Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
16 | 2017 :
Écrire l’histoire pour la jeunesse
Au croisement de l'idéologie. Des usages de l'histoire
Du roman à la propagande. La
Grande Guerre dans la littérature de
jeunesse italienne de l’entre-deux-
guerres
MARIELLA COLIN
Résumés
Français English Español
La manière dont la Grande Guerre a été racontée à l’enfance italienne dans l’entre-deux-
guerres a connu une évolution en étroite corrélation avec le contexte historique. Dans
l’immédiat après-guerre, elle véhicule un sentiment de deuil et de souffrance à l’image de
l’expérience vécue par la population ; un roman qui raconte la guerre « au
féminin » illustre parfaitement ce phénomène : La zingarella e la principessina (1920)
d’Olga Visentini, qui tranche par son originalité avec les autres « romans de la guerre » de
la même période. Après l’arrivée du fascisme au pouvoir (1922), la mémoire de la guerre
laisse place d’abord à une glorification du conflit ; il s’agit alors d’exalter l’amour
patriotique et les sacrifices héroïques des combattants, tout en insérant les combats dans
une trame romanesque qui lui ôte sa dimension tragique. Un livre pour la jeunesse en
sera le meilleur reflet : avec Piccolo Alpino (1926), Salvator Gotta donne une version
nationaliste et guerrière du roman d’aventures, en faisant participer à la guerre un
garçon de dix ans dans un scénario bien bâti.
The way in which World War I was told to Italian childhood in the post-war period has
developed in a close connection to the historical context. In the first years after the end of
the war, this perception was closely related to the mourning and to the sufferings lived by
the people. The best novel of this period, La zingarella e la principessina (1920) by Olga
Visentini, adopts a feminine point of view and stands out against all other war novels of
the same time. After the rise of fascism (1922), the memories of World War I are
transformed into a praise of the conflict: patriotic love and soldiers’ heroic sacrifices are
glorified, even if the fights are often inserted in fictional plots that remove any tragic
dimension. Salvator Gotta’s Piccolo Alpino (1926) is probably the best example of this
strategy: a children’s book in which a ten-years old boy participates to the war, Piccolo
Alpino presents to the reader a nationalist version of an adventure novel, whose plot is
nevertheless well developed.
El modo en que fue contada La Gran Guerra a los niños italianos durante el periodo de las
dos guerras mundiales conoció una evolución correspondiente al contexto histórico del
momento. Inmediatamente después de la guerra, esta imagen se compagina con el
sentimiento de duelo y de sufrimiento vivido por la población ; el mejor exponente de este
fenómeno es una novela que cuenta la guerra « del lado femenino » : La zingarella e la
principessina (1920) de Olga Visentini que se distingue por su originalidad en relación con
las otras « novelas de guerra » del mismo periodo. Después de la llegada del fascismo al
poder (1922), la memoria de la guerra deja lugar a una glorificación del conflicto, se trata
entonces de exaltar el amor patriótico y los sacrificios heroicos de los combatientes, al
mismo tiempo que los combates se inscriben en una trama novelesca que atenúa su
dimensión trágica. Un libro para la juventud será el mejor reflejo de esta situación : con
Piccolo Alpino (1926), Salvator Gotta da una versión nacionalista y guerrera de la novela
de aventuras, haciendo participar a un niño de diez años en la guerra, en un escenario
perfectamente construido.
Entrées d’index
Mots-clés : littérature enfantine italienne, La zingarella e la principessina, Il Piccolo
Alpino, fascisme
Keywords : Italian Children’s Literature, La zingarella e la principessina, Il Piccolo Alpino,
Fascism
Palabras claves : literatura infantile italiana, La zingarella e la principessina, Il Piccolo
Alpino, fascismo
Texte intégral
1 Lors de la Grande Guerre, l’enfance devint en Europe l’instrument d’une
mobilisation générale, et les publications pour la jeunesse furent l’un des outils de
la culture de guerre chargés de transmettre aux jeunes lecteurs des images
valorisantes du conflit. Le monde de l’écrit se donna pour mission d’en renforcer la
compréhension : la guerre en cours fut expliquée, représentée, rendue familière
par le biais de la fiction romanesque et des images, et la production éditoriale visa
à mobiliser la jeunesse pour l’associer à l’effort national. De nouveaux thèmes et de
nouvelles représentations firent leur entrée dans la littérature enfantine, qui fut
envahie par une propagande patriotique et belliqueuse et contribua à la
construction d’un imaginaire de guerre.
2 Dans la péninsule italienne, la littérature enfantine joua le rôle d’un miroir où se
reflétait l’évolution de la guerre, année après année. En 1914, lorsque l’Italie se
déclare neutre et reste à l’écart des opérations militaires, les livres pour les enfants
mentionnent le conflit avec un certain détachement, en le présentant comme « la
guerre des autres » où les pays concernés sont avant tout l’Allemagne et la France
, tandis que les Italiens sont de simples spectateurs. Il faudra attendre l’année
1915, lorsque le pays entre à son tour dans la bataille, pour que les maisons
d’édition commencent à publier des livres qui mettent en scène la guerre.
3 La propagande est d’abord faite sur un ton gai, qui dédramatise le conflit par des
procédés humoristiques1, en le transformant en un nouveau jeu où l’on s’amuse à
caricaturer l’ennemi ; le registre ludique est utilisé pour raconter des histoires
divertissantes, où de petits personnages remportent sans effort des victoires
éclatantes en jouant des tours pendables aux Autrichiens2. Mais la guerre durant et
se faisant de plus en plus meurtrière, les récits comiques laissent place à de petits
romans dont les protagonistes sont des enfants-héros au patriotisme débordant,
qui font une fugue pour aller au front3, arrivent parmi les soldats et se font
remarquer par leurs exploits ; leur courage est sans faille, et quand ils sont
confrontés à l’épreuve suprême, ils meurent heureux de donner leur vie pour la
patrie4. Puis en 1917, lorsque la douleur et la peur qui règnent dans le pays après la
défaite de Caporetto atteignent aussi la production pour l’enfance, le ton devient
grave pour parler des conditions des soldats que plus personne n’ignore ; la note
douloureuse se retrouve dans des textes où apparaissent des blessés et des mutilés
qui font comprendre ce que la guerre implique comme sacrifices. Un univers d’une
grande puissance émotive pénètre ainsi dans la sphère de l’imaginaire enfantin, et
la Grande Guerre inaugure un nouveau rapport de l’enfance au phénomène
guerrier, à travers des narrations où apparaissent des personnages aptes à susciter
l’identification et à provoquer une forte participation affective.
4 Après la fin des combats, cette « littérature de guerre pour l’enfance », au lieu de
disparaître, va connaître une nouvelle saison, pendant laquelle la manière dont les
romans racontent le conflit suit différentes phases, en étroite correspondance avec
l’évolution du contexte historique italien ; le regard sur la Grande Guerre change
progressivement, et les livres pour la jeunesse sont marqués par ces changements.
Notes
1 Cf. Fochesato, Walter, La guerra nei libri per ragazzi, Milan, Mondadori, 1996 ; Loparco,
Fabiana, I bambini e la guerra. Il « Corriere dei Piccoli » e il primo conflitto mondiale (1915-
1918), Florence, Nerbini, 2011.
2 Cf. par exemple : Sapori, Francesco, Storia degli austriaci senza rancio e di ventidue
asinelli prigionieri, Ostiglia, La Scolastica, 1915 ; Biscaretti, Carlo, Parla il chiodo ! Scherzo
d’attualità per fanciulli, Milan, Vallardi, 1916 ; Bruni, Bruno, Pinocchietto contro l’Austria,
Milan, Bietti, 1915 ; Novelli, Enrico, Ciuffettino alla guerra, Florence, La Nazione, 1915 ;
Grosson Baronchelli, Paola, Pippetto vuole andare alla guerra, Florence, Bemporad, 1916.
3 Sur l’implication des enfants italiens dans la guerre de 1915-1918, cf. Fava, Andrea,
« All’origine di nuove immagini dell’infanzia : gli anni della Grande Guerra », in Giuntella,
Maria Cristina, Nardi, Isabella (dir.), Il bambino nella storia, Naples, Edizioni Scientifiche
Italiane, 1993, pp. 181–204 ; Gibelli, Antonio, Il popolo bambino. Infanzia e nazione dalla
Grande Guerra a Salò, Rome-Bari, Laterza, 2005.
4 Cf. Visentini, Olga, Primavere italiche, Ostiglia, La Scolastica, 1915 ; Ubertis Gray, Teresa,
Piccoli eroi della Grande Guerra, Florence, Bemporad, 1915 ; Tortoreto, Aldo, Il caporale di
quindici anni. Gesta e avventure di un ragazzo nella guerra contro l’Austria, Milan, Società
Editrice Milanese, 1915.
5 Visentini, Olga, La zingarella e la principessina, Rome, Mondadori, 1920.
6 Sur Olga Visentini, cf. Gasparini, Duilio, Olga Visentini, Florence, Le Monnier, 1968 ;
Lollo, Renata, Olga Visentini fra fascismo e repubblica, Milan, Prometheur, 1996.
7 Cf. Bernardi, Milena, Il cassetto segreto. Letteratura per l’infanzia e romanzo di
formazione, Milan, Unicopli, 2011.
8 Situé près de la frontière qui séparait l’Italie du Trentin, Asiago se trouve au pied d’un
haut plateau, qui fut le théâtre d’âpres combats entre Italiens et Autrichiens en 1916-1917.
9 L’Italie avait signé avec l’Autriche-Hongrie et l’Allemagne le traité de la Triple Alliance
en 1882.
10 Visentini, Olga, La zingarella e la principessina, p. 96 (« correre, divorare lo spazio, giù,
in massa coi profughi, verso la pianura »).
11 Ibid., p. 261 (« le teste fasciate dei feriti che le stringevano da torno, si moltiplicavano
all’infinito in un mare tragico di facce bianche con le orbite vuote »).
12 Solinas Donghi, Beatrice, « Olga Visentini, una vena di realismo », LG argomenti, a. XXXII,
janvier-mars 1996, n° 1, p. 48 (« il fatto che sia troppo piccola per conoscere e comunicare
il proprio cognome è funzionale al racconto, in quanto prolunga l’incertezza sulla sua
identità »).
13 Fochesato, Walter, op. cit., p. 47 (« una fedele e nuova attenzione verso l’infanzia, colta
nei suoi giochi, nei suoi capricci, nel suo lessico »).
14 Del Soldato, Camilla, Da ragazzi a uomini, Milan, « Ragazzi d’Italia », 1920.
15 Fabiani, Guido, La gran fiamma, Milan, Vallardi, 1920.
16 « Relazione della Commissione ministeriale per l’esame dei libri di testo da adottarsi
nelle scuole elementari », Bollettino ufficiale ministero Pubblica Istruzione, 23 février 1926,
p. 433. (« martiri gloriosi e martiri sublimi », « eroi decorati dalle medaglie d’oro », enfin
« il Re, comandante supremo e soldato fra i soldati »).
17 Gotta, Salvatore, Piccolo Alpino (1926). Nous citons d’après l’édition Mondadori, 1986,
p. 95 (« la giovinezza va verso l’avventura, verso la novità, sempre con spirito gaio. E la
guerra è la più meravigliosa delle avventure, offre le novità più tragiche e più
appassionanti »).
18 Gotta, Salvatore, L’almanacco di Gotta, Milan, Mondadori, 1958, p. 238 (« come se fosse
stata vissuta da un ragazzo d’una decina d’anni »).
19 Gotta, Salvatore, Piccolo Alpino, p. 67 (« Ah, ecco finalmente la guerra ! »).
20 Ibid., p. 50 (« Quella è la guerra ? Sembra una gara di fuochi artificiali ! »).
21 Ibid., p. 136 (« questo bambino è un eroe »).
22 Ibid., p. 155 (« del più piccolo eroe dell’esercito italiano »).
23 Ibid., p. 197 (« anni avventurosi trascorsi nelle montagne, con gli Alpini, combattendo
per la difesa della Patria »).
24 Cf. Contamine, Pierre, « Mourir pour la patrie (Xe siècle-XXe siècle), in Les lieux de
mémoire, Nora, Pierre (dir.), Paris, Gallimard, 1986, vol. 2, t. III, La Nation, pp. 11-43 ; Colin,
Mariella, « La mort expliquée aux enfants au XIXe siècle : des cimetières aux champs de
bataille », Transalpina n° 5, La mort à l’œuvre, 2001, pp. 47-70.
25 Gotta, Salvatore, Piccolo Alpino, p. 47 (« allorché compie con entusiasmo e con fede le
eterne opere del sacrificio pel bene della Patria »).
26 Ibid., p. 68 (« avanti ! sempre avanti ! »).
27 Ibid., p. 69 (« Morto per la patria ! Giacomino si sentì nelle vene un fremito, quasicché
egli fosse vicino a qualche cosa di sacro, di stupendo. Era un soldato caduto compiendo il
proprio dovere più puro e più alto ! Era un eroe ! […] Com’è dolce la morte degli eroi ! »).
28 Rotondo, Fernando, « La lunga guerra del piccolo alpino », LG argomenti, mai-juin 1987,
p. 23 (« tocca alcune corde proprie dell’età e dell’immaginazione infantili e
adolescenziali »).
29 Gibelli, Antonio, op. cit., p. 99 (« l’avventura dell’adolescente che lascia l’infanzia dietro
di sé per raggiungere la maggiore età »).
30 Rotondo, Fernando, op. cit., p. 27 (« una sorta di “ tregua ”, una fase di passaggio tra
l’infanzia e l’età adulta, nella quale entrerà fortificato dalle prove nel frattempo
affrontate »).
31 Ibid., p. 24 (« come se uscissero dall’immaginazione e dal desiderio dei ragazzi »).
32 Todero, Fabio, Pagine della Grande Guerra. Scrittori in grigio-verde, Milan, Mursia, 1999,
p. 208 (« un sottosistema della letteratura fascista »).
33 Gentile, Emilio, « L’homme nouveau du fascisme. Réflexion sur une expérience de
révolution anthropologique », in L’Homme nouveau dans l’Europe fasciste (1922-1945),
Matard-Bonucci, Marie-Anne, Milza, Pierre (dir.), Paris, Fayard, 2004, p. 45.
34 Bajocco, Aldo, La Grande Guerra madre del fascismo, Turin, Paravia, 1935.
35 Pollini, Leo, Guerra e fascismo spiegati ai ragazzi, Turin, UTET, 1934.
36 Pollini, Leo, Mussolini padre del popolo italiano, Rome, Liber, 1931, p. 102 (« il fatto
eccezionale, atteso nel corso dei secoli, per determinare il risorgimento spirituale
d’Italia »).
Auteur
Mariella Colin
Normandie Université, Unicaen, ERLIS, France, mariella.colin@unicaen.fr
Droits d’auteur
Amnis est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas
d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.