en ont les moyens – de financer une école hors
contrat, les parents ne disposent, pour l’essentiel, que de l’alternative offerte
par l’Ecole confessionnelle sous contrat. Ce faisant, ils cherchent surtout une
école leur garantissant un meilleur « esprit éducatif ».22 Ils font confiance aux
enseignants catholiques, considérés comme plus attentifs, comme animés par
des valeurs autres que celles de leurs collègues du public. Le contexte souvent
violent, verbalement et physiquement, de l’école publique leur fait attendre
des ENG des conditions d’enseignement plus sereines et, simplement, plus
humaines. A en juger par le succès croissant des Ecoles catholiques, cette
attente paraît satisfaire les parents.

2. Cependant, si l’on compare le « paysage éducatif » français à d’autres pays


européens, on constate que l’offre d’une véritable alternative pédagogique
demeure très marginale. Plusieurs causes peuvent être ici évoquées :

a. La liberté d’enseignement, en France, est souvent pensée en termes de


liberté religieuse. Comme nous l’avons maintes fois signalé, les textes
législatifs eux-mêmes fondent la liberté éducative sur le droit des parents
d’éduquer leur enfant selon leurs propres convictions « philosophiques et

22
« Depuis quelques années, le traitement médiatique de la rentrée scolaire se concentre sur « le
succès du privé » et sur les motivations des parents d’élèves. La dernière enquête commandée par
l’Unapel au Credoc (avril 2005) révèle à ce sujet un fait intéressant : les trois premiers critères, sur
neuf, du choix des parents, relèvent d’une appréciation qualitative : bon encadrement : 81 % ,
épanouissement de l‘enfant : 76 %, transmission de valeurs morales : 67 % , …alors que la
motivation strictement religieuse n’arrive qu’en dernière place avec 14 %. » (Cf. Frédéric Gautier,
directeur diocésain, La Croix, 14 septembre 2006)

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 24


religieuses ». Dans le contexte actuel de laïcité – de laïcisme, faudrait-il dire
en France – les Ecoles catholiques doivent, pour ne rebuter ni les parents ni
les apôtres d’un « grand service public laïc et unifié», adopter un profil bas.
Elles s’ingénient donc à n’être que ce que devrait être une instruction
publique « idéale ». Il en résulte une tension toujours plus vive à l’intérieur
même de la communauté catholique entre les tenants d’une « intégration au
monde » et les familles souhaitant un profil religieux davantage affirmé. Ces
dernières, surtout lorsqu’elles sont encouragées par des membres de la
hiérarchie catholique, excitent la méfiance de leurs adversaires qui
redoutent une volonté de « reconquête » d’un catholicisme missionnaire.23.

b. Il existe, en France, un réflexe fortement « centralisateur ». Le Français,


s’il est volontiers frondeur dans le discours, est rassuré par le « label »
national. Il est, en matière d’enseignement, très soucieux de garantir
« l’égalité des chances », l’égalité finissant par devenir, pour lui, plus
importante que la chance.24 Cet esprit imprègne même de nombreux acteurs
de l’école dite « libre ». A notre connaissance, personne ne remet en cause
la notion d’ « Education nationale », employée dans fort peu d’autres pays.

c. Cette dernière caractéristique est renforcée par une tendance qui se fait
jour dans de nombreux pays européens : le citoyen attend de l’Etat qu’il lui
garantisse une « assurance tous-risques », le protégeant contre des dangers
supposés ou réels. Même si ce phénomène dépasse largement l’objet de
notre étude, nous pouvons néanmoins en signaler une conséquence dans le
domaine de la politique éducative : l’initiative pédagogique, l’inventivité, la
capacité de s’adapter à la diversité toujours croissante des élèves et de
leurs besoins sont littéralement stérilisées par des réflexes de peur. La
pédagogie, qui est un art, est ravalée au rang de « technique », une
technique qui doit avant tout éviter les risques et demeurer sous un contrôle
strict. L’obsession du « tout maîtrisable » constitue, à notre sens, un des
grands obstacles à l’exercice de la liberté, qui comprend toujours une part
de risque.

d. Les conditions de conclusion d’un contrat d’association d’une ENG avec


l’Etat sont extrêmement limitatives sur le plan pédagogique. Elles
permettent, tout au plus, de « faire la même chose autrement »… souvent
avec moins de moyens financiers. Dans ce contexte, il devient difficile de
développer une culture du pluralisme pédagogique, dont la valeur est très
peu reconnue en France.25

23
Cf. note 8
24
L’égalité des chances est aujourd’hui une valeur indiscutée. Reste que son interprétation peut
conduire à des politiques diamétralement opposées. Notons au passage que le mot « chance » est ici
ambigu, par le fait qu’il recèle une connotation de hasard, même s’il se comprend généralement
dans le sens de « avoir sa chance ». Si, en France particulièrement, l’égalité des chances conduit
souvent à une forme de nivellement, l’expression signifie, dans de nombreux autres pays, qu’il faut
offrir à chaque enfant la « chance », l’occasion de se réaliser dans sa personnalité propre. L’égalité
des chances conduit alors à un système scolaire où, selon l’expression de l’UNESCO, « l’école réagit
à l’élève et non au programme. ».
25
On nous permettra cette petite note personnelle : Dans notre expérience de direction d’école
privée en Suisse, nous sommes amenés à accueillir des familles provenant d’horizon fort divers. Or,
il est un fait indubitable que le souci des familles francophones – françaises, suisses romandes,

Rapport sur la liberté d’enseignement en France 24.04.2007 25


e. Il existe, en France, un consensus sur le fait que l’Education Nationale –
un des plus importants, sinon le plus important corps de fonctionnaires au
monde – est, du fait de son gigantisme, extrêmement difficile à réformer.
Un Ministre de l’éducation a le choix entre une attitude d’extrême prudence
– « ne pas faire de vagues » - ou alors d’être acculé à la démission, dès lors
qu’il tente d’introduire quelque nouveauté dans le système. On voit mal
comment cette situation pourrait évoluer sans un transfert progressif mais
massif de l’essentiel de la responsabilité éducative aux établissements
scolaires eux-mêmes.

3. Le débat scolaire est –timidement – relancé par les perspectives des élections
présidentielles de 2007. Les deux candidats principaux que sont Mme Royal et
M. Sarkozy s’y sont engagés par leur critique de la « sectorisation » ou « carte
scolaire ». Cette carte scolaire, dont on se souvient que le Ministre Alain Savary
avait voulu la renforcer, constitue de fait un obstacle à la liberté
d’enseignement, puisqu’elle condamne les enfants issus de milieux défavorisés
à fréquenter l’école de leur quartier, donc à ne jamais avoir accès à d’autres
horizons. Certains y voient une politique délibérée de « ghettoïsation »26.
Comme le souligne Alain Madelin, la suppression de la carte scolaire n’est qu’un
élément de solution. « Le grand soir de la suppression de la carte ne peut pas
tenir lieu de politique. En parallèle, il faut diversifier l'offre éducative, en
accordant une autonomie plus large aux établissements. Grâce à cette double
démarche, liberté de choix des parents et liberté des enseignants de faire une
meilleure école, on échappera aux critères pesants de l'excellence académique
- le modèle du lycée Louis-le-Grand pour tous. La diversification de l'offre
permettra à des talents différents de trouver le collège de leur choix. Et de
donner ainsi de meilleures chances à tous les gamins de France. » 27

Quelles sont alors les perspectives d’avenir de la liberté d’enseignement en


France ?

Le système des contrats, instauré par la Loi Debré, présente, sur la situation
connue dans d’autres pays, l’avantage de consacrer implicitement l’idée selon
laquelle une école « privée » accomplit, d’une certaine manière, un service
public. Il démontre aussi que l’Etat français reconnaît le besoin d’une
alternative scolaire et ne se contente par d’une acceptation passive de la
liberté d’enseignement.

Il n’en demeure pas moins que l’exercice concret de cette liberté est fortement
limité par la très grande similitude des prestations offertes d’une part dans les
écoles publiques et d’autre part dans les ENG sous contrat. Cette situation
pourrait s’améliorer en favorisant l’évolution du système selon deux axes
principaux :

belges dans une moindre mesure – porte surtout sur l’équivalence de nos prestations avec celles de
l’école publique. Les familles provenant d’autres horizons culturels, formulent leur demande de
manière inverse : pouvons-nous être sûrs de bénéficier chez vous d’une prestation vraiment
différente de celle des écoles publiques ?
26
Cf La fabrique du crétin, J.-P. Bringhelli, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2005.
27
L'Express du 19/10/2006.

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1. Il faudrait procéder à un « découplage » du discours relevant de la « laïcité »
d’avec la doctrine de la liberté d’enseignement. Ce découplage devrait être
réalisé tant dans les mentalités que dans les textes législatifs. Un
assouplissement des exigences d’uniformité des programmes et de
l’organisation scolaire permettrait l’émergence d’ENG sous contrat offrant
une alternative pédagogique, le caractère propre « catholique » devenant
une alternative parmi d’autres. Cela serait d’ailleurs favorable à
l’enseignement catholique qui pourrait affirmer sa spécificité de manière
beaucoup plus explicite, à partir du moment où ses propres établissements
seraient mis en réelle concurrence avec d’autres écoles libres.

2. La voie de la décentralisation de l’enseignement paraît également


prometteuse. Dans ses multiples contacts avec ses partenaires français,
l’OIDEL a souvent constaté qu’il existe, en France, une connaissance ténue
et un intérêt plus que mesuré pour l’évolution des systèmes éducatifs dans
d’autres pays européens. Tous les pays européens tendent à faire évoluer
leur politique éducative dans ce sens, de manière prudente dans les pays
latins, mais très « spectaculaire » dans les pays nordiques par exemple, avec
des résultats très prometteurs sur le plan de la qualité de l’enseignement.
Au-delà du débat idéologique, c’est bien ce dernier critère qui devrait être
décisif : améliorer l’efficacité de l’enseignement en permettant aux
enseignants et aux parents d’offrir à leurs enfants une école capable de
répondre à leurs besoins réels.

\\Eco\oidel-uni\OIDEL\ACTIVITES 2007\Reunion experts France\Rapport spécial France 2007.doc

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