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ETUDES TRADITIONNELLES ocrnes maaphngus etter n sabonne: 11, Qua Sant-Michet ‘Telephon : (161) 4 5408 32 CChaques postaux : EDITIONS TRADITIONNELLES PARIS 568-71, Manuscits: Les manuscrits non instés seon: retournés sor simple Responsabilts : Les auteurs soot sels responstbles de leurs, eis Reproduction: La reproduction ds articles ‘et fommellement intrdite sans autorsation préalable, tears EDITIONS TRADITIONNELLES. Sos 8 Hegci Line a Cop e390 es, (Sueeseuts de a Maison Chacorac) Directrie : Niole BRAIRE Sige socal 3, rae de la Harpe - PARIS (V*) oe Aone TR ETUDES ADITIONNELLES AVRIL - MAT - JUIN 1992 lie LEMOINE «.. Metaphysique et thdlogie L.RESTRAD .-sscc...5 Apres intigues ura Divine Come. de de Dame (se) = 1s Sep comisber» du Purgaoie Jacques BONNET ....... La tnte de Serch Jacques BONNET... ‘Mare de LARGO Las Live ‘A, DELAROCQUE COLOMBIERE =... Ler Rewer ADMINISTRATION - REDACTION EDITIONS TRADITIONNELLES 11, Qual Saint-Michet- PARIS (¥") ETUDES TRADITIONNELLES Notre revue parattactuellement sous ta forme de quar ‘re numéros, generalement de 48 pages, & raison d'un fas- tieule la fi de chaque timestre, Les abonnements sont fouscrits pour 'annés et s'atrtent autometiquement avec In parution du quatriéme numéro de chaque année Nous n’adressons pas de rappel par courrier pour les renounellements. CConatons pour 1982 rr de vented meni a8 main sor Abonnement & bx série de & numéros FRANCE, pis mu magn co Maer FRANCE & DOMTOM, Fiance de po 2800 F Ex reson sor PAYS ETRANGERS, France depot ais Enon sor Pris des collections encennes = sot 897 chaque anne pe ws apn owe 191881981 pee nu maga. iome ‘Nous comer pour expéion de chacune de ces années sins que pour les anneer anterieres, que nous fecherehoas €3 permanence, Nous pouwons adres Pun de nos exemplars reson en sock conte a some de 30 france, alement par vecuement 8 pore C.C.P. PARIS 368 71 BDL ‘TIONS TRADITIONNELLES ou par chaque banca Consutes Vanmuatte Sectronigue sur MINITEL Nom: E-, Toe PARIS SS pints ETUDES TRADITIONNELLES 95 Année Avril Mai - Juin 1992 N° 516 METAPHYSIQUE ET THEOLOGIE Un de nos correspondants, se référant & ta formule inverse Theologia sine Metaphysica nihil, a exprimé YYopinion qu’elle pourrait re retournée et qu’on pour rail dire équivalemment Metaphysica sine Theologia rihil, el cela, éritil, parce que ésotérisme et exoté- risme sont deux termes corrélatifs et done que un ne va pas sans Pautre. Ily @I& une méprise qui provient "une confusion entre méaphysique et ésolérisme. Dans les traditions a forme religiuse, qui comportent tun double aspect exotérique et ésotérique, la doctrine «ordre purement métaphysique se trouve bien du c6:é de ce dernier mais sans pourtant se confondre avec lu ppuisque les sciences traditionnelles gut relevent de '&0- térisme sont de simples applications de la métaphysi- que au domaine de la manifestation. Seule, la rmétaphysique est @ordre univesel et, comme tell, lle est absolument indépendante de toutes ses applications quellesqu’elles soient, y compris de la théologie. Sans doute, la théologie est plus proche, en un certain sens, de la métaphysique que toute autre application ; elle nen est pas moins une application et done, elle n'est, plus d'ordre universe, ce qui est ailleurs évident si Yom réfléshit qu'elle eit propre & une forme tradition- nelle donnée & exclusion des autres. Pour présenter les choses dune fagon trés simple ‘mais néanmoins exacte, nous dirions, théologiquement paarlant, que la formule Creatura sine Creatore nihil texprime une incontestable verte, tandis que la formule (Creator sine creatura nihil est tout & fait fausse, car Ia création n’ajoute rien au Créateur ce qu'exprime admirablement cette formule islamique : « Allah était, » ETUDES TRADITIONNELLES et rien avec Lui. lest maintenant tel qu'l ait. » Cela veut dire qu'il y 2 une discontinuité absolue entre la ‘manifestation et le Principe, entre des écats manifes- tés, si levés qu’ils soient, et la Délivrance. René Gué- non I'a rappelé & maintes reprises, par exemple dans ce passage : « L'acquisition ou, pour mieux dire, la prise de possession d'états supérieurs, gels qu'ils soient, n'est donc qu'un résultat partel, secondaire et contingent ; et, bien que oe résultat puisse paraitre ‘immense quand on envisage par rapport & état indi- viduel humaia (et surtout par rapport & Pétat corpo- rel, le seul dont les hommes ordinaires aient la pos- session effective durant leur existence terrestre), il n’en est pas moins vrai que, en lui-méme, il est rigoureu- sement aul au regard de P'éat supréme, ear le fini, tout fen devenant indéfini par les extensions dont il est sus- ceptible, e'est-8-dire par le développement de ses prO- pres possibilités, demeure toujours mul vis-a-vis de Minin» (D. Nous pourtions exprimer les choses autrement et dire qu’l est impossible d'atteindreI'Iafini par V'exté- leur parce que eet extérieur n'existe pas. Ce qui fait {ue la Délivrance soit possible, c'est que, selon la for- ‘mule de Shankaracharya, elle n'est pas la producti un résultat non préexstant. lle est Ce qui Est main- Tenant. Ce que le méme Shankara explicite ainsi : «« Esclavage et Libération sont tous deux suscités par ‘Maya, mais dans le Soi (Atm) elles n’existent pas plus ue ee serpent qui, tour & tour, apparait et disparait, n'existe en cette corde dont 1a nature n'a jamais change. Esclavage et Libération, il serait permis d'uti- liser ces termes si on constatait la présence ou absence d'un masque par lequel le Réel serait occult, mais peut exister a Pégard de Brahma un masque de ce genre ? Par quoi Brahma serait! masqué puis- que rien d’auire que Lui n’existe ? » (2). Jp Egret on Des one Yada, Tatonas, 12) Vt cael, v.90 0 METAPHYSIQUE ET THEOLOGIE Ce qui permet de résoudre un probléme tel gue celui que nous posait notre correspondaat, c'est Pe irriprocité de relation » entre le Principe et la manifestation, sur laquelle René Guénon est revenu souvent : « ... le Principe en soi... ne saurait étre con- sidésé comme entrant en rapport avec la manifesta tion, ft-ce en mode illusoire, quoique la manifesta tion en procéde et en dépende entigrement dans tout ce qu‘elle est, sans quoi elle ne serait réelle & aucun degré ». Et il ajoute en note : « La transcendance absolue du Principe en soi entraine nécessairement DP *irréprocité de relation” qui... exclut formellement toute conception “panthéiste”” ou ‘‘immanen- tiste” » (3), Et encore !« .. e Principe supréme.... ne peut dre earactérisé par aucune attribution positive : ainsi exige som infinité, qui est nécessairement Ia tot Iité absolue, comprenant en soi toutes les possbiltés. T1ne peut done rien y avoir qui soit réellement hors de Brahma, car cette supposition équivaudrat a le Kimi- ter ; comme conséquence immédiate, le monde, en entendant par ce mot, dans le sens le plus large dont {soit susceptible, ensemble de la manifestation uni- verselle, n'est point distinct de Brahma, ou, du moins, ne sten distingue qu’en mode illusoire. Cependant, G'autre part, Brahma est absolument distinct du monde, puisgu’on ne peut lul appliquer aucun des attributs déterminatifs qui conviennent au monde, Ia ‘manifestation universe tout eatigre étant rigoureu: sement nulle au regard de son infinité; et on remar- quera que cette iréprocté de relation éntraine la con- damnation formelle du « panthéisme », ainsi que de tout « immanentisme » (4), On dira peut-tre que, pour répondre & une ques- tion dun caractére somme toute assez limit, nous ‘nous sommes lass entrainer bien loin. Nous ne le pen Gil omdamenous de Sine Sac, ao. LX. 313 $f ron fi Bo dos, 8, 1 ETUDES TRADITIONNELLES sons pas. En partant de la relation entre théologie et ‘métaphysique, nous avons surtout voulu souligner la transcendance absolue de celle-ci : La métaphysique est (a connaissance principielle ; or, cette connaissance Giant immédiate, ne fait en réalité qu’un avec son ‘objet. Ce que nous disons du Principe, nous pouvons ddone et devons le dire de la métaphysique (il sagit naturellement de la métaphysique totale qui comporte la réalisation correspondante) et, reprenant en T'adap- tant, ce que Guéaon disait plus haut du Principe, dire que la métaphysique en sol ne saurait etre considéxée ‘comme entrant en rapport avec la théologie quoique Ja théologie en proséde et en dépende entiérement dans tout ce qu'elle es. Nous pouvons rappeler cette occasion un passage important d’Orient et Occident qui va dans ce seas ‘ Ceux a qui on parle simplement d'études mécaphy- siques, et de choses qui se tiennent exclusivement dans Te domaine de la pure intllectualite, ne peuvent gutre se douter, au premier abord, de tout ce que cela impli- que ; qu'on ne s'y trompe pas :ils'agit la des choses Jes plus formidables qui soient, et auprés desquelles tout le reste n'est qu'un jeu d'enfants » (3) Elie LEMOINE Wy ri Onin, Pasi, 197, pp. 172. 2 APERCUS INITIATIQUES SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE* xx LES SEPT « CORNICHES » DU PURGATORE Introduction Dante divise le parcours du Purgatoire en sept degrés ou « corniches » (1), Cette dernigre dénomina- tion n'est assurément par fortuite, et pourrait-ttre sexpliquer par ta présence, dans ce vocable, de la ra- cine CRN (ou KRN), qui est aussi celle de « couron- ne », et « gui exprime essentillement Midée de “puis- sance” et a” “élévation’” » @). Il y aurait done 1a, une part, une référence manifeste & PArt Royal, et, ‘autre part, une allusion directe son achévernent ot ‘ couronnement », Quant au nombre sept, il devrait symboliser toutes ies modalités du monde subtil qui, ‘chez Phomme déchu, doivent re régénérées avant de retrouver Ie état primordial », et de la « sare alle stelle » (3). Une telle division septénaire, qui est généralement ‘aussi celle qui s'applique aux eleux des étolles mobi- ‘ire lbs Bea soln lt Montagne ree Poke. © tala couroane » gree Rov, in Sovono), de det Ie tmot core» (an arma) toques pparenes ealemeat forme ea core, TU Pargutre GORI, 145: «sever instead >, 2 [ETUDES TRADITIONNELLES les dans le symbolisme du Paradis céeste, semble indi- quer qu'll devrait y avoir avec celles-ci une eertaine ‘elation. De fait, René Guénon explique que le septé- naire se rapporte au monde des formes, et qu'il est symbolise, dans son aspect dynamique, par Petoile & Sept pointes « autour de laquelle sont inscits les signes des sept plandtes » (4). Si Yon considére le rapport cexistant entre les « influences astral », au sen le plus profond (5), et individu, on peut peut-ttre compren- Are le role non négligeable que ces influences peuvent Jouer dans le processus de répénération psychique. On Sait en effet que du point de vue alchimique, les ‘influences astrales » sont représentées par le Soufre, et calles du « milieu » par le Mercure (6); or, il est facile de remarquer que Vaction du premier ‘sur le second vient confirmer Id aussi, de ce point de vue, Ie rapport symbolique qui peut exister entre les sept cicux du Paradis céleste et les sept comniches du Pur- fgaloire, dans le sens macrocosmique comme dans le sens microcosmique. Certes, avec sa multiplicité d’aspects, la régénéra- tion. piychique telle qu'on la voit magistralement décrite par Dante, peut étre considérée & plusieurs rlveaux et selon divers points de vue plus ou moins cextérieurs. La présente étude, comme précédemment, visera & se piacer dans la perspective ésotérique, et ten dra 8 mettre en Evidence la doctrine et la méthode qui, scion Dante, constituent les lignes directrices de o& processus ‘On sait que Dante était membre de Vorganisation des « Fideles d’Amour » ; sans doute faut-il voir la Tin at ta. Vl Rear cin SLs Ce roa Xl «te oe ey >. cata ape Rest Salon wn nk ps eats ‘fee mie on cs trae do nom s SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE Ja raison pour laquelle il a déibérément adopté, tout au long de son récit, la doctrine de l'« Amour », si cearactéristique de cette forme initiatique, pour repré- senter le chemin de la purification comme on le verra @Pailleurs dés le début de la présente étude. Pour ce qui concemne la méthode, il est possible de la réduire synthétiquement en trois points 1. Prise de conscience de la modalté & régénérer. 2, Action visant a équilibrer anomalie de cette modalté 3. Verification de la régénération obtenue. Cette derniére opération est figurée, dans le récit dde Dante, sous la forme de divers « mots de passe » prononcés par les Anges qui président, chacun en ce ui le concerne, a Pune des corniches du Purgatoire. Simultanément, a lieu Veffacement du « P » corres: ponant a cette phase de la régénération psychique. On a vuen effet qu’a la fin de 'antépurgatoire, et juste avant de franchir la porte du Purgatoire, PAnge qui ten assure la garde avait tracé de son glaive sept « P >» sur le front de Dante. L'inscription de ces sept « P » ‘correspond nsturellement a la prise de conscience dont il est question ci-dessus au point 1, et qui, a ce stade, est bien entendu seulement vituelle, son actualisation rie devant se produire que lors de la traversée des cor- niches correspondantes. Indépendamment de ses autres significations ct notamment de ses rapports aves le ‘ péché », cette Ietre « P » revient en somme & dési- agner le « passage » dune modalité & une autre, ainsi ‘que le « noeud » s'y rapportant et qui devra étre dis sous ou dépassé pour reussir ce passage. Les Anges ‘Quant & eux, peuvent dire assimiles 4 ces « influences ‘cElestes » auxqueles il a &té fait allusion tout d’abord, cet représentent aux divers stades de la régénération, le reflet, dans 12 conscience purifige, des éeatsinfor- ‘mels correspondants. Enfin, on a vu qu'il existat un lien étroit entre Ia modalité a régénérer, la méthode ss [ETUDES TRADITIONNELLES. S‘appliquant aux actions purificatoires, et le « mot de ‘passe ». Mais cee est un autre aspect, et non des moin- Ares, que notre étude se propose précisément de met- tre en évidence, ‘Lrorgueil eles orgueillewx On peut dire, sans risque de se tromper, que c'est ‘a partic de cette premigre corniche (7) que commence de fagon opératve le processus de régénération psychi- que proprement dit. C'est la que Dante en effet intro duit, dés le début du Chant X, un élément qui dési ‘gne Ianifestement le premier nocud & délier dans ce processus. I! s'agit dune donnée circonstancige qui R'apparaissalt pas dans l'antépurgatoire, et qui com- porte en soi un caractére indicatif du premier travail fauguel il convient de s'attacher dans eette phase 4 Quand nous eames franchl le seull de cette porte & Tombée en desudride par Vomour foussé (8) de «Qui Jait porate droit le chemin tortueux » (Pure. X12. Comme on I'a vu précédemment, le mot « amour » cst important ict, car ce concept est un des fils con- ucteurs de toute la régénération en particulier, et plus généralement d'ailleurs, de toute la Divine Comedie. ‘Mais pour ce qui conceme proprement le Purgatoire, Vopération est nettement délimitée par les vers suivants 4 L’Amour doit die en vous la semence de foutes les 4 Bt de toute opération qui mérite de la pene » (Purg., XVI, 104-105) GD Firat, cans X, XL XI alent in cee sor dent) carro as ‘Sablon petra, pete vow itu fe trestrpon tt ‘ir mvs amor sop par sper ee commeneas SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE Tout ceci rend peut-sre opportun, en vue de per~ mettre une meilleure compréhension de oes chants du Purgatoire, de considérer brievement cette doctrine de Te Amour », tlle qu'elle est exposée synthétiquement ‘par Dante au travers des paroles placées dans la bou- che de Virgile 1CO'NT crbateur ni jamais réature”™ “ Commence-til, “mon fis, ne furent sans amour, “ Soit naturel sot de raison ett le Sas ‘Le naturel est toujours sans erreur: ‘Mais Pautre peut erer soit par objet indgne (9) ‘Sout par exeés ou par défaut de vigueur"”» (Purg., XVI, 91-96) L’amour naturel dont parle Dante est celui qui se conforme instinctivement & POrdre divin, et dans Jequel nintervient pas le « libre arbitre ». L'amour de raison, au contraite, se soumet a cette faculté propre 2 Petre humain, et on vient de voir qu'il peut se trom- pper de trois facons : parce qu'il est appliqué soit de facon impropre, soit avec un excés ou un manque de vigueur selon le cas. Comme premier exemple d’amour faussé, Dante donne I« orguel » qui, placé a Pextréme périphérie du plan du Purgatoire, se présente dans le classement comme le plus grave des trois types d'amour ‘erroné. Figurativement en effet, si Pon envisage ce plan comme « lieu de régénération » (10), orguell, se Stuant a Pextréme limite de sa circontérence, est le plus distant du centre, lequel, inversement, représente Ja perfection de la modalité considérée Pow x mame aos ue picdemnent tego de nse sl oo etna ieee pea ee» 10 et pu oi ge ie ation ni: ‘Ea tuuathes tee geen tn real cag er, gap Pies oa vera ais uh ra eos i see dont ppp consort aps pote ce sete let ‘a prion de eat Numa, eee es pra rere a ‘ETUDES TRADITIONNELLES Pour mieux comprendre quel est le contenu des « péchés » par objet indigne, il convient sans doute de se reporter & ce que Dante nous dit de la dynami- ‘que de amour : « Tu peux voir maintenant combien la virité “ Resie cachée & cous qu soutennent que {Tout amour est en s01 une bonne chose ; “Il se peut que bonne en paraisee toujours La mative; mals toute empreinte ne I'st pas, ‘Bion que bonne solt la ire». (@Purg., XVI, 3439). On peut done remarquer tout d’abord que la cara- téristique qui distingue "amour juste de 'amour erroné, réside en somme dans ['« empreinte ». Ce terme peut vraisemblablement etre regards, en premier lieu, en tant que « tendance » ou « direction », done cen tant qu’e objet » de amour ; et en second lieu par conséquent, comme une « qualité », cest-&-dire, pour ‘ce qui nous intéresse ici, comme un '« amour faussé». En dautres termes, amour en soi est une bonne chose, mais si ’on en use pour un « objet indigne », il/devient erroné : L'amour envers le prochain, comme amour envers soi-meme, est ouable, mais s'il depasse ccertaines limites fixées par Décret divin, il se met au service de l'individualité, tombe dans lerreur, et au lieu de rester une « bonne empreinte » servant & la recherche de la vérité, devient un instrument de dis- persion dans la maltiplicité (11). Ayant ainsi défini le earactére commun aux trois premiers péchés par « objet indigne », il convient ‘maintenant de chercher A comprendre quelle est lz nature spécifique du plus grave d’entre eux, Te orguell » TC pourat pe dt perme nui aso ee lon pofond ple Santee rep Lenin GUT ‘Std pr Chi comme onde Susp abies: ‘Stan's Teens on pci comer ne = GNI Fe Saki em SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE “€ Certains, se voyant rapprochés de leur voisin, ‘¢ Exporent excellence, ef pour cette seule cupid ‘ Souhaitent qu'il soit déchu de sa grandeur» (Purg., XVI, 115.11). Ltamour de Vorgueilleux pour Iui-méme est poussé un tel degré, qu'il ne trouve a s'assouvir que dans T« élimination » du prochain ; plus précisément, cet ‘amour dévoyé et visant au mal d’autrui, se manifeste fen produisant, chez I'individy, V'llusion d’étre supé- ricur en tout, et aussi le besoin impérieux que personne ‘ne soit, selon sa propre évaluation faussée, plus grand ‘que ni; il sensuit que Porgueilleux ne 8e contente ‘Bénéralement pas de hair, mais qu'il tend & mettre en uvre les moyens nécessaires pour que cette haine hui assure Pabaissement de soa semblable (12). Dante ilus- te les divers degrés de cette fagon d'etre et de faire, au travers de quelques portraits d’orguellewx punis que Virgile lui montre au début du chant XII, et par la deseription de divers personnages qu'il rencontre durant le parcours de cette premiére corniche du Pur- satoire. Aprés avoir de la sorte délimité ce domaine de Morguel et pris connaissance de son contenu, Dante ppoursuit son récit en expliquant comment cette ten- dance aberrante de I'ame doit &re contrebalancée en ‘vue de la neutralise, Partant du fait que les orguell: Jeux regardent généralement la manifestation de toute Jeur hauteur, les lourdes pierres dont leurs épaules sont chargées les obligent ici & cheminer le long de la cor- niche avec le regard dirigé vers le bas : tout le poids 4qu'l imposaient aux autres dans Pintention de les éi- ‘miner, est en quelque sorte déplacé sur leurs propres épaules pour freiner eet aspect anormal de leur indi- tae dex port wen xa ou du rns ne puro cone oe ue cs treet ft portant Gin rtd ate Set ve indecent wat et hes vers aera, che os ie re ¥comer ep gent ‘Sourqimer Une cnnrfguon ete uno eo ee fre ave: Toasts Puan nes pura ere Scan bin den surpass Godse sa. ETUDES TRADITIONNELLES. ‘vidualité. I faut toutefois préciser que Mefficacté de ‘ce modus operandi n'est pas suspendue & cette seule pratique, mais qurelle est en outre rattachée au Prin- Sipe a travers la prire continue des péaitents pendant leur marche. D'une part, ceci démontre et confirme les effets de ia metanoia qui stest opérée en eux durant Je passage des zones infernales a la région du Purga- toire : en Enfer, is &taient en effet en rébellion mani- feste contre Dieu, alors qu'ici leur conduite fait preuve, au contraire, d'une libre acceptation de la Volonté divine, D’autre part, la mention dans le texte d'une parcille pire, durabie t constante,ilusie 2 mervelle les nécessités de l'oraison, qui est propremeat le moyen technique pour Ia conversion, chez Phomme, de l'exté- Florité de la manifestation vers F'intériorité de esprit Bien entendu, tout ce processus déerit allégoriquement par le podte, ne peut étre réellement saisi par le seul sens litéra, et doit &tre dégagé du « velame dell versi sirani » (13), de maniére & comprendre peu & peu le veritable aspect du travallinérieur de régenération cor- respondant & cette premiére corniche du Purgatoire Une fois le processus de régénération particulier a cete ‘modelité termine, sa perfection est comme verifige et entérinée par la descente de influence céeste qui se manifeste, dans le révit de Dante, sous la forme d'un ange. Cette intervention est caractérisée par une pi rononcée par ce messager du Ciel, dont la significa: ton est en étrite relation avec le p&ché quia été Pobjet ea Site 98, ue rei a Rk Sete gue Cot eps rofond deteneeaee ees se {spe Sigmon aime ue ane pace cud des Sate» Cpa ts: pr app Fanon {spf qh on oir te ps comme dans 00 ie a ent feat pune Cx A moyen potter ase Se ‘ioe inom evn rat omen’ ase aon en ‘mien neo ashe np pe Fs Pate SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE de cette phase de régénération, Aussitt, un choeur angélique fait ého aux paroles de ange : « Beati pau- eres spiritu » (14). Le sens de ce choeur céleste peut correspondre au fait que ls orgueilleux, plus que tous Jes autres pécheurs, sont particuligrement riches au regard de la manifestation (15). Mais une fois cette anomalie de I’éme recifige, ils sont devenus « pau- ‘res > par rapport au monde extériur, et done, par ‘analogie inverse, plus riches intérieurement. Cette « pauvreté en esprit » ecpendant, ne peut tre effer- tive et demeure & ce stade encore virtulle; car la vraie « pauvreté » (en arabe El fagru) qui joue également ‘un role important dans T'ésotérisme islamique (16), est le terme ultime du chemin de la manifestation, ‘permetiant de passer au-dela dela « porte étoite » qui donne accés at) non-manifest, ‘envie ef les envieux ‘Le mot « envie» vient du atin videre,lequel, muni de la preposition « in » (invidere) signifie « voit con- te » ou « de travers », et, en définitive, « regarder un ceil jaloux, malveilant ». Ce qui distingue sur- tout un individu’ atteint par Meavie, c'est le fait de voir ‘un autfe, son prochain en Poccurrence, occuper une place ou’ une condition dans laquelle Iui-méme vou: ‘rait pouvoir sétablir, et ils’en affige. L'état @envie se caractérise done par une tristese trés particulier, ui correspond plus précisément & ce que désigne le {erme « ranceur », entendu comme « amertume pro= sue Sermon rs onus her pare! > OG) Cn cen (3, st es es tah a map seit mines renee Si cee es a, ag Se ee ae SiS rant anton stom or 'STUDES TRADITIONNELLES fonde ». Dante évoque une telle modalité par Pimage un tas de pierres dune paleur uniforme, ot la végé- tation avee son contraste ne trouve pas de place, sinon sous forme réduite et limitée & Messentiel. Et if décrit ainsi les envieux «Tel eraint de perdre pouvoir, faveur, honneur EL clebrud shun autre sb, EU I sem atte tant tl aime le contrare » (Purg., XVIE, 18-120), Si Yon examine en effet la perspective imprimée par Venvie chez Phomme, on peut observer qu’elle ‘comporte deux caractéristques particulgres : la erainte de perdre ce qu’on posséde & cause du succes, récl ou imaginaire, de son prochain, et le désir d’avoir ce 4qu’on suppose que les autres ont. Par suite de cette ctainte et de ce désir perpétuels, et aussi en raison des sentiments de tristesse ou de rancaeur qui en décou- Tent, lenvieux est forcément amené & pécher par amour dévoyé, c'est-A-dire par amour pour un « objet indigne ‘Comme on I’a vu plus haut, tout ceci est une mar- ‘que commune aux orguelleux et aux enviewx, mais ce ui semble distinguer les premiers des seconds, c'est Te fait que dans le but de faire valoir leur « superbe », Jes orgueilleux tendent surtout & exercer leur prévari- cation & P'égard du prochain en tant que tel, et indé- endamment de ce qu’ll posséde ; Ienvieux au con- traire, paraft davantage considérer les autres en fonc- tion des biens qu'ls détiennent ou des qualité qui sont Jes leurs ; il s'ensuit qu’a Vinverse de orgueilleux, Penvieus est beaucoup moins portt vers la violence que vers la tristesse, et méme, comme on vient de Ie voir, ‘vers une certaine forme de ranceeur. On peut recon” rite Penvie dans importance excessive accordée & tout ce qui est extérieur, cest-ddire aux choses pétis- sables platdt qu’aux choses de Mesprit, ce qui se tra- duira nécessairement par une tendance toujours plus ‘ccenruée vers la multiplicte, et done vers la division, @ SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE On peut maintenant remarquer que dans le domaine sprituel ou intellectuel, les higrarchies qui dis- tUnguent jes hommes sont constituées exsentiellement par des deurés de connaissance, degrés qui peuvent par- faitement étre détenus par une indéfinté détres sans ‘que le niveau « possédé » par les uns ou les autres en soit diminué pour autant. A la différence des domai- ‘es physique et psychique, le domaine spritue se pré- sente donc, en quelque sorte, comme véritablement “cinépuisable » dans ses reseources, et par conséquent comme un milieu particuliérement inadapté, par ‘ature, a la manifestation de eave (17). On peut ainsi comprendre pourquoi, dans la parte du potme rela- tive & cette corniche des envieux, le processus de puri- fication mentionné par Dante consiste & empécher les pénitents @ouvrir les yeux, de tell sorte que ces tres solent incités a développer une vue ou perspective inté- rieure. En effet, non seulement un tel procédé vise & effacer leur apparence extérieure au profit de leur essence commune — Pesprit, et de la nature qui est Ja leur — le genre humain, mais il a aussi pour objet direct de faire disparaitre Ia « cause de discorde », ‘Puisque la connaissance n'a pas de limites, et que tous peuvent en bénéficier & raison de leur propre désir. est évident qu'une fois cate perspective intcieure acquise, le point de vue extérieur ne pourra plus jouer Je rOle prépondérant qu'il avait auparavant, d’abord & cause du caractére éphémére qui sera’ dés lors reconnu au domaine corporel, et ensuite en raison de som infériritéhigrarchique. Que ce soit I le sens prin- GF i cot, ce cope edema dee seman pe opr dt, exe en au dc e egies et hice is opciones emai ga eee ‘ent pas toler latin ente les. (bie evict eu ‘ged cnt dere apt uicnaanet abe gue pr ooe e {nities culms de oases Se rte ‘deen nec, Nae pe emir cer el ara arr acannon ss a « ETUDES TRADITIONNELLES cipal de la peine des envieux, cela semble confirmé, ‘comme on va le voir, par les paroles de I’Ange « Beatl Misericordes » (18), qui marquent Ia sortie de la cor iche. En effet, il est A remarquer que lorsque Dante fait dire quelques mots aux anges gardant la porte de chacun des deprés du Purgatoire, ces quelques mots synthétisent toujours le résultat de la « purification » ‘accomplie. Ilest done intéressant de comprendre le apport existant entre ces paroles et la peine subie & ce niveau par les individus. Pour commencer, on peut Dbserver que le « miséricordieux », d'une fagon géné- ‘ale est celui qui éprouve pité et compassion pour les ‘autres, et qui, d'une certain fagon, partcipe a la con- dition de ses semblables. On peut relever aussi que le ‘mot méme, « miséricorde », dont dérive V'adjectif, est ‘composé des vocables miser et cordis, estar, en somme « our pour les pauvtes ». Mais la Misricorde fest également, et avant tout, un attribut de Diew, qui fest le principe de toutes choses, & la fois « riche » et ‘indépendant », dont tous les &tres dépendent, parce {que « pauvres » et esentiellement « dépendants ». Il fst naturel que le Principe, en tant que « cause pre- mitre » de tous les tres, soit miséricordiewx, autre- ‘ment dit qu'l sot aussi fe « soutien » de la manifes- tation. Si l'on considére maintenant que le « coeur », cat, A divers égards, le centre dun etre et le sibge dé Vinteligence ou de Pesprt, on peut comprendre pout quoi dans Islam, V'atribut de Rahman, qui traduit Padjectif « mistricordieux », implique la notion de « géniteur », c'est-a-dire « qui donne la vie ». Celui donc qui participe de cet attribut, méme s'il nest pas fencore en mesure de identifier aux conditions de tous les &tres, mais seulement de quelques-uns, s‘identifie ‘nganmoins par li méme, « partiellement », aux con ditions de tous les Gres, et, au travers de ses propres prolongements, participe pareillement & leur « vécu » 2a tee ts Ww nage? Basar le cre * Bi Ve 6 SUR LA DIVINE COMEDIE DE DANTE et & leurs états d'dme. Mais, naturetlement, pour que {out cect soit possible, il doit y avoir, ehez Pindividu, lune ouverture envers fe prochain qui est inconciiable avec Vattitude de fermeture et d'affirmation indivi- uelle de envieux. A contrario, il est normal que le ‘épassement de cet état d'autolimitation, a travers une conversion au centre, qui est le centre de tous les etre, soit salué par Pange comme Pachévement des peines S'appliquant & la corniche des envieux, et que Dante ait enue faire par Ta etbre formule: Bear Pour en terminer avec ces quelques remarques, il cst peut-ttre utile d'ajouter que l'envie, en tant que ‘vice » et « antagonisme » envers les autres, 5 ‘Ia miséricorde eonsidérée comme « vertu » et « bien- veillance » cnvers le prochain. C'est en somme ce Qu'exprime saint Thomas d’Aquin lorsqu'll souligne que « Tenvieax en effet, s'atiriste du bien du prochain, lors que le miscricordieux s'attriste du mal du pro- chain » (19) ; ce gui conduit a penser que lorsque tardent & se manifester des sentiments de sympathie et de compassion pour ses fréres dans le peine, c'est ‘que le « manteau » de Venvie n'a pas encore &E rejete, et que ne s’applique toujours pas la sentence « Godi fu che vinci » (20) qui vient , comme un écho, faite réponse aux voix chantant la Béatitude. ‘On peut enfin remarquer que eavicux, parses pré- tention individuelesexcessves, et par suite de la rare des biens ou des valeurs extéricures & partager, est des- ting & demeurer en état permanent de désir inassouvi, alors que le miséricordieux qui participe, avec ses pro” Jongements, aux plaisirs comme aux’douleurs des autres, éprouve non seulement un veritable contente- TR See rhleiue, 1, 0 {35 Pergo S098! 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