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La chimie

et le sport

Alain Berthoz
Jean-Franois Caron
Marie-Florence Grenier-Loustalot
Charles-Yannick Guezennec
Pierre Letellier
Claude Lory
Denis Masseglia
Nicolas Puget
Isabelle Queval
Yves RŽmond
Fabien Roland
Jean-Franois Toussaint
Jean-Luc Veuthey
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L I V R E S
La chimie et le sport
Cet ouvrage est issu du colloque « Chimie et Sport »,
qui s’est déroulé le 24 mars 2010 à la Maison de la Chimie.
Collection dirigée par Paul Rigny

La chimie
et le sport
Alain Berthoz, Jean-François Caron, Marie-Florence Grenier-Loustalot,
Charles-Yannick Guezennec, Pierre Letellier, Claude Lory, Denis Masseglia, Nicolas Puget,
Isabelle Queval, Yves Rémond, Fabien Roland, Jean-François Toussaint, Jean-Luc Veuthey

Coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin,


Rose Agnès Jacquesy, Danièle Olivier et Paul Rigny
Conception de la maquette intérieure et de la couverture :
Pascal Ferrari

Conception des graphiques : Minh-Thu Dinh-Audouin

Mise en page : E-press (Casablanca)

Imprimé en France

ISBN : 978-2-7598-0596-9

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous pro-


cédés, réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux
termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou
reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non des-
tinées à une utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les
courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représen-
tation intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de
ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette
représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, consti-
tuerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants
du code pénal.

© EDP Sciences 2011

EDP Sciences
17, avenue du Hoggar, P.A. de Courtabœuf, BP 112
91944 Les Ulis Cedex A, France
Ont contribué à la rédaction
de cet ouvrage :

Alain Berthoz Isabelle Queval


Collège de France Université Paris Descartes
Faculté des sciences humaines
Jean-François Caron
et sociales - Sorbonne
École des Ponts ParisTech
Centre de recherche sens,
(ENPC)
éthique, société -
Marie-Florence UMR 8137 / CNRS
Grenier-Loustalot
Service central d’analyse - Yves Rémond
USR 59 / CNRS Université Louis Pasteur
Institut de mécanique des
Charles-Yannick Guezennec fluides et des solides (IMFS) -
Centre national de rugby FRE 3240
Pôle médecine du sport
de l’Essonne, domaine Fabien Roland
de Bellejame Institut privé textile
et chimie textile (ITECH-Lyon) -
Pierre Letellier Technopôle Diderot
Université Pierre et Marie
Curie (Paris VI) - EA 1519 Jean-François Toussaint
Laboratoire d’énergétique Institut de recherche
et réactivité aux interfaces biomédicale et d’épidémiologie
du sport
Claude Lory Hôtel-Dieu
Agence pour la valorisation
de la recherche universitaire Jean-Luc Veuthey
du Limousin Université Genève-Lausanne
SOREVI Laboratoire de chimie
Département incubateur analytique
ester technopole
Denis Masseglia
Comité national olympique
et sportif français
Équipe éditoriale
Nicolas Puget Minh-Thu Dinh-Audouin,
Groupe Rossignol Rose Agnès Jacquesy,
Département recherche Danièle Olivier
et développement et Paul Rigny
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Sommaire
Avant-propos : par Paul Rigny ...............................9
Préface : par Bernard Bigot ................................ 11
Introduction : La simplexité
par Alain Berthoz ............................................ 17

Partie 1
La quête et les limites de la performance
Chapitre 1 : Optimisation des performances,
complexité des systèmes
et confrontation aux limites
par Jean-François Toussaint .......................... 45
Chapitre 2 : La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
par Isabelle Queval ......................................... 77
Chapitre 3 : Technologie et performance sportive
par D’après la conférence
de Denis Masseglia ............................................ 99
Chapitre 4 : Comprendre la physico-chimie
par la plongée sous-marine. Comprendre
la plongée sous-marine par la physico-chimie
par Pierre Letellier ....................................... 111

Partie 2
Les molécules de la performance
Chapitre 5 : Effets de l’exercice physique
et de l’entraînement sur la neurochimie
cérébrale : effets sur la performance
et la santé mentale
par Charles-Yannick Guezennec .................. 137 7
La chimie et le sport

Chapitre 6 : La traque aux molécules dopantes


par Jean-Luc Veuthey ................................... 157
Chapitre 7 : Les molécules de la performance
par Marie-Florence Grenier-Loustalot ........ 177

Partie 3
Les matériaux de la performance
Chapitre 8 : Les matériaux composites
dans le sport
par Yves Rémond et Jean-François Caron .... 195
Chapitre 9 : Performance d’un ski de course :
structure composite et glisse sur neige
par Nicolas Puget .......................................... 211
Chapitre 10 : Revêtements complexes antifriction
pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
par Claude Lory ............................................. 227
Chapitre 11 : Des textiles pour sportifs.
Apport de la chimie pour améliorer
confort et performances
par Fabien Roland ......................................... 239
Glossaire .............................................................. 255
Crédits photographiques ..................................... 257

8
Paul Rigny Rédacteur en chef L’actualité Chimique
Avant-
propos
L’Actualité Chimique veut dans nos vies quotidiennes,
contribuer à faire connaître ces ouvrages demandent à
à un large public l’impact leurs lecteurs de disposer
qu’ont, par leurs résultats, d’une certaine base de culture
les Sciences Chimiques sur scientifique, au moins celle
sa vie quotidienne. Dans le d’un baccalauréat scienti-
même objectif, la Fondation fique, et pas seulement de la
de la Maison de la Chimie or- curiosité qui les a conduits à
ganise des colloques et autres s’en approcher.
manifestations scientifiques S’ils ne sont pas, stricto
qui traitent chaque fois d’un sensu, les comptes rendus
domaine d’application parti- des colloques de la Fondation,
culier (la mer, la santé, l’art, ces ouvrages en présentent
l’alimentation… et beaucoup néanmoins les contenus
d’autres champs qui concer- d’une façon fidèle. Les divers
nent la vie en société). La chapitres reposent de façon
rencontre entre ces deux ini- étroite sur les conférences
tiatives donne naissance aux qui y ont été présentées. Un
ouvrages, confiés à l’éditeur soigneux travail de rédaction,
EDP Sciences pour l’édition et concerté avec les auteurs
la diffusion, « La chimie et… », des conférences, en reprend
qui veulent pérenniser les en- les messages, en y ajoutant,
seignements des colloques. parfois, des contenus
Après les volumes, La chimie pédagogiques permettant
et la mer, ensemble au service l’accès du plus grand nombre
de l’homme, La chimie et la san- et harmonisant les niveaux
té, au service de l’homme, La de formation nécessaires
chimie et l’art, le génie au ser- pour aborder les différents
vice de l’homme, La chimie et chapitres. Ce travail a été
l’alimentation, pour le bien-être fait par une équipe éditoriale
de l’homme, c’est aujourd’hui constituée de représentants
La chimie et le sport que vous de la Fondation, de L’Actualité
présente la collection L’Actua- Chimique (Société Chimique
lité Chimique – Livres. Même de France) ainsi que de la
s’ils veulent faire connaître à un Fédération Française pour les
large public les apports mul- sciences de la Chimie qui a
tiples et souvent insoupçon- travaillé en étroit contact avec
nés des Sciences Chimiques les conférenciers du colloque.
La chimie et le sport

Un sondage sur les rapports « homme/matériel » et à


entre chimie et sport ferait quel point la chimie, dans
sûrement émerger la difficile deux de ses sous-disciplines,
et douloureuse question du est essentielle pour assurer
dopage : « un petit remontant, la qualité de ces deux
pourquoi pas ? » mais « le « composantes ».
dopage, quelle horreur ! » La pratique du sport – celle
Sans éluder cette question, des champions, celle du
le livre fait ressortir des citoyen – est plus que jamais
couplages beaucoup plus centrale dans nos sociétés.
profonds entre les deux Cet ouvrage fait bien saisir
domaines. Le sport, c’est la le rôle fondamental de la
mobilisation entière du corps, chimie pour en améliorer
ses muscles, son système les conditions tout en en
nerveux et, bien entendu, sa maîtrisant le développement,
centrale de commande – le en évitant les dérives.
cerveau. Or la compréhension
de la biologie en termes
de mécanismes chimiques
est un domaine majeur
des sciences chimiques
qui sollicite vivement la
recherche. Comprendre
la performance sportive, Équipe éditoriale :
la contrôler, l’améliorer, Minh-Thu Dinh-Audouin,
devient accessible : on le L’Actualité Chimique – Livres
réalisera en lisant ce livre. Rose Agnès Jacquesy,
Mais la chimie, c’est aussi Fédération Française pour
le domaine des matériaux les sciences de la Chimie (FFC)
et – la performance sportive Danièle Olivier,
rencontre la performance Fondation de la Maison
technologique – le monde de la Chimie
du sport est toujours à la
pointe de l’utilisation des Paul Rigny
nouveautés. On réalisera, à Rédacteur en chef
la lecture de ce livre, à quel L’Actualité Chimique
point la performance sportive Directeur de la collection
est vraiment celle du couple L’Actualité Chimique – Livres

10
Bernard Bigot Président de la Fondation de la Maison de la Chimie
Préface
La Fondation de la Maison de listes. Nous faisons pour cela
la Chimie1 est une Fondation appel aux meilleurs experts
d’utilité publique qui a été scientifiques, techniques et
créée en 1927 à l’occasion du praticiens du domaine, qu’ils
centenaire de la naissance du viennent de la sphère pu-
grand chimiste français du blique ou du secteur privé.
XIXe siècle Marcelin Berthelot Après La chimie et la mer,
pour honorer sa mémoire La chimie et la santé, La
d’homme de science et chimie et l’art, La chimie et
d’humaniste. Selon ses l’alimentation, en l’année des
statuts, elle a pour objet Jeux olympiques d’hiver 2010,
d’œuvrer à la promotion de ce sont les liens qui unissent
la Chimie et de faciliter les les sciences et technologies
relations entre les savants, les de la chimie et les activités
entrepreneurs et l’ensemble sportives que nous avons
de la société. voulu explorer.
À cette fin, elle gère un centre Le contenu du colloque
de congrès et de séminaires, « Chimie et Sport » du 24 mars
la Maison de la Chimie, dans 2010 a servi de base à cet ou-
lequel nous organisons de- vrage qui se veut être acces-
puis trois ans une série de sible à tous, en particulier aux
colloques à destination d’un jeunes, avec la volonté d’être
large public, et en particulier un outil de vulgarisation et
des jeunes et de leurs ensei- d’actualisation des connais-
gnants, afin de faire mieux sances ainsi que des innova-
connaître ce que les concepts, tions du thème concerné.
les outils et les applications De tout temps l’homme a re-
de la chimie apportent ou cherché à travers le sport
pourront apporter dans notre l’entretien de sa forme phy-
vie quotidienne, et plus lar- sique, mais aussi son plaisir,
gement à la société. Et cela son bien-être, bien souvent
dans l’esprit d’en débattre si aussi la connaissance de soi-
les choses doivent être com- même et le dépassement de
plétées ou ajustées. Nous ses limites : toujours plus vite,
voulons que ces débats s’ap- toujours plus loin, toujours
puient scientifiquement sur plus haut, toujours plus résis-
les meilleures connaissances, tant, toujours plus fort !
les plus actualisées, mais Dans le chapitre introductif
aussi identifient nos igno- sur la « simplexité », le Pro-
rances et puissent répondre fesseur Alain Berthoz, acadé-
aux interrogations ou aux micien et professeur au Col-
inquiétudes des non spécia- lège de France, nous explique
par des exemples faisant ap-
1. www.maisondelachimie.com pel à la perception visuelle, au
La chimie et le sport

contrôle du mouvement, au poir d’une bonne santé et


maintien de l’équilibre, com- d’une longue vie dépend for-
ment le sportif peut tirer parti tement de l’entretien médico-
des principes simplificateurs sportif de chacun. L’amélio-
de la perception, du contrôle ration de tous les paramètres
de l’action, de la prise de déci- de la performance, matériaux,
sion dans des environnements matériels, sciences médicales
complexes. La connaissance et entraînement, techniques
de ces principes simplifica- gestuelles, diététique, prépa-
teurs est fondamentale pour ration psychologique et straté-
l’apprentissage en matière gique, est activement recher-
de sport, mais est aussi im- chée, avec comme déviance
portante pour la conception le dopage. L’entraînement du
de robots pour la rééducation champion entre en résonance
sensorimotrice. avec des mœurs qui révèlent
La chimie, utilisée selon les le culte contemporain d’un
procédures prévues, que ce corps indéfiniment perfec-
soit la chimie de notre corps ou tible. La philosophe Isabelle
celle des matériaux de la per- Queval discute dans le cha-
formance, contribue à repous- pitre suivant le sens de cette
ser les limites du sportif. Mais quête à l’aide de la chimie de
jusqu’où ira cette recherche ce que nous pourrions appe-
de la performance aux limites ler des surhommes (corps
de l’imaginable ? La question entraînés, corps dopés, corps
des limites de l’espérance de augmentés) et comment il
vie rejoint celle des possibili- faut d’emblée accepter de ne
tés physiologiques de l’homme pas franchir des limites pour
et celle de leur optimisation. la préservation de sa santé
Comment vont-elles continuer mentale et physique.
à évoluer alors qu’elles sem- Denis Masseglia, président
blent atteindre leur plafond ? du Comité national olym-
Les limites de la course entre pique français, nous a fait
nos capacités adaptatives l’honneur et l’amitié de nous
stimulées par la science et faire partager son expé-
la technologie pourraient se rience des milieux sportifs
profiler à brève échéance. en abordant des questions
Faudra-t-il accepter les limites que nous nous posons tous,
de notre évolution alors même notamment quand on voit
que la quête perpétuelle de dé- les performances des der-
passement est inscrite au cœur niers Jeux olympiques d’hi-
du vivant ? Jean-François ver ou d’été. Sachant que la
Toussaint, directeur de l’Ins- performance sportive dépend
titut de Recherches bioMé- de trois paramètres – le phy-
dicales et d’Épidémiologie sique, le psychologique et le
du Sport (IRMES) a accepté technique – dans quelle me-
de faire le point sur ces sure la technologie peut-elle
questions. améliorer la performance tout
Le sport, et en particulier en préservant l’intégrité de
le sport de haut niveau, vu l’athlète, et cela dans les dif-
comme un laboratoire expé- férents types de sport ? Dans
rimental de la performance un contexte où la technolo-
humaine, illustre la vision gie repousse toujours plus
12 très contemporaine que l’es- loin les limites de l’humain,
comment comparer des y sont présentés et discutés.
performances alors que les L’ensemble des données sou-
« équipements » ne sont plus ligne la complexité des diffé-
comparables ? rents facteurs sur les modifi-
Les progrès technologiques cations comportementales et
sont cependant contraints de les performances sportives.
respecter les faits de la na- Mais si la chimie de notre corps
ture. Pierre Letellier, profes- peut apporter le meilleur, ses
seur de thermodynamique et excès peuvent aussi appor-
aussi professeur de plongée ter le pire et « la traque des
sous-marine, montre que, molécules dopantes » est un
pour le pratiquant de cette véritable défi pour les labo-
activité de loisir comme pour ratoires antidopage, piliers
le plongeur professionnel, la essentiels de la lutte contre
connaissance des lois de la le dopage dans le sport :
physico-chimie est de fait in- 150 000 tests sont effectués
dispensable à leur sécurité. annuellement dans le monde.
Ceci concerne en particuliers Jean-Luc Veuthey, du labora-
les mécanismes d’échanges toire de chimie analytique de
gazeux entre le plongeur et l’université de Genève, nous
son environnement, mêlant montrera que la complexité
en fait intimement la chimie, des matrices testées (sang,
la physico-chimie et la urine…), la diversité des com-
physiologie. posés à tester, le faible niveau
Après ces premiers chapitres de concentration des agents
généralistes, la suite de cet dopants, ont conduit à des
ouvrage s’organise autour de stratégies analytiques perfor-
deux thèmes. mantes et ultra-rapides.
L’un est consacré aux mo- Marie-Florence Grenier-
lécules de la performance. Loustalot, qui de nombreuses
Nous y verrons que notre années a dirigé le service
corps lui-même est une central d’analyse du CNRS,
usine chimique fascinante fera le point sur le contrôle
au sein de laquelle les rela- antidopage et son évolution,
tions entre le bien-être, les et sur le risque de dopage
performances sportives et la selon le niveau des sports.
santé sont étroites. Ce sera le Le second thème est
sujet du chapitre de Charles- dédié aux matériaux de la
Yannick Guezennec du Centre performance. La chimie des
national du rugby de Mar- matériaux de la performance
coussis. Il portera sur les ef- rend le sport plus aisé à
fets de l’exercice physique et pratiquer, plus sûr, plus
de l’entraînement sur la neu- précis, plus confortable et
rochimie cérébrale : le rôle de même plus élégant.
molécules telles que les en- L’utilisation des matériaux
dorphines, la sérotonine, les composites, associée aux
monoamines et autres neuro- propriétés exceptionnelles
médiateurs libérés sous l’ef- de certaines fibres de verre
fet d’un exercice prolongé ou ou de carbone, a consti-
d’un entraînement physique, tué une révolution dans la
la notion de bien-être et plus conception des objets tech-
généralement l’amélioration nologiques du sport amateur
de l’ensemble des fonctions et du sport de compétition. 13
La chimie et le sport

Yves Rémond, professeur La contribution à la perfor-


de l’École d’ingénieurs de mance en même temps qu’au
chimie polymères et maté- confort est illustrée par
riaux de Strasbourg et Jean- Fabien Roland (de l’ITECH
François Caron, Directeur de Lyon) sur l’exemple des nou-
recherche à l’École des Ponts veaux textiles pour le sport.
ParisTech, montrent à partir La compression du corps
d’exemples d’applications pour augmenter le rendement
dans les sports nautiques et musculaire et sa récupération
dans les sports mécaniques après effort, l’état de surface
comment une chimie créative du matériau pour réduire la
et innovante a conduit à l’éla- résistance dans l’air ou dans
boration de matériaux « in- l’eau : ces fonctionnalités sont
telligents » capables, tout en recherchées dans les sports
conservant une grande légè- d’endurance et de vitesse. Les
reté, de favoriser la glisse, de matériaux imper-respirants,
dissiper l’énergie des chocs, les fibres à hautes perfor-
de résister aux vibrations, de mances mécaniques et ther-
supporter des températures miques ont permis au sportif
élevées, d’être flexibles ou d’être plus performant dans
rigides. l’action grâce à un meilleur
Nicolas Puget, du groupe confort et à une protection
Rossignol, explique comment accrue.
des assemblages résultant Ce livre réunit donc les
du collage complexe d’une connaissances et les opinions
dizaine de couches diffé- de sportifs de haut niveau, de
rentes permettent de faire chimistes, de médecins, de
reculer les limites élastiques biologistes et d’industriels
des skis facilitant leur utili- des équipements de sport,
sation dans des conditions pour faire un point scienti-
extrêmes. Il aborde aussi la fique objectif, au travers de
complexité du phénomène plusieurs exemples soigneu-
de « la glisse » qui fait simul- sement sélectionnés, sur
tanément appel à des études ce que la chimie apporte et
de nivologie, de tribologie, de pourra apporter au sportif du
physico-chimie des surfaces, XXIe siècle pour s’accomplir et
de chimie des matériaux et de se dépasser dans le respect
physique vibratoire. et pour le mieux de sa santé
Dans un tout autre domaine, mentale et physique.
celui de la performance au- Je vous en souhaite la
tomobile, Claude Lory, de meilleure lecture.
l’entreprise SOREVI, explique
sur l’exemple des revête-
ments complexes antifric-
tion pour les composants
moteurs de la F1 automobile
l’intérêt de réaliser des traite- Bernard Bigot
ments de surface combinant Président de la Fondation
les avantages de plusieurs Internationale
matériaux pour « surper- de la Maison de la Chimie
former » leurs propriétés Administrateur général
14 originelles. du CEA
La simplexité
Introduction

15
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Alain Berthoz La simplexité
La simplexité

Alain Berthoz, académicien, l’on retrouve aujourd’hui ces


professeur au Collège de France, principes simplificateurs un
est un physiologiste mondiale- peu partout dans l’immense
ment connu pour ses travaux et quantité des publications
ses publications dans le domaine qui décrivent la complexité
des neurosciences cognitives2, du vivant, tant au plan géné-
en particulier dans l’étude du tique, chimique, mécanique et
mouvement (voir bibliographie neuronal…
« Pour en savoir plus »). Il a
récemment publié un livre sur
U’EST-CE UE
la « simplexité ». Il montre les
LA SIMPLEXITÉ ?
applications de ce concept au
sport et le besoin d’encourager L’évolution a mis en
les coopérations qui n’existent place chez le vivant,
peut-être pas assez dans ce face à la complexité du
domaine avec les chimistes et monde et l’augmentation
les neuropharmacologues. de la complexité des
Le mot « simplexité » a été organismes vivants,
utilisé depuis très longtemps des « principes
mais l’idée est ici que l’évo- simplificateurs ».
lution a mis en place chez le Ils ne sont pas simples,
vivant, face à la complexité du ils exigent parfois
monde et à l’augmentation des détours, mais
de la complexité des orga- ils permettent de
nismes vivants, des principes réaliser des fonctions
simplificateurs. rapidement et avec une
Ces principes ne sont pas grande efficacité. On
forcément simples et deman- trouve ces mécanismes
dent parfois des détours « simplexes » du niveau
et une certaine complexité génétique jusqu’aux
dans les mécanismes, mais fonctions cognitives
ils permettent de réaliser les plus élevées.
des fonctions rapidement et
avec une grande efficacité.
Il est étonnant de voir que Dans le cadre du sport, on
trouve ces principes simplifi-
cateurs dans les mécanismes
2. Les neurosciences cognitives de contrôle du mouvement, les
sont un domaine de recherche processus de décision, d’anti-
dans lequel sont étudiés les méca-
cipation et dans le traitement
nismes neurobiologiques qui sont
à la base de la cognition (percep- et la mémoire de l’espace.
tion, motricité, langage, raisonne- Cependant, il est aussi néces-
ment, émotions…). saire, à toutes les étapes, de
La chimie et le sport

tenir compte d’autres aspects l’on trouvera développés dans


comme la différence entre les le livre La simplexité (voir biblio-
sexes, l’émotion, les méca- graphie « Pour en savoir plus »).
nismes neuromodulateurs
(abordés dans le Chapitre de 1.1. Les principes
C.-Y. Guezennec), etc. simplificateurs de la marche

1.1.1. La marche :

1 La simplexité
dans le sport :
l’étude des mouvements
un mécanisme très complexe
La simple marche (Figure 1) est
un mécanisme complexe et
u’est-ce que la simplexité hiérarchisé (Figure 2) : dans
dans l’étude des mouvements ? la moelle épinière se trouvent
Pour comprendre les mouve- des générateurs de rythme
ments complexes, il ne suffit qui peuvent être organisés
pas de les décrire, il faut aussi pour donner la course, le pas.
découvrir les grands principes La réticulée mésencéphalique
de l’organisation neuronale initie l’un ou l’autre de ces types
qui nous permettent de les de mouvements par le biais de
réaliser. On en a découvert un mécanismes qui les contrôlent.
très grand nombre dont les Le tout est sous contrôle du
principaux sont reportés sur cerveau, avec la coordination
la liste de l’Encart : « Quelques du cervelet et des ganglions
principes de la simplexité dans de la base, qui vont sélec-
le contrôle et la perception du tionner et, éventuellement,
mouvement ». Nous allons en prendre des décisions sur la
décrire quelques exemples que marche, la course, etc. Puis, il

UEL UES PRINCIPES DE LA SIMPLEXITÉ DANS LE CONTRÔLE


ET LA PERCEPTION DU MOU EMENT

1- Un répertoire de sous-systèmes d’actions. La redondance et la vicariance .


2- Anticipation et prédiction par simulation du mouvement sur des modèles internes.
3- Sélection des capteurs sensoriels en fonction de l’action. Caractère projectif
de la perception.
4- Réduction du nombre de degrés de liberté.
5- Constitution de référentiels multiples et mobiles. Utilisation de plusieurs géométries.
6- Mécanismes de cohérence.
7- Rôle des neuromodulateurs (dopamine, etc.) et de l’émotion.
8- Nature fondamentalement probabiliste de la perception et des mécanismes de décision.
Etc.
icariance : du latin vicarius remplaçant. C’est la propriété qui permet aux organismes vivants
d’effectuer la même tâche en utilisant des mécanismes différents. Ce concept à été utilisé par les
psychologues pour indiquer qu’une même performance humaine ou animale peut être réalisée par le
cerveau par plusieurs processus différents. La redondance, qui est un des aspects de la vicariance,
désigne la mise en jeu de plusieurs mécanismes en parallèle.

18
La simplexité
Figure 1
La marche est un ensemble
de mécanismes très compliqués
dans lesquels interviennent
à la fois des facteurs cognitifs
et sensorimoteurs. L’évolution
a mis au point une hiérarchie
de processus qui diminuent
cette complexité en divisant les
tâches en modules spécialisés
et coordonnés. C’est un aspect
important de la simplexité.

y a la relation avec le système rimoteurs. Mais ce n’est pas Figure 2


cérébral de traitement de l’es- tout, il faut aussi prendre en
pace : le cortex pariétal (qui compte la part d’émotions, qui Lorsqu’on marche, différentes
régions du système nerveux
évalue les différentes données est encore assez peu étudiée...
se mettent en activité : la moelle
comme la position du corps Toutefois, cette « division du épinière génère le rythme de la
et de la cible dans l’espace travail » en quelque sorte course et organise les patterns
grâce aux informations qu’il est un aspect important de la nécessaires pour passer de la
reçoit) et l’hippocampe (qui « simplexité ». marche à la course au saut etc., le
joue un rôle important dans mésencéphale initie le mouvement
la mémoire déclarative, la en utilisant la coordination du
1.1.2. La création cervelet, des opérations de
navigation spatiale et l’orien- de référentiels mobiles : sélection par les ganglions de
tation dans l’espace). Ces un principe simplificateur la base. Le cortex pariétal et
deux parties du cerveau sont, l’hippocampe codent les aspects
quant à elles, sous contrôle du Le premier exemple de prin- spatiaux de la trajectoire de la
cortex préfrontal, qui prend les cipe simplificateur est la créa- marche. Le cortex préfrontal prend
décisions. La marche est donc tion de référentiels mobiles. les décisions, etc.
un ensemble de mécanismes La Figure 3 représente les
très compliqués dans lesquels images successives et super-
interviennent à la fois des posées d’une personne qui
facteurs cognitifs et senso- court par le photographe 19
La chimie et le sport

Figure 3 américain Edward Muybridge ceux du surf (Figure 4), qui


(1830-1904). nécessitent la coordination de
Reconstitution d’un homme centaines de degrés de liberté,
courant, en conservant un point L’analyse des images de
fixe des images. L’analyse
sont assurés à partir non pas
Muybridge nous montre que
de cette image de Muybridge nous des pieds, comme c’est le cas
la tête reste fixe et que nous
montre que la tête reste fixe et que pour l’enfant jusqu’à deux-
courons en prenant comme
nous courons en prenant comme trois ans (voir aussi le para-
référentiel non pas les pieds,
référentiel non pas les pieds,
graphe 1.4.2 et la Figure 11A),
mais la tête [1]. Cette création mais la tête. Des études
mais à partir d’une centrale
d’un référentiel mobile simplifie semblables ont montré que
inertielle mobile qui est la tête.
considérablement le contrôle tous les mouvements du corps,
de la marche en permettant au complexes et rapides, comme Une sorte de révolution gali-
marcheur de s’affranchir des aléas ceux du ski sur bosses ou léenne s’est donc produite au
du sol par exemple.

20
La simplexité
cours de l’évolution qui nous laire3 et au regard. Ce principe Figure 4
a conduits à coordonner ainsi simplificateur est un exemple
nos mouvements. Tout cela a de simplexité. Dans des sports comme le ski
sur bosses ou le surf, tous les
été étudié quantitativement
Il n’était pas évident d’inventer mouvements du corps, complexes
grâce à des calculs effectués et rapides, qui nécessitent la
l’idée d’un référentiel mobile.
sur ordinateur. coordination de centaines de
Actuellement, en collabora-
degrés de liberté sur des supports
Des images ont été obte- tion avec des mathématiciens, inégaux ou mouvants, sont assurés
nues par enregistrement nous essayons de comprendre non pas à partir des pieds, mais à
de la marche d’un sujet par ce principe en faisant appel partir de la tête.
une méthode de capture de aux mathématiques d’Élie
mouvement avec des caméras Cartan4.
digitales et un ordinateur [2].
uand on examine ces
mouvements dans le détail,
on s’aperçoit que la tête est
3. Le système vestibulaire est le
parfaitement stabilisée en système sensoriel principal de
rotation (comme schématisé la perception du mouvement et
sur la Figure 3) et que cela de l’orientation par rapport à la
reste vrai pour les différents verticale. Il est donc à la base du
types de mouvements. Nous sens de l’équilibre.
avons publié de nombreux 4. Élie Cartan (1869-1951) est
l’un des mathématiciens français
travaux sur ces questions. Les les plus influents de son époque
roboticiens, en particuliers et un théoricien de talent. Son
ceux qui construisent des travail a porté sur les applications
humanoïdes, ont mis long- géométriques des groupes et
temps à admettre ce principe algèbres de Lie il a établi une
simplificateur qu’ils appli- classification de ces dernières sur
le corps des nombres complexes
quent maintenant.
il a introduit la notion de spineur,
Dans ce travail que nous vecteur complexe qui permet
avons réalisé en 1990 et 1991, d’exprimer les rotations de
l’espace par une représentation
nous avons montré que la
bidimensionnelle et qui a
marche est contrôlée à partir contribué à affiner certains outils
de la tête, qui est stabilisée mathématiques de la relativité
grâce au système vestibu- générale. 21
La chimie et le sport

1.2. Les principes tionnement du cerveau pour


simplificateurs contrôler les mouvements
des mouvements de la main de la main pouvaient aussi
s’appliquer pour la locomo-
Un autre exemple concerne
tion. Autrement dit, notre
les mouvements de la main.
cerveau contrôle-t-il, avec
L’étude neurophysiologique
des principes très généraux,
et biomécanique de ces
l’ensemble des mouvements
mouvements a permis de
quelque soit leur complexité,
découvrir toute une série de
que ce soit une vingtaine
lois simplificatrices (Encart :
de degrés de liberté ou des
« Les lois de la formation de
centaines, quand il s’agit de
trajectoires : communes à la
contrôler la locomotion ?
main et à la marche ? »). Tout
Cette idée est présente dans
d’abord, le fait que le cerveau
la littérature de physiologie
ne contrôle pas chacun des
depuis longtemps sous le nom
muscles mais, éventuelle-
de « principe d’équivalence
ment, un point d’équilibre
motrice ». Par exemple, on
entre les muscles.
peut écrire une lettre A avec
le doigt, la main, la langue,
LES LOIS le pied ou en courant sur la
DE LA FORMATION plage !
DE TRAJECTOIRES :
COMMUNES À LA MAIN 1.3. Les lois simplificatrices
ET À LA MARCHE ? de contrôle de la globalité
des mouvements
- Point d’équilibre
(paragraphe 1.2). 1.3.1. La variation coplanaire
- ariation coplanaire
Plusieurs équipes de
(paragraphe 1.3.1).
recherche ont réalisé des
- Loi de la puissance 1/3
images successives de
(paragraphe 1.3.2).
la marche [3,4]. Bien que la
- ariables composites.
vision d’ensemble apparaisse
- Contrôle séparé de
très complexe, une équipe
la distance et de la
italienne a montré que les
direction.
trois angles d’élévation de la
Etc.
cheville, de la jambe et de la
cuisse, lorsqu’ils sont portés
Une autre découverte impor- sur un diagramme, décri-
tante est la raison pour vent une trajectoire plane
laquelle le cerveau n’a pas à (comme cela est montré sur
contrôler chacun des muscles la Figure 5). Cela signifie donc
impliqués dans le mouve- qu’ils peuvent être décrits par
ment. C’est parce qu’il existe une loi il en est de même
des relations mécaniques pour le bras. Le cerveau
très simples entre les angles peut donc se contenter de
d’élévation des différents ne contrôler que quelques
segments, ce qui permet de grandes variables.
simplifier le contrôle cérébral.
Il semble donc bien qu’au
Nous avons également étudié cours de l’évolution, des
la question de savoir si ces moyens ont été recherchés
22 lois simplificatrices du fonc- et trouvés permettant de
La simplexité
Premiers pas

3 semaines après

6 semaines après

18 mois après
Pied (degré)

Ch
ev )
ille
egré
(d
eg e(d
ré iss
) Cu

Figure 5
En visualisant des images successives de la marche, on constate que les trois angles d’élévation de la cheville,
de la jambe et de la cuisse décrivent une trajectoire plane ! Cette coordination apparaît au cours de l’enfance.
Les graphiques montrent le diagramme liant les trois angles lors des premiers pas, puis 3 et 6 semaines plus
tard, puis 18 mois après [4]. 23
La chimie et le sport

A) Mouvements plans la trajectoire [5a] : si l’on


demande à un sujet de réaliser
un mouvement en forme de
huit, en forme de trèfle, ou
encore un mouvement ellip-
tique (Figure 6A), il existe
une relation linéaire entre la
vitesse tangentielle (c’est-
à-dire la vitesse le long de la
B) Mouvements en trois dimensions
trajectoire) et la courbure.
Autrement dit, je vais plus
lentement quand la courbure
est importante. De même,
de façon plus générale, car
nos mouvements ne sont pas
plans, nous avons récemment
montré qu’une loi linéaire
semblable, incluant un facteur
lié à la torsion, caractérise les
mouvements de torsion de la
main (Figure 6B) [5b].
Figure 6
Nos collègues mathémati-
Lorsque l’on effectue un mouvement en forme de huit, de trèfle ou
ciens et physiciens ont montré
d’ellipse, il existe une relation linéaire entre la vitesse tangentielle
(vitesse le long de la trajectoire) et la courbure de la trajectoire.
que cette loi du mouvement
Plus la courbure est importante, plus l’on va lentement. de torsion dérive en fait des
A) Tracés de mouvements plans. principes généraux de minimi-
B) Mouvements en trois dimensions. Ici, la relation tient compte sation d’énergie, et même de
de la torsion du mouvement, en plus de sa courbure. principes encore plus géné-
raux dans des géométries qui
Figure 7 ne sont pas nécessairement
euclidiennes5. D’une façon
La loi liant vitesse tangentielle et courbure des mouvements
de la main est valable pour la génération de trajectoires locomotrices.
générale, on peut mainte-
Un sujet marche suivant une trajectoire elliptique et l’on mesure nant penser que ces principes
le mouvement de la tête dans le plan horizontal. On trace alors un sont à la base de certaines de
diagramme liant le logarithme de la courbure de la trajectoire et le ces règles simplificatrices de
logarithme de la vitesse tangentielle de la tête le long de la trajectoire : description des mouvements.
on obtient une relation linéaire qui prouve que la relation de la puissance
1/3, valable pour la main, l’est aussi pour la génération de trajectoires Ces lois sont-elles valables
locomotrices. pour les trajectoires loco-
motrices ? Nous avons pu
contrôler nos mouvements observer que cette loi simpli-
3 dans leur globalité plutôt que ficatrice est aussi vraie pour
dans le détail du mouvement
de chaque muscle. Cette
5. La géométrie traditionnelle
capacité de coordination est
z (m)

développée par Euclide modélise,


innée et se développe au en physique classique, l’espace
cours de l’enfance. qui nous entoure, un espace à
0
3 3
trois dimensions gouverné par un
0 0
1.3.2. La loi de la puissance 1/3 ensemble d’axiomes et postulats.
-3 -3 Il existe des espaces dits non
y (m) x(m) u’est-ce que la loi de la puis- euclidiens, où ces axiomes et
sance 1/3 ? C’est la relation postulats ne sont pas toujours
entre la vitesse tangentielle, valables. C’est le cas de la
24 la courbure et la torsion de géométrie sphérique.
La simplexité
décrire la marche le long certains comme le roboticien
d’une ellipse. En mesurant Jean-Paul Laumond, ce sont
le mouvement de la tête du des morceaux de clothoïdes
sujet, on retrouve la même (doubles spirales, dites
relation linéaire que celle spirales de Cornu, Figure 8A).
Figure 8
observée pour les mouve- Pour d’autres collègues
ments du bras (Figure 7, [6]), neurophysiologistes et robo- La forme du geste est-elle
ce qui suggère l’existence d’un ticiens qui ont enregistré les composée de segments de
principe simplificateur plus relations entre l’activité des clothoïdes (A) ou de paraboles (B) ?
A) Schéma de clothoïde obtenu à
général, valable aussi bien neurones du cerveau et les
partir de modèles de la marche par
pour la génération du mouve- mouvements de la main du des roboticiens [7a].
ment de la main que pour la singe, ce sont des segments B) Enregistrements de
génération de trajectoires, et de parabole (Figure 8B). mouvements de la main chez
cela parce que marcher c’est le singe qui sont décomposés
uoi qu’il en soit, il semble en segments de parabole [7b].
aller quelque part, et non pas
cependant qu’il existe des
seulement agiter les jambes !
mouvements simplificateurs
1.3.3. Les trajectoires permettant de décrire d’une A
locomotrices sont façon générale ces trajectoires
stéréotypées et qu’ils sont peut-être à la base
de notre perception de l’es-
ue se passe-t-il quand on
thétique. L’exemple suivant,
fait marcher quelqu’un dans
tout à fait remarquable, le
une pièce, sur une trajectoire
confirme : si l’expérimenta-
libre mais avec une contrainte
teur déplace un doigt et vous
d’orientation comme par
demande s’il bouge à vitesse
exemple passer par une
constante, vous ne le perce-
porte ? A priori, on peut le faire
vrez bien à vitesse constante
de multiples façons. En réalité,
que si le mouvement l’est non
quand on demande à un sujet,
sans rien lui préciser, de faire
cette expérience, on s’aper-
çoit que ses trajectoires sont
B
a Simulation b singe O, entraînement
complètement stéréotypées
et répondent effectivement
à des principes généraux.
Ces études sont réalisées en
collaboration avec des collè-
gues roboticiens et mathé-
maticiens. Nous en décrivons
quelques propriétés dans les
lignes qui suivent.

1.4. Comment étudier c singe U, entraînement d singe U, bien-entraîné

les formes générales


associées aux gestes ?

1.4.1. La segmentation
du mouvement
Nous avons étudié de
nombreuses trajectoires pour
savoir si elles sont ou non
liées à des formes géomé-
triques assez simples. Pour 25
La chimie et le sport

seulement, mais également mémoire des conséquences


respecte cette loi simpli- des actions passées (ce lien
ficatrice. Les mêmes lois entre passé, présent et futur
sous-tendent, donc, à la est actuellement formalisé
fois l’exécution motrice et par des modèles probabi-
la perception. Ces observa- listes « bayésiens »). Nous
tions introduisent, de plus, le avons montré, par exemple,
rôle de l’imagerie mentale, que lorsqu’on tourne à un coin
que nous abordons dans en marchant, comme illustré
le paragraphe 1.5. sur la Figure 10, ce ne sont
Peut-être que dans cette pas les pieds qui commandent
calligraphie, représentée sur la trajectoire, mais d’abord
la Figure 9A, ou dans le geste le regard, puis la tête, puis
de cette sculpture (Figure 9B), les pieds. Autrement dit, on
on retrouve ces principes retrouve ici le principe d’un
simplificateurs qui évoquent guidage de l’ensemble des
dans votre cerveau un mouve- mouvements du corps par la
ment ? Il a été montré par tête, avec un rôle important du
le professeur Semir eki regard : le regard est utilisé en
(professeur de neuroesthé- premier, la tête ensuite, pour
tique à Londres) que lorsqu’on guider le corps [8]. Ce guidage
regarde ces images, on active « top-down » est, d’après moi,
dans notre cerveau non seule- un principe simplexe.
ment les aires des émotions Les applications de cette
mais aussi les aires qui sous- loi sont très importantes.
tendent la perception des En effet, une grande partie
mouvements. de la pathologie motrice,
chez l’enfant en particulier,
1.4.2. L’anticipation : mais aussi chez l’adulte,
le rôle du regard et du cerveau et même dans les grandes
L’anticipation est un autre maladies neurologiques,
Figure 9 principe simplificateur impor- est souvent étudiée comme
Dans le geste du calligraphiste (A)
tant, outil de la simplexité. En une pathologie musculaire,
ou de cette magnifique sculpture effet, le cerveau est essentiel- alors qu’en réalité, elle peut
(B), retrouve-t-on les mêmes lement une machine à anti- être liée à une pathologie
principes simplificateurs ? ciper le futur à partir de la d’origine cognitive, liée aux

A B

26
La simplexité
Figure 10
point central
L’anticipation est un autre outil de
la simplexité. Les enregistrements
de la direction de la tête pendant
trajectoire
une marche en cercle, en
tournant à un coin, ou dans tous
θ les mouvements de la marche
normale, montrent que la tête
anticipe la trajectoire. En fait,
c’est le regard qui anticipe la tête

β α et la tête qui anticipe le corps.

x
pt pt+1

1
Z (m)

3
3
2
2
1
)

1
m
y(

x(
m
)

0 0

mécanismes de guidage trie et neurologie sur des


généraux de la coordination enfants souffrant d’infirmités
du mouvement, y compris le motrices cérébrales, et où
rôle du regard qui guide la l’on expérimente de nouvelles
trajectoire. Cette anticipation méthodes de réhabilitation.
du mouvement par le regard
apparaît au cours de l’en- 1.4.3. La simulation de l’action
fance, au cours du dévelop- avant l’exécution :
pement : quand un enfant de un autre outil de la simplexité
trois ans et demi tourne à un Le fonctionnement du cerveau
coin, la tête part en dernier, cognitif utilise des « modèles
alors qu’à cinq ans, la tête part internes » pour simuler l’ac-
d’abord et cette observation tion avant l’exécution. Autre-
est générale (Figure 11). Ces ment dit, l’apprentissage, la
études ont été réalisées dans réhabilitation, ne concernent
un grand hôpital de Pise où pas seulement les muscles
l’on pratique à la fois psychia- mais ces modèles internes 27
La chimie et le sport

Figure 11
A) L’anticipation de la marche par le regard apparaît au cours de l’enfance : quand un enfant de trois ans et demi
tourne à un coin, la tête tourne en dernier, alors qu’à cinq ans, c’est le regard et la tête qui tournent d’abord
et guident la trajectoire. Tout déficit dans ce guidage peut induire des troubles de la marche. B) Pendant les
compétitions sportives, les joueurs trompent leur adversaire en regardant ailleurs que là où ils ont l’intention
de tourner. Cette anticipation est aussi valable dans le cas d’un lancer de balle, ou d’un penalty au football par
exemple : le regard guide en anticipant le mouvement, et l’on peut tromper l’adversaire en regardant ailleurs !

également. Par exemple, si l’on la force d’impact. C’est ce qui


fait tomber une balle lourde est montré dans la Figure 12
dans une main, la main qui la de l’électromyographie6 du
rattrape ne descend pas : quel muscle biceps en fonction
que soit le poids de cette balle, du temps. Le cerveau a anti-
la main reste parfaitement cipé quelle va être la force
stable, ce qui signifie que, juste d’impact [9] !
avant que la balle ne touche la
main, le cerveau induit une
activité dans le muscle qui est 6. Enregistrement des courants
exactement égale à ce qu’il électriques qui accompagnent
faut produire pour compenser l’activité musculaire.

Figure 12
Lorsqu’une balle lancée en l’air retombe dans la main, celle-ci reste parfaitement stable, car le cerveau a induit
une activité dans le muscle compensant exactement la force d’impact avant le contact. Ceci est possible car le
cerveau dispose de « modèles internes » des lois de Newton qui lui permettent de prévoir la force de l’impact
et de transmettre au muscle la commande adaptée. Cette capacité est liée à l’entraînement et, chez l’enfant,
aux jeux de la petite enfance [9].
5
x 10 Condition “Capture” : Activité Électromyogramme moyenne
2.5

2
Électromyogramme

1.5

Départ de la balle Impact

0.5

0
-0.5 0 0.5 1 1.5

Temps (S)
28
La simplexité
Nous avons même réalisé médecin biologiste italien
des expériences à bord de iacomo Rizolatti enregistrait
stations spatiales où l’on peut le bruit associé à l’activité des
faire tomber une balle d’un neurones du cortex prémoteur
lanceur de balles dans la main d’un singe, zone cérébrale
d’un cosmonaute (Figure 13). contrôlant les mouvements
Dans l’espace la balle tombe de la main. Chaque fois que le
à vitesse constante, puisqu’on singe allait manger une caca-
est en apesanteur et que l’ac- houète, ses neurones s’acti-
célération de Newton (c’est- vaient. Puis l’expérimentateur,
à-dire avec une constante de qui a sans doute eu faim, a lui-
pesanteur g 9,81 m/s) ne même pris une cacahouète et
s’applique pas. Et pourtant, la même activité émanant du
le sujet produit, comme sur même neurone a été enregis-
Terre, ce même mouvement trée, preuve que les neurones
anticipateur [10]. Ces mouve- du singe avaient encore été
ments anticipateurs sont donc activés même s’il n’avait pas
inscrits définitivement dans le lui-même pris la cacahouète !
fonctionnement du cerveau Cette expérience montre que Figure 13
et nous permettent de ne pas les neurones, qu’on pensait Alors qu’on se trouve en
tomber, de prévoir une chute être prémoteurs, sont en apesanteur, les réflexes que nous
ou un mouvement, etc. réalité des neurones qui avons sur Terre sont maintenus :
Tout cela montre à quel point codent « l’action », qu’elle soit le cerveau de ce cosmonaute
le cerveau est une machine anticipe le mouvement de la balle
produite par le sujet ou par
biologique qui simule la comme si elle allait tomber !
autrui. Lorsque l’on exécute
réalité grâce à des représen- un geste, ou que l’on observe
tations mentales de celle-ci, un geste, des neurones du
tout comme nous avons le cerveau sont activés. Les
rêve qui simule le monde. mêmes structures cérébrales
Donc, en parallèle avec le sont impliquées dans l’ob-
fonctionnement sensorimo- servation et dans l’exécution
teur, au cours de l’évolution, d’une action. uel beau prin-
se sont développés des méca- cipe « simplexe » qui nous
nismes de simulation mentale permet de comprendre l’ac-
du mouvement. tion d’autrui ! L’activation du
« système miroir », un réseau
1.5. L’imagerie mentale : d’aires qui ont cette capacité
les mêmes structures de « résonance », est d’autant
cérébrales sont impliquées plus grand que nous sommes
dans l’exécution, familiers avec l’action ou que
l’observation et la simulation nous avons pratiqué la même
mentale d’une action action. Un joueur de rugby ou
Aujourd’hui, la simulation un sportif qui est familier avec
mentale, l’imagerie mentale le jeu qu’il voit à la télévision,
et l’imagerie motrice sont ou sur le stade, aura l’impres-
utilisées pour la réhabilitation sion qu’il joue lui-même, ou
des patients. Les mécanismes fait le geste, beaucoup plus
à la fois neurochimiques et qu’un amateur.
neurophysiologiques de cette Plus tard, Julie rèzes et
simulation mentale font l’objet Jean Decéty, chercheurs en
de nombreuses d’études. neurosciences cognitives,
Il y a quelques années, le ont réalisé des expériences 29
La chimie et le sport

tion d’une même action par


3 4 exemple, les aires activées
dans le cerveau sont diffé-
rentes chez un droitier et un
gaucher (Figure 15). Cette
5 très grande découverte est
aussi actuellement utilisée
pour comprendre des mala-
dies et troubles du fonction-
6 nement perceptivo-moteur. Il
faut toutefois prendre garde
1 à ne pas attribuer trop de
propriétés à un seul système
neuronal.
L’imagerie motrice n’est donc
2 pas abstraite mais est incarnée
dans les mécanismes de l’exé-
cution. Il y a encore là tout un
Figure 14 similaires avec l’homme qui champ d’investigation scien-
ont confirmé les observa- tifique important sur l’ima-
Le système miroir : les mêmes
tions faites avec le singe. Ces gination du mouvement, la
aires cérébrales sont impliquées
dans l’observation et l’exécution mêmes aires cérébrales, qui simulation mentale du mouve-
d’une action et dans leur sont impliquées dans l’ob- ment, et il n’existe que très
simulation mentale. servation et dans l’exécution peu d’études concernant les
1 : cortex ventral prémoteur d’une action, permettent donc mécanismes neuropharmaco-
(neurones miroirs), 2 : pars aussi de simuler mentalement logiques de cette simulation.
triangularis, pars opercularis du une action sans l’exécuter :
gyrus frontal inférieur, 3 : cortex
dorsal prémoteur, 4 : lobe pariétal
elles constituent ce que l’on 1.6. La marche imaginée :
supérieur, 5 : cortex pariétal appelle le « système miroir ». un outil d’entraînement
inférieur, 6 : sulcus temporal La Figure 14 représente les sportif ?
supérieur postérieur. différentes aires du cerveau
La marche imaginée peut
impliquées dans ce système.
Figure 15 servir à l’entraînement des
Une partie de notre capacité sportifs. On sait même qu’elle
Les aires activées pendant
à simuler une action sans est utilisée avant certaines
l’imagerie motrice sont différentes
entre droitiers et gauchers. l’exécuter a donc une base épreuves, pour l’escalade par
L’imagerie motrice n’est donc pas neuronale. Ce système miroir exemple, où les sportifs ont
abstraite mais incarnée dans les n’est cependant pas le seul le droit d’imaginer l’épreuve
mécanismes de l’exécution [11]. qui intervient pour l’exécu- pendant cinq minutes.

Gauche
L L
Gauche Droite
R Droite
R

gauchers

droitiers

30
La simplexité
La simulation mentale du la marche réelle et la marche
Figure 16
mouvement est donc un outil imaginée. Ce magnifique
bien connu du monde sportif, travail de neurosciences a Une grande partie des mêmes
et l’on possède des données nécessité la réunion d’un très aires du cerveau est activée par
la marche réelle et la marche
récentes sur la marche gros équipement matériel
imaginée [12].
imaginée ou les parcours dans le même institut, combi- A) Pendant qu’un sujet s’imagine en
fictifs. Nous savons depuis un nant l’imagerie cérébrale par train de marcher, les images d’IRM
certain nombre d’années qu’il résonance magnétique et fonctionnelle montrent l’activation
existe une forme d’isochronie l’imagerie cérébrale en TEP de certaines régions du cerveau
entre la marche imaginée et (Tomographie par émission de par une augmentation du signal
la marche réelle, c’est-à-dire positons. Encart : « L’imagerie (en jaune, rouge), ou au contraire
la désactivation par une diminution
que l’on met à peu près le fonctionnelle, ou comment
du signal (en bleu). Les principales
même temps pour réaliser un voir l’activité d’un organe »), régions avec augmentation des
parcours fictif ou un parcours dans des conditions difficiles signaux sont : cortex préfrontal,
réel. Ce résultat a été obtenu sur des personnes qu’il faut noyau caudé, putamen, gyrus
par différentes équipes de faire marcher dans un couloir parahippocampique, fusiforme et
chercheurs, mais nous ne pendant une heure. C’est un lingual, precuneus, cuneus, vermis
connaissons pas encore les bel exemple de l’indispensable et lobule paramédian du cervelet,
etc.
bases neuronales de cette coopération entre neurolo- B) Images de TEP et d’IRMf
imagination qui intègre le gues, psychologues, neuro- réalisées pendant que le sujet
temps. physiologistes, entre autres. marche. Les principales régions
La Figure 16, extraite d’une avec augmentation des signaux
très récente étude par des 1.7. Comment fonctionne sont : gyrus précentral et post-
l’imagerie mentale ? central, gyrus parahippocampique,
neurologues de Munich, fusiforme et lingual, precuneus/
montre qu’à quelques diffé- La Figure 17 montre que les cuneus et cervelet médian. Une
rences près, les mêmes aires neurones de l’hippocampe diminution d’activité a aussi été
cérébrales sont activées par sont activés pendant la station observée dans certaines régions.

A B
IRMf- Images mentales de la marche en IRMf
[18F]-FDG-TEP IRMf

31
La chimie et le sport

L’IMAGERIE FONCTIONNELLE, OU COMMENT VOIR L’ACTIVITÉ D’UN ORGANE


L’imagerie fonctionnelle permet de suivre le fonctionnement d’un organe pendant la réalisa-
tion d’une action physique (le sujet bouge la main) ou mentale (le sujet pense qu’il bouge la
main), sans intervention extérieure traumatisante.
Les techniques associées, notamment celles qui traitent de la connaissance – ce qu’on appelle
les sciences cognitives – ont révolutionné aussi bien la recherche biomédicale que le diagnostic
de nombreuses pathologies, comme de cancers ou de diverses maladies neurologiques, et
le suivi de l’effet d’une thérapie. Elles complètent les techniques d’imagerie structurelle qui
donnent des informations sur l’état de l’organe (tissu, cellule, etc.), non plus en activité, c’est-
à-dire en mode dynamique, mais en mode statique.
Plusieurs techniques d’imagerie fonctionnelle sont actuellement utilisées. Les principales
sont l’IRMf et la TEP :
L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf)
L’IRMf procède des mêmes principes que la résonance magnétique nucléaire RMN, devenue
un instrument d’analyse routinier en physique, chimie et biologie (sur l’IRM structurelle, voir le
chapitre de M. Port dans l’ouvrage La chimie et la santé, au service de l’homme ). On demande
au sujet de faire alternativement un geste donné puis de cesser et de se mettre au repos.
On localise, par les techniques habituelles d’analyse, traitement et reconstitution d’images,
quelles sont les régions du cerveau qui sont activées. Cela se fait par ce que l’on appelle l’effet
BOLD (Blood Oxygen Level Dependant) : pendant l’activité et dans les zones activées, on observe
une très petite augmentation de la consommation d’oxygène des globules rouges. Pour cela,
on joue sur le paramagnétisme de l’hémoglobine qu’elles contiennent, selon qu’elle n’est pas
ou est oxygénée. Dans le premier cas, elle est visible en RMN, dans le second elle ne l’est
pas. C’est la variation, très faible, qui est mesurée, exigeant des méthodes très élaborées
d’analyse et de traitement.
La tomographie par émission de positons (TEP)
La TEP est fondamentalement différente de l’IRMf, car elle utilise des traceurs radioactifs très
particuliers, qui ont une durée de vie très courte et émettent des positons , qu’on appelle
parfois positrons car ils portent une charge positive, exactement inverse de celle portée par
l’électron. La rencontre d’un électron et d’un positon produit une émission de rayonnement
gamma, de très haute énergie, lequel va se désintégrer en deux photons qui partent dans des
directions opposées. Leur localisation par une caméra spéciale permet de déterminer très
précisément et avec une très grande sensibilité où s’est faite l’émission gamma. Il est alors
possible de constater où et avec quelle intensité le cerveau effectue une tâche (voir la Figure 16
par exemple). Par comparaison entre sujets sains et sujets malades, on peut ainsi déterminer
quelles sont les zones actives, celles qui sont lésées et qui peuvent correspondre à des diffi-
cultés d’apprentissage ou d’élocution d’un sujet, ou détecter des pathologies mentales graves.
Les traceurs chimiques sont principalement l’atome de fluor-18, de durée de demi-vie de
110 minutes (c’est le fluor 19 qui est stable, non radioactif) il est préparé dans un accélérateur
que l’on appelle cyclotron et on s’en sert pour préparer une molécule qui servira de marqueur
et que l’on injecte dans l’organisme du sujet. Il s’agit très généralement (à 90 ) d’un dérivé
du glucose, (le FD ou 2 (18-F) fluoro-2-déoxy-D-glucose) qui sert de « combustible » au
cerveau, comme à tous les organes d’ailleurs. D’autres radionucléïdes à courte durée de vie,
comme l’oxygène 15 (c’est l’oxygène 18 qui est stable) ou le carbone 11 (c’est le carbone 13
qui est stable), commencent à être utilisés.
La préparation de ces éléments exige des conditions de sécurité importante il n’existe que
sept sites en France où on peut les préparer. À côté du cyclotron, il est nécessaire d’avoir un
32
La simplexité
laboratoire de chimie très spécialisé. On doit y réaliser la synthèse de la molécule qui sera
injectée au patient, par exemple le FD évoqué plus haut. Cette synthèse, qui peut nécessiter
plusieurs étapes, doit être choisie de manière à être très rapide (car le fluor 18 est peu stable),
se faire dans un seul « pot » et sans manipulation externe, et aussi, sans qu’il faille séparer le
FD de produits « parasites », qu’on appelle en chimie, produits secondaires de réaction. Le
chimiste doit donc mettre au point, une synthèse ultra-rapide ayant un rendement de presque
100 , dans des conditions où un des réactifs est radioactif. On comprend qu’un nombre limité
de sites puisse effectuer ce type de préparation. Comme il est souhaitable que de nombreux
laboratoires et de nombreux centres médicaux puissent bénéficier de cette technique, le FD ,
ou tout autre marqueur, est acheminé par hélicoptère selon un planning rigoureux organisé
à l’avance.
La quantité de marqueur radioactif utilisée est très faible et dosée en fonction du poids du
sujet. Il est éliminé très rapidement par les urines et malgré les différentes contraintes
évoquées, la TEP est un outil exceptionnel et révolutionnaire pour de nombreuses études, en
recherche fondamentale comme en milieu médical hospitalier.

La chimie et la santé, au service de l’homme, coordonné par Minh-Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Jacquesy,
Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP Sciences, 2010.
Les positons sont la première forme d’« antimatière » à avoir été mise en évidence (en 1932), égale-
ment appelée antiélectron car c’est l’antiparticule associée à l’électron. Un positon possède une charge
électrique 1.

debout (zone bleue) et la loco-


motion (zone rouge). L’étude
a été faite en comparant
des sujets sains, mais aussi
aveugles et vestibulo-lésés,
avec différenciation dans les
deux parties de l’hippocampe.
Marcher n’est pas simplement
marcher, c’est effectuer une
trajectoire, et par conséquent
utiliser les mécanismes qui,
dans le cerveau, concernent
la navigation et le traitement
de l’espace au sens large. Les
mêmes aires cérébrales sont
activées par la marche réelle
et la marche imaginée comme
nous l’avons vu, et les deux Figure 17
peuvent introduire des modifi- Au cours d’expériences chez des sujets sains, aveugles et vestibulo-lésés,
cations des neuromédiateurs l’hippocampe s’active pendant la station debout et la locomotion [13].
(ces molécules qui assurent
la transmission chimique
de l’influx nerveux sont
décrites dans le Chapitre de
C.-Y. Guezennec). 33
La chimie et le sport

mental, on parle d’émotion


2 Quels sont les
mécanismes utilisés
par notre cerveau pour
(voir aussi le Chapitre de J.-F.
Toussaint). Il faut donc mettre
traiter ou mémoriser en relation le cerveau cognitif,
l’espace ? dont nous avons parlé
jusqu’à présent, et le cerveau
Des expériences récentes des émotions, dit reptilien
publiées dans la revue Science (cerveau primaire qui régit
en 2009 montrent effective- les instincts de base). C’est
ment que l’entraînement, le cerveau des sentiments :
comme l’imagerie mentale, on entre dans un domaine
provoquent des modifications aux frontières avec la prise
de la production de dopamine de décision qui est impliquée
corticale (un neuromédiateur) dans le sport en général.
[14]. L’imagerie mentale peut
Pour expliquer le fonction-
donc induire des modifica-
nement du cerveau dans ce
tions des neuromédiateurs, au
cas, Étienne œchlin, poly-
même titre que l’expérience !
technicien neurologue et
On parle donc ici de chimie du
économiste, a proposé un
cerveau, ce qui nous conduit
modèle très élaboré à trois
à considérer l’influence de
composantes : outre celle du
l’émotion.
cerveau cognitif (en jaune sur
la Figure 18), une seconde
2.1. Le cerveau des émotions
composante dans une partie
Cette chimie du cerveau a médiane du cerveau (en
incité les chercheurs à étudier vert) pour tout ce qui est lié
les relations entre la marche à la motivation (« Je veux
et l’émotion. Il est bien connu, la pomme », « Je veux faire
et en particulier dans les acti- ceci », « Je veux sauter à la
Figure 18 vités sportives, qu’effectuer perche ») et une troisième
Le cerveau comporterait trois un mouvement ne se limite zone (en rouge) reliée à l’émo-
composantes liées à la sélection, pas à « faire un mouvement. » tion et à la préférence (« Je
la motivation et l’émotion [15]. On parle de l’influence du préfère la pomme »).
Différentes zone du cerveau
sont représentées sur la
Figure 19. Si l’on compare
avec la Figure 18, on peut
identifier toutes les struc-
« Je choisis tures : amygdales, frontales,
préfrontales, orbito-frontales,
etc., et tous les systèmes
neuromodulateurs du cerveau
des émotions qui disent « Je
préfère faire ceci que cela ».
Un vaste champ d’études
est maintenant ouvert où
se retrouvent tous les cher-
cheurs qui s’intéressent au
mouvement. Ce domaine est
en plein développement, car
toutes les structures situées
34 dans le cerveau limbique,
La simplexité
Cortex Corps
cingulaire antérieur calleux
Hippocampe
Cortex
préfrontal

Septum
latéral Habenula
Noyau du lit
de la strie terminale

Striatum
Cortex
périrhinal

Noyau
accumbens Locus
coeruleus
Tubercule
olfactif
Noyau parabrachial
Cortex latéral
piriforme
Noyau central
de l’amygdale Cortex
entorhinal

dans le préfrontal, dans le pharmacologie, à l’aide d’un Figure 19


pariétal ou dans les ganglions test classique (mais un peu
de la base sont contrôlées par exigeant !) dans lequel une Les fonctions cognitives et
motrices du cerveau sont sous
des neuromédiateurs, et leur petite souris doit traverser
le contrôle de mécanismes
nature comme leur méca- une barre qui tourne pour aller neuromodulateurs. La dopamine,
nisme d’action ne sont pas chercher la nourriture qu’elle la sérotonine, l’acétylcholine sont
encore tous connus, même si convoite (Figure 20). Ce test très importants dans les relations
des résultats fort importants est intéressant car non seule- entre le cerveau des émotions et
ont déjà été obtenus (voir le ment il est multi-sensoriel, le cerveau cognitif. Cette image
Chapitre de C.-Y. Guezennec). mais demande une grande montre de façon très schématique
certains des neurones qui assurent
Pour étudier le rôle de l’an- agilité : les souris étaient soit cette régulation. Ils sont situés
xiété dans les fonctions très habiles et traversaient dans la partie inférieure du
sensorimotrices, nous avons très vite la queue en l’air, très cerveau et se projettent sur les
étudié, avec une équipe de contentes, soit lentement, structures du cerveau importantes
anxieuses comme un esca- pour la décision, l’action et
psychiatres de l’hôpital de
ladeur qui reste tout près de l’émotion [16].
la Salpêtrière (Paris), les
relations entre locomotion, son mur. Les souris anxieuses
posture, intégration multi- appartenaient à des familles
sensorielle7, anxiété et neuro- génétiques différentes. En
effet, l’anxiété spatiale peut
dépendre de facteurs géné-
7. L’intégration multisensorielle tiques. Ce paradigme a aussi
est la capacité qu’a le système permis de tester des neuro-
cognitif à intégrer des informations médiateurs anxiolytiques.
venues de différents récepteurs
sensoriels en une représentation Désormais, nous l’avons
unifiée. déjà noté, l’athlète prépare 35
La chimie et le sport

A B

Figure 20 son épreuve mentalement. 2.2. Le traitement


Pour cela, il utilise presque et la mémoire de l’espace
A) appareil dit « de la barre les mêmes réseaux de
tournante » dont l’automatisation 2.2.1. Principes simplificateurs
neurones que sur le terrain.
est envisagée. En encadré, les dans le traitement de l’espace :
mesures fines de la posture On possède maintenant de
le mouvement s’inscrit dans
(Tr : distance du tronc à la nombreuses données sur les
l’espace
barre, αT : angle de la queue réseaux communs et sur les
avec l’horizontale). On mesure différences entre le parcours On trouve des principes
en plus le taux de chutes et de réel et le parcours simulé simplificateurs dans le trai-
déséquilibre. B) en a et b : posture mentalement. Le cerveau est tement de l’espace, car le
pendant le mouvement sur un cerveau doit faire la fusion
support normal. En c et d : posture
constitué d’un ensemble de
réseaux relativement spécia- de l’information en prove-
pendant le test sans traitement.
En e : posture avec un traitement lisés qui travaillent ou non en nance de tous nos sens : par
à l’anxiolytique (diazepam). En coopération. Lorsque le sportif exemple, nous savons que
f : posture avec un traitement recrée mentalement les condi- dans le cerveau, une struc-
anxiogène pendant le 3e et dernier tions d’une épreuve ou d’un ture spécifique contrôle le
jour [17]. mouvement des yeux et les
parcours, il n’a pas de déci-
sion à prendre, alors que dans informations en provenance
le monde réel, il sera obligé de la rétine, que l’hippocampe
Figure 21 contrôle notre navigation dans
d’en prendre : il ne sera donc
Dans le slalom, le skieur prépare pas, dans l’une et l’autre des un espace géographique,
son épreuve mentalement avant de situations, dans le même état alors que dans une autre
s’élancer à grande vitesse vers la émotionnel (Figure 21) par partie du cerveau, le putamen,
piste. Les mêmes neurones sont- les neurones ne sont activés
exemple, il ne fera pas appel à
ils activés que ceux qu’il utilisera
sa mémoire de la même façon. que par les mouvements. Il
pendant son parcours ?
Il faut donc être extrêmement est donc miraculeux que nous
prudent dans cette analyse et ayons une perception unique
dans les conclusions qu’on de notre corps et de ses rela-
en tire : il y a eu des inci- tions avec l’espace, et cette
dents lorsqu’on a voulu trop cohérence est une construc-
se reposer sur l’entraînement tion fragile !
mental lors de l’exécution (voir Nous savons maintenant qu’il
l’ouvrage La décision, « Pour en existe dans le cerveau des
36 savoir plus »). réseaux différents pour traiter
La simplexité
A B

les différents espaces le permet éventuellement de Figure 22


cerveau perçoit ces espaces repartir par un chemin diffé-
rent et qui est sans doute à Codage égocentré et allocentré
emboîtés comme des poupées
de l’espace : A) Route égocentrique
russes : par exemple, si l’on la base de notre capacité à topo-kinesthésique82; B) Survol
dirige un pointeur laser sur un faire de la géométrie. Cette allocentrique topographique [19].
écran à sept centimètres ou à distinction entre la capacité
deux mètres, ce ne sont pas les de codage égocentré et allo-
mêmes réseaux du cerveau qui centré est une notion assez Figure 23
sont activés. Cela signifie que récente qui ne fait l’objet d’un
plusieurs systèmes coexistent très grand nombre d’expé- Ces sportifs engagés dans des
épreuves corporelles doivent
dans le cerveau qui codent riences que depuis moins
en même temps garder en tête
successivement l’espace d’une dizaine d’années. l’organisation globale du jeu sur
corporel, l’espace immédiat, Le rugby est un domaine d’ap- l’ensemble du terrain. Ces deux
l’espace locomoteur et l’es- plication extrêmement inté- traitements de l’espace (corporel
pace lointain [18]. ressant pour ce type d’études et proche d’une part, et collectif et
global d’autre part) correspondent
On observe une modula- puisqu’il faut dans ce sport
à deux stratégies de traitement de
rité des espaces, qui est à la fois gérer la coordina- l’espace (égocentré, espace proche
sans doute un principe de tion corporelle, la marche, et et allocentré, espace lointain)
simplexité, parce qu’au cours garder en tête la perception impliquant des réseaux différents
de l’évolution, le cerveau de l’ensemble de l’espace du du cerveau qui doivent donc être
a découvert de nouveaux terrain (Figure 23). coordonnés.
besoins pour traiter l’action
dans les différents espaces, et 2.2.2. Les bases neuronales
s’y est adapté. du traitement de l’espace
Nous savons aussi qu’il y a La Figure 24 est un exemple
deux façons de traiter l’es- de test permettant d’étudier
pace : par exemple, on peut les bases neuronales de la
aller d’un lieu à un autre, soit perception de l’espace. On
en se rappelant des mouve- peut demander : laquelle
ments successifs, soit en de ces poubelles est la plus
ayant une carte du parcours proche de vous ? C’est une
(Figure 22). Nous appelons tâche égocentrée de distance. 8. inesthésie : du grec kinesis
respectivement ces deux stra- ous direz la verte ou la bleue. mouvement et aisthesis
sensibilité. Ce terme désigne
tégies cognitives de codage Mais on peut aussi demander :
la sensation du mouvement
égocentré et allocentré (où laquelle est la plus proche de provoquée par les divers
l’on survole en cartographie) la balle ? Ou laquelle est la déplacements du corps et de ses
c’est cette dernière qui nous plus proche de la façade la parties. 37
La chimie et le sport

Figure 24 plus longue du palais ? Dans de lui et garder une image


ces deux cas, vous n’aurez globale de ce qui se passe sur
Exemple de paradigme pour pas besoin de vous référer à le terrain (comme le montrent
étudier les bases neuronales de
votre corps. C’est un codage les caméras de la télévision).
la manipulation de l’espace. On
dispose, dans la cour d’un château allocentré qui intervient. On La Figure 25 montre bien
virtuel, deux poubelles et une peut aussi, avant de faire que les systèmes cérébraux
balle, et on demande au sujet placé l’expérience, promener les impliqués dans ces deux
dans l’IRM de dire : laquelle des sujets dans un palais virtuel, stratégies ne sont pas les
poubelles est tombée (contrôle) ; ne leur montrer qu’une toute mêmes. C’est le système
laquelle est plus proche de petite image, ce qui les force pariéto-frontal qui intervient
l’observateur (tâche égocentrée) ;
laquelle est plus proche de
à reconstruire mentalement pour l’aspect égocentré, et un
la façade du palais (tâche l’ensemble du palais. Dans ce système qui implique d’autres
allocentrée) ? [20]. test, on oblige ainsi les sujets structures telles que l’hippo-
de l’expérience à changer campe, le para-hippocampe
de référentiel, à passer d’un et rétrosplénial pour d’autres
référentiel égocentré à allo- stratégies cognitives impli-
centré, comme on le fait aussi quant le changement de point
en voiture lorsqu’on passe de de vue ou une perspective
la conduite automobile à la allocentrée. Il existe donc
lecture du PS s’il indique une une sorte de répertoire de
carte ou encore comme le mécanismes pour traiter les
joueur de rugby ou de football différents espaces et les diffé-
quand il doit s’occuper à la rentes stratégies de repré-
38 fois de ce qui se passe autour sentation de l’espace.
La simplexité
À partir de l’analyse compor-
A B
tementale de souris navigant
dans un labyrinthe en étoile
nommé « starmaze » qui
permet de distinguer entre
stratégie « égocentrée » et
« allocentrée », Laure Rondi
Reig et ses collaborateurs
ont montré que la destruction
(par un méthode de suppres- nécessiter la collaboration
sion sélective génétique d’un Figure 25
avec les spécialistes des
mécanisme de mémorisa- hormones et de la neurophar- A) Quelques aires cérébrales
tion basé sur un récepteur impliquées dans le codage
macologie. Cette différence,
synaptique important) de égocentré (« quelle poubelle est
connue depuis longtemps des la plus proche de vous ? ») dans la
cette fonction particulière de psychologues, n’a pu être mise tâche de la Figure 24 ; B) Quelques
l’hippocampe, empêchait une en évidence dans des tâches aires cérébrales impliquées dans le
souris de s’orienter en utili- de navigation que grâce aux codage allocentré (« quelle poubelle
sant une stratégie allocentrée données récentes d’imagerie est la plus proche de la façade la
(Figure 26). Nous avons adapté cérébrale : les structures plus longue du palais ? ») dans la
ce paradigme à l’homme en même tâche.
cérébrales concernées par le
créant un monde virtuel qui traitement de l’espace ne sont
ressemblait au « starmaze » pas les mêmes chez l’homme
et montré qu’on peut utiliser et chez la femme [21].
ce paradigme pour mettre en
Il existe de fait des diffé-
évidence les stratégies indi-
rences anatomiques entre les
viduelles. De plus, le cerveau
sexes, par exemple l’asymé-
gauche ne traite pas les
trie observée chez l’homme
mêmes informations que le
du cortex pariétal pourrait-
cerveau droit.
elle être d’origine hormo-
Tous ces mécanismes sont nale et être responsable de
mis en jeu de façon très diffé- la différence observée entre
rente suivant les sujets. Il faut les sexes ? On pense actuel-
insister sur la variété des stra- lement que l’asymétrie des
tégies que peuvent employer deux hémisphères pourrait Figure 26
différentes personnes. Une être régulée par les andro-
Analyse comportementale
découverte importante pour gènes qui induiraient une des souris avec un déficit
le sport, mais aussi pour la augmentation de la taille du fonctionnel de l’hippocampe
pathologie et l’éducation en cortex droit chez l’homme. dans le « starmaze » [21].
général, est la différence
entre les sexes. On a montré
que les zones cérébrales acti- Stratégies utilisées
vées sont différentes chez un
homme et chez une femme 100
pourcentage

se déplaçant dans une tâche 80


de navigation virtuelle. Les 60
hommes et les femmes ne 40
traitent donc pas l’espace de 20
la même façon. Notre labo- 0
ratoire a réalisé plusieurs
études sur cette différence Allocentrique Égocentrique Guidage
importante. La compréhen-
sion de ce phénomène va Témoins Mutants 39
La chimie et le sport

Existe-t-il des bases hormo- études très complexes et très


nales responsables de ces longues ont été réalisées sur
différences entre les sexes ? les variations saisonnières
Il a été montré que chez les des compétences spatiales
femmes, le cycle menstruel, chez de jeunes hommes : la
et donc les œstrogènes, seule différence significa-
influencent la performance tive observée concerne les
lors de tâches spatiales. Chez « tâches masculines » (c’est-
l’homme ce sont les taux de à-dire celles que les hommes
testostérone qui jouent un réussissent mieux que les
rôle important avec des varia- femmes) pour lesquelles l’au-
tions journalières mais aussi tomne semble être une saison
saisonnières. Les hommes plus favorable (voir aussi le
aux taux de testostérone bas Chapitre de J.-F. Toussaint).
ont de meilleures perfor- Ici encore il faut approfondir
mances dans des tâches ces mécanismes pour ne pas
spatiales que ceux aux taux se hâter de tirer des conclu-
élevés (voir aussi le Chapitre sions de ces données encore
de C.-Y. Guezennec). Des limitées [22b].

Conclusion
Cette approche de l’explication du contrôle du
mouvement et du traitement de l’espace et de
la mémoire de l’espace à l’aide des principes
simplificateurs de la « simplexité » montre
que malgré des avancées importantes, de
nombreuses questions restent posées pour
relier les aspects mécaniques et cognitifs de ces
phénomènes avec les aspects plus profonds,
chimiques et biologiques, du fonctionnement
du cerveau.
Les progrès récents de la connaissance dans
ce domaine n’ont été réalisés que grâce à des
études très interdisciplinaires dans lesquelles
n’interviennent pas encore assez de chimistes
et de neuropharmacologues.
Les champs d’applications de ces recherches
dépassent celui du sport. Ils concernent
40 bien entendu d’abord le secteur clinique où
La simplexité
les neurophysiologistes, les neurologues et
les psychiatres coopèrent depuis longtemps
sur la compréhension des grandes maladies
neurologiques telles que la maladie de Parkinson
et la maladie d’Alzheimer. De nouvelles
coopérations sont maintenant en cours avec
les psychiatres pour l’étude de l’agoraphobie,
les troubles du schéma corporel, les patients
schizophrènes et les enfants autistes, etc.
L’hypothèse est que dans chacune de ces
maladies, on trouve des déficits spécifiques
du traitement de l’espace et, de façon plus
générale, des mécanismes « simplexes ».

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42
Partie 1

de la performance
La quête et les limites

43
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
complexité des systèmes et confrontation aux limites
Jean-François Toussaint Optimisation des performances,
Optimisation
des performances,
complexité
des systèmes
et confrontation
aux limites

Jean-François Toussaint est Le but de ce chapitre est de


directeur de l’Institut de comprendre les conditions de
Recherche bioMédicale et d’Épi- la performance : son moteur,
démiologie du Sport (IRMES). son énergie, ses rendements,
Champion de France et ancien ses bénéfices premiers et
membre de l’équipe de France seconds. Il s’agira de conce-
de volley-ball, il a obtenu un voir ensuite, sur quelques
PhD à Boston (Harvard Medical exemples, ce qui fonde les
School, Massachusetts General raisons théoriques de nos
Hospital). Il est professeur de limites, et de vérifier que les
physiologie à l’Université Paris situations observées sont
Descartes, cardiologue à l’Hôtel- en accord avec les construc-
Dieu et président de la commis- tions conceptuelles. Enfin,
sion de prévention du Haut nous chercherons à connaître
Conseil de la Santé Publique. À le contexte présent de la
ce titre, il participe aux travaux performance, les raisons du
de prospective sur la santé en dépassement, les fondements
France au regard des patholo- de l’optimisation et les méta-
gies émergentes et des adapta- morphoses de cette quête
tions envisageables. perpétuelle.
La chimie et le sport

Comment fonctionne ce
moteur biologique ? L’une de
ses bases réside dans l’in-
teraction entre l’actine et
la myosine, deux protéines
contractiles situées dans nos
muscles et responsables de
sa contraction lors de toute
activité physique. Le carbu-
rant de ce moteur est l’ATP
que nous fournissent les mito-
chondries, principaux sites de
production énergétique et de
respiration cellulaire, mais
aussi du calcium fourni par
l’alimentation (Encart : « La
contraction musculaire »). Des
cycles de contraction molé-
culaire s’instaurent, provo-
quent un raccourcissement
Figure 1
L’athlète jamaïcain Usain Bolt,
1 Énergie et plaisir :
la mécanique
de la performance
progressif des cellules myocy-
taires9, jusqu’à la contraction
de l’ensemble du muscle.
après sa victoire et son deuxième
record du monde sur cent Existe-t-il une biologie spéci- Mais ce n’est pas le seul
mètres, le 16 août 2008 aux Jeux fique du sportif ? Les lois fonda- moteur nécessaire dans la
olympiques de Pékin. mentales du vivant auxquelles course au record. Lors d’ef-
sont soumis les humains, et forts intenses, on observe
donc les athlètes, ne sont la production d’une endor-
évidemment pas remises en phine sécrétée par deux
question. La biologie de la glandes du cerveau, l’hy-
performance répond à une pophyse et l’hypothalamus.
Figure 2 quête de maximisation, à la Comme toute morphine,
limite des capacités de l’es- elle a une forte capacité
Au cours du dialogue neuronal, analgésique permettant de
pèce. Usain Bolt (Figure 1),
les endorphines, sécrétées par
lors de ses derniers records remplacer par une sensa-
l’hypophyse et l’hypothalamus,
sont transmises d’un neurone du monde, montre l’extraor- tion de bien-être la douleur
à l’autre par fixation sur les dinaire aisance dans le déve- inhérente à toute tentative
récepteurs du neurone loppement de ces capacités, de dépassement des limites.
post-synaptique. la joie qu’elles lui procurent et Ainsi, ce rôle des endorphines
qu’il sait partager. libérées dans la synapse
Quel est le moteur qui permet entre deux cellules lors du
Neuromédiateurs Neurone
(endorphines) d’accéder à de telles perfor- dialogue neuronal (Figure 2)
mances ? Quelle en est l’al- sera l’élément primordial de
chimie ? L’énergie ou le la récompense, la motiva-
plaisir ? On peut le voir comme tion, le moteur psychologique
une résultante de ce que le poussant les uns et les autres
moteur moléculaire met en à se dépasser pour un titre de
place et de ce que l’énergie champion olympique comme
permet de diffuser à l’intérieur
Récepteur Synapse de cette étonnante mécanique
pour un bénéfice immédiat : 9. Le myocyte est l’unité cellulaire
46 celui du plaisir ressenti. élémentaire du muscle.
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
LA CONTRACTION MUSCULAIRE
La contraction musculaire nécessite de l’énergie
Lors d’une activité physique, nos muscles se contractent en utilisant de l’énergie chimique
produite lors de la respiration cellulaire, pour la convertir en énergie mécanique autorisant le
mouvement. Cette énergie chimique est stockée et transportée dans la cellule sous forme de
molécules d’ATP, véritable « réserve biologique d’énergie » de l’organisme, dont l’hydrolyse
libère de la chaleur (on dit qu’elle est exothermique) : ATP ˆ ADP + Pi. L’énergie libérée est
alors utilisable par l’organisme dans ses diverses réactions biochimiques à la base du fonc-
tionnement cellulaire (Figure 3).

NH2 NH2

O O O N O O O N
N N
HO P O P O P O HO P OH HO P O P O
N N
+ N N
OH OH OH O OH OH OH O

OH OH OH OH

ATP Pi + ADP

Figure 3
L’ATP (Adénosine Triphosphate) est le carburant de notre corps : son hydrolyse en ADP (Adénosine
Diphosphate) et en Pi (Phosphate inorganique) libère une quantité d’énergie importante consommable
par l’organisme pour toutes ses activités, physiques ou mentales.

Nous nous procurons de l’énergie (ATP) en respirant et en mangeant


Qu’est-ce qui nous fournit cet ATP, énergie nécessaire à l’activité physique ? À chaque fois
que nous inspirons, le transfert de l’oxygène vers nos milliards de cellules leur permet de
respirer selon un mécanisme biochimique très élaboré, se déroulant au sein des mitochondries
(Figure 4). Cette respiration peut s’illustrer par le bilan suivant : nos cellules consomment de
l’oxygène apporté par les globules rouges, du glucose (ou des acides gras) fourni par l’alimen-
tation et de l’ADP pour produire du dioxyde de carbone, de l’eau et de l’ATP, selon l’équation :
C6H12O6 (glucose) + 6 O2 + ~36 ADP + ~36 Pi ˆ 6 CO2 + 6 H2O + ~36 ATP (énergie) + énergie thermique.

Figure 4
Les mitochondries sont
les « poumons » de nos
cellules : elles absorbent
l’oxygène et le glucose
puis rejettent le dioxyde de
carbone et de l’énergie ATP.
47
La chimie et le sport

La contraction musculaire nécessite de l’ATP et du calcium


Comment cet ATP va-t-il permettre à nos muscles de se contracter ? Zoomons sur nos muscles,
semblables à des gaines contenant des milliers de câbles. Ces câbles sont des fibres, qui ne
sont autres que des cellules musculaires à l’aspect allongé, parallèles entre elles et striées,
se terminant par des filaments de collagène, qui, regroupés, forment les tendons (dessinés
en jaune sur la Figure 5). La striation est due à la présence de structures appelées microfi-
brilles, qui sont constituées par la juxtaposition d’unités de répétition appelées sarcomères.
Un sarcomère est composé de l’association de deux types de protéines contractiles : l’actine
et la myosine ; c’est leur interaction qui provoque la contraction musculaire.

Figure 5
La contraction musculaire
résulte du raccourcissement
des sarcomères constitutifs des
microfibrilles, dû au glissement
l’une sur l’autre des fibres d’actine
et de myosine.

Regardons en détail. L’actine filamentaire (en rouge, Figure 6) se présente sous forme de deux
chaînes enroulées en hélice formant des filaments fins et associée à deux autres protéines : la
tropomyosine et la troponine (boules blanches, Figure 6), protéine globulaire dont une partie
(la troponine I) est capable d’inhiber la fixation de la myosine, et une autre (troponine C) peut
fixer des ions calcium Ca2+. La myosine (en bleu, Figure 6) forme des filaments épais également
constitués de deux chaînes enroulées en hélice et se terminant chacune par une « tête globu-
laire » : c’est une enzyme capable de fixer des molécules d’ATP et de les hydrolyser en ADP.

Le cycle contraction-relaxation musculaire (Figure 6)


- Au repos, l’actine et la myosine sont séparées grâce à la partie inhibitrice de la troponine :
il n’y a pas de contraction musculaire (4).
48
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
- Au moment où notre cerveau commande un mouvement, ses messagers chimiques sont
acheminés vers le muscle, appelant de nombreux ions calcium Ca2+ à diffuser dans la cellule
musculaire pour se fixer sur la troponine (1). Celle-ci se met alors en rotation, entraînant la
tropomyosine dans une position qui permet à l’actine de s’approcher de la myosine (2). Dans
le même temps, la tête de myosine s’active en hydrolysant l’ATP en ADP, fournissant l’énergie
nécessaire pour qu’actine et myosine entrent en contact et glissent l’une vers l’autre. Ceci
conduit à un raccourcissement longitudinal de la cellule musculaire, correspondant à une
phase de contraction musculaire. Le couple actine-myosine reste ainsi soudé et stable ; seuls
l’arrivée d’une nouvelle molécule d’ATP et le départ des ions calcium peuvent les dissocier,
pour que le muscle se relâche (3). Lorsqu’un athlète fournit des efforts intenses, il ressent de
la fatigue lui signalant qu’il faut arrêter de consommer de l’ATP et en garder suffisamment
pour le relâchement de ses muscles pour éviter les crampes. En l’absence d’ATP, soit dans des
conditions d’ischémie* totale, les muscles restent contractés ; la configuration ainsi formée
est appelée rigor (à l’origine de la rigidité cadavérique : rigor mortis).
- Dès que l’ATP se fixe à nouveau sur la tête de myosine, elle est hydrolysée en ADP, ce qui
entraîne un changement de conformation de la myosine et un retour à sa position initiale de
relaxation (4).

Figure 6
Au repos, l’actine et la myosine sont séparées par la troponine, ce qui empêche la contraction musculaire.
Sous l’effet d’un influx nerveux, les ions calcium viennent se fixer sur la troponine C (1), qui pivote et
déplace la tropomyosine, ce qui permet à l’actine d’entrer en contact avec la myosine, contact rendu
possible par hydrolyse de l’ATP en ADP au niveau de la tête de myosine (2). Le départ de l’ADP est
nécessaire au basculement de la tête de myosine responsable du raccourcissement du sarcomère.
De nouvelles molécules d’ATP se fixent sur les têtes de myosine (3), qui les hydrolysent en ADP,
reviennent à leur position initiale et se détachent de l’actine : c’est le relâchement musculaire (4).

*Une ischémie est une diminution de l’apport sanguin artériel à un organe, par exemple le cerveau.
Elle se traduit par un manque d’oxygénation, qui peut aller jusqu’à l’arrêt de son fonctionnement.
49
La chimie et le sport

pour toute compétition, quel nine…) et pas seulement les


qu’en soit l’enjeu. trois premières, citées comme
Si nous avions le même exemples, qui permettent
moteur moléculaire qu’Usain la performance (comme le
Bolt sans le désir et le plaisir démontre le Chapitre de C.-Y.
qu’il ressent lors de la victoire, Guezennec). À quelles doses
nous n’obtiendrions proba- agissent-elles ? On ne le sait
blement pas les résultats pas toujours. Quelles sont
auxquels il parvient depuis les concentrations précises,
quatre ans. nécessaires à leurs interac-
tions et leurs inter-régula-
tions ? Cela reste encore à

2 Évolution, techniques
et complexité
découvrir… Petit à petit la
complexité du vivant comme
Qu’en est-il sur le plan de celle de nos comportements se
l’évolution ? Nos ancêtres révèle (Encart : « Qu’est-ce que
couraient-ils plus vite que la complexité en science ? »).
nous ? L’homme, comme toute Comme il est impossible d’y
espèce animale assurant sa déroger, les performances
survie, atteint sa vitesse la sont assujetties aux lois clas-
plus grande lorsqu’il tente siques de la physique, de la
d’échapper à ses prédateurs. chimie et surtout de la ther-
De fait, il existe toujours à modynamique (voir aussi le
notre époque un lien extrême- Chapitre de P. Letellier), lois
ment fort entre les capacités qui structurent le vivant. Mais
physiques maximales mesu- elles sont aussi contraintes
rées par la vitesse de dépla- par les lois de la complexité.
cement et l’espérance de vie. Essayons, sur la base de cette
Ironiquement, on peut ainsi double approche, de décrire
considérer que les recordmen et d’expliciter la progression
du sprint ne sont pas les des records du monde et d’en
descendants des chasseurs comprendre les lois mathé-
les plus véloces mais ceux des matiques de croissance et les
fuyards les plus vifs… principes fondamentaux. On
Nous l’avons compris, pour peut pour cela s’appuyer sur
courir vite, il faut dépenser l’une des définitions les plus
au mieux l’énergie fournie par simples du vivant : un système
la respiration cellulaire sous critique auto-organisé qui
forme d’ATP ; celle-ci permet s’oppose, transitoirement, à
de faire marcher les moteurs la décroissance énergétique
que sont l’actine et la myosine. universelle. La décroissance
L’ensemble contribue à de l’énergie est en effet expo-
générer des endorphines nentielle et contingente de
neuronales, molécules de la l’inéluctable croissance de
récompense. Laquelle de ces l’entropie qui lui est associée
molécules est indispensable ? (Encart : « Ilya Prigogine, un
Toutes. Laquelle est suffisante parcours d’exception, une
pour expliquer la performance révolution conceptuelle »).
d’Usain Bolt ? Aucune. C’est Prenons l’évolution des
toutes ensembles, associées à records du Tour du monde
un grand nombre d’autres (la à la voile. Entre le record de
50 phosphocréatine, l’alpha-acti- Francis Chichester en 7 mois
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
QU’EST-CE QUE LA COMPLEXITÉ EN SCIENCE ?
La notion de complexité, qui amalgame, souvent à tort, chaos et hasard, a été particulière-
ment étudiée par le groupe de Santa-Fé, dans les années 1990, sous l’impulsion de Stuart
Kauffmann. Une définition du concept peut être proposée :
« Un système complexe est un réseau d’entités élémentaires ayant les caractéristiques
suivantes :
- des propriétés nouvelles émergent d’un tel système, ne pouvant être « simplement » déduites
de celles de ses composantes par une combinaison linéaire, un simple changement d’échelle,
une simple somme des propriétés individuelles ;
- les relations entre les entités sont diverses : relations de proximité ou lointaines, présence
de boucles de rétroactions ;
- les entités et les relations peuvent évoluer dans le temps, de nouvelles peuvent apparaître,
certaines peuvent disparaître ;
- le système complexe est ouvert, c’est-à-dire qu’il existe des échanges avec le monde
extérieur ;
- le système complexe a une histoire. Quand on l’observe à un moment donné, il faut la prendre
en compte si c’est possible, ou du moins en avoir conscience ;
- il comporte des emboîtements, c’est-à-dire qu’il est composé de sous-systèmes ;
- ses frontières sont difficiles à cerner et résultent souvent du choix de l’observateur, c’est
ce qu’on appelle la « fermeture du système ».

Un système peut être qualifié de « structurellement complexe » s’il est constitué de nombreuses
entités reliées entre elles (Figure 7). Un tel système peut cependant exhiber un comportement
simple, régulier (comme des systèmes à nombreux compartiments mais où les relations
sont linéaires). Un système, même structurellement simple, peut exhiber un « comportement
complexe », le plus complexe étant un comportement erratique, chaotique.
Le hasard observé (au moins dans une partie du monde réel au comportement qualifié de
stochastique), résulterait d’un comportement complexe erratique, celui-ci pouvant être
engendré par des processus ou des combinaisons de processus déterministes engendrant
du chaos (dans le sens scientifique des termes hasard et chaos). »

Figure 7
Ramures d’arbres, colonies de termites, fourmilières… la nature regorge de systèmes « structurellement
complexes ».

Extrait du livre d’Alain Pavé (2007). La nécessité du hasard, vers une théorie synthétique de la biodiversité.
EDP Sciences, et références citées.
51
La chimie et le sport

ILYA PRIGOGINE, UN PARCOURS D’EXCEPTION, UNE RÉVOLUTION CONCEPTUELLE


Ilya Prigogine (1917-2003), prix Nobel de chimie 1977, a transformé notre compréhension du
monde (Figure 8). Il a développé la théorie des structures dissipatives et de l’auto-organisation
des systèmes, en fondant l’irréversibilité des phénomènes temporels. Il a ainsi donné une
nouvelle dimension à la thermodynamique en démontrant que l’entropie (Figure 9) n’était
pas la seule grandeur à prendre en compte, au contraire des approches classiques qui ne
considéraient, jusque-là, que les phénomènes théoriquement réversibles.

Un parcours atypique et plein d’enseignement


Ilya Prigogine explique ainsi son parcours : jeune émigré de Moscou, exilé en Belgique à
Bruxelles, il voulut comprendre comment on arrivait à devoir fuir son propre pays. Il aborda
donc la politique et étudia le droit. Voulant comprendre le comportement d’un accusé, il étudia
la psychologie et s’intéressa au fonctionnement du cerveau. Il étudia la biologie, la chimie
puis la biochimie. Poussant plus loin sa compréhension des interactions, il étudia la physique
des particules. De la physique, il passa à l’astrophysique puis à la cosmologie. Il aborda alors
les questions fondamentales : la matière, le vide, le temps et son irréversibilité (la flèche du
temps). Pour comprendre celle-ci, il étudia enfin les structures dissipatives.

Figure 8
Ilia Prigogine a transformé notre
compréhension du monde.

Figure 9
L’un des principes de la
thermodynamique classique
stipule que l’univers, ainsi
que tout système isolé qu’il
contient, a tendance à évoluer
vers un état de désordre
croissant. On dit qu’il y a
« création d’entropie ».
52
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
Les lois de la physique et celles du vivant
Ilya Prigogine explique que les lois physiques universelles décrivent uniquement des phéno-
mènes qui évoluent vers le désordre, ou qui sont à l’équilibre ou proches de l’équilibre. Or, le
vivant fonctionne toujours loin de l’équilibre, là où les processus qui produisent cette entropie,
en dissipant de l’énergie, construisent un nouvel ordre. La « vie » peut être considérée comme
un phénomène d’auto-organisation de la matière, évoluant vers des états de plus en plus
complexes. Le principe de complexité progressive est alors fondateur, lié à la notion de « direc-
tion du temps » (ou flèche du temps) : il y a un avant et un après, et passé et futur jouent des
rôles différents. Cette loi d’irréversibilité est asymétrique et probabiliste. La thermodyna-
mique de Prigogine décrit le monde en probabilités, traitables mathématiquement. Cela veut
dire que la « probabilité » n’est pas que le fruit de notre ignorance (comme semblait le penser
Einstein), mais une réalité intrinsèque, irréductible aux systèmes dynamiques en évolution et
pour lesquels, même si nous connaissons les conditions initiales et les forces en action, nous
ne pourrons pas calculer le mouvement et la trajectoire. Sur une trajectoire existent des points
singuliers, des points de bifurcation, où s’ouvrent plusieurs trajectoires possibles. Parmi elles,
une seule sera suivie. Mais laquelle et pourquoi ? On ne peut pas passer de la probabilité à la
trajectoire quand le système est non intégrable selon la classification de Poincaré. Car c’est une
accumulation de petits éléments qui conditionnent le futur, c’est-à-dire le cours de l’histoire,
de l’évolution et de nombreux phénomènes météorologiques, cosmologiques. Par exemple,
tous les poissons ne sont pas devenus des sauriens ; seul un petit nombre a suivi cette voie,
de même que seuls quelques sauriens sont devenus des oiseaux et que seuls quelques singes
sont devenus des hommes… sans que nous puissions prévoir la suite de la trajectoire de cette
évolution ! En revanche, nous savons que jamais la trajectoire inverse, notre retour vers un état
initial, singe ou bactérie, ne sera possible car il est exclu par l’irréversibilité thermodynamique.

Et la chimie…
Le phénomène d’instabilité du mouvement est universel et rencontré dans de nombreux
systèmes de notre vie quotidienne. Il implique que de très petites causes engendrent de grands
effets, d’où la possibilité qu’ont de tels systèmes d’emprunter une multiplicité de trajectoires.
La réaction chimique elle-même est fondamentalement non-linéaire, mettant en jeu, au niveau
moléculaire, des processus complexes qui suivent la collision d’au moins deux molécules. Et
pourtant, l’expérience du chimiste montre qu’une réaction, dans des conditions définies, donne
toujours le même résultat, c’est-à-dire qu’elle est simple et déterministe. Ceci n’est « vrai »
qu’à l’échelle de l’observation macroscopique et dans un système fermé qui, selon le second
principe de la thermodynamique, atteint inexorablement l’état d’équilibre. Dans des conditions
éloignées de cet équilibre, les lois cinétiques sont à l’origine d’autres comportements, tels
que la coexistence entre plusieurs états, les phénomènes de cycles, de rythmes temporels
ou des structurations spontanées dans l’espace.
Les sciences chimiques ont intégré et développé les notions découvertes et conceptuali-
sées par Ilya Prigogine. Elles ont même, bien avant la mécanique des fluides, l’optique, les
circuits électroniques, etc., joué un rôle de premier plan. Dès le milieu des années 1960,
Adolphe Pacault (1918-2008) s’est intéressé à la thermodynamique non-linéaire, aux horloges
chimiques et aux structures de non-équilibre, dans la lignée des travaux du chimiste russe
Belousov, qui découvrit en 1950 les réactions oscillantes. Ce sont des systèmes qui, bien
que très simples (divers produits dans l’eau à température ambiante, par exemple), hésitent,
oscillent, entre deux états, avec une grande régularité jusqu’à épuisement d’un des réactifs.
Une application passionnante de ces concepts relève de la chimie des cristaux liquides et des
gels, et son extension à la mécanique et à la dynamique cellulaires. Parmi les composants
du cytosquelette cellulaire, on trouve les filaments d’actine, organisés en gel réticulé. Dans
ces gels se trouvent les filaments de myosine, moteurs moléculaires responsables de la
53
La chimie et le sport

contraction musculaire (voir l’Encart « La contraction musculaire »). L’introduction et l’hydro-


lyse permanente de molécules d’ATP fait de ces gels des systèmes ouverts, perpétuellement
hors d’équilibre et contractiles : les myosines se structurent spontanément dans l’espace et
accrochent les filaments d’actine disposés en hexamères. L’activité de ces moteurs génère
une anisotropie et un cisaillement dans le gel d’actine… qui le rend capable de se propulser
spontanément. Sur les mêmes bases mathématiques, analogues à celles décrivant le compor-
tement de cristaux liquides, Jacques Prost explique des phénomènes comme la division, la
cicatrisation ou la motilité cellulaires.

Introduction à la thermodynamique des processus irréversibles - Ilya Prigogine. Dunod, 1968, ISBN 2-87647-
169-8.
Structure, stabilité et fluctuations - avec P. Glansdorff, Masson, 1971, ISBN 2-2252-9690-1.
À la rencontre du complexe - Grégoire Nicolis, Presses Universitaires de France, 1992,
ISBN 2-1304-3606-4.
Le monde s’est-il créé tout seul ? Entretiens, 2008, Le livre de poche Albin Michel.
L’Actualité Chimique, décembre 2009, N° 336 Hommage à Adolphe Pacault.

et demi sur un bateau de Cette course à la taille se


16 mètres et celui de Franck retrouve dans le gabarit des
Cammas de mars 2010 en sportifs eux-mêmes, dans les
48 jours 7 heures sur un sports plus physiologiques
32 mètres, la progression est tels que la natation ou l’aviron.
stupéfiante. La part de chacun Car « plus fort », c’est d’abord
des marins y est certes incon- « plus grand ». L’un des rares
Figure 10 testable mais la technologie cas réussi d’une sélection
Records du Tour du monde à la joue un rôle majeur : l’une des qu’on pourrait assimiler à une
voile. Du « Suhaili » de 9,80 mètres bases de ce record est ainsi conception génétiquement
de Sir Knox Johnson en 1968 (faire la relation linéaire entre la programmée dans le domaine
le tour du monde sur un voilier de taille du bateau et sa vitesse, sportif nous vient de Chine. En
moins de 10 mètres, il fallait oser) c’est-à-dire entre l’énergie effet Yao Ming le seul enfant
au « Cheyenne » de 38 mètres disponible (l’importance de la de Yao Zhiyuan (2,01 mètres) et
de Steve Fossett en 2004, en
dépression créée par l’écou- de Fang Fengdi (1,90 mètres),
passant par les bateaux de tous les
détenteurs du record, on observe lement de l’air sur la surface tous deux joueurs profes-
une relation linéaire entre vitesse totale de la voilure) et sa resti- sionnels de basketball, était
et taille du bateau. tution sur l’océan (Figure 10). programmé pour devenir,
trente ans plus tard, l’indi-
Steve Fossett
vidu rare qui, du haut de ses
18
Cheyenne 38m 2,29 mètres, est actuellement
le plus grand joueur en activité
16
de la NBA, championnat améri-
((Nœuds)

14
cain de basket. L’évolution de
12 la taille se retrouve également
yenne

10
chez les recordmen du cent
mètres : en 1936, Jesse Owen
sse moy

8
ne mesurait que 1,78 mètres,
6
y = 0,4x - 0,5 Jim Hines, champion olym-
,
R² = 0,70
Vites

4 pique en 1968, 1,83 mètres,


2
Carl Lewis 1,92 mètres et
Knox Johnson
Suhaili 9
9,8m
8m Usain Bolt mesure aujourd’hui
0
5 10 15 20 25 30 35 40
1,96 mètres. La puissance est
directement liée au volume
Taille du bateau (m) musculaire et à la taille de
54
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
la charpente osseuse qui
200
supporte cette masse et
Usain
permet d’accroître la vitesse
Bolt
(Figure 11). 195

Carl
3 Rythmes

cm)
190
et perturbations : Lewis

aille (c
réactions aux
modifications 185
Jim Hines
des conditions Ta

Les principes du vivant sont 180


Jesse Owens
doubles : le premier est celui
de la dissipation énergétique 175
(paragraphe 2), le second celui 1920 1940 1960 1980 2000
des perturbations. Chacune
d’entre elles occasionne une
réponse (changement de térisée par un cycle dont le pic Figure 11
niveau) avec variabilité initiale survient en été (Figure 12).
forte des valeurs observées ; L’augmentation de la taille des
elle est suivie d’une évolution Qu’en est-il chez les spor- recordmen du monde du cent
tifs de haut niveau ? Sont- mètres en un siècle est très
vers l’équilibre, à un niveau explicite !
ils eux aussi soumis à ces
supérieur ou inférieur, dans
rythmes ? Nous avons étudié
l’attente de la perturbation
l’ensemble des performances
suivante. La combinaison
des cinquante meilleurs sprin-
des deux principes produit
teurs du 100 mètres masculin
des phénomènes d’oscilla- Figure 12
français, sur l’ensemble de
tion. Parmi les phénomènes
leur carrière, de 14 ans à Pourcentage de la population
oscillatoires, on connaît générale pratiquant une activité
38 ans, soit 5 400 résultats :
bien les rythmes circadiens, on observe des cycles parfaite- lors de trois années successives.
construits sur l’alternance ment identifiables. La somma- Ces courbes mettent en évidence la
jour/nuit, les rythmes circan- très forte saisonnalité de l’activité
tion des données montre physique. Courbe noire : activité
nuels qui s’appuient sur les clairement une augmentation physique modérée (ex : marche
saisons (Encart : « La chro- des performances avec le régulière) ; courbe jaune : activité
nobiologie et ses rythmes »). printemps, culminant au début physique intense (course rapide).
Ces rythmes fondamentaux,
ces équilibres, l’homme n’a
75
pu s’en affranchir en dépit de
ses progrès technologiques. 70
En effet, l’activité physique
modérée, celle que nous 65
accomplissons tous les jours,
est éminemment marquée par 60
le cycle des saisons comme le (%)
55
sont nos rythmes hormonaux,
nos principales maladies et
50
nos cycles de consommation,
de dépression, de violence 45
ou de mortalité ; l’activité
physique intense (sans qu’il 40
0 2 4 6 8 10 12 14
s’agisse du sport de haut Été Hiver Été Hiver Été Hiver
niveau) est également carac- 55
La chimie et le sport

LA CHRONOBIOLOGIE ET SES RYTHMES


Qu’y a-t-il de commun entre le décalage horaire ressenti après un vol transatlantique, les
troubles du sommeil plus fréquents le dimanche soir après deux grasses matinées consécu-
tives, la variabilité saisonnière des performances sportives et les changements d’heure légale,
en mars et octobre ? Ce sont les horloges biologiques, qui rythment nos vies sans que nous
en ayons véritablement conscience (Figure 13). Elles constituent une dimension essentielle
du monde vivant, animal comme végétal, et même microbien, permettant aux organismes
de se préparer énergétiquement à leur phase d’activité. Mais elles ont aussi bien d’autres
fonctions fondamentales, comme déclencher la période des amours, guider les oiseaux dans
leurs migrations saisonnières ou les abeilles dans leur butinage.
Dès 1729, les savants disposaient des premiers indices de l’existence d’une horloge biolo-
gique. Elle ne sera pourtant admise et démontrée que dans la seconde moitié du xxe siècle,
notamment grâce aux travaux du neurobiologiste français Michel Jouvet sur le sommeil. Mais
comment le vivant mesure-t-il le temps avec une telle régularité ? Comment met-il quoti-
diennement ses horloges internes à l’heure solaire ? Et comment produit-il tous les cycles
physiologiques qui rythment ses journées ?

Figure 13
Chaque être vivant possède une « horloge interne » qui contrôle la succession des périodes d’activité
et des périodes de sommeil.

Une mécanique bien réglée


Seuls les êtres humains disposent d’un réveil. Et pourtant, le coq chante le lever du jour, les
oiseaux gazouillent, nombre d’animaux sortent de leur sommeil lorsque les étoiles cèdent
leur place au soleil, tandis que d’autres, au contraire, n’abandonnent la sécurité de leur terrier
qu’à la nuit tombée (Figure 14). Qu’est-ce qui déclenche toute cette activité ?
Chaque être vivant possède une « horloge interne » qui contrôle la succession des périodes
d’activité et des périodes de sommeil. Elle régule ainsi le rythme biologique sur une période
d’environ 24 heures, ce qui lui vaut la dénomination d’horloge « circadienne » (du latin « environ
un jour »), en phase avec l’alternance du jour et de la nuit. Le rôle de l’horloge est de préparer
l’organisme au réveil, même avant la fin de la période d’obscurité (ou de lumière pour les
organismes nocturnes), de suivre l’évolution des saisons, grâce aux variations de durée du
jour, et de mettre en place les différentes fonctions physiologiques aux différents moments
de la journée. Cette horloge tourne même en l’absence d’alternance du jour et de la nuit,
permettant aux êtres vivants (animaux ou végétaux) de préserver leur rythme d’activité dans
des conditions artificielles.
56
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
Figure 14
Le coq chante le lever du jour, les oiseaux migrent, les marmottes hibernent en hiver... Toutes les activités
des êtres vivants se déroulent de façon périodique, en suivant des rythmes observables et mesurables :
alternance veille-sommeil, reproduction saisonnière des végétaux (floraison) et des animaux, migrations
des oiseaux…

Un réveil dans la tête


Le cerveau humain contient cette horloge interne. Elle se situe dans une partie située à l’ar-
rière de la tête – l’hypothalamus –, au niveau de ce que les anatomistes appellent le noyau
suprachiasmatique, à la croisée des voies visuelles, qui informent sur l’alternance jour/nuit
puisqu’il faut voir la lumière pour pouvoir se recaler sur les conditions environnementales
locales. Un tel rythme d’activité existe aussi chez les organismes qui ne sont pas soumis
aux alternances jour/nuit, comme ceux vivant au fin fond des grottes ou ceux plus ou moins
profondément cachés dans le sol et qui souvent n’ont plus d’organe visuel. La raison en est
que le mode de vie de ces animaux est relativement récent au regard de leur évolution et qu’ils
ont gardé une trace de cette horloge biologique ancestrale. Elle leur permet de fonctionner
selon un rythme qui ne sera plus calé sur l’alternance jour/nuit. Cependant, chez des espèces
presque aveugles comme la taupe par exemple, un très petit nombre de cellules rétiniennes
suffit à percevoir une variation de l’intensité lumineuse locale, et donc à rythmer l’activité
selon un schéma peu différent du nôtre.
Les gènes (clock, per…), les récepteurs nucléaires (ROR, PPAR…) ou les facteurs de transcrip-
tion (Mef2) et les boucles régulatrices qui contrôlent ces rythmes sont partagés par de très
nombreuses espèces à la surface terrestre. L’observation de coupes de cerveau de drosophiles
permet en effet, grâce à un marquage fluorescent, de localiser les neurones qui expriment le
gène per (pour période) et de voir comment ils sont affectés chez les mutants dont le rythme
d’activité est perturbé. On connaît aujourd’hui une dizaine de gènes que l’on retrouve chez
l’homme et la drosophile, ce qui montre que l’horloge biologique est une fonction déjà présente
chez de très lointains ancêtres, communs aux êtres vivants actuels. Les recherches sur la
drosophile permettent de mieux comprendre les mécanismes physiologiques et génétiques
qui contrôlent l’activité des organismes et d’étudier les facteurs à l’origine de perturbations
pathologiques ou environnementales (troubles du sommeil, décalage horaire, cancers…).

D’après André Klarsfeld (2009). Les horloges du vivant. Odile Jacob.

57
La chimie et le sport

A B
Perf saisonnière
s)

10,5 10,50
m (m/s

100m ((m/s)
10 10,00
se sur 100m

9,5 9,50

se sur 1
9 9,00

Vitess
Vitess

8,5 8,50

8 8,00
00
14 16 18 20 22 24 26 28 30 32 34 36 38 Jan
0.00 Mars
0.20 Mai
0.40 Juillet
0.60 Sept
0.80 Nov
1.00

Âge

Figure 15 de l’été, moment des grands hommes) ( voir aussi le Chapitre


championnats. Mais est-ce le d’A. Berthoz).
Évolution des performances championnat qui entraîne les
des 50 meilleurs sprinters Chez les très grands cham-
meilleurs résultats ou n’est-ce
français (5 400 temps de course pions, se superpose au
chronométrés de 2004 à 2009). pas plutôt que les dates des
rythme circannuel un rythme
A) Vitesse moyenne sur le cent compétitions ont été choisies
quadriennal ultrannuel, le
mètres masculin, rapportées à pour que la performance soit
l’âge de l’athlète ; B) évolution rythme olympique, qui montre
la meilleure ? On note après
saisonnière de ces sprinters. dans l’année des Jeux, l’en-
le point culminant de la saison
Toutes les performances sont alors semble des performances de
un décrochage important, une
exprimées selon le jour calendaire. l’athlétisme mondial progresse
autre exponentielle, corres-
de 1 % suivi d’un recul de 0,4 %
pondant aux analyses mathé-
dans l’année post-olympique,
matiques décrites ci-dessous
puis à nouveau une augmenta-
(Figure 15). Cependant, les
tion, plus faible, dans les deux
variations saisonnières sont
années suivantes. Ce cycle se
légèrement différentes selon
reproduit très régulièrement
Figure 16 le sexe de l’athlète. La phase
depuis 1896 (Figure 16).
de décrochage en octobre-
Rythme ultrannuel quadriennal en
athlétisme : on observe un gain de novembre est plus marquée Les outils mathématiques
performance l’année olympique pour les femmes (-3 % par descriptifs mis au point à
(année t). mois, contre -2 % pour les l’Institut de Recherche bioMé-
dicale et d’Épidémiologie du
Sport (IRMES) permettent
d’interroger les variabilités
de performance en réponse
à diverses perturbations
(Encart : « Élaboration d’un
modèle de prédiction »). On
observe alors des struc-
tures oscillantes, avec une
remarquable cohérence entre
modèle et réalité. Imagi-
nons que l’on introduise une
nouvelle technologie dans
une discipline sportive :
on observe une augmen-
tation rapide de la perfor-
58 mance, après un bref temps
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
ÉLABORATION D’UN MODÈLE DE PRÉDICTION DES FUTURS RECORDS
Nous avons établi un modèle (Figure 17) afin de déterminer l’évolution des records du monde.
Ce modèle repose sur une équation exponentielle à deux paramètres :
recordt = ΔWR.exp(-a.t.) + b
- d’une part, chaque période est modélisée par une équation exponentielle qui atteint une
limite, matérialisée par l’asymptote ;
- d’autre part, le coefficient de détermination r2 permet d’évaluer la qualité d’ajustement du
modèle aux données. Plus le modèle est ajusté, plus le coefficient de détermination r2 est
proche de 1.

400m Nage Libre Féminin


390

370 Période 1 Figure 17


r2 = 0,976
350
Modélisation de l’évolution
Temps (s)

330

310
des records du monde du
290
400 mètres nage libre féminin.
270
Le modèle s’ajuste
Période 2
r2 = 0,966 particulièrement bien aux
250
données puisque les coefficients
230
1900 1920 1940 1960 1980 2000 2020 de détermination r2 obtenus
Laure Manaudou 2007: 4’2’’13 - Federica Pellegrini 2009: 3’59’’15
sont proches de 1 (r2P1 = 0,976 et
r2P2 = 0,966).
Ce modèle est utilisé dans un algorithme à trois étapes (Figure 18) :
- le modèle est utilisé entre le premier et le dernier record. Les variations du coefficient de
détermination r2 automatisent le découpage en périodes, le but étant de distinguer les prin-
cipales évolutions au cours d’une même époque ;
- le modèle est ajusté aux records du monde ;
- La date t est estimée par l’équation inverse à 1/2000e de l’asymptote. Cette date estimée
donne la limite de l’espèce humaine dans cette épreuve. Concernant la limite atteinte par
épreuve, on s’aperçoit que 13 % des épreuves ont déjà atteint leurs limites. On estime par
ailleurs que, dans vingt ans, 50 % des épreuves ne seront plus battables qu’à 1/2000e de leur
valeur maximale.

Figure 18
Modèle de prédiction de la stagnation
des records dans les épreuves
e d’épreuves

olympiques d’athlétisme, natation,


cyclisme sur piste, patinage de vitesse
et haltérophilie. La non amélioration
d’un record est établie lorsque celui-ci
atteint 99,95 % de la valeur asymptotique
calculée. Le nombre total d’épreuves
arrivant à leur maxima est quantifié pour
Nombre

chacune des années où cet événement


se produit. L’analyse des dix meilleurs
athlètes mondiaux, et non plus du seul
recordman, semble indiquer que ces
N

frontières pourraient être atteintes


encore plus tôt. 70 % des épreuves
d’athlétisme ne progressent plus depuis
1991, 30 % progressent encore.
59
La chimie et le sport

Si les conditions de compétition et de la physiologie humaine demeurent, 50 % des épreuves


ne seront plus perfectibles au-delà d’1/2000e d’ici vingt ans. Nous allons donc assister à
une raréfaction des records. À terme, la notion même de « course au record » risque de se
déprécier fortement.
Cela nous amène à relativiser la pérennité de la devise olympique « plus vite, plus fort, plus
haut ». Par ailleurs, on peut se demander s’il ne serait pas judicieux de modifier les objectifs
olympiques et de s’orienter vers une valorisation des luttes entre athlètes plus que vers des
performances pures. Enfin, si cette course aux records est maintenue, allons-nous observer
un désintérêt progressif des media pour ces disciplines, notamment celles touchées par le
dopage ?

D’après Geoffroy Berthelot, Épidémiologie de la performance : 1896-2008, la fin du citius. Extrait du 2e Sympo-


sium de l’IRMES, 2007. www.insep.fr/FR/activites/Recherchemedicales/Pages/IRMES-INSEP.aspx.

d’adaptation et une courbe les phases non nagées : au


d’apprentissage qui évolue moment du plongeon ou juste
jusqu’au nouvel état d’équi- après le virage (voir aussi les
libre (partie ON de la Chapitres de D. Masseglia et
Figure 19). Lorsqu’on sup- de F. Roland, qui donnent des
prime la source de la pertur- exemples d’introduction de
Figure 19 bation (partie OFF de la Figure nouvelles technologies dans
L’introduction d’une perturbation
19), les performances dimi- le sport).
(phase « ON »), telle qu’une nuent brutalement. Or le nombre de records
technologie nouvelle, induit, après L’effet des combinaisons établis au cours des trois
un bref temps d’adaptation et sur la natation mondiale est dernières olympiades (Sydney,
d’apprentissage, une augmentation particulièrement significatif.
rapide du niveau, suivie d’une
Athènes et Pékin), comparé à
Le port de la combinaison a l’ensemble des records battus
régulation qui conduit à un état
été instauré pour diminuer au cours des précédentes,
d’équilibre. Après arrêt de la
perturbation (phase « OFF »), la la traînée hydrodynamique et montre une augmentation
performance diminue brutalement. réduire les microturbulences significative qui ne semble
L’importance de l’effet « OFF » est autour de la surface cutanée, due qu’à un seul paramètre :
comparable à celui de l’effet « ON » de même que les macro- l’introduction de la combi-
avec, à chaque fois, augmentation turbulences, par un effet de
de l’amplitude des variations de la
naison en natation. Il est en
compression très important effet possible d’en mesurer
valeur observée avant équilibre,
sur la poitrine, les fesses et le l’effet, en ne dénombrant que
traduisant un accroissement
transitoire de la variabilité ou une dos. Il en résulte une pénétra- i) les records battus dans les
plus grande volatilité, au sens tion dans l’eau beaucoup plus disciplines autres que la nata-
économique du terme. efficace en particulier dans tion et ii) les records établis
en natation où les nageurs
n’ont pour autant pas utilisé
de combinaison (la plupart à
Sydney, très peu à Athènes,
aucun à Pékin). On constate
alors que les records du
monde établis aux Jeux olym-
piques en 2000, 2004 et 2008
dépendent pour deux tiers
d’entre eux du seul paramètre
« combinaison ». Isoler aussi
60 ON OFF nettement l’impact d’un seul
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
paramètre est, en épidémio- en janvier 2010. Les résultats Figure 20
logie, tout à fait exceptionnel. sont remarquables : début
2009, la combinaison est Au 50 mètres nage libre masculin,
La Figure 20 illustre ainsi la l’introduction de la combinaison a
chute impressionnante du acceptée, les performances
créé une avancée considérable à
temps du record du monde mondiales progressent de partir de 2008. Le meilleur temps
du 50 mètres nage libre 1,6 %. En avril et mai, elles de la saison 2010 est de 21,36
masculin : Alexander Popov, est refusée temporairement, secondes, par F. Bousquet, en recul
dernier nageur en maillot de les performances reculent de de 2,1 % par rapport au record
la même valeur. Elles sont à de C. Cielo. Photo : Frederick
bain l’établit en 21,64 secondes Bousquet (en combinaison rouge,
en 2000. Eamon Sullivan sera nouveau acceptées pour les
ligne d’eau numéro 3) au départ de
le premier à l’améliorer en championnats du monde et la finale du 50 mètres nage libre
combinaison en janvier 2008. toute une série de records des championnats de France le 26
Il sera suivi d’Alain Bernard impressionnants est établie à avril 2009. Il remporte la course
en 21,50 secondes ; Sullivan ce moment-là. en réalisant un nouveau record du
monde en 20,94 secondes.
établit un nouveau record Et ensuite ? Sur la base des
en août 2008, Frederick modèles évoqués précédem-
Bousquet en avril 2009 et ment, le recul de 1,4% (chez
enfin Cesar Cielo en 20,91 les femmes) à 1,8 % (chez
secondes le 18 décembre les hommes) des temps
2009. La progression de la réalisés par les dix meilleurs
performance a été, en moins nageurs mondiaux au cours
de deux ans, strictement équi- de la saison 2010 est en
valente à celle observée au parfait accord avec les prévi-
cours des vingt-cinq années sions. Cette situation n’est
précédentes. pas toujours bien vécue par
Les combinaisons en polyuré- les champions : Frederick
thane 100 % constituent par Bousquet en octobre 2009
ailleurs un cas très particulier déclarait son malaise, sa
de l’introduction d’une inno- honte même, d’être obligé de
vation technologique. Elles nager « quasiment nu ». L’im-
ont été autorisées en février- pact de la combinaison était
mars 2009, suspendues en donc ressenti comme extrê-
avril-mai 2009, puis réintro- mement puissant. Béquille
duites pour les championnats technologique aussi bien que
du monde en juillet à Rome, mentale, ces outils hautement
ce qui avait entraîné une polé- élaborés étaient un appui dont
mique mondiale, avant d’être les sportifs doivent apprendre
(définitivement ?) interdites à se passer. Les résultats de 61
La chimie et le sport

l’équipe de France aux cham- rapide au cours de l’en-


pionnats d’Europe en août fance puis de l’adolescence,
2010 à Budapest (1re nation culmine aux alentours de
européenne malgré des vingt-cinq ans, puis décroît
performances en recul de jusqu’à atteindre la limite de
1,7 %) montrent que l’on peut notre propre vie. La relation
anticiper avec brio ces reflux performance/espérance de vie
et leur impact psychologique. peut être modélisée par une
relation simple : une double
exponentielle, croissante puis
4 Cycle vital :
croissance
et décroissance
décroissante (Figure 24A). Or
il existe un lien extrêmement
exponentielles fort entre la performance
de l’espèce et son espé-
La vie, que l’on traite du trans- rance de vie. La Figure 24B
fert d’énergie, du système montre ce que peut être une
circulatoire ou respiratoire, ou « courbe d’espèce ». Elle
à un échelon plus complexe, décrit les records du monde
celui de l’occupation de l’es- du 100 mètres féminin en
pace, de la durée de vie d’une fonction de l’âge des cham-
cellule unique ou de l’orga- pionnes. Sur cette courbe, se
nisme entier, voire de l’espèce, trouvent aussi bien le record
ne peut être décrite par les de Florence Griffith-Joyner
équations classiques. Il a fallu (actuelle détentrice du record
l’invention, par le polytechni- du monde) que celui de la
cien français Benoît Mandel- coureuse la plus âgée, 85 ans,
brot, d’une nouvelle branche courant dans les masters
des mathématiques et d’une (dans ce cas à Sydney en
nouvelle notion, la dimension octobre 2009). Le prolonge-
fractale (nombre non-entier) ment de la courbe permet
d’un objet ou d’un système d’estimer la durée maximale
complexe, pour approcher, de vie de l’espèce humaine de
dans une multitude de sexe féminin à 120 ans. Or le
domaines d’applications, la record officiel est bien celui de
modélisation et la compré- Jeanne Calment, décédée en
hension de ces phénomènes 1997 à l’âge de 122 ans, bien
(Encart : « Le génie mathé- proche des 120 ans issus des
matique de Mandelbrot, ou la calculs. Cette même corré-
régularité dans l’irrégularité »). lation se retrouve sur le 1
La représentation fractale 500 mètres, le 5 000 mètres,
dite autosimilaire s’applique le 10 000 mètres, le saut en
notamment à l’ordonnance- hauteur masculin et féminin,
ment des événements, aux en natation (avec une cham-
phénomènes de croissance pionne de 98 ans, Margot Bates,
et de décroissance, que nous à Sydney en 2009)… La modé-
avons évoqués en examinant lisation suit donc parfaitement
l’effet des perturbations, et les capacités globales de notre
peut expliquer des relations espèce dans l’ensemble des
a priori inattendues. domaines de la performance
physiquement mesurable.
Le cycle vital est en effet le
même pour tous : la progres- Grâce à cette courbe de
62 sion individuelle est très potentiel maximal, il est
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
LE GÉNIE MATHÉMATIQUE DE MANDELBROT, OU LA RÉGULARITÉ DANS L’IRRÉGULARITÉ
Le grand mathématicien français, Benoît Mandelbrot (Figure 21), lauréat de très nombreux
prix internationaux, a révolutionné la science en inventant la notion de fractale, d’abord dans le
domaine de l’économie. L’idée fondamentale exprime le fait que le cours d’une bourse sur une
journée ressemble à celui sur une semaine, sur un mois ou une année : en d’autres termes,
la forme mathématique correspondante reste identique à des échelles différentes.
Cette notion constitue une branche nouvelle des mathématiques, avec des applications dans
toutes les sciences, physiques, chimiques, biologiques. Elle traite de la science des objets
qu’on pourrait qualifier de bizarres, ceux que les mathématiques classiques ne pouvaient
approcher, et décrit aussi bien les crues du Nil, la forme des nuages et des arbres comme
celle des poumons ou l’urbanisme des villes (Figures 22 et 23). Dans ces cas, et contrairement
à la prédiction statistique classique qui prévoit une égalisation par la loi des grands nombres
(c’est-à-dire une certaine forme de « bon sens macroscopique »), les aléas ici ne s’annulent
pas mais s’additionnent. L’essentiel des phénomènes naturels obéit à cette forme de hasard
que nous avons encore du mal à concevoir malgré des applications graphiques qui génèrent
un monde de géométries complexes, bien loin de la finance, d’une étonnante beauté. Quelques
applications dans le domaine musical ont même été tentées.

A B

Figure 21
A) Benoît Mandelbrot (1924-
2010), père des fractales. B)
Fractales dites de Mandelbrot.

Figure 22
Nuages, arbres, vagues,… les fractales sont présentes partout dans la nature… Partons en Bretagne et
contemplons rochers et vagues de l’île d’Ouessant, en Bretagne : on retrouve, en haut du petit rocher du premier
plan, une structure analogue à celle du gros rocher sur lequel la vague vient se fracasser.

63
La chimie et le sport

Figure 23
…et chez le vivant aussi. À gauche, un poumon, et à droite, des neurones d’hippocampe de souris.

L’exemple le plus fameux est celui de la côte de Bretagne, dont la longueur dépend de l’échelle
à laquelle on la mesure, et qui possède une dimension, dite de Hausdorff, non-entière, entre
1 et 2. La longueur de cette côte, différente de sa dimension, est en toute rigueur infinie. Et
nous devons désormais accepter cette idée d’une dimension non-entière comme nous avons
accepté celle de nombre imaginaire. Les multiples exemples où s’applique sa théorie ont en
commun ce que Benoît Mandelbrot nomme d’abord une homothétie ou invariance d’échelle,
et plus tard autosimilarité. Cette propriété s’explique par le fait que toute image fractale est
engendrée par un processus d’itération théoriquement infini.
Le concept de fractale n’est pas identique mais approche parfois celui de chaos. Dans les
deux cas, il n’est pas possible connaissant deux points, même très proches, d’interpoler la
valeur d’un point intermédiaire. Ce point peut, en réalité, se situer n’importe où. C’est évident
dans le cas de la côte de Bretagne puisque pour deux points distants de 2 km, un point situé
à mi-distance peut se trouver sur un promontoire, dans un golfe, mais pas du tout sur la côte.
Le concept de fractale, conçu pour décrire les phénomènes naturels ou créés par l’homme, a
permis de les appréhender et de les comprendre, comme la structure de l’univers, la modé-
lisation des plantes (L-systèmes), la mise en évidence de certaines pathologies cérébrales. Il
a permis de les modéliser avec un réalisme parfois surprenant, comme dans les études des
performances sportives et leurs perturbations par des innovations technologiques.

« Je n’ai vu qu’un arbre, un seul, mais je l’ai vu.


Je connais par cœur sa ramure touffue,
et ce tout petit bout de branche me suffit.
Pour connaître une feuille, il faut toute une vie. »
Georges Brassens

possible d’extrapoler, pour 60 ans (courbe noire) ou de


chaque athlète, ce que seront Thomas Jager (courbe bleu
ses performances au cours foncé). Il faut noter qu’un
des prochaines décennies, athlète peut généralement
en l’absence de pathologie ou établir un ou deux records du
d’accident (Figure 25). Dans le monde, mais qu’il est excep-
cas du 50 mètres nage libre, tionnel d’en réaliser davan-
cette approche permet de tage (Serguei Bubka, au saut à
prédire la vitesse théorique la perche, étant l’un des rares
64 de nage d’Alexander Popov à contre-exemples). À partir des
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
A B
Courbe d’espèce = progression individuelle
9
propriété fractale
8

e (m/s)
6
mance

Vitesse
Perrform

y = a . (1-exp -(b.t)) - c . exp (d.t) 2

0
0 20 40 60 80 100 120
0 Âge Espérance de vie Âge

Figure 24
A) Normes théoriques de progression individuelle. Les coefficients a, b, c et d modulent les deux exponentielles.
B) Records du monde selon l’âge sur le 100 mètres féminin. Courbe d’espèce.

Records du monde du 50m Points Carrière : Tom Jager Points Carrière : Alexander Popov Points Carrière : Frédérick Bousquet

Modélisation des records Modélisation : Tom Jager Modélisation : Alexander Popov Modélisation : Frédérick Bousquet

2,50

2,25

2,00

1,75

1,50
Vitesse (m/s)

1,25
V

1,00

0,75

0 50
0,50

0,25

0,00
1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050 2060
Années

points maximum individuels,


il est enfin possible, pour une
épreuve sportive donnée, de
5 Contexte
de la performance
et évolution
Figure 25
Records du monde du 50 mètres
nage libre masculin (vitesse
prévoir l’évolution future des moyenne mesurée sur 50 mètres
records de cette discipline lors de chaque course).
5.1. Raisons du dépassement
(courbe rouge). On conçoit Contributions individuelles de
bien ainsi la contribution indi- L’Hybris prométhéenne est ce A. Popov (courbe noire), T. Jager
viduelle à l’ensemble. Dans besoin constant chez l’homme (courbe bleu foncé) et F. Bousquet
la plupart des sports, cette de toujours tenter de s’élever (courbe bleu clair) à la courbe de
au-dessus de sa condition, de progression générale de l’espèce
dernière courbe des maxima
(courbe rouge).
tend actuellement vers une se mesurer aux Dieux (voir le
asymptote. Chapitre d’I. Queval), ce que le 65
La chimie et le sport

philosophe Gaston Bachelard total de cinq disciplines de


désignait comme un complexe force et de vitesse (Figure 26).
d’Œdipe intellectuel, le La fréquence annuelle
« savoir plus que nos pères ». La du nombre des records
science et la technologie, qui mondiaux cumulés depuis
ont décuplé nos connaissances 1896 (premiers Jeux) montre
aux XIXe et XXe siècles, résultent l’impact des deux conflits
elles aussi de cet insatiable mondiaux et celui, transitoire
besoin de compréhension, et moindre, de la grande crise
cherchant à résoudre les ques- économique des années 1930.
tions qui n’ont pas obtenu de Après une forte augmentation
réponse. C’est d’ailleurs bien au sortir de la Seconde Guerre
sur ce principe que fonctionne mondiale, les records se raré-
la recherche, posant dix ques- fient à partir de 1968. Cette
tions nouvelles pour chaque très nette régression, malgré
réponse obtenue, ouvrant et le développement du dopage
enrichissant constamment la dans l’ensemble des pays,
question initiale. Cette règle n’est liée à aucun événement
ne serait-elle pas un principe majeur. La décroissance
vital ? semble inéluctable, en dépit
d’un petit rebond récent lié
5.2. Fondements à deux phénomènes : l’intro-
Figure 26 de la maximisation et duction de la combinaison de
optimisation des rendements natation d’une part, et d’une
Nombre de records du monde
établis chaque année rapporté au nouvelle discipline, l’haltéro-
nombre d’épreuves olympiques Les records du monde sont philie féminine, d’autre part.
officielles. Ce rapport est l’expression de la physiologie Par ailleurs, l’écart entre les
conditionné par les limites
de l’extrême et des limites de hommes et les femmes au
génomiques et environnementales
de l’espèce humaine. Il est en l’espèce humaine. Une étude niveau des performances est
constante régression depuis 40 ans menée par l’IRMES a porté sur stable, aux alentours de 10 %,
(wwI : Première Guerre mondiale ; 3 263 records recueillis dans pour l’ensemble des disci-
wwII = Seconde Guerre mondiale). 147 épreuves relevant d’un plines depuis presque trente
Nombre d
nuels / N
RM ann ves
d’épreuv

66
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
390 Ethelda
Bleibtrey
370 06.08.1919
6’30’’20
350
Temps (s)

330

310
Laure
290 Manaudou
06 08 006
06.08.2006
270 4’02’’13 Federica
Pellegrini
250 26.06.2009
3’59’’15
230
1900 1920 1940 1960 1980 2000 2020

ans. En effet, les courbes évidente sur ce graphique. La Figure 27


de performance pour les même tendance se retrouve
Évolution des performances sur
deux sexes ont évolué de dans tous les sports, avec
le 400 mètres nage libre féminin.
façon parallèle atteignant parfois l’apparition de phéno- On constate une raréfaction des
leur asymptote en même mènes inattendus. Depuis records depuis près de 30 ans,
temps. Le 400 mètres nage 25 ans, la courbe du lancer avec des gains relatifs faibles :
libre féminin est un bon du poids féminin montre ainsi aucun record battu au cours de
exemple de la pertinence la décennie précédant Laure
un recul de 7 % des perfor-
Manaudou en 2007 et Federica
des modèles de prédiction mances des dix meilleures Pellegrini en 2008 et 2009, toutes
(voir l’Encart : « Élaboration athlètes mondiales, depuis deux en combinaison.
d’un modèle de prédiction » l’époque où cette discipline
et Figure 27). Comme précé- était largement dominée
demment, on constate deux par les athlètes des pays de
périodes d’évolution : avant l’Est, dont les protocoles de
et après 1965. Ce graphique dopage sont mis à jour par la
montre aussi que l’évolu- publication des archives de la
tion du record du monde de Stasi. Cela suggère qu’après
cette épreuve, comme toutes la période de guerre froide
les autres disciplines fémi- et ses courses effrénées à
nines ou masculines, suit une l’armement, à l’espace ou
courbe bi-exponentielle. aux records sportifs, soit les
La raréfaction des records athlètes se sont désinvestis,
depuis près de 30 ans, avec ce qui est peu probable, soit
des gains relatifs faibles ils utilisent désormais un peu
(aucun record battu au cours moins de ce qui était injecté
de la décennie précédant à l’époque. En athlétisme, et
Laure Manaudou en 2007 malgré l’apport de molécules
et Federica Pellegrini en (EPO recombinante) ou de
2008 et 2009, toutes deux en protocoles nouveaux (micro-
combinaison) est également doses répétées), 70 % des 67
La chimie et le sport

A B
e (m)
Distance

Modèle de Gompertz

Figure 28 épreuves ne progressent plus réalité est bien plus prosaïque


depuis vingt ans (Figure 28). et la suite des événements
Évolution (A) et modélisation selon montrera une autre tendance
le modèle de Gompertz (B) de
5.3. Limites physiologiques puisque des phénomènes
l’évolution des performances au
lancer du poids féminin. et luttes contre la stagnation analogues se reproduiront en
1994 en natation, en 1997 sur
Dans les années qui suivent
le 1 500 mètres féminin avec
la chute du mur de Berlin,
neuf athlètes chinoises parmi
de nombreux entraîneurs
les dix meilleures mondiales
est-européens s’installent
puis avec l’exclusion de l’en-
en Chine. Alors que le record
semble des équipes mascu-
du monde du 3 000 mètres
lines d’aviron ou féminine de
féminin est établi depuis dix
demi-fond russes avant les
ans, et que les meilleurs
Jeux de Pékin.
performances fluctuent peu
chaque année, autour d’une Ponctuellement, des pratiques
moyenne stable, cinq perfor- illicites, qu’on pourrait quali-
mances vont surpasser l’an- fier de « dopage technolo-
cien record du monde. Elles gique », peuvent avoir des
sont toutes établies le même impacts très forts, que le
jour, au même endroit, lors bon sens permet parfois de
de la même épreuve : cinq suspecter mais que confirme
athlètes chinoises vont en maintenant la mesure de leur
effet battre ce record en degré d’atypicité. Ce n’est
une course, ce qui ne s’est pas sans danger vital pour
jamais vu dans cette disci- l’athlète. Même une course
pline ni dans aucune autre phare comme le 100 mètres
épreuve depuis 1896 et ne se féminin, à évolution régulière
verra plus depuis. Comment selon la double exponentielle
expliquer l’apparition brutale déjà connue, arrive à une
d’une physiologie aussi limite, un plancher, autour de
atypique ? S’agirait-il d’une 10,9 secondes. Il n’y a, depuis
progression généralisable, vingt ans, quasiment plus de
quoique surprenante, à l’en- progression des dix meilleures
68 semble de l’espèce ? La athlètes mondiales. Reste
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
13,5

13

12,5

12
s)
emps (s

11,5
Te

11

10 5
10,5
Florence
Griffith-Joyner
10
1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

néanmoins un point singulier, ments soigneusement docu- Figure 29


hors norme, aberrant, celui mentés et mis en œuvre par
de Florence Griffith-Joyner. les éleveurs changent-ils la L’évolution des performances sur
le 100 mètres féminin est régulière
Ce ne fut pas son seul exploit, nature de ces résultats ? Le et suit une double exponentielle
puisque la même année 1988 monde végétal peut-il avoir sa comme le prédisent les modèles
à Séoul, elle établit un record place dans cette étude géné- mathématiques. La performance
du monde du 200 mètres tout rale du vivant, de ses perfor- hors norme de 1988 (record
aussi étonnant, et toujours mances et de leur évolution toujours considéré comme valide
officiellement valable. Elle dans le temps ? en 2010) est réalisée par Florence
décédera subitement en 1998 Griffith-Joyner. L’hypertrophie
musculaire dont elle avait fait
d’une cause non élucidée mais 6.1. Chevaux et lévriers preuve, à la même période et
dont le lien avec l’hypertrophie dans les mêmes proportions
Partons des trente courses
musculaire, et possiblement que Ben Johnson, et surtout son
les plus cotées dans le
cardiaque, dont elle avait fait décès prématuré en 1998, avaient
monde (Derby d’Epsom, prix nourri de très forts doutes sur un
preuve dans les mois précé-
d’Amérique, etc.) ; considé- dopage, pour l’instant non prouvé,
dant ces records a toujours
rons les dix meilleurs chevaux à l’origine de ces performances.
laissé la marque d’une grande
ayant participé chaque année
ambiguïté (Figure 29).
à ces courses. Leurs records
s’organisent sur une exponen-
6 Performances
et génétique
tielle simple, comme nous en
avons déjà vu, mais évidem-
L’homme serait-il une espèce ment sans les décrochages
particulière, finalement peu marqués des deux guerres
représentative, au sein du mondiales (Figure 30).
biotope, du monde vivant Les lévriers ont la parti-
colonisé et modelé par lui ? cularité de constituer un
Le monde animal, lorsqu’il est groupe homogène. Courent
face à une demande analogue, des lévriers irlandais, améri-
lorsqu’on lui demande un cains, australiens souvent
comportement d’« athlète », issus des mêmes géniteurs.
conforte-t-il les résultats À partir des 25 principales
présentés ci-dessus ? En courses et des performances
quoi la sélection, les croise- des 10 meilleurs lévriers, 69
La chimie et le sport

Cheval
17

16,5

16
Vitesse (m/s)

15,5

15

14,5

14

13,5

13
1890 1910 1930 1950 1970 1990 2010

Figure 30 on observe la même évolu- également une mono-expo-


tion exponentielle. De plus, nentielle, quelle que soit l’es-
Les dix chevaux les plus rapides l’asymptote est atteinte pèce étudiée, à l’exception du
sur les trente premières courses
mondiales.
en même temps que chez maïs (Figure 32). La première
l’homme ou le cheval. Avec cause de cette stagnation
des paramètres, des coeffi- démontrée en 2010 par l’Ins-
cients un peu différents, la titut scientifique de recherche
progression et les plafonds agronomique (INRA) est l’élé-
de chaque courbe surviennent vation des températures en
de façon tout à fait compa- fin de printemps. À l’échelle
rable pour chacune des trois mondiale, le riz, dont dépend
espèces (Figure 31). la nutrition d’une partie très
importante de l’humanité, suit
6.2. Rendements agricoles une courbe analogue, qu’il
s’agisse du rendement par
Malgré une utilisation exten- hectare ou de la production
sive des engrais, une des par tête.
plus importantes du monde,
La fin de la maximisation des
les rendements céréaliers en
rendements pour nos espèces
France ne progressent plus
asservies est donc d’une
que très lentement depuis
brûlante actualité. Espèces
10-15 ans10. Leur évolution suit
proches de l’homme, chien,
Figure 31 cheval, ou espèces végétales,
10. Voir l’ouvrage : La chimie et
Les dix meilleurs lévriers, sur l’alimentation, pour le bien-être de
les vingt-cinq premières courses l’homme, coordonné par Minh- Jacquesy, Danièle Olivier et Paul
mondiales. Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès Rigny, EDP Sciences, 2010.

18

17,5

17
Vitesse (m/s)

16,5

16

15,5

15

14,5

70 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
A B
(en quintaux par hectare)
95 Maïs grain 97

85 Blé tendre
Orge
75
Blé dur
65 64
55 56

45
44
35

25

15
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2007

dont dépend notre alimenta- mois par an pour les hommes Figure 32
tion, toutes posent la question (77,8 ans). Ce ralentissement
de leur optimisation future. particulièrement net concer- Les rendements céréaliers du blé
(A) en France et ceux des rizières
nant la durée de vie moyenne
(B) stagnent depuis plusieurs
6.3. Évolution de la biométrie des Françaises suit, lui aussi, années.
humaine : taille et espérance une loi mathématique expo-
de vie nentielle. L’espérance de vie
en France (en bleu, Figure 34),
La taille moyenne de
une des plus élevées des pays
l’homme a-t-elle évolué,
développés, ou aux États-
comme semblent en témoi-
Unis (en rouge, Figure 34),
gner les armures de nos
suit le même ralentisse-
ancêtres du Moyen-Âge ?
ment que celui qu’indique la
L’évolution séculaire de la
moyenne mondiale (c’est-à-
taille humaine montre que
dire approximativement la
la courbe observée pour la
moyenne actuelle de l’espèce
France et la Grande-Bretagne
humaine).11
est étonnamment régulière
(Figure 33). L’augmentation de
Figure 33
la taille est rapide au début du 11. Toussaint J.-F., Swynghedauw
XIXe siècle, et atteint un plafond B. (2010). Croissance et Évolution séculaire de la taille
dans la deuxième moitié du renoncements : vieillir à l’épreuve masculine en France et en Grande-
du temps. Esprit, 366 : 60-74. Bretagne.
XXe siècle.

Notre espérance de vie


(INSEE, janvier 2010) a égale- 180

ment connu une progres-


sion rapide, en particulier au 175
cours de la décennie suivant
la Seconde Guerre mondiale,
Taille (cm)

170
avec un gain de six mois par
an. Une érosion progressive Taille F
Taille GB
du gain annuel est ensuite 165

notée pour atteindre, dans les


trois dernières années, une 160
augmentation d’un mois par
an seulement pour les femmes
155
françaises (espérance de vie 1650 1700 1750 1800 1850 1900 1950 2000 2050

actuelle : 84,5 ans) et de deux 71


La chimie et le sport

Ce qui est vraiment remar-


90
quable, c’est que tous ces
Monde
80 processus évolutifs, décidé-
France ment jamais linéaires, s’ap-
Espérance de vie (années)

70
États-Unis pliquent à l’ensemble de
60 nos activités, qui semblent
50
évoluer en parallèle. Ces
tentatives d’explication, qui
40 ne sont que des mécanismes
30
théoriques intellectuels, s’ap-
puient néanmoins sur les
20
1500 1600 1700 1800 1900 2000 2100
analyses d’une multitude de
données complexes. Tous
ces processus relèvent d’une
même approche, fractale (voir
Figure 34 Une troisième donnée s’in- l’Encart : « Le génie mathéma-
tègre dans la même problé- tique de Mandelbrot, ou la régu-
Évolution séculaire de l’espérance matique et suit les mêmes lois, larité dans l’irrégularité »).
de vie dans le monde : on observe
celle de l’augmentation du PIB
un ralentissement à la fin du 6.4. Expansion phénotypique
xxe siècle. (Figure 35A). Le taux de crois-
sance montre les deux reculs L’impression que l’on retire
représentant les deux guerres des études précédentes,
mondiales, avec une courbe records sportifs, taille, espé-
de régression linéaire du PIB rance de vie, économie, est
par habitant. Mais qu’en est-il que l’espèce humaine arrive
au niveau mondial, alors que maintenant dans une période
les taux de croissance diffè- de stagnation, où le ralentis-
rent de 1-2 % pour les pays sement de sa progression est
très développés à 8-10 % pour constaté sur l’ensemble de ses
les pays en développement, champs d’activité, très divers
comme l’Inde ou la Chine ? mais tous caractérisés par
Figure 35
Ces pays sont en fait encore des déterminants communs
A) Progression des records du sur la partie ascendante de liés au développement. Sur
monde en pourcentage de leur leur courbe de croissance ; et, les 200 dernières années, se
valeur asymptotique. avec notre avance de 50 ans dessine finalement la réalité
B) Le taux de croissance du
en matière de développement, d’une expansion phénoty-
PIB français montre la même
progression avec deux reculs nous sommes probablement pique qui semble culminer au
correspondant aux deux guerres sur l’asymptote, nous plafon- début du XXIe siècle : chaque
mondiales. nons (Figure 35B). courbe individuelle, comme

A B
100%

95%

90%
ssion

85%
Progres

80%

75%

70%

65%

60%
1890 1910 1930 1950 1970 1990 2010 2030
1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000
72
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
chacune des courbes d’es-
pèce, épreuve par épreuve,
semble atteindre un plafond

ue
otypiqu
inexorable (Figure 36), borné
par les exponentielles des

ateur phéno
records de vitesse (courbe
rouge) ou d’espérance de vie
(courbe bleue).

Indica
2010

1900

7 Quand la progression
atteint ses limites
1800
Âge 122

Quelles sont les raisons de


ce ralentissement généra-
lisé, de cette limite asympto- des contraintes externes Figure 36
tique que l’espèce humaine (qui, elles, pourraient ne pas
plafonner avant longtemps), Évolution du phénotype maximal
paraît atteindre ? Sont- avec l’âge et le temps. Chaque
elles dues à des contraintes génère une situation qui ne courbe d’espèce relie les
endogènes ? Nous n’avons soit plus favorable au dévelop- estimations (XIXe siècle) ou les
certes pas l’espérance de pement de notre espèce. mesures (xxe siècle) des vitesses
vie du séquoia, ni la taille maximales atteintes lors des
records selon la tranche d’âge. La
de l’orque épaulard, et nous
n’atteindrons jamais l’une ou
l’autre de ces performances !
8 Interaction avec
l’environnement courbe rouge joint les sommets
(pics) des courbes annuelles et
Paul Crutzen, prix Nobel de constituent la courbe de croissance
Les premières contraintes des records qui tendent vers
chimie, désigne sous le terme
nous sont propres, d’ordre la stagnation. La courbe bleue
d’« anthropocène » la période joint les maxima de durée de vie
génétique. Les autres,
où l’homme, par son activité, humaine qui semblent également
exogènes, sont également
transforme de façon progres- stagner depuis 1997 et le record
bien connues : empreintes
sive et, peut-être irréversible, établi par Jeanne Calment.
environnementales, pres-
son biotope. Certes, l’action
sions démographiques et
de l’homme sur son envi-
leurs conséquences sur
ronnement a toujours été la
le partage des richesses,
marque de l’espèce (il s’agit
raréfaction des ressources
en cela d’un autre principe
(énergie fossile, eau, minerai,
évolutif, partagé par le vivant).
terre cultivable…), recul de
Mais les augmentations régu-
la biodiversité, ces questions
lières du CO2, du méthane, du
planétaires se posent aussi
protoxyde d’azote, sont des
en termes d’équilibres entre
contraintes fortes, nouvelles,
espèces. Nos impacts sont
dont le lien avec le dévelop-
multiples, sur l’économie, la
pement de l’activité humaine
santé publique, la paix, d’au-
est plus que probable. Cette
tant plus que, comme le chan-
observation nous ramène
tait Leonard Cohen (everybody
à la question de l’énergie,
knows it’s moving fast), on a
aussi bien celle produite au
l’impression que ça avance
sein d’une mitochondrie (voir
chaque fois un peu plus vite
l’Encart : « La contraction
ces derniers temps.
musculaire »), combustion du
Il n’est pas inconcevable glucose productrice de CO2,
que la limite patente de nos que celle de notre utilisa-
performances, associée à tion des énergies carbonées,
une augmentation majeure qui sont du même type dans 73
La chimie et le sport

A B C
Dioxyde de Carbone

C)
ndiales (rC
ennes mon

étique (M t.éqP)
ures moye
Méthane
ation des températu

n Énerg é
ommation
Varia

Cons o
Temps 1800 1900 2000

Figure 37 tout moteur à explosion. La en U, avec un optimum à


similitude des courbes de la 10-11 °C (Figure 38). Même
Évolution comparée de la concentration en gaz à effet pour un cas individuel, celui
concentration atmosphérique de
de serre, de l’augmentation du coureur de fond éthiopien
deux gaz à effet de serre, dioxyde
de carbone et méthane (ppm : de la température mondiale Haile Gebreselassie, deux
particule par million) (A), de la au cours du dernier millé- fois recordman du monde, en
variabilité de la température naire et de notre consomma- 2007 et 2008, cette relation
terrestre montrant l’élévation tion énergétique (dont 90 % persiste : lorsqu’il a à nouveau
séculaire récente et scénarisant provient des énergies fossiles) tenté de battre son record en
les possibles futures variations (B) est frappante (Figure 37). 2009, la température exté-
et de la consommation énergétique
mondiale (Mt.éqP : Millions de La corrélation entre l’énergie rieure de 18 °C (5 °C de plus
tonnes équivalent Pétrole) (C). que nous consommons et nos qu’en 2008) lui fait perdre
gains, d’espérance de vie, de deux minutes soit 2 % de plus
qualité de vie, de soins, paraît que son temps de l’année
donc tout à fait légitime. Ce précédente, obtenu pour une
lien est également mani- température très proche de
feste dans le doublement de l’optimum théorique calculé.
certaines de nos capacités La relation température-
(voir la Figure 35) par rapport mortalité (Figure 39) est
à celles de l’humanité d’il y aussi très explicite. L’op-
a deux siècles. Elle pose, en timum calculé se situe autour
conséquence, la question de de 20 °C. Le froid n’est pas,
nos capacités maximales. malgré ce qu’en dit la sagesse
Pour mesurer l’impact des nations, particulière-
de l’environnement sur la ment sain : avec la baisse
performance, on peut, à des températures apparais-
titre d’exemple, analyser sent infections et problèmes
l’ensemble des marathons cardio-vasculaires et une
mondiaux pour les plus impor- augmentation de la mortalité.
tants depuis 1975 et depuis De même si la température
1892 pour celui de Boston. s’élève trop au delà de l’op-
Deux millions de données timum. Dans l’un et l’autre
sont disponibles maintenant. cas, les personnes les plus
La relation entre le temps du vulnérables atteignent les
vainqueur et la température limites de leurs capacités de
74 ambiante suit une courbe thermorégulation. L’existence
Optimisation des performances, complexité des systèmes et confrontation aux limites
de ces relations tempéra- 32
ture-performance et tempé- Optimum thermique : 17,2 à 20,2°C
rature-mortalité complète le Mortalité journalière moyenne correspondante p. 1 000 000 : 2,3 décès
lien observé entre capacités 30

ournalière p. 1 000 000


physiques et espérance de vie.

pour centt mille)


On voit bien notre dépendance 28
à un paramètre environne-
mental essentiel, la tempéra-
ture de l’air ambiant. ortalité (p 26
Mortalité jo

optimum
24
Mo

22
-9 -6 -3 0 3 6 9 12 15 18 21 24 27 30
Bandes de températures de 3°C

Figure 39
Relation température-mortalité au
pas de temps journalier.
Fin de l’optimisation ou adaptation ?
Se pose désormais une question simple :
notre espèce est-elle encore capable de
s’adapter au monde ? George Bernard Shaw
notait déjà que l’homme « déraisonnable »
essaie constamment d’adapter le monde à
ses besoins (il ajoutait qu’en conséquence « le
progrès humain dépendait exclusivement des
hommes non raisonnables »…). Est-ce encore
des non-raisonnables, qui continuent de forcer
l’environnement à s’adapter et acceptent le
prix de cette transformation, que dépend
notre marche vers le progrès ? Quelles sont
nos marges d’adaptation ? Sommes-nous
au terme de ce que nous pouvions réaliser ?
Cette question, physiologique autant que
philosophique, se pose tout autant pour nos
limites psychologiques, puisque la plupart du
temps nous ne nous voyons pas tels que nous
sommes mais tels que nous nous rêvons.
L’acceptation de soi, de nos limites, de celles des
autres, les renoncements qui en découleront,
pourraient bien être les questions centrales de
notre proche avenir. 75
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Isabelle Queval La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
La fabrique
des surhommes :
corps entraîné, corps dopé,
corps augmenté

Isabelle Queval est philosophe, part à cette dominante d’une


maître de conférences à la industrialisation à la fois des
faculté des Sciences humaines mœurs et des corps. Je vais
et sociales de l’Université essayer de montrer en quoi, au
Paris Descartes et chercheur sein de ces représentations du
au Centre de recherche sens, corps profondément boulever-
éthique, société (CERSES/ sées, le sport occupe une place
CNRS - UMR 8137). Ses travaux très importante. D’une part, à
portent sur les représentations partir du sport de haut niveau
contemporaines du corps – en qui est particulièrement inté-
particulier sur le thème de ressant par la dynamique qu’il
l’amélioration et de ses enjeux montre depuis sa création et
bioéthiques (dopage, biomé- notamment la création des
trie, exosquelettes) –, sur les palmarès au XIXe siècle, et par
significations socio-politiques tous ses excès, toutes ces
du sport de haut niveau et sur « extrémisations des para-
l’histoire des pratiques corpo- mètres » qu’il manifeste au
relles dans l’éducation. Elle travers de la recherche sur
est l’auteur de S’accomplir les matériaux (voir la partie 3
ou se dépasser, essai sur le « Les matériaux de la perfor-
sport contemporain, Le corps mance » de l’ouvrage La chimie
aujourd’hui et Le sport - Petit et le sport), les matériels, les
abécédaire philosophique techniques, la gestuelle, la
(bibliographie « Pour en savoir diététique, la psychologie (voir
plus »). notamment les Chapitres d’A.
C’est en philosophe que je vais Berthoz et de C.-Y. Guezennec)
tenter d’exposer en quoi les et bien évidemment, la méde-
représentations du corps ont cine qui orchestre toutes ces
été profondément boulever- modifications. D’autre part, il
sées dans les quatre ou cinq sera évidement question de ce
dernières décennies, en parti- que nous pouvons appeler une
culier dans nos pays indus- « sportivisation » des mœurs
trialisés, pays riches, pays et des corps c’est-à-dire de
occidentaux pour l’essentiel, la manière dont le sport est
et d’ailleurs mon propos se entré dans notre culture, dans
restreindra pour une grande notre civilisation, comme
La chimie et le sport

Figure 1
Le sport est entré dans notre culture comme un label qui qualifie nos
Figure 2 manières d’être, la façon dont nous devons paraître : jeune, mince, en
bonne santé, dynamique à la fois dans notre vie sociale, dans notre vie
Milon de Crotone, le plus célèbre professionnelle, dans notre vie personnelle.
lutteur de l’Antiquité.
un phénomène de société et
comme un label qui qualifie
nos manières d’être, nos
comportements, la façon dont
nous bougeons, la façon dont
nous devons paraître : jeune,
mince, en bonne santé, dyna-
mique à la fois dans notre
vie sociale, dans notre vie
professionnelle, dans notre
vie relationnelle (Figure 1). Et
il sera donc aussi question
de cette injonction médicale
dominante aujourd’hui qui
nous invite à faire de l’exer-
cice, à bouger et comme le
dit l’Institut national pour
l’éducation et la santé (INPES,
w w w. b o u g e r m a n g e r. f r ) :
« bouge ta santé ».

1 Continuité
ou discontinuité entre
Antiquité et Modernité
Dans le chapitre de J.-L.
Veuthey, est évoqué un lien
de notre Modernité avec l’An-
tiquité. Ce lien est-il continu
ou discontinu depuis la repré-
sentation d’un culte du corps
telle qu’on peut la voir chez
des athlètes comme Milon
de Crotone, le lutteur le plus
78 titré de l’Antiquité (Figure 2),
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
ou encore la représentation
du dépassement de soi repré-
sentée par le célèbre coureur
de Marathon (Figure 3),
qui donne une image d’un
dépassement de soi ultime,
puisqu’il meurt à la fin de sa
course ? Continuité avec cette
expérience antique du culte
du corps, du culte du héros,
de la recherche de la perfor-
mance jusqu’à l’accession
au statut de demi-dieu ? Ou
discontinuité entre des repré-
sentations du monde, à la fois
philosophiques et scienti-
fiques, qui sont sensiblement
différentes entre la période
antique et la période moderne,
qui s’inaugure pour nous à
partir des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles,
et qui marque ce dont nous J.-L. Veuthey), mais aussi par Figure 3
sommes les héritiers, c’est- l’utilisation de prothèses gref-
fées sur le corps humain ou Le Soldat de Marathon annonçant
à-dire la Modernité ? En la victoire. La question du
particulier, qu’entend-on par même d’exosquelettes12. Le « dépassement de soi » : une
dépassement de soi, dans sport de haut niveau constitue continuité historique ou une valeur
l’Antiquité classique et dans ainsi un véritable théâtre, une spécifique à la Modernité ? Le
notre Modernité ? véritable mise en scène. Il messager grec Phidippidès rallia
nous offre une visibilité des Athènes pour annoncer la victoire
enjeux concernant l’évolution des Grecs sur les Perses en -490.
2 Le culte
de la performance du corps et le statut de cette
recherche de performance
Il parcourut 42,195 kilomètres de
Marathon à Athènes et mourut
d’épuisement à l’arrivée, d’où le
2.1. Culte de la performance pour l’humanité, dans tous les nom et la distance d’une des plus
dans le sport de haut niveau domaines (au moins dans nos célèbres courses.
sociétés occidentales), pour
Le sport de haut niveau est les années à venir (Figure 4).
très emblématique : c’est lui
Alors le dopage, une limite
qu’on interroge, pas seule-
ou un processus ultime ? On
ment dans ses fonctionne-
s’interroge à la fois sur sa
ments propres, mais aussi
logique et la manière dont il
dans le reflet qu’il donne d’une
fait rupture avec un univers
certaine dynamique sociale
concernant la performance et
la représentation du corps et 12. Le concept d’exosquelette,
concernant la lecture que l’on désignant à l’origine une carac-
peut faire de ce que pourrait téristique anatomique externe qui
devenir le corps contempo- supporte et protège des animaux
rain, la nature humaine, ses comme les insectes, crustacés ou
limites, le dépassement de ces mollusques (dont la partie abdo-
minale est la carapace), est dé-
limites à travers des phéno-
veloppé par les scientifiques sous
mènes comme le dopage (voir des formes biomécaniques ou
les Chapitres de M.-F. Grenier- motorisées, pour des besoins in-
Loustalot, J.-F. Toussaint et dustriels, militaires ou médicaux. 79
La chimie et le sport

de contrôler son apparence


et d’optimiser si possible ses
performances ? L’exemple du
culturisme illustre très bien
ce phénomène (Encart : « Le
culturisme, ou le fantasme
contemporain de produire son
corps »).
Nous sommes entrés dans
une ère quasi révolutionnaire
de notre représentation du
corps. Pour la première fois
sans doute dans l’histoire de
l’humanité, nous sommes
en position de croire ou de
fantasmer pouvoir produire
le corps, notre corps ou celui
Figure 4 de règles et de prescriptions
d’un autre. Et cela, contre la
de santé, qui, aujourd’hui,
Le sport de haut niveau (comme nature et le hasard qui avaient
semblent quelque peu heur-
la gymnastique rythmique et jusqu’alors toujours condi-
tées par certaines dérives
sportive), un véritable théâtre, une tionné notre vécu corporel,
véritable mise en scène, est une du sport de haut niveau :
blessures, pathologies chro- vécu d’une fatalité. On pense
illustration spectaculaire du « culte
niques, reconversions désas- bien sûr au corps tombeau
de la performance » qui anime
notre société. treuses, dépressions ou de Platon : « Le corps est le
addictions (voir les Chapitres tombeau de l’âme » (Encart :
de M.-F. Grenier-Loustalot et « Le corps est le tombeau
de C.-Y. Guezennec, à propos de l’âme »). Ce corps fatal,
du syndrome du surentraî- ce corps fatalité, ce corps
nement). Le dopage est-il souffrant, ce corps subi s’est
logique, que l’on se place d’un transformé, en tout cas dans
point de vue philosophique ou l’imaginaire, en un corps
du point de vue de l’histoire susceptible d’être produit,
d’une évolution de l’humanité et cela est déterminant.
sportive ? C’est une véritable mutation
anthropologique que le sport
2.2. Culte de la illustre, là encore, de manière
performance au quotidien : spectaculaire.
« sportivisation » des corps
et des mœurs 2.2.2. Sportivisation des mœurs
Le sport est descendu dans
2.2.1. Sportivisation des corps la société : cette injonction
Quel sens donner à cette de faire de l’exercice, qui
manière dont l’individu nous est répétée à peu près
contemporain se projette quotidiennement, se retrouve
dans une fabrication de soi et évidemment dans une société
dans ce que l’on appellera une des loisirs, comme un phéno-
production de soi, produc- mène de société. En témoigne
tion de son corps, produc- la console de jeu Wii Nintendo.
tion minutieuse, production On a beaucoup dit que le jeu
capitalisée, efforts quotidiens vidéo allait mener à la dispa-
80 pour essayer de maîtriser, rition du corps, à la disparition
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
LE CULTURISME, OU LE FANTASME CONTEMPORAIN DE PRODUIRE SON CORPS
Héraclès (Figure 5), héros de la mythologie grecque et symbole de masculinité, peut être
considéré comme l’ancêtre d’un phénomène moderne, le culturisme, qui est apparu à la fin
du XIXe siècle en Europe, avec l’un de ses principaux pionniers, l’athlète d’origine allemande
Eugen Sandow (Figure 6). Il attira l’attention par des démonstrations en France, en Grande-
Bretagne et aux États-Unis, et fut l’un des premiers à rechercher un esthétisme musculaire
plutôt qu’une démonstration de force brute.

Figure 5
Figure 6
Héraclès peut être
considéré comme Eugen Sandow est un des
l’ancêtre des culturistes. pionniers du culturisme.

Intégrant les enseignements de Georges Hébert, père de la culture physique en France,


d’autres athlètes tels que Georg Hackenschmidt, Edmond Desbonnet ou Earle Liderman,
auteur d’un traité de Bodybuilding vers 1920, ont marqué les débuts de cette approche. Autre
personnage-clé de l’histoire du bodybuilding, Joe Weider inventa de nombreuses techniques
d’intensification telles que le principe de tension continue (lors d’un exercice, la personne
contracte le muscle en action tout au long du mouvement). Il fut l’un des mentors d’Arnold
Schwarzenegger. Ce dernier et d’autres comme Larry Scott marquèrent une nouvelle ère, celle
du bodybuilding actuel (Figure 7). Véritable phénomène à tout point de vue, Arnold Schwarze-
negger s’illustra comme le meilleur athlète pendant de nombreuses années et continue encore
aujourd’hui d’être une source d’inspiration pour beaucoup. Il a su devenir un acteur embléma-
tique avant de devenir homme d’affaires puis, actuellement, gouverneur de l’état de Californie.

Figure 7
Le culturisme : production de soi, production de son corps, production minutieuse, production capitalisée, efforts
quotidiens pour essayer de maîtriser, de contrôler son apparence et d’optimiser si possible ses performances.
81
La chimie et le sport

« LE CORPS EST LE TOMBEAU DE L’ÂME » (PLATON)


« L’âme du philosophe méprise profondément le corps » dit Platon dans le Phédon (65d). Le corps
est alors conçu comme une chaîne, un tombeau, une prison, qui trouble l’âme et perturbe la
pensée. Platon dit aussi : « ce fardeau que nous portons avec nous et que nous appelons corps, et
où nous sommes emprisonnés comme l’huître dans sa coquille » (Phèdre, 250c). On est ici dans
une tradition philosophique dans laquelle le corps est une réalité qui s’oppose profondément
à la conscience. Tandis que l’âme est du côté de la transparence et de la lucidité, le corps est
du côté obscur de l’opacité et de la résistance matérielle (Figure 8).

Figure 8
Pour Platon, il y a deux mondes :
sensible et suprasensible,
intelligible ; l’homme est double
et appartient aux deux mondes :
par le corps il est attaché au
monde sensible, par l’âme au
monde intelligible.

de la sensation physique, à ne seront plus relayées par


une sorte d’édulcoration de la l’objet, la télécommande qui,
représentation corporelle face encore pour l’instant, permet
à son écran. Or, on observe de jouer avec ces jeux-là.
Figure 9
que les nouveaux jeux vidéo Le simple balancement du
La console Wii offre de nombreuses telle la « Wii fit » (Figure 9) corps va pouvoir emballer,
activités sportives : tennis, aérobic… réintègrent au contraire la communiquer, interagir avec
Le jeu Wii fit propose tout une
sensation, la dynamique de la machine. Il y a donc bien là
gamme d’exercices physiques avec
des objectifs divers, perte de poids, l’activité physique, puisque une réintroduction de la pers-
amélioration de l’agilité (étirements, cette console est même pective corporelle et donc une
exercices d’équilibre, etc.). préconisée dans certains sportivisation du jeu, du loisir,
exercices contre l’obésité. Elle des mœurs au travers de ce
propose tout un ensemble de type de jeux.
programmes minceur, entre-
tien de soi, etc. Surfant sur 2.3. Quand le corps
cette une nouvelle mode, il y a, et la technique fusionnent
liée à l’informatique et l’écran, Cette fusion, constitutive
une sorte de réintroduction, sans doute, est aujourd’hui
de sportivisation, de la sensa- à questionner, fusion entre
tion corporelle retrouvée au le corps et la technique,
travers de ces jeux vidéo. Il le corps et l’artifice. D’une
existe même des jeux qui part, fusion au travers du
simulent des sensations de dopage, puisque l’ingestion de
glisse (surf, ski,…), de vitesse, produits chimiques, pharma-
de conduite automobile et de cologiques, est évidemment
plus en plus de sensations une manière de fusionner
physiques (danse, boxe,…). On avec l’artifice ; fusion aussi
imagine même que, bientôt, avec ces objets techniques
82 ces sensations physiques que sont par exemple les
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
prothèses, telles celles de admis à concourir, mais n’a
l’athlète Sud-Africain Oscar pas réalisé les minima requis.
Pistorius (Figure 10), né sans Ce cas précis pose la question
péroné et amputé des deux du corps fusionné avec l’objet
tibias à l’âge de onze mois. Il technique, avec la prothèse,
court avec des prothèses en celle de savoir s’il s’agit là de
carbone qui lui ont permis de la réparation d’un handicap ou
poser sa candidature aux Jeux d’une possible amélioration
olympiques de Pékin pour de la performance. Faut-il
concourir avec les valides, ranger dans la catégorie
car ses performances sur du dopage cette pratique,
la distance du 400 mètres cet usage d’exosquelettes,
approchaient celles des de prothèses de jambes, de
minima olympiques. Sa « bras » visuels ou auditifs, de
demande a été rejetée sur tout ce qui pourrait améliorer
la base d’un rapport établi l’acuité, la vitesse, la dyna-
par l’université du sport de mique, la détente des sportifs
Cologne, ces prothèses lui de haut niveau ? Une réflexion
procurant un « avantage » sur l’introduction de la tech-
sur les athlètes valides. Le nique dans le sport est menée
conseil de l’Association inter- dans le Chapitre d’après la Figure 10
nationale des fédérations conférence de D. Masseglia.
Les « exosquelettes » : réparation,
d’athlétisme (IAAF) a ensuite amélioration, nouveaux dopages ?
décidé que Pistorius ne devait
pas être autorisé à courir aux
Jeux olympiques de Pékin ni
3 Outrepasser
les limites du corps,
jusqu’où peut-on aller ?
Surnommé « The Blade Runner »
(le coureur aux lames), Oscar
Pistorius court en compétition
dans les autres compétitions handisport avec des prothèses en
Peut-on aller jusqu’à outre- carbone.
organisées par la Fédération
passer les limites du corps ?
internationale.
L’artiste australien Stelarc,
Quelle signification profonde pratiquant l’art corporel (ou
peut avoir le mot « avantage », « body art », voir l’Encart :
puisque Pistorius aurait donc « Sterlac, l’homme hydridé »),
été à la fois avantagé par interroge les limites corpo-
rapport aux valides et bien relles et, dans cette perspec-
évidemment avantagé aussi tive d’une production de soi,
par rapport aux handicapés ? il y a chez lui production d’un Figure 11
On s’est même demandé s’il corps dont on outrepasse les
fallait ou non créer une caté- limites. Soit en le mettant en L’artiste australien Sterlac
gorie spéciale pour Oscar souffrance comme c’est le cas en suspension. Art corporel :
production, négation, dénaturation
Pistorius. Finalement, il a été dans la Figure 11, puisqu’il est
du corps ?

83
La chimie et le sport

suspendu, parfois jusqu’à une


DES RÉFLEXIONS SUR
semaine, par des crochets qui
sont fichés dans son corps, LE CULTE DU CORPS
soit par le fait de se greffer -Pourquoi la thématique
des organes, avec une oreille du corps est-elle
greffée sur le bras (Figure 12). centrale aujourd’hui ?
L’oreille est équipée d’une Qu’appelle-t-on « culte
puce électronique qui permet du corps » ?
à Sterlac de ressentir des Le paradigme
communications extérieures « médico-sportif »
et de communiquer avec -La perte des grandes
l’extérieur. Cet artiste hors transcendances :
norme a organisé dans diffé- matérialisme
rents musées des points de et individualisme.
connexion où les visiteurs -L’ère de
présents peuvent interagir l’individualisme :
avec son propre corps à lui, être son propre héros,
c’est-à-dire lui faire ressentir l’artisan solitaire de sa
des sensations à distance, de réussite.
Figure 12 divers points dispersés dans
-Le corps comme
Sterlac et son oreille greffée. le monde. Il expérimente et
destin : santé, jeunesse
met en scène ce dépasse-
éternelle, bien vieillir.
ment des limites corporelles.
La sculpture de soi.
Il considère que le corps, son
-Intérêt de la réflexion
corps, est un matériau, qu’il
philosophique sur
est une matière que l’on peut
les présupposés et
modeler : on est bien là dans
finalités de la médecine
une dynamique de production
d’aujourd’hui, ainsi
qui encore une fois va à l’en-
contre de la nature subie ou que sur l’histoire des
du naturel subi, ou encore du doctrines de l’éducation
hasard puisqu’il est supposé physique et du sport.
que l’on puisse faire ce que l’on
veut, d’une certaine façon, de tion du corps. Cette révolution
son corps. date des dernières décennies
du XXe siècle, en relation avec
les étonnants progrès des
4 Notre corps
aujourd’hui sciences du vivant (chimiques
comme biologiques) et leurs
Au-delà de cet aspect spec- applications dans le domaine
tacle, provocateur, excessif, de la médecine en matière
quelles sont les questions de soin, de thérapeutique,
que nous pouvons, devons de réparation, de prothèses,
nous poser dans le nouveau de greffes (voir l’ouvrage La
contexte de notre vie, avec chimie et la santé, au service
les possibilités extraordi- de l’homme 13). L’allongement
naires qui nous sont offertes ? constant de notre espé-
L’Encart « Des réflexions sur rance de vie est une sorte
le culte du corps » donne
quelques pistes de réflexion. 13. La Chimie et la santé, au service
de l’homme. Coordonné par Minh-
En premier lieu, dans nos Thu Dinh-Audouin, Rose Agnès
pays industrialisés, nous Jacquesy, Danièle Olivier et Paul
84 vivons une véritable révolu- Rigny, EDP Sciences, 2010.
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
de marqueur de cette évolu-
tion. Rappelons qu’au milieu
du XVIIIe siècle, l’espérance
de vie n’était encore que de
25 ans, compte tenu de l’ef-
froyable mortalité infantile
qui a touché cette époque.
Les progrès sont donc indé-
niables, mais cette succes-
sion de progrès interroge
chacun d’entre nous sur le fait
de vieillir, sur le grand âge,
sur la limite des capacités
humaines (ces limites sont
discutées dans le Chapitre
de J.-F. Toussaint). Certains
mouvements, développés
notamment aux États-Unis
comme le transhumanisme, des progrès techniques, Figure 13
pensent qu’en technicisant orchestrés par la médecine
le corps et en utilisant toutes et à cet incroyable boulever- Nous sommes capables, pendant
ses capacités, nous pourrions un temps de plus en plus long,
sement, cette véritable muta-
tous envisager d’atteindre 130 de participer à des activités
tion anthropologique que nous sportives variées et même à des
ou 150 ans. Non seulement connaissons. compétitions.
nous vivons beaucoup plus
vieux, mais, à la différence de En deuxième lieu, cette révo-
tous nos ancêtres (repensons lution, à la fois individuelle
à la manière dont les grands et collective, engage, encou-
auteurs, les grands philo- rage la croyance, le fantasme
sophes, les grands écrivains d’une production du corps et
ont pensé le corps et ont vécu ses conséquences. Produc-
le leur), nous vivons majori- tion par l’individu lui-même
tairement, en tout cas statis- qui s’entretient, se soigne,
tiquement, dans un confort se sculpte, finalement entre- Figure 14
beaucoup plus grand. Nous prend différents chantiers sur Le fantasme d’une production du
sommes capables, pendant son individu, sur sa personne, corps entretient l’idée d’un corps
un temps de plus en plus long, sur son anatomie : cosmé- œuvre, indéfiniment perfectible.
de participer à des activités tique, chirurgical, sportif,
sportives variées et même à diététique. Il entretient ainsi
des compétitions (Figure 13). cette idée d’un corps œuvre,
Certains sports comme le indéfiniment perfectible
tennis, la natation, créent (Figure 14). Mais c’est aussi
des catégories de vétérans un espoir collectif. Les auto-
qui, en tennis par exemple, rités publiques, les associa-
vont jusqu’à 75 ans, ce qui tions, les média, ne cessent
était impensable au début du de nous envoyer des injonc-
XXe siècle, et même encore tions nouvelles, des infor-
au milieu de ce siècle. Qu’on mations nouvelles sur ce
puisse participer à un match qu’il faut faire et ne pas faire
de tennis compétitif à 75 ans, en matière de prévention et
c’est aujourd’hui possible, et d’hygiène de vie, comment
ce point est véritablement une se conduire pour éviter la
révolution liée à l’ensemble maladie, pour retarder, voire 85
La chimie et le sport

éviter si possible la mort. En sommes donc aussi poten-


marge de toutes les spiritua- tiellement coupables de ce
lités antérieures, ce fantasme qui peut lui arriver. Et au-delà
réactivé nous parle d’être de l’injonction technique
éventuellement immortels et médicale, une véritable
ou en tout cas nous dit que injonction morale se dessine
dans nos sociétés, la mort, dans notre société : « Nul
et en particulier la mort des n’est censé ignorer les règles
gens jeunes, est devenu un de la santé ! » Voilà quelle
scandale, elle est devenue est l’injonction aujourd’hui et
inacceptable. Nous n’accep- voilà comment elle se colore
tons pas que nos enfants, d’une prescription morale. Le
que nos adolescents, que nos nouveau moraliste dans notre
jeunes soldats meurent parce société est celui qui décrète
que nous sommes dans une quelle est la vie bonne, quelle
représentation du monde où est la vie longue. Est-ce que
nous pensons que la science, la vie bonne est nécessaire-
et en particulier la médecine ment la vie longue ? C’est bien
et la technique, pourraient une question philosophique,
éviter ce scandale. Donc cette mais le nouveau moraliste
production du corps est à la c’est bien le médecin ou son
fois étayée par le progrès, équivalent médiatique. Dans
elle est une croyance, elle des périodes antérieures,
est aussi un fantasme géné- cela a pu être le philosophe,
rateur d’irrationnel. En effet, le directeur de conscience,
nous sommes, consciemment le prêtre, éventuellement le
ou non, dans une volonté de professeur, mais celui qui
contrôle total, parce qu’il y ajoute au jugement technique
a derrière cela des relents ou à l’information technique
et des présupposés écono- une perception morale, c’est
miques. Comment nos modes bien le médecin et plus
de vie vont-ils être évalués, largement le corps médical.
jugés, par les organismes L’obésité, par exemple, est
bancaires, par les assu- dramatisée, elle est montrée
rances ? Si nos comporte- du doigt, elle exclut du corps
ments n’ont pas été assez social, car la personne dite
« conformes », n’ont pas en surpoids n’a pas suivi le
montré un parfait respect de nouvel évangile, ne fait pas ce
toutes ces injonctions tout au que quotidiennement on nous
long de notre vie, comment enjoint de faire, elle ne produit
allons-nous pouvoir financer pas un corps « rationnel ».
notre très grande vieillesse ? Troisième aspect, au cœur
Beaucoup d’enjeux se dessi- de nos interrogations
nent derrière ce fantasme aujourd’hui, le sport comme
de production du corps avec, illustration à la fois de cette
notamment, l’idée d’une révolution d’un corps perfor-
nouvelle culpabilité ou d’une mant et de ce fantasme d’une
culpabilité néo-chrétienne qui production de soi, puisque
vient nous frapper de plein le sportif est dans un entre-
fouet. Puisque nous sommes tien quotidien, dans une
responsables de notre corps, recherche quotidienne d’un
de notre santé, de l’entre- dépassement de ses limites,
86 tien de nous-mêmes, nous d’une amélioration de sa
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
performance. Sans doute le peut appeler un « évolution-
sport n’est-il pas, au sein de nisme schématique ». Lecture
notre société, le seul à mettre certes très schématique car
en scène toutes ces évolu- l’évolutionnisme, c’est plus
tions techniques. On pour- complexe que cela. Dans
rait examiner le champ de tous les cas, ce qui apparaît,
la médecine pure dans ses c’est un processus évident de
recherches fondamentales et sélection des individus : sélec-
l’on pourrait aussi regarder tion par les dons et le talent,
le champ de la recherche en sélection des plus forts,
termes militaires qui, là aussi, Figure 15
des plus robustes, des plus
fait beaucoup d’expérimen- grands. Cette sélection est- Le perfectionnement, une indéfinie
tations sur le dépassement elle naturelle ou, aujourd’hui, quête, se mesure aujourd’hui
de la performance humaine en centièmes ou en millièmes
un peu moins naturelle ? Cette
et du corps humain (voir le de seconde.
question cruciale est peut-
Chapitre de C.-Y. Guezennec). être à l’origine de la fluctua-
Mais ce qui est intéressant tion des courbes observées
dans le sport, c’est qu’il est dans l’évolution des perfor-
un spectacle, c’est qu’il est mances homologuées (voir le
sous nos yeux quotidienne- Chapitre de J.-F. Toussaint) ;
ment, c’est qu’il fait l’objet de mais toujours est-il que le
compétitions extrêmement sport de compétition est, au
médiatisées, qui vont jusqu’à cœur de notre société, ce qui
faire référence à l’honneur figure le mieux une sorte de
national. Cette mise en scène, mythe du progrès tel que nous
ce laboratoire expérimental l’avons hérité des Lumières.
du dépassement de soi Au XVIIIe siècle, nous avons
humain est sous notre regard projeté le progrès humain
comme sous un micros- dans une indéfinie quête de
cope, comme dans une éprou- perfectionnement, encore
vette. Nous voyons ce qui s’y et toujours possible, même
déroule, nous en voyons les si aujourd’hui ce perfec-
excès et les dérives possibles,
tionnement se mesure en
et c’est en cela que le sport
centièmes ou en millièmes
est intéressant. C’est parce
de seconde (Figure 15). Ces
qu’il nous désigne précisé-
courbes montrent que cette
ment toutes ces interroga-
dynamique n’est pas néces-
tions sur le corps.
sairement linéaire, qu’elle
4.1. Le sport de haut niveau n’est pas toujours crois-
se caractérise par sante. Mais il n’empêche que
le dépassement de soi. le sport de haut niveau, de
Quelles en sont les dérives compétition, figure toujours
et les conséquences ? ce dépassement de soi qui
en est l’essence. Cette idée
4.1.1. Le culte des records : permet d’aborder sous un
un évolutionnisme jour nouveau la probléma-
schématique tique du dopage : le sport
La question du dépassement de haut niveau n’est pas
de soi dans le sport figure, compréhensible sans cette
ou peut-être figurait, depuis dynamique du dépassement
l’origine de ses palmarès et de soi. D’autres registres de
jusqu’à présent, ce que l’on la société, comme le monde 87
La chimie et le sport

niveau, lui, ne remet jamais


en question cette dynamique
du dépassement de soi, parce
que le dépassement de soi est
son essence, parce que consti-
tutivement, le sport de haut
niveau fonctionne à partir de la
recherche du dépassement du
record, du dépassement de la
limite. Et pose par conséquent
un problème, non seulement
en termes de réflexion sur le
dopage, mais aussi en termes
de réflexion sur la préco-
cité croissante des athlètes,
dans certains sports. Dans
un sport individuel comme le
tennis, des académies privées
fleurissent partout dans le
monde. Il en existe même en
France, autour de Paris, où
des enfants très jeunes, de
l’âge de la maternelle, trois
ou quatre ans, sont préparés
comme de futurs cham-
pions (Figure 16). Ils vivent à
un rythme qui est déjà celui
d’athlètes de haut niveau,
avec, comme conséquence,
une déscolarisation, une
désocialisation. D’autres pays
pratiquent bien plus systé-
matiquement ce « forcing » :
Figure 16 scolaire, s’interrogent sur les académies chinoises où se
rythmes scolaires, la fatigue préparent les gymnastes ou
Dans certains sports comme la des élèves, etc., toute une les athlètes de demain dans
gymnastique, des enfants très
thématique qui tourne autour une compétition non seule-
jeunes sont préparés comme de
futurs champions. Recherche de l’excès ou du stress. Le ment sportive mais aussi
de la performance parfois au prix monde professionnel, et économique avec le reste du
d’une désocialisation ? notamment celui de l’entre- monde, et en particulier avec
prise, s’interroge aussi sur les États-Unis ; académies
les effets pervers de ce culte des ex-pays de l’Est qui se
du record, de la productivité sont reconverties dans les
exigée de chaque individu sports professionnels, juste-
qui a explosé au milieu des ment comme le tennis. On voit
années 1980, en questionnant poindre un problème majeur,
le stress, le suicide des sala- aussi important que celui du
riés, la dépression nerveuse dopage, celui de la préco-
généralisée. cité des athlètes, de l’exploi-
À la différence de ces milieux, tation des enfants. Au-delà
ceux dans lesquels nous de leur désocialisation et
88 évoluons, le sport de haut de leur déscolarisation déjà
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
évoquées, on assiste à l’assu- assiste à un incroyable essor
jettissement de ces enfants à de l’invention des graphiques,
des fins personnelles, fami- des appareils de mesure, qui
liales, médicales, étatiques, servent à évaluer la force du
qui sont encore celles de la muscle, la rentabilité de l’in-
recherche pervertie de la dividu au travail (Figures 17
performance à tout prix. à 21). Le travail, mais pas
seulement : une autre appli-
4.1.2. La primauté cation importante concernera
de la mesure chiffrée : la performance du gymnaste.
un héritage du XIXe siècle Les études de Marey et de
son collaborateur Georges Figure 17
Le sport de haut niveau Demenÿ servent à la fois l’er- Secousse musculaire. Graphisme
est aujourd’hui l’empire du gonomie professionnelle et selon Marey. Des excitations
chiffre, comme on le voit à l’ergonomie sportive. électriques sont introduites,
travers les émissions, les provoquant des secousses
On ne comprendra pas le enrigistrées sur un cylindre
chaînes dédiées, les jour-
fonctionnement du sport touirnant en hélice.
naux consacrés au sport.
contemporain, et en particu-
On ne cesse de mesurer, de
lier du sport de haut niveau,
calculer, de comparer, d’éva-
si on ne replace pas son
luer, de mettre en statistiques
origine dans cette fascination
la performance sportive. Les
pour la mise en chiffres et en
palmarès dans le sport datent,
statistiques de l’être humain.
nous l’avons vu, du milieu du
Calculer sa normalité, son
XIXe siècle. Le contexte était
anormalité, calculer sa santé,
double : rénovation pédago-
calculer ses pathologies,
gique des collèges anglais,
calculer les marges de l’or-
et c’est bien sûr un ancrage
dinaire et de l’extraordinaire,
important, mais aussi indus-
calculer ce qui va permettre
trialisation et rationalisation
d’optimiser l’espèce, toute
des activités humaines. Cette
cette approche fascine la fin
rationalisation, tout particu-
du XVIIIe et le XIXe siècle. Là
lièrement du travail, a conduit
encore, d’une certaine façon,
à de nouveaux comporte-
s’illustrent sur le terrain
ments, de nouvelles sciences :
expérimental que constitue le
c’est l’époque du travail à la
sport, ces évaluations qui ne
chaîne, de l’invention de l’er-
sont pas exemptes de conno-
gonomie. On évalue le calcul
tations sociales, politiques,
des forces, des muscles, on
racistes, pseudo-anthropo-
cherche à ce que la puissance
logiques, visant à classifier
de travail des ouvriers soit de
les races, à hiérarchiser les
plus en plus élevée et perfor-
races humaines entre elles
mante. À partir de ce que Figure 18
etc. On sait bien que la fin du
mettent en œuvre les scien- Marey utilisait des
XIXe siècle est aussi marquée
tifiques, tel Marey14 , directeur sphygmographes, appareils
par l’usage détourné de ces
de la station physiologique du permettant d’enregistrer l’intensité
statistiques, de cette écono-
Parc des Princes à la char- des battements du pouls.
métrie, sociométrie, crimino-
nière du XIXe et du XXe siècle, on
logie à des fins qui ne sont pas
simplement l’optimisation du
14. Étienne-Jules Marey (1830- travail ou du sport.
1904), est un physiologiste
français, pionnier de la Néanmoins le sport est né là,
photographie et un précurseur du dans cet univers, cet empire
cinéma. du chiffre où tout se calcule, 89
La chimie et le sport

tout se mesure, tout s’évalue,


et aujourd’hui on voit bien
qu’il n’y a pas d’organisation
d’une compétition sportive,
de spectacle sportif, sans ce
cortège incroyable de statis-
tiques, sans ce calcul perma-
nant de qui a fait mieux. Que
qui ? Quand ? Dans quelles
circonstances ? Par rapport
à quoi ? La performance est
sans cesse évaluée et son
moteur est encore une fois
Figure 19 le dépassement du record.
Saut en hauteur, chronophotographie. Sujet Schenkel. Cela fascine le sportif de haut
niveau, le commentaire du
sport de haut niveau, et l’uni-
vers entier semble-t-il.

4.1.3. Une optimisation de tous


les paradigmes. La question
du dopage, mais quel dopage ?
Le corps lui-même devient
corps bolide, prototype, renta-
bilisé, instrumenté, exploité.
Chaque détail est optimisé,
de l’ergonomie de la machine
à celle du mouvement, du
contrôle du poids à celui de la
pilosité, de la préparation en
altitude ou en caisson hyper-
bare à la récupération sous
Figure 20 perfusion, des compléments
Vol du pélican, chronophotographie. Figure 21 alimentaires à la pharma-
Saut à la perche, cologie autorisée, jusqu’aux
chronophotographie, sujet Sandoz. frontières de la psycho-
logie. « Être à la pointe »
signifie souvent « franchir
les limites », les siennes
ou celles humaines suppo-
sées, explorer des territoires
inconnus, ceux de la douleur,
de la performance, du risque
et, dans le cas du dopage,
enfreindre la règle. Trans-
gressions suprêmes.
On peut se poser la question
de la limite de ces phéno-
mènes, ou du processus que
cela engage. Dans une dyna-
mique où le corps sportif du
champion est un corps expé-
90 rimental, il est logique que se
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
profile la question du dopage actuelle ou aux simples ques-
(voir les Chapitres de M.-F. tions d’aujourd’hui, mais à
Grenier-Loustalot et J.-L. toutes ces questions qui se
Veuthey), sans pour autant poseront demain, un dopage
dire que celui-ci est morale- qui serait non plus seulement
ment, légalement, médicale- chimique et pharmacologique
ment légitime. Les frontières mais génétique, prothétique
sont floues, on le sait, entre ou éventuellement animé par
la diététique, le complé- des nanotechnologies.
ment alimentaire, le médi-
cament, la drogue, le produit 4.2. Ambivalences
dopant. Les listes de produits du dépassement de soi
interdits existent, elles sont
parfois détournées ou font 4.2.1. Perspectives historiques
l’objet d’exceptions, néan- et philosophiques sur la notion
moins elles existent et il y a de dépassement de soi
un véritable hiatus sanitaire Quelles perspectives concer-
entre un dopage qui tue et des nant le dépassement de
produits qui amélioreraient soi ? Nous avons vu qu’une
le confort de l’athlète ou sa comparaison entre l’Antiquité
performance sans le rendre et la Modernité s’imposait
malade. Néanmoins, la ques- pour bien comprendre ce que
tion du dopage est une ques- nous vivons actuellement.
tion limite qui poind dès lors Sans doute l’origine des Jeux
que l’on envisage que le sport olympiques se situe-t-elle
de haut niveau est engagé dans l’Antiquité, sans doute
dans un processus de dépas- une vraie culture du corps
sement de soi, son essence et des corps a marqué les
même, et dont la dynamique sociétés antiques grecque
ne peut probablement pas et romaine, sans doute nous
être arrêtée. D’autant qu’il avons beaucoup emprunté à
ne s’agit pas seulement d’un des modèles, à des épreuves
dopage chimique et pharma- qui existaient à cette époque-
cologique tel qu’on le connait là, à des modèles esthétiques
aujourd’hui, mais, peut être qui ont marqué notre histoire
demain, d’un dopage par de l’Art. Cependant, les repré-
manipulation génétique, sentations du monde, si l’on
comme signalé par J.-L. prend les trois paradigmes15
Veuthey. La question des – astronomique, physique et
exosquelettes se pose aussi, médical – sont fondamen-
ainsi que celle de l’usage talement différentes entre
des nanotechnologies, des l’antique et le moderne. Elles
puces électroniques pouvant
éventuellement contrôler des 15. Un paradigme est une
organes du corps humain. Si représentation du monde, une
cela se produisait, une autre manière de voir les choses, un
tonalité serait donnée à la modèle cohérent de vision du
question du dopage et à l’ob- monde qui repose sur une base
jectif de la lutte antidopage. définie (matrice disciplinaire,
modèle théorique ou courant de
Le dopage est une ques-
pensée). C’est en quelque sorte
tion très vaste qui n’est pas un rail de la pensée dont les lois
limitée aux stricts faits ponc- ne doivent pas être confondues
tuels de la lutte antidopage avec celles d’un autre paradigme. 91
La chimie et le sport

est limité, et achevé, et si


le monde est parfait c’est
précisément parce qu’il est
fini, limité, achevé. La Terre
est au centre de l’univers, un
géocentrisme (Figure 22) et
non pas un héliocentrisme
comme nous l’avons adopté,
non sans difficulté, à partir
de Copernic et de la Moder-
nité. Une Terre qui est, dans la
plupart des théories, immo-
bile et plate, ou semi-plate
(Figure 23). Logiquement,
l’homme dans cette repré-
sentation du monde n’in-
carne pas une perspective de
mobilité où il naviguerait,
traverserait en s’appropriant
les territoires, l’ensemble de
l’univers, l’outrepasserait. Il
Figure 22 influent sur des représen- n’a pas une représentation
tations de l’homme qui sont positive de l’infini telle que
Reproduction du système elles-mêmes différentes, nous pouvons l’avoir, puisque
géocentrique de Ptolémée :
sur des représentations de c’est le fini qui prime, et ne
la Terre est au centre de l’univers.
la nature qui sont tout aussi valorise pas, en conséquence,
différentes, et par voie de une représentation qui serait
conséquence sur des repré- transgressive de la nature.
sentations de la nature en L’Antiquité valorise la Nature
nous, c’est-à-dire le corps, comme un Grand Tout au sein
qui sont aussi très différentes. duquel l’individu se positionne
Sur la base de ces trois para- par rapport à des finalités
digmes, on observe que le et une logique qui l’incluent
monde antique, majoritaire- (Figure 24). « Dieu et la Nature
Figure 23 ment, à quelques théories ne font rien en vain » dit Aris-
Dans la plupart des théories dissidentes près, se repré- tote, c’est-à-dire que la nature
antiques, la Terre est immobile sente l’univers comme fini est bien faite et qu’à l’intérieur
et plate, ou semi-plate. et non pas infini. Ce monde de cette nature, l’homme n’a
finalement pour fonction, pour
tâche, pour apprentissage que
de bien s’y inclure et d’être en
accord avec elle. C’est aussi
le sens de la médecine d’Hip-
pocrate : la santé est l’har-
monie, la maladie n’est que
le résultat d’une distorsion
de cet accord avec la nature,
que d’un excès dans le trop ou
dans le trop peu. Un monde
fini, clos, achevé, un monde
au centre duquel sont la Terre
et l’Homme, dans lequel la
92 Nature est une Mère, qu’il
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
est inconcevable de ne pas
respecter et de ne pas servir,
est un univers définitif. On
ne peut pas y imaginer une
dynamique de progrès infini
de l’homme et des activités
humaines, une transgres-
sion de la nature, sa modifi-
cation, sa transformation et
son appropriation. Or ce sont
là justement les valeurs de la
Modernité. Descartes le dit au
début du XVIIe siècle : « Quel est
le but de la physique ? Se rendre
comme maîtres et possesseurs
de la nature ». Le développe-
ment de conceptions de l’uni-
vers à partir du paradigme de
l’infini comme valeur positive
ne peut pas être une repré-
sentation antique ; et par
conséquent cette idée d’une
performance possible à l’in-
fini pour l’homme, pour ses
sciences, pour ses techniques
ne pouvait être, en tant que
valeur dominante, qu’une
et nous sommes en cela les Figure 24
valeur moderne. Certes, dans
héritiers de la Modernité.
l’Antiquité, il y a du dépas- L’Antiquité valorise la Nature
Lorsqu’on travaille sur l’his-
sement de soi, il y a de la comme un Grand Tout au sein
toire ancienne et moderne
performance, il y a de l’ex- duquel l’individu se positionne
des gymnastiques, de l’édu- par rapport à des finalités et une
ploit, mais toujours dans les
cation physique, du sport logique qui l’incluent. Un monde
limites de cette représenta-
et du sport de haut niveau, au centre duquel sont la Terre et
tion astronomique et physique
on voit toujours se croiser l’Homme, dans lequel la Nature est
dans laquelle la nature fait une Mère, qu’il est inconcevable
cette ambivalence inaugurée
loi et dans laquelle l’indi- de ne pas respecter et de ne pas
par l’Antiquité et posée pour
vidu est toujours sommé de servir, est un univers définitif.
nous dans la Modernité entre
bien faire attention à ne pas
mesure et démesure, entre
verser dans l’ubris16 , la déme-
limité et illimité, entre équi-
sure, parce qu’elle n’est pas
libre et déséquilibre. Si nous
une idée-force. Pour nous la
vivons dans le culte de la
démesure, l’exploit, l’illimité
performance, c’est essentiel-
sont devenus des valeurs,
lement aussi parce que c’est
une valeur moderne et fonda-
16. L’ubris, aussi écrit hybris, est mentalement moderne.
une notion grecque que l’on peut
traduire par « démesure » et
qui correspond à un sentiment 4.2.2. Entre « bien »
violent inspiré par les passions et « mieux » : ambivalence
et plus particulièrement, par de l’excellence corporelle
l’orgueil. Les Grecs lui opposaient
la tempérance, ou modération. Historiquement et intrin-
Dans la Grèce Antique, l’ubris sèquement, la dynamique
était considérée comme un crime. de l’effort physique est 93
La chimie et le sport

marquée par cette ambiva- comme un oxymore, l’idée


lence entre le « bien » et le d’un « corps rationnel ». Le
« mieux », le « bien-être » corps rationnalisé est produit
et le « mieux-être », la santé à toutes les étapes de l’exis-
et la performance. Ce n’est tence, de la procréation médi-
pas simplement le point de calement assistée jusqu’au
vue du sportif de haut niveau grand âge dont on va réper-
mais aussi celui du sportif torier, classifier, soigner les
ordinaire, qui fait du sport maladies. Toutes les étapes
pour s’entretenir mais qui, en de la vie, de la naissance à la
même temps, a les yeux rivés mort, passent par l’entretien
sur les écrans de contrôle qui de soi, la médecine, le soin, la
lui permettent de vérifier qu’il chirurgie, le sport. Ainsi nous
a fait « mieux que la veille et voilà dans cette perspective
que l’avant-veille », etc. Même nouvelle d’une production
le sportif ordinaire est habité, du corps et de l’idée ou du
animé par cette dynamique, fantasme d’un corps désor-
jusqu’à la confusion, observée mais « rationnel ».
d’ailleurs dans la publicité,
notamment la publicité pour 4.3.2. Le sport de haut niveau :
l’alimentation qui confond l’« esprit du capitalisme »
toujours le « bien-être » et le appliqué au corps
« mieux-être ». Aujourd’hui Cette idée de rationalité nous
nous ne devrions manger et ramène, bien sûr, au XIXe siècle.
consommer des aliments Elle nous renvoie à l’ouvrage
essentiellement que pour de Max Weber L’Éthique protes-
être « mieux », pour être plus tante et l’esprit du capitalisme,
performant, pour avoir une c’est-à-dire à une sorte d’as-
forme optimisée dans notre cèse bien particulière qui a
vie quotidienne (voir l’ouvrage envahi le XIXe siècle et qui était
La chimie et l’alimentation, pour liée à l’économie.
le bien-être de l’homme17 ).
Un capitalisme appliqué au
corps ou appliqué au sport
4.3. La notion de corps
doit être envisagé sous deux
« rationnel »
angles : le premier est un
aspect bien connu, stricte-
4.3.1. Une révolution
ment économique ; le capita-
du XXIe siècle : produire le corps
lisme s’est emparé du sport
Comme évoqué précé- de haut niveau, aujourd’hui
demment, la révolution du une valeur marchande. Les
XXIe siècle correspond à cette sportifs sont des produits,
croyance dans la capacité à avec des produits dérivés
produire le corps qui, pour la et toute l’économie qui en
première fois, fait émerger découle, avec des différences
ce qui pourrait paraître évidentes selon les sports et
les niveaux de pratique, Le
deuxième sens de ce capita-
17. La Chimie et l’alimentation, lisme appliqué au corps, c’est
pour le bien-être de l’homme.
l’idée nouvelle que le corps
Coordonnée par Minh-Thu Dinh-
Audouin, Rose Agnès Jacquesy, est un capital, notre capital,
Danièle Olivier, Paul Rigny, EDP dont nous sommes comptable
94 Sciences, 2010. et c’est une idée nouvelle que
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
d’envisager le corps comme voir, avec ce relent de culpabi-
un destin, le corps comme un lité évoqué plus haut…
espoir. C’est véritablement
incroyable, alors que pendant 4.3.3. Le corps technicisé du
des siècles nous avons consi- champion sportif et notre corps
déré que nous étions péris- Le corps technicisé du cham-
sables par le corps. Mais il pion sportif est un exemple qui
faut rappeler que dans la pose une question fondamen-
deuxième moitié du XXe siècle, tale : sommes-nous tous déjà
nous avons perdu ce que l’on hybridés à la technique, par
appelle les grandes trans- l’usage courant voire addictif
cendances, c’est-à-dire ces de tous ces objets techniques
grandes idéologies politiques qui nous environnent et font
et religieuses qui conduisaient notre quotidien (voiture,
autrefois les individus, qui les oreillettes, ordinateur…),
fédéraient en communautés ou le seront-nous demain ?
et qui surtout leur donnaient la Sommes-nous tous appelés à
perspective d’un « ailleurs » – le devenir (implants, patchs,
une vie meilleure après dans puces électroniques, exos-
la religion chrétienne, une vie quelettes) ?
meilleure après dans la repré- Quel est et quel sera à l’avenir,
sentation politique commu- le statut de l’exosquelette, de la
niste par exemple. Au-delà prothèse dans la performance
de la vie d’aujourd’hui, une sportive, dans la performance
vie meilleure se profilait corporelle ? Le corps handi-
toujours. Ces grandes idéo- capé de demain sera-t-il celui
logies se sont effondrées et, qui n’aura pas ces prothèses,
avec cet effondrement, ont ces augmentations ? Comment
émergé un matérialisme et penser les performances
un individualisme croissants. Figure 25
avec exosquelettes quand
Ils se conjuguent aujourd’hui elles dépasseront celles des Combinaison de natation ou
pour nous convaincre que sportifs « valides » ? Dopage, l’homme à peau de requin : fusion
consubstantielle du corps avec
c’est dans notre corps et dans pas dopage ? Handicap ou
l’artifice technique.
notre santé, c’est-à-dire ici et « avantage » ? Quelles sont
maintenant, dans un quotidien les formes futures de la
et un avenir terrestres, qu’il performance humaine ? Dans
nous faut investir. Le corps l’exemple des combinaisons
est notre « capital » parce que de natation en polyuréthane
nous sommes dans une sorte en 2009 (voir les Chapitres
de perte de sens au sein de de D. Masseglia, F. Roland et
laquelle l’investissement dans J.-F. Toussaint), il y a eu tout
la « forme », dans la santé, un débat, une polémique qui
dans le bien-être immédiat illustrait cette fusion consubs-
est devenu un enjeu majeur. tantielle du corps sportif avec
Un slogan récent de la lutte la technique (Figure 25).
contre l’alcoolisme disait : Il est erroné de croire qu’il y a
« Votre corps se souvient de d’un côté un sport « naturel »
tout ». La mémoire était ainsi et de l’autre un sport « arti-
attribuée au corps, voilà qu’il ficiel ». Le sport est artifice
était un capital sur lequel il depuis son origine : les stades,
fallait investir et ne pas déce- les piscines, les chaussures, 95
La chimie et le sport

les ballons, les skis, les vélos que d’autres peuvent télécom-
sont des artifices, et on avait mander (Encart : « Sterlac,
là un exemple de dépasse- l’homme hydridé »). Il a trouvé
ment de cet artifice dans le moyen de se connecter
une thématique qui a créé la avec une grande variété d’ap-
polémique et qui a évidem- pareils techniques de façon à
ment flirté avec la question du produire des sons, à enregis-
dopage et son extension à la trer les mouvements de son
notion de dopage mécanique, corps, à produire une sorte
électronique, etc. de musique, de langage pour
Si l’art est intuition du futur, les communiquer avec l’extérieur
réalisations de l’artiste Sterlac à partir des mouvements
sont-elles prémonitoires ? Il et des sons internes de son
s’est greffé un troisième bras corps.

STERLAC, L’HOMME HYBRIDÉ


Sterlac est debout, son corps est bardé d’électrodes, et il est rattaché aux machines par une
série de câbles derrière lui. Il est équipé suivant les performances d’un système pour ampli-
fier son corps, d’yeux lasers, d’une troisième main robotique. Les battements de son cœur,
amplifiés au moyen d’un moniteur électrocardiogramme, marque la mesure à coups sourds
et réguliers. L’ouverture et la fermeture des valves, l’aspiration et la projection du sang sont
captées par des convertisseurs Doppler à ultrasons, qui lui permettent de « jouer » de son
corps. Par exemple, un convertisseur est fixé à son poignet. « Quand je comprime l’artère radiale,
le son passe de l’écoulement répétitif au cliquetis à mesure que le sang est bloqué, puis à un défer-
lement de son quand le poignet se relâche ». Un convertisseur d’angle cinétique transforme le
mouvement de son genou qui se plie en une avalanche de sons ; un microphone placé sur le
larynx capte la déglutition et autres bruits de gorge ; un pléthysmographe amplifie le pouls d’un
doigt. De temps à autre, une mélopée électronique traverse la pièce. Elle est produite par des
synthétiseurs analogiques déclenchés par les « voltages de contrôle » des signaux électriques
modulés par le rythme cardiaque, la tension musculaire et les ondes cérébrales de l’artiste,
qui sont transcrits sous forme de « courbes électroencéphalographiques » (Figure 26).

Figure 26
Sterlac est rattaché aux machines
par une série de câbles.
96
La fabrique des surhommes :
corps entraîné, corps dopé, corps augmenté
Le dépassement de soi, une question
qui nous dépasse et inquiète ?
Le dopage sportif apparaît comme la partie
émergée d’un iceberg social où la « conduite
dopante » se généralise. Produits alimentaires
« enrichis en… », alicaments, compléments
alimentaires, médicaments détournés vers des
usages sociaux – Prozac®, Viagra®, hormone
de jeunesse DHEA, Ritaline® –, la dépendance
psychologique à l’idée que la performance
quotidienne dépend d’une consommation est
riche d’interrogations :
- sur le développement des addictions dans
une société médicalisée ;
- sur la fragile frontière entre le « normal
et le pathologique », si une existence entière
et « socialement intégrée » se déroule
sous médicaments, par exemple des
antidépresseurs ;
- sur la perméabilité du corps humain aux
nouveaux artifices chimiques et technologiques
susceptibles d’améliorer la performance.
Du bien-être à la performance, de l’entretien de
soi au refus de vieillir, de la sculpture du corps
à l’expérimentation des limites, on voit à quel
point le thème sportif de l’amélioration est bien
la figure de proue d’un thème social.
Notre première interrogation concerne cette
société qui vit déjà, presque naturellement,
non dans le dopage, mais dans une « attitude
dopante ». Notre propension à consommer
systématiquement, voire compulsivement,
des produits dont on nous dit qu’ils sont bons
pour nous, pour être en forme, des choses très
simples et anodines à des choses qui le sont
moins.
Deuxième axe de questionnement : quelles sont
les limites du corps humain et y a-t-il encore 97
La chimie et le sport

une nature humaine sur laquelle nous allons


pouvoir nous arrêter pour définir des limites à
la technicisation du corps ? C’est le paradoxe
du bateau de Thésée que raconte Plutarque.
Thésée répare son bateau et en change toutes
les pièces. Est-ce qu’à la fin c’est encore le
même bateau ? Est-il un autre ?
Oserons-nous comparer l’apoptose biologique,
mort programmée des cellules, qui permet la vie
des organismes vivants et notamment de l’être
humain, et une possible apoptose technique ou
technologique qui serait la programmation de ce
remplacement permanent des organes qui nous
composent et qui peuvent être ou deviendront
pour l’essentiel des objets techniques, des
artifices ? Le champ des questionnements est
immense et le sport, en particulier le sport de
haut niveau, l’illustre de façon spectaculaire et
parfois inquiétante.

Pour en savoir plus :

- Queval I. (2004). S’accomplir ou se dépasser, essai sur le sport


contemporain. Bibliothèque des sciences humaines, Paris,
Gallimard.
- Queval I. (2008). Le corps aujourd’hui. Folio Essais, Paris,
Gallimard.
- Queval I. (2009). Le sport - Petit abécédaire philosophique.
Philosopher, Paris, Larousse.

98
Technologie et performance sportive
D’après la conférence de Denis Masseglia
Technologie
et performance
sportive
Denis Masseglia a été profes- certaines questions doivent
seur agrégé de sciences rester présentes à l’es-
physiques, International et prit : la priorité est-elle bien
champion de France d’aviron donnée à l’intérêt de l’athlète
(1969, 1970 et 1974), et prési- et son intégrité sera-t-elle
dent de la Fédération française préservée ? La technologie
des sociétés d’aviron (FFSA) de est-elle sans faille, sans
1989 à 2001. Depuis mai 2009, faiblesse ? Accorde-t-elle
il est le président du Comité suffisamment de garantie à
national olympique et sportif l’athlète pour qu’il puisse s’y
français (CNOSF). fier sans réticence ? Aide-t-
Dans une compétition spor- elle réellement la discipline
tive, la performance dépend de sportive tout en veillant à ne
trois paramètres : physique, pas la dénaturer ? Ne crée-
technique et psychologique. t-on pas de l’inégalité dans la
Dans un contexte international réalisation à la performance ?
de plus en plus exigeant, où la Selon la discipline, l’impact
victoire se joue au moindre d’un changement technolo-
détail, il est nécessaire d’op- gique ne sera pas le même :
timiser chacun de ces trois pour certains sports dits à
paramètres. La techno- matériel, il existe une culture
logie a un rôle à jouer : elle liée à leur importance, les
contribue surtout à l’amélio- athlètes s’y soumettent
ration du matériel sportif avec presque naturellement ;
des progrès remarquables pour d’autres, une révolution
ces dernières années grâce technologique pourrait être
aux sciences physiques et ressentie comme une intru-
chimiques, comme en témoi- sion et exigerait un effort
gnent les nombreux exemples d’adaptation du sportif, dans
décrits dans l’ouvrage La ses gestes, comme dans sa
chimie et le sport. préparation psychologique.
Dès lors que la technologie La technologie est également
se mêle du sport, en particu- liée à l’aspect spectaculaire
lier du sport de haut niveau, de la discipline, exigence
La chimie et le sport

nouvelle avec la médiatisa- significative, voire détermi-


tion, parce que non seulement nante. Que signifient des
ce n’est pas tout à fait le même records accomplis avec des
geste et ce n’est pas tout à technologies complètement
fait le même intérêt pour le différentes ? Si l’apport de la
spectateur de regarder un technologie dans la perfor-
saut effectué avec une perche mance sportive est indéniable,
rigide plutôt qu’avec une il n’en demeure pas moins
perche souple. C’est aussi le que son utilisation n’est pas
« spectacle » qui attirera les si simple qu’il n’y paraît au
sponsors, qui permettra d’at- premier abord, notamment
tirer des jeunes vers telle ou sur le plan psychologique, et
telle discipline. qu’elle se complexifie au fur
Nous sommes dans un et à mesure que la pression
contexte où la technologie sur l’athlète augmente.
repousse les limites de
l’humain et lui permet de
progresser sur le simple
plan de la référence à soi-
1 La technologie
au service du sport
même. C’est la volonté de se
1.1. Objectif qualité
surpasser, celle de vaincre
et sécurité
qui peut être décisive. Mais
Figure 1 dans des conditions où l’on Que cherche-t-on à améliorer
La qualité et la sécurité
compare ce qui est compa- dans le sport par un change-
des équipements sportifs sont rable. La question mérite ment technologique ? Quels
des caractéristiques essentielles d’être posée quand la part du objectifs essentiels doit
que doit garantir la technologie. matériel revêt une importance atteindre la recherche scien-
tifique en termes d’adaptation
à l’être humain, l’athlète ? Il
est souhaitable de viser en
premier lieu la qualité et la
sécurité.
Afin de garantir à la fois
qualité et sécurité, le maté-
riel sportif est soumis à
divers tests permettant d’en
connaître les caractéristiques
et surtout les limites, de façon
à éviter tout danger pour l’ath-
lète, surtout dans les sports
à risque ; on pense en parti-
culier aux sports de vitesse,
Formule 1, motocross, luge,
roller skating… (Figure 1). On
ne peut oublier le dramatique
décès du lugeur géorgien
Nodar Kumaritashvili lors des
Jeux olympiques d’hiver de
Vancouver en 2010, victime
d’une sortie de piste lors d’un
entraînement et décédé des
100 suites de ses blessures.
Technologie et performance sportive
Le confort apporté à l’ath-
lète, qui conditionne partiel-
lement les deux autres
critères, complète le cahier
des charges. Un guidon de
triathlète adapté à un vélo de
course est une innovation qui,
sur le plan morphologique, est
plus adapté à l’effort, permet
de soulager le dos de l’athlète,
favorise un effort prolongé et
permet de gagner quelques
précieuses secondes (voir le
paragraphe 2.2.1).

1.1.1. Les casques


de protection
1.2. La technologie Figure 2
Dans de nombreuses disci- pour optimiser
plines, le cyclisme en est un la performance propre Dans de nombreuses disciplines où
exemple, il est indispensable l’on n’est pas à l’abri d’une chute,
du sportif le port du casque, indispensable,
de protéger la tête du partici-
pant, car une chute, fréquente Un autre type de technologie, est devenu obligatoire.
dans ce sport, peut avoir des la vidéo, peut être un outil effi-
conséquences fatales. Il s’agit cace pour aider les athlètes à
de concevoir et fabriquer des s’améliorer, en décomposant
casques permettant à la fois leurs gestes image par image.
de gérer l’effort de l’athlète Dans le tir à l’arc, en décom-
et son confort (en prenant en posant le mouvement d’une
compte la transpiration par flèche tirée par un archer, on
exemple) (Figure 2). s’aperçoit que c’est un véri-
table « spaghetti » qui décrit
1.1.2. Les masques une trajectoire invisible à l’œil
transparents en escrime nu, lequel est incapable de
séparer et analyser des images
En escrime, les athlètes
qui se succèdent si rapide-
portent un masque pour se
ment. Sur cette base, l’athlète
protéger des coups de fleuret.
peut étudier le parcours de
On a récemment souhaité
la flèche, comprendre le lien
que ce masque réponde aussi
entre son mouvement initial
à un autre besoin, celui de
et ce parcours, corriger un
permettre aux spectateurs de
certain nombre d’éléments
scruter le visage des acteurs,
y lire l’effort, la concentration dont l’impulsion qu’il donne à
la volonté de gagner ! Pour la flèche, le degré de tension
assurer le spectacle, on a donc de l’arc, sa propre position.
conçu le masque transparent, Ces corrections seront inté-
en veillant à éviter la forma- grées jusqu’à devenir un
tion de buée et en s’assurant automatisme, une sorte de tir
que l’athlète soit aussi à l’aise instinctif, plus rapide que la
avec un masque transparent pensée consciente et la trans-
qu’avec le masque grillagé mission de l’influx nerveux.
traditionnel par un contrôle Dans l’aviron, un « bateau-
systématique en situation. laboratoire » a été construit, 101
La chimie et le sport

sur lequel ont été disposés d’élan qui diffère, il doit


des capteurs sur les dames s’élancer en l’air en déployant
de nage, ces objets servant de la puissance dans les bras
à fixer les rames et jouant le pour contenir l’impact violent
rôle de pivot. Les capteurs de la torsion de la perche au
renseignent sur la relation moment où celle-ci tape dans
entre la pression exercée et le butoir. Le saut en devient
la position de l’aviron, ce qui plus spectaculaire qu’avec
Figure 3 permet à l’athlète de mesurer une perche rigide et l’on se
Un bon équilibre dans une équipe l’impact de son geste lorsqu’il rapproche davantage d’une
est essentiel pour la victoire. rame car, même si on a discipline de type gymnas-
parfois l’impression que le tique, alors qu’initialement la
bateau avance tout seul, c’est course d’élan et la position
l’effort du rameur, donc l’ef- en l’air caractérisaient davan-
ficacité de son geste, qui est tage les qualités propres des
moteur. On peut alors définir premiers athlètes. Il est donc
la composition idéale d’une indéniable que la technologie
équipe d’aviron, parfaitement a influencé l’évolution du
équilibrée, c’est-à-dire asso- saut à la perche et les perfor-
ciant des coéquipiers ayant mances des athlètes.
les mêmes capacités, les
mêmes spécificités (Figure 3). 2.2. Quand la technologie
Dans ce contexte, la techno- peut faire la différence
logie apporte donc une aide
2.2.1. Sur le plan matériel
précieuse pour optimiser les
performances. La technologie peut-elle
faire la différence entre deux

2 La technologie
fait-elle le sport ?
athlètes ? De nombreux sports
tels que la voile, le sport auto-
mobile, le sport motocycliste
2.1. Quand l’évolution et le cyclisme font appel à
d’un matériel fait évoluer du matériel de plus en plus
une discipline sportive élaboré. Et la technologie peut
changer fondamentalement la
Comment l’évolution d’un
donne...
matériel peut-elle avoir une
incidence sur celle d’un geste Dans la pratique de la voile, les
technique, voire d’une disci- qualités du marin et de l’équi-
pline entière ? Le saut à la page sont d’une importance
perche illustre bien ce phéno- capitale, comme en témoigne
mène : on assiste au passage l’exploit du navigateur fran-
d’une perche d’abord en bois à çais Michel Desjoyeaux au
la fin du XIXe siècle, en bambou dernier Vendée Globe 2008-
au début du XXe siècle, deve- 2009 (Figure 4), lorsqu’il a
nant ensuite aluminium dans su remonter un handicap
les années 1940, avant d’être conséquent et devancer ses
en fibre de verre depuis les concurrents de manière spec-
années 1960 (notons que le taculaire. Mais il arrive que
tapis de chute en mousse est la différence se joue sur la
apparu à cette période). Ces technologie des voiliers, pour
nouvelles matières ne deman- lesquels on paye des prix très
dent pas les mêmes qualités à élevés. L’industrie nautique
102 l’athlète : en plus de la course s’efforce aussi de répondre
Technologie et performance sportive
Océan
Atlantique Océan
Pacifique

Océan
Pacifique Océan
Indien

Cap de Bonne-Espértance
Cap Aguthas

Cap-Horn

aux besoins des compéti- pas dénuée d’ambiguïté à Figure 4


teurs, qui ne sont pas à l’abri l’époque et l’est toujours.
de nombreux aléas tels que la L’évolution du matériel, qui a En tête sur son bateau Foncia,
Michel Desjoyeaux signe
météo changeante, auxquels profité ce jour-là à un athlète,
le premier doublé jamais réalisé
il faut pouvoir s’adapter. a-t-elle profité aux athlètes, dans cette course autour du monde
Dans le cyclisme, rappe- au sport, ou peut-être à des en solitaire et sans escale.
lons-nous d’un final de Tour fabricants de matériels qui À droite, le parcours du Vendée
de France entre le français ont pu développer par la suite Globe 2008-2009.
Laurent Fignon et l’américain d’autres concepts ? Dans ce
Greg LeMond (Figure 5) en cas particulier, comme nous
1986 où, à la surprise géné- l’avons évoqué précédem-
rale, un « guidon de triath- ment, le guidon de triathlète
lète » a fait son apparition au contribue à l’amélioration du
dernier moment. Il s’agit d’un confort du coureur, en dimi-
prolongateur ajouté au guidon nuant l’effort nécessaire : il
qui permet de gagner en s’agit d’un progrès indéniable,
vitesse pour une même puis- une des innovations les plus
sance musculaire développée, utilisées aujourd’hui dans le
grâce à un meilleur aéro- cyclisme.
dynamisme de l’ensemble
machine-athlète. L’idée d’une 2.2.2. Sur le plan
évolution technologique n’est psychologique
pas contestable en soi, mais Une différence technologique Figure 5
peut-on autoriser au dernier pose aussi un problème sur Greg LeMond a remporté à trois
moment une amélioration le plan psychologique. Celui reprises le Tour de France en 1986,
technique susceptible d’avan- qui pense avoir un maté- 1989 et 1990 et deux fois le titre
tager un coureur par rapport riel moins performant que mondial sur route en 1983 et 1989.
aux autres ? Le vainqueur son concurrent abordera la
était-il bien le meilleur ou compétition en position d’in-
plutôt celui qui avait astu- fériorité et sa concentration
cieusement, et secrètement, avant l’effort risque d’en être
amélioré son équipement ? amoindrie. Dans le cas de la
Est-ce l’homme ou le matériel Formule 1, on peut effective-
qui a fait la différence ? Nous ment se demander si la diffé-
devons nous poser cette ques- rence de performance est liée
tion, dont la réponse n’était plutôt au pilote ou à la voiture. 103
La chimie et le sport

calculée au millimètre… La
position du skieur est égale-
ment étudiée pour optimiser
sa vitesse et les innovations
techniques ont progressi-
vement modifié le style des
skieurs. Il est essentiel qu’une
évolution technologique s’in-
tègre harmonieusement dans
l’évolution de la pratique
d’une discipline sportive,
Il est intéressant de comparer sans discontinuité brutale. Le
Figure 6
les performances de deux Chapitre de N. Puget aborde
À gauche, Jean-Claude Killy, triple pilotes d’une même écurie. en détail l’élaboration des
médaillé d’or aux Jeux olympiques matériaux pour la fabrication
On s’aperçoit que souvent,
de Grenoble en 1968 :
l’un des deux est meilleur que des skis.
à la descente, au slalom et au
slalom géant. À droite, Bode l’autre et la plupart du temps, Qu’en est-il du tennis ?
Miller aux Jeux olympiques 2006 c’est celui qui semble le plus Au-delà de la quantité et de
(épreuve du slalom géant). apte psychologiquement à la qualité de l’entraînement
démontrer sa capacité à être le et des efforts fournis par les
meilleur. Et celui qui pilote une joueurs, la différence se joue
voiture qui met régulièrement essentiellement sur la durée,
une ou deux secondes de plus et donc sur l’endurance : le
au tour sera peut-être tenté matériel facilite la gestion
de prendre des risques incon- des matchs de longue durée,
sidérés pour lui-même et pour se succédant sur quinze jours
ses concurrents, espérant dans un tournoi du Grand
compenser le handicap de sa Chelem (Figure 7). Et cela
monture par des moyens criti- peut se répéter plus d’une fois
quables… (voir par exemple le dans l’année. Pour résister à
Chapitre de J.-L. Veuthey). un rythme aussi soutenu, la
technologie portant sur l’équi-
2.3. Quand la différence pement (raquette, cordage,
se fait sur la durée balles, chaussures,…) permet
de mieux aborder cette
Dans le ski, les matériaux ont
exigence particulière qui
beaucoup évolué, comme on
caractérise les joueurs de
peut s’en rendre compte en
tennis, sollicités d’un bout à
comparant des images des
l’autre de l’année.
Jeux olympiques d’hiver de
Grenoble en 1968, avec le triple De nombreux sports, ainsi
médaillé d’or français Jean- caractérisés par l’usage
Claude Killy, et des images d’un équipement spécifique,
de Jeux d’hiver plus récents évoluent avec la technologie
(Figure 6). Actuellement, qui améliorera la perfor-
les combinaisons permet- mance du sportif.
tent aux skieurs d’optimiser
leur pénétration dans l’air ;
les skis sont plus qu’affûtés, 3 Quand la technologie
mène à des dérives
les casques sont profilés, les La technologie apporte des
bâtons ne sont pas faits d’une progrès incontestables dans
ligne droite mais avec une la pratique du sport, mais
104 forme légèrement recourbée, il faut garder à l’esprit de
Technologie et performance sportive
A B

C D

toujours situer l’athlète au


centre des préoccupations, Figure 7
et ne pas laisser place aux E Les tournois du Grand Chelem
dérives. Un certain nombre de sont les quatre tournois majeurs
règles doit donc être respecté. du calendrier professionnel des
joueurs de tennis : Open d’Australie
3.1. Quand la technologie (A), Internationaux de France de
peut menacer l’équité Roland-Garros (B), Tournoi de
Wimbledon (C), et US Open (D).
Dans le sport, il est primordial Chaque tournoi se déroule sur
de veiller à une certaine forme deux semaines, et les joueuses et
d’équité. C’est ce qu’a su faire joueurs s’affrontent tous les deux
respecter la Fédération inter- jours. E : Roger Federer, champion
nationale des sociétés d’aviron à Roland-Garros en 2009. Le n°1
(FISA) dans cette discipline. mondial de 2004 à 2009 a réalisé
l’exploit, unique dans l’histoire du
Elle a en effet contribué à tennis, de gagner cinq fois de suite
limiter une certaine « course deux tournois du Grand Chelem.
à l’armement », où l’on
pouvait tout à fait imaginer
les bateaux du futur consti-
tués de matériaux de plus
en plus complexes, avec des
coûts grimpant sans limite.
Aujourd’hui, ils sont déjà fabri-
qués en fibres de carbone, un
matériau très résistant du fait
de sa composition en fibres
très fines (d’une dizaine de 105
La chimie et le sport

micromètres de diamètre), Le « dopage technologique »,


agglomérées dans des cris- peut, à l’instar du dopage
taux microscopiques alignés chimique (voir les Chapitres
le long de la fibre, contri- de M.-F. Grenier-Loustalot et
buant ainsi à cette résistance de J.-L. Veuthey), devenir un
exceptionnelle. Et pourquoi ne fléau, quand en associant à la
pas envisager d’ajouter des haute performance à toutes
portants en titane, un maté- sortes de forme de dopage, on
riau non seulement résistant finira par douter de la valeur
mais léger, ou toute autre de la performance de tous et
technologie de plus haut coût ? de chacun.
Jusqu’où est-on prêt à aller S’assurer que la technologie
pour battre des records ? Doit- ne prend pas le pas sur la
on, par exemple, chercher à performance de l’athlète,
abaisser à 60 kilos le poids c’est aussi lui assurer l’accès
d’un bateau pour huit rameurs, à ce qu’il recherche à travers
alors que la limite imposée par la compétition, à savoir se
le règlement est de 80 kilos ? réaliser, emmagasiner un
Cela impliquerait le dévelop- certain nombre d’émotions,
pement d’une recherche pour se construire à travers sa
Figure 8 assurer le lien entre la légè- capacité à se prouver qu’il a
reté et la nécessaire rigidité été capable de se dépasser,
Lors des Jeux olympiques de du bateau, entraînant un coût
Pékin en 2008, le nageur français en toute loyauté, et qu’il a pu
exceptionnel. Et surtout, cela gagner par son propre travail,
Alain Bernard (ici à l’arrivée du
100 mètres nage libre où il bat se traduirait obligatoirement par son propre talent. Ce qui
le record du monde) avait utilisé par un handicap pour le déve- est bien plus valorisant que
une combinaison en polyuréthane. loppement et l’universalité de gagner du fait d’un maté-
C’est dans les années 1990 qu’ont de la discipline. C’est ce qu’a riel meilleur que celui de son
été introduites les premières défendu la FISA pour préserver
combinaisons, remplaçant
adversaire.
l’équité dans l’aviron. Il s’agit
progressivement les maillots
de bain. L’idée est de reproduire
d’une valeur fondamentale, 3.2. Quand on risque
les caractéristiques de la peau applicable à toutes disciplines de dénaturer un sport
d’animaux aquatiques tels que le sportives, afin d’en assurer un
développement pérenne. Peut-on en arriver à déna-
requin.
turer une discipline sportive
du fait d’un apport techno-
logique ? Le cas des combi-
naisons en polyuréthane,
introduites en natation en
2008, soulève depuis peu ce
problème (Figure 8). Fabien
Gilot, un des membres du
relais 4 x 100 de l’équipe de
France lors des championnats
du monde de natation à Rome
en 2008, confiait : « Je suis
quelqu’un de plutôt longiligne,
pas forcément avec de grandes
épaules et ni de gros bras.
Avant, j’arrivais à glisser dans
l’eau ; maintenant, la combi-
naison me porte. Le paramètre
106 puissance a pris le dessus sur
Technologie et performance sportive
le paramètre glisse ». Quand jectif était de restituer une
on examine le contexte actuel partie de l’énergie, a été
de la natation, cette discipline évoquée. Si tous les profes-
est plus que jamais média- sionnels bénéficiaient de cette
tisée, et l’introduction des avancée en même temps, les
nouvelles combinaisons a compétitions aboutiraient
créé beaucoup d’interroga- probablement à un classement
tions. En améliorant considé- peu différent du classement
rablement les performances ATP18 actuel. Les chercheurs
des nageurs, elle a boule- ne sont pas en cause lorsqu’ils
versé toute une discipline : découvrent de nouvelles molé-
depuis les Jeux olympiques cules, de nouveaux matériaux,
de Pékin en 2008, plus d’une de nouvelles applications à des
centaine de records du monde concepts connus… Pour toutes
ont été battus. Après avoir les innovations qui peuvent
initialement validé tous ces bouleverser la performance
records, la Fédération inter- sportive, pour toutes les évolu-
nationale de natation (FINA), tions technologiques impor-
réunie, en juillet 2009 à Rome, tantes, pourquoi ne pas prévoir
a fini par interdire son utili- des périodes d’essai à l’issue
sation à partir de 2010 : « La desquelles la réglementation,
FINA tient à rappeler que la le législateur auront à choisir
natation est un sport dont entre l’accepter, la moduler ou
l’essence est la performance la refuser.
physique du sportif, le prin- Enfin, on ne peut nier
cipe le plus fondamental », que les contrats publici-
indique le préambule de la taires passés avec certains
charte établie. Qu’apporte athlètes, les plus connus et
finalement cette combinaison les plus médiatiques, consti-
extraordinaire, inspirée de tuent une locomotive pour
la peau de requin, nécessi- un marché destiné au plus
tant un bon quart d’heure à grand nombre. Le marché le
revêtir ou à enlever, et avec de plus spectaculaire est peut-
l’aide, au sport de haut niveau être celui de la chaussure
et à la natation en général ? de « running », parce que
Le Chapitre de J.-F. Toussaint le sport le plus pratiqué par
étudie la question et donne tout le monde est la course
des éléments de réponse… à pied (Figure 9). Ce sont les
L’enjeu pour le sport et le innovations techniques qui
sport français en particu- alimenteront le renouvelle- Figure 9
lier est de fédérer toutes les ment de ce marché, lui aussi
hautement compétitif ! La course à pied est le sport
pratiques, de faire le lien le plus pratiqué au monde.
entre la pratique de masse Le marché des chaussures
et la pratique de haut niveau, de course est immense.
entre le sport amateur et le
18. L’ATP (Association of Tennis
sport professionnel, et de Professionals) a été créée en
promouvoir l’éthique de l’ef- 1972 par des joueurs de tennis
fort individuel, y compris dans professionnels. En 1973 elle
les jeux d’équipe. met en place le classement des
joueurs professionnels, souvent
L’utilisation de quartz piézoé- nommé Classement ATP. Son
lectrique au milieu de la équivalent féminin est la Women’s
raquette de tennis, dont l’ob- Tennis Association (WTA). 107
La chimie et le sport

l’arrivée montrait toute la


4 La technologie
ne remplace pas
le mental du sportif
rage de vaincre d’un athlète,
qu’on peut qualifier de cham-
pion d’exception. C’est peut-
Finalement, la technologie être là aussi que l’exception
fait-elle toute la différence ? va le mieux aux champions,
Comme nous l’évoquions celui qui a été capable non
précédemment, elle peut seulement de se sublimer
aider psychologiquement mais d’arriver à compenser
l’athlète qui se sait bien un handicap technologique
équipé, au même niveau que indéniable, puisque tout le
ceux à qui il va se confronter monde le reconnaissait et que
(paragraphe 2.2.1) et ne la preuve en était faite, chro-
se sent donc pas en situa- nomètre en main.
tion d’infériorité. À partir du La haute compétition exige
moment où la confiance, en de ses athlètes une véritable
soi et en son équipement, est abnégation. Indépendam-
au rendez-vous, elle peut faire ment de la question du temps
la différence. Mais la diffé- à accorder à l’entraînement,
rence est surtout ailleurs : car s’investir cinq à six heures
c’est celui dont la volonté est par jour n’est pas à la portée
la plus forte, qui sait le mieux de tout un chacun ! Ceux qui
doser son effort et dominer sa ont une compétition tous les
fatigue, contrôler son geste dimanches, comme dans le
technique jusqu’à la fin de football ou le rugby, ont la
l’épreuve ; c’est celui dont le récompense du plaisir régu-
cerveau saura exiger de ses lièrement renouvelé, car la
bras et ses jambes d’obéir compétition est d’abord un
le plus longtemps possible, plaisir. Mais ceux qui ont des
sans faille ; c’est celui qui compétitions trois, quatre
saura sortir le maximum de ou cinq fois seulement dans
ses capacités le jour J, à l’ins- l’année, ceux dont l’objectif
tant t, qui finalement gagnera. est annuel, voire tous les
Ainsi, pour les athlètes qui quatre ans, comment les
ne disposeraient pas de la qualifier ? Comment décrire
dernière technologie contrai- leur passion ? Ne sont-ils
rement à leurs adversaires, pas des exemples pour les
peut-être n’y a-t-il pas vrai- plus jeunes, pour ceux qui
ment lieu d’être perturbé, pratiquent le sport pour se
peut-être seront-ils capables maintenir en bonne santé, en
Figure 10 de se sublimer et vaincre bonne forme ? Pourquoi systé-
Michael Phelps sur la partie en
malgré toutes les innovations. matiquement les affaiblir en
brasse d’un 400 mètres, 4 nages, Le nageur américain Michael mettant en doute leur probité ?
aux Jeux olympiques de Pékin en Phelps (Figure 10) nous en Le dopage (voir les Chapitres
2008. donne l’exemple : sur le de M.-F. Grenier-Lousthalot
cent mètres papillon, lors et J.-L. Veuthey) reste dans la
du championnat du Monde majorité des disciplines spor-
à Rome en 2009, il a réalisé tives une exception, même si
un formidable parcours en parfois il y eût un véritable
bermuda, contre des concur- « dopage d’état », jusque dans
rents portant des combi- l’aviron ou la gymnastique par
108 naisons ! Son expression à exemple.
Technologie et performance sportive
La performance,
un but humain avant tout
Finalement, le fil conducteur de la recherche
dans le domaine sportif n’est pas seulement
lié à la performance. Celle-ci doit conserver
son but humain : permettre à un athlète de se
réaliser, sans mettre en cause ni son intégrité
physique, ni son intégrité morale, ce que le
regretté Nelson Paillou19
18
appelait « un sport au
service de l’homme ».
Albert Camus le disait déjà fort bien :

« Ce que finalement je sais de plus sûr sur la morale


et les obligations des hommes, c’est au sport que je le dois »

Albert Camus, texte « La belle époque »,


article « L’équipe de France »,
dans Anthologie des textes sportifs de la littérature,
de Gilbert Prouteau, éd. Plon, 1972, p. 134.

Mais la véritable équité existe-t-elle ? Entre celui


qui dispose de tout son temps pour s’entraîner
parce qu’il est payé pour cela et celui qui dans un
pays en voie de développement doit bénéficier
d’une bourse de solidarité olympique, les
chances ne sont pas égales, indépendamment
des progrès de la technologie.

19. Nelson Paillou a été le prédécesseur de Denis Masseglia, à la tête du


Comité national olympique et sportif français (CNOSF) dans les années
1980.

109
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Pierre Letellier Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine .
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
Comprendre
la physico-chimie
par la plongée
sous-marine
Comprendre
la plongée
sous-marine par
la physico-chimie
Pierre Letellier, actuellement un domaine scientifique,
Professeur émérite à l’Uni- expérimental et industriel.
versité Pierre et Marie Curie De l’autre, la plongée sous-
(Paris VI), a été professeur de marine, qui est une activité
thermodynamique dans cette qui relève du sport et du loisir.
même université et à l’École La réflexion présentée n’est
Nationale Supérieure de pas bâtie artificiellement
Chimie ParisTech. Il est égale- pour illustrer les relations
ment moniteur breveté d’état entre le sport et la chimie ;
2e degré (BEES 2) de plongée elle résulte de l’expérience
sous-marine. d’un professeur chargé d’en-
Ce chapitre se veut une seigner la thermodynamique
réflexion sur les rapproche- et la physico-chimie des
ments que l’on peut effec- solutions au niveau universi-
tuer entre deux domaines taire. Pour un certain nombre
qui peuvent paraître tota- d’étudiants (et parfois d’en-
lement disjoints : la chimie seignants), ces deux matières
et la plongée sous-marine. sont perçues comme un véri-
D’un côté, la chimie qui est table cauchemar.
La chimie et le sport

conventionnel du comporte-
ment des systèmes. Il suffit
de se donner des fonctions
mathématiques « bien choi-
sies » (Figure 2), des règles, de
les suivre strictement et d’en
examiner toutes les consé-
quences. Ce qui est difficile
à comprendre pour un élève,
c’est que toutes les « petites
entités mathématiques » (les
dérivées partielles) qui inter-
viennent dans les relations ont
un sens physique précis géné-
ralement lié à des transfor-
mations dans des conditions
particulières. C’est cette signi-
fication qui est mal discernée.
Si l’on veut faire appréhender
aux élèves les relations entre
l’entité mathématique et la
réalité physique, il faut les
illustrer par des exemples
expérimentaux simples et
accessibles. Ceux-ci peuvent
être créés artificiellement
au sein de travaux pratiques
– aussi bien au lycée qu’à
l’université –, mais le plus
attrayant est de les rechercher
dans notre quotidien. Nous
sommes entourés de faits
auxquels nous n’accordons
généralement aucune impor-
tance tant ils sont habituels,
qui illustrent parfaitement les
relations de la thermodyna-
Figure 1
La plongée sous-marine, une
1 Thermodynamique et
plongée sous-marine mique et de la physico-chimie.
Tout notre environnement
activité de loisir rêvée pour
est thermodynamique. Par
illustrer la physico-chimie. 1.1. Comment faire aimer
exemple, pour faire sécher
la thermodynamique aux
du linge, nous le plaçons
étudiants ?
dans un endroit aéré ; cette
D’où vient cette réticence des simple constatation permet
étudiants envers cette disci- d’aborder le phénomène de
pline ? (Figure 1) On peut l’évaporation, d’introduire et
supposer qu’elle ne résulte illustrer les relations qui le
pas du formalisme, car celui- caractérisent. Examinons les
ci est classique en mathéma- deux égalités de la Figure 2 : la
tique et tout à fait à leur portée. première, qui semble formel-
De la démarche ?... celle-ci est lement compliquée, caracté-
simple. La thermodynamique rise simplement le fait que la
112 est un outil de description température d’ébullition des
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
liquides augmente avec la
pression : c’est le principe des
cocotes minutes. La deuxième
exprime le fait que la tension
superficielle20 d’un liquide
varie lorsque l’on ajoute un
soluté : c’est l’effet tensioactif21
que l’on va retrouver dans les
phénomènes de mouillage ou
de détergence. Il est passion-
nant de dénicher, dans notre
vie de tous les jours, des situa-
tions qui éclairent les relations
démontrées en cours. À ce
titre, le sport, par sa diversité,
constitue un vaste domaine
d’illustration.

20. On attribue aux interfaces


entre deux milieux condensés
(liquide ou solide) ou entre
un milieu condensé et un gaz
(solide/gaz ou liquide/gaz) une
énergie interfaciale. Celle-ci varie
proportionnellement avec l’aire
de l’interface, A. Le coefficient de
proportionnalité γ est la tension
interfaciale (cas de deux milieux
condensés) ou superficielle (cas
d’une interface milieu condensé/
gaz). Pour une même aire,
l’énergie interfaciale est d’autant
plus grande que la valeur de γ
(exprimée en N.m-1) est élevée. La
valeur de la tension superficielle
de l’eau est grande : 72 N.m-1 à
298 K.
21. Un tensioactif est un composé
qui modifie la valeur de la
tension superficielle d’un liquide. Parmi tous les sports, la Figure 2
Les composés tensioactifs plongée sous-marine occupe
sont le plus souvent des une place particulière par la La difficulté de l’enseignement
molécules amphiphiles, c’est- de la thermodynamique et de la
richesse des situations que
à-dire qui présentent deux physco-chimie n’est pas d’écrire
l’on peut envisager, et aussi des équations. Elle est de donner
parties de polarité différente,
par son attrait. un sens physique aux formalismes
l’une lipophile (qui dissout les
matières grasses) et apolaire, et de les faire comprendre. Pour
l’autre hydrophile (miscible dans 1.2. Pourquoi cela, il faut trouver des domaines
l’eau) et polaire. Ces composés la physico-chimie d’application des lois et les traduire
diminuent la valeur de la tension en termes simples.
et la thermodynamique
superficielle de la solution. sont-elles importantes pour
Ils permettent également de
le plongeur sous-marin ?
solubiliser des phases non
miscibles à l’eau, (les matières Tout simplement parce que
grasses par exemple), en la plongée sous-marine est
interagissant avec elles et en
les rendant hydrophiles (effet
une activité qui se déroule
détergent). dans un environnement sous 113
La chimie et le sport

contrainte. Pour sa sécurité, il kg sur chaque cm² du corps


est important que le plongeur du plongeur, nous parve-
ait pleinement conscience de nons à une masse de vingt
cette particularité et surtout tonnes ! Les forces qui sont
qu’il en connaisse les consé- mises en jeu dans la plongée
quences. Pour cela, il doit sous-marine sont énormes
disposer d’un certain nombre (Figure 5). À la surface de la
de notions de thermodyna- terre, nous ne nous aperce-
mique, de physico-chimie et vons pas de l’effet de la pres-
de chimie. On ne peut plonger sion atmosphérique parce
en sécurité que de manière que nous sommes dans un
raisonnée (Figure 3). Nous état d’équi-pression22 : nous
allons donc examiner diffé- respirons de l’air à la pression
rentes situations en plongée atmosphérique. Imaginons
sous-marine, nous interroger maintenant que l’on descende
sur d’autres et susciter notre à dix mètres : vingt tonnes
Figure 3 curiosité (Figure 4). Nous illus- de plus vont être ajoutées
La plongée sous-marine est un trerons notre propos en adop- sur notre corps. Si nous ne
loisir qui se pratique dans un tant tour à tour la vision du prenons pas la précaution de
environnement sous contrainte… chimiste et celle du plongeur. rester en équi-pression, nous
Pourquoi dit-on que la plongée allons être écrasés par le
sous-marine est une activité milieu. C’est pour cette raison
sous contrainte ? Chacun qu’il est nécessaire de respirer
sait que sous l’eau, la pres- de l’air comprimé lorsque l’on
sion varie avec la profondeur. plonge. La plongée sous-
Lorsque l’on est à la surface, marine est donc une activité
la pression est celle de l’at- qui se pratique à pression
mosphère, soit environ 1 bar. À variable et en atmosphère dite
mesure que l’on descend sous hyperbare.
l’eau, il faut ajouter à cette
… une activité « techniquement »
facile…
pression la pression hydros-
tatique, qui augmente égale- 2 Histoire de la plongée
sous-marine
ment d’environ 1 bar tous
les dix mètres. Ainsi, lorsque 2.1. Les débuts de la plongée
l’on plonge à dix mètres de
Cette nécessité de respirer de
profondeur, on passe de 1 bar
l’air comprimé pour descendre
à 2 bars, on double la valeur de
sous l’eau a été comprise très
la pression (Figure 5).
tôt. Dès 1680, le physicien
Il faut s’interroger sur l’im- Denis Papin (Figure 6) proposa
portance de ces valeurs. Pour d’alimenter les cloches à plon-
mieux prendre la mesure du geurs23 avec de l’air comprimé
phénomène, donnons une
signification pratique et simple
22. Deux corps sont en équi-
de « 1 bar » : il s’agit, environ, pression s’il règne la même
de la pression qui résulte de la pression dans chacun d’eux.
force exercée par une masse 23. La cloche à plongeur est un
de 1 kg placée sur une aire de des premiers équipements qui
1 cm². Il faut avoir conscience a permis à l’homme d’effectuer
Pour se dérouler en sécurité, il des travaux, des expériences ou
que l’aire corporelle d’un
faut comprendre l’origine et les des explorations sous l’eau. Le
conséquences des contraintes, adulte est comprise entre 1,4 dispositif consiste à descendre
savoir les négocier : sa pratique et 2 m². Or 2 m² sont égaux à verticalement dans l’eau à l’aide
114 doit être raisonnée. 20 000 cm². Si nous plaçons 1 d’un câble, une chambre sans
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
Figure 4
Les connaissances de physico-
chimie et de chimie vont permettre
d’expliquer et illustrer un certain
nombre de situations, puis de
s’interroger sur d’autres en
suscitant notre curiosité.

pression atmosphérique : 1 bar

1 bar 0
1 bar + 20 tonnes pression
2 bars 10 m
effet sur le plongeur
3 bars 20 m masse : 1 kg

1 bar

un plongeur : aire 2 m2 = 20 000 cm2 : 20 tonnes


aire = 1 cm 2

Figure 5
La plongée sous-marine est une activité sous contrainte. À mesure que l’on descend sous l’eau, la pression augmente
d’environ 1 bar tous les dix mètres. Contrairement aux liquides et aux solides, les gaz sont compressibles. Il est
nécessaire de respirer de l’air comprimé pour ne pas être écrasé par la pression exercée par le milieu.

provenant de pompes situées


en surface. C’était une excel-
lente idée, mais également
un vœu pieux, car on ne
disposait pas à l’époque de
pompes capables d’effec-
tuer efficacement ce type de Figure 6
Le mathématicien et physicien
plancher, qui emprisonne un français Denis Papin (1647-1714),
volume d’air suffisant à l’activité connu pour ses travaux sur la
d’une ou plusieurs personnes ; machine à vapeur, eut l’idée,
celle-ci pouvant se prolonger si en 1680, d’envoyer de l’air de la
l’air peut être renouvelé. surface au plongeur. 115
La chimie et le sport

transfert de gaz comprimé. sécurité »). Dans les années


Dans les années qui suivirent, 1800-1820, le latex était
le matériel fut amélioré et, surtout utilisé pour confec-
vers 1800, on vit apparaître tionner des éléments d’ha-
les premiers scaphandres billement demandant une
de plongée alimentés en certaine élasticité tels que
air comprimé. Celui de la bretelles et jarretières. Son
Figure 7 a été proposé par Karl grand intérêt était également
Heinrich Klingert. Il est que, déposé sur une toile, il
associé à un système complexe la rendait étanche. La limi-
de lest pour maintenir le tation principale de son utili-
plongeur au fond. On peut sation réside dans sa tenue
donc considérer qu’à partir en température : à froid il
Figure 7 de 1800, tous les éléments devient cassant et à chaud,
techniques sont réunis pour il devient poisseux et collant.
En 1797, le chercheur en
que la plongée sous-marine Son emploi ne pouvait donc
mécanique allemand Karl Heinrich
Klingert (1760-1828) mit au point puisse se développer. Restait convenir pour la plongée
un scaphandre dont le casque cependant une difficulté qui sous-marine.
est métallique et comporte des n’était pas résolue : celle de
hublots. La tunique est en peau
La première révolution de la
l’étanchéité. Il ne suffit pas
imperméable, serrée fortement plongée sous-marine vient
de fabriquer des pompes
aux bras et aux cuisses. L’air est de la chimie. Elle est due au
performantes, encore faut-il
envoyé de la surface grâce à une chimiste américain Charles
pompe. Mais la flottabilité est
disposer de tuyaux étanches,
Goodyear (Figure 8) qui, en
difficilement contrôlable et les sans fuite, pour apporter l’air
1839, découvrit tout à fait
tuyaux et vêtements ne sont pas de la pompe au casque du
fortuitement qu’en chauffant
étanches. plongeur. Or, à cette époque,
du latex avec du soufre, il
les tuyaux n’étaient pas
obtenait un matériau ressem-
étanches.
Figure 8 blant à du cuir, qui restait
L’autre point important quelque peu élastique et
Le chimiste Charles Goodyear concerne la protection du surtout qui était doté d’une
(1800-1860) est célèbre pour scaphandrier. Sous l’eau, la
l’invention de la vulcanisation, à la
tenue en température tout
déperdition calorifique (perte à fait remarquable. Il venait
base de nombreuses applications
industrielles du caoutchouc. En
de chaleur entraînant une de découvrir le caoutchouc !
1839, il découvrit qu’en chauffant baisse de température) est Charles Goodyear était un
du latex avec du soufre à 140 °C énorme. Il est absolument chercheur et un expérimen-
pendant 45 minutes, on stabilise nécessaire de protéger le tateur de génie, mais proba-
le matériau. Il venait de créer le plongeur par un vêtement blement un très mauvais
caoutchouc. En 1842, il améliora étanche. Vers 1800, l’écueil de
le procédé en chauffant le latex
homme d’affaire puisqu’il ne
l’étanchéité a été un véritable protégea pas immédiatement
de quatre à six heures à 270 °C
en présence de vapeur d’eau sous
frein au développement de son invention... Le brevet sur
pression. l’exploration sous-marine. la fabrication du caoutchouc
fût déposé en 1843 par un
2.2. La vulcanisation, anglais Thomas Hancock. Son
ou comment résoudre procédé ressemblait à celui
les problèmes d’étanchéité de Goodyear. Il l’appela : la
vulcanisation.
2.2.1. La découverte
À cette époque, un produit 2.2.2. Qu’est-ce que
nouveau intéressait les indus- la vulcanisation ?
triels et les scientifiques : Le principe de la vulcanisa-
le latex (voir l’Encart : « Des tion est simple : les chaînes
116 polymères pour plonger en constituées par les molécules
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
DES POLYMÈRES POUR PLONGER EN SÉCURITÉ
DU LATEX AU CAOUTCHOUC VULCANISÉ

Du latex au caoutchouc
Le caoutchouc est un matériau élastique élaboré à partir du latex naturel extrait de l’hévéa
(Figure 9) : il est récolté sous forme d’un coagulum dont on forme des granulés, que l’on
chauffe à 120 °C ; au refroidissement, les granulés se collent entre eux et sont compactés
pour donner des balles de caoutchouc.
En tant que polymère, le caoutchouc peut aussi être synthétisé artificiellement par polyméri-
sation. Un polymère est une macromolécule constituée d’un enchaînement d’unités répétitives
appelées monomères ; le monomère du caoutchouc est l’isoprène (Figure 9).

Figure 9
Le latex de l’hévéa se récolte
en pratiquant une saignée,
c’est-à-dire une incision
dans l’écorce de l’arbre de
façon à couper des vaisseaux
spécifiques, les laticifères, dont
le contenu est récolté dans un
récipient. À droite, une récolte
de latex à Ceylan.

Le caoutchouc vulcanisé
La vulcanisation est le procédé chimique consistant à incorporer un agent comme le soufre à un
élastomère brut comme le caoutchouc, pour former après cuisson des ponts entre les macro-
molécules. Cette opération rend le matériau moins plastique mais plus élastique (Figure 10).

S
S S S
S
S S
*
* n S S
S S
S
S
S

Figure 10
Après incoporation de soufre (en orange) dans le caoutchouc, on obtient un édifice tridimentionnel réticulé.
Il est élastique car lorsqu’on exerce une contrainte, il se déforme, puis dès qu’on relâche cette contrainte,
il revient à l’état initial, comme le ferait un ressort.
117
La chimie et le sport

du latex sont labiles24, ce qui élastique et présente une très


explique sa mauvaise tenue bonne tenue en température
en température. Lorsque l’on (voir l’Encart : « Des polymères
Figure 11 chauffe du latex avec du soufre, pour plonger en sécurité »).
Le scaphandrier « moderne » du
Cette matière va permettre
on « maille » les chaînes du
Trésor de Rackham le Rouge de fabriquer des tuyaux et
latex via des chaînes d’atomes
(A) comporte : une pompe à bras des vêtements étanches pour
pour transférer l’air comprimé, un de soufre. Le nouveau maté- les scaphandriers. Ainsi, à
tuyau d’air comprimé, un casque riau, appelé caoutchouc, est partir de 1843, grâce à la
en cuivre avec quatre hublots chimie, les techniques d’ex-
pesant environ vingt kilogrammes, 24. La labilité désigne ici la
une ligne de vie, un système de
ploration sous-marines ont pu
capacité des molécules à pouvoir
communication, un vêtement sec, se mouvoir les unes par rapport se développer.
du lest. Un matériel simple, très aux autres. Les chaînes linéaires
performant, mais l’habillage est du latex peuvent facilement 2.3. Les scaphandres
parfois délicat (B) ! glisser les unes le long des autres. À partir de cette époque, un
grand nombre de scaphandres
A vont être inventés. Les fran-
© Hergé/Moulinsart 2010
çais Rouquayrol et Denayrouze
en proposent un en 1864, très
performant, qui sera décrit
dans le célèbre roman Vingt
mille lieues sous les mers de
Jules Verne. Très rapidement,
on en vînt au scaphandrier
moderne qu’Hergé a immor-
talisé dans les albums de
Tintin, en particulier dans Le
trésor de Rackham le Rouge
(Figure 11). Sur le dessin de
la Figure 11A, on retrouve tout
le matériel nécessaire « pied
lourd ». D’abord une pompe
délivrant de l’air comprimé :
la pompe à bras sera plus tard
remplacée par des pompes
thermiques. Puis un tuyau
qui amène l’air comprimé
au casque du scaphandrier ;
celui-ci est en cuivre (environ
20 kg) ; une ligne de vie (corde
attachée à la ceinture du
B C
scaphandrier, permettant
de le remonter en cas d’inci-
dent : elle est très rapidement
associée à un système de
communication). Et surtout, le
scaphandrier dispose main-
tenant d’une combinaison
sèche (que l’on continue
d’appeler « peau de bouc »),
sous laquelle il peut enfiler
118 des vêtements chauds afin
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
de ne pas se refroidir. Enfin, 2.4. La plongée autonome
il faut ajouter du lest pour
rester au fond : environ 15 kg Dans la plongée autonome,
par chaussure, un « plomb les conditions de plongée
de poitrine » de 20 kg et un changent totalement. Le plon-
« plomb dorsal » également geur transporte sa réserve
de 20 kg. On peut remarquer de gaz respiratoire sous la
sur la Figure 11A que Tintin forme d’une bouteille d’air
est un garçon robuste : il comprimé. Les avantages
discute aimablement avec le sont évidents : on passe d’un
capitaine Haddock et pour- matériel qui pesait 90 kg à
tant, il porte 60 kg sur les un matériel de 20 kg, ce qui
épaules ! Ce matériel est très permet de se déplacer avec
robuste et performant (de nos aisance. Le plongeur n’est
jours, il est encore possible de plus lié à la surface, il gagne
l’essayer). Comme le fait en liberté. Cependant, l’in-
remarquer le capitaine convénient majeur de cette
Haddock, l’habillage est technique est qu’il emporte sa
parfois délicat (Figure 11B). réserve d’air et qu’il doit savoir
Il va cependant permettre la gérer. Le risque est de se
d’explorer les fonds marins retrouver au fond à court d’air,
et de travailler jusqu’à des ce qui est toujours un moment
profondeurs parfois supé- angoissant ! Cette contrainte
rieures à 60 mètres. Il sera implique que le plongeur
utilisé jusqu’après la Seconde connaisse les propriétés des
Guerre mondiale. gaz comprimés. Dans le cadre
de la plongée sous-marine de
Quels sont les avantages et loisir, on a choisi d’enseigner
les inconvénients de cette les propriétés du gaz parfait
technique d’exploration sous- décrites par la loi : PV = nRT, où
marine ? L’avantage pour le P est la pression, V le volume
plongeur est d’être relié à du gaz, n la quantité de gaz, T la
la surface par un tuyau qui température et R la constante
lui apporte en permanence universelle des gaz parfaits
de l’air comprimé. Il peut (R = 8,314 J.mol-1.K-1). Pour
ainsi rester au fond le temps simplifier, comme la plongée
nécessaire pour effectuer son se déroule généralement dans
travail. Le désagrément – qui des milieux où la température
est l’inconvénient de l’avan- varie peu, on considère que
tage – est qu’il est lié à la le produit PV reste constant.
surface par un tuyau et par sa On utilise donc la relation des
ligne de vie ; il a donc très peu gaz parfaits sous la forme
de liberté pour se déplacer P1V1 = P2V2 = Constante, pour
et surtout, il dépend, pour sa calculer la quantité de gaz
survie, totalement de l’équipe dont le plongeur dispose. Par
de surface (Figure 12). C’est exemple, s’il emporte une
pour cette raison qu’a été bouteille de 12 litres d’air
développée, dans les années comprimé à 200 bars, on
1945-1950, une autre forme calcule que cet air, détendu à
de plongée : la plongée une pression de 1 bar (pres-
autonome. Le commandant sion à la surface), occupe
J.-Y. Cousteau a été un pion- un volume de 2 400 litres.
nier en la matière. Cela donne une idée des 119
La chimie et le sport

© Hergé/Moulinsart 2010

Figure 12 quantités de gaz empor- mais pas la même quantité


tées. Elles sont importantes : d’air. Par exemple, on peut voir
Dans la plongée avec scaphandre
2 400 litres d’air représen- (en utilisant la relation PV =
relié à la surface, la vie du
plongeur dépend du matériel et tent environ le volume d’une Constante) qu’à 10 mètres, où
surtout de l’équipe restée à la en cabine téléphonique. Durant la pression est égale à 2 bars,
surface ! son immersion, le plongeur va le plongeur respire l’équiva-
consommer son air de manière
lent de 40 litres d’air détendu
à peu près régulière : environ
à 1 bar à la minute. Il dispose
20 litres de gaz par minute
alors d’une durée d’autonomie
(cela dépend bien évidemment
de la personne). S’il est près de 2400/40 soit 60 minutes.
de la surface, ce gaz sera peu Le même calcul montre qu’à
comprimé. En revanche, s’il 20 mètres sous une pression
est en profondeur, le gaz sera de 3 bars, il respire l’équi-
fortement comprimé. Le plon- valent de 60 litres d’air par
geur respire toujours le même minute, ce qui correspond à
120 volume de gaz par minute, une autonomie de 40 minutes.
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
À 40 mètres, cette autonomie
se réduit à 24 minutes.

3 La loi des gaz


parfaits :
son intérêt et ses limites
pour la plongée
3.1. En grande profondeur :
tout change !
Cette loi des gaz parfaits est
simple, facile à utiliser, mais
on peut se demander si elle
est bien applicable dans les
sonné n’a pas changé (égale Figure 13
situations rencontrées. Pour
à 1,3 g), on en déduit que la
répondre à cette question, A) Jacques Piccard (de face) et
masse volumique de l’air à
on peut se placer dans un Don Walsh (en bas) à bord du
cette profondeur est égale à
autre contexte de l’explora- bathyscaphe Trieste en 1960.
1,3 g/cm3. Cette valeur est B) Le Trieste, au-dessus de la
tion sous-marine : celui des
très supérieure à celle de fosse des Mariannes, le 23 janvier
plongées en grandes profon-
l’eau (la masse volumique de 1960. La fosse des Mariannes est
deurs. Rappelons que l’océa-
l’eau est environ de 1 g/cm3) la fosse océanique la plus profonde
nographe suisse Jacques actuellement connue et l’endroit le
(Figure 14). La logique du
Piccard (Figure 13A) à bord de plus profond de la croûte terrestre.
calcul voudrait donc que l’air
son sous-marin Trieste lors Elle est située dans la partie nord-
coule dans l’eau ! La consé- ouest de l’Océan Pacifique.
de son exploration de la fosse
quence serait que si on lâchait
des Mariannes (Figure 13B) en
une bulle d’air du sous-marin,
1960 a atteint la profondeur
on devrait la voir couler vers le
de 11 000 mètres. La pres-
fond et non pas remonter vers
sion au fond était d’environ
la surface !
1 100 bars. Empruntons le
bathyscaphe du Professeur Ce résultat inattendu est intui-
Piccard pour réaliser une tivement dérangeant. Sur ce
expérience très simple : atta- point, il est intéressant de s’in-
chons aux superstructures terroger : phénomène réel ?
du bathyscaphe, en surface, Calcul faux ? Raisonnement
un ballon déformable conte- biaisé ? En fait, le raisonne-
nant 1 litre d’air. À la pression ment présenté n’est pas juste
de 1 bar, le ballon contient car il utilise une relation (la loi
environ 1,3 grammes de gaz. des gaz parfaits) en dehors de
Descendons à 10 000 mètres son domaine d’application. La
de profondeur. Dans cette loi des gaz parfaits est une loi
opération, on est passé de limite caractéristique des gaz
1 bar à environ 1 000 bars. Si lorsque la pression tend vers
on applique la loi des gaz zéro, ce qui n’est pas le cas ici.
parfaits, en supposant que Il faut donc se rassurer, l’air ne
la température est la même coule pas ! On peut le constater
qu’en surface, P1V1 = P2V2, soit sur la Figure 15, où la courbe du
1 × 1 = 1 100 × V2, on calcule bas donne les variations expé-
que le volume du ballon, rimentales de la masse volu-
initialement de 1 000 cm3, mique de l’air en fonction de
est réduit à 1 cm3. Comme la pression (valeurs d’Amagat).
la masse de l’air empri- On constate que la masse 121
La chimie et le sport

Soyons curieux Fosse des Mariannes 1960


Jaques Piccard 10 916 m
Bathyscaphe Trieste 1 156 atmosphères

air
m = 1,3 g
surface 1 bar V = 1 dm3

compression d ’un
eau facteur 1000

m = 1,3 g ρ = 1,3 g/cm3


10 000 m ~1000 bars V < 1 cm3
l ’air coule !!!!
température constante
masse volumique de l ’eau constante
gaz fortement
comprimés

Figure 14 volumique de l’air (courbe


en rouge) ne dépasse jamais
Un ballon d’un litre d’air, lâché à 10 000 mètres de profondeur… coule ! Tout 0,6 kg/dm3 ; on peut donc être
s’explique par les propriétés des gaz à haute pression.
certain qu’à 10 000 mètres
de profondeur, la bulle d’air
Figure 15 remonte. Les « gaz réels » ne
Les gaz ne sont parfaits que pour des pressions qui tendent vers zéro. se comportent pas comme les
gaz parfaits. Pourquoi en est-il
ainsi ? Tout simplement parce
PV que les molécules de gaz inte-
ragissent entre elles lorsqu’on
comportement
les rapproche. Si on part d’un
des gaz réels
gaz à très faible pression qui
présente les propriétés d’un
gaz parfait, les molécules sont
Pression éloignées les unes des autres
et sans interaction. Si on
comprime le gaz, on rapproche
1,2
masse volumique les molécules. Celles-ci, dans
kg/L
1 un premier temps, vont avoir
tendance à s’attirer, puis
0.8
ensuite, à se repousser, l’in-
0.6 terpénétration des molécules
0.4
de gaz n’étant pas possible ;
aux très fortes pressions les
0.2
gaz deviennent pratiquement
0 incompressibles. Les relations
0 200 400 600 800 1000 1200
qui décrivent les comporte-
pression en bars
ments des gaz comprimés
sont donc différentes de celle
valeurs de Amagat
122 du gaz parfait.
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
Il est intéressant d’envisager
les conséquences de ces
propriétés pour les plongeurs
mais aussi pour les physico- sinus
oreilles
chimistes et les chimistes.
lésion de
la paroi
poumons
3.2. La loi des gaz parfaits : pulmonaire

quelle utilité pour les système


plongeurs ? digesf

Il faut constater que la loi


de comportement des gaz
remonter en bloquant
proposée aux plongeurs (PV = accidents barotraumaques
son expiraon
Constante) ne s’applique pas
vraiment dans les gammes de
pression qu’ils utilisent, c’est-
à-dire de 1 à 300 bars. Elle
ne peut donc conduire à des Ces accidents sont appelés Figure 16
calculs précis des volumes « barotraumatismes ».
Ceux-ci peuvent être très Notre corps recèle de nombreuses
et des pressions. Son avan-
cavités remplies d’air : les sinus,
tage est essentiellement graves comme par exemple la l’oreille moyenne, les poumons, le
informatif. Cette loi donne « surpression pulmonaire ». système digestif. Or, en plongée,
une bonne idée de l’impor- Imaginons un plongeur qui se les variations de pression et de
tance des phénomènes mis situe à 10 mètres de profon- volume sont très fortes, et pour
en jeu et surtout illustre le fait deur, donc à la pression de éviter tout accident, il faut que l’air
que lorsque l’on augmente 2 bars, et qui inspire 4 litres puisse circuler librement dans le
la pression, les volumes des d’air. Supposons qu’il remonte corps du plongeur, faute de quoi
les parois de ces cavités risquent
gaz diminuent et à l’inverse, en bloquant son expiration (il d’être endommagées.
lorsqu’on diminue la pression, ne souffle pas). À la surface,
les volumes des gaz augmen- où la pression est de 1 bar, les
tent. Ceci est suffisant pour 4 litres d’air initiaux devraient
justifier un certain nombre de occuper librement un volume
mesures sécuritaires dans la de 8 litres, ce qui excède
pratique de la plongée. la capacité des poumons.
Pourquoi ces connaissances L’air contenu dans les
sont-elles importantes pour poumons va donc se trouver
le plongeur ? Notre corps en surpression. Comme les
est constitué de liquides, de parois pulmonaires sont très
solides mais également de fragiles, elles risquent d’être
gaz contenus dans des cavités endommagées et à la limite
internes : les sinus, l’oreille de céder. L’air passera alors
moyenne, les poumons, le dans le circuit sanguin avec,
système digestif, etc. Or, en comme issue, un embolisme
plongée, les variations de pouvant conduire au décès du
pression sont très impor- plongeur. Pour éviter ce type
tantes, donc les volumes d’évolution dramatique, il faut
occupés par les gaz corporels toujours souffler son air en
le sont également. Pour éviter remontant. Pour comprendre
tout accident, il faut que les gaz ces phénomènes, il est indis-
puissent circuler librement pensable que les plongeurs
dans le corps du plongeur, aient une bonne connaissance
faute de quoi les parois des de la compressibilité des gaz
cavités risquent d’être lésées. (Figure 16). 123
La chimie et le sport

Intérêt de la loi des gaz parfaits : définir un modèle de comportement

thermodynamique comportement du gaz parfait

pV = nRT

oul système
comportement thermodynamique du gaz parfait

soluon idéale
comportements
soluté infiniment dilué de référence

pour les applicaons : gaz réels


écart au modèle
noon de fugacité

Figure 17 3.3. La loi des gaz parfaits gaz parfait » dans laquelle
pour les chimistes on établit des formes litté-
Le gaz parfait est un modèle rales des fonctions d’état et
qui va permettre de donner une Qu’en est-il pour les
chimistes ? Dans l’industrie, de leurs variables dérivées.
forme littérale aux grandeurs
thermodynamiques. Celles-ci il est rare que des procédés Il en est ainsi du potentiel
serviront à caractériser les impliquent des gaz dont la chimique d’un gaz parfait
systèmes chimiques et à prévoir pression est proche de zéro. (Figure 17) que l’on exprime
leur évolution. La loi des gaz parfaits n’est en fonction de la valeur de sa
donc généralement pas utili- pression partielle. Dès lors,
sable dans ce secteur d’acti- on est capable de caracté-
vités. Alors à quoi sert cette riser un système constitué
loi des gaz parfaits pour de gaz parfaits et son évolu-
nous chimistes ? Elle nous tion. La connaissance et la
permet de franchir une étape compréhension du « modèle
conceptuelle très impor- du gaz parfait » permet de
tante. La thermodynamique généraliser les formalismes à
est un outil conventionnel d’autres systèmes impliquant
créé pour décrire le compor- des solides, des liquides et des
tement de systèmes quel- solutés. On proposera ainsi
conques à partir de fonctions un modèle des « solutions
de variables d’état (énergie idéales » pour les mélanges
interne, entropie, enthalpie, de solvants ou encore un
etc.) et de fonctions de trans- modèle de « solution infini-
fert (chaleur et travail). Cet ment diluée » pour les solutés.
outil ne prend de l’intérêt que Le recours aux propriétés du
si l’on dispose de systèmes gaz parfait permet donc de
réels, ou modèles, suffisam- progresser dans la formali-
ment simples pour pouvoir sation des grandeurs ther-
l’utiliser. Le gaz parfait en modynamiques. En revanche,
est un. L’outil thermodyna- au niveau des applications,
mique appliqué au compor- on ne pourra pas utiliser
tement du gaz parfait conduit les relations établies pour
124 à une « thermodynamique du les gaz parfaits dans le cas
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
d’un système constitué de graphe 2.2.1). L’homme allait
gaz réels. Usuellement, on ainsi pouvoir travailler sous
remplacera la notion de l’eau. Mais ce périple dans
pression par celle de fugacité les profondeurs n’est pas
dans l’expression du potentiel sans danger. On constate en
chimique du gaz (Figure 17). effet qu’un grand nombre de
scaphandriers ne remontent
pas indemnes de leur immer-
4 Les risques liés à
la décompression :
procédures de remontée
sion : douleurs et blocage
des articulations, paralysies,
vieillissement prématuré,
etc., et parfois décès. À cette
4.1. Origine des accidents
époque, l’origine de ces acci-
de décompression
dents restait mystérieuse.
Revenons à la plongée On l’appelait pudiquement le
sous-marine. Comme nous « mal des scaphandriers ».
l’avons vu, c’est grâce aux C’est en 1878 que le physio- Figure 18
connaissances en chimie logiste français Paul Bert
Paul Bert (1833-1886) est un
et en physico-chimie que la (Figure 18) proposa une expli-
physiologiste spécialiste de la
plongée sous-marine a pu se cation logique à ces accidents. respiration des gaz. Il est le
développer, avec la possibi- Il les attribua au fait que, sous premier à avoir décrit de façon
lité, depuis 1843, de fabriquer pression, les liquides du corps systématique l’état de convulsion
du matériel étanche (para- dissolvent les gaz. Il signa lié à la toxicité du dioxygène sous
forte pression partielle pour le
système nerveux central, dit « Effet
Paul Bert ». Il publie un ouvrage
récapitulatif en 1878, La Pression
Figure 19
barométrique, où il décrit les
Lorsque l’on place un gaz en présence d’un liquide, il se dissout jusqu’à effets du manque (hypoxie) ou du
atteindre un état d’équilibre. trop plein (hyperoxie) d’oxygène.

125
La chimie et le sport

Figure 20 ainsi la deuxième révolution comprimé. Les deux compo-


de la plongée sous-marine, qui santes de l’air, le dioxygène
En remontant à la surface, la relève cette fois de la physico- O2 et le diazote gazeux N2,
pression diminue. Ceci peut
chimie. passent, à travers la paroi
provoquer un dégazage de diazote
dans l’organisme du plongeur. Que se passe-t-il dans le pulmonaire, dans le sang
Les bulles entravent alors la phénomène de dissolution où ils se dissolvent. Les gaz
circulation sanguine. C’est l’origine des gaz dans l’organisme ? sont ensuite distribués dans
des « accidents et maladies de Lorsque l’on met un gaz en tout le corps du plongeur
décompression ». présence d’un liquide, à une par la circulation sanguine.
température donnée, il se Le dioxygène est supposé
dissout jusqu’à atteindre un être consommé par l’orga-
état d’équilibre (Figure 19). nisme. Il n’est généralement
Si l’on augmente la pression pas pris en considération. Ce
du gaz, sa concentration à n’est pas le cas du diazote, qui
l’équilibre en solution croît, et est un gaz inerte. Ce phéno-
ce de manière sensiblement mène de dissolution est d’au-
linéaire (tout au moins pour tant plus important, que l’on
des variations peu importantes descend plus profond, et que
de pression de quelques bars). l’on y reste plus longtemps
Si l’on reporte sur un graphe, (Figure 20). On dit qu’un plon-
les variations de la pression geur qui descend se sature.
en fonction de la concentra- Cette solubilisation du diazote
tion, on obtient quasiment une pose-t-elle un problème ? Pas
droite (Figure 20). Ceci signifie à la descente, qui correspond
que si l’on double la pression, à une phase pendant laquelle
on double également la le plongeur emmagasine le
concentration de gaz dissous gaz. Le problème survient à
à l’équilibre. C’est ce qui va la remontée, lorsque la pres-
se passer dans l’organisme sion ambiante diminue. Dans
du plongeur. Celui-ci descend ces conditions, les valeurs des
126 sous l’eau et respire de l’air concentrations à saturation
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
des gaz dans les liquides et en aval de la bulle. Selon la
tissus de l’organisme dimi- position de celle-ci, les symp-
nuent. Il en résulte la présence tômes peuvent être très diffé-
d’un excès de diazote dans rents. Imaginons une bulle
l’organisme du plongeur. Que qui se forme au niveau d’un
devient ce gaz ? Le phéno- coude ou d’une hanche. Il en
mène est identique à celui résultera de fortes douleurs
que l’on observe lorsqu’on et éventuellement un blocage
débouche une bouteille de de l’articulation ; mais si la
boisson gazeuse. En ouvrant bulle se place au niveau de la
la bouteille, on fait chuter la moelle épinière ou du cerveau,
pression et une partie du gaz cela peut aller jusqu’à la para-
dissous se trouve alors en lysie (Figure 20). Certaines
excès. Celui-ci se dégage sous sont irréversibles. D’après
la forme de petites bulles. ce qui vient d’être dit, on sait
Imaginons qu’un phénomène comment descendre le plon-
identique se produise dans le geur, mais on voit assez mal
circuit sanguin du plongeur. comment on peut le remonter Figure 21
Les bulles qui se forment vont sans accident. Le plongeur peut-il remonter sans
entraver la libre circulation accident ? La thermodynamique
du sang jusqu’à l’arrêter. La 4.2. La thermodynamique vient au secours du plongeur.
conséquence est que les tissus au secours du plongeur
situés en aval de la bulle, Comment éviter les acci-
dans le sens de la circulation, dents de décompres-
ne seront plus alimentés en sion (Figure 21) ? C’est la
dioxygène. C’est l’accident thermodynamique qui va
de décompression. Si l’on donner une réponse et venir
n’agit pas très rapidement au secours du plongeur. Sur
pour éliminer la bulle, l’orga- la Figure 22 est schéma-
nisme va réagir à l’intrusion tisé un milieu dans lequel on
de ce corps étranger dans le suppose une sursaturation Figure 22
circuit sanguin en provoquant, de gaz (les petites particules La création d’une phase
entre autres, une agréga- qui sont entourées de rouge). (comme une bulle) au sein
tion plaquettaire à l’interface Comment évolue ce milieu ? d’un liquide est une opération
liquide/gaz. « L’accident de En essayant de faire des thermodynamiquement
défavorable : elle requiert un
décompression » évolue alors bulles ! Pour cela, un certain apport d’énergie (dU) au système.
vers la « maladie de décom- nombre de molécules vont Or, pour qu’une évolution soit
pression » avec une possible s’agréger. Ces petits édifices spontanée, l’énergie du système
nécrose des tissus placés vont essayer de grossir pour doit diminuer !

Liquide saturé hors équilibre Les particules s’agrègent


Création d’une interface
N2 (gaz) N2 (solubilisé) liquide-gaz
γ tension
t i interfaciale
i t f i l
dU = γ dA
A aire de la bulle
127
La chimie et le sport

L’énergie du système va
énergie également augmenter, ce qui
sursaturaons est contraire au sens d’une
importantes évolution spontanée. Par
conséquent, ces entités vont
barrière se désagréger pour diminuer
d’énergie évoluon spontanée
l’énergie du système. La solu-
évoluon tion sursaturée n’évoluera
spontanée pas. Elle ne pourrait le faire
soluon apparion que si le rayon des agrégats
sursaturée de bulles atteignait le rayon critique rc
et le dépassait. On se placerait
rayon crique rayon alors du côté droit de la courbe
(r > rc). Dans ces conditions, le
système peut évoluer sponta-
nément en faisant apparaître
Figure 23 créer des bulles. C’est à
des bulles. On montre ainsi
ce niveau que se pose un
Dans du sang sursaturé en que, tant que les agrégats se
problème énergétique car,
diazote, pour que le gaz crée situent dans un domaine où
des bulles, il lui faut s’agréger pour faire naitre une bulle, il
leur rayon est inférieur au
jusqu’à atteindre et dépasser un faut créer une interface gaz/
rayon critique, ils n’évolueront
rayon critique rc . Cette agrégation liquide ; et la création de
pas vers la formation de bulles.
est thermodynamiquement cette interface demande que
D’une certaine manière, les
défavorable. Si r > rc, , les bulles l’on apporte de l’énergie au
pourront apparaître et grossir. solutions sursaturées peuvent
système. Or, on sait qu’un
être considérées comme
système qui évolue spontané-
des systèmes relativement
ment ne peut le faire qu’avec
stables (pour aller plus loin
une diminution d’énergie ! On
sur les propriétés de ce type de
constate donc que la création
système, voir l’Encart : « Des
de bulles au sein d’un liquide
systèmes en sursaturation, en
est une opération thermody-
surchauffe, en surfusion, … »).
namiquement défavorable.
En théorie, elle ne peut donc Revenons au cas du plongeur :
être spontanée. La création la solution pour le remonter
de bulles dans un liquide sans accident de décompres-
sursaturé ne devrait donc pas sion, est de le maintenir dans
pouvoir se faire. la partie gauche de la courbe
On peut avoir une approche (Figure 23), avec des agrégats
différente du phénomène en de gaz, dans son organisme,
examinant la courbe d’énergie de taille inférieure à celle
calculée à partir du rayon des agrégats critiques. C’est
des agrégats. Elle présente l’objet des procédures de
une forme de cloche avec décompression…
un maximum pour un rayon
4.3. L’invention des paliers
critique rc (Figure 23). La partie
de décompression
gauche (r < rc) correspond au
domaine des solutions sursa- Depuis les études de Paul
turées. Imaginons que dans Bert en 1878, on connais-
cette situation le système sait l’origine des accidents
évolue. Les particules s’agrè- de plongée, mais on ne
gent ce qui a pour consé- savait pas de quelle manière
quence de former des édifices ramener les plongeurs à la
128 dont le rayon augmente. surface pour les éviter. Le
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
DES SYSTÈMES EN SURSATURATION, EN SURCHAUFFE, EN SURFUSION…
Quels sont donc ces états peu usuels dans la vie quotidienne ?

Nous savons tous que l’eau bout à 100 °C et qu’elle gèle à 0 °C à la pression atmosphérique.
Pourtant, il est possible d’observer de l’eau liquide, à la pression atmosphérique, au-dessus
de 100 °C et en dessous de 0 °C ! On sait effectivement obtenir de l’eau liquide jusqu’à environ
170 °C et à -40 °C. Dans le premier cas, l’eau est dans un état de surchauffe, dans le deuxième
cas, elle est en surfusion. Ce sont des états qui peuvent évoluer très rapidement sous l’effet
d’un choc, de la présence d’une poussière, etc. Dans l’industrie, le phénomène de surchauffe
a été responsable de nombreux accidents.
Prenons également l’exemple de la purification par recristallisation, technique usuellement
utilisée par les chimistes : un produit à purifier est dissous à chaud dans un solvant dit de
recristallisation. Après agitation et chauffage, ce produit se dissout peu à peu totalement. On
arrête le chauffage, on laisse le mélange reprendre la température ambiante et on attend
que se forment des cristaux (si les impuretés ont bien été solubilisées à chaud, le produit
attendu devrait pouvoir cristalliser pur). Or, il arrive que les cristaux n’apparaissent pas ! On
a affaire à un liquide sursaturé. Que fait-on alors ? On gratte énergiquement le récipient à
l’aide d’une spatule… et, si l’on n’est pas malchanceux et surtout bon manipulateur, on voit
enfin apparaître des cristaux qui grossissent. Quel est donc ce « tour de passe-passe » ?
Avons-nous donné l’énergie suffisante pour passer la barrière énergétique (représentée sur
la Figure 23) ? Pas du tout. Nous avons simplement fait intervenir la paroi du récipient : au
départ, les agrégats formés par le produit à purifier au sein de la solution ont un rayon infé-
rieur au rayon critique rc : ils ne peuvent donc pas évoluer sous forme de cristaux. Mais si
l’agrégat se place sur la paroi du récipient, pour une même masse, son rayon de courbure
augmente et peut alors dépasser rc et faire basculer le système vers le côté droit de la courbe.
Celui-ci évolue alors spontanément vers la formation de cristaux de plus en plus gros et
importants (Figure 24). Cette évolution est facilitée lorsque l’on crée des anfractuosités sur la
paroi (c’est-à-dire des défauts à la verrerie, des rayures, etc.) en la frottant avec une spatule.
Le rayon de courbure d’un agrégat placé dans une anfractuosité devient encore plus grand.
C’est le même phénomène qui se déroule dans nos flûtes de champagne, où l’on observe des
bulles de gaz carbonique prendre naissance et croître en certains points de la paroi du verre
(voir la Figure 20).

augmentaon des rayons

anfractuosité

Figure 24
Le contact d’un agrégat (d’azote dissous ou de produit à cristalliser) avec
une anfractuosité du récipient augmente son rayon de courbure, pouvant
atteindre le rayon critique.

129
La chimie et le sport

plus souvent, les scaphan- les résultats à l’homme : il


driers étaient remontés très testa lui-même, avec deux
doucement et linéairement, à de ses collaborateurs, les
raison d’un mètre par minute. procédures de décompression
Mais cela ne diminuait pas ainsi calculées. Ces tables
sensiblement le nombre d’ac- donnèrent des résultats
cidents. C’est en 1896 que la satisfaisants. Dès 1907, elles
marine anglaise demanda furent adoptées par la marine
au physiologiste John Scott anglaise et la marine améri-
Haldane d’établir des procé- caine. J.C. Haldane signa ainsi
dures pour ses personnels en la troisième révolution de la
intervention. De manière très plongée sous-marine, avec de
intuitive Haldane va suivre la la physico-chimie appliquée.
démarche thermodynamique La procédure de remontée
que nous venons d’exposer proposée n’est plus linéaire.
(paragraphe 4.2). Il propose Sur la Figure 25 est schématisé
que, pour décomprimer un un diagramme de la profon-
plongeur, il faut d’abord le deur de plongée en fonction
placer en situation de désé- de la durée qui résume les
quilibre pour provoquer les procédures à respecter. Le
échanges gazeux et l’élimina- plongeur descend, reste au
tion du diazote. Mais ce désé- fond un certain temps, puis
quilibre doit être savamment commence son retour vers
contrôlé pour éviter de passer la surface. Quand il remonte,
dans les domaines où il y a il s’écarte des conditions
risque d’apparition des bulles. d’équilibre (schématisées par
Il imagine donc des phases de la courbe pointillé rouge) pour
remontée relativement rapide déclencher les processus
suivies d’arrêts (les paliers). d’échange gazeux. Il doit
Figure 25 À partir de cette hypothèse, il ensuite effectuer des paliers
A et B) En effectuant une
effectua de nombreuses expé- durant lesquels le gaz en
remontée, non plus linéaire, mais rimentations animales, prin- excès s’élimine partiellement
par paliers, les plongeurs évitent cipalement sur des chèvres. Il (les paliers sont les domaines
les accidents de décompression. réussit à mettre au point des horizontaux de la courbe en
C) Les tables de plongée sont « tables de plongée » très effi- bleu, Figure 25). Une fois le
utilisées par les plongeurs caces pour les remonter en palier effectué à une profon-
professionnels et pour la plongée deur, il passe à la suivante (de
sécurité. J.C Haldane forma-
de loisir. Ici, une table de plongée
proposée par le Ministère du
lisa les vitesses des échanges 3 m en 3 m), et ce jusqu’à la
Travail en 1992. gazeux et décida d’extrapoler surface. La photo représente

A B C

130
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
des plongeurs situés à deux adopte celle qui lui semble la
niveaux de palier. mieux adaptée à sa physio-
logie, son état de santé et les
4.4. Les procédures de conditions de l’immersion.
décompression ne résolvent
L’accident de décompression
pas tous les problèmes
est un risque récurrent dans
Les tables de décompression la pratique de la plongée. Ceci
ne résolvent, hélas, pas tous est d’autant plus vrai que l’on
les problèmes, tout simple- sait maintenant que toute
ment parce que les plongeurs remontée va s’effectuer avec
sont extrêmement divers dans la création de microbulles
leur morphologie au niveau de que l’on peut repérer par des
la taille, du poids, du sexe, de examens doppler25. Lors de
l’âge, etc. Ils ont des physio- la décompression, on met
logies différentes donc des en évidence des « trains de
comportements différents bulles » dans la circulation dont
vis-à-vis de la dissolution l’importance et la fréquence
des gaz et de leur élimina- sont directement liées à l’état
tion. Les tables proposées de sursaturation. Bien que
sont généralement mises au ces microbulles ne soient pas
point et validées pour certains des « petits agrégats », toute
types de population de plon- l’analyse précédente s’ap-
geurs. Il faut être certain d’en plique raisonnablement. Elles
faire partie (plongeurs de la ne grossiront que si leur rayon
Marine Nationale, travailleurs dépasse un rayon critique. Si
sous-marins, plongeurs de la sursaturation n’est pas
loisir, etc.). Et même si cela trop importante, ces petites
est, cette condition n’est pas « bulles circulantes » vont s’éli-
une garantie suffisante, car miner au niveau des poumons.
selon la nature de la plongée C’est pour cette raison que
(froid, courant, mer mauvaise, la tendance actuelle pour la
obscurité, stress, fatigue, etc.), plongée de loisir est d’une
le comportement du plon- part de limiter les profon-
geur peut être profondément deurs pour éviter les états
modifié. Il est donc totalement de sursaturation risqués, et
illusoire de penser qu’il existe d’autre part de respirer de l’air
des tables de décompression dans lequel on aura diminué
qui peuvent s’appliquer à tous la proportion de diazote, en
et à tous les instants. On peut rajoutant du dioxygène. On
très bien, même en respectant plonge maintenant le plus
les procédures, risquer des souvent avec des mélanges
accidents de plongée parce suroxygénés (NITROX), ce qui
que l’on est en dehors de la pose d’autres problèmes. Si
norme qui a été adoptée pour ces mélanges diminuent les
établir la table.
Actuellement, il existe une 25. Ces examens utilisent l’effet
multitude de procédures de Doppler, qui désigne le décalage de
décompression différentes fréquence d’une onde acoustique
ou électromagnétique entre la
dont l’emploi est facilité par mesure à l’émission et la mesure
l’utilisation d’ordinateurs à la réception lorsque la distance
immergeables. Le plongeur, entre l’émetteur et le récepteur
étant une personne libre, varie au cours du temps. 131
La chimie et le sport

accidents de décompression, en apnée. Cette discipline


on sait que le dioxygène peut comporte un certain nombre
devenir toxique à partir d’une de risques que connaissent
certaine pression partielle. Il bien les pratiquants. Pour
faut donc connaître, pour une ce qui est des accidents de
composition de gaz respira- décompression, ils sont très
toire donnée, la profondeur rares parce que la durée
limite à ne pas dépasser. On d’immersion en eau profonde
peut également s’interroger est courte. Généralement la
sur les effets, à longs termes, dissolution des gaz est peu
de la respiration de mélanges importante, ce qui implique
suroxygénés, liés au stress que leur élimination entraîne
oxydatif (formation de radi- peu de risque. Toutefois, pour
caux), entraînant une dégra- des plongées profondes et
dation du fonctionnement rapprochées, ces accidents
des cellules et leur vieillis- peuvent survenir (connus sous
sement prématuré. Le temps le nom de Taravana). Ainsi,
d’exposition aux mélanges ils ont été constatés sur les
suroxygénés est limité. pêcheurs de perle au Japon,
Actuellement, une autre forme ou aux Iles Tuamotu. Ce sont
d’incursion sous-marine des cas exceptionnels. Mais il
se développe : la plongée ne faut pas les ignorer.

Figure 26
La plongée sous-marine s’intègre dans un processus de respect de l’environnement.

132
Comprendre la physico-chimie par la plongée sous-marine.
Comprendre la plongée sous-marine par la physico-chimie
La plongée et la chimie,
dans le respect de l’environnement
Actuellement, on conçoit la plongée sous marine
dans un contexte de respect de l’environnement :
lorsque l’on descend sous l’eau, on essaie de
ne pas intervenir sur le milieu, d’être le plus
discret possible, de ne rien toucher (Figure 26)
(voir l’ouvrage La chimie et la mer, ensemble au
service de l’homme2026
).
On considère que l’on est invité et que la mer
constitue en elle-même un patrimoine que l’on
se doit de transmettre intact aux générations
futures. On ne peut qu’espérer qu’il en ira de
même de la chimie, de l’industrie, de toutes les
activités humaines. C’est un véritable pari pour
l’avenir.

26. La Chimie et la mer, ensemble au service de l’homme, coordonné par


Minh-Thu Dinh-Audouin, EDP Sciences, 2009.

133
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Partie 2

Les molécules de la performance

Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :

135
effets sur la performance et la santé mentale
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
sur la neurochimie cérébrale : effets sur la performance et la santé mentale
Charles-Yannick Guezennec Effets de l’exercice physique et de l’entraînement
Effets de l’exercice
physique et de
l’entraînement
sur la neurochimie

cérébrale :
effets sur la performance
et la santé mentale

Charles-Yannick Guezennec est a participé à la réalisation du


depuis 2005 directeur du pôle rapport remis au Ministère de
départemental de médecine du la Santé sur ce thème en 2008.
sport de l’Essonne au Centre La volonté de supprimer la
National de Rugby de Marcoussis sensation de fatigue, ainsi que
qui a pour but d’assurer le suivi les effets nocifs liés à l’excès
médical des sportifs de haut d’exercice physique, en parti-
niveau et de développer des culier sur le mental, est très
actions de recherche appliquée ancienne. La conséquence en
et de formation dans le domaine est la tentation du dopage,
Sport et Santé. que beaucoup d’individus mal
Docteur en médecine, ses informés pensent qu’il leur
travaux scientifiques ont entre permettra d’accroître leurs
autres porté sur l’endocrino- performances tant physiques
logie et la neurochimie de la qu’intellectuelles (voir les
fatigue et ses conséquences Chapitres de M.-F. Grenier-
sur le système immunitaire. Loustalot et J.-L. Veuthey
Depuis 2005, il se consacre à qui abordent la question du
l’amélioration de la santé sous dopage), de dominer leur peur
l’effet de l’activité physique et ou la douleur, de leur donner
La chimie et le sport

confiance en eux, etc. Sur et qui soit dépourvue d’effet(s)


le plan éthique, le problème secondaire(s) important(s).
du dopage se pose pour tous Comme médecin militaire,
et en particulier pour les l’une de mes fonctions était de
athlètes, qu’ils soient ou non rechercher les mécanismes
en compétition (voir aussi les physiologiques et biochi-
Chapitres de D. Masseglia, miques à l’origine de la fatigue
I. Queval et J.-F. Toussaint). ressentie dans des situa-
Historiquement, le dopage a tions exceptionnelles, et en
malheureusement pu être, particulier chez les militaires
parfois, largement utilisé et en opération. Cela soulève
valorisé, notamment pendant un problème d’éthique :
certaines périodes de crise, a-t-on le droit de mener des
à tel point que la plupart des études sur un tel sujet et de
anglais pensent que pendant proposer éventuellement des
la bataille de Londres, il y a molécules stimulantes pour
eu plus de morts chez les permettre d’aller au-delà
pilotes de la Royal Air Force de la fatigue, voire jusqu’à
à cause des amphétamines27 l’épuisement ? Considérons
que du fait des Allemands par exemple des militaires
(lesquels étaient larges utili- se trouvant en Afghanistan,
sateurs d’une métamphéta- engagés dans des missions au
mine, la pervitine, appelée cours desquelles ils portent
« pilule de Göring »). Bien quarante-cinq à soixante kilos
que non vérifiée, cette asser- sur le dos pendant huit heures
tion est couramment admise. sur quinze cents mètres de
L’usage des amphétamines a dénivelé et devant revenir au
perduré très longtemps après pas de course, au cas où ils
la Seconde Guerre mondiale. se trouveraient pris à partie
En France, conscient des par des éléments ennemis.
conséquences néfastes résul- Dans quel état peuvent-ils
tant de cet usage, on avait se trouver ? Peut-on leur
décidé de s’intéresser à une proposer des produits qui vont
autre molécule, le moda- les aider à dépasser leurs
finil, stimulant supposé performances habituelles ?
dénué d’effets secondaires, Sans vouloir répondre à
jusqu’au jour où des rats cette question très difficile,
testés sont devenus psycho- il apparaît surtout impor-
tiques, intoxiqués par un tant de travailler sur l’étude
usage prolongé de la drogue. des mécanismes biochi-
Aujourd’hui, il ne semble miques de la fatigue pour les
pas qu’il existe de molécule comprendre, plutôt que pour
susceptible de maintenir le proposer nécessairement des
sujet éveillé pendant une solutions. Le même problème
période relativement longue se pose pour les athlètes de
très haut niveau qui doivent
régulièrement se dépasser,
27. À propos des amphétamines, et c’est l’objet de ce chapitre.
voir le Chapitre de J.-L. Veuthey. La
Mais commençons par le bon
métamphétamine a une structure
proche de l’amphétamine (elle côté des choses : l’exercice
comporte un groupe « méthyle » physique, c’est d’abord bon
138 supplémentaire). pour le moral.
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
physique et les modifications
1 L’exercice physique :
quels effets
sur la santé ?
biochimiques qu’elle entraîne
agissent sur les comporte-
ments. Mais comment ?
1.1. Les effets positifs
EFFETS DE L’EXERCICE
Aujourd’hui, c’est un fait
PHYSIQUE SUR
avéré, on sait que l’activité
LES COMPORTEMENTS
physique conduit à des modi-
fications biochimiques : l’ac- Une étude longitudinale
tivité musculaire influe sur portant sur
la neurochimie cérébrale 19 288 personnes âgées
et probablement, en consé- de 10 à plus de 60 ans,
quence, sur le comportement. suivies par questionnaire
En effet, de larges études de 1991 à 2002, montre
épidémiologiques montrent que ceux qui pratiquent
que lorsque les gens sont régulièrement des
actifs tout au long de leur activités physiques avec
vie, leur état mental s’amé- une certaine intensité
liore sur tous les plans. On sont moins anxieux,
sait aussi que certains traits moins névrosés, plus
de comportement sont plus extravertis, plus à la
sensibles que d’autres. Une recherche de sensations
des relations les mieux et plus impulsifs que les
établies est le fait qu’une acti- non sportifs [1].
vité physique régulière diminue
l’état d’anxiété : elle a une
action sur les états dépres- 1.2. Les effets négatifs
sifs, les névroses. En somme,
quand on pratique une acti- On sait aussi depuis les
vité physique régulière, on se années 1980 qu’a contrario,
sent mieux (Encart : « Effets l’excès d’activité physique peut
de l’exercice physique sur produire des effets tout à fait
les comportements »). Cette négatifs sur les comporte-
sensation de bien-être corres- ments. On a ainsi observé que
pond d’ailleurs à la définition l’effet de l’activité physique
du terme « santé » par l’Or- sur la santé mentale peut être
ganisation mondiale de la décrit par une courbe en U
santé (OMS)28. Notre première inversé, positif d’abord, négatif
hypothèse sera donc : l’activité ensuite. S’il pousse trop loin
ses efforts, le sujet souffrira
du syndrome de surentraî-
28. D’après le préambule de 1946 nement. D’une expression
à la Constitution de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS)
complexe, sa définition repose
(signée le 22 juillet 1946 par les sur un point essentiel, une
représentants de 61 États lors de dégradation des performances
la conférence internationale sur physiques malgré la poursuite
la santé à New York) : « La santé de l’entraînement, associée à
est un état de complet bien-être une dégradation de la santé
physique, mental et social, et ne
mentale. Ces effets néga-
consiste pas seulement en une
absence de maladie ou d’infirmité ». tifs, exactement inverses des
Cette définition n’a pas été effets positifs, apparaissent
modifiée depuis cette date. à partir d’un certain seuil : 139
La chimie et le sport

augmentation de l’anxiété,
états dépressifs, troubles du QUELLES RELATIONS
sommeil, troubles du compor- ENTRE L’EXERCICE
tement alimentaire... Le tout PHYSIQUE ET NOS
est associé à des manifesta- COMPORTEMENTS ?
tions qu’on pourrait qualifier Les effets de l’activité
de périphériques, telles que physique, qui mettent
des douleurs musculaires, en évidence une action
la sensation de fatigue, des suivant une courbe en U
modifications cardiovascu- inversé sur l’état mental,
laires et des perturbations du ont servi de support à
système immunitaire (Figure 1 des hypothèses reliant
et voir le Chapitre de M.-F. les modifications neuro-
Grenier-Loustalot). endocriniennes de
La mise en évidence du l’exercice physique
syndrome de surentraîne- et les comportements :
ment a suscité des hypo- - Action sur le
thèses, résumées dans métabolisme des
l’Encart « Quelles relations neuromédiateurs
entre l’exercice physique et (paragraphe 2.1.).
nos comportements ? » Il est - Action endocrinienne
fort probable que les modifi- (paragraphe 2.2.).
cations métaboliques liées à - Action sur le débit
un excès d’activité physique sanguin cérébral
entraînent une baisse initiale (paragraphe 2.3.).
des réserves énergétiques, - Action sur la
responsable ultérieurement neurogenèse cérébrale
de modifications neuro-endo- (paragraphe 2.4.).
criniennes. Ces dernières - Hypothèse
Figure 1 agissent sur certains compor- endorphinique
tements, régulés au niveau (paragraphe 2.5.).
Chute inexpliquée du niveau de
performance malgré la poursuite neurochimique, en particulier
de l’entraînement, besoin de le sommeil, l’humeur ou le
sommeil accru, jambes lourdes, comportement alimentaire, la biochimie périphérique qui
perte du « goût » de l’effort, baisse comme nous l’avons évoqué en résulte et la biochimie céré-
de la capacité de concentration, ci-dessus. Ainsi pouvons-nous brale ? » Ces questions sont
anémie progressive… autant de poser la question : « quelles importantes sur le plan des
symptômes du surentraînement peuvent être les relations moyens à mettre en œuvre pour
qui aboutissent à une dégradation
entre le métabolisme résul- prévenir ou guérir le suren-
de la santé mentale du sportif.
tant des exercices physiques, traînement, dont certaines

Fatigue Douleurs musculaires

Troubles Syndrome du
du comportement Troubles
surentraînement du sommeil
alimentaire

Augmentation
de la fréquence cardiaque Perturbations du
et de la pression artérielle système immunitaire

Anxiété / Dépression

140
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
conséquences peuvent être est défini comme l’ensemble
graves, voire mortelles. des réactions biochimiques
qui se produisent dans le
corps humain, par opposi-
2 Quelles relations
entre métabolisme,
biochimie périphérique
tion au métabolisme céré-
bral. Ces deux métabolismes
la neurochimie sont séparés par la barrière
cérébrale ? hémato-encéphalique qui joue
le rôle d’un filtre sélectif.
HISTORIQUE Nous avons vu que l’exercice
DES OBSERVATIONS physique affecte l’humeur.
Cet effet est qualifié d’aigu
- Hypothèse des quand il suit immédiatement
endorphines, développée l’exercice musculaire, et il est
la première puis chronique quand il résulte
mise en doute par d’un entraînement régulier.
l’absence d’effet de Une première hypothèse pour
l’administration de expliquer cet effet est que les
naloxone*, antagoniste modifications du métabolisme
des endorphines périphérique vont moduler
(paragraphe 2.5). le métabolisme cérébral en
- Mise en évidence, influençant la disponibilité de
ensuite, d’une certains précurseurs de neuro-
augmentation du médiateurs (ou neurotrans-
métabolisme cérébral metteurs) qui vont traverser
de la sérotonine et la barrière hémato-encépha-
plus généralement lique et augmenter la synthèse
des monoamines sous cérébrale de certains neuro-
l’effet de l’exercice médiateurs, ces molécules
(paragraphe 2.2). qui transportent l’information
- Plus récemment, d’un neurone à l’autre (voir
description de la Figure 10). Mais comment
l’augmentation des expliquer le fait qu’un entraî-
facteurs de croissance et nement modéré améliore
des cytokines cérébrales l’humeur, alors qu’un entraî-
sous l’effet de l’exercice. nement intense et prolongé
(Figure 2) peut conduire à
*La naloxone est un une une dépression transitoire ou
molécule qui peut servir durable ?
d’antidote (antipoison)
Il a été montré que la répé-
aux opiacés, substances
tition d’exercices physiques
contenant de l’opium ou
intenses plusieurs jours
ses dérivés. Elle est utilisée
d’affilée diminuait dans le
en cas de surdosage, chez
muscle les concentrations
les toxicomanes le plus en glycogène29, notre réserve
souvent. énergétique. La diminution
de la disponibilité en subs-
trats glucidiques pousse
2.1. Action
alors l’organisme à utiliser
sur le métabolisme
des neuromédiateurs
29. Le glycogène est le polymère
Le métabolisme périphérique, sous la forme duquel est stocké le
lors de l’exercice physique, glucose dans notre corps. 141
La chimie et le sport

nine. Ce neuromédiateur est


impliqué dans la régulation
de nombreux comportements,
dont l’humeur, l’appétit ou le
sommeil. Ainsi, l’augmen-
tation du tonus sérotoniner-
gique30 exerce-t-il un effet
anorexigène et anxiogène.

2.2. L’action endocrinienne


En dehors des conséquences
purement énergétiques, l’exer-
cice physique agit sur la régula-
tion d’un grand nombre d’axes
endocriniens qui sont, eux
Figure 2 progressivement des subs- aussi, impliqués dans la régu-
trats lipidiques et protéiques. lation des comportements.
Comment expliquer le fait qu’un La relation supposée entre Le système le plus étudié est
entraînement intense et prolongé
fatigue et métabolisme celui des hormones stéroï-
puisse conduire à une dépression
transitoire ou durable ? protéique repose sur l’exis- diennes : de nombreux résul-
tence d’un lien entre le méta- tats concordent pour indiquer
bolisme des acides aminés, une baisse de la concentration
précurseurs des protéines de testostérone plasmatique
et utilisés comme substrats chez l’homme sous l’effet d’un
énergétiques, et la disponi- entraînement intense. Chez
bilité de certains neuromé- la femme, l’augmentation de
diateurs cérébraux impliqués la quantité de travail muscu-
dans la fatigue, dont le déter- laire est aussi associée à un
minant principal est la séroto- changement au niveau des
nine cérébrale : sa synthèse hormones ovariennes. Il est
augmente en même temps certain que ces modifications
que se prolonge et s’intensifie peuvent agir sur le fonctionne-
l’entraînement (Figure 3) [2]. ment cérébral.
On observe simultanément La modification du paysage
une incorporation des acides endocrinien concerne aussi
aminés dits « branchés » les glucocorticoïdes et prin-
(Encart : « Des acides aminés cipalement le cortisol31,
branchés impliqués dans les l’hormone du stress. Par
mécanismes de la fatigue ») exemple, l’exercice muscu-
dans les processus oxydatifs laire s’accompagne d’une
du métabolisme périphé- élévation permanente du
rique. Par des mécanismes taux de cortisol plasmatique ;
biochimiques complexes, il
en résulte une augmentation 30. Qui a trait au métabolisme de
de la production de trypto- la sérotonine.
phane au niveau du foie et une 31. Le cortisol est l’hormone la
amélioration de son passage plus active et la plus importante
à travers la barrière hémato- parmi les corticoïdes agissant
sur le métabolisme des glucides.
encéphalique. Le tryptophane
Corticoïde est le nom générique
est un acide aminé branché des hormones secrétées par les
dont la disponibilité favorise glandes corticosurrénales et de
142 la synthèse de la séroto- leurs dérivés synthétiques.
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
Effet des excercices
sur la régulation des acides aminés

HYPOTHÈSE
Effet sur la fatigue
Effet sur la perturbation du sommeil
5 HT
Effet sur la consommation
de protéine
Effet sur la régulation hormonale
Compétition pour la pénétration cérébrale des acides aminés branchés

TRP libre

Insuline
NH4
Acide
gras libre
TRP

TRP
lié

TRP

Diminution brutale
des protéines

Acides aminés
Boyau

DÉMONTRÉ
HYPOTHÈTIQUE

Figure 3
Effet de l’exercice dans la régulation d’acides aminés. La baisse de l’insuline, l’augmentation des acides gras
libres et de l’ammoniac (NH4) résultant de l’exercice musculaire conduiraient à une disponibilité accrue en
tryptophane (TRP) libre, ce qui favoriserait la synthèse cérébrale de sérotonine (5HT). Cette observation a permis
de proposer la théorie sérotoninergique de la fatigue. 143
La chimie et le sport

DES ACIDES AMINÉS BRANCHÉS, IMPLIQUÉS DANS LES MÉCANISMES DE LA FATIGUE


Il existerait un lien entre le métabolisme d’acides aminés branchés (leucine, isoleucine,
valine et tryptophane, Figure 4), utilisés comme substrats énergétiques protéiques lors
d’efforts physiques, et la disponibilité de certains neuromédiateurs cérébraux impliqués
dans la fatigue (comme la sérotonine).

CO2H CO2H CO2H CO2H

NH2 NH2 NH2 NH2


N
H
L-Leucine L-Isoleucine L-Valine L-Tryptophane

Figure 4
Parmi les vingt acides aminés naturels (procurés par notre alimentation), quatre possèdent une chaîne
latérale (en bleu) ramifiée ou dite « branchée » : la leucine, l’isoleucine, la valine et le tryptophane
(précurseur de la sérotonine : voir la structure Figure 6).

cette hormone a une puis- peut atteindre 25 litres par


sante action sur les compor- minute) augmente aussi le
tements, comme le montrent débit sanguin cérébral. Ce
les données obtenues sur l’hy- phénomène joue un rôle sur
percorticisme32 dans les états l’amélioration des fonctions
pathologiques, qu’ils soient du cerveau.
d’origine naturelle (comme
dans certaines maladies) ou 2.4. Action sur
résultant de l’injection de la neurogenèse cérébrale
substances corticoïdes.
Récemment, des chercheurs
Il faut aussi noter une modi- ont mis en évidence une
fication de l’ensemble du augmentation des facteurs
système sympathique qui de croissance neuronaux
se traduit par une diminu- sous l’effet de l’exercice (voir
tion de l’excrétion urinaire de l’Encart : « Effet de l’activité
certains neuromédiateurs, physique sur le vieillissement
des catécholamines (voir la neuronal » et le paragraphe 3).
Figure 6), en relation avec une
diminution de leur tonus adré- 2.5. L’hypothèse
nergique33, et cette inhibition endorphinique
a pu être reliée à la variabilité
Dès 1981, on a mis en évidence
de la fréquence cardiaque.
une augmentation des taux
2.3. Action sur le débit sanguins d’endorphines
sanguin cérébral lors des activités physiques.
On sait que les endorphines
L’augmentation du débit
cérébrales sont des neuro-
cardiaque qui se produit lors
médiateurs présentant une
de l’exercice physique (et qui
action analgésique. L’hypo-
thèse d’une morphinomanie
32. Présence d’une quantité
induite par l’exercice physique
trop importante de substances
corticoïdes dans le sang. qui expliquerait certains cas
33. Qui a trait au métabolisme de d’addiction à l’activité
144 l’adrénaline. physique a même été émise,
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
et abandonnée depuis. En n’est pas le seul neuromédia-
effet, le blocage pharma- teur à être modifié par l’exer-
cologique de l’action des cice physique (Figure 5). La
endorphines par l’adminis- neurochimie nous apprend
tration d’un antagoniste34, que les comportements sont
la naloxone, ne modifie pas le plus souvent dépendants
le comportement du sportif. de l’équilibre entre différents
Ce qui suggère que d’autres neuromédiateurs.
neuromédiateurs sont impli- Quels sont les effets des autres
qués dans ces effets, comme neuromédiateurs ? L’équipe
la sérotonine ou d’autres de Romain Meeusen à Louvain
monoamines (voir la Figure 6). a analysé l’évolution des
différents neuromédiateurs
2.6. Rôle de la sérotonine cérébraux : la noradrénaline
cérébrale dans le mécanisme (NA), la dopamine (DA) et la
de la fatigue liée au sérotonine (5-HT) (Figure 6).
surentraînement L’utilisation de techniques
de microdialyse cérébrale35
Pendant longtemps, on a
a montré que l’augmentation
cru que lors de l’exercice
des taux cérébraux de ces
physique, puisque le taux
différentes monoamines était
de sérotonine augmente et
très spécifique des différentes
puisque l’on est fatigué, il y
structures cérébrales. Les
devait y avoir une relation de
structures les plus sensibles
cause à effet entre ces deux Figure 5
aux modifications neuro-
observations. Par ailleurs, chimiques dues à l’exercice La sérotonine agirait en fait
de nombreux travaux sur comme un neuromodulateur à la
les comportements avaient base de nombreuses fonctions, et
également mis en évidence le 35. La microdialyse cérébrale non comme un neuromédiateur.
rôle de cette molécule sur le permet l’étude in vivo du milieu À la différence de ce dernier, qui
sommeil, la prise alimentaire, extracellulaire cérébral. Elle assure la transmission de l’influx
nécessite l’introduction, dans le nerveux via des récepteurs des
les états dépressifs ou anxieux
cerveau, d’une sonde contenant neurones, un neuromodulateur
et la locomotion spontanée : la est une substance chimique
une membrane semi-perméable
baisse de la concentration en à l’eau et aux petites molécules, qui agit directement sur des
sérotonine jouerait un rôle sur permettant l’échange dans neuromédiateurs pour modifier
les mécanismes favorisant les les deux directions par simple leur libération ou sur leurs
états dépressifs, alors que son diffusion et le recueil d’un liquide récepteurs afin de modifier leur
augmentation serait géné- reflétant le milieu extracellulaire. sensibilité.
ratrice d’anxiété. Les études
pharmacologiques menées Comportements Activité
pour élucider le rôle de la Cycle motrice
veille sommeil
sérotonine ont conduit à des
résultats encourageants sur
des modèles animaux, confir- Système Vigilance

mant l’hypothèse d’une action sérotoninergique


de la sérotonine sur la fatigue. Thermorégulation Neuromodulateur
En revanche, les données du système
nerveux central
obtenues sur l’homme sont
Stress
beaucoup moins convain-
cantes. En fait, la sérotonine Modulation
neuro - endocrinienne Prise
Nociception alimentaire
34. Voir l’Encart : « Les antago- (perception des stimulations
produisant la douleur) 145
nistes de neuromédiateurs ».
La chimie et le sport

Figure 6 musculaire sont, outre le campe ventrale de rats, que la


striatum, le locus coeruleus, sérotonine augmente à l’issue
L’effet de l’activité physique le nucleus accumbens, l’hip- de trois heures de course mais
sur le moral est dû à l’action
pocampe et la substance noire que l’on peut bloquer cette
de multiples neuromédiateurs
cérébraux, molécules de la famille (voir la Figure 19 du Chapitre montée par l’administration
des monoamines. On peut citer d’A. Berthoz). Les résultats d’une molécule en compétition
la classe des catécholamines : montrent que les taux des au niveau du transporteur de
adrénaline, noradrénaline et neuromédiateurs cérébraux la barrière hémato-encépha-
dopamine. Leur sécrétion lors croissent pendant l’exercice lique. C’est effectivement
d’une activité physique induit des physique et diminuent après ce que l’on observe si l’on
modifications physiologiques : la fin de l’exercice (Figure 7).
augmentation de la fréquence
injecte de larges doses d’un
cardiaque, de la pression artérielle acide aminé branché tel que
et du taux de glucose dans le sang. 2.7. Compréhension la valine (Figure 8). Or, nous
Lors d’une période de stress, les des mécanismes d’interaction n’avons constaté aucun effet
taux de monoamines augmentent entre neurochimie sur les résultats obtenus par
également dans le sang. et métabolisme périphérique les animaux utilisés dans
lié à l’exercice musculaire : l’expérience : les rats présen-
Figure 7 influence des taux taient tous les mêmes perfor-
L’exercice physique augmente les de monoamines cérébrales mances, quelque soit leur taux
taux des différentes monoamines de sérotonine. Ces observa-
cérébrales, notamment dans le Nous avons montré, par micro-
tions renforcent le doute que
striatum. dialyse cérébrale de l’hippo-
l’on peut avoir quant au lien
possible entre sérotonine et
dopamine noradrénaline sérotonine
fatigue.
Augmentation (%)
Nous avons même montré que
250
l’exposition continue pendant
plusieurs semaines à des
200 taux de sérotonine cérébrale
très élevés « désensibilise »
150
les récepteurs cérébraux
100 de ce neuromédiateur. Cela
signifie que, sous l’effet d’un
50
exercice physique répété
0 quotidiennement et inhabi-
Exercice physique 40 60 80 100 120 140 160 180 Temps (min) tuel pour un organisme, des
146 taux très élevés de sérotonine
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
NaCI Valine sérotonine NaCI Valine tryptophane
160 180

160
140
140
120
120
100
100
% 80 %
80
60
60
40 40
Valine
Valine Valine
20 20

0 0
−60 −30 0 Exercice physique 150 180 210 240 270 -60 -30 0 Exercice physique 150 180 210 240 270
Temps (min) Temps (min)

induisent au bout du compte nement intense et sur Figure 8


une absence d’effets. l’apparition de signes de
L’exercice musculaire augmente la
surentraînement au niveau
Comme nous, Romain concentration de sérotonine dans
métabolique, endocrinien, le cerveau. Ce phénomène dépend
Meeusen s’est posé la ques-
comportemental et même d’un transporteur commun à celui
tion de la responsabilité des
immunitaire, ont conduit à se des acides aminés branchés tels
neuromédiateurs dans l’état
poser la question des rela- que la valine. L’injection de celle-ci
de fatigue. Il a administré empêche l’augmentation de la
tions de cause à effet entre
à des hommes volontaires sérotonine à l’exercice… mais sans
ces différents acteurs de la
(avec l’accord des comités effet sur la performance.
fatigue. Trois contraintes Protocole : 2 groupes de 7 rats.
d’éthique) différents antago-
principales semblent aboutir Injection dans l’hippocampe ventral
nistes : un antagoniste de la
au surentraînement : le déficit de solution saline (NaCl) et de
sérotonine (la fluoxetine), un
énergétique, le stress psycho- valine.
autre de la noradrénaline (la
logique et les perturbations
reboxetine), un autre encore
du rythme veille-sommeil.
de la dopamine (le bupropion)
et un antagoniste du couple Pour un même sujet, le seuil
sérotonine-noradrénaline (la de travail physique faisant Figure 9
venlafaxine) (Encart : « Les courir le risque de surentraî-
nement sera significativement La performance physique
antagonistes de neuromédia- des individus, mesurée en temps
teurs »). Il en a alors mesuré abaissé si l’on réduit l’apport
de pédalage, n’est quasiment
les conséquences sur la alimentaire. Plutôt que d’es- pas augmentée sous l’effet
performance de sujets à qui sayer de trouver des subs- d’antagonistes
on a demandé de pédaler tances pharmacologiques qui de neuromédiateurs.
jusqu’à épuisement. Seul un
léger effet de la noradréna-
Temps (min)
line a été mis en évidence, le 120
reste n’étant pas significatif
100
(Figure 9). Ainsi, un excès de
neuromédiateurs n’est pas en 80
soi responsable de la fatigue
60
cérébrale liée à un surentraî- 80,9 88,8 93,1 98,2 89,4
nement physique. 40

20
2.8. Influence de
l’alimentation sur la fatigue 0
Placebo fluoxetine venlafaxine reboxetine bupropion
Les connaissances recueillies
5-HT 5-HT/NA NA NA/DA
sur les effets de l’entraî- 147
La chimie et le sport

LES ANTAGONISTES DES NEUROMÉDIATEURS


Pendant une activité physique ou mentale, des influx nerveux sont émis dans notre cerveau
et des neuromédiateurs tels que la sérotonine sont transmis de neurone en neurone par libé-
ration dans la synapse et fixation sur les récepteurs du neurone post-synaptique (Figure 10).
Une partie de ces neuromédiateurs ne s’y fixe pas mais est recapturée ; cette recapture peut
néanmoins être inhibée par des molécules dites antagonistes de neuromédiateurs. Par défini-
tion, elles ont la propriété de se lier aux mêmes récepteurs que ces neuromédiateurs et de
bloquer ainsi leur activité. Par exemple la fluoxetine (initialement commercialisée sous le nom
Prozac®) est un antagoniste de la sérotonine : en tant qu’inhibiteur sélectif de sa recapture,
elle constitue une classe d’antidépresseurs. Au cours des travaux des équipes de R. Meeusen
et M. F. Piacentini en 2001, les antagonistes des neuromédiateurs suivants ont été testés sur
la performance de sujets au cours d’exercices physiques :
-Antagoniste de la sérotonine (5-HT) : fluoxetine (nom commercial Prozac®)
-Antagoniste du couple sérotonine/noradrénaline (5-HT/NA) : venlafaxine (nom commercial
Effector®)
- Antagoniste de la noradrénaline (NA): reboxetine (nom commercial Edronax®)
- Antagoniste de la dopamine (DA) : bupropion (nom commercial Zyban®)

Neurone
neuromédiateurs

Figure 10
Les neuromédiateurs (comme
la sérotonine, l’adrénaline, la
dopamine…) sont libérés au
niveau de la synapse et vont
se fixer sur des récepteurs
Récepteur Synapse post-synaptiques. C’est ainsi
que se transmet l’information
de neurone en neurone.

vont maintenir les perfor- supportent simultanément


mances de sujets fatigués, deux contraintes : la réduc-
essayons donc de trouver des tion du temps de sommeil
méthodes nutritionnelles plus et la fatigue physique. Sur la
adaptées. Figure 11 sont reportés les
Ayant mentionné précé- résultats observés sur deux
demment le rôle des acides populations : une population
aminés branchés sur le qui a reçu une alimentation
blocage de la synthèse de la équilibrée (histogramme
sérotonine cérébrale (voir les blanc), et une population qui a
Figures 4 et 8), nous avons reçu une alimentation hyper-
voulu savoir si une augmen- protéique enrichie en acides
tation de leur apport pouvait aminés branchés (histo-
modifier les relations entre gramme en noir). Les tests ont
fatigue et comportements porté sur les performances
[3]. Le thème retenu était physiques et mentales. Parmi
la fatigue des sportifs qui ces tests, l’évolution de la
pratiquent la course au mémoire dite à court terme
148 large, pendant laquelle ils a été examinée à l’issue de
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
cette période de navigation
avec privation de sommeil et Mémoire à court terme

fatigue physique. Au terme 10

Pourcentage d’erreurs lors des tests de mémoire


d’une période avec privation 9

de sommeil de 48 heures, 8

7
la mémoire à court terme 6 Alimentation équilibrée
semble mieux conservée 5 Régime hyperprotéiné

chez les sujets ayant reçu une 4

alimentation hyperprotéique 3

2
riche en acides aminés bran-
1
chés. Cet effet peut être relié 0
Avant Après
à leur potentiel d’action sur
la synthèse de la sérotonine
cérébrale.
On peut conclure de cette
étude qu’il semble bien que 2.9. Le rôle supposé Figure 11
lorsqu’on veut lutter contre de l’ammoniac
On observe un effet positif de la
une hypersérotoninergie par Une autre hypothèse évoque nutrition hyperprotéique sur la
une alimentation riche en le rôle possible d’une action mémoire à court terme après une
protéines, on n’obtient pas spécifique de l’ammoniac situation de réduction du temps de
d’effet sur la performance (NH3) au niveau cérébral, à sommeil chez des sportifs.
physique elle-même mais, en l’origine de la modification
revanche, une amélioration de du métabolisme d’un neuro-
certains comportements, et médiateur important : l’acide
parmi eux, celui qui semble γ-amino-butyrique » ou GABA
être sensible est la mémoire (Figure 12). Une augmen-
à court terme. Celle-ci est tation de l’ammoniac dans
d’ailleurs un très bon indica- différentes structures céré-
teur de la fatigue car c’est le brales de rats entraînés a été
premier comportement altéré observée (Figure 13). Or, on
sous l’effet d’un exercice sait que l’ammoniac joue un
physique épuisant. rôle important dans la trans-
A contrario, une diminu- formation du glutamate en
tion de l’endurance muscu- glutamine, dont la formation
laire a été observée après augmente en même temps
plusieurs jours d’un tel que celle d’ammoniac. En
régime associé à un exer- conséquence, le glutamate
cice physique prolongé. Le diminue ; or, la diminution
régime hyperprotéique riche du glutamate entraîne de
en acides aminés branchés manière significative la dimi-
n’est efficace qu’en prépara- nution du GABA, probable-
tion à des courses de courte ment l’un des acides aminés
durée, durant lesquelles il excitateurs de la motricité.
préserve les performances de Cette succession de réac-
mémoire, décroît la sensation tions en chaîne, en cours de
de fatigue et réduit les effets vérification, mériterait d’être
négatifs de la fatigue sur l’ac- explorée dans ses différentes
tivité spontanée36. modalités d’expression.

36. Précisons que l’activité l’enregistrement de la totalité des


spontanée est le volume total mouvements. Cette activité tend à
d’activité physique mesuré par se réduire sous l’effet de la fatigue. 149
La chimie et le sport

La fatigue : est-ce un phénomène


central et /ou périphérique ?
Exercice
ATP
ADP - débit glycolyse
- déplétion des substrats fatigue
IMP CNP APM énergétiques musculaire
- métabolisme des acide aminés branchés
Ammoniac

NH3
NH3
Fatigue
NH3 périphérique
Urée pl

Diffusion NH3 à travers


barrière hémato-encéphalique
stimule PFK
CPN accéleration
NH3 glycolyse
glutamate glutamine
C.K glutamine
synthèse 5-HT
DABA

- perte de coordination
dysfonctionnement
- ataxie
du système nerveux central
- coma/convulsion

Fatigue centrale

un effet antivieillissement
Figure 12
Composantes centrales de la
3 Effets protecteurs
à long terme
de l’activité physique
et que l’exercice musculaire
améliore le déclin cognitif lié à
fatigue : l’hypothèse « ammoniac »
l’âge de façon tout à fait signi-
de la fatigue.
L’exercice physique est signifi- ficative, probablement du fait
cativement associé à la réduc- d’une augmentation à la fois
tion des symptômes d’anxiété de la plasticité neuronale, de
et à ses indicateurs, mais l’in- la neurogenèse et de la vascu-
tensité de l’activité nécessaire larisation cérébrale. En effet,
ou minimale pour produire l’exercice musculaire agit sur
des effets est très discutée. On de nombreuses voies neuro-
sait maintenant qu’une acti- chimiques, et nous venons de
vité physique pratiquée tout voir que les principales modifi-
150 au long de l’existence a aussi cations et leurs conséquences
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
600 $ $
2.75
2.5 * *
500
NH3 plasmatique (μM)

2.25

NH3 stratum (μmol/g)


2
400
1.75
Rats non entraînés 1.5 Rats non entraînés
300
Rats entraînés 1.25 Rats entraînés
200 1
0.75
100 0.5
0.25
0 0
Repos Épuisement Repos Épuisement

$ $
2.25 2
2 * 1.75 *
1.75
NH3 cervelet (μmol/g)
NH3 cortex (μmol/g)

1.5
1.5 1.25
1.25
Rats non entraînés 1 Rats non entraînés
1
Rats entraînés Rats entraînés
0.75
0.75
0.5
0.5
0.25 0.25

0 0
Repos Épuisement Repos Épuisement

se situent au niveau du méta- des rats qui ont été soumis Figure 13
bolisme des monoamines à un exercice physique
(sérotonine, etc.). Plus récem- régulier, on a pu mettre en Étude du rôle de l’ammoniac NH3
et des systèmes glutamatergique
ment, on a identifié une action évidence une augmentation et GABAergique. Les
sur la neurogenèse médiée de la neurogenèse (Figure 14). concentrations en ammoniac ont
par les facteurs de croissance Cette augmentation du été mesurées dans le plasma
de neurones (Encart : « Effet nombre de cellules neuro- sanguin ainsi que dans différentes
de l’activité physique sur le nales agit sur l’électrogé- régions du cerveau (striatum,
vieillissement neuronal ») nèse39 cérébrale qui est mise cortex, cervelet) chez deux groupes
en jeu dans la mémoire à long de vingt rats soumis à une course
Aujourd’hui, on a probable- à l’épuisement : un groupe de rats
ment isolé le médiateur de terme. Lorsqu’on soumet des entraînés et un groupe de rats
ces effets bénéfiques de rats à des stimulations de non entraînés. On observe une
l’activité physique : c’est un cette mémoire à long terme40, augmentation de l’ammoniac dans
facteur de croissance céré- on s’aperçoit que les animaux différentes structures cérébrales
« coureurs » ont des réponses de rats entraînés.
brale, le brain-derived neuro-
trophic factor (BDNF), qui électriques beaucoup plus
stimule la neurogenèse dans
le cerveau adulte. Cela a été porté par un anticorps, lequel va
mis en évidence par des expé- se lier spécifiquement à cette pro-
téine. Cette dernière va alors être
rimentations d’histomorpho-
visible par fluorescence.
métrie37. Par marquage en 39. L’électrogénèse est la
immunofluorescence38 sur production d’électricité par les
tissus vivants.
37. Analyse des tissus et organes. 40. La mémoire à long terme est
38. La technique de l’immunofluo- celle qui repose sur une stabilisa-
rescence est utilisée par les bio- tion des acquis. Elle s’oppose à la
logistes pour mettre en évidence mémoire à court terme qui n’as-
une (ou plusieurs) protéine(s) sure qu’un stockage transitoire
par l’injection d’un fluorochrome des éléments mémorisés. 151
La chimie et le sport

EFFET DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE SUR LE VIEILLISSEMENT NEURONAL


L’exercice physique joue un rôle neurotrophique (favorise le développement des neurones)
et neuroprotecteur chez l’adulte :

Rôle des neurotrophines L’exercice musculaire


(comme le facteur améliore le déclin cognitif lié à l’âge
de croissance cérébrale par augmentation de la plasticité neuronale,
BDNF) exprimées dans augmentation de la neurogénèse, augmentation de l’angiogénèse
de nombreuses régions
du système nerveux central
et du système nerveux périphérique
BDNF stimule la neurogénèse dans le cerveau adulte
(brain-derived neurotrophic factor)

Plasticité neuronale
Modifications morphologiques et physiologiques
des synapses en réponse à des changements
d’activité neuronale

10000 élevées que les animaux Une campagne de l’Institut


8000 « contrôle ». national de prévention et
6000 Encore plus significatives sont d’éducation pour la santé
Nombre de cellule

les expérimentations sur le (INPES) « Manger-Bouger »


4000

comportement animal, où l’on a récemment recommandé


2000
étudie l’apprentissage spatial trente minutes d’activité
0
dans un test appelé le laby- physique par jour. Formulée
Contrôle Coureur

rinthe en croix. Dans un laby- ainsi, cette recommanda-


rinthe, des rats doivent choisir tion est insuffisante. En effet,
Figure 14 les parcours leur permettant si une population effectue
de trouver de la nourriture. trente minutes d’activité
On constate que les rats modérée par jour, cinq jours
coureurs développent davantage On s’aperçoit alors que les
rats qui ont été soumis à un par semaine, on ne se trouve
de neurones que les rats non
coureurs (« contrôle »). entraînement physique régu- que dans le seuil perceptible,
lier trouvent plus rapidement en termes d’épidémiologie,
leur chemin et ont des temps de l’effet bénéfique de l’acti-
de latence et de réponse plus vité physique sur la santé. En
courts. Il existe donc un effet revanche, on sait que cet effet
très significatif de l’activité augmente de façon linéaire
physique sur des fonctions avec l’intensité et le volume.
élaborées, comme la mémo- Ce qui veut dire que plus on
risation d’un trajet spatial et fait de l’exercice physique,
la mémorisation de conduites plus il est intense, meilleur
motrices à effectuer. L’ori- sera son impact.
gine en est probablement une Une autre conséquence impor-
synaptogénèse accrue, c’est- tante de cette approche touche
à-dire une augmentation un sujet de santé publique
des connexions entre les actuellement très préoc-
152 neurones (Figure 15). cupant. Comment prévenir
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
1000 a 40 b
Contrôle

800 Coureur
30
Chemin (cm)

Latence (sec)
600
20
400

10
200

0 0
1 2 3 4 5 6 1 2 3 4 5 6
Jours

l’obésité et le surpoids ? d’exercices, notamment chez Figure 15


Comment agir pour être effi- les jeunes, il faudrait proposer
cace ? Puisqu’il semble bien de jouer sur l’intensité de la Un entraînement physique régulier
favorise l’apprentissage spatial.
que de courtes périodes pratique sportive, davantage
Les rats entraînés ont besoin de
d’activités physiques très que sur son volume. Ce qui temps de réflexion plus courts
intenses (c’est-à-dire attei- amènerait à revoir quelque avant de se mettre en route, puis
gnant 80-90 % de l’intensité peu toutes les recommanda- trouvent leur chemin plus vite pour
maximale que peut supporter tions actuelles concernant les atteindre la nourriture.
un individu donné) sont plus activités physiques au bénéfice
efficaces que le volume total de la santé…

L’activité physique, un remède


à de nombreux maux contemporains…
L’évolution des idées et des faits dans le domaine
de la neurobiologie de l’exercice musculaire
montre qu’il existe une synergie entre les
modifications métaboliques périphériques et le
système nerveux central. En d’autres termes, il
n’y a pas d’un côté le muscle et de l’autre côté le
cerveau. Ces deux systèmes sont en permanente
communication. À tel point qu’on peut se poser
la question suivante : « le cerveau dispose-t-il
d’indicateurs du niveau de fatigue métabolique
qui conduira un individu à arrêter l’exercice
musculaire avant qu’il ne soit trop tard ? »
Cette hypothèse est retenue par de nombreux
chercheurs car elle repose sur des bases 153
La chimie et le sport

solides, bien qu’elle ne soit pas formellement


démontrée aujourd’hui. En supposant qu’il y ait
des indicateurs du métabolisme périphérique,
peut-être intramusculaires, et qui, soit par voie
sanguine soit par voie neuronale, informeraient
le cerveau des modifications de l’homéostasie
périphérique (c’est-à-dire de l’ensemble des
paramètres physico-chimiques de l’organisme
qui doivent être maintenus constants), on
peut penser que cela puisse entraîner une
diminution de la commande motrice. Mais ce
n’est encore qu’une hypothèse qui, pour être
levée, nécessite une parfaite connaissance de
cette chimie du vivant et la coopération entre
chimistes, biologistes, neurophysiologistes et
médecins.
Les effets comportementaux ne peuvent
se résumer à l’action d’un seul type de
neuromédiateurs, mais à des actions équilibrées
de l’ensemble des neuromédiateurs au sein
de zones cérébrales spécifiques. Ce point est
très important dans la prévention des attitudes
dopantes car il signifie qu’utiliser une seule
molécule dopante ayant une action sur un seul
type de neuromédiateurs est un mauvais pari,
parce qu’on prend le risque inhérent au dopage
sans obtenir les effets positifs escomptés
(voir notamment le Chapitre de M.-F. Grenier-
Loustalot). Il faut faire passer aux sportifs ce
message : « la fatigue centrale, la fatigue
neurobiochimique, résulte probablement
d’un équilibre entre sérotonine, dopamine,
noradrénaline, et probablement aussi
glutamate (GABA) ; une seule molécule ne
sera pas capable de lutter contre les effets de
la fatigue ».
Les données les plus récentes montrent qu’une
activité physique régulière peut moduler la
neurogenèse cérébrale par le biais de ses
154 réponses endocriniennes. L’hormone de
effets sur la performance et la santé mentale
Effets de l’exercice physique et de l’entraînement sur la neurochimie cérébrale :
croissance, appelée somatotropine, secrétée
par la partie antérieure de l’hypophyse (voir le
Chapitre de J.-L. Veuthey), est probablement l’un
des effecteurs de la neurogenèse. La réponse
physiologique à l’exercice physique stimule
l’hormone de croissance et les facteurs de
croissance périphériques, les somatomédines27 41.

Ce point représente probablement un lien


entre la périphérie, la réponse hormonale
périphérique et la stimulation de la neurogenèse
cérébrale.
Cet aspect, tout à fait encourageant pour
l’avenir, soutient l’idée qu’une activité
physique pratiquée régulièrement tout au
long de l’existence sera un moyen efficace, à
l’échelon d’une grande société, pour ralentir,
voire prévenir le vieillissement cognitif qui est
inéluctable sans ce type de prévention.

41. Molécules dérivées de la somatomédine, hormone sécrétée par le


foie, comportant en fait deux substances : l’IGF1 et l’IGF2. Sa présence
dans le sang est indispensable à l’action biologique de l’hormone de
croissance sur le cartilage.

Bibliographie

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Stubbe J.H., Boomsma D.I., Physical exercise and brain
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based study. Prev. Med., 42 : (2010). Le sport change aussi
273-279. la tête. La Recherche, 40 : 48-51.

155
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Jean-Luc Veuthey La traque aux molécules dopantes
La traque
aux molécules
dopantes

Jean-Luc Veuthey est profes-


Le dopage est la
seur de chimie analytique
pratique consistant
à l’École de pharmacie de
à absorber des
Genève-Lausanne (EPGL). Il
substances ou à utiliser
mène des travaux de recherche
des actes médicaux
sur des techniques de sépara-
afin d’augmenter
tion en phases liquides comme artificiellement ses
l’électrophorèse capillaire et capacités physiques
la chromatographie liquide, ou mentales.
méthodes adaptées notamment
à l’analyse de médicaments.
On ne peut aborder le sport d’évoluer face à un dopage de
de haut niveau sans évoquer plus en plus difficile à déceler.
le problème du dopage qui Quel est donc ce phénomène,
l’entache malheureusement. jusqu’où peut-il aller (cette
Pour gagner une compétition, réflexion est menée dans
il faut faire preuve de grandes les Chapitres d’I. Queval et
qualités, tant physiques que J.-F. Toussaint), et jusqu’où
mentales. Il arrive que des peut-on le traquer ?
sportifs se laissent tenter par
l’absorption de substances ou
par l’utilisation d’actes médi- 1 Histoire du dopage,
un phénomène
de société
caux (comme oxygéner le
sang) permettant de stimuler Le dopage est une pratique
ou d’augmenter artificielle- très ancienne : dès l’Antiquité,
ment leurs capacités. des manuscrits faisaient état
Devant ce phénomène de de ce comportement, notam-
société qui touche notam- ment chez les guerriers.
ment les très médiatisées Ceux d’Alexandre le Grand
compétitions sportives, la cherchaient à augmenter
lutte antidopage s’est mise en leurs capacités, mais égale-
ordre de bataille et ne cesse ment à diminuer leur peur…
La chimie et le sport

tions sportives se développent


avec une forte médiatisation.
Avec comme événements
sportifs importants les Jeux
olympiques, les premières
courses cyclistes – comme ce
Paris-Roubaix du XIXe siècle
qui vit le décès d’un cycliste dû
au dopage (Figure 1).
De tout temps, l’homme a ainsi
essayé d’améliorer ses perfor-
mances, de surpasser ses
adversaires, que ce soit par
ses capacités propres ou en
essayant d’utiliser des moyens
« moins propres », autres
Figure 1 même chez les guerriers qu’un entraînement régulier
aguerris qu’ils étaient ! et un travail physique acharné.
Le tour de France n’échappe pas D’ailleurs le mot « dopage » Après la Seconde Guerre
au dopage, et ce, depuis les toutes
vient sans doute du mondiale, la télévision et les
premières courses à la fin du
XIXe siècle.
néerlandais « dop », qui journaux prirent une impor-
désigne une boisson alcoo- tance considérable dans la
lisée à base de peaux de raisin société. Un évènement choc,
que les guerriers zoulous en à l’origine de débats sur le
Afrique consommaient pour sport, fut la mort en direct de
augmenter leurs prouesses Tom Simpson en 1967, lors du
au combat. très médiatisé Tour de France
Dès le VIe siècle av. J.-C., les (Figure 2). Ce drame eut un
Jeux olympiques furent l’oc- impact majeur sur la politique
casion de prises de produits antidopage qui commença
dopants par certains athlètes alors à se mettre en place.
grecs, comme le racontent Elle se concrétisa dès 1968
également des manuscrits avec les premiers contrôles,
de l’époque. Ces produits officialisés par le Comité
provenaient principalement international olympique (CIO)
d’extraits de substances et pratiqués au cours des Jeux
Figure 2
animales, le plus souvent du olympiques d’hiver à Grenoble
En 1967, le champion du monde de taureau ou d’autres animaux et ceux d’été à Mexico. Par
cyclisme Tom Simpson meurt en démontrant une grande viri-
pleine ascension du col du Ventoux.
la suite, de nombreux cas de
lité ; des sauteurs se nour- dopage décelés à l’occasion de
rissaient de viande de chèvre Jeux olympiques aboutirent à
pour « bondir » plus haut… des retraits de médailles. L’un
Des molécules extraites de des plus célèbres est celui
plantes étaient également de l’athlète canadien Ben
utilisées telles la strychnine, Johnson, champion du cent
la caféine ou la cocaïne. mètres, testé positif au stano-
Pendant toute la période zolol, un stéroïde anabolisant
s’étalant du Moyen-Âge à (voir le paragraphe 2.3.2) aux
la Renaissance, le sport ne Jeux olympiques de Séoul en
fut quasiment pas véhiculé. 1988. Le cyclisme est égale-
Il fallut attendre la fin du ment touché par le fléau ; on
158 XIXe siècle pour que les compéti- se souvient de l’affaire Festina
La traque aux molécules dopantes
en 1998 où toute l’équipe drogues, déclare-t-il. C’est un
fut incriminée dans la prise véritable problème de santé
d’EPO (voir le paragraphe 3.2). publique. Outre les sportifs,
Le dopage a donc une longue les plus grands consomma-
histoire derrière lui et s’est teurs déclarés, ou en tout cas
propagé au point de devenir un prouvés, sont les militaires, et
phénomène de société, susci- ce, depuis l’Antiquité, comme
tant beaucoup d’intérêt auprès nous l’évoquions précédem-
du public qui suit les événe- ment. Un grand nombre de
ments sportifs. Relayés par produits dopants ont été
les médias, les cas de dopage testés durant divers conflits,
lors des compétitions font que ce soit pour augmenter
toujours sensation, mais l’on la vigilance et éviter l’endor-
oublie qu’ils ne concernent missement, ou encore pour
pas seulement les sportifs. diminuer la peur et augmenter
Alessandro Donati, directeur l’agressivité (voir aussi le
du centre de recherche sur Chapitre de C.-Y Guezennec).
la méthodologie de l’entraî-
nement au Comité national
olympique italien, a récem- 2 La lutte antidopage
s’organise
ment décrit les cinq catégo-
2.1. La naissance de l’agence
ries de consommateurs de
mondiale antidopage
produits dopants : les sportifs,
les culturistes (voir le Chapitre À l’origine, en 1968, la lutte
d’I. Queval), les militaires, les antidopage était principale-
artistes et « les autres »... Plus ment menée par le comité
de 30 millions de personnes olympique. C’est en 1999 qu’a
dans le monde consomme- été mise en place l’Agence
raient ainsi des produits mondiale antidopage (AMA),
dopants de toutes catégories, « world antidoping agency »
induisant un marché clan- (Encart : « L’Agence mondiale
destin le plus souvent dirigé antidopage (AMA) ») ; cet
par des organismes mafieux. organisme international est
Il faut donc traiter le problème reconnu par toutes les asso-
du dopage comme le trafic des ciations sportives.

L’AGENCE MONDIALE ANTIDOPAGE (AMA)


La mission de l’Agence mondiale antidopage (AMA) est de promouvoir, coordonner et superviser
la lutte contre le dopage dans le sport sous toutes ses formes, et à encourager une culture du
sport sans dopage.
L’AMA, organisation internationale indépendante, a été fondée en 1999. Elle est composée
et financée à parts égales par le Mouvement sportif* et les gouvernements. Ses activités
principales comprennent la recherche scientifique, l’éducation, le développement antidopage
et la supervision de la conformité au Code mondial antidopage (le Code) – le document
harmonisant les règles liées au dopage dans tous les sports et tous les pays. Son siège est à
Lausanne (Suisse), et son bureau principal à Montréal (Canada).**

* Le Mouvement sportif est composé de l’ensemble des fédérations sportives et des groupes sportifs qui
leur sont affiliés. Parmi les fédérations sportives, on peut trouver : les fédérations unisport olympiques
ou non olympiques, les fédérations multisports affinitaires, handicapés, scolaires ou universitaires, etc.
** http://www.wada-ama.org/
159
La chimie et le sport

2.2. La liste des produits 2.3. Quels sont les produits


dopants et le code antidopage dopants les plus utilisés ?

L’AMA établit chaque année 2.3.1. Les drogues récréatives


une liste des produits Les substances les plus
dopants, la « Liste des inter- fréquemment décelées
dictions », dont la première lors des contrôles sont les
date de 2004 ; elle recense drogues récréatives, utilisées
aujourd’hui près de deux pour leur effet désinhibant et
cents composés. Il existe un psychotrope (« qui agit, qui
code antidopage mis à jour et donne une direction (trope)
révisé chaque année, conte- à l’esprit ou au comporte-
nant de nombreuses infor- ment (psycho) ») : ils agissent
mations que tout sportif doit sur le système nerveux
connaître. Il n’a cessé d’évo- central (Encart : « Les drogues
luer et de s’affiner (Encart : récréatives »). Le football fait
« Le code antidopage de généralement l’objet d’une
l’AMA ») : toute personne politique antidopage sévère.
sera en faute non seulement Or, un nombre relativement
si elle a absorbé l’une des important de jeunes joueurs
substances interdites, mais de 17 à 19 ans a été à ce jour
également si elle refuse de contrôlé positif aux drogues
participer à un contrôle, que récréatives, à croire qu’ils
ce soit en compétition ou hors n’avaient pas conscience du
compétition. Les falsifications risque qu’ils encouraient.
de tests sont aussi concer-
nées, et tout acteur d’un trafic 2.3.2. Les stéroïdes
de substance dopante ou anabolisants
toute personne de l’entourage
Les stéroïdes anabolisants
du sportif, médecin, entraî-
constituent une classe d’hor-
neur, coéquipier, ou toute
mones similaires à la testos-
autre personne extérieure
térone, hormone sexuelle
à la compétition, qui serait
mâle humaine. Ils agissent
complice de dopage sera
sur la synthèse des protéines
condamnée.
dans les cellules, entraînant
une augmentation de tissus
cellulaires, en particulier
LE CODE ANTIDOPAGE DE L’AMA dans les muscles. Ainsi, des
Le code antidopage de l’AMA a remplacé en 2004 celui du molécules telles que le stano-
mouvement olympique. Il ne propose plus de définition du zolol, le danazol, la nandro-
dopage, mais le considère comme une violation des dispo- lone ou l’anadrol augmentent
sitions en vigueur, c’est-à-dire que ce qui n’est pas interdit efficacement la performance
est autorisé : musculaire ; elles stimu-
lent également l’agressivité
- Présence d’une substance interdite.
et aident à la récupération.
- Usage ou tentative d’usage.
Ces substances, que l’on ne
- Refus d’un contrôle.
se procure que sur ordon-
- Violation des exigences de disponibilité.
nance pour des besoins
- Falsification ou tentative de falsification du contrôle.
médicaux, sont malgré tout
- Possession de substances ou méthode interdites.
utilisées par des sportifs à
- Administration ou tentative d’administration de telles
des fins de dopage, et l’ont
substances ou administration de telles méthodes.
160 surtout été dans les années
La traque aux molécules dopantes
LES DROGUES RÉCRÉATIVES
Toutes les drogues récréatives, qu’elles soient d’origine naturelle ou synthétique, sont inter-
dites (hors et en compétition). Quelles sont les plus couramment consommées ?
Les amphétamines sont des substances psychotropes aux effets psychostimulants et
anorexigènes (coupe-faim). Leurs structures dérivent de la phényléthylamine (Figure 3),
molécule synthétisée pour la première fois par le chimiste roumain Lazar Edeleanu, en 1887
à l’université de Berlin. Mais elle ne suscita un réel intérêt que plusieurs années après, au
moment où l’on cherchait une substance bronchodilatatrice en substitution à l’adrénaline,
qu’il était impossible d’administrer par voie orale. En 1920, un chercheur de la compagnie
pharmaceutique Lilly découvrit qu’un extrait de plante Ephedra vulgaris avait cet effet ; il en
isola le principe actif, qu’il nomma « éphédrine » ; sa structure était proche de celle de l’adré-
naline (voir le Chapitre de C.-Y. Gezennec), mais comportait l’avantage de ne pas se dégrader
au cours de la digestion. Cependant, la plante étant rare, l’extraction de l’éphédrine était
coûteuse. En 1927, Gordon Alles de l’université de Los Angeles réussit la synthèse chimique
d’un produit proche, qu’il appela amphétamine. Elle fut rapidement diffusée sous forme
d’inhalateurs et utilisée à différentes fins, notamment par les étudiants qui appréciaient de
pouvoir se passer de sommeil en période d’examens. Suite à la mort de Tom Simpson lors du
Tour de Fance de 1967, les amphétamines firent l’objet d’un contrôle plus sévère en Europe et
aux États-Unis dans les années 1970, et elles furent répertoriées dans la liste des substances
interdites par la convention sur les substances psychotropes de 1971.

Figure 3
Les amphétamines ont des
structures chimiques dérivées
de la phényléthylamine
(structure sur la figure).

La cocaïne est un puissant stimulant de la famille des alcaloïdes, extrait de la coca (Figure 4).
La feuille de coca était utilisée de très longue date par les Indiens des Andes qui la mâchaient

Figure 4
Alcaloïde extrait de la feuille de
coca, la cocaïne est un puissant
stimulant du système nerveux
central.
161
La chimie et le sport

ou la consommaient en infusion pour les aider à résister à la fatigue et à l’altitude. Un


spécimen fut rapporté en Europe par l’apothicaire Laurent de Jussieu en 1750, puis en 1855,
le chimiste allemand Friedrich Gaedcke obtint, en réduisant des feuilles de coca, des cristaux
d’une substance qu’il nomma erythroxyline. C’est en 1860 que le chimiste Albert Niemann
décrivit l’action anesthésique de cette molécule, dont la structure fut élucidée par Wilhem
Lossen en 1865 ; ses propriétés psychotropes furent ensuite démontrées sur un modèle
animal par le physiologiste Wassili von Anrep en 1879.
La cocaïne était largement employée en ophtalmologie en tant qu’anesthésique local ou dans
le traitement de maladies respiratoires. Devenue populaire, elle fut introduite dans des ciga-
rettes et divers produits de consommation tels que des chewing-gums, du vin (le vin Mariani,
Figure 5), et, pendant une courte période, d’autres boissons comme le Coca-Cola (Figure 6).
L’apparition de nombreux cas de dépendance et d’intoxication conduisit à une interdiction de
son usage non-médical, avec la convention sur les stupéfiants de 1961 convoquée par l’ONU,
portant sur la coca, l’opium et le cannabis.
D’un point de vue pharmacologique, la cocaïne agit sur le système nerveux central en
bloquant la recapture de la dopamine (pour plus de détail sur les neurotransmetteurs, voir le
Chapitre de C.-Y. Guezennec).

Figure 5
Le vin Mariani contenait
de la cocaïne jusqu’en 1957.

Figure 6
Né en 1887, le Coca-Cola tire son
nom de sa première composition :
la feuille de coca et la noix
de kola. Après 1910, l’extrait
de feuille de coca a été retiré
de la composition de ce soda.
162
La traque aux molécules dopantes
Le cannabis (Cannabis sativa L.) ou chanvre a longtemps été utilisé par l’homme, que ce soit
comme matériau (isolation phonique et thermique dans la construction, textile, papeterie)
ou pour ses propriétés psychotropes : selon les doses, il provoque euphorie, détente, plaisir,
parfois hallucinations, et peut conduire à une dépendance et un repli sur soi. En tant que
narcotique, il provoque un sommeil profond et un état léthargique.
Il existe une soixantaine de molécules cannabinoïdes, selon les espèces de chanvre, dont la
plus connue est le tétrahydrocannabinol (Figure 7). Certaines sont sécrétées par notre corps.
Ces substances chimiques activent nos récepteurs cannabinoïdes, déclenchant la production
de dopamine, un neuromodulateur qui contrôle l’émotivité, la motricité, la mémoire et l’at-
tention (voir également le Chapitre de C.-Y. Guezennec).
La détention, le commerce, la promotion et la consommation du cannabis sont actuellement
interdits dans la majorité des pays du monde, selon la convention unique sur les stupéfiants
de 1961.

Figure 7
Le tétrahydrocannabinol,
molécule la plus connue
du cannabis, est souvent
consommé après broyage
de feuilles de cannabis et
mélangé avec du tabac :
on obtient la marijuana.

1970-1980. Aujourd’hui, il de petites molécules (dont


est relativement aisé de les masses molaires sont de
s’en procurer par Internet l’ordre de 200 à 500 grammes
(Figure 8). Des cas de contrôles par mole) telles que les
positifs aux stéroïdes anabo- amphétamines ou des dérivés
lisants ont été relevés ces de la morphine, produits
dernières années dans le stimulants ou analgésiques
milieu du football : certains (Figure 9).
joueurs en ont consommé, Depuis les années 1980, des Figure 8
consciemment ou non, lors molécules endogènes sont Les stéroïdes anabolisants sont les
de prises de compléments de plus en plus utilisées et substances les plus utilisées dans
alimentaires pouvant être brouillent les pistes ; ce sont le dopage sportif.
contaminés par des subs-
tances interdites.

2.4. Le dopage évolue


Jusqu’à la fin des années
1970, on se dopait principa- Figure 9
lement avec des molécules
Produits stimulants, produits
exogènes, c’est-à-dire celles analgésiques… les molécules
que notre corps ne produit exogènes ont longtemps été
pas. Il s’agit généralement utilisées dans le dopage. 163
La chimie et le sport

celles que notre corps synthé-


tise déjà, comme la testos-
térone (Figure 10, voir le
3 L’analyse du dopage

paragraphe 2.3.2). Apparais- Afin d’asseoir et d’appliquer


sent également de grosses la législation sur le dopage, il
molécules telles que l’EPO était nécessaire de développer
(voir le paragraphe 3.2), la connaissance des produits
l’hormone de croissance et de pouvoir les détecter,
(paragraphe 3.3), etc., dont mais aussi détecter les molé-
les masses molaires sont cules issues de leurs trans-
supérieures à 10 000 grammes formations dans l’organisme,
par mole. Ces molécules endo- ce que l’on appelle les méta-
gènes compliquent le contrôle bolites. Pour faire face aux
antidopage : comment les pratiques de dopage qui ne
laboratoires d’analyse vont-ils cessent d’évoluer, les labora-
savoir si une molécule provient toires ont besoin de méthodes
de notre organisme ou d’un d’analyse séparative et de
Figure 10 apport exté rieur ? détection de plus en plus
performantes et donc plus
L’apport externe de testostérone Ainsi le dopage n’a cessé coûteuses, et de personnel de
chez les sportifs de compétition est
de se diversifier, d’évoluer plus en plus compétent. Les
interdit depuis 1984.
(Figure 11), de jouer de la responsabilités de l’AMA sont
confusion entre ce qui provient larges et touchent non seule-
de notre corps et ce qui est ment la législation, mais aussi
apporté artificiellement. Au les domaines de la recherche
point de se demander si nous scientifique et de la médecine ;
en arriverons aux manipula- elle accrédite des labora-
tions génétiques (à ce sujet, toires antidopage hautement
voir le Chapitre d’I. Queval) ? spécialisés et accorde des
Figure 11 Ce que l’on a pu faire avec des autorisations d’usage à des
Des molécules exogènes aux
manipulations génétiques sur fins thérapeutiques. Il n’existe
molécules endogènes, et demain, des organismes vivants, le que quelques laboratoires
des manipulations génétiques dans fera-t-on chez l’homme afin antidopage dans le monde : à
le dopage ? de créer des super athlètes ? Châtenay-Malabry en France,

Petites molécules Petites molécules, Manipulations


pharmaceutiques molécules endogènes, génétiques ?
exogènes protéines…
Ex : testostérone, EPO
164
La traque aux molécules dopantes
à Barcelone, à Cologne, à laboratoires d’analyse, que Figure 12
Lausanne… tous agréés par ce soit pour vérifier la qualité
l’AMA, ce sont des labora- d’un produit, lors de contrôles Dans des laboratoires à la pointe
de la recherche scientifique et
toires utilisant les techniques de matrices environnemen-
technologique, les experts traquent
les plus sensibles et les plus tales, lors de tests cliniques le dopage !
spécialisées, mises au point (mesure des taux de glucose,
pour l’analyse chimique de cholestérol, de globules
(Figure 12). rouges, etc.), lors d’investiga-
tions en police scientifique ou
3.1. Les techniques d’analyse lors d’analyses antidopage.
3.1.1. Séparer les petites 3.1.2. Identifier les produits
molécules : la chromatographie dopants dans un mélange
Lors d’un test de dopage, La difficulté majeure des
on analyse soit des prélè- analyses antidopage réside
vements sanguins, soit dans l’identification d’une
de l’urine. Quelque soit la molécule parmi une multitude
matrice biologique à analyser, – parfois plusieurs centaines,
les substances à détecter s’y et généralement en très
trouvent en faibles, voire très faible concentration ! Il s’agit
faibles concentrations dans donc de disposer de puis-
des mélanges complexes sants détecteurs. Des avan-
contenant des sels, de l’eau, cées spectaculaires ont été
souvent des protéines ou réalisées ces vingt dernières
autres grosses molécules qui années dans les techniques
rendent le tri difficile. de détection. Il est en outre
Différentes méthodes sont possible aujourd’hui de
utilisées, parmi lesquelles coupler des chromatographes
celles utilisant la chroma- avec des spectromètres de
tographie, technique qui masse (Encart : « La spectro-
n’a cessé de se répandre et métrie de masse »). Ces appa-
de se perfectionner depuis reils d’analyse permettent
son invention en 1901 par d’obtenir les structures des
le botaniste russe Mikhail composés analysés, grâce
Semyonovich Tswett (Encart : à des méthodes élaborées
« La chromatographie »). pour déchiffrer des spectres
Aujourd’hui, la technique est de masse complexes comme
largement utilisée dans les des sortes d’empreintes de 165
La chimie et le sport

LA CHROMATOGRAPHIE
Au cours de ses recherches sur les pigments végétaux en 1901, le botaniste Mikhail Semyo-
novich Tswett (Figure 13) voulait séparer les pigments d’une fleur en la dissolvant dans de
l’éthanol et il fit percoler le mélange obtenu au travers d’un support solide (du carbonate de
calcium) : les pigments, chlorophylle et carotène, en sortirent purs l’un après l’autre. C’est
ainsi qu’il inventa la « chromatographie ». Ce terme vient du grec khrôma = couleur, et signifie
« écriture des couleurs ». On remarque aussi que tswett est le mot russe pour « couleur ».
La première description imprimée de cette méthode séparative paraît en 1903, dans les
comptes rendus de la Société des naturalistes de Varsovie, section de biologie. La première
utilisation du terme de « chromatographie » apparaît en 1906 dans deux articles sur la chlo-
rophylle dans le journal de botanique de langue allemande Berichte der Deutschen botanis-
chen Gesellschaft. En 1907, il fait la démonstration de l’utilité de son chromatographe devant
la Société botanique allemande.

Figure 13
Mikhail Semyonovich Tswett (1872-1919)
a inventé la chromatographie.

Aujourd’hui, la chromatographie permet d’effectuer des analyses qualitatives et quanti-


tatives, grâce à un détecteur. L’échantillon de mélange étudié est entraîné par un courant
appelé « phase mobile » (un liquide, un gaz ou un fluide supercritique) le long d’un support
solide : la « phase solide » (du papier, de la gélatine, un polymère, etc.). Chaque constituant
du mélange se déplace à une vitesse propre dépendant de son affinité avec chacune de ces
deux phases : les différents constituants seront donc séparés par différence de temps de
rétention par la phase stationnaire (Figure 14).

Figure 14
Entraînées par la phase
mobile, les molécules migrent
le long de la colonne de phase
stationnaire et en sortent à
une vitesse différente selon
leurs propriétés : plus une
molécule s’« accroche »
à la colonne et/ou a peu
d’affinité pour la phase
mobile, plus elle tardera à
sortir. À la fin de l’opération,
toutes les molécules sont
recueillies séparément et un
détecteur donne des signaux
caractéristiques que l’on peut
analyser :
le chromatogramme.
166
La traque aux molécules dopantes
LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE (SM)
La spectrométrie de masse est une technique d’analyse conçue par le physicien britan-
nique Joseph John Thomson (Figure 15) qui permet de détecter et d’identifier des molécules
ou fragments de molécules par mesure de leur masse, et de caractériser leur structure
chimique. Son principe réside dans la séparation en phase gazeuse de molécules chargées
(ions) en fonction de leur rapport masse/charge (m/z). La spectrométrie de masse est utilisée
dans pratiquement tous les domaines scientifiques : physique, astrophysique, chimie en
phase gazeuse, chimie organique, dosages, biologie, médecine...

Figure 15
Découvreur des électrons
et des isotopes, le physicien
Joseph John Thomson
(1856-1940) est l’inventeur
de la spectrométrie de masse.

Un spectromètre de masse comporte une source d’ions (utilisant par exemple un faisceau
d’électrons) suivie d’un ou plusieurs analyseurs qui séparent les ions obtenus selon leur
rapport m/z, d’un détecteur qui compte les ions et amplifie le signal, et enfin d’un système
informatique pour traiter ce signal. Le résultat obtenu est un spectre de masse représentant
les rapports m/z (ou m/q, q représentant la charge) des ions détectés selon l’axe des abscisses
et l’abondance relative de ces ions selon l’axe des ordonnées (Figure 16).

détecteur
Y+
X+

particules les plus légères


2 chauffage pour évaporer l’échantillon

faisceau de particules chargées


3 faisceau d’électrons
1
ionisant l’échantillon Z+
injection de
l’échantillon particules les plus lourdes

5 champ magnétique séparant les particules


source selon le rapport masse/charge
d’électrons
4 particules accélérées dans
un champs magnétique magnet

Figure 16
Les spectromètres de masse sont des instruments d’analyse puissants qui, couplés à la chromatographie,
permettent des analyses fines de mélanges complexes, notamment lors d’un contrôle antidopage.

D’immenses progrès ont été effectués depuis les années 1950-1960, où l’utilisation des spec-
tromètres de masse s’est développée dans de nombreux domaines.
Les progrès ont concerné particulièrement les sources d’ions et les analyseurs, qui ont été
adaptés et transformés de manière à pouvoir traiter des besoins de plus en plus variés avec
des machines dédiées à tel ou tel type de problème. On connaît maintenant six grands types
de sources, dont l’objectif est toujours de passer de la molécule à l’ion qui, seul, est accéléré
et détectable. Cette ionisation, étape initiale incontournable, peut être très difficile dans le cas
de molécules de grande taille, comme les molécules biologiques, protéines, polysaccharides,
167
La chimie et le sport

etc., qui se vaporisent difficilement et sont facilement dégradées dans la source. Suivant le
type d’ionisation utilisé, un spectre de masse peut être caractéristique d’une molécule. En
effet, la molécule ionisée est fragmentée de manière très spécifique par des réactions et
dans des conditions d’analyse désormais très bien connues. Ainsi en comparant le spectre
avec des banques de spectres, il est possible d’identifier la molécule. Si la molécule est trop
dégradée, notamment dans la source d’ionisation, le spectre perd sa spécificité et n’est plus
interprétable.
Les analyseurs sont également très variés, plus ou moins complexes, selon le type d’analyse,
quadri ou octopolaires, temps de vol, FT-ICR… Un progrès important a été réalisé avec le
couplage SM/SM de deux ou plus spectromètres de masse.

molécules, que l’on retrouve constitutifs de quasiment


dans des bases de données toutes les molécules, notam-
préalablement établies. ment les molécules biolo-
On peut aussi coupler la chro- giques comme les protéines,
matographie avec la réso- les polysaccharides43... On
nance magnétique nucléaire42 peut aussi révéler la présence
(RMN, Figure 17), outil idéal des atomes de carbone et
des chimistes pour déterminer savoir quels sont leurs hydro-
directement la structure d’un gènes voisins, voire même
composé ; grâce à l’applica- établir les structures en trois
Figure 17
tion d’un champ magnétique dimensions de grosses molé-
La résonance magnétique cules comme les protéines.
nucléaire (RMN) est une méthode
puissant, les spectromètres
RMN « réveillent » les noyaux C’est plus exactement l’iso-
d’analyse usuellement utilisée par
les chimistes pour déterminer la des atomes d’hydrogène tope44 13 du carbone qui est
structure d’un composé. Mais elle réveillé sous l’effet du champ
rencontre des limites lorsque l’on magnétique. Cela a permis,
a affaire à un mélange complexe, 42. La résonance magnétique dans certains cas, de diffé-
avec de faibles concentrations nucléaire (RMN) est une technique rencier les molécules endo-
de produit à caractériser. Photo : d’analyse chimique et structurale gènes des exogènes (comme
spectromètre RMN 800 MHz utilisé non destructive et très utilisée en les stéroïdes). Mais la RMN
en biologie structurale. physique, chimie ou biochimie.
souffre encore de problèmes

43. Les polysaccharides (ou


polyosides) sont des polymères
constitués par l’enchaînement
de plusieurs unités appelées
« oses », molécules de la famille
des sucres (comme le glucose, le
fructose, le mannose etc.). Les
polysaccharides les plus répandus
du règne végétal sont la cellulose
(voir le Chapitre d’Y. Rémond et
J.-F. Caron) et l’amidon, tous deux
polymères du glucose.
44. Deux atomes sont dits
isotopes s’ils ont le même
nombre de protons mais un
nombre de neutrons différent (un
atome est constitué d’un noyau –
comportant neutrons et protons –
autour duquel gravite son cortège
168 d’électrons).
La traque aux molécules dopantes
de sensibilité, contrairement a dissous un, deux ou trois
à la spectrométrie de masse. morceaux !
Cette dernière a également Enfin, les analyses doivent
connu un essor considérable souvent répondre à un troi-
ces dix dernières années, sième besoin : la rapidité.
notamment avec l’essor de Alors que dans le football,
la protéomique, cette science les joueurs ne disputent les
qui étudie l’ensemble des matchs que tous les trois à
protéines dans notre orga- quatre jours, laissant large-
nisme (voir l’ouvrage La ment le temps pour effectuer
chimie et la santé, au service de les tests entre deux évène-
l’homme [2]), mais son avan- ments, ce n’est pas le cas
tage réside dans sa grande pour le Tour de France où
sensibilité d’analyse. les participants courent tous
Il est effectivement impor- les jours. Or, il faut prendre
tant de disposer d’appareils le temps d’effectuer les
d’analyse assez sensibles deux séries d’analyses que
pour détecter des concentra- requiert tout contrôle anti-
tions toujours très faibles de dopage : une première série
produits dopants, qui sont non visant à détecter la présence
seulement de plus en plus éventuelle d’un ou plusieurs
variés, mais de plus en plus composés de la Liste des
actifs et sont donc absorbés interdictions (le criblage), puis
à des doses de plus en plus une analyse confirmatoire.
faibles pour les mêmes effets Les techniques et méthodes
recherchés. Il s’agit souvent chromatographiques ont
de détecter des traces de connu un développement
composés, de l’ordre du ppb considérable en matière de
(partie par milliard), ou l’on rapidité, puisque l’analyse
peut aussi dire du milliar- complexe qui nécessitait
dième de gramme par milli- 24 heures dans les années Figure 18
litre ; par analogie, c’est 1945, demandait 25 minutes Un échantillon d’urine est
comme détecter un morceau dans les années 1980-1990, analysé lors de la première
de sucre dissous dans une et se réduit aujourd’hui à étape du contrôle : au cours
piscine olympique… Il faut 2-3 minutes pour obtenir la du criblage rapide, plusieurs
centaines de molécules passent
non seulement être capable même qualité de séparation en chromatographie et l’on
de dire que la piscine contient et donc l’identification rapide doit traquer les agents dopants
du sucre, mais il faut aussi des composés recherchés présents sous forme de traces
pouvoir déterminer si l’on y (Figure 18). En moins de six dans ces mélanges complexes !

Débit : 600 μL/min


Volume d’injection : 20 μL
Échantillon : 36 composés
Béta-bloquants
Diurétiques

169
La chimie et le sport

Intensité [%]
Temps [min]

Temps [min]
Rapidité

Figure 19 minutes, on est maintenant 3.1.3. Analyser des grosses


capable d’analyser plus de molécules : l’électrophorèse
L’analyse par chromatographie cent cinquante composés et,
en phase liquide (« liquid La chromatographie est peu
en mode criblage, de détecter adaptée à l’analyse de grosses
chromatography », LC) ultra
performante couplée à la la présence ou l’absence d’un molécules car elles migrent
spectrométrie de masse (« mass produit dopant de la Liste difficilement au travers d’un
spectrometry », MS) permet des interdictions. Le labo- support solide, ne permettant
d’obtenir des spectres en 2D ou 3D ratoire d’analyse du dopage pas de bonnes séparations,
qui facilitent leur exploitation [1]. de Lausanne combine ainsi contrairement à l’électropho-
la chromatographie ultra rèse (Encart : « L’électropho-
rapide avec la spectrométrie rèse »). Couramment utilisée
de masse afin d’obtenir des par les biologistes et biochi-
graphiques où l’on peut lire mistes, cette méthode d’ana-
les masses des molécules en lyse a montré une grande
fonction de leurs temps de efficacité dans les études
rétention (Figure 19). menées sur le décodage des
Une fois que l’on a détecté la génomes, notamment du
présence de produits dopants, génome humain, ainsi que
on réalise une analyse confir- dans l’analyse de l’ensemble
matoire, précaution néces- des protéines humaines
saire pour éviter les faux (le protéome : à propos du
positifs. Il est même possible génome et du protéome, voir
de garder des échantillons un l’ouvrage La chimie et la santé,
à deux ans après l’évènement au service de l’homme [2]).
sportif pour les analyser de
nouveau. Dans tous les cas, il 3.2. Analyse de l’EPO
est toujours possible de revenir L’EPO, ou érythropoïétine, est
sur des résultats en réexami- une hormone de nature glyco-
nant les spectres archivés, protéique (constituée d’une
surtout si l’on travaille avec un partie protéique liée à un
analyseur à temps de vol (voir glucide) (Figure 22). Sécrétée
l’Encart : « La spectrométrie par les reins et le foie, elle
170 de masse »). stimule la production de
La traque aux molécules dopantes
L’ÉLECTROPHORÈSE
Méthode analytique de séparation développée en 1937 par le biochimiste suédois Arne
Wilhelm Kaurin Tiselius (Figure 20), l’électrophorèse consiste à séparer les éléments d’un
mélange en fonction de leurs charges électriques et, pour des charges électriques iden-
tiques, en fonction de leurs tailles.
Dans une solution appelée électrolyte, les espèces chargées (ions) se déplacent sous l’effet
d’un courant produit par un champ électrique appliqué entre deux électrodes, l’anode et la
cathode (Figure 21). Les ions vont migrer plus ou moins rapidement, en fonction de leurs
tailles et de leurs charges respectives : les espèces chargées positivement (cations) migrent
vers la cathode, tandis que celles chargées négativement (anions) migrent vers l’anode. C’est
ainsi qu’elles sont séparées les unes des autres ; puis révélées au moyen d’une technique
appropriée (Figure 21).

Figure 20
Arne Wilhelm Kaurin Tiselius
(1902-1971), prix Nobel de
chimie en 1948, est l’inventeur
de l’électrophorèse.

+ - -
anode

+
+

-
+
+
-
- cathode

Figure 21
Au cours d’une analyse par électrophorèse, des espèces chargées migrent à travers une solution
d’électrolyte, sous l’effet d’un champ électrique appliqué entre l’anode et la cathode. Elles sont séparées en
fonction de leur charge et de leur masse. En combinant deux techniques électrophorétiques, il est possible
d’obtenir une séparation en deux dimensions.

Figure 22
L’EPO ou érythropoïétine est
une grosse molécule biologique
comportant une partie protéique
de 165 acides aminés. 171
La chimie et le sport

globules rouges par la moelle une augmentation de la taille


osseuse, augmentant ainsi la des os.
capacité respiratoire : nous la Sa détection est difficile
sécrétons dès que l’oxygène car il faut la différencier de
sanguin diminue. l’hormone de croissance
Depuis 1988, une molécule naturellement secrétée par
de synthèse ayant la même l’organisme. Le premier
action que l’EPO endogène, test de dépistage à grande
l’EPO recombinante, est échelle a été effectué lors des
Figure 23 disponible et a été utilisée par Jeux olympiques d’Athènes
L’hormone de croissance humaine des sportifs, notamment dans en 2004 ; il utilise l’électro-
est une protéine comportant le cyclisme (affaire Festina), la phorèse capillaire (les ions
191 acides aminés. natation ou le ski de fond, pour migrent à l’intérieur d’un tube
augmenter la capacité respi- capillaire, à peine plus gros
ratoire et donc l’endurance, et qu’un cheveu) couplée à un
faciliter la récupération. spectromètre de masse.
L’électrophorèse est une
3.4. Déceler le dopage
méthode de choix pour détecter
par transfusion sanguine
l’EPO, molécule de masse
molaire 37 000 grammes par La transfusion autologue est
mole. Depuis juin 2000, le labo- une technique qui consiste
ratoire de Châtenay-Malabry à se faire prélever du sang
a développé une méthode dans le but de se le réin-
d’analyse à l’occasion des jecter, beaucoup plus tard si
Jeux olympiques de Sydney, nécessaire, après congéla-
encore appliquée aujourd’hui : tion. Ainsi, lorsque le sportif
elle permet de détecter l’EPO aura effectué son prélève-
recombinante et de la distin- ment, il va synthétiser du
guer de l’EPO endogène [3]. sang pour remplacer celui
Figure 24 qui a été prélevé. Quand on
Mais d’autres types d’EPO
Tyler Hamilton a mis un terme à sa recombinantes sont conçus lui réinjecte son propre sang,
carrière suite à plusieurs contrôles de plus en plus semblables qui contiendra davantage de
positifs au dopage. globules rouges (qui sont les
à l’EPO humaine pour mieux
brouiller les analyses ! transporteurs d’oxygène dans
le sang), ce sera comme s’il
3.3. Analyse de l’hormone était en pleine possession de
de croissance ses moyens, capable de trans-
Une autre grosse molécule porter une plus grande quan-
utilisée dans le dopage est tité de l’oxygène nécessaire
l’hormone de croissance pour un effort soutenu ou à
(Figure 23). Cette protéine est haute altitude. Cette méthode
sécrétée par l’hypophyse et a été très utilisée, notamment
stimule la croissance chez les lors des Jeux olympiques
humains et autres vertébrés. d’été de 1984 aux États-Unis.
Elle peut être synthétisée Elle est difficile voire impos-
artificiellement (elle est alors sible à détecter.
appelée somatropine). Utilisée Lors d’une transfusion homo-
comme produit dopant, elle logue, le sang provient d’un
augmente la masse muscu- donneur humain dont le
laire et aide à la récupération ; groupe sanguin est compa-
mais elle présente des effets tible avec celui du receveur.
172 secondaires en provoquant Ces cas de dopage sont
La traque aux molécules dopantes
plus faciles à déceler, cela Parmi les exploits réalisés sur
a été le cas pour le coureur des animaux, on peut citer la
cycliste américain Tyler création d’une race de bœuf
Hamilton (Figure 24). Les dans les années 1990, le Bleu-
tests font intervenir des inte- Blanc-Belge (Figure 25), qui
ractions antigènes-anticorps possède un gène lui permet-
qui permettent de mettre tant de devenir déficient en
rapidement en évidence une myostatine, une protéine
prise de sang externe. En qui régule la croissance des
effet, même du sang compa- muscles. L’absence de cette
tible mais provenant d’un protéine conduit à une crois-
autre individu possède des sance hors norme de l’animal
caractéristiques, qui comme (sans effet secondaire décelé
dans le cas de la transplanta- à ce jour). Mais la déficience
tion d’un organe, produit des en myostatine peut être natu-
réactions de type immunitaire. relle et créer spontanément
des surhommes, comme
en témoigne le cas de Liam
4 Le dopage
et demain ? Hoekstra, né en 2005 avec
une déficience de ce gène,
4.1. Traquer le dopage : issue d’une mutation géné-
de plus en plus complexe tique rarissime qui inhibe sa
production de myostatine.
Si les techniques d’analyse
Chez l’homme, on assiste de
pour le contrôle antidopage
plus en plus à des phéno-
ont progressé, le dopage lui-
mènes qui ouvrent la porte à
même devient de plus en plus
de sérieuses interrogations
complexe et joue à cache-
sur de nombreux plans, et
cache avec les laboratoires
tout particulièrement celui
et les autorités. Molécules
de l’éthique (voir le Chapitre
plus grosses de type biolo-
d’après la conférence de D.
gique, molécules endogènes,
Masseglia). Ce fut le cas aux
transfusions sanguines auto-
Jeux olympiques d’hiver de
logues… les difficultés d’ana-
2006 à Turin, avec une athlète
lyse sont nombreuses et la
inscrite aux Jeux féminins
frontière entre le naturel et le
alors qu’elle avait un gène
synthétique est parfois indé-
de caractère masculin. De
tectable. On peut craindre de
même, un test de féminité
voir apparaître bientôt des
pratiqué sur l’indienne Santhi
manipulations génétiques à
Soundarajan s’est révélé
des fins de dopage. Les tech-
anormal et l’athlète a été Figure 25
niques de la génétique, qui,
privée de sa médaille d’argent Le Blanc-Bleu-Belge, un bœuf
appliquées à des plantes ou
du 800 mètres des Jeux asia- génétiquement créé pour être
des animaux, ont permis de
tiques de Doha. particulièrement musclé !
nombreux progrès notam-
ment dans l’agronomie (voir
l’ouvrage La chimie et l’ali-
mentation, pour le bien-être
5 Quel futur pour
la lutte antidopage ?
de l’homme [4]), pourraient Malgré les performances de
en inspirer plus d’un qui plus en plus remarquables, en
serait tenté de les appliquer termes de spécificité, de sensi-
à l’homme pour augmenter bilité et de rapidité des tech-
ses performances sportives… niques d’analyse, le dopage 173
La chimie et le sport

est de plus en plus difficile tances en fonction de l’objectif


à dépister, souvent planifié recherché (module hématolo-
scientifiquement chez les gique ou urinaire) seront systé-
professionnels, profitant des matiquement recherchés. La
failles dans les protocoles, ou collecte et le suivi des valeurs
utilisant des substances ou mesurées constituent alors
des méthodes de plus en plus le profil du sportif, permet-
transparentes pour les appa- tant la constitution du Passe-
reils, avec des concentrations port biologique de l’Athlète, en
de plus en plus faibles. Face vigueur depuis décembre 2009
à ces difficultés, une nouvelle (Encart : « Le concept de passe-
stratégie a été mise en place port biologique »).
par l’AMA, consistant non plus Mais jusqu’à quel point
à détecter un produit dopant peut-on entrer dans la sphère
(ou ses métabolites), ponc- privée de l’athlète ? On note
tuellement pendant ou hors qu’actuellement, les footbal-
compétition mais à en suivre leurs en Ligue des champions
régulièrement et systémati- de l’UEFA45 sont déjà tenus
quement les effets en mesu- de signaler leur localisation
rant les variations qu’il induit 365 jours par an, afin d’être
dans l’organisme sur des joignables en permanence en
marqueurs dits indirects. En moins de trois heures pour
effet, chaque métabolisme et pouvoir être testés aux molé-
chaque système endocrinien cules dopantes à tout instant
étant unique et caractéristique ou presque !
d’un individu, la seule compa-
Certains vont jusqu’à proposer
raison avec une norme établie
de légaliser et médicaliser le
à partir de la communauté
dopage, en disant qu’après tout,
sportive dans son ensemble,
on n’y échappera pas (Encart :
peut conduire, par exemple,
« Légaliser le dopage ? »). Or,
à des accusations de dopage
il y a lieu d’être prudent à ce
infondées. Pour cela, l’AMA a
sujet, car il y a un problème
mis en place un programme
éthique fondamental [5].
de suivi longitudinal et systé-
matique au cours duquel
ces marqueurs, qui sont des
variables pertinentes et déter- 45. UEFA : Union des associations
minantes d’une classe de subs- européennes de football.

LÉGALISER LE DOPAGE ?
« Mon point de vue, c’est que s’il est utilisé de manière
adéquate par un médecin ou sous l’autorité de la recherche
scientifique, même un médicament comme l’EPO peut
trouver un équilibre dans son emploi. Je ne comprends
pas les instances de la lutte antidopage qui disent qu’elles
veulent rendre les choses équitables, car le sport n’est, par
essence, pas un terrain de jeu équitable.
Si vous voulez rendre les choses équitables, alors tout doit
devenir légal… »
Propos du skieur Bode Miller, 2005
174
La traque aux molécules dopantes
LE CONCEPT DE PASSEPORT BIOLOGIQUE

Ce concept a initialement été proposé par l’Agence mondiale antidopage (AMA) en 2002. L’ap-
proche du contrôle du dopage basée sur la détection de marqueurs d’une substance ou de ses
métabolites demeure efficace et perdurera. Cependant, cette approche atteint ses limites
lorsqu’un sportif fait usage de substances illicites de façon intermittente ou à faibles doses.
Il se pourrait que ces substances ne soient pas détectées, en dépit de la robustesse des
programmes de contrôle du dopage hors compétition. La nature des substances interdites,
plus particulièrement les substances endogènes, et les méthodes de plus de plus sophis-
tiquées de prise de substances auxquelles les sportifs ont recours soulignent le besoin de
concevoir une nouvelle approche méthodologique.
Le concept de passeport repose sur la connaissance des effets principaux ou secondaires des
médicaments dans un cadre médical. Un suivi régulier des données de contrôle du dopage
facilite la détection indirecte de substances et de méthodes dopantes sur une base longitudi-
nale. Dans ce contexte, ce n’est pas la substance en soi qui est détectée, mais ses effets. En
règle générale, les effets d’un médicament sont perceptibles et détectables plus longtemps
dans l’organisme que la substance elle-même, laquelle peut être excrétée rapidement.
Pour mettre en place un programme de suivi longitudinal systématique et robuste, les
variables pertinentes et déterminantes d’une classe de substances (par exemple les subs-
tances pouvant améliorer le transfert d’oxygène, comme l’EPO) doivent être identifiées et
vérifiées régulièrement chez le sportif. Les valeurs correspondant à ces variables consti-
tueront le profil individuel et longitudinal du sportif. Ces profils sont la pierre angulaire du
Passeport biologique de l’Athlète dont il devient sa propre référence, contrairement à l’ap-
proche traditionnelle, qui compare les variables d’un individu donné avec celles, moyennées,
de la communauté sportive en général. En effet, chaque personne est unique, avec un méta-
bolisme particulier, et ses caractéristiques biologiques peuvent, sans qu’il y ait eu dopage,
s’éloigner de la norme définie statistiquement.
Les variables hématologiques seront évaluées afin de confirmer une éventuelle manipulation
sanguine ou l’amélioration de la performance aérobique. Les marqueurs de stéroïdes dans
l’urine pourront être utilisés pour détecter l’usage de stéroïdes anabolisants.
Le mode de collecte des données, leur traitement tant biologique que mathématique, leur
contrôle, etc., sont prévus de manière très précise et standardisée, comme l’est le contrôle
antidopage, afin de parer à toute possibilité de dérive.

Exemple : le module hématologique


Le module hématologique doit avoir la sensibilité permettant de reconnaître les différentes
méthodes de dopage, dont l’amélioration du transfert d’oxygène (y compris l’abus d’érythro-
poïétine recombinante et toute forme de transfusion ou de manipulation sanguine). Les
marqueurs suivants, connus et dont le dosage est au point, sont :
HTC (hématocrite) ; HCB (hémoglobine (Hb)) ; RBC (numération érythrocytaire ; RET% (pour-
centage de réticulocytes) ; RET# (numération des réticulocytes) ; MCV (volume corpuscu-
laire moyen VCM) ; MCH (hémoglobine corpusculaire moyenne TCMH) ; MCHC (concentration
corpusculaire moyenne en hémoglobine) : OFF-hr-Score (index de stimulation score du profil
sanguin).

D’après le Code mondial antidopage,


Lignes directrices opérationnelles pour le Passeport Biologique de l’Athlète et liste des exigences. Janvier
2010.
175
La chimie et le sport

Une course sans fin ?


Course contre la montre, course au record,
course à la performance, dépassement de soi,
dans le sport comme dans la vie personnelle
ou professionnelle… jusqu’où ira le dopage ?
Utilisant des structures chimiques et des
méthodes de plus en plus variées, complexes et
indétectables, le dopage tente continuellement
d’échapper aux contrôles. La chimie analytique,
elle-même engagée dans une course à la
performance, se trouve aussi dans l’obligation
de se dépasser. Les manières de créer des
inégalités entre individus dans le sport sont de
plus en plus subtiles, si bien que l’on en revient
finalement à une question fondamentale : où
commence le dopage ? Et jusqu’à quel point
des inégalités peuvent-elles être naturelles
ou artificielles, justes ou injustes, alors même
que les compétions sportives sont un lieu de
rassemblement d’individus d’exception dans
toute leur diversité ? Le débat est loin d’être
clos, comme en témoignent les chapitres
de cet ouvrage, notamment ceux d’I. Queval,
D. Masseglia et J.-F. Toussaint. L’instauration
d’un Passeport biologique de l’Athlète rendra à
chacun son droit à être différent de l’autre.

Bibliographie Rudaz S., Veuthey J.-L. (2010). [3] Lasne F., de Ceaurriz J.
Fast analysis of doping agent (2000). Recombinant erythro-
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(2009). Fast analysis of doping trometry. II: Confirmatory analy- pour le bien-être de l’homme,
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Perrenoud L., Saugy M., Sciences, 2009. Lancet, 366 : S21.
176
Marie-Florence Grenier-Loustalot Les molécules de la performanc
Les molécules
de la performance

Marie-Florence Genier-Loustalot « ce produit a fait du bien à


est Directrice de Recherche quelqu’un que je connais, je
au CNRS. Elle a dirigé de vais donc l’utiliser car cela va
nombreuses années les équipes me fera du bien aussi ». Mais
de recherche du Service Central dans le sport en particulier,
d’Analyses du CNRS à Lyon. À ce le dopage est synonyme de
titre, elle a été et est reconnue tricherie. Mais alors, qu’est-
comme experte au niveau inter- ce que le dopage ? C’est sans
national dans l’analyse des doute l’ensemble de ces trois
molécules dopantes. Actuel- cas qui en représente une
lement déléguée régionale du bonne définition (Encart :
CNRS pour la région Provence- « Qu’est-ce que le dopage ? » ;
Alpes-Côte d’Azur à Sophia- Figure 1. Voir aussi le Chapitre
Antipolis, elle organise, pour de J.-L. Veuthey).
des étudiants en Sciences
et techniques des activités
physiques et sportives (STAPS), QU’EST-CE QUE
aussi bien que pour des lycéens, LE DOPAGE ?
des réunions débats sur le
dopage dont certaines conclu- - Définition légale :
sions figurent dans ce chapitre. c’est l’utilisation de
substances ou de
procédés interdits
1 Comment définir
le dopage ? qui modifient la
performance.
Pour beaucoup de gens, le - D’un point de vue
dopage peut avoir plusieurs médical : c’est le
définitions. Il y a la défini- détournement d’usage
tion légale que tout le monde de médicaments
connaît, à savoir l’utilisation (ou d’autres substances)
de substances interdites. Mais et de procédés.
pour beaucoup, le dopage - D’un point de vue
c’est aussi détourner un peu éthique : c’est une
l’usage des médicaments ; tricherie.
en d’autres termes on se dit :
La chimie et le sport

Toutes ces possibilités ont


soulevé de nombreuses ques-
tions, aussi bien médicales
qu’éthiques, et ont conduit
à constituer une liste offi-
cielle qui regroupe les subs-
tances interdites. Cette liste
augmente chaque année car le
réservoir de molécules poten-
tiellement dopantes résultant
de l’imagination des chimistes,
Quelle efficacité sur un des physico-chimistes et des
Figure 1
sportif ? Il faut être conscient laboratoires pharmaceutiques
Utilisation de substances que le dopage ne remplace est très important.
interdites, détournement
pas l’entraînement : il ne
de l’usage de médicaments,
tricherie… le dopage, c’est tout change pas « un âne en cheval LE DOPAGE A SES
cela à la fois. Dans le sport, de course » (même si le LIMITES
certains sont prêts à tout pour dopage des chevaux de course - Le dopage ne remplace
remporter une médaille. existe !) et encore moins un pas l’entraînement.
individu quelconque en cham- - La dopage ne change
pion de course à pied ! Cepen- pas « un âne en cheval
dant, il est clair que certaines de course ».
substances et certains - Certaines substances
procédés peuvent améliorer et certains procédés
la performance. Mais, peuvent améliorer
comme il est montré dans les ponctuellement la
Chapitres de C.-Y. Guezennec, performance.
I. Queval et J.-F. Toussaint, il - D’autres substances
est aussi certain que d’autres et procédés relèvent de
substances et procédés relè- la croyance et peuvent
vent de la croyance et peuvent aboutir à l’effet inverse
aboutir à l’effet inverse de de celui recherché.
celui recherché. Il faut être - Dans tous les cas, les
bien conscient de ces deux risques encourus sur
effets (Encart : « Le dopage a la santé peuvent être
ses limites »). Enfin, dans tous dangereux.
les cas et fort heureusement, - Il existe des
le public et les jeunes en ont alternatives au dopage
pris conscience : il existe un qui permettent d’être
risque, des conséquences sur performant sans aide
la santé, et le dopage doit être artificielle.
considéré dangereux.
Existe-t-il des alternatives au
dopage qui permettent d’être
performant sans aide artifi-
2 La lutte antidopage

cielle et sans risque pour la


2.1. La liste des substances
santé ? Le Chapitre de C.-Y.
interdites
Guezennec montre que la
réponse n’est pas évidente et Il existe actuellement plus
que le « surentraînement » de 210 substances inter-
présente aussi certains dites. La liste est trop longue
178 dangers… pour être donnée dans ce
Les molécules de la performance
texte ; ces substances sont avec des sensibilités très
classées dans l’Encart « Les grandes : il s’agit de trier les
catégories de substances échantillons et de regarder si
interdites » (le Chapitre de les profils sont normaux ou
J.-L. Veuthey décrit la plupart anormaux par rapport à un
de ces substances). Les molé- profil standard (Figure 3). Si les
cules constitutives de chaque échantillons A rentrent dans
substance sont chimiquement ce profil standard, les individus
connues et peuvent donc être sont déclarés non dopés. S’il y
contrôlées et détectées. C’est a doute (profils anormaux) lors
le cas du Guronsan®, médi- de l’analyse de l’échantillon, ou
cament aux effets tonifiant si l’on détecte des substances
et stimulant, qui figure dans proscrites, il faut refaire les
la liste des substances inter- analyses (échantillon B), à la
dites, et pourtant, ce n’est que fois sur le plan de l’identifica-
de la caféine et de la vitamine tion et de la quantification, avec
C. En revanche, si une subs- un autre appareillage et un
tance détectée n’est pas dans autre manipulateur, selon une
la liste, l’athlète peut l’utiliser procédure rigoureusement
et nous ne pouvons pas dire définie, que l’on répète deux ou
qu’il est dopé au sens de la loi. trois fois pour bien certifier le
résultat. De ce résultat dépend
en général une médaille ! Si
LES CATÉGORIES l’analyse confirme la présence
DE SUBSTANCES de substances proscrites, le
INTERDITES cas est déclaré positif et l’on
- Les stimulants. établit un bulletin indiquant
- Les narcotiques. la présence de substances
- Les stéroïdes interdites, ainsi que leurs
anabolisants. concentrations. En revanche,
- Les diurétiques et l’analyste peut rencontrer des
les produits masquants. profils « anormaux » sans pour
- Les anesthésiques autant détecter de substances
locaux. inscrites dans la liste des
- Les corticostéroïdes. interdits. À ce moment-là, on
- Les bêtabloquants. ne peut conclure car tout ce qui
- Les hormones est « anormal » ne figure pas
peptidiques forcément dans la liste prévue
et analogues. par la loi, donc la personne,
même dopée, ne peut être
« inquiétée ». Cela a été le
2.2. La démarche cas avec l’affaire Balco, un
de l’analyste en contrôle scandale qui a touché le sport
antidopage américain au printemps 2003,
Les laboratoires de contrôle et dans laquelle des athlètes
antidopage suivent des procé- américains ont été accusés
dures et des techniques d’avoir eu recours à des subs-
agréées (Figure 2). Le Chapitre tances dopantes non inscrites
de J.-L. Veuthey sur la traque au tableau des interdits, mais
des molécules dopantes fournies par les laboratoires
nous explique qu’il existe un Balco. Dans ce cas, dans un
premier stade qui consiste laboratoire agréé, les échan-
en des analyses rapides mais tillons sont en général stockés 179
La chimie et le sport

État de l’art actuel

2e Stade

Figure 2
Méthodologie des analyses anti-dopages.
Techniques analytiques mises en œuvre et techniques de dosage pour le contrôle antidopage.
CPG = Chromatographie en phase gazeuse ; SM = spectrométrie de masse ; DIF = détecteur à ionisation de
flamme ; HPLC = Chromatographie en phase liquide haute performance ; DEA = Détecteur d’émission atomique ;
SMHR = Spectrométrie de masse haute résolution ; IR = Infrarouge ; C = carbone (le carbone 13C est isotope du
carbone 12C) ; H = Hydrogène ; D : Deutérium (isotope de l’hydrogène).
180
Les molécules de la performance
à basse température pour disposait pas des méthodes Figure 3
une éventuelle analyse ulté- d’analyse sensibles et spéci-
rieure. Si les échantillons ont fiques que nous avons à L’analyse antidopage : au cours
d’un premier stade d’analyses
été confiés à un laboratoire de l’heure actuelle. Examinons
rapides, on trie les échantillons,
recherche, comme l’explique les chiffres de 2006 (données dont on compare les profils avec
J.-L. Veuthey, le laboratoire officielles, émanant du un profil standard.
essaie de détecter (par analyse Ministère) : 6 220 sportifs
physico-chimique) la structure et 74 fédérations ont été
chimique de cette nouvelle contrôlés, et ceux de 2008
molécule et prévoir la fraude sont sensiblement les mêmes.
des prochaines années. Il faut Lorsque nous regardons le
en effet savoir que le frau- nombre de personnes détec-
deur est toujours en avance tées positives, elles sont
de quelques mois ou quelques moins de 10 %, ce qui est
années sur l’analyste ! réconfortant. Il faut néanmoins
Aucune « fantaisie » n’est remarquer que dans une fédé-
donc admise dans le cadre de ration sur deux, des sportifs se
ces contrôles antidopage. Tout dopent, et ce dopage n’est pas
est parfaitement classifié, spécifique d’un sport (Encart :
quantifié, suivant des normes « État des lieux sur le dopage :
bien établies, et les résultats rumeur ou réalité ? »).
donnés avec des seuils de
sensibilité rigoureusement
précisés. Si l’analyste s’écarte
de cette rigueur, même dans ÉTAT DES LIEUX SUR LE DOPAGE : RUMEUR OU RÉALITÉ ?
un cas de suspicion avérée,
devant la loi il perdra si la Nombre de contrôles par an
molécule n’est pas dans la - 1966 : 37 sportifs de 2 fédérations.
liste des interdits. - 1980 : 894 sportifs de 16 fédérations.
- 1992 : 7799 sportifs de 56 fédérations.
2.3. État des lieux du contrôle - 1996 : 5228 sportifs de 66 fédérations.
antidopage - 2006 : 6220 sportifs de 74 fédérations.
- 2008 : 6320 sportifs de 75 fédérations.
Quel état des lieux aujourd’hui
pour le contrôle antido- Un taux de cas positifs sensiblement constant, mais peu
page ? En 1966, 37 sportifs et significatif.
2 fédérations avaient pu être En 2008, les cas déclarés positifs sont répartis sur
contrôlés positifs, ce qui était 42 fédérations : une fédération sur deux est touchée par
déjà relativement important, le dopage.
compte tenu du fait qu’on ne 181
La chimie et le sport

2.4. Développements futurs tenu de l’importance des


du contrôle antidopage effets neurophysiologiques…
Quels sont les développe- L’encart « Lutte antidopage et
ments attendus du contrôle développements futurs » ouvre
antidopage ? Comme le souli- trois alternatives qui peuvent,
gnent les conclusions des dans l’état actuel de nos
Chapitres de C.-Y. Guezennec connaissances, accompagner
et de J.-L. Veuthey, il va cette recherche dans l’avenir :
falloir aller plus loin dans la la première est l’analyse indi-
recherche des molécules recte via des marqueurs47
dopantes (Encart : « Dopage et indiquant la présence, dans
développements futurs »). l’organisme, de substances
Mais se pose le problème de prohibées telles que des
coût, tant pour la recherche stéroïdes ou des anabolisants ;
que pour l’analyse, qui est ce qui implique de connaître
très élevé. En effet, il est par le métabolisme des subs-
exemple indispensable d’ap- tances interdites. La deuxième
profondir la connaissance sur direction est de diversifier
le métabolisme des nouvelles les échantillons biologiques
substances xénobiotiques46 d’analyse, de ne pas se limiter
susceptibles d’avoir des effets au sang et aux urines, comme
dopants. nous le faisons à l’heure
actuelle. D’autres prélève-
De plus, sur le plan éthique, le
ments sont intéressants, tels
deuxième point à étudier est
les cheveux qui poussent
le seuil critique d’élimination
d’environ un centimètre par
dans des conditions d’efforts
mois, ce qui permet d’une part
physiques intenses. En effet,
d’avoir une fenêtre spectrale
le problème rencontré vient
beaucoup plus importante,
de la fenêtre de temps entre
d’autre part de les conserver
l’épreuve, le prélèvement et
pour des études ultérieures
l’analyse, car l’élimination de
sans altération. Mais gros
certains produits, qui ont une
problème : beaucoup d’ath-
fenêtre spectrale de détec-
lètes se rasent la tête !
tion variable dans des condi-
tions d’effort intense, peut
entraîner un faux négatif lors
de l’analyse.
3 Pourquoi
se dope-t-on ?
Sur le plan de la recherche
3.1. Un contexte favorable
analytique, il faut améliorer
les techniques de détection, Mais comment en arrive-t-on
en particulier au niveau des au dopage ? La question des
seuils de sensibilité, tout en
ayant conscience qu’à partir
d’un certain moment, il faut 47. Un marqueur est une molécule
aussi se demander si c’est que l’on peut détecter et mesurer
dans l’organisme via une prise de
raisonnable ou non, compte
sang ou un prélèvement d’urine
par exemple, et qui révèle la
présence d’une molécule (comme
46. Xénobiotique (du grec un produit dopant) que l’on ne
xenos = « étranger » et bios = pourrait pas détecter directement,
« vie ») : substance étrangère à notamment du fait de leur rapide
182 l’organisme vivant. métabolisme dans l’organisme.
Les molécules de la performance
LUTTE ANTIDOPAGE ET DÉVELOPPEMENTS FUTURS

Principaux axes
- Connaissance du métabolisme des nouvelles substances
xénobiotiques susceptibles d’avoir des effets dopants.
- Étude des seuils critiques d’élimination de ces produits
dans les conditions particulières d’efforts physiques
intenses. « L’homme en mouvement ».
- Amélioration constante des techniques de détection,
en particulier au niveau des seuils de sensibilité.

Trois alternatives
- Analyses directes de marqueurs, indiquant l’utilisation
de substances prohibées (stéroïdes, anabolisants, études
des stéroïdes endogènes…).
- Analyse de produits suspects dans différents
fluides biologiques, en particulier le sang (hormones
peptidiques).
- Utilisation d’autres prélèvements tels que les cheveux,
la salive.

facteurs favorisant le dopage des conditions maximums.


est largement abordée sur le C.-Y. Guezennec a rappelé les
plan psychologique et socio- risques liés à l’augmentation
logique dans le Chapitre d’I. des charges d’entraînement
Queval, et sur le plan physio- et ses conséquences.
Figure 4
logique dans celui de C.-Y. Vient ensuite l’intensification
Guezennec. Les causes les de la promotion de l’image Obligation de résultats, enjeux
plus connues sont résumées des produits dopants et économiques, notoriété… multiples
sont les pressions qui s’exercent
dans l’Encart : « Pourquoi les nouvelles habitudes de
sur les sportifs, qui doivent par
se dope-t-on ? ». On évoque consommation de la société : ailleurs gérer des calendriers de
souvent l’obligation de résul- l’automédication avec ce genre compétitions bien remplis.
tats, l’enjeu économique et de produits se développe y
la notoriété. Pour certains compris chez les particuliers.
sports, il est vrai que le D’autre part, les sites Internet
haut niveau paie et rapporte peuvent être extrêmement
beaucoup d’argent à l’ath- dangereux car ils proposent
lète (Figure 4), à son envi- beaucoup de pilules miracles.
ronnement, à ses sponsors Mais l’on évoque également le
etc. Mais l’une des causes à stress des sportifs, l’absence
prendre en compte est aussi de préparation à l’échec, et
la surcharge du calendrier cela peut être très impor-
sportif, comme le souligne D. tant pour les plus jeunes qui
Masseglia (Chapitre d’après la parlent du manque de diver-
conférence de D. Masseglia). sité des centres d’intérêt :
Dans l’exemple du football, il « on s’ennuie un tout petit
est certain que trois matchs peu donc on fume, on utilise
par semaine représentent quelques médicaments pour
beaucoup d’effort et deman- s’occuper ». Pour les jeunes,
dent aux sportifs d’être dans il faut aussi tenir compte 183
La chimie et le sport

POURQUOI SE DOPE-T-ON ?
- L’obligation de résultats.
- Les enjeux économiques et la notoriété.
- La surcharge du calendrier sportif.
- L’intensification des charges d’entraînement.
- La promotion de l’image des produits dopants et les
habitudes de consommation de la société.
- Les effets du stress et l’absence de préparation à l’échec
sportif.
- Le manque d’investissement diversifié.
- La pression ou, à l’inverse, le désintérêt familial.
- La médicalisation des structures sportives.

aussi bien de la pression que de l’entraînement et le mauvais


du désintérêt familial, bien usage du médicament.
que la pression de la famille
soit beaucoup plus fréquente. 3.2.1. Le mauvais usage
Enfin, il y a la médicalisation de l’entraînement
des structures sportives. et ses conséquences
Le syndrome de surentraî-
3.2. Les déviances nement, dont les méca-
dans la pratique sportive nismes biochimiques sont
discutés dans le Chapitre de
Avec toute la pression que
C.-Y. Guezennec, se carac-
nous venons d’évoquer qui
Tableau 1 térise par une dégradation
s’exerce sur des sportifs, deux
des performances physiques
Les effets et symptômes du exemples de déviance peuvent
malgré la poursuite de l’en-
surentraînement sont multiples. apparaître : le mauvais usage
traînement, associée à une
dégradation de la santé
mentale ; les symptômes
sont multiples et plusieurs
EFFETS SYMPTÔMES
facteurs peuvent favoriser cet
Effet global Baisse des performances état (Tableau 1 et Encart « Ce
qui favorise le syndrome du
Effets psychiques Fatigue généralisée surentraînement »).
Irritabilité, dépression Il est maintenant médicale-
ment prouvé que le suren-
Effets cardiovasculaires Modification de la tension artérielle traînement physique entraîne
et du pouls de repos
des récupérations insuffi-
Effets squelettiques Fractures de fatigue santes, des sollicitations
et musculaires Blessures musculaires et tendineuses physiques excessives et non
contrôlées, et le corps ne
Effets immunitaires Baisse des défenses immunitaires s’adapte plus à l’effort trop
avec infections ORL intense. Cela conduit à des
insomnies, parfois à la prise
Anémie inconsidérée d’une alimenta-
Effets biologiques Baisse des hormones sexuelles avec tion déséquilibrée, et le suivi
et hormonaux troubles des règles (femmes) et de la libido
Baisse des facteurs de croissance avec de sollicitations extra-spor-
ralentissement de la croissance chez l'enfant tives. S’ajoute, pour les spor-
184 tifs connus, la pression des
Les molécules de la performance
CE QUI FAVORISE LE SYNDROME DU SURENTRAÎNEMENT

Les erreurs
- Mauvaise structuration.
- Récupération insuffisante.
- Sollicitations physiques inadaptées.

Une mauvaise hygiène de vie


- Manque de sommeil.
- Alimentation déséquilibrée.
- Sollicitations extra-sportives trop importantes.

médias qui est très pesante. niveau (voir le Chapitre de


Tout cela conduit à ce que C.-Y. Guezennec).
le surentraînement épuise
le sportif. Il en résulte non 3.2.2. Le mauvais usage
Figure 5
seulement des baisses de des médicaments
performance, mais aussi des et ses conséquences Fractures de fatigue, tendinites…
le corps ne s’adapte plus à l’effort
effets psychiques : fatigue, Quand ce n’est pas l’entraîne-
intensif : le surentraînement
irritabilité, dépression. Sur ment excessif et incontrôlé, épuise le sportif.
le plan de la pathologie, on c’est le recours aux médi-
observe des modifications caments ou d’autres formes
cardiovasculaires, des effets de dopage qui constituent
sur le squelette (fractures de un risque à ne pas sous-
fatigue) et sur les muscles estimer. Comme le rappelle
(tendinites) (Figure 5). La I. Queval, la recherche de la
moitié des nombreux jeunes performance à tout prix n’est
qui pratiquent le football pas l’apanage des sportifs.
souffre d’un problème de Dans ce but, l’automédica-
tendon. Le surentraînement tion et la surconsommation
conduit aussi à des défi- de médicaments se dévelop-
ciences immunitaires, avec pent et se banalisent, comme
en particulier l’apparition de en témoigne le Tableau 2.
nombreuses infections ORL. Examinons les chiffres de la
Enfin, on observe des effets pharmacopée. Il s’agit de la
biologiques et hormonaux qui pharmacie parallèle, et non
peuvent devenir sérieux : de de la pharmacie médicale
l’anémie, la baisse du taux donnant souvent lieu à des
des hormones sexuelles, remboursements par la sécu-
des troubles de la libido, des rité sociale. Nous pouvons
troubles des règles chez les constater que de 1970 à 2009,
femmes, et, en ce qui concerne sa consommation a plus que
les enfants, un ralentissement doublé ; ces chiffres sont
de la croissance. Toutes ces extrêmement importants et
conséquences, très dange- témoignent du fait que les
reuses, imposent donc une français adorent se soigner.
surveillance constante et La France est d’ailleurs le
rapprochée par des personnes pays où l’on absorbe le plus
responsables et qualifiées de de médicaments en Europe.
l’entraînement sportif de haut Or, il y a là un certain danger, 185
La chimie et le sport

cins, eux-mêmes salariés des


1970 1980 1990 2009
mêmes structures (Encart :
Pharmacies humaine 1 636 5 135 14 654 32 031
« Le sport de haut niveau,
un cadre bien défini »). Les
Alimentation, boissons 17 076 50 918 106 759 136 552 sportifs de haut niveau sont
donc très bien suivis et les
Dont boissons alcoolisées 2 089 5 888 11 586 22 148 problèmes de dopage relative-
ment circonscrits, même si ils
Habillement Logement, 6 665 18 403 38 568 36 971 font fréquemment la Une des
Chauffage et éclairage 10 669 43 838 111 800
journaux, spécialisés ou non.
192 086
Très observés par les media,
Tabac 1 046 2 675 6 616 14 976 les sportifs de haut niveau se
sentent en outre généralement
responsables à l’égard d’eux-
voire un danger certain : nous mêmes et de leur pays, et
Tableau 2 tendent à adopter des compor-
pouvons nous demander si
La surconsommation du l’usage de tous ces médica- tements exemplaires, en parti-
médicament est banalisée. culier vis-à-vis des jeunes. Ils
Comparaison entre la
ments parallèles est justifié
d’un point de vue thérapeu- sont même particulièrement
consommation pharmaceutique
tique. Cela peut être non attentifs à n’éveiller aucun
et quelques autres consommations
des ménages (en millions d’euros). seulement inutile mais peut- soupçon, car tout soupçon est
être même très dangereux. très pénalisant non seulement
pour eux-mêmes mais aussi
3.3. Le risque de dopage pour leur club. Ils sont censés
selon le niveau sportif connaître les substances et les
procédés interdits, ils s’infor-
3.3.1. Le sport de haut niveau ment sur l’évolution de la liste,
Alors que les médias évoquent veillent à ne pas absorber de
le plus souvent le dopage produits douteux, voire ne
dans le sport de haut niveau, craignent pas d’en parler en
ce n’est pas là que le danger public ou en privé pour faire
est le plus important. De fait, avancer le combat contre le
le sport de haut niveau se dopage (Encart : « Tous respon-
caractérise par des perfor- sables, tous solidaires, tous
mances réalisées dans des efficaces »).
conditions référencées, et
les disciplines reconnues de LE SPORT DE HAUT
haut niveau sont parfaitement NIVEAU, UN CADRE
encadrées. Les sportifs y sont BIEN DÉFINI
répertoriés sur des listes qui Un dispositif qui
sont suivies et contrôlées : comprend :
les filières du sport de haut - Des performances
niveau sont très bien cernées, dans les compétitions
depuis les conseils régionaux de référence.
jusqu’à la nation tout entière. - Des disciplines
La loi impose que le sportif reconnues « de haut
de haut niveau soit contrôlé et niveau ».
suivi médicalement. Souvent, - Des listes de sportifs
ils sont salariés de structures de haut niveau.
qui relèvent normalement - Des filières d’accès
de la médecine du travail. Ils au haut niveau.
186 sont encadrés par des méde-
Les molécules de la performance
3.3.2. Les pratiquants sportifs le plus souvent très rigoureux
La responsabilité et les par rapport à leur l’hygiène de
contraintes sont en revanche vie. Ils apprennent à connaître
moins grandes pour les prati- leur corps, respectent les
quants sportifs, à savoir ceux signes d’alerte de fatigue que
qui fréquentent régulière- leur corps leur envoie. Géné-
ment des clubs de sport. Il ralement, ils informent le
n’empêche qu’en général, médecin qu’ils pratiquent un
les sportifs sérieux respec- sport afin de savoir si le niveau
tent quelques règles de pratiqué est compatible avec
base, rappelées dans l’En- leur état physique. Enfin ils
cart : « Tous responsables, évitent de s’auto-soigner sans
tous solidaires, tous effi- avis médical. Ainsi, même
caces ». Ils n’oublient pas si les contraintes et le suivi
qu’ils pratiquent un sport sont moindres que chez les
avant tout pour le plaisir et sportifs de haut niveau, les
le bien-être, et qu’ils doivent problèmes de dopage restent
pour cela respecter certaines très minoritaires pour cette
règles. Ils s’entrainent pour catégorie de sportifs.
progresser mais se satis-
font de leur progression sans 3.3.3. Les amateurs
aller jusqu’au surentraîne- C’est en revanche beaucoup
ment. Ils sont réguliers dans moins vrai pour les spor-
leur pratique, mais ils ne se tifs amateurs, ceux que l’on
posent pas de question exis- appelle familièrement « les
tentielle les jours où ils sont amateurs ou sportifs du
moins performants. Ils sont dimanche ». On connaît

TOUS RESPONSABLES, TOUS SOLIDAIRES, TOUS EFFICACES...

Les sportifs de haut niveau


- Ils savent que leur comportement est observé et a valeur d’exemple.
- Ils se sentent responsables à l’égard d’eux-mêmes, de leur club et de leur pays.
- Ils sont particulièrement attentifs à ne susciter aucun soupçon.
- Ils connaissent les substances et procédés interdits, et s’informent sur l’évolution
de la liste des interdits.
- Ils veillent à ne pas absorber de produits douteux.
- Ils ne craignent pas d’en parler en public ou en privé pour faire avancer le combat contre
le dopage.

Les pratiquants sportifs


- Ils n’oublient pas qu’ils pratiquent leur sport pour le plaisir et selon les règles.
- Ils s’entraînent pour progresser et se satisfont de leur progression.
- Ils sont réguliers dans leur pratique.
- Ils sont rigoureux dans leur hygiène de vie.
- Ils apprennent à connaître leur corps.
- Ils respectent les signes d’alerte que celui-ci leur envoie.
- Ils informent leur médecin qu’ils pratiquent un sport.
- Ils évitent de se soigner sans avis médical.
187
La chimie et le sport

beaucoup de compétitions créativité », cela facilitera la


sportives, où l’on voit arriver circulation d’informations
des gens qui généralement entre les deux hémisphères du
font peu de sport et qui, le cerveau et stimulera l’imagi-
dimanche matin, lors du nation. On retrouve à ce niveau
marathon du village ou du des drogues fortes et dange-
tour cycliste du Régional, se reuses telles que la cocaïne,
mettent au sport avec l’envie les amphétamines (voir le
farouche de gagner et d’être Chapitre de J.-L Veuthey), le
le héros du jour. Il y a là un LSD48, etc. Puis pour les plus
danger très réel, car ces âgés, viennent des activateurs
personnes, qui ne font pas de de mémoire et les pilules de
sport régulièrement, ne s’en- jeunesse, comme la DHEA,
traînent que huit ou quinze la mélatonine, etc. On trouve
jours avant la compétition, aussi les pilules antivieillis-
quand ce n’est pas la veille sement et beaucoup d’eu-
pour le lendemain ; leur corps, phorisants, assimilés à des
comme souvent leur moral, « pilules du bonheur ». À cette
n’est pas préparé à fournir liste s’ajoutent des antistress,
des efforts intenses et parfois des tranquillisants, des bêta-
sur une durée relativement bloquants. Tous ces médi-
longue. Et c’est à ce moment caments sont souvent pris
que ces amateurs en quête de sans la moindre conscience
gloire ayant peur de craquer de leur danger potentiel. Il
succombent au mythe de la en est de même de ce qui est
potion magique. Quelques considéré comme des anti-
chiffres permettent d’étayer fatigues : amphétamines,
ces craintes (Encart : « Dopés oligo-éléments et toutes les
et amateurs ») : 89 % des vitamines que l’on trouve dans
amateurs pensent qu’ils la pharmacopée et en libre
font de la compétition, ce qui service.
laisse sceptique, contre 11 %
qui ne parlent que de loisir.
Le risque de dopage pour les
48. LSD : abréviation du mot al-
sportifs amateurs se situe lemand Lysergesäurediethylamid
majoritairement entre 20 et (diéthylamide de l’acide lyser-
39 ans. À partir de 40 ans, ils gique). Psychotrope hallucino-
deviennent plus raisonnables gène puissant, dont de faibles
et la médecine parallèle n’est doses suffisent à entraîner des
plus trop utilisée ou du moins changements de la perception, de
l’humeur et de la pensée. Il dérive
beaucoup moins.
de composés issus de l’ergot de
Quand on interroge ces seigle, responsable de la mala-
die dite du feu de Saint-Antoine,
amateurs dopés sur les et dont les personnes atteintes
raisons qui les poussent souffraient d’hallucinations, de
à avaler ces pilules et sur douleurs effrayantes et étaient,
les effets escomptés, les au Moyen-Âge supposées être
réponses sont variées et les possédées du démon (voir aussi
plus fréquentes sont résu- l’ouvrage La chimie et l’alimenta-
tion, pour le bien-être de l’homme.
mées dans l’Encart : « Dopés
Coordonné par Minh-Thu Dinh-
et amateurs ». Ils s’imagi- Audouin, Rose Agnès Jacquesy,
nent qu’en prenant ce qu’ils Danièle Olivier et Paul Rigny, EDP
188 appellent « les pilules de la Sciences, 2010).
Les molécules de la performance
DOPÉS ET AMATEURS
Quelques chiffres
-89 % déclarent faire de la compétition.
-11 % se déclarent sportifs de « loisir ».
Quelles tranches d’âge se dopent ?
-20-29 ans.
-35-39 ans.
Quelles pilules, à quel moment et avec quels effets ?
- Les pilules de la créativité : elles facilitent la circulation de l’information entre les deux
hémisphères du cerveau, stimulent l’imagination (cocaïne, LSD, amphétamines, etc. Voir le
Chapitre de J.-L. Veuthey).
- Les activateurs de mémoire : ils visent à stimuler les neurotransmetteurs de la mémoire.
- Les pilules de jeunesse : pilules de vie ou d’antivieillissement (DHEA, mélatonine, etc.).
- Les euphorisants.
- Les antistress (tranquillisants, bêtabloquants).
- Les antifatigues (amphétamines, oligoéléments, magnésium, vitamines B12, C, etc.).

rement important. Plus géné-


4 Revenons
à une pratique
sportive saine !
ralement, le sport contribue
à une bonne hygiène de vie et
de santé (Figure 6). Il serait
Gardons à l’esprit que le dommage de gâcher tout cela
sport est indispensable à la par une spécialisation trop
santé et porteur de bienfaits précoce – pratiquer un sport
(Encart : « Pratiquons le sport de haut niveau trop tôt peut
sainement ! » Voir aussi le être dangereux (voir notam-
Chapitre de C.-Y. Guezennec). ment le Chapitre d’I. Queval)
En plus de l’éthique, du bien- – et par tout ce qui conduit
être et du plaisir, le sport, au dopage, ainsi qu’à toutes
notamment le sport d’équipe, les déviances résultant d’une
apprend aux jeunes à vivre en envie non raisonnée et non
société, ce qui est particuliè- contrôlée de performance.

PRATIQUONS LE SPORT SAINEMENT !


Quelques contributions du sport
- L’éthique.
- Le bien-être, le plaisir, la vie en société.
- L’hygiène de vie et la santé.
Ce qui peut tuer le sport
- La violence.
- La spécialisation précoce.
- Tout ce qui conduit au dopage.
189
La chimie et le sport

Figure 6
En plus de l’éthique, du bien-être
et du plaisir, le sport apprend aux
jeunes à vivre en société, contribue
à une bonne hygiène de vie et une
bonne santé physique et mentale.

Pourquoi et comment faut-il lutter


contre le dopage ?
Certainement et plus que pour la compétition,
pour préserver l’éthique du sport et les valeurs
qu’il offre à tous. Le sport n’est pas seulement
une performance individuelle, ce sont aussi des
règles du jeu ; si les Jeux olympiques existent,
notamment les modernes, c’est que l’essentiel
est d’y participer, comme l’indique D. Masseglia
(Chapitre d’après la conférence de D. Masseglia).
Il faut donc condamner le dopage pour des
raisons éthiques, et les gouvernements doivent
y veillez, d’autant qu’il y a souvent beaucoup
d’intérêts financiers en jeu dans le sport de
compétition.
Mais il faut aussi, et peut-être autant, préserver
la santé des sportifs, car souvent, pour le
public, le dopage n’est que l’amélioration des
performances de l’individu sain. Ce qui est
exact, mais n’est pas anodin car c’est aussi
l’usage d’un artifice pour exploiter au maximum
ses capacités, et cela peut être très dangereux,
190
qu’il s’agisse des conséquences immédiates
Les molécules de la performance
comme cela a été montré dans les Chapitres
de C.-Y. Guezennec et de J.-F. Toussaint, ou des
conséquences à long terme, comme cela s’est
malheureusement produit pour certains sportifs
de compétition, voire en compétition comme
dans le Tour de France, ou même amateurs.
Les molécules dopantes, les procédés de
dopage sont comme les drogues, des artifices
dont les conséquences à long terme sur la
santé humaine sont mal connues, parfois
totalement inconnues : en dehors même de
tout problème d’éthique, chimistes, biologistes
et médecins doivent coopérer sur ce sujet pour
informer objectivement et scientifiquement les
jeunes, et de plus en plus les moins jeunes, des
risques encourus par les dopés (« les dupés »),
essentiellement pour le bénéfice financier des
dopeurs.

191
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Les matériaux composites dans le sport
Partie 3

Les matériaux
de la performance

193
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Yves Rémond et Jean-François Caron Les matériaux composites dans le sport
Les matériaux
composites dans
le sport

Yves Rémond est professeur à est un assemblage de diffé-


l’Université de Strasbourg et à rents constituants. Une défi-
l’École européenne de chimie nition aussi générale recouvre
polymères et matériaux. Il est un très grand nombre de cas,
spécialiste de modélisation certains aussi répandus que
des propriétés mécaniques le béton, qui est un assem-
des polymères et composites. blage de cailloux, de sable et
Jean-François Caron est Direc- de ciment, d’autres avec des
teur de recherche à l’École des degrés de sophistication variés
Ponts ParisTech (ENPC) ; il et, la suite le montrera, parfois
enseigne à l’ENPC et à l’École très complexes.
Polytechnique. Il est spécia- Les matériaux compo-
liste de mécanique numérique sites fabriqués pour leurs
appliquée notamment aux propriétés d’usage par l’in-
structures composites. dustrie sont souvent consti-
L’incessante recherche de tués de fibres immergées au
performance qui caractérise sein d’une matrice49 (colle ou
le sport a conduit à l’utilisa- polymère). Les fibres peuvent
tion massive de nouveaux être fabriquées artificielle-
matériaux et en particulier au ment par synthèse chimique
recours aux matériaux compo- ou être naturelles, issues
sites. Le matériel et les équi- de la matière végétale. Les
pements sportifs (raquette organismes vivants donnent
de tennis, ski, etc., Figure 1) en effet des exemples de
donnent à chacun l’expérience matériaux composites d’une
pratique de ces matériaux dont incroyable complexité et
la présentation fait l’objet de ce même si les matériaux de
chapitre. synthèse sont loin de l’être
autant, il est intéressant de se
rapprocher de la nature pour
1 Qu’est-ce qu’un
matériau composite ? prendre la mesure des infinies

L’expression est assez parlante 49. Voir le Chapitre de N. Puget,


en soi : un matériau composite paragraphe 1.2.2.
La chimie et le sport

Figure 1 possibilités de ces assem- élémentaires s’assemblent à


blages moléculaires. leur tour donnant naissance
De nombreux sports font appel à
La Figure 2A représente le à d’autres assemblages aux
des matériaux composites : tennis,
snowboard, ski (voir le Chapitre de matériau composite le plus échelles supérieures jusqu’à
N. Puget), saut à la perche, etc. ancien à avoir été utilisé par cette structure macroscopique
l’homme : le bois. Au niveau bien connue des arbres.
Figure 2 moléculaire, on trouve les Qu’il s’agisse du monde
fibres de cellulose, polymère végétal, de celui des insectes
Le bois est le matériau composite de 200 à une dizaine de milliers (les carapaces chitineuses),
le plus ancien à avoir été utilisé
par l’homme (A) : il comporte
d’unités glucose (Figure 2B), des crustacés (les carapaces
des fibres de cellulose (polymère et la matrice, constituée des homards, Figure 3), ou
pouvant comporter une dizaine de de lignine, autre assem- de l’homme (les ongles,
milliers d’unités glucose : structure blage polymère (zoom sur la les cheveux), les exemples
chimique en B) et de la lignine. Figure 2A). Ces assemblages peuvent se multiplier à l’infini.

A B

196
Les matériaux composites dans le sport
La conclusion est là : les orga-
nismes vivants « utilisent »
des matériaux dont l’étude
fait apparaître une hiérarchi-
sation de nombreux éléments
qui permet la fonction assi-
gnée par la nature – bref, des
matériaux composites.
La recherche de nouveaux
matériaux s’est inspirée de
tels exemples pour, en toute
humilité et à une échelle de
complexité bien modeste,
structurer les matériaux aux
différentes échelles pour qu’ils
répondent aux objectifs fixés.

2 De l’utilisation des
matériaux composites
idéal mettrait la résistance là Figure 3
La finalité de l’ingénieur est où il faut, en flexion. Un maté-
de disposer de matériaux qui riau composite permet de s’en Les organismes vivants tels que
répondent le mieux possible les mollusques sont composés de
rapprocher. On peut signaler
aux objectifs d’usage. Ceux-ci matériaux composites (carapaces,
aussi une « propriété » souvent etc.).
sont souvent multiples masquée par les fonctions
et contradictoires. On les principales des objets : celle
veut performants mais peu d’assurer la compatibilité du
coûteux ; résistants mais matériau avec son environ-
souples ; rigides mais légers. nement – l’eau, les chocs, la
La démarche est de réunir, fatigue… Là encore l’utilisa-
sous forme de matériaux tion de matériaux composites
composites, différents consti- pourra aider à résoudre les
tuants dotés chacun de l’une difficultés rencontrées (voir
des propriétés recherchées, les Chapitres de N. Puget et de
dans l’espoir que le matériau F. Roland).
final aura la somme de toutes
Les objets que nous allons
ces propriétés. La pratique
présenter plus loin, la raquette
montre que cette démarche
de tennis, la planche de snow-
est fréquemment couronnée
board, la perche de saut et le
de succès, au-delà même
casque de protection, sont tous
des espoirs puisqu’on obtient
faits de matériaux composites
parfois mieux que la somme
qui mélangent des fibres (prin-
des propriétés.
cipalement des fibres de verre
L’industrie automobile illustre ou de carbone) avec une colle.
cette situation : quand on La réalisation du composite à
fait des « ailes de voiture », partir de ses matériaux consti-
on veut qu’elles résistent à tutifs doit suivre les trois prin-
la flexion. Le choix du métal cipes suivants :
comme matériau conduisait à
leur donner une bonne résis- Contrôler l’interface
tance partout, même dans fibre-matrice
l’épaisseur où elle est inutile, Les efforts appliqués au maté-
voire néfaste. Un matériau riau le sont aussi bien à la 197
La chimie et le sport

Figure 4 matrice qu’aux fibres, mais ce elles peuvent aussi être tissées,
sont les fibres qui sont résis- tressées, tricotées pour créer
Des fibres de géométries variées : tantes et non la colle. L’inter- des surfaces bi-dimension-
plaque stratifiée, unidirectionnelle
face entre les deux types de nelles tout comme le sont les
ou non, tissée, tressée…
constituants – fibres et colle tissus. Chaque type d’assem-
– est un endroit particuliè- blage présente des propriétés
rement sensible ; il y a donc différentes, par exemple par
lieu de bien la formuler. Les rapport à la résistance aux
chimistes sont capables de efforts. La géométrie la plus
caractériser cette interface, de adaptée à l’utilisation des
décrire les liaisons chimiques objets finis sera sélectionnée.
qui se forment et qui assurent À plus grande échelle, d’autres
la cohésion du matériau. Leurs choix se présentent : empile-
études permettent d’orienter ments de plans (qui donne les
la constitution du matériau matériaux qu’on appelle stra-
pour optimiser les perfor- tifiés), parallèles (unidirec-
mances de ces interfaces. tionnels) ou croisés, différents
Contrôler la géométrie types de tissage pour lesquels
des fibres (Figure 4) on utilise les mêmes mots
que pour les textiles – satin,
Le mot « fibre » évoque
sergé, toile, taffetas, ou même
les textiles, et en effet les
constructions de tresses, de
concepts du tissage peuvent
tricotages tridimensionnels…
être importés et employés
les ingénieurs s’en sont donné
pour conduire à une variété
à cœur joie.
d’assemblages. Si les fibres
peuvent être assemblées dans Contrôler l’assemblage
une géométrie où elles sont à grande échelle
toutes parallèles entre elles Un matériau, c’est bien sûr
198 (matériau unidirectionnel), une composition moléculaire,
Les matériaux composites dans le sport
mais c’est aussi une géomé- cissable, thermoplastique),
trie et il s’agit de contrôler un métal (acier aluminium)
les assemblages à grande ou encore un céramique ; la
échelle, pour obtenir de fibre peut être un polymère
nouvelles propriétés. La d’origine végétale, un poly-
conception d’une plaque mère de synthèse comme
devant subir des efforts à la l’aramide (pour le Kevlar), une
flexion illustre cette situation. fibre de verre (pour les skis
Soit une plaque de Kevlar par exemple : voir le Chapitre
(Figure 5) – nom commercial de N. Puget), une fibre de
qui désigne des fibres d’ara- carbone, etc.
mides50 (voir le Chapitre de
Pour les matériaux du sport,
F. Roland) dans une colle.
deux propriétés mécaniques
Cette plaque qui, seule, n’a
vont jouer un rôle clé : la rigi-
pas de rigidité particulière
dité et la résistance.
en flexion est utilisée sous la
forme de « sandwich » : entre La rigidité est la mesure de la
deux plaques, on place un déformation sous une charge
matériau mou qu’on appelle (par exemple la flexion d’une
« nid d’abeille » qui n’a pas plaque, comme dans l’exemple
de rigidité propre mais dont la précédent). Les matériaux Figure 5
seule présence fait que l’as- composites permettent des Schéma du Kevlar, matériau
semblage sandwich devient rigidités considérables par découvert en 1965 par des
très rigide alors que chacun de rapports aux matériaux purs. chercheurs de la société DuPont
ses trois constituants séparé Pour donner des ordres de de Nemours.
est souple.
La conception d’un maté-
riau procède d’une démarche
inductive : dans une
première phase du travail,
les propriétés à obtenir
sont définies en fonction de
l’usage recherché ; dans une
deuxième phase du travail on
cherche la composition du
matériau qui va permettre le
respect de ces propriétés. Les
matériaux composites, avec la
complexité de constitution qui
vient d’être montrée, fournis-
sent une quantité de schémas
entre lesquels il faut choisir :
la matrice peut être poly-
mère ou résine (thermodur-

50. Les aramides sont une


classe de matériaux résistant à
la chaleur et/ou présentant de
bonnes propriétés mécaniques.
Ils ne peuvent être utilisés que
comme fibres, qui servent surtout
à la fabrication de matériaux
composites, en renfort de matrices
(voir aussi le Chapitre de F. Roland). 199
La chimie et le sport

grandeur des rigidités que interviennent lors du fonction-


l’on peut obtenir, voici des nement du matériel doivent
valeurs données en GPa (giga- être identifiés et compris aussi
pascals) : pour le polyester ou bien que possible afin que l’in-
l’époxy, 1 à 5 ; pour des fibres fluence des divers paramètres
de verre dans une matrice (géométrie, propriétés intrin-
d’aluminium, 70 ; pour l’acier, sèques des matériaux de
à titre de comparaison, 200, et base, etc.) puisse être mise en
pour les fibres de carbone, de évidence ;
200 à parfois plus de 1 000. - modélisation. Cette étape a
La résistance, c’est la mesure pris une importance majeure
de la traction maximale dans toutes les « démarches
supportée par le matériau ; matériaux » d’aujourd’hui.
elle se mesure en méga- Le fonctionnement de l’objet
pascals (MPa). Les matrices final est simulé sur ordinateur
polymères dépassent rare- à l’aide de l’analyse quali-
ment quelques dizaines de tative et quantitative qu’ap-
MPa, l’aluminium se situe porte la phénoménologie. Ce
à 450 MPa. Entre 1 000 et travail permet de déterminer
1 500 MPa, on trouve les les valeurs-cibles des para-
meilleurs aciers. Mais la mètres (la géométrie, les
résistance des fibres de verre dimensions, le poids, etc.)
comme celle des fibres de et des propriétés (rigidité,
carbone peut s’élever jusqu’à résistance, etc.) qui permet-
4 000 à 5 000 MPa. Les fibres tront d’atteindre le résultat
de verre ne sont peut-être pas recherché ;
très rigides, mais elles sont - établissement d’un cahier
au moins aussi résistantes des charges. Il s’agit de
que celles de carbone (voir décider des caractéris-
le Chapitre de C. Lory). tiques que l’on veut obtenir
de l’objet recherché. Dans
le cas du matériel sportif, il

3 Conception de
matériels de sport :
quelques exemples
pourra s’agir du poids, de la
résistance, de la rigidité, du
frottement, de la tenue aux
contraintes thermiques etc.
Le mot « matériau » désigne Ces caractéristiques objec-
bien plus qu’un échantillon tives sont déduites de l’ana-
de matière. Il implique plus lyse du fonctionnement de
profondément une démarche l’objet, comme on le verra
très puissante du scientifique plus loin dans les exemples
et de l’ingénieur, démarche présentés. Les contraintes
qui comprend les phases correspondant à la faisabilité
suivantes, souvent d’ailleurs de l’objet (par exemple possi-
exécutées de façon itérative, bilité de soudure ou d’assem-
les résultats d’une phase blages) ne devront pas être
pouvant modifier les données oubliées ;
d’entrée d’une autre :
- la fabrication proprement
- conception générale de dite.
l’objet ; Les exemples qui suivent
- phénoménologie de l’objet visent à faire mieux saisir ces
en fonctionnement. Les différentes étapes du travail
200 phénomènes physiques qui – qui ont d’ailleurs soutenu
Les matériaux composites dans le sport
avec succès l’épreuve de analyse vibratoire. Comme
servir de « projets » aux le fait une corde de guitare,
étudiants de l’École nationale la raquette frappée entre en
des ponts et chaussées. vibration et ces vibrations sont
marquées de « nœuds » et de
3.1. La raquette de tennis « ventres ». Si l’on tape sur la
(Figure 6) raquette à un nœud de vibra-
tion, la vibration ne se mani-
Conception festera pas. On devine l’intérêt
Si les raquettes existantes de faire coïncider le centre
permettent de concevoir l’objet Figure 6
de percussion avec le nœud
dans ses grandes lignes, il y de vibration – faute de quoi La raquette de tennis, un matériau
a lieu d’aller beaucoup plus le joueur, soumis à la vibra- composite qui associe des fibres et
loin selon les performances tion de la raquette, risque le une colle.
recherchées. fameux « tennis elbow »51.
Phénoménologie Établissement du cahier
Quelques exemples de phéno- des charges
mènes à étudier : Parmi les données d’entrée
- Comportement de la raquette du cahier des charges, il y a
sous percussion : centre de lieu de d’abord caractériser
percussion. La Figure 7 montre le joueur : sa morphologie,
une raquette suspendue par son niveau de jeu (coordina-
la poignée. Le comportement tion), son style de jeu (offensif
du point P dépend du point ou défensif), car tous ces
d’impact de la balle : pour un paramètres vont influer sur
certain point d’impact, le point le type de contraintes auquel
P reste immobile – c’est le
centre de percussion. C’est un 51. On appelle « tennis elbow » une
point important de la géomé- épicondylite, qui est un trouble
trie de la raquette qu’il faut musculosquelettique du coude, Figure 7
savoir prévoir avant la fabrica- caractérisé par une inflammation
douloureuse des structures si- Le centre de percussion P est un
tion de l’objet.
tuées à proximité de l’épicondyle point important de la géométrie de
- Comportement de la latérale, une petite saillie osseuse la raquette qu’il faut savoir prévoir
raquette sous percussion : à proximité de l’humérus. avant la fabrication.

201
La chimie et le sport

la distribution des masses,


l’inertie52 que l’objet final devra
présenter – ainsi qu’en carac-
téristiques de résistance – à la
flexion, à la torsion.
Fabrication
La Figure 9 est issue du travail
Figure 8 sera soumise la raquette. des étudiants : en 1, l’image
Ces premières données sont numérique de la géométrie
Le centre de gravité et le poids ensuite traduites en propriétés
de la raquette doivent être choisie, qui a permis les calculs
objectives pour la raquette : sa de résistance, de rigidité,
caractérisés avec précision.
puissance (force des impacts), des modes de vibration etc. ;
sa capacité de contrôler la en 2, la fabrication du moule,
trajectoire de la balle (préci-
Figure 9 sion, récupération des coups
ratés), sa manœuvrabilité, 52. L’inertie est la propriété
1) Image numérique de la que possède un corps de rester
particulièrement sensible au
géométrie choisie, qui a permis les immobile (ou de conserver son
calculs de résistance, de rigidité, filet, son confort. Tout ceci mouvement) lorsque aucune
des modes de vibration etc. va se traduire en caractéris- force externe ne s’y applique, ou
2) Fabrication du moule. 3) Moule tiques statiques – le poids, le que les forces qui s’y appliquent
terminé. 4) Raquette terminée. centre de gravité (Figure 8), s’équilibrent.

1. Calcul EF

2. Fabrication du moule

4. Prototype

3. Moule de Silicone
202
Les matériaux composites dans le sport
représenté terminé en 3 ; en 4,
la raquette terminée.
Dans la description de cette
démarche, le « matériau »
semble avoir disparu. En fait,
même caché, il est omnipré-
sent, car à chaque étape, il
conditionne les paramètres
qu’on sera capable d’at-
teindre ou non. À l’inverse,
d’ailleurs, le travail oriente
le choix des matériaux à
sélectionner ou pousse au
développement de nouveaux l’ordinateur et soumis à une Figure 10
matériaux. L’infinie richesse flexion ; la Figure 13B, celle du
des matériaux composites maillage utilisé pour le calcul La planche de snowboard est
ouvre évidemment des pers- faite d’un matériau composite
et qui permet la caractérisa-
pectives précieuses, large- qui doit résister aux nombreuses
tion de la variation d’épais- contraintes subies pas le sportif :
ment exploitées mais toujours seur d’un bout à l’autre de flexion, torsion…
renouvelées par de nouvelles la planche. L’objectif est de
possibilités de formulation. savoir quelle va être l’épais-
seur à un endroit donné et
3.2. La planche quel type de matériau compo-
de snowboard (Figure 10) site doit être utilisé pour la
fabrication du snowboard.
Conception
Établissement du cahier
Phénoménologie Figure 11
des charges
Quelques exemples de phéno- On caractérise la planche de
Ici encore, le cahier des charges
mènes à étudier : snowboard en flexion par trois
doit d’abord caractériser le points spécifiques : deux appuis
- La raideur en flexion. L’am- sportif : sa morphologie (son (bleu) et la force centrale appliquée
plitude de la déformation de poids), son niveau (débutant (rouge). Voir aussi le Chapitre de
la planche sous le champ de ou expert), son style (freestyle/ N. Puget.
contraintes de flexion, comme
indiqué sur la Figure 11, doit
être caractérisée.
- La raideur en torsion. L’am- Mesure du
dé l
déplacement
t
plitude de la déformation de
la planche sous le champ de
contraintes de torsion comme
indiqué sur la Figure 12, doit
également être caractérisée. L
Modélisation
0
La géométrie choisie n’est
pas rigoureusement celle -0.6 0.6
x
d’une planche, mais un objet
dont on doit maîtriser la F
variation d’épaisseur pour
que la rigidité en flexion et
en torsion réponde exacte-
ment à ce que l’on attend. La
Figure 13A montre le modèle
Flexion trois points
de la géométrie entrée dans 203
La chimie et le sport

M esu re d e l’an g le Fabrication


Il faut bien que l’objet passe du
stade de modèle numérique à
celui d’objet réel. La Figure 14
F
montre des étapes de la fabri-
φ
cation d’une planche par les
élèves de l’École nationale
x des Ponts et Chaussées qui
en avaient fait l’étude.

d 3.3. La perche de saut


F
(Figure 15)
Comme la raquette de tennis
ou la planche de snowboard, la
perche du sauteur à la perche
C o u p le d e fo rces
est le fruit d’un travail techno-
logique avancé. Ici, la concep-
tion du matériel doit peut-être
Figure 12 freeride53/freecarve) car tous encore plus tenir compte du
ces paramètres vont influer sportif lui-même que dans
L’amplitude de la déformation
sur le type de contrainte auquel les autres sports. Il faut non
de la planche sous le champ de
contraintes de torsion doit être
sera soumise la planche de seulement que le sportif soit
caractérisée par des paramètres snowboard. Ces premières extrêmement puissant mais
précis. données sont ensuite traduites le « timing » du mouvement
en propriétés objectives pour est particulièrement difficile
le snowboard : sa capacité à contrôler : il convient de
à contrôler les trajectoires prévoir le moment précis où
(précision, rattrapage d’er- la restitution de l’énergie de la
reurs), sa manœuvrabilité perche vers le sauteur va être
(facilité du changement de la plus efficace.
direction, particulièrement
On utilise de nos jours prin-
Figure 13 sensible en freestyle), son
cipalement les fibres de
confort. Le choix de para-
On modélise une planche par un verre, quelquefois les fibres
mètres objectifs dépendra de
objet dont on doit maîtriser la de carbone, mais celles-ci
variation d’épaisseur pour que la l’usage recherché.
apparaissent encore comme
rigidité en flexion et en torsion insuffisamment déformables.
réponde exactement à ce que l’on 53. « Freestyle » : sport de glisse
La Figure 16 montre l’évolu-
attend (A). Pour cela, on réalise sur neige consistant à faire
un « maillage » permettant des figures en ski à l’aide de tion des records en saut à la
d’effectuer des calculs pour modules de neige ou de métal ; perche au cours des années
optimiser l’épaisseur de la planche « Freeride » : sport dans le cadre et donc en fonction des maté-
d’un bout à l’autre (B). d’une pratique extrême. riaux utilisés : au début, on

A B

204
Les matériaux composites dans le sport

Figure 14
Les étapes de fabrication
d’une planche de snowboard. 205
La chimie et le sport

Fibre de verre
SiO2 53-55 %

Al2O3 14-15 %

CaO 17-23 %

MgO 1%

Na2O3 0,8 %

B2O3 0-8 %

Fe2O3 0,3 %

TiO2 0,5 %

Tableau 1
Après être passée du bois au
Figure 15 bambou, du bambou à l’aluminium
La perche du sauteur à la perche est faite d’un matériau composite très (1960), pour être ensuite conçue
élaboré. en polyester et en fibre de verre
(aux Jeux olympiques de 1964), la
perche est maintenant faite d’un
(m) mélange de résines synthétiques,
6.5
de fibres de verre et de carbone,
Bois Bambou Métal Fibre de verre
lui conférant à la fois élasticité
6
et flexibilité, permettant l’« effet
catapulte ».
5.5
Droite de
régression composites ont été développés.
5
C’est l’occasion de rappeler
4.5 que ces matériaux – mieux
que les autres – sont suscep-
4
tibles d’absorber de l’énergie
3.5
(voir aussi le Chapitre d’après
la conférence de D. Masseglia).
3 Cette propriété résulte de l’im-
1840 1860 1880 1900 1920 1940 1960 1980 2000 portance des interfaces fibres-
(Années) matrice, évoquée au début de
ce chapitre ; c’est en cassant
sautait avec des perches cette interface que le casque
Figure 16 absorbe l’énergie du choc.
en bois (déjà un matériau
Évolution du record du monde composite !) ensuite avec des Incidemment, la situation
de saut à la perche : une nette
perches en bambou, puis en est similaire pour un pare-
amélioration, au fur et à mesure choc de voiture généralement
que la perche évolue ! aluminium – avant de recourir
aux fibres de verre (Tableau 1) fabriqué dans un composite
(voir aussi le Chapitre d’après constitué de polypropylène
la conférence de D. Masseglia). armé de petites particules
d’élastomère en son sein :
après chaque choc, même si
3.4. Optimiser les casques
aucune lésion n’apparaît, les
de protection
nodules génèrent une impor-
Tout récemment des casques tante microfissuration interne
206 de protection en matériaux qui absorbe l’énergie.
Les matériaux composites dans le sport
L’approche, actuellement, est
de considérer la protection FRONT CENTRE
de l’ensemble tête-casque
et non, comme aupara-
vant, en améliorant la seule
résistance du casque. L’uti-
lisation de matériaux compo-
sites, qui permet de varier
les propriétés de résistance
selon les différentes parties
du casque, devient tout à fait JOUE ARRIERE
essentielle.
La Figure 17 montre que
rant 7 x 7 x 3 m3, il est réalisé Figure 17
quatre zones ont été identi-
en une seule pièce alors qu’il
fiées comme étant à l’origine, Le casque présente les quatre
fallait, auparavant, assem-
en cas de choc, de lésions zones pouvant conduire à des
bler des dizaines de pièces
spécifiques, très différentes lésions très différentes les unes
pour aboutir à la pièce finale. des autres. Sa fabrication sera
les unes des autres. Il est
Le gain en poids par rapport la résultante des études menées
en conséquence impératif
à la structure en acier, est sur la résistance aux chocs des
d’adapter les matériaux
de trois tonnes. C’est ce différentes parties.
utilisés dans la fabrication des
qu’on appelle l’allègement
différentes parties du casque,
des structures, qui permet
dont la structure finale est
une moindre consommation
nécessairement complexe.
de kérosène pour un poids
Les tests de résistance
transporté identique ou un
concerneront en priorité la
nombre plus important de
zone la plus fragile et la plus
passagers ou davantage de
exposée, celle qui se situe un
fret. Des recherches simi-
tout petit peu sur l’arrière du
laires sont développées dans
casque, là où les chocs même
le cas de l’automobile, pour
de faible énergie peuvent
des voitures plus économes,
entraîner les lésions les plus
que ce soit en essence ou,
graves; le matériau constitutif
dans l’avenir, en électricité.
utilisé sera choisi en fonction
des résultats obtenus lors Pour se situer dans l’his-
d’essais standardisés. toire, on peut se reporter à
la Figure 19. Les principaux
fabricants d’avion, Airbus et
3.5. Les matériaux
Boeing envisagent maintenant
composites en aéronautique la construction d’avions dont
Figure 18
L’Airbus A380 innove en utili- le fuselage54 pressurisé sera
complètement fabriqué en Le caisson central de voilure de
sant massivement les maté-
composite, ainsi que les ailes. l’Airbus A380 est entièrement
riaux composites (Figure 18). réalisé en composite
Jusqu’à présent, leur emploi Ces solutions sont encore à
en aéronautique était limité l’étude pour les avions civils,
aux avions militaires, de alors qu’elles sont déjà mises
dimensions beaucoup plus en œuvre pour les avions
faibles. Le caisson central militaires.
de voilure, qui est l’attache
des ailes – donc l’une des 54. Le fuselage désigne l’enve-
pièces majeures de l’avion – loppe qui reçoit généralement
est désormais entièrement la charge transportée, ainsi que
réalisé en composite. Mesu- l’équipage. 207
La chimie et le sport

Figure 19
Historique des composites en Aéronautique.

Conclusion
L’aéronautique est un bon exemple de la
manière dont les composites, champ immense,
ouvert à toutes les imaginations, vont faire
évoluer notre quotidien. Comme dans le cas
de la Formule 1 (voir le Chapitre de C. Lory),
l’aéronautique est en effet une sorte de banc
d’essai pour des innovations, qui pourront être
largement diffusées.
Pour un industriel, les caractéristiques
techniques des composites et leur comparaison
avec celles des matériaux métalliques
classiques, comme illustré dans le Tableau 2,
peuvent être décisives. Ce tableau illustrera la
208 conclusion de ce chapitre :
Les matériaux composites dans le sport
Tenue en fatigue
Résistance en traction après 107 Cycles
Résistance Tenue en fatigue d'une plaque percée d'une plaque percée
en traction après 107 Cycles
(MPa) (MPa)
MPa (Section percée) MPa (Section percée)

Composite
carbone
450 400 250 200
isotrope(1)

Alliage
450 170 450 90
Aluminium

La première colonne montre que la résistance Tableau 2


du composite et celle de l’aluminium sont du Les composites en aéronautique.
même ordre de grandeur, 450 MPa. La deuxième Intérêts et inconvénients pour le
constructeur.
caractérise la résistance à la fatigue : on tire (1)
Une plaque composite carbone
toujours sur le matériau, de façon moins intense isotrope possède des fibres tous
les 45°. Sa rigidité et sa résistance
mais répétée 107 fois. Le composite casse à sont donc excellentes dans toutes
400 MPa et l’aluminium s’effondre à 170 MPa. Les les directions (c’est le principe
même de l’isotropie).
deux autres colonnes répètent ces tests avec une
plaque percée d’un trou (ce qui est représentatif
des situations réelles où l’on utilise des rivets
pour l’assemblage). En statique, le composite
perd la moitié de sa résistance mais l’aluminium
la conserve. En fatigue, au contraire, le composite
gagne de très loin par rapport à l’aluminium.
Ceci illustre bien pourquoi l’utilisation de
matériaux composites progressivement
remplace celle de matériaux métalliques.
C’est vrai en particulier dans le sport et dans
l’aéronautique, mais la tendance est également
avérée dans l’industrie en général. Et les progrès
dans les formulations et les performances des
matériaux composites ne sont pas prêts de
s’arrêter avec la perspective, par exemple, de
matériaux auto-cicatrisants, la mise au point
et l’utilisation de matériaux nanostructurés et
toutes les innovations encore en gestation dans
les laboratoires des chimistes. 209
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Nicolas Puget Performance d’un ski de course :
structure composite et glisse sur neige
Performance
d’un ski de course :
structure composite et glisse
sur neige

Nicolas Puget est ingénieur nous allons décrire (Figure 1).


matériaux composites, respon- On compte parmi eux une
sable du développement de partie de l’équipe de France
matériel de course, de la présente aux Jeux olympiques
recherche avancée et de l’inno- d’hiver à Vancouver en 2010,
vation des matériaux de course avec notamment les belles
du groupe Rossignol. médailles obtenues dans les
Ce chapitre sur les perfor- épreuves de Biathlon par
mances d’un ski de course met Marie-Laure Brunet et Martin
en évidence les relations entre Fourcade. Jean-Baptiste
la nature des différents maté- Grange, blessé dès le début
riaux composites utilisés pour de saison, n’a pas pu parti-
sa fabrication, la technicité de ciper aux Jeux olympiques,
leur assemblage, et le compor- mais il avait brillamment
tement obtenu dont la glisse remporté le Globe de slalom
sur neige. Nous verrons que en 2009. Viennent ensuite
les difficultés technologiques Julien Lizeroux, deuxième
à résoudre pour élaborer du classement mondial
ces structures composites de slalom en 2010 ; Didier
font appel à une large partie Defago, champion olympique
des thèmes abordés dans de descente à Vancouver ;
trois autres chapitres de cet Ted Ligety, l’Américain qui a
ouvrage : sur les matériaux encore dominé cette saison
composites pour le sport la discipline du slalom géant,
(Y. Rémond et J.-F. Caron), les et enfin Vincent Vittoz qui a
apports de la chimie pour le brillamment réussi en début
confort et les performances de saison 2010.
(F. Roland) et sur les revête-
ments complexes antifriction
(C. Lory). 1 Les matériaux
composites pour le ski
De nombreux champions de Comme l’illustre l’ouvrage La
ski utilisent le matériel que chimie et le sport, de nombreux
La chimie et le sport

A B C D

E F G

Figure 1 équipements sportifs sont


constitués de matériaux
De nombreux champions utilisent des skis en matériaux composites composites56 (raquettes de
élaborés pour favoriser les performances et la qualité de glisse sur neige :
tennis, perche de saut, textiles
A) Marie-Laure Brunet (France), B) Martin Fourcade (France), C) Jean-
Baptiste Grange (France), D) Julien Lizeroux (France), E) Didier Defago pour vêtements sportifs, etc.).
(Suisse), F) Ted Ligety (États-Unis), G) Vincent Vittoz (France). Quels sont ceux utilisés pour
les skis ?

1.1. Le ski : une poutre


Figure 2
hétérogène, un composite
Vue éclatée des couches d’un ski. Les skis peuvent être assimilés à des à lui seul
poutres hétérogènes, constituées d’un assemblage collé d’une dizaine de
couches de natures différentes. Un ski peut être décrit comme
une poutre hétérogène, consti-
tuée d’un assemblage collé
d’une dizaine de couches de
natures différentes (Figure 2) :
- la semelle, l’élément en
contact avec la neige : elle est
en polyéthylène haute densité
(PEhd), appelé aussi polyéthy-
lène ultra haut poids molécu-
laire (PE uhmw) ;
- des carres en acier : la
dureté de ce matériau permet
au ski de résister à l’abrasion

56. La définition des matériaux


composites est donnée dans
le Chapitre d’Y. Rémond et J.-F.
212 Caron.
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
de la neige et aux rayures - les zones de transmission :
dues aux pierres ; sa limite ce sont des parois verticales
élastique contribue à la tenue appelées chants, qui peuvent
du ski aux grandes déforma- être en ABS59 ou en matières
tions, et leur affutage permet phénoliques ;
l’accroche du ski sur la glace ; - la couche thermoplas-
- au-dessus de la semelle, une tique de décoration : elle joue
couche de composite avec un également un rôle de protec-
renfort verre/époxy ; ce stra- tion (coups et rayures, tenue
tifié verre/époxy, déjà décrit aux UV), qui est dans le cas
dans le Chapitre d’Y. Rémond présent une bicouche ABS et
et J.-F. Caron, est le maté- polyuréthane (ABS+TPU).
riau composite par excellence Avec le collage de l’ensemble
(plus largement utilisé que de ces matériaux, le ski lui-
les fibres de carbone), pour même devient un compo-
répondre au problème des site complexe !
grandes déformations méca-
niques que rencontre le ski 1.2. Les constituants du
pendant son utilisation ; ski, un composite de haute
- dans les skis de compétition, performance
on trouve un noyau en bois, 1.2.1. La résine époxy
car le bois est un formidable
Cette résine thermodurcis-
matériau composite naturel
sable est largement utilisée
(microfibres de cellulose,
dans l’intégralité de nos
matrice57 de lignine, décrits
skis, qu’ils soient alpins ou
dans le Chapitre d’Y. Rémond
nordiques (ski de fond ou saut
et J.-F. Caron). La technique
à ski), sans oublier le snow-
des lamellés-collés permet
board (décrit dans le Chapitre
d’orienter les fibres de ce
d’Y. Rémond et J.-F. Caron).
composite pour mécaniser
La résine est issue de la poly-
et apporter des bénéfices en
mérisation du diglycidyléther
performance par rapport à des
du bisphénol A (DGEBA), lui-
âmes en mousse type polyuré-
même obtenu par la réaction
thane ou autres qui ne possè-
du bisphénol A avec l’épi-
dent pas les mêmes qualités
chlorohydrine ; ce DGEBA est
de nervosité et de transmis-
ensuite mélangé à un durcis-
sion des appuis ;
seur qui déclenche la poly-
- des renforts en alliages mérisation et conduit à une
d’aluminium associés aux colle dont une des références
renforts verre/époxy pour commerciales est appelée
constituer des structures Araldite® (Figure 3).
« fibro-métal ». Ces alliages
entrent largement dans la
composition de nos skis physiques d’un milieu dans toutes
pour leurs caractéristiques les directions.
isotropes58 et leur comporte- 59. ABS = Acrylonitrile Butadiène
ment vibratoire ; Styrène : c’est un copolymère
polyphasé constitué d’un copoly-
mère acrylonitrile et styrène, avec
57. Matrice : terme utilisé pour des nodules de butadiène noyés
décrire l’ensemble de l’environ- dans la matrice acrylonitrile/sty-
nement chimique d’un objet. rène. Le polybutadiène apporte de
58. L’isotropie caractérise la résistance aux chocs et assou-
l’invariance des propriétés plit le polystyrène-acrylonitrile. 213
La chimie et le sport

1.2.2. La fibre de verre


CH3
O La fibre de verre (Figure 4) est
HO OH + Cl un filament de verre pouvant
CH3 renforcer de nombreux maté-
bisphénol A épichloridrine riaux composites largement
utilisés aujourd’hui. On utilise
la fibre de verre E, différente
des fibres de verre utilisées
CH3 dans l’aéronautique (verre R
ou verre S). Les composants
chimiques de la fibre de verre
CH3
O O
E sont entre autres : la silice
DGEBA (SiO2), l’alumine (Al2O3), la
chaux (CaO), la magnésie
(MgO) et l’oxyde de bore (B2O3).
durcisseur
Le mélange est fondu dans un
Araldite four à 1 500 °C puis passe à
travers une filière. Les fibres
obtenues sont traitées dans
Figure 3 Pour les applications au ski, une opération importante
cette résine possède surtout appelée l’ensimage, un trai-
Une résine époxy comme les avantages suivants :
l’Araldite® résulte de polymérisation tement de surface destiné à
du DGEBA, issu de la réaction du - un bon collage des métaux faciliter les opérations ulté-
bisphénol A avec l’épichloridrine, et des polymères, notam- rieures de transformation ou
molécule qui appartient à la famille ment ceux à faible tension de mise en œuvre (voir l’En-
des époxydes (d’où le nom cart : « L’ensimage, un trai-
de surface (notion expli-
« résine époxy »).
quée dans le Chapitre de tement de surface pour une
Figure 4 P. Letellier) comme le poly- meilleure cohésion »). On en
propylène ou le polyéthylène. montrera par la suite toute
Les fibres de verre entrent dans
la composition de nombreux Cette propriété est impor- l’importance pour l’interface
matériaux, notamment dans le tante car ces polymères, pris fibre/matrice et ses consé-
sport : perches d’athlétisme, skis, isolément, sont difficiles quences. Puis les fibres sont
planches de surf, etc. à coller ; tissées pour optimiser les
grammages (la densité), ce
- un faible retrait après poly- qui a une incidence sur le
mérisation : la stabilité dimen- poids final et permet aussi
sionnelle des nos produits est d’optimiser les orientations
très importante : les lignes de des fibres afin d’améliorer les
cotes des skis sont réglées à caractéristiques mécaniques
quelques dixièmes de milli- en flexion et torsion (Figure 5).
mètres et la conformité
géométrique est évidemment 1.2.3. Les rôles des résines
un critère de qualité et donc époxy mises en œuvre
de performance à la sortie de dans la fabrication des skis
nos moules de fabrication ;
La résine époxy a deux fonc-
- de bonnes caractéristiques tions dans le ski. La première
mécaniques : le cisaille- est d’imprégner et de stra-
ment et la limite élastique tifier les fibres de verre
élevés de la résine époxy (voir pour constituer le composite
la Figure 9) permettent de verre/époxy (Figure 6). La
générer de très bonnes carac- deuxième est de coller les
téristiques mécaniques sur le différents composants entre
214 composite final. eux pour assurer une bonne
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
cohésion dans la structure
du ski. Cette phase vise à
obtenir une compatibilité Four 1500° C
fibre/matrice très impor-
tante pour le composite. La
Figure 6 montre une coupe
observée au microscope d’un
stratifié fibres de verre/résine Filière
époxy. Le collage de ces
fibres avec la résine doit être
le meilleur possible et cette
qualité dépend de la compati-
bilité de la surface des fibres
avec la matrice.
Le rôle de l’ensimage évoqué
précédemment (Figure 7) est
Ensimage
justement d’améliorer cette
compatibilité. Contrairement
à l’exemple d’un matériau
utilisé dans les casques de
moto (voir le Chapitre d’Y.
Rémond et J.-F. Caron) – où le
but est d’affaiblir les liaisons
à l’interface fibre/matrice
afin de libérer de l’énergie au Bobinage
moment d’un choc –, ici l’ob-
jectif est inverse : le but est de
créer des liaisons covalentes
solides à l’interface entre la
résine et la fibre, capables téristique d’une fibre unique
de résister à des déforma- Figure 5
imprégnée de résine. Puis
tions très importantes, à des on s’intéresse au composite Élaboration de fibres de verre :
vibrations, à des chocs, pour un mélange composé de silice,
complet en procédant à des
des températures qui peuvent d’alumine, de chaux, de magnésie
tests de traction ou de flexion et d’oxyde de bore est fondu
aller de 0 à -30 °C. Il faut donc sur le tissu de fibre de verre dans un four à 1 500 °C avant de
assurer une très bonne cohé- imprégné de résine. L’appli- passer à travers une filière. Après
sion, une très bonne tenue de cation d’une traction sur cette ensimage, les fibres obtenues sont
la matrice autour de la fibre. fibre permet de caractériser tissées et optimisées selon les
C’est la fonction des agents des distances d’interfrag- caractéristiques recherchées.
de pontage aminosilanes ments et des zones de déco-
adsorbés sur la fibre lors de hésion (zones où le matériau
l’ensimage qui conduiront, perd de sa cohésion, Figure 8). Figure 6
par réaction chimique, à des Les résultats obtenus sur ces Coupe d’un stratifié verre/époxy
liaisons très solides avec les fibres élémentaires permet- imprégné pour assurer la cohésion
résines (Encart : « L’ensimage, tent ensuite de porter un des couches de matériaux
un traitement de surface pour pronostic sur les caractéris- composites.
une meilleure cohésion »). tiques mécaniques du compo-
Pour étudier de près ces site verre/époxy final, ce qui
caractéristiques de collage est très important pour le
entre fibre et matrice, un développement de nouveaux
test dit de fragmentation renforts composites (combi-
est réalisé en laboratoire nant soit de nouvelles fibres,
afin de connaître la carac- soit une nouvelle matrice, 215
La chimie et le sport

L’ENSIMAGE, UN TRAITEMENT DE SURFACE POUR UNE MEILLEURE COHÉSION


Le rôle de l’ensimage illustre un apport de la chimie pour assurer la compatibilité des fibres
de verre avec la matrice et les caractéristiques nécessaires pour des composites de hautes
performances. On utilise par exemple un aminosilane, qui sert d’agent de pontage à la surface
des fibres de verre (Figure 7). La fibre passe sur un rouleau (Figure 5) qui l’imprègne d’une
solution d’aminosilane. Celui-ci est hydrolysé en milieu aqueux puis greffé sur la surface de
la silice de la fibre via l’un des groupements hydroxyles « OH », ce qui favorisera ensuite, via
les hydroxyles restants, le collage avec la résine époxy.

OR' HYDROLYSE OH ADSORPTION R


R Si OR
OR' R Si OH Si OH
OR' milieu aqueux OH O OH
Si

Figure 7
Un silane peut être utilisé comme agent de pontage à la surface des fibres de verre pour améliorer leur
compatibilité avec la matrice avec laquelle elles vont former le matériau composite.

Pour exemple, la courbe de


la Figure 9 est une courbe
classique de contrainte/défor-
mation en flexion, à partir de
laquelle on peut déduire les
caractéristiques mécaniques
du matériau.
Figure 8 On étudie ensuite la casse
d’éprouvettes composite
Lors d’un contrôle fibre-matrice, on effectue dans un premier temps un verre/époxy en « test de
test de fragmentation sur une fibre élémentaire où sont déterminées les flexion trois points60 » ; on
caractéristiques micromécaniques à l’interface fibre-matrice.
obtient des modules d’élasti-
cité sur le composite final de
l’ordre de 35 000 MPa, ainsi
Figure 9
qu’une contrainte à la rupture
On applique différentes contraintes s sur une fibre de verre et l’on mesure de l’ordre de 800 MPa. Ces
la déformation produite ε. Le tracé de la courbe de σ en fonction de ε valeurs sont très compétitives
permet d’obtenir entre autres le module d’élasticité E, connaissant la
par rapport à l’aluminium et à
relation : σ = Eε, appelée loi d’élasticité de Hooke. Cette relation s’applique
tant que la limite d’élasticité Y du matériau n’est pas atteinte, limite à
sa tenue en fatigue.
partir de laquelle il commence à se déformer de manière irréversible, La seconde fonction de la
voire se rompt. résine époxy tient à son rôle
d’adhésion. Les différentes
soit d’autres méthodes d’en- couches qui composent le ski
σ simage). Ainsi il est indis-
pensable, avant de passer au 60. Un test de flexion trois points
stade du prototype (nouveau est un essai mécanique utilisé
pour tester la résistance en
composite, nouveau ski) de
flexion d’un objet (la flexion est la
E bien appréhender ce qui se déformation qui se traduit par une
ε passe à l’échelle du micron courbure) : au cours de ce test, on
pour la cohésion d’une fibre applique une force au centre de la
Y
216 élémentaire avec la matrice. fibre posée sur deux appuis.
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
comportent des matériaux de
natures très différentes qu’il
faut pouvoir coller entre eux
pour toute la durée de vie du
produit (mélange de poly-
mères, d’alliages aluminium,
de fibres de verre, de bois
ou de polyuréthane pour le
noyau) (Figure 10). Il ne s’agit
pas seulement de coller la
semelle, le noyau et les carres
pour une durée limitée ; l’en-
semble doit tenir fermement à
la structure car la perte ou la
dégradation d’une seule inter-
face de collage, dégrade rapi-
dement et complètement la
rigidité et donc la robustesse
du produit.
L’un des autres moyens Figure 10
chimiques utilisé pour Ces coupes transversales de ski montrent plusieurs matériaux collés
améliorer l’adhésion entre entre eux (polymères thermoplastiques et thermodurcissables, bois,
la résine époxy et les diffé- matériaux alvéolaires, alliages métalliques, laques et encres).
rentes couches de matériaux
est le traitement de surface. Figure 11
Dans le cas de l’aluminium,
Les pièces sont renforcées par un alliage d’aluminium grâce à un
matière largement utilisée traitement de surface appelé anodisation. Dans une cuve d’électrolyte
dans nos skis, nous avons remplie d’acide sulfurique, la pièce est à l’anode, tandis que la cathode est
recours à l’« anodisation », généralement du plomb. Les réactions d’électrolyse qui ont lieu sont les
qui va permettre de coller suivantes :
directement ce composant à la cathode : 2H+ + 2e- l H2
avec la résine. Ce traitement à l’anode : Al = 3e- + Al3+ : 2Al3+ + 3H2O l Al2O3 + 6H+
consiste à former électro- équation-bilan : 2Al + 3H2O l Al2O3 + 6H+
chimiquement une couche
superficielle d’oxyde d’alumi-
nium : au cours d’un procédé
industriel d’électrolyse, on
forme une couche de cent
microns, constituée de struc-
tures hexagonales poreuses U
d’alumine qui constituent une
accroche mécanique pour la V
colle et qui conduisent à de I
très bonnes valeurs de collage
(Figure 11). A
Aluminium Cathode en plomb
1.2.4. Les autres traitements (anode) inattaquable par l'acide
de surface
D’autres traitements de
surface peuvent aussi être
mis en œuvre selon les
Acide sulfurique à 2 mol/L
éléments constitutifs du ski.
Par exemple les carres en 217
La chimie et le sport

acier sont sablés61 : on voit qui composent un ski (voir


sur la Figure 12 l’importance Figure 15).
de la rugosité apportée à ce
composant en acier par cette 1.3. Efforts et déformations
opération de sablage. Sans ce appliqués aux skis
traitement, il serait difficile d’y
coller un morceau de polyé- L’intérêt de la qualité des
thylène. Notons que les traces collages et des matériaux mis
de ce sablage assez prononcé en œuvre dans la fabrication
seront ensuite complètement des skis est lié aux contraintes
éliminées par polissage des mécaniques extrêmes qui
deux facettes extérieures des leur sont imposées. Quelques
carres pendant la phase de photos permettent d’imaginer
finition des skis. l’amplitude des déformations
On doit aussi mettre en œuvre que subissent les skis dans
une opération de ponçage leurs conditions habituelles,
et de flammage62 du poly- normales, d’utilisation en
Figure 12
éthylène haute densité de compétition (Figure 13) ; ils ne
L’opération de sablage apporte une la semelle pour nettoyer s’agit pas ici de cas de chutes
rugosité importante aux carres en la surface et lui permettre pour lesquels les skis auraient
acier. à résister à des déformations
d’acquérir des points d’an-
crage pour les adhésifs qui et des efforts mécaniques
lui seront présentés ultérieu- bien plus importants encore.
rement. C’est une opération La sévérité des conditions aux
industrielle assez élémen- limites imposées au maté-
taire, mais sans laquelle nous riel impliquent une parfaite
ne pourrions pas coller soli- maîtrise des paramètres de
dement tous les morceaux conception (dimensionnement
du ski) et des contrôles régu-
liers des composants pour
61. Le sablage est une technique
industrielle de nettoyage des
maîtriser la qualité. En effet,
surfaces, utilisant un abrasif les performances mécaniques
projeté à grande vitesse à l’aide des matériaux utilisés sont
Figure 13 d’air comprimé au travers d’une contrôlées sur éprouvettes en
buse sur le matériau à décaper. laboratoire, et également à
L’utilisation des skis (skis alpins, 62. Le flammage est une l’aide de tests destructifs sur
skis nordiques, ou snowboard) exposition à une flamme oxydante ski. Citons les tests de casse en
implique des conditions aux limites générée par la combustion d’un
sévères – grands déplacements,
flexion trois points qui permet-
hydrocarbure, afin d’introduire
contraintes élevées (températures des fonctions polaires dans les tent de vérifier les valeurs de
comprises entre 0 °C et -30 °C)… molécules à la surface du matériau rupture et de délaminage.
– qui ne doivent pas mener et interagir avec les fonctions Sur la Figure 13A, le skieur
l’assemblage à la rupture. présentes dans les adhésifs.
réceptionne un saut légère-
ment sur les talons des skis :
ces conditions aux limites
A B sont reproduites dans le test
de la Figure 14. Le ski doit
être capable de supporter
une déformation importante
sans casser. Pour des skis de
compétition, on a pu atteindre
une flèche maximale de
120 mm sous un effort d’une
218 tonne sans que le ski ne casse.
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
Voilà ainsi démontré le lien 20 à 40 m/s ; la glisse s’opère Figure 14
entre une forte cohésion de à l’interface de la semelle
la matrice avec ses fibres, de et de la neige. Les vitesses Au cours d’un test, une flèche
exerce une pression sur un ski
bonnes interfaces de collage, de déplacements sont très
pour évaluer sa résistance.
et l’obtention de caractéris- importantes, le régime est
tiques mécaniques élevées donc transitoire : c’est une
sur le produit final. Ces perfor- succession de chocs, d’accélé-
mances illustrent ce que la rations ; l’interface de glisse ne
chimie appliquée aux maté- rencontre jamais de conditions
riaux composites permet de stables et continues. En fait, le
réaliser dans le cas d’un ski. ski ne glisse pas directement
Après avoir évoqué les rela- sur la neige mais sur un film
tions entre la nature des d’eau créé entre la semelle
matériaux composites et les et la neige. Le phénomène
propriétés mécaniques d’un est complexe car il combine
ski, intéressons-nous mainte- des paramètres très variables
nant à la glisse et aux maté- entre le skieur, le matériel et
riaux et/ou aux traitements son environnement : le skieur
qui vont la favoriser. possède des qualités intrin-
sèques de glisse variables
selon les individus tels que
2 La glisse
son poids, sa position aérody-
namique, ainsi que l’aptitude à Figure 15
Une paire de ski alpin glisse doser le relâchement muscu- Frittage et flammage d’une
à des vitesses de l’ordre de laire dans un effort intense. Le semelle en polyéthylène.

Poudre de polyéthylène
Presse de frittage
Adittifs (noir de carbone,
lubrifiants, colorants)

Module métal

Tranchage

Cylindre PEhd fritté

Conditionnement

Flammage

219
La chimie et le sport

matériel – skis, combinaisons, de la performance de glisse


casques et bâtons – fait l’objet des skis.
de nombreuses études, et
plus précisément pour le ski, 2.1. La glisse et le matériau
la tribologie63 des surfaces, la des semelles
physico-chimie des surfaces,
la chimie des matériaux pour Le procédé de fabrication des
les semelles, le dimension- semelles de skis de compéti-
nement et le comportement tion utilise principalement des
vibratoire de la structure, et la polyéthylènes ultra haut poids
nivologie64 : en effet, les cris- moléculaire obtenus par le
taux de neige évoluent selon procédé de frittage de poudre65.
le site, le jour, les conditions Ces fines poudres sont pres-
d’hygrométrie ou d’ensoleille- sées au cours d’un cycle de
ment... Toutes ces conditions température : on monte en
modifient en permanence le température puis l’on refroidit
matériau neige qui est en soi afin de densifier ces poudres ;
un matériau très complexe ! on obtient alors des polymères
Ceci rend alors particulière- de très hauts poids molé-
ment difficile l’optimisation culaires, nécessaires pour
assurer de bonnes caractéris-
tiques de glisse. On termine
63. La tribologie (du grec par des opérations de tran-
tribein = frotter et logos = étude) chage, ponçage et flammage,
désigne la science qui étudie les
indispensable nous l’avons vu,
phénomènes susceptibles de se
produire entre deux systèmes au collage des semelles sur
matériels en contact, immobiles les skis (Figure 15).
ou animés de mouvements Le graphique de la Figure 16B
relatifs. Il recouvre, entre autres, illustre l’évolution du frotte-
tous les domaines du frottement,
ment en fonction de l’épais-
de l’usure et de la lubrification.
64. La nivologie est l’étude des
seur du film d’eau sous le ski.
Figure 16 caractéristiques de la neige et des
couches neigeuses, s’appuyant 65. Le frittage est un procédé de
A) Frottements d’un ski sur sur des mesures et modèles fabrication de pièces consistant
la neige. B) Représentation spécifiques et menée tant à des à chauffer une poudre sans la
schématique de la courbe de fins de recherche scientifique mener jusqu’à la fusion. Sous
« Strybeck » mettant en évidence que dans des buts pratiques, de l’effet de la chaleur, les grains se
les régimes de lubrification des sécurité notamment (prévision et soudent entre eux, ce qui assure
frottements d’un ski sur la neige. prévention des avalanches). la cohésion de la pièce.

A Soulèvement B

Résistance de l'air
FROTTEMENT

Force motrice

Frottement des skis


Zone de trainée capillaire
Gravité Zone de frottement sec Zone de frottement lubrifié (force hydrodynamique)

ÉPAISSEUR DU FILM
220
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
A B C

Les conditions optimales pour 2- Les formes et élasticités de Figure 17


obtenir les meilleurs résultats la surface de glisse (qui pren-
de glisse se situent au milieu nent en compte les rigidités et Les semelles en polyéthylène
fritté sont aujourd’hui les plus
du graphique : cela signifie les géométries des skis).
performantes et utilisées par
qu’il faut créer et entretenir 3- Les matériaux de semelle tous les départements de
une interface entre la semelle évoqués précédemment. compétition. A) Les semelles sont
et la neige qui soit un mélange 4- La texture de semelle que successivement poncées pour
de cristaux de neige, d’eau et nous allons observer par la obtenir une surface parfaitement
d’air afin que les frottements suite. plane. B) Une opération de
soient minimums. Cette zone, D’autres facteurs dépendent polissage est réalisée pour
dite de frottements lubrifiés, de la météo : obtenir une surface lisse. C) Une
dernière étape de structuration
constitue l’interface qui permet 5- La compressibilité de la
(microrugosités) permet
d’obtenir les meilleures condi- neige. d’optimiser la surface à rugosité
tions de glisse. Sur la gauche 6- Les taux d’humidité. adaptée selon les types de neige.
du graphique, la zone est dite 7- La densité de la neige.
de frottements secs : l’abrasion 8- La dureté des cristaux.
augmente et les résultats de 9- La taille et la forme des
glisse avec le même matériel cristaux.
sont nettement moins bons 10- La vitesse de glisse.
sur une neige dite « sèche ».
2.2. La glisse et la texture
Sur la droite du graphique,
des semelles
le film d’eau est trop impor-
tant, beaucoup plus épais. Lorsqu’un ski sort de son
C’est quasiment une situation moule de fabrication, il n’est
d’aquaplaning et le phéno- pas parfaitement plat : on
mène de succion apparaît et observe sur la première struc-
freine les skis, ce phénomène ture renversée (Figure 17A,
ajoute des frottements supplé- avec la semelle qui regarde
mentaires à l’avancement du vers le ciel), un défaut de
ski sur la neige. planéité volontairement
exagéré sur le dessin. Pour
Dix facteurs influent sur les corriger ce défaut de planéité,
frottements sur la neige. la semelle subit plusieurs
Certains dépendent de la mise ponçages et polissages
en œuvre du ski : (Figure 17B) ; une rectitude
1- En plus de la charge appli- géométrique est obtenue, et
quée (poids du skieur), il les carres en acier sont alors
convient de prendre en consi- dans le plan de la semelle.
dération la répartition des La semelle devient parfaite-
pressions qui détermine la ment plane et polie. Mais cet
manière dont le matériel va état de surface sur la neige
appliquer la pression sur la se retrouverait en situation
neige (cette pression peut être d’aquaplaning (la partie droite
ponctuelle ou au contraire du graphique de la Figure 16)
bien étalée sur la longueur). avec un film d’eau accumulé 221
La chimie et le sport

sous la surface de glisse et à prendre en compte et qui


l’apparition d’un phénomène poussent aujourd’hui à privi-
de succion empêchant la légier la mise au point de
glisse. C’est la raison pour semelles polyvalentes. L’ob-
laquelle une fois l’étape de jectif est non seulement de
polissage terminée, on réalise mettre au point le matériel
une opération de structura- le plus adapté possible sur
tion, à l’image de ce qui est fait l’ensemble d’un tracé mais
sur les pneumatiques, mais également sur l’ensemble
en utilisant des ponceuses d’une saison. En effet, les
à contrôle numérique pour neiges d’Amérique du Nord,
générer des microrugosités d’Europe, de Scandinavie,
orientées (Figure 17C). Ces d’Asie… ont toutes leurs spéci-
microrugosités permet- ficités liées aux climats de ces
tent d’optimiser la surface : zones (température, hygro-
la surface obtenue est aniso- métrie, ensoleillement…).
trope66 : elle est orientée dans
le sens de la glisse afin de 2.2.2. Différents types
générer et évacuer ce film de structuration
d’eau lors du déplacement
du skieur. Les paramètres Les structurations apportées
et motifs de structuration aux semelles des skis permet-
varient pour s’adapter aux tent à la fois de générer, d’en-
différents types de neige67. tretenir et d’évacuer le film
d’eau afin de rester dans la
2.2.1. Différents types zone optimale du graphique de
de neige la Figure 16, où les frottements
La première difficulté est sont moindres. Le principe
de caractériser les types de reste le même pour préparer
neige. Ils sont très nombreux, la semelle d’un ski de fond.
les différentes formes de Une différence élémentaire
cristaux sont bien réperto- est que sa surface de glisse
riées et classées. La difficulté ne possède pas de carres, et
réside dans la variation de qu’une grosse rainure centrale
ce matériau neige : les cris- permet d’évacuer l’eau et de
taux évoluent d’un stade à un donner un aspect directionnel
autre, du jour au lendemain, et guidant au ski. Les micro-
entre le haut et le bas de la sillons de la structuration sont
piste, et selon l’exposition de plus fins et plus resserrés car
la piste,… Ce sont donc des les vitesses sont nettement
paramètres supplémentaires inférieures à celles atteintes
en ski alpin.

66. L’anisotropie est le contraire Les micro-topographies sont


de l’istropie (voir note 58). réalisées au laboratoire afin
67. Cette structuration est réali- de caractériser, par des para-
sée en usine, cet état de surface mètres de rugosité, les diffé-
est donc figé pour une paire de rents états de surface. Les
ski. Ce qui implique en compéti- structurations sont réalisées
tion, à l’image des pneumatiques
par des ponceuses numé-
dans les sports mécaniques,
de disposer de plusieurs paires
riques qui assurent la repro-
de skis avec des structurations ductibilité des motifs. La
de semelles typées pour diffé- nature des meules, la géomé-
222 rentes conditions de neige. trie des diamants utilisés,
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
ainsi que les paramètres de caractérise l’hydrophobie
rotation et de profondeur de des semelles. Malheureuse-
ces motifs, font l’objet de plans ment, pour l’ensemble des
d’expériences afin d’optimiser raisons évoquées plus haut, θr
la performance en glisse des le phénomène de glisse reste
microrugosités obtenues. extrêmement complexe, et les θa
performances de glisse d’un
2.3. Le traitement ski mesurées sur neige ne sont α
de la surface de glisse pas directement corrélées aux
Le matériau polyéthylène est résultats obtenus dans les
déjà un matériau hydrophobe travaux précédemment cités.
C’est la raison pour laquelle Figure 18
à faible tension interfaciale (au
sujet de la tension interfaciale, aucun fabricant aujourd’hui Au cours du test de mouillabilité
ne dispose d’une machine dynamique, on mesure trois
voir le Chapitre de P. Letellier)
ou simulateur permettant de angles : l’angle d’avancée θa,
et les microrugosités augmen- l’angle au retrait θr et l’angle
tent elles aussi la capillarité reproduire la glisse d’un ski
critique de décrochement α.
(effet « lotus ») de la semelle. en laboratoire, et que nous ne
Les farts ont pour objectif pouvons pas nous passer de
d’entretenir et d’augmenter l’expérience sur le terrain.
le caractère hydrophobe de la Ces tests de glisse suivent
semelle dans toutes les condi- un protocole très précis. Tous
tions de neige. Ces produits les skieurs (anciens compé-
d’entretien et de traitement de titeurs) sont munis d’une
surface de la semelle sont des combinaison de compétition
bases de paraffine : on trouve normalisée et doivent adopter
principalement des hydrocar- et reproduire la même
bures et quelques fluorocar- position sur l’ensemble des
bures, car le fluor améliore prototypes testés afin de
le caractère hydrophobe. Ces bloquer l’influence des para-
caractéristiques peuvent être mètres tels que la perméa-
mises en évidence grâce à bilité à l’air du textile,
un test de mouillabilité dyna- l’aérodynamisme du skieur,
mique. La Figure 18 représente etc. Des plans d’expérience de
une goutte d’eau qui glisse sur semelles sont alors réalisés
un plan incliné. Cette goutte dans divers lieux (différents
est déposée sur la semelle, paramètres matériaux, struc-
dans un premier temps à plat, turations, farts) afin d’identi-
on attend l’établissement de fier les meilleures paires de
l’équilibre puis la semelle skis, et établir par la suite, les
est progressivement inclinée plans de production des skis à
afin d’observer et de mesurer fournir aux athlètes.
l’angle critique de décrochage,
l’angle au retrait et l’angle à
l’avancée. La différence entre
l’angle à l’avancée et l’angle pare-brises des automobiles.
au retrait constitue l’« hysté- Une fois que l’eau a mouillé le
résis de mouillabilité68 », qui verre, il est difficile de l’essuyer.
En revanche, si le pare-brise a
reçu un traitement spécifique,
68. Un exemple typique l’eau de pluie sera essuyée avec
d’hystérésis de mouillabilité est succès. Les angles à l’avancée et
donné par le fonctionnement au retrait sont les deux valeurs
des essuie-glaces qui laissent caractérisant l’hystérésis de
un film d’eau très fin sur les mouillage d’une surface. 223
La chimie et le sport

2.4. La glisse et l’abrasion 2.4.2. Résistance à l’abrasion


des semelles Le schéma de la Figure 19
représente la prise de carre du
2.4.1. Conditions de glisse ski : lorsque le coureur entre
Dans la discipline de descente en virage et qu’il se déplace
sur le circuit de la Coupe du à une vitesse de l’ordre de
monde, les skieurs évoluent 25 m/s (soit 100 km/h), la force
depuis plusieurs années sur centrifuge peut alors atteindre
un mélange de neige et de 2,5 grammes (2,5 fois l’accélé-
glace (neige glacée après ration de la gravité terrestre)
injection d’eau). Pour le grand dans la courbe. Prenons
public, c’est donc une situa- l’exemple d’un descendeur
tion de « patinoire » inclinée… qui pèse 100 kg : 250 kg de
mais cette préparation de pression verticale seront
piste est préconisée par les directement appliqués sur le
règlements de la Fédéra- ski, sur une surface extrême-
tion Internationale de Ski ment réduite (la carre ne pose
afin de préserver l’équité des pas de problème car elle est
chances pour tous les partici- extrêmement dure et résiste
pants. Du premier au dernier à l’abrasion). En revanche,
Figure 19 dossard, l’organisation de la les quelques millimètres de
course doit en effet s’assurer largeur de polyéthylène au
Il est important de tester la
que le support de la piste contact de la neige sont forte-
résistance des skis à l’abrasion afin
de s’assurer qu’ils supporteront reste le plus dur possible pour ment soumis à l’abrasion par
les fortes pressions exercées ne pas se dégrader au fur et la glace. Le skieur génère
par le skieur sur les carres et la à mesure des passages des donc une usure de la semelle,
semelle, notamment du fait de différents concurrents. Les notamment sous le pied où les
grandes vitesses et de nombreux conséquences en sont très pressions sont maximales. Il
virages, et surtout s’il se trouve concrètes sur le matériel, se forme progressivement une
sur une piste en neige artificielle cavité longitudinale, la planéité
les semelles étaient jusqu’à
injectée d’eau. De récents travaux
présent mises au point pour du ski est dégradée et le skieur
sur les poids moléculaires et les
additifs du polyéthylène ont permis glisser sur la neige, elles se retrouve dans une situation
d’augmenter cette résistance à doivent désormais résister délicate car son ski devient
l’abrasion. aussi à l’abrasion de la glace. plus difficile à contrôler (effet
de « rail »). Des plans d’ex-
périences ont été menés et
des matériaux qui résistent
à ces fortes abrasions ont
ainsi pu être mis au point. Ils
Angle de prise sont toujours à base de poly-
de carre éthylène, mais associent des
astuces d’élaboration et de
Glace composition afin d’obtenir le
matériau adéquat.

224
Performance d’un ski de course : structure composite et glisse sur neige
Conclusion
Nous venons d’illustrer à quel point la chimie
est présente dans un ski : les molécules qui
interviennent dans sa fabrication sont diverses
et variées, comme en témoigne la Figure 20 qui
complète la Figure 2.
L’évolution importante qu’ont connue les skis ces
dernières décennies est donc très fortement liée
aux apports de la chimie et de la physico-chimie
des matériaux et des surfaces. Les nouvelles
planches de glisse, la quête permanente de
la meilleure performance, posent toujours de
nouveaux défis dans lesquels les chimistes
auront encore un grand rôle à tenir, pour que
plaisir, sécurité et performance puissent être
harmonieusement associés.

H
Dessus :
N
A B S , T P U , p o ly a m id e

OH Renfort :
a lu m in iu m

Chant :
A B S o u p h é n o liq u e
Renfort :
v e rre /é p o x y
CH3
Noyau : HO OH
b o is la m e llé -c o llé
CH3
O
Cl
Renfort :
a lu m in iu m
Semelle :
Carre : p o ly é th y lè n e
a c ie r h a u te d e n s ité
H H
F3C CF2 CF2 CF3 * n *
H H

Figure 20
Résumé des couches qui constituent un ski. De manière discrète pour le grand public, mais d’une grande
efficacité pour l’industrie : l’évolution technique des skis ces dernières décennies est fortement liée aux
nombreux apports de la chimie dans la science des matériaux. 225
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Claude Lory Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
Revêtements
complexes
antifriction
pour les composants

moteurs
automobiles.
De la F1 à la grande série

Figure 1
La F1 offre un spectacle
qui fascine le public tant par
Claude Lory a créé une start-up Un peu curieusement peut- la vitesse que par la technique
innovante où sont réalisés des être, la F1 est une discipline qui y est liée.
revêtements pour la protec- sportive qui fascine le public.
tion anti-usure, anti-friction de L’engouement, toutes propor-
pièces mécaniques, SOREVI, tions gardées, se compare-
qui est devenue leader mondial rait à celui que déclenche le
dans le domaine des compo- football. Il faut dire que le
sants moteurs pour la compé- public (en particulier le public
tition automobile (F1, NASCAR, masculin) y trouve à la fois
WRC, Moto GP…). Depuis juillet la fascination de la perfor-
2008, il dirige le département mance et celle de la technique
Incubateur de l’Agence pour (Figure 1). Les profession-
la valorisation de la recherche nels ont bien su emboîter le
universitaire du Limousin pas à ces enthousiasmes : ils
(AVRUL), où son objectif est utilisent la F1 pour tester et
de mettre son expérience au valider les nouvelles solutions
service de la création d’entre- techniques qui peut-être (en
prises innovantes. fait assez souvent) viendront
La chimie et le sport

Couche DLC matériaux, en l’occurrence


un support (le substrat) et un
Couches d’adhésion revêtement pour obtenir les
meilleures performances des
pièces finies pour la décora-
Substrat tion, l’anticorrosion ou, plus
(Ex : acier)
spécifiquement dans le cas
traité ici pour la réduction des
« moderniser » leurs véhi- efforts de frottement. Atten-
Figure 2 tion, l’expression « matériau
cules d’usage quotidien, une
Un revêtement est une génération plus tard. composé » désigne ici l’as-
superposition d’une ou plusieurs semblage substrat/couche de
couches sur un substrat (par Ce chapitre est centré sur l’une revêtement ; elle ne doit pas
exemple la peinture d’une de ces solutions techniques : être confondue avec l’expres-
carrosserie de voiture). l’emploi du DLC (Diamond Like sion « matériau composite »
Carbon), matériau de revête- traitée dans le Chapitre d’Y.
ment des pièces métalliques Rémond et J.-F. Caron.
dont l’utilisation s’est affirmée
récemment comme l’un des La Figure 2 schématise la
facteurs importants d’accrois- structure de l’interface. Elle
sement des performances rappelle aussi le principe de la
des moteurs de compéti- technique de dépôt – soit par
tion, d’abord bien sûr pour la PVD (Physical Vapour Deposi-
Formule 1 – la F1 ! Les travaux tion) ou par PACVD (Plasma
qui sont derrière ces progrès Assisted Chemical Vapour
sont de recherche scienti- Deposition). Les couches DLC
fique sur les structures des sont obtenues à partir d’hy-
surfaces, sur les mécanismes drocarbures (qui sont, on le
de la lubrification et sur la rappelle, les constituants des
tribologie (science du frotte- dépôts organiques fossiles,
ment. Voir aussi le Chapitre de comme les pétroles ou, ce qui
N. Puget) ainsi que de mise au est moins connu, les char-
point de techniques de réali- bons). Les couches obtenues
sation des revêtements et de sont en réalité des familles
caractérisation des perfor- de revêtements dits métas-
mances des moteurs. Ils se tables69, qui peuvent différer
font au sein d’équipes d’in- par leurs propriétés et leur
génieurs et de chercheurs composition et non un « maté-
animés de l’enthousiasme riau unique» en tant que tel.
et de l’esprit de compétition
de bon aloi que l’on attribue 1.2. Structure du DLC
généralement à la F1.
Comme le désigne son nom, le
DLC, « Diamond Like Carbon »,
1 Le revêtement de DLC
pour améliorer
les rendements moteurs
ou carbone pseudo-diamant,
combine les propriétés de

69. Un système métastable est


1.1. Matériau composé : cinétiquement stable mais pas
revêtement sur support thermodynamiquement. Il se
situe dans un « creux d’énergie »,
Depuis de nombreuses et un apport d’énergie peut le faire
années, la technologie des basculer vers un état stable (ou un
traitements de surface associe autre état métastable d’énergie
228 les propriétés de différents plus faible).
Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
deux formes minérales du Nano Coefficient
carbone : le graphite et le dureté de frottement*
diamant. Il possède à la fois
Bronze 1,5 - 3 0,10 - 0,15
une grande dureté (princi-
pale qualité du diamant) et Acier à outil 8 0,5 - 0,7
des qualités de glissement Céramique 15 à 25 0,4 - 0,6
proches de celles du graphite Diamant 100 0,2 - 0,4
(pour aller plus loin sur la
structure chimique du DLC, DLC 20 - 35 0,05 - 0,10
voir l’Encart : « Le DLC, entre
le diamant et le graphite »).

DLC Résistance Frottement


1.3. Quelques propriétés
du DLC à l'usure « doux »
L’intérêt de l’emploi du DLC
apparaît clairement sur les * Tests réalisés à sec, contre un acier, test "bille sur disque"
données mécaniques repor-
tées dans le Tableau 1 : le DLC
possède une valeur de dureté
(indiquée sans mention ment extrêmement favorable Tableau 1
d’unité, pour comparaison) sous ce rapport.
très élevée qui dépasse celle Le DLC possède une dureté
de la plupart des céramiques importante et un coefficient de
1.4. Sur les mécanismes frottement faible, ce qui conduit à
associée à une valeur de coef- d’action du DLC de faibles pertes par frottement
ficient de frottement70 parti- et une usure limitée du matériau
culièrement faible. À noter : La propriété qu’a le DLC
antagoniste (celui en contact avec
le frottement se faisant entre d’établir des conditions de
le DLC : l’acier, dans notre cas).
deux surfaces, le coefficient frottement particulière-
de frottement dépend de ment douces et peu agres-
chacune des deux surfaces ; sives résulte de mécanismes
les chiffres du tableau corres- physico-chimiques qui font
pondent au frottement du DLC l’objet d’études scientifiques
sur un acier. poussées ; très complexes,
ils sont encore loin d’être
L’objectif de l’optimisation des
bien compris. On a mis en
moteurs dans la compétition
avant l’hypothèse du rôle d’un
automobile est de réduire
« troisième corps » interve-
les pertes par frottement de
nant dans un mécanisme de
manière à augmenter les
transfert partiel de couches
performances – ce qui va aussi
superficielles du revêtement
permettre de limiter l’usure à
de carbone sur la contre-
la fois des pièces antagonistes
pièce (ou pièce antagoniste)
(voir le paragraphe 1.4) et des
et qui resterait emprisonné
pièces revêtues. Les carac-
dans le contact ; rien de suffi-
téristiques exceptionnelles
samment concluant ne vient
du DLC rendent évidemment
corroborer cette hypothèse.
son utilisation comme revête-
En fait, la solution passe
certainement par l’étude des
70. Le frottement est la mesure
phénomènes d’échauffe-
de la résistance au mouvement
(qui constitue une perte d’énergie) ment. Actuellement, aucun
de deux surfaces en contact. Il moteur de F1 ne tourne plus
est mesuré par le coefficient de d’une minute sans DLC, sauf à
frottement. vitesse de rotation très faible : 229
La chimie et le sport

LE DLC, ENTRE LE DIAMANT ET LE GRAPHITE


Pour décrire le DLC, il faut entrer au cœur de la structure moléculaire de ce matériau,
examiner les liaisons chimiques qui la charpentent. Le DLC comporte des atomes de
carbone qui forment différents types de liaisons possibles avec d’autres atomes (carbone ou
hydrogène). Rappelons que le carbone peut se lier à quatre atomes voisins : il est alors tétra-
valent, c’est-à-dire qu’il forme, avec ces quatre voisins, un tétraèdre dont il est le centre.
En chimie quantique*, on dit que l’atome de carbone entre en liaison chimique par son orbi-
tale atomique 2s et ses trois orbitales 2p (px, py, pz). Ces orbitales se combinent entre elles
(on dit « s’hybrident ») pour former des liaisons chimiques carbone-carbone plus stables.
Les combinaisons (hybridations) les plus fréquentes sont la formation par combinaison des
quatre orbitales d’origine, de quatre orbitales équivalentes orientées vers les sommets d’un
tétraèdre régulier – c’est l’hybridation sp3. Mais le carbone peut aussi se lier à seulement
trois voisins : il est dans ce cas trivalent et forme trois combinaisons à partir de s, px, py en
conservant pz inchangée – c’est l’hybridation sp2.
Dans le carbone pur (en tant que matériau), on peut avoir, pour tous les atomes de carbone,
l’hybridation sp3 : c’est le cas du diamant (Figure 3 à gauche) ; les liaisons constituent alors
un réseau tridimensionnel aussi fortement connecté dans toutes les directions – la rupture
du solide est très difficile : sa dureté est maximale. Il existe aussi des solides où tous les
atomes de carbone sont en hybridation sp2 ; les orbitales pz sont toutes parallèles entre elles
et les atomes forment des plans d’assemblages en hexagones. Ces plans pouvant relative-
ment facilement glisser les uns sur les autres, nous avons affaire à faire à un corps mou :
c’est le graphite (Figure 3 à droite). Diamant et graphite sont des cristaux : ils présentent des
arrangements atomiques réguliers (on dit « périodiques »). Il existe aussi des formes non
cristallines du carbone pur, qu’on appelle amorphes. Elles contiennent des atomes dans les

Figure 3
Le DLC est un matériau dont les propriétés combinent la dureté du diamant et la souplesse du graphite.
230
Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
deux états d’hybridation sp2 et sp3, et présentent de très nombreux défauts (liaisons orphe-
lines, impuretés). Les couches DLC appartiennent à cette dernière catégorie, elles contien-
nent ainsi une quantité importante d’atomes d’hydrogène, apportés par la matière de départ,
un hydrocarbure. Elles ont la dureté apportée par les liaisons sp3 du diamant et les qualités
de glissement, apportée par les liaisons sp2 graphitiques.

*La chimie quantique est une branche de la chimie théorique qui applique la mécanique quantique aux systèmes
moléculaires pour étudier les propriétés chimiques. Le comportement électronique et nucléaire des molécules
étant responsable des propriétés chimiques est décrit à partir de l’équation du mouvement quantique, appelée
équation de Schrödinger. Sur cette base sont construits les concepts d’orbitales atomiques (orbitales s, p, d,
f…) et orbitales moléculaires.

en réduisant considérable- le lubrifiant utilisé dans les


ment les efforts de frottement, moteurs de F1 est plus proche
le DLC permet d’abaisser les de l’eau que de l’huile, ce qui
échauffements générés au limite ses capacités à séparer
sein du contact. Sans DLC, les les surfaces en contact.
échauffements sont tels que,
très rapidement, l’acier (qui
fait 800 Vickers71 de dureté)
perd ses caractéristiques
2 De quels types
de composants
moteurs revêt-on le DLC ?
mécaniques entraînant une
destruction complète des Le moteur comporte deux
pièces. Cet effet est amplifié parties : la partie haute (la
par le fait qu’afin de réduire distribution) et la partie
les pertes liées au cisaille- basse (pistons, vilebrequins)
ment du lubrifiant lui-même, (Figure 4).

71. L’échelle Vickers caractérise 2.1. La partie haute


la dureté d’un matériau à partir du moteur
Figure 4
d’un test qui consiste à créer une
empreinte sur une pièce par un La partie « distribution » du Le moteur F1 comporte une partie
pénétrateur de forme pyramidale moteur, c’est tout ce qui va haute (la distribution) et une partie
soumis à une force déterminée. commander l’ouverture ou la basse (pistons, vilebrequins).

231
La chimie et le sport

Poussoirs

Linguet

Figure 5 fermeture des soupapes ; elle la technologie du moteur,


est logée dans la culasse, la sont des poussoirs ou des
Pièces de la partie haute partie qui ferme le haut des linguets (Figure 5). Les gains
du moteur F1 : arbre à cames à
cylindres. Ce sont des compo- apportés par le traitement au
gauche, poussoirs et linguets.
sants où l’on peut perdre de DLC sont très significatifs :
la puissance par frottement de 8 à 10 chevaux ; sur un
et donc qu’il est important moteur de F1 qui fait environ
de traiter. Plus précisément, 800 chevaux, cela ne repré-
on va traiter les arbres à sente que 1 %, mais corres-
cames, pièce métallique qui pond tout de même à un gain
commande l’ouverture des relatif très important.
soupapes en transformant Afin d’étudier les meilleures
le mouvement rotatif issu du configurations, des essais
moteur en mouvement longi- sont conduits avec la partie
Figure 6 tudinal ; les cames viennent haute du moteur qui est
La partie haute du moteur est frotter contre des pièces entraînée électriquement sur
testée sur des bancs d’essai. intermédiaires qui, selon des bancs de tests (Figure 6).
On mesure le couple de frot-
tement, dans différentes
Unité de mesure
conditions de lubrification ou
Culasse de température. On compare
les résultats obtenus avec ou
Contrôle ordinateur sans présence de revêtement.
Ces tests sont mis en œuvre
en suivant des cycles précis au
cours desquels on fait varier le
régime de rotation. Fréquem-
ment, il s’agit de cycles d’une
Culasse heure répétés huit fois. Sur les
diagrammes de la Figure 7,
les résultats sont présentés
Mesure du couple en diagrammes de variation
de la puissance absorbée ou
du couple mesuré en fonc-
tion de la vitesse de rota-
Contrôle
tion du moteur exprimée
lubrification
en tours par minute. L’effet
« rodage » apparaît : il faut
232 deux cycles de rodage pour
Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
04
09
14
19
24
29
34
39
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04

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0H
0H
0H
0H
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0H
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0H
0H
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0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H

0H
750 1,0
700 cycle 1 cycle 2 cycle 3 cycle 4 cycle
l 1 cycle
l 2 cycle
l 3 cycle 4
cycle 6 cycle 7 cycle 8
Puissance absorbée (Watts)

cycle 5 cycle 5 cycle 6 cycle 7 cycle 8

Couple de frottement (N.m)


650
600 0,9
Puissance consommée par le système de distribution
550
500
450 0,8

400
350
0,7
300
250
0 0,00
3800 4000 6000 8000 10000 3800 4000 6000 8000 10000
Vitesse de rotation du moteur (tours par minute) Vitesse de rotation du moteur (tours par minute)

Figure 7
Deux cycles de rodage sont nécessaires pour obtenir un système stabilisé.

1,2
1000
Linguet non revêtu 1,1 Linguet non revêtu
900
Couple de frottement (N.m)

Linguet revêtu de DLC Linguet revêtu de DLC


Puissance absorbée (Watts)

800 1,0

700 Puissance consommée par le système de distribution


0,9
600
0,8
500
0,7
400
0,6
,
300

200 0,5
0 0,00
3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000
Vitesse de rotation du moteur (tours par minute) Vitesse de rotation du moteur (tours par minute)

obtenir un système stabilisé. niveau de la distribution, les Figure 8


La Figure 8 met en évidence gains sont très importants,
l’effet du revêtement, la puis- correspondant à 35 % environ Comparaison entre linguets
revêtus (en rouge) et non revêtus
sance absorbée et le couple à 10 000 tours par minute.
(en bleu) de DLC (Cavidur®).
apparaissant comme signi-
ficativement réduits grâce 2.2. La partie basse
à l’application du revête- du moteur
ment sur les linguets. Des
diagrammes analogues Pour les tests de la partie
sont obtenus pour le revê- basse du moteur (où se
tement de l’arbre à cames produit l’explosion), les tests
seul. Pour le revêtement exigent une mise en allumage
complet (linguets et arbre à du moteur. Il faut noter qu’un
cames), on obtient les résul- développement technologique
tats reportés sur la Figure 9, important a eu lieu, le piston
résumés sur le Tableau 2. Au et sa jupe étant maintenant 233
La chimie et le sport

Système non revêtu Système non revêtu


1000 Linguets revêtus, cames non revêtues 1,20 Linguets revêtus, cames non revêtues
Linguets et cames revêtus 1,15 Linguets et cames revêtus
900
Puissance absorbée (Watts)

1,10

Couple de frottement (N.m)


800 1,05
1 00
1,00
700 0,95
0,90
600 0,85
0,80
500
0 75
0,75
400 0,70
0,65
300 0,60
0,55
200 0 50
0,50
0 0,00
3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 10000
Vitesse de rotation du moteur (tours par minute) Vitesse de rotation du moteur (tours par minute)

Figure 9
Comparaison avec ou sans revêtement DLC (Cavidur®) des cames et/ou des linguets.

DLC appliqué sur :


Régime moteur Linguets Linguets + Arbre à cames
Tableau 2
4000 35,8 % 45,8 %
Gains obtenus au niveau de la
distribution en fonction du régime 6000 35,2 % 46,3 %
de rotation moteur pour les deux
configurations : linguet revêtu seul 8000 31,7 % 44,9 %
et couple arbre à cames/linguet
10000 26,4 % 34,5 %
revêtu.

complètement lisses. Ce boîte de vitesses ; il permet


développement a imposé une la transformation du mouve-
remise en cause des pratiques ment linéaire rectiligne non
habituelles dans des condi- uniforme des pistons en un
tions antérieures où l’on mouvement continu de rota-
voulait assurer la présence de tion). La Figure 11 indique
rainures afin de favoriser l’ac- les résultats de tests faits
tion du lubrifiant. sur les pistons. Le gain en
Les pièces qu’on peut d’abord performance apporté par le
vouloir revêtir sont les pistons revêtement (mesuré par la
(Figure 10) et le vilebrequin (le puissance absorbée en fonc-
Figure 10 tion de la vitesse de rotation
vilebrequin assure la trans-
Exemples de différents types mission de l’effort généré par du moteur) est avéré – et se
de pistons revêtus de DLC. l’explosion des gaz vers la chiffre à environ 2 %. Par
ailleurs, on observe que le
gain en puissance obtenu
est stable sur la durée. Cette
caractéristique est très appré-
ciable, comme on le réalise
en quittant le domaine de la
F1 et en se rappelant que les
performances des moteurs à
234 deux temps, importantes au
Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
début, peuvent s’effondrer 200 2,5

rapidement. Cet apport est 190


2,3
tout à fait fondamental. 180

170 2,0

3 De la F1 à la grande 160

Écart (%)
1,8

Puissance
série 150

140 1,5
Les acquis apportés par l’uti-
130
lisation des revêtements de 1,3
120
DLC au cours de la mise au
110 1,0
point de moteurs de F1 ont Piston revêtu de DLC
Piston non revêtu
100
conduit à les tester sur les Écart 0,8
90 Tendance sur l’écart de performance
moteurs de série (Figure 12). Tours/mn
80 0,5
Il s’agissait de voir si les effets 7000 8000 9000 10000 11000 12000 13000 14000

de réduction des frottements, Vitesse de rotation du moteur (tours par minute)

observés à des vitesses de


rotation de 20 000 tours
de notre connaissance actuelle Figure 11
par minute ou plus sur les
des interactions lubrifiant-
moteurs de F1 – la vitesse Tests réalisés sur les pistons.
métal. On observe ainsi l’im-
de rotation est maintenant
portance clé du paramètre
limitée réglementairement à
température : l’amélioration
19 000 tours par minute – se
apportée par le revêtement est
conservent aux vitesses des
beaucoup plus intéressante si
moteurs des voitures de série,
la température est plus haute
qui sont de l’ordre de 1 500 ou
(le couple est ainsi divisé par
3 000 tours par minute.
deux à 100 °C et 1000 tours/
La Figure 13 donne un minute) là où le lubrifiant
exemple de l’amélioration de commence à trouver ses
performance apportée par le limites en termes de réduc-
revêtement par une couche tion des efforts de sépara-
de DLC sur des poussoirs et tion des corps entre eux. Ces
confirme l’utilité du traite- recherches, qui touchent l’hy-
ment des surfaces avec du drodynamique et la mécanique Figure 12
DLC. comme la physico-chimie,
Les acquis apportés par
Les recherches en cours permettront l’optimisation du l’utilisation des revêtements de
actuellement visent à mieux DLC en fonction des combinai- DLC au cours de la mise au point
comprendre les interactions sons que l’on peut avoir avec le de moteurs de F1 ont conduit à les
entre lubrifiant et DLC au-delà lubrifiant. tester sur les moteurs de série.

235
La chimie et le sport

0,12
0,11
0,10
0,09
0,08
Sans DLC

Puissance
0,07
0,06
0,05 Avec DLC
0,04
0,03
0 02
0,02
0,01
0,00
400 600 800 1000 1200 1400 1600 1800 2000
Vitesse de rotation du moteur (tours par minute)

Figure 13
Tests réalisés sur les poussoirs des moteurs de série.

Conclusion
Au moment de conclure sur l’utilisation du
DLC (Diamond Like Carbon) pour réduire
les frottements dans les moteurs, il faut le
remettre à sa place : le DLC ne serait rien sans
son compère, le substrat. Celui-ci doit être
soigneusement préparé en termes de propreté
et de rugosité, les creux et bosses doivent rester
inférieurs à l’épaisseur du revêtement ; ceci
n’est pas trivial car l’épaisseur du revêtement
n’est que de un à deux microns.
Si, comme le montre ce chapitre, le revêtement
DLC est un facteur indéniable de l’amélioration
des performances des moteurs de F1, cette
dernière est aussi un acteur prépondérant
dans le développement de ces revêtements.
Les coûts de la F1 peuvent être qualifiés de
« productifs » car les progrès technologiques
qu’ils permettent diffusent dans la voiture de
série : les BMW K1300 KTM possèdent déjà
236 des moteurs munis de linguets revêtus sur
Revêtements complexes antifriction pour les composants moteurs automobiles.
De la F1 à la grande série
des productions de un à un et demi millions de
pièces par an.
L’évolution de l’automobile grand public va
certainement généraliser l’utilisation du DLC
dans les années qui viennent, tant il est vrai
que la voiture électrique est loin de rendre les
moteurs à explosion caducs avant longtemps.
Les normes de consommation de carburant,
partout en baisse, vont y obliger. Déjà Porsche
et Ferrari (Figure 14) envisagent l’emploi de
DLC à court terme dans leurs véhicules, étape
signifiante avant que cette technologie ne passe
au « vraiment grand public » !

Figure 14
Porsche et Ferrari envisagent déjà l’emploi de DLC à court terme dans
leurs véhicules, avant que cette technologie ne passe au « vraiment grand
public ».

237
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
Fabien Roland Des textiles pour sportifs
Des textiles
pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer
confort et performances

« La capacité de performance sportive


représente le degré d’amélioration possible
d’une certaine activité motrice et,
s’inscrivant dans un cadre complexe, elle est
conditionnée par une pluralité de facteurs
spécifiques », Jürgen Weineck.

Fabien Roland est professeur En quoi ce domaine ouvre-


et chercheur en chimie textile à t-il d’immenses possi-
l’Institut Textile et Chimique de bilités de créativité et
Lyon (ITECH-Lyon), et spécia- d’expérimentation ?
liste de l’ennoblissement des
textiles (colorimétrie, teinture,
fonctionnalisation). 1 Les textiles
dans le sport
Le secteur « sports et Des textiles pour quel usage ?
loisirs » constitue un véri- Les matériaux textiles sont
table banc d’essai pour les ubiquistes et les fonctionna-
nouveaux matériaux auxquels lités recherchées sont très
les compétitions internatio- variées : pour le sportif, on
nales et les exploits sportifs recherchera le confort dans
confèrent un retentissement l’action, l’accroissement de la
qui leur ouvre de nouveaux performance et de la sécurité ;
marchés dans le loisir, l’ha- pour les équipements sportifs,
billement et même la mode. Il on recherchera des qualités
est l’un des cinq secteurs du différentes selon les usages,
développement des textiles raquettes de tennis, cordages,
techniques dans le monde, clubs de golf, skis, perches de
avec les transports, l’indus- saut, arcs et flèches, voiles, etc.
trie, le médical et la maison,… (voir les Chapitres de N. Puget
aménagement, décoration. et d’Y. Rémond et J.-F. Caron)
La chimie et le sport

Composites avec textiles


de renfort :
raquettes, skis, clubs de
golf, cannes à pêche,
cadres, fourches de vélo…

Équipements
sportifs

Textiles techniques :
Matériaux Cordes d’escalade, cordages
textiles de raquette, fils de pêche,
voiles de bateaux, voiles de
parapentes…

Habillement Tenues adaptées


à chaque sport
sportif

Figure 1 (Figure 1). Légers, ils doivent matériaux de plus en plus


résister à la déchirure, à la performants et dont la perfor-
Habillement, équipement… les perforation, à l’abrasion. mance même viendra à la
textiles sont omniprésents dans
Un des développements rescousse de celle du sportif.
le sport pour assurer confort et
performance. importants des matériaux
textiles techniques concerne 1.2. Des textiles pour quelles
l’habillement. Chaque sport fonctionnalités ?
a besoin d’un habillement Les fonctionnalités recher-
spécifique, fonction du sport chées dans l’habillement
lui-même et des condi- sont d’abord ce qui aidera le
tions climatiques que le sportif dans sa course à la
sportif affronte. Au cours performance (Figure 2) ; pour
des dernières décennies, l’atteindre, le sportif va donc
les chercheurs et les indus- rechercher le confort, sans
triels du sport ont réalisé lequel il sera limité dans son
des prouesses, et ces évolu- effort. Pour être en confiance
tions ont bénéficié non et donner le meilleur de lui-
seulement au sport et aux même, l’aspect sécuritaire,
sportifs, mais également à dans certains sports, condi-
l’ensemble de la population : tionne la faisabilité même de
créateurs, designers, déco- l’exploit, et même de la simple
rateurs, couturiers, etc., ont pratique sportive (voir aussi le
rivalisé d’inventivité pour que Chapitre d’après la conférence
la maison, la rue, s’appro- de D. Masseglia).
prient ces nouveaux textiles.
Cette évolution est due en 1.2.1. La performance
grande partie à la chimie : La relation entre performance
elle permet de réaliser, à la et textile vestimentaire s’ex-
240 demande ou presque, des primera différemment et à
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
PERFORMANCE

CONFORT SÉCURITÉ

trois niveaux principalement - l’ergonomie du vête- Figure 2


(voir la Figure 5) : ment : comme pour d’autres
- la performance en relation domaines tels que le travail, Performance, confort et sécurité
sont les trois principales fonctions
directe avec l’apport du vête- les loisirs, il s’agit d’une
de l’habillement sportif.
ment textile : par exemple, qualité, voire d’une nécessité
l’élasticité du textile va qui a été découverte relati-
permettre, grâce au phéno- vement récemment. Elle se
mène de compression du définit comme l’adéquation
corps de l’athlète, une activa- d’un matériel, et pas unique-
tion de son flux sanguin. Une ment d’un vêtement, à la
légère contention de diverses fonction qui lui est assignée.
parties du corps, grâce au port Chaque sport va avoir ses
de maillots, de chaussettes en besoins propres, donc ses
élasthanne (voir la Figure 8), vêtements propres, avec une
augmentera le rendement constante : servir le sportif et
musculaire du sportif et sa notamment ne pas le gêner
récupération après l’effort ; dans ses mouvements ; 241
La chimie et le sport

- l’aspect « glisse » du vête- peut provoquer l’humidité, le


ment : dans la plupart des sportif risque de rapidement
cas, il est essentiel d’offrir au se refroidir et perdre ainsi au
milieu extérieur le minimum niveau de ses performances ;
d’aspérités, de frottement, - une autre sensation de
et au contraire de privilégier déplaisir provient des
la pénétration du fluide, l’air mauvaises odeurs, contre
ou l’eau selon les sports, ce lesquelles il est nécessaire
qu’on appelle l’aéro ou l’hy- de lutter, en particulier dans
drodynamisme. Comme pour les sports exigeant un effort
les avions, les voitures et de longue durée. Quand on
les voiliers de course, c’est « mijote » dans la transpira-
sur de telles bases que l’on tion, les bactéries de notre
gagne, en grappillant, dans peau, de l’environnement
certains sports, quelques confiné, vont se multiplier
centièmes de secondes, qu’on exponentiellement, et les
se retrouve sur un podium. mauvaises odeurs exploser ;
Par exemple un sprinter, en
course à pied ou en natation, - et puis il y a la protection vis-
Figure 3 à-vis de l’environnement dans
battra un précédent record
Quel que soit les conditions et obtiendra si possible une lequel se meut le sportif :
climatiques, le sportif doit se sentir médaille d’or… froid, chaud, pluie, vent,
protégé et à l’aise. neige, les conditions clima-
1.2.2. Le confort tiques peuvent se succéder
Le confort est une notion au cours d’une même épreuve
assez complexe, dans laquelle (Figure 3). Des équipements
entrent plusieurs paramètres, vestimentaires existent qui
qui ne sont pas tous objec- permettront de combiner
tifs, c’est-à-dire qui peuvent toutes les exigences, tous les
parfois relever du ressenti besoins ;
individuel (voir la Figure 5). - un aspect particulier du
Les principaux critères sont : confort est celui du plaisir que
- la régulation thermique, l’on a à porter un vêtement,
qui permettra de ressentir la légèreté et la douceur, le
une température à peu près « confort au porter » ou l’as-
constante et agréable tout au pect « seconde peau », évoqué
long de la compétition, équi- aussi bien dans les revues
librée entre les sensations de techniques que dans les jour-
chaud et de froid ; naux de mode.
- la respirabilité et le séchage
Figure 4 1.2.3. La sécurité
quasi instantané, qui évitent
Dans les sports comme le hockey, au sportif de baigner dans Les aspects sécuritaires sont
le karting, etc., les sportifs doivent sa transpiration. Outre le essentiels dans de nombreux
être protégés des chocs et chutes. sentiment désagréable que sports, et pas seulement les
risques encourus en escrime,
les chocs et les chutes en
cyclisme, ski, hockey, etc.,
mais aussi des risques de feu,
par exemple dans le karting
ou la Formule 1 sur laquelle
on reviendra (Figure 4). Il est
évidemment nécessaire que
242 le sportif soit protégé, tout
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
Confort dans l’action
pour améliorer
la performance
Participation active du
textile à la performance • Régulation thermique (froid/chaud)

• Élasticité et compression : • Respirabilité, séchage rapide

activation du flux sanguin • Lutte contre les mauvaises odeurs

• Ergonomie dans le vêtement • Protection face à l’environnement


climatique (froid, vent, pluie, neige,
• Surface aéro/hydrodynamique soleil, chaleur…) : imperméabilité à
(glisse) l’eau, déperlance, coupe-vent,
isolation thermique, protection UV…
• Seconde peau : léger et agréable
au porter
Sécurité pour
se surpasser

Protection face aux


risques : chocs,
chutes, feu…

en gardant la possibilité de la base avant filage, peuvent


Figure 5
porter ses performances au être modulés à la demande
plus haut niveau (Figure 5). en jouant sur la structure des Le textile est un acteur
monomères constitutifs, les dans la performance du sportif.
conditions de la polymérisa-
2 La chimie
dans les textiles tion et même la technique
de filage. Ces fils textiles
Pour répondre à toutes ces auront ainsi des caractéris-
exigences, dont certaines tiques, des propriétés spéci-
sont antinomiques, il va falloir fiquement définies pour une
trouver des compromis et faire application souhaitée. Leur
preuve d’une grande capa- structure chimique, leur
cité d’innovation. La multi- morphologie, et par consé-
plicité des textiles inventés quent leurs propriétés méca-
ces dernières années, leurs niques, thermiques, physiques
caractéristiques et leurs vont permettre d’atteindre ces
spécificités vont le permettre. performances.
La chimie textile intervient à Avec ces diverses fibres, diffé-
différents stades. D’abord, au rents types de surfaces seront
niveau des fibres. Certes, de fabriqués et l’on va pouvoir les
nombreuses fibres naturelles associer pour créer des struc-
possèdent des propriétés tures composites complexes.
intéressantes, mais l’éven- C’est particulièrement vrai
tail couvert reste limité. En pour un vêtement complet. En
revanche, les fibres synthé- effet, on a besoin de caracté-
tiques ouvrent des perspec- ristiques différentes en fonc-
tives presque infinies puisque tion des zones du corps. Par
les polymères, qui en sont exemple les caractéristiques 243
La chimie et le sport

Titre <1dtex (=1g/10000m) : grande finesse (Ø<10μm)

Figure 6 et les propriétés demandées 2.1. Les fibres textiles


pour couvrir les jambes, ne synthétiques
On conçoit des fibres textiles sont pas nécessairement
synthétiques aux propriétés
bonnes pour le torse… En 2.1.1. Les microfibres
diverses.
assemblant différentes pièces Différentes techniques de
pour optimiser le vêtement, filage permettent d’accéder
on réalise ce qu’on appelle du à des fibres très fines (de
« body mapping », littérale- diamètre inférieur à 10 μm)
ment cartographie du corps. qu’on appelle des microfibres.
Les traitements de surface Les propriétés de confort
permettront aussi d’amé- obtenues sont très intéres-
liorer les caractéristiques santes, particulièrement en
des textiles en en renforçant ce qui concerne le « porter »
certaines, en en modulant et la légèreté (Figure 6). Cela
d’autres, en en apportant de donnera des vêtements dont
supplémentaires. C’est ce que la sensation sur le corps sera
nous appelons les « apprêts de ne presque pas exister,
chimiques »72, les enductions73. avec une amélioration de
la performance. Les tissus
72. Formulation de produits
chimiques appliquée sur les un revêtement sur un support
tissus. textile (dans notre cas) avec une
73. L’enduction est un traitement préparation spéciale afin de lui
244 de surface qui consiste à appliquer donner certaines qualités.
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
fabriqués à partir de ces cide et bactéricide, ou à base
microfibres conduisent à des de triclosan, etc., dans des
surfaces qui possèdent une fibres de polyester, de polya-
bonne imperméabilité, même mide… le vêtement possédera
sans traitement chimique les propriétés désirées, avec
superficiel. un confort significativement
accru.
2.1.2. Les fibres Enfin, rien n’empêche, comme
avec des canaux en surface on fabrique des compo-
Une filière spécifique permet sites tels que décrits dans
d’obtenir une fibre dont la les Chapitres de N. Puget et
surface présente des canaux Y. Rémond et J.-F. Caron, d’as-
qui facilitent l’évacuation de socier entre elles, et à volonté,
la transpiration. Le vêtement toutes ces fibres techniques
assure ainsi un transfert vers pour aboutir à des matériaux
l’extérieur, ce qui évite d’avoir aux caractéristiques multiples
un textile humide en contact et soigneusement choisies.
avec la peau. La matière de
départ est une fibre synthé- 2.1.5. Des exemples de type
tique très classique dans le de fibres
textile comme le polyester Les divers types de fibres
par exemple. Ce matériau est possèdent différentes carac-
commercialisé, notamment, téristiques (Figure 7). Il en
par la marque Coolmax® existe une multitude, voici
(Figure 6). quelques exemples :
- le polypropylène est une
2.1.3. Les fibres creuses
fibre de plus en plus utilisée,
On utilise aussi des fibres qui possède deux caractéris-
creuses, c’est-à-dire des tiques très intéressantes pour
fibres qui vont emprisonner le sport : la légèreté, grâce à
de l’air (Figure 6). Comme sa densité très faible, et le fait
l’air est un excellent isolant, d’être très hydrophobe, donc
on obtient un effet d’isolation de « rejeter » l’eau, d’où un
thermique efficace, particu- séchage rapide du vêtement ;
lièrement important pour la - les polyéthylènes haute
protection du sportif vis-à-vis ténacité sont un autre type
du froid et du vent. De plus, de fibre, utilisés par exemple
la présence d’air au cœur pour les combinaisons d’es-
de la fibre apporte au vête- crime. Ces fibres techniques
ment une légèreté tout à fait résistent aux tentatives de
appréciable. perforation et assurent aussi
une protection vis-à-vis des
2.1.4. Les fibres projectiles et notamment des
antibactériennes impacts balistiques. C’est
Contre les mauvaises odeurs pourquoi ils servent, par
dues à la transpiration, on exemple, à la fabrication des
utilise de plus en plus, et pas gilets pare-balles. D’autres
uniquement dans le sport, des textiles, les para-aramides
fibres aux propriétés antibac- (comme le Kevlar®, décrit
tériennes (Figure 6). Pour cela, dans le Chapitre d’Y. Rémond
on incorporera des principes et J.-F. Caron), présentent les
actifs variés comme des sels mêmes propriétés anti-perfo-
d’argent, un composé fongi- rations. Pourquoi utilise-t-on 245
La chimie et le sport

Kermel® ont un contact avec


Polypropylène [CH2-CHCH3]n la peau plaisant, apportant un
confort supplémentaire.
• Légèreté : d=0,91
• Séchage rapide car très hydrophobe
2.2. Les structures textiles
Polyéthylène HT [CH2-CH2]n
2.2.1. Les fils d’élasthanne
• Anti-perforation : combinaison d’escrime (800N – FIE) pour des textiles « stretch »
• Légèreté (d=0,97) / para-aramide (Kevlar®)
Une fibre existant depuis
longtemps, mais qui a permis
Aramides
d’énormes améliorations
• Polymétaphénylène isophtalamide de la qualité des équipe-
(méta-aramide, Nomex®)et ments sportifs, ce sont les
Polyamide imide (Kermel®) fils élasthannes (Figure 8).
• Protection feu (ILO=29-32%) L’élasthanne appartient à la
famille des polyuréthanes
avec des zones appelées
linéaires segmentées (avec
des segments alternative-
ment souples et rigides). Ce
polymère a comme principale
caractéristique sa forte élasti-
cité. Comme l’élasthanne ne
peut pas se travailler direc-
tement, on va le guiper, c’est-
à-dire l’« entourer » d’autres
matières (par exemple de
polyamide ou de polyester).
Cela aura aussi l’avantage
de lui fournir des propriétés
complémentaires. Avec ces
fils, on fabriquera des textiles,
qu’on appelle usuellement
Figure 7 majoritairement le polyéthy- « stretch ». Ils collent bien à
lène haute ténacité ? Il est la peau, donc vont être très
Les fibres synthétiques possèdent en fait plus léger que le para-
des propriétés adaptées à chaque agréables à porter (Figure 9).
aramide, ce qui est important Beaucoup de tricots avec
sport : celles en polyéthylène
haute ténacité (HT) dans les pour un vêtement de sport ; des fils élasthannes sont sur
combinaisons d’escrime protègent - les aramides. Différents le marché et l’on développe
contre les coups de fleuret. types d’aramides sont dorénavant de plus en plus de
utilisés : les méta-aramides tissus appelés bi-élastiques.
comme le Nomex® (la marque Par exemple, une société
est souvent plus connue du lyonnaise, ESF, développe une
public que le nom chimique !) matière, Aquatech®, bi-élas-
utilisées par exemple pour la tique, et dont l’effet seconde
combinaison du coureur de peau est particulièrement
Formule 1. On trouve aussi remarquable, car les allon-
des aramides de type polya- gements simultanés selon
mide imide, utilisés pour les plusieurs axes le rendent
cagoules ou les sous-vête- apte à suivre les courbes du
ments. Ces aramides vont tous corps du sportif. Cet effet
apporter une protection contre seconde peau est la résul-
246 le feu, mais les fibres type tante de plusieurs propriétés.
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
Fil élasthanne

• Polyuréthane linéaire segmenté (souples/rigides) Fil guipé


• Polycondensation polyol (polyester ou polyéther)
et diisocyanate avec extendeur de chaîne (diol ou diamine)
• Forte élasticité : 400 à 800 %
• Guipage avec fils synthétiques : protège l’élasthanne, limite
l’élasticité et apporte d’autres propriétés

Textiles « stretch », confort au porter

• L'élasticité est habituellement obtenue par un tricot (type


charmeuse), étirage possible dans une seule direction à la fois.
• Le tissu Aquatech® (ESF) comparé au tricot :
• Allongements simultanés possibles sur plusieurs axes :
capacité à suivre les courbes du corps, effet seconde peau
• allongement 20 % supérieur
• gain en légèreté : 130g/m² au lieu de 200g/m²
• Allongement linéaire : meilleure compression

Comparés à un tricot classique ces textiles. En effet, le corps Figure 8


avec des fils élasthannes, ces humain est une machine
tissus bi-élastiques ont des thermique, il va dégager de L’élasthanne est une fibre
synthétique élastique mise au point
allongements supérieurs d’à la chaleur ainsi que de l’hu-
par la société américaine DuPont
peu près 20 %. Un gain en midité par la transpiration. en 1959, dérivée du polyuréthane
légèreté est aussi important Donc pour être performant, et connue sous la marque Lycra®.
à noter. il faut compenser la perte
de chaleur. Les phénomènes
2.2.2. Les effets d’isolation et de régulation
Par leur élasticité, ces fibres thermique vont permettre de
offrent de plus des propriétés limiter les pertes de chaleur
de compression (Figure 10). et d’améliorer l’isolation. Mais
La compression musculaire il ne faut pas trop améliorer
est en effet essentielle. Elle non plus l’isolation, car on Figure 9
permet une meilleure oxygé- risque la surchauffe du corps Les textiles « stretch » collent bien
nation grâce à l’accélération et un excès de transpiration, à la peau et sont très agréables à
de la circulation sanguine et ce qui engendrera une sensa- porter, comme une seconde peau.
permet donc de prolonger l’ef- tion d’inconfort. Pour trouver
fort ; elle aide sensiblement le un bon équilibre, des maté-
sportif à récupérer. Le port riaux appelés textiles imper-
de chaussettes, de jambières respirants ainsi que des
ou de cuissards permet en matériaux thermorégulants
outre de bien maintenir les ont été développés.
muscles, ce qui réduit les
vibrations musculaires. La 2.2.3. Les textiles
déperdition d’énergie est ainsi imper-respirants
limitée et les performances en Qu’est-ce qu’un textile imper-
sont améliorées. Les muscles respirant ? C’est un textile à
sont aussi protégés vis-à-vis la fois imperméable à la pluie
d’éventuelles micro-lésions. (eau liquide) et perméable à
Le confort hygrothermique la transpiration, c’est-à-dire
(Figure 11), qui concerne à capable d’évacuer la vapeur
la fois l’aspect chaud/froid d’eau. Pour obtenir cette
et l’aspect humidité, est un propriété, on utilisera diffé-
autre exemple de l’intérêt de rents types de matières : les 247
La chimie et le sport

Figure 10
Les textiles sont conçus pour assurer élasticité et compression, pour un confort optimal.

Figure 11 microfibres, les enductions qui sont non poreuses mais


(il existe différents types hydrophiles (du type polyes-
Des textiles sont conçus pour gérer d’enduction, par exemple les ters Sympatex®).
l’aspect chaud/froid et l’humidité.
enductions de polyuréthane Une membrane microporeuse
La randonnée, le ski, etc., sont
particulièrement concernés par qui sont très performantes), est truffée de micropores
ces propriétés de confort. et les membranes. Dans la permettant le passage de la
pratique, on utilisera diffé- vapeur d’eau mais interdi-
rents types de membranes qui sant, car elle est hydrophobe,
vont être contrecollées. la pénétration de la pluie ; le
Sur la base de principes diffé- principe de l’évacuation de
rents, on peut atteindre un l’humidité est physique.
même résultat ; par exemple, Les membranes hydrophiles
utiliser des membranes qui sont des polymères de type
sont soit microporeuses et polyuréthane, polyester, etc.
hydrophobes, des membranes Non poreuses, elles permet-
en polytétrafluoroéthylène tent le transfert de l’humi-
(PTFE) expansé (du type Gore- dité vers l’extérieur par un
248 Tex®) ; ou des membranes processus chimique. Dans
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
l’un et l’autre cas, c’est la nisme de changement d’état,
différence de pression entre la analogue au passage glace-
face en contact avec le corps, eau et inversement. Le corps
et l’extérieur qui est à l’origine va produire de la chaleur lors
du transfert des molécules de l’effort, et la liquéfaction
de vapeur d’eau vers l’exté- du contenu de ces microcap-
rieur. Ces imper-respirants sules entraînera une absorp-
se retrouvent notamment tion de la chaleur dégagée,
dans les vêtements de ski, les évitant ainsi au sportif un effet
chaussures de golf, les tenues d’échauffement. À l’inverse,
des pompiers… quand la température va
diminuer, de la chaleur sera
2.2.4. Les textiles libérée et la résultante sera la
thermorégulants régulation de la température
Les matériaux à change- du corps.
ment de phase sont un autre
exemple des prouesses de 2.3. Les traitements
la recherche-développe- de surface (exemple de l’effet
ment dans le domaine des de déperlance)
textiles techniques (Encart
« Comment régler la tempé- La déperlance est un phéno-
rature selon les besoins ? »). mène très important. Il ne
De nombreuses substances suffit pas d’être imperméable,
présentent naturellement la il faut aussi que les gouttes
propriété de chauffer quand il d’eau n’adhèrent pas au tissu.
fait froid et de rafraîchir quand On dit alors qu’il est déperlant
il fait chaud. Si on les encap- (Encart : « L’effet de déper-
sule et qu’on les fixe sur les lance »). En effet si l’eau exté-
fibres, leur effet sera péren- rieure ne s’éliminait pas, la
nisé et évitera un contact capacité d’évaporation de la
souvent gras et désagréable. transpiration diminuerait. Pour
Ainsi, quand on incorpore ces cela on va réduire l’énergie
microcapsules de paraffine, de surface des textiles (la
elles agissent selon un méca- notion d’énergie de surface,

COMMENT RÉGLER LA TEMPÉRATURE SELON LES


BESOINS ?
Ces matériaux comportent des microcapsules de
paraffine (un mélange d’hydrocarbures saturés dont
les températures de fusion sont comprises entre 22 et
37 °C) incorporées dans les fibres ou dans les enductions,
permettant une régulation thermique. Ce sont des
matériaux à changement de phase.
QUEL EST LE MÉCANISME DE CETTE RÉGULATION
THERMIQUE ?
Lorsque le corps produit de la chaleur, la substance se
liquéfie en absorbant cette chaleur et crée ainsi un effet
fraîcheur. Lorsque la température diminue, lors d’une
pause dans l’activité sportive par exemple, le liquide
contenu dans les microcapsules redevient solide et émet
la chaleur préalablement stockée.
249
La chimie et le sport

L’EFFET DE DÉPERLANCE
Comment faire pour que les gouttes de pluie ne s’accrochent pas au tissu ? Il faut réduire l’énergie
de surface du textile. Pour cela, on peut réaliser un traitement de surface avec des molécules
fluorées, en utilisant des polymères possédant des chaînes latérales perfluorées (Figure 12A).
Mais leur effet n’est pas permanent, surtout après un lavage ou suite à une abrasion.
En revanche, les traitements avec des silicones assurent une bonne durabilité de la déperlance.
On peut utiliser des polysiloxanes (Figure 12B) et formuler des silicones pour assurer une adhé-
sion sur le tissu, donc une durabilité (technologie AdvantexTM). Les silicones sont appliquées par
imprégnation à cœur (gainage de la fibre), assurant douceur et souplesse. Cette technologie
trouve une application dans les vêtements de sports de montagne « soft shell » trois couches :
- extérieur : tissu traité par le silicone AdvantexTM ;
- membrane : polyuréthane imper-respirant ;
- intérieur : textile gratté.

A B
-CH2-CH- H3C CH3 H3C CH3 H3C CH3
¦
C=O Si Si Si
O O
¦
O-(CH2)2-(CF2)x-CF3

Figure 12
Afin de conférer au textile des propriétés de déperlance, on le traite avec des polymères possédant
des chaînes perfluorées ((CF2)x, avec x = 8 à 10) (A), ou avec des polysiloxanes (B) : les CH3 ont une
configuration « parapluie » (orientés vers l’extérieur).

de « tension superficielle », se compose de trois activités


est expliquée dans le Chapitre sportives très différentes :
de P. Letellier). Les princi- natation, cyclisme et course à
paux traitements de surface pied (Encart : « Les combinai-
sont réalisés avec des poly- sons de triathlon »). À chacune
mères fluorés. Ces matières de ces disciplines correspon-
ont aussi des propriétés anti- dent des exigences spéci-
taches, avec les avantages qui fiques vis-à-vis du textile. Il
en résultent pour l’entretien fallait imaginer un textile « de
de ces textiles. Leur inconvé- compromis », susceptible de
nient est que la durée de l’effet répondre au mieux aux
du traitement est quelque peu propriétés, qui peuvent être
limitée. Les traitements type partiellement contradictoires,
Advantex™, avec des silicones, nécessaires dans la pratique
sont plus durables et permet- successive de ces trois sports.
tent donc de conserver plus On utilise souvent des textiles
longtemps les propriétés de en polyamide et élasthanne
déperlance du matériau. avec un effet « seconde peau »
et un séchage rapide. En effet
2.4. Quelques exemples quand le sportif sortira de
Pourquoi choisir la combi- l’eau au terme de la première
naison de triathlon comme épreuve, il devra enfour-
exemple ? Le triathlon, cher son vélo et s’élancer.
250 comme son nom l’indique, Il faudra donc qu’il soit très
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
LES COMBINAISONS DE TRIATHLON
Une combinaison unique pour la natation, le cyclisme et la course à pied (Figure 13) doit avoir
un effet « seconde peau » et permettre un séchage rapide. Elle peut se caractériser par :
- un tissu en polyamide/élasthanne 80/20 (comme Aquatech®) avec un traitement chimique
fluoré, qui permet un effet « seconde peau » et garantit un séchage en trois minutes !
- des coutures extra-plates qui assurent un aérodynamisme ; des emplacements optimisés
qui facilitent les mouvements ;
- une chamoisine réduite et confortable, utile pour le vélo, mais qui ne doit pas gêner pour la
natation et la course ;
- des galons en silicone empêchent la glisse et la remontée de la combinaison le long des
cuisses.

Figure 13
Les combinaisons de triathlon
et leur effet « seconde peau ».

rapidement au sec. Sur le Figure 14


vélo, il faudra alors gagner
en aérodynamisme. Pour Les combinaison de trail offrent des propriétés de respirabilité et de
confort quelques soient les conditions climatiques. Par exemple, les tissus
cela, on minimalise les rugo-
en polyamide/polyuréthane (80/20) avec traitement fluoré sont imper-
sités, les aspérités en jouant résistants, légers, permettent un séchage rapide et assurent un effet
sur les coutures : on choisit seconde peau.
des coutures extraplates ou,
mieux, des coutures soudées ce sont des épreuves assez
pour éviter les effets d’épais- longues, la combinaison doit
seur (Figure 13). autoriser une bonne circu-
Les combinaisons de trail sont lation veineuse grâce à des
un autre exemple intéres- zones de compression bien
sant. Le trail est une course à ciblées (au niveau des mollets,
pied qui se déroule en pleine cuisses et épaules).
nature, sur des terrains variés La saga des combinaisons
et accidentés (Figure 14). Les de natation et de leur évolu-
propriétés des textiles utilisés tion mérite un développement
doivent offrir respirabilité et particulier ! (Encart « Les
confort quelques soient les combinaisons de natation » ;
conditions climatiques. Une voir aussi les Chapitres de
propriété supplémentaire est D. Masseglia, I. Queval et J.-F.
demandée au textile : comme Toussaint). De nombreuses 251
La chimie et le sport

matières synthétiques ont de très nombreuses compéti-


été expérimentées. Le polya- tions, était appelée la « peau
mide d’abord, qu’on a ensuite de requin ». Il s’agissait de
« dopé » avec de plus en tissus micro-nervurés, conçus
plus d’élasthanne, actuel- pour que la surface de contact
lement jusqu’à 36 %. On a textile/eau soit la plus faible
aussi recherché des assem- possible, facilitant ainsi le glis-
blages performants et réduit sement du nageur. Ensuite,
au maximum les coutures, qui un panneau polyuréthane puis
créent des hétérogénéités de plusieurs ont été ajoutés à la
surface, défavorables à une combinaison. Enfin pour les
glisse optimale ; c’est-à-dire dernières combinaisons, celles
que les combinaisons sont qui ont été finalement inter-
désormais taillées en une dites, toute la combinaison
seule pièce, avec le minimum était en 100 % polyuréthane.
de coutures résiduelles. Pour Elles ont été interdites, parce
améliorer l’hydrodynamisme, qu’on améliorait la flottabilité
on a utilisé les traitements du nageur et la réglementa-
de déperlance. La combi- tion de la Fédération française
naison de Laure Manaudou, de natation (FINA) n’était alors
avec laquelle elle avait gagné plus du tout respectée.

LES COMBINAISONS DE NATATION


Les combinaisons de natation ont connu de nombreuses évolutions :
Évolution des matières
- de nouvelles fibres : polyamide, polyamide/élasthanne, polyéthylène/polybutylène
térephthalate (PBT) ;
- le pourcentage d’élasthanne est de 20 à 36 % ;
- des fibres fines et légères (environ 100 g/m2) ;
- une contention intelligente de la cheville au torse : les vibrations musculaires sont réduites,
pour une nage stable et efficace.
Évolution de l’assemblage
- les coutures sont réduites (ce qui réduit turbulences et frictions) : mises à l’intérieur,
soudures ultra-sons ou pièces thermocollées ;
- les combinaisons sont taillées dans une seule pièce.
Évolution de la surface pour l’hydrodynamisme
- un traitement avec résines fluorées permet la déperlance ;
- un tissu micro-nervuré (« peau de requin » : Figure 15) assure une meilleure glisse
sur l’eau ;
- des panneaux en polyuréthane qui épousent les muscles ;
- des combinaisons entièrement revêtues de polyuréthane améliorant la flottabilité.

Figure 15
Les combinaisons de
natation : de véritables
peaux de requin !
252
Des textiles pour sportifs
Apport de la chimie pour améliorer confort et performances
Et au-delà du sport, quelle réalité et
quelles perspectives pour les textiles
du XXIe siècle?
L’importance stratégique des nouveaux
textiles techniques et fonctionnels, voire
adaptatifs (également dits intelligents), n’est
plus à démontrer. Déjà le nez du Concorde
en composite, avec son radôme en cône, fut
tissé sur un métier Jacquard avec des fils de
verre ; l’avion de combat Rafale est pour une
grande part en composite carbone-carbone…
Le marché mondial des textiles techniques est
évalué, en 2010, à 22 millions de tonnes, soit
environ 100 milliards d’euros, en augmentation
constante de plus de 3 % par an. En termes
de production et de consommation, la France
occupe le 2e rang européen derrière l’Allemagne,
l’Europe elle-même étant au 3e rang mondial,
derrière l’Asie et l’Amérique.
Les fibres, d’origine naturelle ou synthétique,
sont transformées en fils par la filature et
constituent la base des futures étoffes, obtenues
par tissage, tricotage, tressage, ou formation de
non-tissés. Ces étoffes peuvent subir ensuite
divers traitements d’ennoblissement ou
d’enduction.
La collaboration des industriels (grands
groupes et PME/PMI), des écoles et des
centres techniques (qui proposent de la
recherche-développement et des formations
de tous niveaux), comme les laboratoires de
l’ITECH Lyon (laboratoire GFMP, « Génie de la
Fonctionnalisation des Matériaux Polymères »),
du CEA, du CEA/LETI et de la plate-forme
Minatec, favorise le transfert des dernières
innovations technologiques dans la conception
et la mise en œuvre de nouveaux textiles.
Les nanotechnologies ont véritablement
révolutionné l’industrie des textiles à haute 253
La chimie et le sport

performance, qu’il s’agisse des nanofibres,


des nanoparticules ou des nanotubes
incorporés, des nanocouches déposées et des
surfaces nanostructurées, aboutissant à un
accroissement significatif de leurs qualités,
voire à l’obtention de propriétés nouvelles
(mécanique, thermique, optique…).
Le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne
et le musée de Bourgoin-Jallieu ont présenté
une exposition d’octobre 2009 à mars 2010 sur
les textiles du XXIe siècle72 pour faire connaître
au grand public les multiples applications
techniques des textiles, pour le médical, le
transport, l’aéronautique… mais aussi dans le
domaine du sport.

72. Site de l’exposition : http://www.textilesdu21esiecle.com/

254
Glossaire
Glossaire

Bêtabloquants : médicaments capacité analgésique (elles


utilisés en cardiologie qui diminuent ou suppriment la
bloquent l’action des média- douleur) qui nous procure une
teurs du système adréner- sensation de bien-être.
gique tels que l’adrénaline. Mélatonine : hormone
DHEA : la déhydroépiandros- centrale de régulation des
térone (DHEA) ou prastérone, rythmes chronobiologiques, et
secrétée par la zone réticulée de pratiquement l’ensemble
du cortex de la glande surré- des sécrétions hormonales.
nale dans le cerveau, est une La mélatonine semble avoir
hormone stéroïdienne qui est de multiples fonctions autres
réputée pour avoir des effets qu’hormonales chez l’homme
antivieillissement. et les mammifères, en parti-
culier comme antioxydant.
Endorphine : les endorphines
Elle semble aussi jouer
constituent une classe impor-
un rôle dans le système
tante de neuromédiateurs. Ce
immunitaire.
sont des molécules sécrétées
dans notre cerveau par deux Thermodurcissable :
glandes, l’hypophyse et l’hy- propriété de matières plas-
pothalamus, lors d’activités tiques qui, sous l’action de la
physiques intenses, d’exci- chaleur, durcissent progres-
tations, de douleurs, ou au sivement pour atteindre un
contraire de plaisirs. Le terme état solide irréversible. Ces
endorphine est d’ailleurs matières ne peuvent être
une contraction de « endo » recyclées. Exemples : polyu-
et « morphine » : endogène, réthanne, silicone.
qui signifie que la molécule Thermoplastique : qualifie
est produite au sein de notre une matière qui se ramollit
corps, et « morphine », qui lorsqu’elle est chauffée au-
rappelle que les endorphines dessus d’une certaine tempé-
agissent comme les opiacés rature, et qui, au-dessous,
tels que la morphine, avec une redevient dure.
7KLVSDJHLQWHQWLRQDOO\OHIWEODQN
Crédits photographiques
Crédits
photographiques
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Fig. 4 : http://www.laGR.com. CHAPITRE 6
Fig. 5 : Héraclès et Télèphe, Fig. 3 : Amphétamine : Licence
copie romaine de Ier- IIe siècle, CC-BY-SA-3.0., Christian
d’après un original grec du « VisualBeo » Horvat.
IVe siècle av. J.-C. Provenance : Fig. 19 : D’après Badoud P. et
Tivoli. Musée du Louvre. al. (2009). J. Chromatography,
Fig. 10 : Coda.coza. Photo 1216 : 4423-4433.
originale : Elvar Pálsson, Fig. 24 : Licence CC-BY-2.0,
Irlande. Licence CC-BY-2.0. Rob Annis, Indianapolis, USA.
Fig. 19, 20 et 21 : Collège de Fig. 25 : Licence CC-BY-2.0,
France. Archives. Agriflanders.

CHAPITRE 3 CHAPITRE 8
Fig 4A : Licence CC-BY- Fig. 17 : Doc. R. Willinger.
SA-3.0, Ludovic Péron.
Fig. 21 : Doc. EADS J. Cinquin.
Fig 5 : Licence CC-BY-SA-2.5,
Tableau 2 : doc. EADS
2.0, 1.0, Chris Timm.
J. Cinquin.
Fig 6B : Licence CC-BY-SA-1.0,
Thomas Grollier, Sestrieres, CHAPITRE 9
18 février 2006.
Fig. 1 : Agence ZOOM skieurs : A)
Fig 7D : Licence CC-BY- Marie-Laure Brunet (France),
SA-2.5, Nrbelex. B) Martin Fourcade (France),
Fig 7E : Licence CC-BY-2.0, C) Jean-Baptiste Grange
Charlie Cowins, Belmont, NC, (France), D) Julien Lizeroux
USA. (France), E) Didier Defago
Fig 8 : Licence CC-BY-2.0, (Suisse), D) Ted Ligety (États-
Michiel Jelijs, from Groningen, Unis), E) Vincent Vittoz (France).
The Netherlands. Fig. 4 : Licence CC-NY-SA.
Fig 10 : Licence CC-BY-2.0, NoiseD@de.wikipedia.
Karen Blaha. Fig. 5 : Larousse.
Fig. 13A : Agence ZOOM
CHAPITRE 4 skieurs : A) Yannick Bertrand,
Fig. 1, 3A, 3B, 4, 5 (photo), B) Ted Ligety.
21, 25A, 26 : Jerome Clabé et Fig. 14 : Skis Rossignol.
Laurence Saulnier.
Fig. 3C, 11C, 12B et 12D : CHAPITRE 11
photos prises au cours Fig 7 : Licence CC-BY, Wilson
d’activités organisées dans la Dias/Abr.

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