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Publications de l'École française

de Rome

Les Dominicains et la chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles


Claudine Delacroix-Besnier

Résumé
Une étude approfondie de la présence dominicaine en Orient et du rôle des frères prêcheurs dans l'ancien domaine byzantin
était nécessaire pour mieux comprendre leur action déterminante dans la mise en œuvre du concile de Ferrare-Florence en
1438-1439.
Confrontant des sources très diverses, l'auteur dresse le tableau, le plus exhaustif à ce jour, des établissements dominicains en
Méditerranée orientale et autour de la mer Noire, ainsi que de ceux de Perse, d'Arménie et d'Europe centrale. Grâce à l'étude
de la dynamique missionnaire de l'ordre, sollicité de manière très variable par les papes successifs, l'ouvrage apporte une
contribution importante au renouvellement de l'histoire des contacts entre Grecs et Latins à la fin du Moyen Âge, tant dans la
mise en évidence d'une proximité quotidienne qui tend à émousser les divergences religieuses que dans la prise en compte de
l'expression du prosélytisme des métropoles latines.
Au centre de cette mosaïque, une attention toute particulière est consacrée au couvent de Péra, situé dans la colonie génoise
de Constantinople et de certains de ses religieux (Philippe de Péra, André Chrysobergès) qui entretiennent des rapports étroits
avec l'élite intellectuelle byzantine. Préparant le concile de Florence et ses discussions théologiques qui aboutiront au décret
d'Union de 1439, l'œuvre de ces frères prêcheurs apportera également une importante contribution à l'Humanisme naissant.

Citer ce document / Cite this document :

, . Les Dominicains et la chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles. Rome : École Française de Rome, 1997. pp. 3-476.
(Publications de l'École française de Rome, 237);

https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1997_ths_237_1

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COLLECTION DE L'ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME
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Le premier folio du ms. B.A.V. Palat. lat. 604 : dialogue d'André Chrysobergès
aux citoyens de Modon.
CLAUDINE DELACROIX-BESNIER

LES DOMINICAINS ET LA

CHRÉTIENTÉ GRECQUE

AUX XIVe ET XVe SIÈCLES

ÉCOLE FRANÇAISE DE ROME


PALAIS FARNESE
1997
- École française de Rome - 1997
ISSN 0223-5099
ISBN 2-7283-0391-6

Diffusion en France:

DIFFUSION DE BOCCARD
11 RUE DE MÉDICIS
75006 PARIS

SCUOLA TIPOGRAFICA S. ΡΙΟ Χ - VIA ETRUSCHI, 7-9 ROMA


A mon Père
\X

REMERCIEMENTS

Cette thèse, soutenue le 21 décembre 1994, a pu être menée à


son terme grâce à la direction scientifique et aux encouragements
constants de ma directrice de thèse Mme Patlagean, à laquelle sont
adressés, en premier lieu, ces remerciements. Qu'y soient associés
les membres du jury : MM. Balard, Dolbeau, Richard et Vauchez,
qui m'ont aidée à mener à bien cette publication, de même que Mme
Fohlen, qui m'a apporté outre sa compétence, son amitié.
Ce travail, nécessitant la consultation de multiples sources
documentaires et la lecture de traités inédits, il convient d'associer à
ces remerciements plusieurs institutions pour leur aide précieuse. Je
citerai particulièrement l'LR.H.T., qui a fait venir les microfiches
des manuscrits de Bâle. L'Ecole française de Rome me permit de
faire quatre séjours en Italie afin de consulter, à Florence et à Rome,
des textes inédits et des archives. Et je ne manquerai pas de
mentionner l'accueil de la Bibliothèque du Saulchoir, dont le Père
archiviste m'a autorisée à utiliser les dossiers du P. Loenertz.
Cette thèse doit également beaucoup au soutien et à la patience
de ma famille, particulièrement de mon mari et de mes enfants.
AVANT-PROPOS

Les missionnaires dominicains en Orient pendant les deux


derniers siècles du Moyen Age sont mal connus. Cependant leur
histoire est riche de personnalités fortes qui surprirent leurs
contemporains. Andrea della Terza, revenant de la mission de Perse dans son
couvent d'Orvieto, en 1322, étonna ses frères sous son apparence de
prêtre oriental portant une barbe fournie. En 1403, Jean de Sulta-
nieh dut se présenter comme dominicain italien devant la cour du
roi de France car on le prenait pour un Grec avec sa grande barbe
blanche. André Chrysobergès, Grec converti, à l'inverse, devait
donner l'image du grand prélat de l'Italie humaniste, lorsqu'il naviguait
avec sa suite entre Palerme et Nicosie, en 1448. D'autres, dont les
sources taisent la réalité humaine, chercheurs infatigables de textes
dans les bibliothèques des monastères grecs, eurent un rôle aussi
important, tenant leur plume de polémiste dans le scriptorium de
leur couvent.
On ne peut en effet que constater la trop grande discrétion de
l'historiographie dominicaine à propos des missions et "il est
opportun de «réactiver» leur mémoire"1. Certes une abondante littérature
est parue au cours de ce siècle sur les missions dominicaines en
Orient, mais une synthèse manquait, et cette carence faisait
apparaître une trop grande dissymétrie entre la présence franciscaine et
la présence dominicaine. Les historiens appartenant à l'Ordre des
Prêcheurs se sont en effet beaucoup intéressés à l'histoire des
missions d'Orient depuis une soixantaine d'années. Il faut rendre ici un
hommage particulier à l'œuvre du P. Loenertz, composée de très
nombreux articles parus dans YArchivum Fratrum Praedicatorum et
d'une longue dissertation sur la Société des Frères Peregrinante2.
Mais il ne put achever cette entreprise, ainsi que le montrent ses
dossiers de notes conservés aujourd'hui au Saulchoir. Il faut égale-

1 J. Gadille, editorial de Mémoire dominicaine, Fondations et missions, 6,


1995, p. 9-11.
2 Bibliographie de Peter Schreiner dans Miscellanea Loenertz, 1971; le second
volume de La Société des Frères Pérégrinants a été édité dans Archivum Fratrum
Praedicatorum, 45, 1975, p. 107-145; de nombreux articles ont été réédités dans
Byzantina Franco-Graeca, 2 vol., 1978.
XII AVANT-PROPOS

ment citer les ouvrages des P. Kaeppeli et Dondaine, qui portèrent


plus particulièrement leur attention sur la création littéraire des
Dominicains d'Orient3. L'Istituto Storico Domenicano poursuit
actuellement cette œuvre. Le P. E. Panella a travaillé sur l'œuvre de Ric-
coldo de Monte Croce et le P. C. Longo a publié des documents
d'archives sur les Prêcheurs de Chypre de 1451 à 1587. Une synthèse de
ces différents travaux était donc indispensable afin de mettre en
évidence la présence et l'action dominicaines sur l'ensemble des
régions appartenant ou ayant appartenu au domaine byzantin.
Trois provinces dominicaines furent en contact avec les
communautés chrétiennes de rite grec, comme nous le verrons en détail
plus loin, or les sources en provenant sont rares pour ces deux
siècles de la fin du Moyen Age. Ainsi que l'ont dit les P. Loenertz et
Longo, les archives de la province de Grèce sont inexistantes et on
ne sait quasiment rien des couvents de Terre Sainte à l'époque où
celle-ci se réduisit à l'île de Chypre, c'est-à-dire celle qui nous
intéresse4. Quant aux archives de la Société des Frères Pérégrinants,
congrégation regroupant l'ensemble des missions d'Orient, elles
subirent les vicissitudes de la conquête turque et ce qui put en être
sauvé au moment de la prise de Caffa fut transféré au couvent de Lwow,
en Pologne, qui devint le nouveau centre de la congrégation. Les
archives locales ne deviennent abondantes que pour les siècles suivant
le XVe siècle. C'est ainsi que le P. Eszer put faire l'histoire de la
mission de Crimée à partir du XVIe siècle5. Retracer l'action
dominicaine auprès de la Chrétienté grecque, pour les deux derniers siècles
du Moyen Age, nécessite donc de recouper les informations des
sources d'origines les plus diverses. Les archives ecclésiastiques sont
évidemment les plus abondantes et parmi elles, les actes pontificaux
se sont révélés particulièrement riches. Il a fallu avoir également
recours aux informations éparses que donnent les actes du Chapitre
général et les registres de certains Maîtres généraux de l'Ordre,
comme ceux de Maître Raymond de Capoue pour la Société des
Frères Pérégrinants. Les Prêcheurs eurent un rôle important dans
les conciles du XVe siècle où, comme nous le verrons, la question du
Schisme grec était à l'ordre du jour, et les sources conciliaires se

3 Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 4 vol., 1975-


1993, le dernier a été édité par le P. E. Panella; Deux nouveaux ouvrages de
Philippe Incontri de Péra, dans AFP 23, 1953, p. 163-183; A. Dondaine, Le Contra
Graecos, dans AFP 21, 1951, p. 320-446.
4 RJ. Loenertz, Documents pour servir à l'Histoire de la Province
Dominicaine de Grèce (1474-1669), dans AFP 14, 1944, p. 72-115; C. Longo, / Domenicani
a Cipro, AFP 59, 1989, p. 149-211.
5 RJ. Loenertz, Le origini della missione secentesca dei Domenicani in
Crimea, dans AFP 5, 1935, p. 261-288; A. Eszer, dans AFP 37, 38, 39, 41, 42, 1967-
1972.
AVANT-PROPOS XIII

sont avérées précieuses aussi. Mais la consultation des sources


laïques était nécessaire afin, d'une part de pallier l'insuffisance des
archives dominicaines, d'autre part de mettre en évidence les
relations des Prêcheurs avec les populations locales. Les chroniques
chypriotes sont à cet égard pleines d'intérêt, bien que les
Dominicains y soient peu présents. Le recensement des couvents est un
problème plus délicat encore, mais les actes notariés actuellement
publiés et les archives des colonies génoises ont donné des
informations complémentaires. Les données de l'archéologie ne sont pas
négligeables non plus. Enfin, l'une des principales activités des
Prêcheurs d'Orient fut la discussion dogmatique avec les Grecs, et ils
ont laissé une œuvre importante, mais en partie inédite. Une
synthèse sur la littérature polémique des Dominicains de Péra était
donc nécessaire afin de compléter le tableau qu'en avait donné le
P. Dondaine à propos du traité anonyme de 1252.
Dans l'état actuel des sources et de la bibliographie, la place des
Franciscains dans les missions catholiques en Orient est dominante.
L'objectif de ce travail est donc de montrer que cette opinion est à
nuancer fortement. Les Dominicains ont, en effet, occupé une
position plus importante que celle qu'on leur a attribuée jusqu'à présent.
De plus, il est nécessaire de mettre en valeur le rôle qu'ils ont joué
dans la dynamique missionnaire tout au long du XIVe siècle. En
effet, celle-ci ne s'est pas arrêtée avec la première épidémie de peste et
l'arrivée de Tamerlan. De plus, la réunion du concile de Ferrare-
Florence en 1438/39 ne pourrait s'expliquer sans cet élan des
missions dominicaines. Enfin, définissant les moyens spécifiques mis
en place par les instances dirigeantes de l'Ordre, le plus souvent en
corrélation avec la papauté, il s'agit de mettre en évidence l'efficacité
de la prédication et, plus généralement, de l'action dominicaines.
PREMIÈRE PARTIE

LES DOMINICAINS EN ORIENT


AUX XIVe ET XVe SIÈCLES
La prise de Constantinople en 1204 et la mise en place de
l'empire latin permirent l'installation des Chrétiens d'Occident dans le
monde byzantin. Après la reconquête de la Palestine par les
Sarrasins, ces deux événements entrent dans le cadre d'une
contre-offensive des chevaliers francs, qui s'étaient, en 1191, emparés de Chypre.
Comme au moment de la première croisade, cette vaste offensive fut
suivie de la constitution d'états latins, mais dans un domaine
différent, celui de Byzance. Cette appropriation politique permit une
pénétration plus ample, plus profonde des activités marchandes
mais aussi des influences culturelles et religieuses de l'Occident
dans le monde grec.
Ce nouveau cadre politique ouvrit un vaste champ d'action aux
ordres religieux; les Mendiants, dès leur naissance, suivant
Bénédictins et Cisterciens, prirent le chemin de l'Orient dans le but d'étendre
l'obédience de l'Eglise de Rome.
Des rivages de la Crète et du Péloponnèse aux montagnes de
Transcaucasie, les Prêcheurs, missionnaires en Orient, affrontèrent
des situations extrêmement variées. La population des anciennes
provinces byzantines étaient constituées de Grecs mais aussi
d'autres ethnies dans des proportions variables. La défaite de
l'empereur grec avait provoqué l'émiettement politique du bassin
oriental de la Méditerranée. Outre les deux grands ensembles italiens,
Romanie vénitienne et Romanie génoise, de nombreuses principautés
latines s'étaient établies selon des statuts politiques divers :
principauté d'Achaïe, royaume de Chypre, Mahone de Chio, concession
byzantine à une organisation de marchands génois1, par exemple.
L'action des Dominicains dut s'adapter à cette grande diversité de
situations géopolitiques.
Il convient donc, tout d'abord, de donner un état des
installations dominicaines au cours des XIVe et XVe siècles, tenant compte
d'une évolution rendue nécessaire par les avancées sans cesse plus

1 M. Balard, La Romanie génoise, 1, Rome, 1978, p. 124-125, voir également


la note III, 36.
4 LES DOMINICAINS EN ORIENT

pressantes du monde musulman. Puis de montrer, grâce aux lettres


pontificales, les différents aspects de l'action des Prêcheurs selon
leur domaine d'intervention. En effet, cette action dut s'adapter non
seulement au contexte ethnique mais aussi au cadre politique dans
laquelle elle s'exerçait. Face à la question religieuse, les autorités
laïques eurent des attitudes différentes, mais dans quelle mesure
pouvaient-elles permettre le prosélytisme des missionnaires?
CHAPITRE I

LES DOMINICAINS EN ORIENT


TROIS PROVINCES

Si le domaine géographique d'exercice des Prêcheurs évolua


entre les premières fondations de couvents en Orient au XIIIe siècle
et la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, cette évolution se
fit dans le cadre juridique de trois provinces : la province de Grèce,
celle de Terre Sainte et la Société des Frères Peregrinante .

1 - Les provinces de Grèce et de Terre Sainte

Des sources dominicaines du début du XIVe siècle donnent un


état des couvents des Prêcheurs et le cadre institutionnel dans lequel
s'est inscrite la prédication des Dominicains auprès de la chrétienté
grecque au cours des XIVe et XVe siècles2. Pour l'année 1303,
Bernard Gui énumère, en effet, les couvents des différentes provinces
dominicaines, après la création de six nouvelles, mais la Société des
Frères Peregrinante n'y figure pas. Celle-ci avait été constituée vers
1300 afin de développer des missions plus lointaines. Les deux
premières provinces qui furent créées par le chapitre général de Paris
en 12283 ont été la province de Grèce, dans l'empire d'Orient, c'est-à-
dire en Romanie, et la province de Terre Sainte, dont le ressort
s'étendait en Palestine, Syrie et Cilicie, mais aussi sur l'île de Chypre.
La constitution de ces provinces permit la fondation des premiers
couvents.
En Grèce, celui de Constantinople est attesté dès 1233 par Pierre
de Sezana, nonce apostolique envoyé en Orient, qui raconte y avoir
séjourné. Le couvent de Thèbes, en Béotie, fut fondé dans les années
qui suivirent, car Guillaume de Moerbeke y termina sa traduction en
latin du De Historia Animalium d'Aristote en 12594. Bernard Gui in-

2 Bernard Gui O.P., Notitia altera status ordinis, qualis erat anno MCCCIII
post erectionem sex novarum provinciarum ex divisione totidem antiquarum ex
Bernardo Guidonis..., Quétif - Echard, éd., Scriptores Ordinis Praedicatomm, I,
XII; Jourdain Cathala O.P., Mirabïlia descripta, Avignon, 1329, TH. Kaeppeli,
Scrìptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 3, Rome 1980, p. 51-52.
3 A. Walz, Compendium historìae ordinis praedicatorum, Rome, 1948, p. 163.
4 Th. Kaeppeli, SOP MA, 2, op. cit., p. 122, t. 4, p. 103-105.
6 LES DOMINICAINS EN ORIENT

dique donc qu'il y avait six couvents dans la province de Grèce : Cla-
renza, Thèbes et Modon pour la Grèce continentale; Negrepont en
Eubée, Candie et La Canèe pour la Crète. Mais les fondations furent
plus nombreuses et les documents antérieurs ou postérieurs
donnent d'autres noms.
Dans la chronique de Morée, il est dit que Guillaume II de Ville-
hardouin construisit des églises à Andravida, à quelques kilomètres
de Clarenza5. Cette cité était en effet devenue la résidence de l'é-
vêque d'Olena pendant le règne de Geoffroy Ier (1210-1228/30). Parmi
les fondations de Guillaume II de Villehardouin (1246-1278), l'église
Sainte-Sophie, donnée aux Dominicains6, était un vaste bâtiment,
qui servit plus d'une fois de lieu d'assemblée, pendant le règne de ce
prince d'Achaïe7. La nomination de Théodore Chrysobergès OP,
évêque d'Olena, le 10 avril 1418, montre l'importance et la continuité
de la présence des Prêcheurs dans le Nord-Ouest du Péloponnèse au
XVe siècle8. Un document des archives de l'ordre, datant du XVIIe
siècle9, indique également qu'il existait deux petits couvents dans les
îles Ioniennes, à Zante et Céphalonie.
En Crète, ce même document du XVIIe siècle donne les noms de
nombreux établissements dominicains, vraisemblablement filiales
des deux maisons principales. Le couvent Saint-Pierre de Candie fut
fondé au XIIIe siècle. Jacques de Milan, un des premiers Prêcheurs
du couvent de Milan, fut un de ses grands prédicateurs. Il avait reçu
sa vocation de missionnaire en 1244, nous disent ses biographes. Il

5 A. Bon, La Morée franque. Recherches historiques, topographiques et


archéologiques sur la principauté d'Achaïe (1205-1403), Paris, 1969 : «Andravida peut
être regardée comme la capitale de la principauté de Morée, Clarence est le grand
port situé à l'Ouest et Clermont ou Chlémoutsi, la puissante forteresse qui
domine toute la région». Sur l'église des Dominicains et son rôle dans l'histoire de
la Morée, voir t. 1, p. 319 et note 8.
6 B.K. Panagopoulos, Cistercian and Mendicant Monasteries in Medieval
Greece, Chicago, 1979, p. 65-66, selon la version catalane de la chronique de
Morée, Guillaume de Villehardouin aurait fait bâtir trois églises, Sainte-Sophie pour
les Dominicains, Saint-Stéphane pour les Franciscains et Saint-Jacques pour les
Templiers. Mais Walz, dans le Compendium, indique la date de la fondation
(1264) et précise que les documents ultérieurs ne mentionnent plus ce couvent.
7 Version grecque de la Chronique de Morée, 7417/20.
8 G. Fedalto, La Chiesa Latina, op. cit., 2, p. 184; en 1388, un autre
Dominicain, Pierre de Aginerco, avait été nommé sur ce siège, dans l'obédience de
Clément VIL Théodore Chrysobergès était un Constantinopolitain converti, entré
dans l'Ordre des Prêcheurs, voir liste des Dominicains en Orient.
9 En l'absence de sources dominicaines plus anciennes, il convient d'utiliser
un document qui donne un état de la province de Grèce avant la guerre de Crète
(1645-1669), c'est une relation anonyme des Archives de l'Ordre, XIV Lib. M,
p. 271-278, éditée par R.J. Loenertz, Documents pour servir à l'histoire de la
Province dominicaine de Grèce, dans AFP, 14, 1944, II, p. 111-115.
TROIS PROVINCES 7

mourut à Candie et on y vénérait son tombeau10. Les bâtiments de


Saint-Pierre-Martyr avaient été construits près du port et des
fortifications. Ce genre de site est très fréquent pour les couvents des
ordres mendiants, dont la fondation accompagnait le
développement des faubourgs11. Il existait au XVIIe siècle, à Candie, trois
autres couvents dominicains. D'autre part, l'archéologie a révélé, à
Pediada, l'existence d'un couvent dédié à Saint-Georges, filiale de
Saint-Pierre de Candie12. Le document du XVIIe siècle fait état
également de deux couvents à La Canèe, Saint-Nicolas et Sainte-Marie
des Miracles, et d'un autre à Rethymno, Sainte-Marie-Madeleine. Le
premier couvent de La Canèe fut fondé en 1306, comme l'indique
Bernard Gui.
Le premier couvent de Terre Sainte fut celui de Nicosie13, à
Chypre; il fut fondé vers 1226 et précéda de peu la création de cette
province. Il était situé à proximité d'une des portes de l'enceinte de
la ville et lui donna son nom, porte Saint-Dominique.
Le couvent d'Acre en Palestine est attesté dès 1229, des
Prêcheurs accompagnaient le patriarche de Terre Sainte lors de la
signature du traité de paix entre le sultan d'Egypte et l'empereur
Frédéric IL Cette structure permit le déploiement de missions plus
lointaines comme l'atteste Yltinerarìum de Ricoldo de Monte Croce14.
Cependant la victoire remportée par Frédéric II ne permit qu'une
récupération temporaire de Jérusalem, et après la prise de Saint Jean
d'Acre, par le sultan Al Aschraf, en 1291, la province de Terre Sainte
ne comprenait plus que les couvents de Chypre, de même que le
patriarche latin de cette province résidait désormais à Nicosie, comme
certains évêques dont les sièges sont dits dans les sources «m parti-
bus inßdelium»i5. La province de Terre Sainte s'était donc trouvée
réduite au royaume de Chypre après la destruction des couvents de
Tripoli et Acre. Plusieurs recommandations du chapitre général en

10 RJ. Loenertz, Notes biographiques, dans AFP 8, 1938, p. 274-284;


Documents pour servir à l'histoire de la Province dominicaine de Grèce, dans AFP, 14,
1944, p. 72-115.
11 B.K. Panagopoulos, Cistercian and Mendicant Monasteries in Medieval
Greece, op. cit., p. 87.
12 Ibid., p. 9-10.
13 A. Walz, Compendium historiae ordinis praedicatorum, Rome, 1948, p. 165.
14 Th. Kaeppeli, SOP MA, op. cit., 3, p. 308-310; 4, p. 262-265.
15 Trois évêques de Terre Sainte étaient résidents à Chypre : Tortosa, Tarse et
Hebron. Le titulaire du siège de Tortosa était résident à Famagouste. Ce siège fut
recréé avant 1412, Martin V y nomma Salomon Cardus O.P., en 1420, qui mourut
en 1451. Il était sans doute originaire de Chypre. W. Rudt de Collenberg, Le
royaume et l'Eglise latine de Chypre et la papauté de 1417 à 1471, d'après les archives
du Vatican, Nicosie, 1988, p. 106, p. 112.
8 LES DOMINICAINS EN ORIENT

faveur de nouvelles fondations en Cilicie et à Rhodes ne furent pas


suivies d'effet16.
Les Prêcheurs s'étaient installés dans trois villes de Chypre :
Nicosie, Famagouste et Limassol selon le recensement de Bernard Gui.
Ce dernier indique, en effet, que celui de Nicosie fut le premier, mais
que les deux derniers existaient déjà avant 1300. Il s'y trouvait en
effet des frères, qui en préparaient la fondation. Il semble que les
Dominicains aient possédé deux autres couvents, Saint-Epiphane, à
Vavla, dans le district de Larnaka, et Saint-Nicolas de Garrades17. Ils
constituaient ainsi, dans le royaume des Lusignan, la communauté
religieuse la plus puissante et la plus opulente18. Les Dominicains
occupaient en effet une place particulière à Chypre, où ils jouissaient
de la faveur princière. Le couvent de Nicosie avait été fondé par la
comtesse Alix d'Ibelin après 1226. Attenant au palais des Lusignan, il
était la nécropole de la famille royale comme l'attestent les
chroniques chypriotes19. Les Prêcheurs de Nicosie appartinrent à la
sphère du pouvoir, tout au long des XIVe et XVe siècles, comme nous
le verrons plus loin. Mais cette position privilégiée ne leur permit
cependant pas de jouer un rôle important auprès des populations de
l'île en raison de la politique religieuse des Lusignan.

2 - La Société des Frères Pérégrinants

C'est dans le cadre de la Société des Frères Pérégrinants que


l'Ordre des Prêcheurs connut son expansion la plus impressionnante
et la plus durable. Cette structure a le plus souvent bénéficié d'une

16 Walz, Compendium historiae ordinis praedicatorum, op. cit., p. 166.


17 W.H. Rudt de Collenberg, Les cardinaux de Chypre : Hugues et Lancelot de
Lusignan, dans Archivum Historiae Pontificiae, 20, 1982, p. 83-128. Le Père G. Go-
lubovitch, d'après Stéphane de Lusignan O.P., Chronografia e breve Historìa
universale dell'isola de Cipro, écrivait en 1921 : «Dopo la caduta di Acri, come si è
detto, la provincia domenicana di Terra Santa si riconcentrava nei conventi di Cipro.
Fr. Stefano di Lusignano ricorda cinque località domenicane nell'isola : il grande
convento della capitale Nicosia, quello di Famagosta, l'altro di Limassol, S. Epifa-
nio nel casale Vaula e S. Nicolo di Garrades. Il convento di Nicosia era attiguo al
magnifico palazzo reale, dal quale un ponte a galleria i reali passavano nel
convento. Nella magnifica chiesa vi erano le sepolture de' Re di Cipro, da Ugo II morto nel
1267 a Elena Paleologo, morta nel 1458»., San Domenico nell'apostolato de' suoi
figli in Oriente, in Miscellanea Dominicana, Rome, 1923, p. 206-221.
18 J. Hackett, A History of the Orthodox Church of Cyprus, Londres, 1901,
chap. X, The Latin Church, p. 522 sq.
19 Chronique de Makhairas, Recital concerning the Sweet Land of Cyprus
entitled «chronicle», éd. R.M. Dawkins, Oxford, 1932, Henri II, paragraphe n° 63,
Hugues
n° 627, laIV,
reine
n° 86,
Charlotte,
le prince
n° d'Antioche
648, Janus, (régent
n° 704, de
la reine
PierreMedea,
II), n° n°554,
708,Jacques
Jean II Ier,
et
son épouse Hélène Paléologine, n° 712-713.
TROIS PROVINCES 9

grande souplesse d'organisation et d'une autonomie suffisante, qui


lui permit de s'adapter aux nécessités de sa mission et aux
vicissitudes d'une conjoncture politique et militaire toujours difficile parce
que mouvante. Son instauration coïncide justement avec une
période de tension pour les communautés latines de Byzance.
La conquête de Constantinople par Michel VIII Paléologue, en
1261, provoqua sans doute l'exil des Prêcheurs et leur repli sur Nè-
grepont. Le nouveau couvent, fondé par Guillaume Bernard de Gail-
lac en 1299, fut éphémère. Le début du règne d'Andronic II connut
une réaction antilatine assez forte qui provoqua l'expulsion des
Dominicains du couvent de Constantinople, en 1307. Les Franciscains
durent également partir, le nouvel empereur ne tolérant plus
désormais, dans la capitale, la présence des ordres mendiants20,
propagandistes très zélés de la religion catholique. Cette réaction était la
conséquence de la politique de rapprochement avec l'Occident
menée par son père, Michel VIII Paléologue, qui avait permis la
réunion des Eglises grecque et romaine au concile de Lyon en 1274.
Cette politique religieuse n'avait jamais été acceptée par la
population de l'empire et Andronic II, pourtant co-signataire de l'union,
s'empressa d'y mettre fin dès son avènement.
En l'absence d'inventaires comparables à ceux des couvents
franciscains, il est difficile de dresser un tableau complet des
missions dominicaines en Orient. La seule liste, qui puisse être utilisée,
est celle de Bernard Gui. Mais la congrégation de la Société des
Frères des Peregrinante, fondée vers 1300, était trop récente pour
figurer dans ce document. Il est donc nécessaire de recourir à d'autres
sources, celles de l'Ordre et les lettres pontificales, surtout. Mais
celles-ci ne donnent sans doute que les couvents les plus importants.

a) Les couvents de Péra


Au cours du XIVe siècle, les missions dominicaines d'Orient
connurent un élan sans précédent.
Les résidences dominicaines regroupées à partir de 1300 dans la
Société des Peregrinante se sont généralement installées dans les
colonies génoises, le schéma d'ensemble de cette congrégation
épousant celui de l'empire commercial de la république ligure et évoluant
avec lui. Les Génois s'installèrent à Péra en 1267, grâce à la
concession, faite par Michel VIII Paléologue, d'un faubourg en face de
Constantinople, de l'autre côté de la Corne d'Or. Cet espace, resserré
entre la mer et une colline, n'offrait que peu de possibilité
d'extension et Péra demeura un gros bourg génois jusqu'à sa conquête
par les Turcs en 1453, en même temps que la capitale byzantine. Sa

R.J. Loenertz, La Société, op. cit., I, p. 47.


1
10 LES DOMINICAINS EN ORIENT

population atteignit au maximum 7 000 habitants au XVe siècle.


Mais son rôle sur les plans économique, politique et religieux était
bien plus important que ne le laisse supposer sa faible capacité
d'habitat. Située sur le détroit, ce comptoir commercial contrôlait le
trafic entre la Méditerranée et la Mer Noire. Les immigrants ne s'y
installaient que temporairement, attirés soit par Constantinople, soit
par les autres comptoirs génois de la Mer Noire. Péra constitua une
sorte de tremplin pour beaucoup d'Occidentaux en route pour
l'Orient. Ceci vaut autant pour les marchands que pour les
missionnaires et nous retrouverons très souvent le couvent des Prêcheurs de
Péra dans ce rôle d'étape entre la curie et l'Orient, d'où son
importance dans l'histoire de la Société des Peregrinante.
Le Frère Guillaume Bernard de Gaillac fonda trois
établissements de l'ordre des Prêcheurs à Péra-Constantinople, en 1299 : une
résidence21, dans la capitale même, et à Péra, deux couvents, un pour
les frères et le second pour les sœurs. Cet ensemble constitua le
premier noyau de la congrégation des Peregrinante . Péra occupait une
position de premier ordre dans le domaine génois comme dans
l'organisation des missions en Orient. Face à la capitale byzantine, lieu
du pouvoir politique et religieux, c'était le point de contact des deux
mondes, la tête de pont du catholicisme, le point d'appui de l'Eglise
latine, face au monde slave et tartare. Dans cette enclave de
l'Occident, enserrée dans son rempart, on pouvait compter pendant la
période byzantine une quinzaine de sanctuaires latins22. La présence
dominicaine y était importante, non seulement en raison des deux
couvents, mentionnés plus haut, mais aussi de l'activité des
Prêcheurs auprès de la communauté latine de Péra, dans le cadre de la
Société des Peregrinante, comme dans les relations avec les
autorités grecques.
L'église Saint-Dominique, désignée aussi sous le vocable Saint-
Paul, était le plus grand des sanctuaires latins de Péra.
Saint-Dominique-Saint-Paul comprenait une église et un cloître. Cette église
connut deux phases de construction, l'une pendant la première
moitié du XIIIe siècle, la seconde au début du XIVe siècle. Celle-ci
remonterait donc à l'époque de la fondation du couvent, qui aurait
bénéficié du don d'une ancienne église latine23. Les Prêcheurs desser-

21 Cette maison dominicaine ne fut jamais un couvent et fut supprimée avant


1317, sans doute en 1307 par l'empereur Andronic II. RJ. Loenertz, ibid., loc. cit.
22 R. Janin, La Géographie ecclésiastique de l'empire byzantin, Paris 1953, 3,
Constantinople, les églises et les monastères, p. 582-601.
23 S. Dull, Les monuments des Génois en Turquie et leurs rapports avec By-
zance, dans Etat et colonisation au Moyen Age (colloque des 2-4 avril 1987), dir.
M. Balard, Lyon, 1989, p. 113-128. L'église des Dominicains de Péra fut
transformée en mosquée en 1475 et prit le nom d'Arap Camii.
TROIS PROVINCES 11

vaient aussi, très régulièrement, d'autres lieux de culte. L'église de


Saint-Michel, considérée comme la cathédrale des Génois, était
dirigée par un Dominicain, qui, au XIVe siècle, portait le titre de vicaire
de l'archevêque de Gênes24. Celle de Saint-Antoine, à laquelle était
attaché un hospice, était théoriquement desservie soit par un
Franciscain, soit par un Prêcheur, mais le second cas fut le plus fréquent,
pendant la période de domination génoise. On remarquera encore le
lien privilégié entre Gênes et l'ordre de Saint Dominique.
Le Studium de Péra joua d'autre part un rôle majeur dans la
formation des missionnaires, avant leur départ pour des résidences
plus lointaines, mais aussi dans celle des théologiens, qui
précisèrent la doctrine catholique par rapport aux positions de l'Eglise
grecque; ceux-ci furent très souvent appelés au palais impérial, tout
proche, pour discuter avec les autorités orthodoxes, ainsi qu'il sera
largement développé plus loin. Ce double rôle des Prêcheurs de Péra
illustre bien celui de l'ensemble des Frères de l'ordre en Orient : il
s'agit non seulement d'assurer la direction spirituelle des
communautés latines dispersées sur les routes commerciales, mais aussi de
ramener dans l'obédience de Rome les Chrétiens séparés, voire d'é-
vangéliser les peuples des steppes lointaines.
Mais au même moment naissaient deux pôles importants pour
les missions dominicaines en Orient.

b) Les pôles opposés de Mare Majus, Caffa et Trébizonde

Autour de 1299, et de la création de la pièce maîtresse de la


Société des Peregrinante, se situent deux fondations importantes pour
le développement des missions dominicaines en Orient, le couvent
de Caffa par Franco de Pérouse (1298) et le couvent de Trébizonde
par Andrea della Terza (1315). Le choix de deux ports de la Mer
Noire, promis à un grand essor, comme sites des deux nouveaux
pôles missionnaires, est caractéristique de toute l'histoire de la
Société des Frères Peregrinante. Ils forment avec les couvents de Péra,
les trois sommets du triangle qui structurait l'empire colonial
génois.

24 C'est ainsi que Guillaume de Lagneto, vicaire des Prêcheurs de Péra, signe
en 1335 une transcription du chrysobulle d'Andronic III à la commune de Péra :
«Rector ecclesiae sancii Michaelis de Peyra et vicarìus in eodem loco domini archi-
episcopi Ianuensis», Historiae Patriae Monumenta Vili, Liber Iurium rei publicae
Genuensis, II, Turin, 1857, p. 437, cité par R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit.,
p. 44, p. 61.
12 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Les Génois commencèrent à s'installer à Caffa dans les années


1270-1275. Située sur le littoral de Crimée, la ville occupait une
position-clé dans le commerce occidental de la Mer Noire. Son territoire
était largement ouvert sur les steppes, et ne souffrait pas du manque
d'espace qui gênait la croissance de Péra. Caffa prétendit donc
rapidement au rôle de capitale avec plusieurs dizaines de milliers
d'habitants, au moment de sa plus grande prospérité, à la fin du XIVe
siècle25. La colonie génoise devint le siège d'un diocèse latin en 1318.
Caffa était le point de départ de l'envolée missionnaire et de la
diaspora des Mendiants vers l'Inde et la Chine jusqu'au milieu du XIVe
siècle26.
Ce qui est étonnant c'est l'incapacité de Caffa, qui prétendait à
être la capitale du dominium génois en Mer Noire, à prendre la tête
de la hiérarchie latine dans cette région27. Avec ses 70 000 habitants
environ, la ville comptait une quarantaine d'églises latines28. Le
nombre des établissements des Prêcheurs augmenta. Au début du
XIVe siècle, il y avait un couvent; un siècle plus tard, avec
l'émigration arménienne, on pouvait compter trois maisons dominicaines :
le couvent Saint-Dominique, le plus ancien, le sanctuaire Notre-
Dame de la Couronne, et Sainte-Catherine infra Burgos29. L'église
Notre-Dame de la couronne fut fondée avant 1339, date à laquelle
Benoît XII accorde des indulgences aux visiteurs de ce sanctuaire.
Les archives pontificales évoquent plusieurs fois cette église : en
effet une lettre de Grégoire XI concède le sanctuaire pour trente ans et
plus aux frères du couvent de Caffa. Le texte indique que le
fondateur en fut Arabiet, un Arménien converti, frère de ce couvent.
L'église fut construite à ses frais, elle était située hors les murs30. Mal

25 En 1475, le marchand florentin Benedetto Dei évaluait la population de


Caffa à 70 000 habitants, mais ce chiffre est sans doute exagéré en raison de la
crise économique qui sévissait depuis la prise de Constantinople par les Turcs.
M. Balard pense qu'il est plus raisonnable de donner un chiffre d'environ 10 000
habitants, pour les dernières années de la colonie génoise. Pour l'établissement
de ce chiffre voir M. Balard, Les Orientaux à Caffa au XVe siècle, dans
Byzantinische Forschungen, 11, 1987, p. 223-238.
26 G. Pistarino, / Gin dell'Oltremare, IV : Due secoli tra Pera e Caffa, Gênes,
1988, p. 199-228.
27 A l'époque où le siège de Caffa était occupé par Jérôme de Gênes O.P. (vers
1404, G. Fedalto, La Chiesa latina, 2, p. 62), Gênes essaya de faire de cette cité la
métropole catholique de l'Orient, R.A. Vigna, / Vescovi domenicani liguri, Gênes,
1887, p. 97. Une autre tentative eut lieu en 1431, lors d'une réorganisation de la
hiérarchie catholique dans la région.
28 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982, p. 384; Les sources pontificales nous donnent le nom d'une
dizaine d'entre elles, R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., index, p. 202.
29 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 95-96.
30CICO, XII, n° 221 : 13 avril 1377, ...«Sane, pro parte dilectorum filiorum
Prioris et Conventus loci Fratrum Praedicatorum Caphen. petitio Nobis exhibita
TROIS PROVINCES 13

protégée, elle fut trois fois détruite par les «Sarrasins» comme
l'indique une lettre de Boniface IX, datée du 12 décembre 1389,
accordant des indulgences à ceux qui contribueront à sa reconstruction.
L'église Sainte-Catherine, avec la maison annexe, était, si l'on se
réfère aux actes de Raymond de Capoue, une dépendance du couvent
de Caffa. Il faut ajouter les trois maisons des Frères Uniteurs
d'Arménie31 : Saint-Nicolas, Saint-Pierre-et-Paul et Saint- Jacques-Hors-
les-murs. Saint-Nicolas, le couvent principal, apparaît dans les actes
du maître général Raymond de Capoue en 1389. La même année, le
13 décembre, Boniface IX accorde des indulgences aux visiteurs de
Saint-Pierre-et-Saint-Paul32. La coïncidence des dates montre que le
pape répondait à des suppliques adressées par les Dominicains de
Caffa et peut laisser supposer que l'installation des Frères Uniteurs à
Caffa était bien antérieure, puisqu'ils possédaient déjà deux maisons
en 1389.
Trébizonde était le troisième pôle du commerce génois du Mare
Majus, selon l'expression couramment utilisée et dans les sources
génoises et dans les archives pontificales pour désigner la Mer Noire
à cette époque, montrant ainsi son importance pour les
Occidentaux. Sur la rive méridionale, la colonie génoise disposait de
conditions tout à fait différentes. Il ne pouvait être question d'une
situation de monopole, Trébizonde étant la capitale de l'empire des
Grands Comnène et les Génois ne bénéficiant que d'une concession
territoriale, de même que les marchands vénitiens. Les marchands
ligures s'installèrent à la même époque à Trébizonde et à Caffa. La
présence d'un consul est en effet attestée en 1290 et la loggia des
marchands en 1302. L'empereur Alexis II leur concéda officiellement
un terrain, au lieu dit «Leontocastro» dans les premières années du
XIVe siècle33. Le couvent des Prêcheurs fut fondé par un frère du
couvent d'Orvieto, André della Terza, après son arrivée en Orient en
131534. Il succéda à Franco de Pérouse à la tête de la Société des

continebat, quod olim dilectus filius Arabiet, frater dicti conventus, antequam idem
frater ad fidem catholicam, relictis haeresi et erroribus Graecorum schismaticorum,
ex quibus orìginem duxit, accederei, quamdam ecclesiam de bonis suis sub vocabu-
lo Beatae Mariae Virginis, ad unum miliare ve/ circiter extra muros Caphen., funda-
vit et construi fecit...». Ce texte complète la documentation du Père Loenertz.
L'éditeur du document, A. Tautu, déduit sa nationalité de son nom, Arabiet (Gara-
bied), mais on notera que le texte dit qu'il a abandonné les erreurs des Grecs et ne
parle pas du schisme arménien (note 2, p. 429).
31 La congrégation des Frères Uniteurs d'Arménie fut fondée dans les années
1330-1340. Elle était très liée à l'ordre de Saint Dominique comme nous le
verrons plus loin.
32 RJ. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 105-106.
33 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982, p. 390-392.
34 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 98.
14 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Frères Peregrinante, dont il fut nommé vicaire général


vraisemblablement en 1322.

c) La mer Egée orientale, sous influence génoise : Chios, Lesbos et les


Deux-Phocées
En dehors de Péra et des couvents de la Mer Noire, à Caffa et à
Trébizonde, Chios, île proche de la côte anatolienne, dans la zone
d'influence génoise constituait un autre point d'appui pour la
Société des Frères Peregrinante . Il est difficile de donner la date de la
fondation du principal couvent de Chios faute de document, mais il
convient de la situer pendant la période du gouvernement des Zac-
caria, entre 1304 et 132735. A ce couvent étaient reliées des
résidences ou des filiales, dont les sources ne permettent pas toujours
de préciser le statut. En effet, s'ils ne sont pas plus explicites, les
actes notariés permettent de compléter les sources d'origine
ecclésiastique et les chroniques dans l'établissement d'une liste des
sanctuaires latins en Orient parce qu'ils contiennent des legs en faveur
des religieux ou des églises, ou encore parce que certains de ces
actes étaient signés dans des édifices sacrés.
Ainsi, à Chios, trouvait-on plusieurs maisons dominicaines. Il
semble que les Prêcheurs aient constitué la plus importante des
congrégations religieuses de l'île36. Il est fort vraisemblable qu'au
milieu du XVe siècle il y ait eu deux couvents, Saint-Dominique et
Sainte-Marie, auxquels il faut adjoindre des chapelles ou maisons
secondaires. En effet, le couvent Saint-Dominique est attesté dans
des actes du notaire Tommaso de Recco de 1451, 1456 et 145737 : le
vicaire et prieur en est Constantin de Chios dans le premier, les deux
autres actes sont des legs testamentaires. En 1449, sous l'impulsion
de Thomas de Gubbio, vicaire général de la Société des Pérégri-
nants, des travaux d'agrandissement sont effectués dans le couvent
Sainte-Marie38. Il était situé au cœur de la ville même, dans le cas-
trum, d'où son nom, Sainte-Marie de Castro. Il faut donc conclure,
grâce à ces actes notariés, à l'existence de deux couvents,
contrairement à l'opinion du P. Loenertz, qui penchait plutôt pour un
changement de vocable39. Il y avait quatre églises dans l'enceinte fortifiée

35 R.J. Loenertz, ibid, p. 49.


36 Ph. Argenti, Religious Minorities of Chios, Cambridge, 1970, p. 218.
37 Ph. Argenti, The Occupation of Chios by the Genoese (1346-1566), 3,
documents n° 651, 748, 768.
38 Ph.P. Argenti, ibid., doc. n° 59, ex Atti del notaio Thommaso de Recco,
1449-1454.
39R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 54-55. Les actes notariés portent à
la même époque les noms de Sainte-Marie et de Saint-Dominique. Il apparaît
donc clairement qu'il y avait deux maisons dominicaines dans la ville de Chios.
TROIS PROVINCES 15

de Chios, et Sainte-Marie, qui appartenait à ce couvent, était la plus


vaste; elle abritait la confrérie des maonesi de Chios, dont la
direction spirituelle était assurée par les Prêcheurs40. Ceux-ci disposaient
également de cinq autres établissements : l'Incoronata,
Saint-Sébastien, Saint-Nicolas, Saint-Onuphre et Saint-Thomas Apôtre41.
Panagia Incoronata était une maison secondaire, mais les
données de l'archéologie en ont fait un exemple intéressant
d'établissement dominicain en Orient42. C'était une petite église à une nef,
prolongée par un chœur de forme carrée et comportant deux niveaux.
La partie la mieux conservée révèle l'existence de baies en plein
cintre. Elle était entourée de bâtiments annexes, un cloître en
particulier. Son style parfaitement occidental prouve qu'il ne s'agit pas de
la transformation d'un sanctuaire grec concédé aux catholiques43. Sa
fondation peut être située entre 1410 et 1422. Elle fut détruite en
1650, selon un document des archives pontificales. Panagia
Incoronata avait été fondée dans un domaine grec44, sur la route qui relie
Kariès au célèbre monastère grec de Nea Moni. De petites
dimensions, cette maison dominicaine n'a jamais accueilli une
communauté nombreuse, mais les registres généralices montrent une
occupation continue pendant tout le XVe siècle45, et les sources du
XVIIe siècle attestent son prolongement jusqu'au moins 169446. Cet
exemple d'établissement dominicain à Chios est intéressant à plus
d'un titre. Il montre d'une part un couvent installé à la campagne,

Sainte-Marie était l'église de la confraternité des «flagellants», qui réunissait les


Mahonais. La Mahone était la société regroupant les marchands génois. Elle
avait reçu de Jean VI Cantacuzène la concession de l'île contre un tribut, en 1347,
M. Balard, La Romanie génoise, Rome, 1978, t. 1, p. 124-125; voir aussi la note
244.
40Ph.P. Argenti, The Occupation of Chios, 1, op. cit., p. 555-557.
41 RJ. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 54-55. Il faut ajouter à la liste du
Père Loenertz le couvent Saint-Sébastien, dans les faubourgs; Saint-Thomas était
situé dans le castrum, A. Eszer, Ein Reform Versuch in Dominikanerkonvent
S. Sebastiano auf Chios (1628-1629), p. 295-365, dans AFP, 46, 1976, voir en
particulier p. 297.
42 Ch. Bouras, Panagia i Kourna, une église des Dominicains de l'île de Chios,
dans Chiika Chrontka, t.Z', 1975.
43 Les Dominicains avaient reçu, au moment de leur réinstallation à Chios, la
concession de l'église grecque, Panagia Eleusia, RJ. Loenertz, La Société, 1,
op. cit., p. 49-50.
44 E. Sarou, Peri Meichton Naon Orthodoxon Kai Katholikon en Chio, dans
EEBS, 19, 1949, p. 193-208. Le domaine appartenait à la famille Damalas, qui y
tolérait le culte latin.
45 RJ. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 54-55.
46 M. Giustiniani, Scio Sacra del Rito Latino, Avellino, 1658, p. 22-23; Pier
Antonio Pacifico, Historìografia dell'isola e città di Scio, Venise, 1694, p. 30; Dis-
tintissima Descrizione di Scio, Modène, 1694, p. 72.
16 LES DOMINICAINS EN ORIENT

ermitage en plein pays grec. D'autre part, c'est une fondation du


début du XVe siècle qui manifeste le dynamisme de la Société des
Frères Peregrinante. Momentanément rattachés à la province de
Grèce entre 1352 et 1375, les Dominicains de Chios furent réintégrés
à la congrégation au moment de sa restauration par Grégoire XI. Le
vicaire général, Fr. Elie Petit, résida à Chios à la fin des années 1390.
Sa présence s'avéra importante pour le développement de la
communauté, car sa renommée arriva jusqu'à Constantinople.
Manuel Calécas manifesta en effet le désir de se joindre à elle au
moment où il prit la décision de revêtir l'habit des Dominicains47. Ce
dynamisme et cette popularité des Prêcheurs de Chios portait
ombrage à l'évêque Leonardo Pallavicini, car le podestat Grégoire Gius-
tiniani-Longo et les Mahonais préféraient fréquenter leurs offices.
Martin V dut intervenir en 1425-1426 en leur faveur. Il est vrai que ce
succès des frères leur rapportait aumônes et legs, ce qui
mécontentait l'évêque.
Dans la mouvance des couvents de Chios, dans le domaine de la
famille des Gattilusi, se trouvaient d'autres résidences dominicaines.
Sur l'île de Lesbos, les Prêcheurs avaient à Mitylène un couvent
important, dédié à Saint-Georges et la chapelle Saint- Jean48, desservie
par un important théologien, grec converti, Manuel Calécas O.P.
(c'est là qu'il mourut en 1410). L'église des Prêcheurs de Mitylène
était la nécropole des Gattilusi tout comme celle de Nicosie, pour les
Lusignan. Les Deux-Phocées, sur la côte anatolienne, avaient aussi
leur résidence dominicaine, attestée par le même acte du maître
général, Raymond de Capoue, conférant la juridiction de ces
établissements, ainsi que ceux de Chios, à Frère Elie Petit, ex vicaire général
de la Société des Peregrinante, en 139649.
La Société des Frères Peregrinante avait été constituée non
seulement pour donner un cadre réglementaire aux missions, alors en
plein essor en Orient, mais aussi pour en assurer le développement.

47 R.J. Loenertz, La correspondance de Manuel Calécas, dans Studi e Testi,


152, Rome, 1950, p. 43-45.
48 Le P. Loenertz s'interrogeait sur l'appartenance de la chapelle Saint- Jean à
l'ordre de Saint-Dominique, un document notarié ôte toute hésitation. Léonard,
archevêque de Mitylène, prit une sanction disciplinaire contre un frère : «...ita
tarnen quod teneatur et debeat stare dìebus triginta, loco carcerìs, in eclexia Sancii
Georgii de Metellino et per totum claustrum et in coffinis diete eclexie circumdatus,
quibus diebus etiam debeat ferre septem salmos, quincuples in die, sub pena ... Ac-
tum Mitilleni, in claustro eclexie Sancii Iohannis Evangeliste, anno dominice Nati-
vitatis MCCCCLVII, indie tione quarta, die sabati prima octubris...», A. Roccata-
gliata, Notai genovesi ... Pera e Mitilena, II, in Collana storica di Fonti e Studi, dir.
G. Pistarino, 34, 2, Gênes, 1982, n° 51.
49 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 55-56.
TROIS PROVINCES 17

Ainsi purent-elles essaimer dans plusieurs directions, suivant les


fluctuations de l'empire colonial génois : vers l'Est, avec
l'organisation de la mission de Perse, puis, après un recentrage sur la Mer
Noire, vers l'Ouest, avec l'essor de la mission d'Europe centrale, sur
la route danubienne.

d) La mission de Perse
Trois sources du début du XIVe siècle nous donnent un état des
missions en Orient au moment de la naissance de la Société des
Frères Pérégrinants. Le De Loch Fratrum Minorum et Predicatorum
in Tartarici50 est un document établi par un Franciscain avant 1318,
puisque la métropole de Sultanieh n'y figure pas. L'autre source
dominicaine, les Mirabilia descritta, fut rédigée par Jourdain Cathala
O.P. et décrit la mission de Perse en 132851. Il faut ajouter le
témoignage du chroniqueur franciscain Jean Elemosina52. Alors que la
Société n'était pas encore constituée, il existait plusieurs couvents
dominicains dans une région comprenant la Grande Arménie, le
Caucase et la partie orientale du plateau anatolien. Les Prêcheurs s'y
étaient installés au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle.
Trois villes d'Azerbaïdjan étaient stations missionnaires. Tabriz
avait en 1290 une mission franciscaine et une mission dominicaine,
comme l'atteste le chroniqueur franciscain Jean Elemosina53. Ma-
raghah, un peu plus au Sud, près du lac Urmia, longtemps résidence
de l'Il-Khan de Perse, avait aussi son couvent, comme l'atteste le De
Locis. Les Dominicains étaient en bons termes avec le patriarche de
l'Eglise nestorienne Mar Yahballahah III : Ricoldo de Montecroce
eut la permission de prêcher dans l'église de Bagdad et c'est un
Dominicain, Jacques, de la province de Provence, qui l'informa de
l'élection du nouveau pape, le Prêcheur Benoît XI, en 130454. Entre ces
deux cités, Dehikerkan avait son couvent dominicain55. Plus à
l'Ouest, en Arménie mineure, Siwas n'est pas mentionnée comme
station missionnaire dans le De Locis, mais une maison des
Prêcheurs y est attestée en 128956. Sur le versant Nord du Caucase, le
couvent de Tiflis est attesté par les relations de voyage de Simon de
Saint-Quentin (1247) et de Guillaume Rubrouck (1257)57.

51 R.J.
50 G. Golubovitch,
Loenertz, Leéd.,
développement
2, p. 72. territorial de la Société des Pérégrinants,
dans AFP, 2, 1932, p. 75.
52 R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 152, 153, 155.
53 R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 153.
54 Ibid., p. 160-161.
55 Ibid., p. 163-164.
56 Ibid., p. 173.
57 Ibid., p. 137, note 7. M. Tamarati cite aussi Vincent de Beauvais, Spe-
18 LES DOMINICAINS EN ORIENT

L'organisation, par le pape, de la province de Sultanieh, avec


son siège métropolitain en 1318, comme antérieurement la création
de la Société des Frères Pérégrinants, par le chapitre général, paraît
être la structure réglementaire, donnée à posteriori, d'un fait
préexistant : un réseau de stations missionnaires58.
Les Prêcheurs, missionnaires en Orient, n'ont pas donné suite
aux recommandations des chapitres généraux, qui souhaitaient la
création de couvents à Rhodes et en Petite Arm ; nie afin de
reconstituer une province de Terre Sainte plus étoffée. En revanche, ils ont
développé leur implantation, plus au Nord, vers la Mer Noire, et plus
à l'Est, vers la Grande Arménie, poussant sur les routes de
l'Extrême-Orient, route des steppes et route de la soie. Ce dispositif était
sans doute beaucoup mieux adapté au contexte politique et
commercial contemporain. Dans quelle mesure était-il le résultat
d'initiatives locales, de la part des missionnaires sur le terrain, ou
d'un plan concerté? Plusieurs rapports avaient été rédigés par des
Prêcheurs montrant l'efficacité de leur action et la nécessité de son
développement : l'Itinerarium de Ricoldo de Montecroce, le De Mira-
bilia de Jourdain Cathala, déjà cités, le Directorium ad Passagium de
Raymond Etienne ou encore le De Sarracenos extirpando, que
Guillaume Adam avait ramené d'un voyage de la Perse à l'Ethiopie (1312-
1317). Les instructions du maître général Bérenger de Landorre en
1312 et les dispositions de Jean XXII en 1318, montrent que ces
rapports ont été lus et que les autorités ecclésiastiques en ont tenu
compte. Guillaume Adam est à la curie en 1318, et il faut considérer
la création de la province de Sultanieh comme la conséquence
directe de son intervention auprès du Saint Siège. Nous verrons, en
effet, plus loin combien les Dominicains ont eu d'influence sur la
politique pontificale en Orient. L'organisation des missions, le choix de
l'aire géographique est en même temps le résultat de l'œuvre des
missionnaires sur le terrain et de la réflexion de quelques-uns. Ces
derniers ont su faire valoir leur projet auprès du pape et du maître
général de l'Ordre; ils ont pu obtenir les moyens nécessaires à
l'efficacité de leur action.
La province métropolitaine de Sultanieh a donc été créée en
1318, et une série de bulles en organise le fonctionnement, en déter-

culum historìale, II, lib.XXXI, c. 42, col. 1300 : «Frater Guichard Cremonensis
sciens mores et consuetudines Tartarorum, quas a Georgianis didicerat, inter quos
edam in eorum civitate Tripolis, in domo fratrum per annos 7 conversatus fuerat».,
L'Eglise géorgienne des origines à nos jours, Rome, 1910, p. 430, note 2.
58 Sur le ressort respectif des missions dominicaines et franciscaines, G. Go-
lubovitch, Historia Missionum FF. Praedicatorum, La Gerarchla Domenicana e
Francescana negli Imperi Tartari del'Asia (1307-1318), Florence, 1917.
TROIS PROVINCES 19

mine le territoire. Sultanieh, située un peu au Sud de la Mer


Caspienne, était la capitale d'un khanat mongol, fondée par les Il-khans,
pour être la capitale de l'empire mongol de Perse. Dans la bulle Re-
demptor Noster, du 1er avril 1318, le ressort de la métropole de
Sultanieh est ainsi défini : «les pays soumis à l'empereur des Tartares de
Perse, aux princes Qaïdu et Duwa, aux rois d'Ethiopie et des Indes...
à partir du mont Barrarius et au-delà vers l'Orient.»59. Cette
définition répond à deux problèmes, empêcher la concurrence avec les
missions franciscaines de Chine, et permettre le développement des
missions dominicaines en Inde, dont Jourdain Cathala avait montré
le chemin, organiser donc le partage de l'Orient entre les deux
Ordres mendiants, si actifs dans cette région du monde. Il semble
que la définition territoriale des deux archevêchés ait été négociée
entre les deux ordres60. En effet la limite des deux provinces était le
mont Barrarius, dans la partie occidentale du Caucase, et il n'y avait
théoriquement pas d'empiétement avec l'archevêché franciscain de
Tartarie, dont la métropole était Khanbaliq. Le Djagataï, sur la route
des steppes, était le seul point litigieux. En réalité des différends
bien plus graves surgiront entre les deux ordres, comme nous le
verront plus loin.
En effet, comme la métropole de Khambaliq semble avoir été
réservée aux Franciscains, la création de celle de Sultanieh se fit à
la demande des Prêcheurs, et pour eux. La bulle du pape associa à
la création du siège métropolitain la présence d'un couvent
dominicain. Les registres pontificaux montrent que tous les archevêques
de Sultanieh furent des Prêcheurs. La bulle Grattas agimus du 1er
mai 1318 nomme Franco de Pérouse, le fondateur du couvent de
Caffa, premier archevêque de Perse. Son successeur sera Guillaume
Adam, en 1322. Cette bulle lui donna six suffragante, dans l'ordre
où les énumère le texte61 : Gérard Calvet, Guillaume Adam,
Barthélémy de Podio, Bernardin de Plaisance, Bernard Moreti et
Barthélémy Abagliati. Le pape ne leur déterminait pas de siège, il en laissait
le soin à Franco de Pérouse. Il fallait les placer sur des zones où se
trouvaient en même temps une mission dominicaine et un
embryon, au moins, de communauté latine. Trois des nouveaux
évêques furent donc institués sur les trois couvents de la région :
Tabriz pour Barthélémy Abagliati, Dehikerkan pour Gérard Calvet
et Maraghah pour Barthélémy de Podio; les trois autres en dehors
des limites déterminées par Jean XXII : Guillaume Adam à

59 J. Richard, La papauté et les missions au XIVe siècle, Rome, 1977, p. 171-


172.
60 R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 139.
61 R.J. Loenertz, Le développement territorial de la Société des Pérégrinants,
dans AFP, 2, 1932, p. 38-39.
20 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Smyrne, Bernardin de Plaisance à Siwas et Bernard Moreti à Se-


bastopol, c'est à dire Savastopol d'Abkhazie, sur le littoral oriental
de la mer Noire, au Nord du Caucase. Le siège de Smyrne sera
transféré à Tiflis après la prise de la ville par les Turcs en 1329.
Mais il faut remarquer ici la coïncidence entre un marché et la
présence de missionnaires. Savastopol d'Abkhazie était le principal
port du littoral caucasien. Gros comptoir commercial fortifié par
l'empereur Justinien, il était fréquenté par les Génois depuis la
seconde moitié du XIIIe siècle. Au siècle suivant, la cité fut dirigée
par un consul. Outre le vin, le sel et le poisson, le principale source
de profit du commerce de Savastopol était le trafic des esclaves à
destination de l'Italie mais surtout de l'Egypte62.
A la même époque, il existait des résidences dominicaines à
Tabriz et à Siwas, qui étaient deux gros marchés. Le premier était situé
au carrefour des routes venant de l'Ayas ou de Trébizonde et allant
vers le Golfe Persique et la Chine, le second sur la route menant de
la Mer Noire à la côte de Cilicie et au port de l'Ayas. Déjà fréquentée
par les Vénitiens vers le milieu du XIIIe siècle, la ville de Tabriz
devint un comptoir génois important à partir des premières années du
siècle suivant. Le premier consul connu, Raffo Pallavicino, était en
fonction en 1304. Vers 1350, les Génois étaient majoritaires parmi
les Occidentaux63.
Si la mention explicite d'une résidence dominicaine n'a pu
encore être découverte ni à Savastopol ni à Smyrne, il y a tout lieu de
croire à son existence, au moins temporaire.
La mission dominicaine de Perse, ainsi structurée, était promise
à un brillant avenir grâce à l'efficacité de la prédication des Frères
auprès des chrétiens d'Arménie. C'est ainsi que d'autres diocèses
latins furent créés comme ceux de Maku, ou Saint-Thaddée de Karaki-
liss, de même que Naxivan. A ces sièges épiscopaux correspondent
des couvents de Prêcheurs. Le couvent de Maku est bien attesté par
l'ambassadeur de Castille Ruy Gonzalez de Clavijo, de même que
leur œuvre auprès des communautés présentes dans la ville :
«Dimanche, 1er juin, nous arrivâmes à l'heure de Vêpres à Maku, une
forteresse qui appartient à un chrétien catholique du nom de Noûr
ed-Dîn. Ceux de la garnison sont aussi des chrétiens catholiques
d'origine arménienne. Leur langue est l'arménien, mais ils parlent le
tartare et le persan. Près d'ici il y a un monastère des frères
dominicains...»; ensuite l'ambassadeur raconte que le seigneur de Maku
avait deux fils, catholiques également. Le premier ayant été converti

62 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture


urbane, Gênes, 1982, p. 377.
63 P. Stringa, ibid., p. 383.
TROIS PROVINCES 21

de force à l'Islam, Noûr ed-Dîn espérait que Clavijo pourrait, à son


retour, emmener le deuxième en Occident et que le pape lui
conférerait un titre episcopal64. Sur le siège de Maku, commence avant 1356
une série d'évêques, tous affiliés à l'ordre des Prêcheurs. Ces
nouveaux diocèses avaient pour tâche l'encadrement de nouvelles
communautés latines dirigées par des couvents arméniens liés aux
Dominicains, dans le cadre de la congrégation des Frères Uniteurs
d'Arménie. Cette dernière avait été fondée par des moines
arméniens convertis au catholicisme. Le fondateur, Jean de Qrna,
prononça ses vœux vers 1340. Pour certains auteurs, d'après les lettres
pontificales, il convient d'intégrer au moins quatre couvents à la
mission dominicaine d'Orient : Aparan, Naxivan, Djahouk, le cœur
de la congrégation étant le monastère de Qrna65. Mais il est très
possible que ces communautés arméniennes unies dans l'obédience
romaine aient été plus nombreuses, comme les sources l'attestent pour
le XVIe siècle66. Pour la seconde moitié du XIVe siècle, le nombre des
maisons appartenant à la congrégation des Frères Uniteurs peut
raisonnablement être fixé à quatorze : dix en Grande Arménie, un à
Tiflis en Géorgie et trois en Crimée. Parmi les couvents de Grande
Arménie, cinq étaient situés dans la vallée de l'Ernjak : Qrna, Aparan,
Saltai, Aprakouniq, Xôskasen; dans la province de Djahouk, il s'en
trouvait deux autres : Djahouk et Sahapôns. De plus, de l'autre côté
de l'Arax, trois couvents appartenaient à la congrégation : Tabriz,
Maku et Zorzor. Des suppliques des Frères Uniteurs de Caffa, venus
à la curie en 1424, permettent de penser qu'ils avaient fondé au
moins une autre maison67. Ils demandèrent en effet des indulgences
pour les fidèles qui avaient contribué aux réparations de l'église
Sainte-Marie d'Akhalzikhé en Géorgie, détruite par les infidèles. Or
le pape Clément VII avait autorisé en 1382 le maître général des
Prêcheurs à fonder des résidences de l'ordre à Akhalzikhé et à Tiflis sur

64 Relation de l'ambassade de Castille, texte traduit en français par L.


Kehren, La route de Samarkande au temps de Tamerlan, Paris, 1990, p. 159-161.
65 J. Mécérian, Histoire et institutions de l'Eglise arménienne, Beyrouth, 1965,
p. 297.
66 Lewond Alisan, Sisakan, Venise, 1893, la carte des communautés latines,
p. 190. Cette carte illustre l'article d'A. Eszer, éditant cette source du XVIIe siècle,
dans AFP 49, 1979.
67 CICO XIV, 1, nn° 269a-269b. L'église du diocèse de Tiflis est nommée dans
la supplique : «Beatae Mariae Virginis Achaldzeze» et devait être une église d'Ak-
halzikhé, ville située à l'Ouest de Tiflis sur la rivière Koura, où se trouvaient une
communauté catholique et un couvent franciscain, Atlas de l'Histoire de l'Eglise,
édition française, Brepols, 1990, 63 A. Il est possible qu' Akhalzikhé ait eu un siège
episcopal à la fin du XIVe ou au début du XVe siècle, mais on n'en connaît aucun
titulaire, J. Richard, La Papauté et les missions, op. cit., p. 185, p. 257.
22 LES DOMINICAINS EN ORIENT

des concessions de terrains faites par des seigneurs de ces régions68.


Une autre supplique concerne l'église Sainte-Marie-et-tous-les-
Saints de Baraverio, dans le diocèse de Naxivan. Les Frères Uniteurs
demandèrent des indulgences pour les visiteurs de cette nouvelle
église.
La station missionnaire dominicaine la plus lointaine fut
officialisée, bien que son existence fût brève, grâce à la création du diocèse
de Samarkande, sur la route des steppes, en 1329, siège sur lequel
fut nommé Thomas de Mancasole69. Le souverain du Djagataï, Elgi-
gadaykhan, avait envoyé deux missionnaires dominicains auprès du
pape, dont l'un était Frère Thomas. Le souverain demandait la
bénédiction du pape et un exposé de la foi catholique : Thomas de
Mancasole put faire état de conversions et demander l'organisation d'une
église latine afin de pouvoir développer son œuvre. Là encore, la
constitution d'une hiérarchie est conçue comme un préalable à la
mise en place solide de communautés catholiques. Mais celle-ci
dura peu puisque Thomas de Mancasole semble être le seul évêque à
avoir été nommé sur ce siège. Les premières offensives tartares
eurent sans doute rapidement raison de ce bastion avancé de la
chrétienté romaine.
Cependant, malgré sa vigueur, la mission de Perse dut suivre
le mouvement de repli des Occidentaux vers la Mer Noire à partir
de la seconde moitié du XIVe siècle, lorsque les révoltes,
fomentées par les Tartares, et les équipées de Tamerlan dans les
dernières années du siècle, compromirent la sécurité des marchands,
dans la région de Tabriz en particulier70. Ces campagnes du khan
mongol sont à mettre en relation avec le conflit qui l'opposait à
Toqtamich. Ce dernier avait été rétabli dans ses droits à la tête de
la Horde Blanche grâce à l'aide de Tamerlan et en avait profité
pour s'approprier les territoires de la Horde d'Or, le Kiptchak.
Mais Toqtamich avait essayé de s'emparer de l'Azerbaïdjan perse
et son ancien protecteur avait contre-attaque, le poursuivant
jusqu'en Russie71.
Le recentrage des missions dominicaines se fit au bénéfice de
celle de Caffa, qui devint peu à peu le pilier du catholicisme le plus
oriental, mais aussi le plus solide.

68 L'intervention des Frères Uniteurs en faveur de cette église corrobore


l'hypothèse, émise par le père Loenertz, de la fondation d'une maison dominicaine
dans cette cité géorgienne, R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 175.
69 Ibid., p. 175-176.
70 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982, p. 383.
71 J.P. Roux, Histoire de l'empire mongol, Paris, 1993, p. 501-502.
TROIS PROVINCES 23

e) L'essor des missions dominicaines en Mer Noire

C'est dans la première moitié du XIVe siècle que les comptoirs


génois de Gazarie se multiplièrent autour de la péninsule de Crimée,
et que se mit en place, en même temps, une hiérarchie latine.
Les navires génois fréquentaient régulièrement le littoral de la
Crimée depuis le milieu du XIIIe siècle, tout comme les Vénitiens.
C'est ainsi que les deux républiques marchandes avaient établi des
comptoirs à Soldaïa, où Marco Polo possédait une maison, et à Vos-
poro, qui dans les premières années du XIVe siècle était encore une
base fondamentale du commerce vénitien vers Tana et la voie
mongole72. Vénitiens et Génois cohabitaient dans cette petite cité
marchande, située au fond de la mer d'Azov, sur un bras du delta du
Don, dans une région marécageuse qu'il fallut bonifier73. Tana
apparaît dans les délibérations du sénat de Venise dans les années 30 du
XIVe siècle, où le khan Usbek concède à la République un terrain en
1333. Les Génois s'y étaient installés dans les premières années du
siècle. Mais au début du XIVe siècle, ceux-ci tentèrent peu à peu
d'évincer leurs rivaux des rives du Mare Majus et, prenant peu à peu le
contrôle de la côte orientale de la Crimée, s'assurèrent la maîtrise du
détroit entre la Mer Noire et la mer d'Azov, isolant Tana74.
Cependant les marchands vénitiens réussirent à y maintenir, jusqu'au
début du XVe siècle, un trafic plus florissant qu'on ne le croit
généralement. Les échanges reposaient non seulement sur les produits
agricoles régionaux ( le blé y était moins cher qu'en Romanie ) mais
aussi sur les produits orientaux, soie et épices, et les esclaves,
comme dans la plupart des ports de l'Est de la Mer Noire75. Au
milieu du XIVe siècle, il y avait quatre sanctuaires latins, puis, avec
l'expansion du comptoir, cinq, dont une église dédicacée à la Vierge
pour les Franciscains, Santa Maria dei Veneziani, et une autre,
Saint-Dominique, pour les Dominicains76. Ces derniers étaient
arrivés tôt dans la région puisque l'auteur du De Lotis le mentionne,
avant 1318. C'est un Prêcheur, Dominique de Pologne, qui traduisit
du couman le traité signé, en 1332, par le khan Usbek permettant
l'établissement de la colonie vénitienne77. Parmi les très nombreux

72 Ibid., p. 368.
73 E.C. Skrzinskaja, Stona della Tana, in Studi Veneziani, 10, 1968, p. 3-45.
74 Sur les relations entre les deux républiques marchandes et les
établissements génois en Orient, voir M. Balard, La Romanie génoise, 2 vol., Rome, 1978.
75 M.E. Martin, Venetian Tana in the later fourteenth and fifteenth centuries,
dans Byzantinische Forschungen, 11, 1987, p. 375-380.
76 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, op. cit., p. 349.
77 Dominique de Pologne devait appartenir à la résidence dominicaine de
Tana : R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 97; le passage du De Locis, mention-
24 LES DOMINICAINS EN ORIENT

ports78 passés sous contrôle génois vers le milieu du XIVe siècle, il


faut encore citer Cimbalo, sur le littoral occidental de la péninsule.
Son importance lui valut de recevoir un siège episcopal avant 1364 79.
Il est assez difficile de rendre compte avec précision des missions
dominicaines dans cette région en raison de la rareté des sources en
faisant état, ou de leur imprécision. Au cours d'une discussion sur la
pauvreté du Christ devant la curie, en 1323, le Franciscain Jérôme Ca-
thala, premier évêque de Caffa, nous rapporte cependant la situation
suivante : les Frères Mineurs sont en Tartarie depuis quatre-vingts
ans et ils ont fondé quarante sanctuaires alors que les Dominicains
n'en possèdent que cinq, situés près de la mer; ces résidences ne sont
habitées que par quinze frères80. Le P. Loenertz indique que ce
rapport de Jérôme Cathala pour les Franciscains est sans doute exagéré
et qu'il doit être confronté avec le De Lotis, il faut donc comprendre :
trente-cinq établissements pour les frères Mineurs et cinq pour les
Prêcheurs. Mais, malgré cette exagération, il est incontestable que les
missions franciscaines dans la région, comme dans tout l'Orient,
étaient particulièrement florissantes et dynamiques. Ce qui est
cependant intéressant c'est l'arrière plan de la discussion qui eut lieu
devant Jean XXII : Jérôme Cathala est venu défendre les missions
franciscaines dans la polémique qui oppose l'ordre au pape, c'est
pourquoi il fait état de leur supériorité numérique81. Il faut donc
considérer qu'en plus des couvents de Caffa et de Tana, il en existait
au moins trois autres, situés sans doute dans les colonies génoises de
Crimée, suffisamment importantes pour recevoir un siège episcopal
comme Vosporo, Cherson, Cimbalo ou Soldaïa.
La venue à la curie des missionnaires franciscains et
dominicains semble manifester une certaine rivalité entre les deux ordres
dans des terres de mission comme la Crimée et l'Arménie. A Tabriz,
par exemple, chacune des deux communautés célébrait la messe une
semaine sur deux en alternance. En 1332, les Franciscains

nant le couvent de Tana, G. Golubovitch, Biblioteca biografica della Terra Santa e


dell'Oriente francescano, 2, Florence, 1913, p. 72.
78 Paolo Stringa donne dans Genova e la Liguria, op. cit., une carte de tous
les établissements génois de la mer Noire, voir aussi l'ouvrage plus ancien de
G.I. Bratianu, Recherches sur le commerce génois dans la Mer Noire au XIIIe siècle,
Paris, 1929.
79 La Société I, op. cit., p. 123, P. Stringa, Genova e la Liguria, op. cit., p. 351,
fait erreur en donnant 1432, comme date d'institution du siège episcopal.
mLa Société I, op. cit., p. 99-100, texte édité et traduit par G. Golubovitch,
Biblioteca bio-bibliografica della Terra Santa, 1, p. 50 : «Santo padre, io posso
mostrare che otanta anni sono, che li fratrì Minori andarono in Tarteria e anno già per
quello paese bene quaranta luoghi ο vero chiese, ma gli predicatori anno solamente
cinque luoghi presso al mare e intra tutti quegli luoghi anno forse quindici fratri».
81 G. Golubovitch, Biblioteca biografica delle Terra Santa e dell'oriente
francescano, 3, Florence, 1919, p. 39-58.
TROIS PROVINCES 25

dirent à l'évêque, Guillaume de Cigiis O.P., de célébrer les messes


solennelles de la semaine sainte sous prétexte que c'était leur semaine.
Le Jeudi Saint de cette année-là les catholiques de Tabriz purent
assister au spectacle insolite de deux communautés religieuses se
disputant la même église et d'un évêque dans une situation
humiliante82. Cette rivalité était exacerbée par le problème que posait la
présence de Spirituels au couvent des frères mineurs de Tabriz. Le
pape avait confié la province de Sultanieh aux Prêcheurs afin qu'ils
assurent l'orthodoxie de la doctrine prêchée aussi bien auprès de la
communauté catholique que des autres communautés chrétiennes
que les missionnaires avaient pour tâche de ramener dans
l'obédience romaine. Les querelles doctrinales entre les frères des deux
ordres hypothéquaient gravement la crédibilité de l'Eglise
catholique. De l'arbitrage pontifical semble se dessiner un partage de
l'Orient entre les deux grands ordres mendiants : aux Prêcheurs, la Mer
Noire, l'Egée orientale, la Perse et l'Arménie, aux Frères mineurs,
toutes les régions situées au Sud et à l'Est.
En 1333, deux frères, François de Camerino et Richard
l'Anglais83, vinrent à leur tour à la curie et obtinrent la constitution d'un
nouvel archevêché, celui de Vosporo. Les deux missionnaires
venaient chercher du renfort en Occident : ils pouvaient prouver
l'efficacité de leur prédication par la conversion du seigneur des Alains,
Milenus, dont ils apportaient une lettre au pape. On retrouve ici la
même démarche qui avait été celle de Thomas de Mancasole quatre
ans auparavant. Mais ils étaient aussi venus demander des
éclaircissements sur certains points de la foi, comme l'indiquent les
registres de la Chambre apostolique84. Si cette création fut éphémère,
puisque François fut le seul archevêque de Vosporo et Richard, le seul
évêque de Cherson, elle témoigne cependant de la présence
dominicaine en Crimée. Les églises suffragantes de Vosporo, selon la bulle
d'institution de la nouvelle métropole le 5 juillet 1333, étaient : Trébi-
zonde, Savastopoli, Caffa, déjà trois diocèses existants, et deux
nouveaux : Cherson et Péra. Le pape privait donc la métropole de Kham-
baliq de deux diocèses, Trébizonde et Caffa et celle de Sultanieh de
l'église de Savastopoli. D'autre part Péra appartenait au ressort du
patriarcat latin de Constantinople. Ceci ne pouvait que contribuer à
aggraver les conflits sur les limites de ressort entre les diocèses.
La création de l'archevêché de Matrega est un bon exemple de
ce genre de conflits. Il fut institué par le pape Clément VI, en 1349, à
la demande de Jean de Ziquie, noble zique qui, vendu comme es-

82 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 153-155.


83 Voir liste des Dominicains en Orient.
84R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 127 : «ad Romaniam Curiam super
certis punctis fidei expediendis».
26 LES DOMINICAINS EN ORIENT

clave à Gênes, fut converti, entra dans l'ordre des Franciscains et


retourna prêcher dans son pays85. Le siège de cette nouvelle métropole
était situé sur le détroit contrôlant le passage en mer d'Azov. En face
de Vosporo, ce port était fréquenté par des marchands italiens
depuis le XIIe siècle puisque Matrega avait fait l'objet d'un traité entre
Manuel Comnène et les Génois en 116986. La ville était passée dans
l'orbite de Caffa au milieu du XIVe siècle; dans les premières années
du XVe siècle, une famille génoise, les Ghisolfi, conquit la péninsule
de Matrega et entra dans la vassalité de la Horde d'Or. Outre le
contrôle du détroit et du commerce dans la mer d'Azov, la région
offrait d'autres richesses comme la pêche et des salines pour la
conserverie. Comme les Vénitiens envoyaient un convoi annuel à Tana87,
les Génois de Caffa, consul en tête, venaient tous les ans à La Copa
pour la saison des pêches et rentraient en automne avec leur
cargaison de poisson salé et de caviar88. La Copa était un port situé sur la
Mer Noire, au Sud de Matrega.
En 1349, toutes les conditions étaient donc réunies pour la
constitution d'une nouvelle hiérarchie latine. Il était, en effet,
devenu nécessaire de prendre en charge la direction spirituelle d'une
communauté latine, installée depuis longtemps dans un pays de
mission. S'agissait-il de créer une métropole franciscaine pour
contre-balancer l'influence dominicaine, qui s'était affirmée avec
l'érection de Vosporo quinze ans auparavant? En 1363, les frères
Mineurs, toujours très actifs dans la région, obtinrent la création de la
métropole de Sarai, au Nord de la mer Caspienne. Des diocèses
furent créés dans ces nouvelles provinces, dont les sièges sont
difficiles à déterminer. Le pape dut confier à Thomas de Tabriz O.P.,
archevêque de Khilat89, le soin de délimiter les territoire du diocèse de
Tana, suffragant de Sarai, et de celui de «Mappensis», du ressort de
Matrega. Ce siège est difficile à identifier avec certitude. Il est
possible de situer l'archidiocèse de Matrega, sur le détroit, face à
Vosporo90. Malgré la difficulté qu'on éprouve à reconnaître les noms de

85 J. Richard, La Papauté et les missions, op. cit., p. 248.


86 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982, p. 383.
87 E.C. Skrzinskaja, Storia della Tana, in Studi Veneziani, 10, 1968, p. 3-45.
88 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, op. cit., p. 357.
89 Sur la localisation de l'archevêché de Galaad, ou Khilat, en Grande
Arménie : J. Richard, La papauté et les missions catholiques au Moyen Age, dans
Mélanges d'archéologie et d'histoire, 58, 1941-1946, p. 263-266; ce siège serait passé à
cette date dans la mouvance des Frères Uniteurs d'Arménie, congrégation à
laquelle appartenait Thomas de Tabriz, bien que les sources pontificales le disent
Dominicain. Mais il a été précisé que cette congrégation était affiliée à l'ordre des
Prêcheurs, voir aussi R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 170, 198.
90 La province de Matrega fut créée en 1349 pour Jean de Ziquie O.F.M.,
TROIS PROVINCES 27

lieu dans les sources latines en raison de leur consonance étrangère,


il est possible d'accepter avec le P. Loenertz que le diocèse dit «Map-
pensis» corresponde à Anapa, située plus au Sud, sur le littoral de la
Mer Noire. Cette cité était devenue le siège d'un consulat génois au
milieu du XIVe siècle91. D'autre part G. Fedalto dit que Matrega était
avant 1349 un siège métropolitain de rite grec, relevant du patriarcat
de Constantinople92. Cette localisation accréditerait la thèse selon
laquelle l'archevêché de Matrega remplacerait celui de Vosporo, dont
les causes de la disparition restent à découvrir.
Il faut donc constater que le pape avait fait passer une partie du
territoire de la métropole de Vosporo disparue dans le ressort du
nouvel archevêché de Sarai. D'autre part il confiait une nouvelle fois
aux Prêcheurs le soin de l'organisation de la hiérarchie latine en
Orient. Mais, en 1333, la création de l'archevêché de Vosporo
montrait une réelle volonté de structuration de l'Eglise latine centrée sur
la Mer Noire et le domaine colonial génois. En effet on constate,
dans le dernier tiers du XIVe siècle, une véritable floraison d'évêchés
latins en Tartarie : Tana, Pagropoli (entre Soldaïa et Caffa), Cimba-
lo, Soldaïa et Solgat par exemple.
Si l'on reprend le chiffre de Jérôme Cathala de cinq missions
dominicaines près de la mer alors que les sources n'en donnent que
deux, Caffa et Tana, il faut croire que les Prêcheurs fondèrent
d'autres résidences, dont l'existence fut peut-être brève, dans
certaines des villes qui reçurent un siège episcopal. Cette hypothèse
s'appuie sur deux faits : la coïncidence entre les couvents franciscains et
les sièges des évêchés de la côte occidentale de la Mer Noire et la
découverte du couvent dominicain de Lîcostomo dans les actes notariés
de Kilia. Ceci montre en effet que la création de sièges épiscopaux est
dépendante de l'existence d'une résidence missionnaire, celle-ci
n'apparaissant pas forcément dans les sources ecclésiastiques.

f) Le repli sur la route moldave91

La période pendant laquelle les Génois eurent l'emprise la plus


importante sur le commerce en Mer Noire fut le tournant des
XIVe-XVe siècles. Après un siècle de «Pax Mongolica», le change-

J. Richard, L'Eglise latine et les non chrétiens hors de la chrétienté : croisades et


missions, dans Histoire du Christianisme, 6, p. 896, voir également ibid., p. 236.
91 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, op. cit., p. 349.
92 La Chiesa latina, 2, op. cit., p. 149.
93 Sur les fondations dominicaines de la voie moldave et leurs implications
politiques, voir C. Delacroix-Besnier, Les Prêcheurs en Europe Centre-Orientale
(1370-1430), Le partage du monde, de la présence coloniale au dessein politique
dans le monde méditerranéen du Moyen Age aux Temps Modernes, actes du
colloque de Toulouse-Conques (26-30 avril 1995), à paraître.
28 LES DOMINICAINS EN ORIENT

ment de dynastie en Chine, la lutte pour la succession du dernier


Il-Khan, puis les offensives menées par Tamerlan à la fin du XIVe
siècle, compromettaient de plus en plus la sécurité sur les routes
de l'Extrême-Orient et les marchands génois se tournèrent vers des
débouchés plus assurés, vers l'aire russe, la Pologne, la Hongrie,
l'empire germanique, par le Don, le Dniepr et le Danube94. C'est
pourquoi les comptoirs de la côte occidentale de la Mer Noire
devinrent particulièrement importants. Le groupe Vicina, Licostomo,
Kilia, sur le Danube, formait la tête de pont du commerce génois
vers la Pologne, la Hongrie et l'Allemagne. Avec deux autres ports
au Nord du Danube, Maurocastro, sur la lagune du Dniestr,
donnait accès à la «via moldava»; Portus Illicis était un point
stratégique de la plus grande importance sur la bouche du Dniepr,
donnant accès à la «via tartarica»95. Dans le dernier tiers du XIVe
siècle, les Génois donnèrent à ces comptoirs les structures
administratives et militaires nécessaires à leur développement. En
1361, le consul Bernabo di Carpina dirigeait le comptoir de Kilia,
rendant la justice et remplissant toutes les charges administratives
pour le compte de la commune de Gênes dans la loggia des
Génois. A ce moment, les actes du notaire Antonio di Ponzio
montrent la prospérité de cette petite communauté de
marchands96. Mais à partir de 1370, Licostomo, offrant un meilleur
site défensif, sur une île à l'embouchure du Danube, permit l'essor
de la colonie italienne, grâce à son castrum et à sa garnison. Cette
position stratégique fit l'objet d'une âpre lutte d'influence entre
Sigismond de Luxembourg et Ladislas Jagellon. Kilia-Licostomo
était la clé de la route continentale reliant la Hongrie et la Mer
Noire. Or depuis que Venise avait réussi à imposer de nouveau sa
domination sur la côte dalmate (1409), ce débouché maritime était
devenu essentiel pour l'économie des domaines de Sigismond et
dans sa lutte contre la Serenissime. Depuis les années 1380 et
surtout le règne du voïvode Roman, la Moldavie cherchait, elle aussi,
à contrôler les bouches du Danube. La rivalité polono-hongroise,
depuis la mort de Louis d'Anjou, lui permettait d'affirmer son
autonomie. En 1410, le voïvode Alexandre le Bon prit possession de
la région, soustrayant Maurocastro et Licostomo du dominium
génois. Mais, après les négociations qui aboutirent au compromis de
Lublau, en 1412, il fut soumis à une sorte de double suzeraineté
imposée par Sigismond et Ladislas. L'accord prévoyait un partage

94 G. Pistarino, / Gin dell'Oltremare, IV, Due secoli tra Pera e Coffa, p. 199-228.
95 Ibid., VI, A Chilia e Licostomo, p. 247-370.
96 M. Balard, Les actes de Kilia du notaire Antonio di Ponzio, 1360, Paris,
1980.
TROIS PROVINCES 29

de la région en deux zones d'influence, la ligne de démarcation


laissant Maurocastro à la Pologne et Licostomo à la Hongrie.
Malgré plusieurs crises, dues à une reprise des tensions entre les deux
souverains rivaux et aux invasions ottomanes, dans les années
1420, l'axe Buda-Brasov-Licostomo, resta, jusqu'à la conquête
turque, une route commerciale majeure pour l'acheminement des
produits orientaux vers l'Europe centrale. Pendant toute la
première moitié du XVe siècle, il constitua un trajet sûr pour les
missions diplomatiques97. C'est le chemin qu'emprunta Jean VIII Pa-
léologue pour rentrer à Byzance, après un séjour prolongé à la
cour de Hongrie, pendant l'été 1424. Le voyageur Guillebert de
Lannoy y confirme, en 1421, la présence des Génois98. Les petites
communautés latines qui étaient installées furent prises en charge
par les ordres mendiants et une hiérarchie fut mise en place.
Comme il a été indiqué plus haut les sièges épiscopaux
correspondaient à des villes où avaient été fondés des couvents franciscains.
Le testament de Solario da Varazze, fait à Licostomo le 12
novembre 1383, permet de préciser la situation religieuse de la
région. Les Dominicains n'en étaient pas absents, comme on le
pensait jusqu'à présent. Dans le castrum de Licostomo se trouvaient,
outre la loggia des Génois, deux églises, celle des Franciscains et
celle des Prêcheurs. Solario da Varazze demanda à être enterré à
l'église Saint-François et fit un legs en faveur des Dominicains99.
Ce dernier leg en faveur des Prêcheurs de Gênes montre combien
cet ordre était en faveur chez les Génois et permet sans doute
d'expliquer la place importante qu'ils occupaient dans le domaine
colonial de la Commune. Au début du siècle suivant, Jean O.P.,
archevêque de Sultanieh, fit plusieurs voyages en Occident,
empruntant la voie moldave. La mention qu'il fait de Licostomo, dans son
ouvrage, Libellas de notitia orbis, permet de penser qu'il y fit

97 L'intégration des bouches du Danube à la principauté moldave fut


progressive et commença pendant le règne du voïvode Roman (1391/1394), S. Papa-
costea, Aux débuts de l'état moldave. Considérations en marge d'une nouvelle
source, dans Revue roumaine d'histoire, 12, 1973, p. 139-158; Kïlia et la politique
orìentale de Sigismond de Luxembourg, dans Revue roumaine d'Histoire, 15, 3,
1976, p. 421-436; V. Spinei, Moldavia in the 14-15th centuries, Bucarest, 1986.
98 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982, p. 355, p. 369.
99 S. Raiteri, Atti rogati a Licostomo da Domenico da Carìgnano (1373) e Ober-
to Grassi da Voltri (1383/84), doc. n° 12, Bordighera, 1973 : [Solario da Varazze]
«animam suam recomendavit altissimo Creatori Patri, Filio et Spiritui Sancto...,
corpus autem suum tunc et eo casu sepelleri iubsit apud ecclesiam Sancti Francisci
de Licostomo, cui ecclesie legavit pro suis sepulturis et exequiis funeris sui asperos
quinquaginta argenti; item legavit pro anima sua fratribus ecclesie Sancti Dominici
de Licostomo asperos viginti quoque argenti . . . voluit et ordinavit quod dentar libre
decem ianuinorum conventui et ordini Sancti Dominici de Ianua».
30 LES DOMINICAINS EN ORIENT

étape100. C'est, en effet, le seul lieu qu'il nomme précisément dans


cette région.
Il existait des liens étroits entre les missions dominicaines et
l'empire colonial génois. Ces relations peuvent s'expliquer par les
relations qui ont pu se nouer entre des marchands et des missionnaires
comme en témoigne un acte notarié rédigé à Chios (12 novembre
1383). Dominique de Péra O.P. fut chargé par une veuve, l'exécuteur
testamentaire de son mari, et son fils de récupérer des créances en
Hongrie, en Valachie, en Allemagne et dans les régions voisines101.
Le moment où commença la période de fondation des couvents
de Ruthénie, Podolie et Moldavie coïncide parfaitement avec ce
mouvement conjoint du repli des comptoirs génois sur la voie
moldave et de l'expansion polono-hongroise au détriment du domaine
byzantin, c'est à dire le début des années 1370.
Depuis 1375/76, la Société des Frères Peregrinante avait été
restaurée à la demande de missionnaires venus à la curie102 et les
couvents nouvellement fondés en Ruthénie et Moldo- Valachie, par la
province dominicaine de Pologne, furent rattachés aux missions
d'Orient par la bulle Fidei Orthodoxae, de janvier 1378 103. Le prieur de la
province de Pologne, Jean de Brieg, tenta d'empêcher cette réunion
par un appel au chapitre général de Carcassonne en juin de la même
année, mais cette tentative fut vaine malgré l'acte adopté par le
chapitre en sa faveur. Cette décision pontificale ne peut s'expliquer que
par des motifs sérieux. Les missionnaires de la Société, qui avaient
fait la demande du rattachement, ne manquaient pas d'arguments.
Les liens commerciaux, qui existaient entre les comptoirs génois de la
Mer Noire et les villes de la voie moldave, avaient renforcé les
relations entre les couvents de Péra-Caffa et les nouvelles fondations
polonaises. La ville de Lwow, était devenue le plus grand entrepôt du
commerce d'Orient en Pologne, en relation d'un côté avec l'Occident
et de l'autre avec la Mer Noire. Le plus ancien document témoignant

100 Edition partielle de ce traité par A. Kern, Der Libellus de notifia orbis,
dans AFP, 8, 1938, p. 82-123 : «Per isiam provinciam [Volaquiam] transit Danu-
bius, fluvius maximum in orbe terrarum, descendes de Alamania per Ungariam,
inde per Volaquiam, et intrat mare Magnum circa Nicostomum, quem habent Ia-
nuenses, et dicitur Nicostomus id est os lupi, quia intrans mare facit multas insulas
et ora ... licet nos habemus plura loca ordinis Predicatorum et Minorum...», p. 103
li 4-11.
101 A. Roccatagliata, Notai genovesi in Oltremare, Atti rogati a Chio (1453-
1454, 1470-1471), in Collana storica di fonti e studi, 35, Gênes 1982, n° 119.
102 Le chapitre de Magdebourg avait supprimé la Société des Frères
Peregrinante en 1363, RJ. Loenertz, La Société II, dans AFP 45, 1975, p. 108-109.
103 CICO XII, n° 247, la liste des couvents rattachés à la Société des Frères Pé-
régrinants s'établit ainsi selon ce document : Lwow (Lamburg), Kamieniec, Smo-
trycz, Lancut, Przemysl et Seret.
TROIS PROVINCES 31

des relations entre Lwow et Caffa est le testament d'un bourgeois de


la cité polonaise, Tayczadin, un Arménien converti au Catholicisme.
Il faisait, le 18 juin 1376, des legs en faveur des églises latines de Lwow
et de Caffa, parmi elles, l'église du Saint-Sacrement, c'est à dire celle
des Dominicains de Lwow104. Ce document est donc très probant des
liens qu'il faut établir entre marchands et Prêcheurs dans le réseau
commercial des Génois en cette fin du XIVe siècle, surtout sachant
l'importance de la communauté arménienne du comptoir de Caffa et
la présence de plusieurs couvents des Frères Uniteurs dans cette cité.
La fondation du couvent de Lwow n'est pas antérieure à 1350.
En effet, la ville avait été détruite lors des invasions lituaniennes de
1350/51. Le roi de Pologne, Casimir le Grand, la fit reconstruire
selon un nouveau plan, importé d'Occident, avec des rues se coupant à
angle droit. Il avait choisi un espace différent de l'ancien horod, et
les vieilles églises restèrent en dehors de la nouvelle enceinte. Le
couvent des Prêcheurs fut, en revanche, construit à l'intérieur de
celle-ci, tout près des remparts. Le couvent de Przemysl est
mentionné pour la première fois en 1375 et, en 1385, les Dominicains
faisaient consacrer leur église par l'archevêque de Halicz. La bulle de
1378 met en évidence l'existence du couvent de Lancut, mais sa
fondation remonte quelques années auparavant105.
Les couvents de Podolie, bien que situés plus à l'Est, datent de la
même période, et les dominicains de Kamieniec-Podolsk, comme
ceux de Smotrycz sont évoqués dès 1375. L'historiographie
polonaise présente les princes de cette région106 comme les fondateurs
des couvents de Kamieniec et de Smotrycz. Les fils de Koriat, A-
lexandre et Boris, alliés au roi de Pologne, participèrent à la
construction du grand royaume polono-lituanien107. Ils collaborèrent

104 A. Czolowski, Pomniki dziejowe Lwowa, 1, Najstarza ksiega miejska, Léo-


pol (Lwow), 1892, p. 93, n° 571. Le testament oral de 1376 ne fut enregistré par
écrit que le 21 février 1388. Document cité par R.J. Loenertz, La Société des Frères
Pérégrinants et les couvents de Ruthénie et de Moldo-Valachie, dans AFP 4, 1934,
p. 8.
105 Pour une étude approfondie des établissements dominicains de Pologne
voir les nombreux articles du Père Loenertz parus dans AFP, en particulier les
n° 4, 1934 et 45, 1975; J. Kloczowski, Dominicans of the Polish Province in the
Middle Ages, dans The Christian Community of Medieval Poland, Wroclaw, 1981,
p. 73-118.
106 Ces princes sont les fils de Koriat, petits-fils de Gedimyn, duc de Lituanie.
Leur généalogie fait encore l'objet de discussions de même que leur nombre,
O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central Europe, New York, 1991,
p. 38 et note 23.
107 G. Rhode estime que quatre est le nombre le plus sûr : Georges,
Alexandre, Constantin et Théodore, Die Ostgrenze Polens, I, Köln-Graz, 1955, p. 200,
note 152 et table généalogique n° 7.
32 LES DOMINICAINS EN ORIENT

à la politique du roi Casimir le Grand, puis de Louis d'Anjou. A la


mort de ce dernier, Boris et un autre de ses frères, Constantin,
participèrent, pour le compte de leur cousin, Jagellon, aux négociations
qui conduisirent en 1385 à l'union de la Lituanie et de la Pologne108.
Le couvent de Seret, en Moldavie, apparaît dans les archives du
Vatican en 1378, dans deux documents : la bulle Fidei orthodoxae et
la concession du privilège d'un confesseur109. La coïncidence des
dates de la bulle Fidei orthodoxae et des privilèges dont
bénéficièrent Alexandre de Podolie et Marguerite de Seret semble montrer
une démarche des Prêcheurs en faveur des princes des régions
nouvellement acquises à l'obédience romaine. Les Frères Peregrinante
se révélèrent une fois encore des auxiliaires efficaces de la
pénétration du catholicisme dans l'aire de la chrétienté grecque. Tout
comme le prince de Podolie, Marguerite, mère de l'hospodar Pierre
de Moldavie110, fut la fondatrice du couvent dominicain de Seret111.
Protectrice et bienfaitrice des Prêcheurs en Moldavie, Marguerite de
Seret avait été convertie par un dominicain Jean Janitor, qui était,
dans les années 1390, vicaire général de Moldavie112.
Les années qui suivirent permirent de renforcer la présence
dominicaine en Europe orientale. Plusieurs couvents furent fondés en
Galicie. Celui de Belz est mentionné pour la première fois dans les
registres de la municipalité de Lwow en 1386113. Le roi Casimir avait
émis, auprès du pape, dès 1367, le vœu d'une fondation dominicaine
dans cette ville114. Si le pape Urbain V s'y était montré favorable, la
réalisation du projet n'intervint qu'une vingtaine d'années plus tard.
En effet, Belz ne fait pas partie des couvents rattachés à la Société
des Peregrinante en 1378. Sa fondation est donc intervenue entre
1378 et 1386. Mais le couvent de Belz fit bien partie de cette
congrégation dominicaine puisque le Maître général, Barthélémy Texier,
confirma les privilèges des couvents de Lwow et de Belz de la Socié-

108 O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central Europe, op. cit.,
p. 61, p. 124.
109 CICO XII, n° 248, Marguerite de Seret, seigneur de Valachie mineure
reçoit ce privilège dans les mêmes termes que le seigneur de Kamieniec, Alexandre,
le prince évoqué à la note précédente.
110 Pierre de Seret était à Lwow en 1378, où il plaça son domaine dans la
suzeraineté de la Pologne, O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central
Europe, op. cit., p. 175.
111 Baracz, Rys dziejow zakonu kaznodziejskiego w Polsce, t. 2, Lwow, 1860,
p. 499,
n° 1. ex archives de Lwow : Ada extraneos conventus conserventia, fase. 17,
112 R.J. Loenertz, notes inédites.
113 Pominili dzejow, Lwow, 1, n° 350.
114 A. Theiner, Vetera Monumenta Poloniae et Lithuaniae, p. 642-643,
n° DCCCLXVI.
TROIS PROVINCES 33

té des Frères Peregrinante en 1434 115. La fondation du couvent de


Luck, plus à l'Est, se fit grâce à l'initiative de Ladislas Jagellon et de
son cousin Witold, avant la fin du XIVe siècle, vers 1390. La première
décennie du XVe siècle vit l'implantation des Peregrinante se
compléter par la création de quatre nouvelles résidences : Mosciska,
Sambor, Trembowla et Kolomya. Ladislas Jagellon favorisa aussi la
fondation du couvent de Kolomya en 1413 116. Celui-ci semble être le
dernier couvent fondé dans le cadre de la Société des Frères Pérégri-
nants. Mais les Dominicains de la province de Pologne ne restèrent
pas inactifs et le provincial Jan Biskupiec (1411-1417) accepta les
couvents de Horodno et Hrubieszow, fondés par les princes de Ma-
zovie117. Les provinciaux de Pologne n'avaient jamais accepté la
sécession de leurs couvents les plus orientaux au bénéfice de la Société
des Peregrinante c'est pourquoi Jan Biskupiec tenait à affirmer la
présence de sa province aux confins de la Pologne et de la Lituanie.
Ils profiteront du transfert des archives de la congrégation à Lwow,
conséquence de la prise de Péra-Constantinople, pour obtenir du
chapitre de Montpellier, en 1456, la suppression de la Société des
Frères Peregrinante. Les maisons de la congrégation furent alors ré-
partiee entre lee différentes provinces118. C'est ainsi que les couvents
ruthènes furent attribués à la province de Pologne alors que ceux de
Moldavie et de Valachie furent rattachés à celle de Hongrie.
Il faut donc remarquer l'importance des implantations
dominicaines dans cet ensemble territorial très étroit, aux marges de l'aire
d'influence de l'Eglise catholique, front pionnier e'avançant dans la
Russie orthodoxe et dans des régions restéee païennes comme la
Lituanie. Le eoutien de l'arietocratie locale apparaît, ici, beaucoup
plue marqué que dane lee autree domainee envieagée. Certee, la
condition de cee couvente dominicaine est particulière, puiequ'ile
peuvent bénéficier de dotatione en biene immobiliere,
contrairement au statut de l'ordre. Mais ces grands seigneurs, souvent
fraîchement convertis, interviennent directement dans la fondation de
ces établissements de Prêcheurs. La coïncidence d'intérêts entre les
deux groupes ne peut s'expliquer que par l'émergence de ce grand
ensemble territorial que représentait l'héritage de Louis d'Anjou.
Une définition du territoire d'activité des Dominicains auprès de
la chrétienté grecque était donc nécessaire. Elle a permis de montrer

115 S. Okolski, Russia Florida, Lwow, 1746, p. 73.


116 Ibid., p. 81.
117 J. Kloczowski, Dominicans of the Polish Province in the Middle Ages,
op. cit., p. 94. Voir aussi dans cet article deux cartes des établissements
dominicains en Pologne en 1300 et 1500, p. 101.
118 MOPH, VIII, p. 266, lin. 18-23.
34 LES DOMINICAINS EN ORIENT

qu'elle s'exerçait dans des territoires assez compacts, en Achaïe, en


Crète, à Chypre, ou bien sur des îlots de peuplement, îlots étant
entendu dans les deux sens du terme : îles de la mer Egée orientale, ou
communautés chrétiennes dispersées sur les routes commerciales.
Cette activité ne pouvait donc qu'être différente dans ces deux types
de territoires, leur peuplement, dans ses modalités comme dans sa
composition n'étant pas le même. Cette définition a permis aussi de
mettre en évidence des liens entre l'ordre des Prêcheurs et la
colonisation génoise. D'autre part elle a mis en relief une concurrence
entre les deux grands ordres mendiants, Franciscains et
Dominicains sur le terrain des missions. Il faut maintenant compléter cette
approche géographique par une appréhension du but de l'action de
nos prédicateurs, telle qu'elle était définie par les autorités
apostoliques.
CHAPITRE II

LES PRECHEURS EN ORIENT, UNE MISSION?

Les lettres pontificales peuvent fournir une réponse. En effet


dans leur correspondance avec les Frères envoyés dans les trois
provinces définies au chapitre précédent, les papes ont donné des
indications sur le champ d'action des Prêcheurs et sur les limites de leur
activité.
Là encore il faut distinguer entre la province de Grèce et les
deux autres, qui peuvent être considérées comme véritables terrains
de mission.

1 - Les Dominicains, inquisiteurs en pays grec

Aucun texte émanant du Saint Siège ne donne de mission


spécifique aux Prêcheurs auprès de la communauté de rite grec, dans le
ressort de la province de Grèce. Ils n'intervinrent qu'auprès des
autorités orthodoxes, empereur de Byzance et patriarche, dans le
cadre de négociations ou de discussions doctrinales, officielles. Les
documents pontificaux ne montrent que les inquisiteurs en pays
grec, les exemples ne sont pas nombreux et leur intervention ne se
fait justement pas auprès de la population orthodoxe.
Le rôle des Dominicains de la province de Grèce a évolué au
cours du XVe siècle en raison de l'Union, acceptée officiellement au
concile de Florence par les autorités orthodoxes, l'empereur Jean
VIII Paléologue et les chefs de l'Eglise grecque, Bessarion et Isidore,
métropolite de Kiev, à défaut du patriarche, Joseph II étant décédé
au cours du concile, en juin 1439.
Avant 1439, il s'agit essentiellement de la lutte contre les
hérésies ou plus rarement contre les Juifs et ils sont envoyés comme
inquisiteurs.
La seule mention, dans les sources pontificales, d'un inquisiteur
dominicain et de ses relations avec des Grecs est celle de Julien
Angeli, évêque de Hierapetra, en Crète. Le pape lui demanda, en 1376,
d'intervenir en faveur d'une famille de Grecs uniates, les Rampani,
dont il sera plus amplement question plus loin.
Il faut tout d'abord citer Andrea Doto O.P., au XIVe siècle.
Inquisiteur en Crète en 1314, il chercha à appliquer la législation ecclé-
36 LES DOMINICAINS EN ORIENT

siastique à l'égard des Juifs1. Malgré les injonctions de l'Eglise et un


arrêt du grand conseil de Venise, voté en 1301, le Juif Sabbetay
exerçait les fonctions de collecteur de taxes. Il appartenait à une
puissante famille, gouvernant la communauté juive de la ville.
Exceptionnellement, il avait été nommé à cette charge par le doge, en
récompense, sans doute, de services rendus. Mais, soutenu par
l'hostilité de la population locale, Andreas Doto avait tenté
d'intervenir contre lui. Cependant l'exécution de la sentence dépendait des
autorités laïques et celles-ci, en position délicate entre les chefs de la
communauté juive et la pression populaire, s'en remirent à l'autorité
du doge de Venise. Dans sa réponse, celui-ci félicita les autorités de
Candie de n'avoir pas soutenu l'inquisiteur, considérant que les Juifs
étaient injustement traités et qu'aucune atteinte ne devait être
tolérée contre leurs rites et coutumes ancestraux, qu'on ne pouvait
punir que des actions blasphématoires contre la foi chrétienne ou
contre des clercs, selon le droit romain et le droit canon. Seules les
autorités dépendant du doge avaient le droit d'intervenir contre les
Juifs. En fait les activités de l'inquisition gênaient le commerce et,
depuis 1249, des mesures institutionnelles avaient été prises pour
qu'elles soient soumises à une autorisation éventuelle des autorités
laïques. Ainsi l'action d'Andréa Doto avait échoué devant la volonté
des officiels, dont la préoccupation essentielle était la prospérité des
activités commerciales de la Crète.
Toujours en Crète, au siècle suivant un autre Prêcheur, Antoine,
est intervenu contre un chrétien converti au Judaïsme. Mais la
clémence de l'inquisiteur suscita une réaction populaire telle qu'elle
avait incité les autorités ecclésiastiques de l'île à demander au pape
Martin V une aggravation du châtiment2. Ainsi ce texte montre t-il

1 D. Jacoby, Venice, the Inquisition and the Jewish Community in Crete,


édition de la réponse du doge, appendice, p. 143-144, dans Miscellanea Loenertz,
1971, p. 127-144. Andreas Doto est l'auteur d'une version remaniée du traité
contre les Grecs de Bonaccorsi de Bologne, qu'il dédia au pape Jean XXII sous le
titre Thesaurus veritatis (vers 1326/27).
2 CICO XIV, 1, n° 168, 29 novembre 1420 : «Cum itaque,... vir quidam depra-
vatae voluntatis et maligni spirìtus, excecatus errore, in insula Creten. moram tra-
hens, a suscepta fide catholica et christiana religione devions, apostataverìt et in Ju-
daicae perfìdiae damnabilem lapsus fuerìt caecitatem, sicut ex varìis eiusdem viri
privatis operibus, quibus iudaizare visus est, potuit deprehendi, quae postquam ad
Tuam, Johannes [presbyter pisanus], venere notitiam, tu, una cum dilecto filio
Antonio, Ordinis Fratrum Praedicatorum professore, Ulis partibus auctoritate
apostolica inquisiture haereticae pravitatis, contra praefatum ex officio procedens, haereti-
cum ipsum capi, detineri et carceribus mancipari fecisti et debitis adversus eundem
de fìdei inquisitione et informatione factis, ipsum tandem errasse convinctum, cer-
tis modo et forma condemnasti, subiciens eum careens, installations, infamiae et
aliis quibusdam poenis, in talibus secundum Ecclesiae iudicium infligi soli-
tis ... [poenas], quas in spe correctionis suae et quibusdam visis in eo poenitentiae
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 37

que les Dominicains, inquisiteurs dans la province de Grèce


n'interviennent pas contre les Grecs, schismatiques, mais contre les Juifs
ou les Chrétiens passés au Judaïsme, ces derniers étant considérés
comme hérétiques.
Cette période semble avoir été marquée par des tensions entre
les communautés chrétiennes et juives dans les îles de la
Méditerranée, car plusieurs lettres du registre de Martin V entre 1420 et 1423
ont pour objet la question juive3. Ainsi l'évêque de Chios, Léonard
Pallavicini, demanda en 1420 que les Juifs portent un signe distinctif
sur leur vêtement mais le pape ne répondit favorablement à sa
supplique que trois ans plus tard, le 17 janvier 1423. Puis, une autre
lettre du pape, 1er février 1423 4, donne des renseignements
intéressants dans la mesure où ils corroborent le texte sur l'inquisiteur de
Crète. L'évêque de Chios avait en effet écrit l'année précédente pour
renouveler sa demande. Mais la réponse du pape permet de
reconstituer la teneur de sa lettre : cet évêque regrettait certaines
concessions accordées aux Juifs par le pape et déplorait que les
inquisiteurs n'aient pas pouvoir de juridiction sur eux : «...ita quod de cete-
ro Inquisitores haereticae pravitatis nullam in eosdem Iudaeos
auctorìtatem, iuridictionem aut dominium exercere volèrent». Martin
V s'adresse, cette fois, à l'ensemble des Chrétiens mais plus
particulièrement aux clercs des ordres mendiants. Il revient sur des
recommandations qu'ils leur avait faites précédemment afin qu'ils
empêchent les clercs de l'île de prêcher aux Chrétiens en faveur d'une
ségrégation : «ut ipsi christiani fugiant et évitent consortia Iudeao-
rum, nee cum eis quomodo participent, necque eis panent co-
quere ... aut Iudeaorum pueros lactare...». Donc ces conseils aux
Mendiants avaient pour objet le respect des libertés et privilèges de
la communauté juive. Il s'agissait donc, de la part du pape, d'une
politique recommandant la conciliation entre les communautés de
religion différente, dont l'instrument était les clercs réguliers. Or les
Dominicains étaient particulièrement présents à Chios au XVe siècle.

signis, temperatiores mitioresque fecisti, quam forte multorum eiusdem loci homi-
num iudicio et communi voce populi, suorum magnitudo scelerum exigere videre-
tur, acclamantibus pluribus eundem haereticum debuisse ac debere poenis graviori-
bus subiacere ac proinde ibidem subortum fuisse scandalum et conturbationem
plurimorum». La bulle pontificale ne donne que peu de précisions sur ce
Prêcheur : «Antonio, Ordinis Fratrum Praedicatorum professore, Ulis partibus auctori-
tate apostolica inquisiture haeretica pravitatis... » II est par ailleurs inconnu.
3 CICO, ibid, n° 126, 126a, 126b.
4 l'éditeur donne la date du 1er février 1420 pour le document 126b, ce qui est
manifestement une erreur, puisqu'il y est fait allusion à une lettre adressée au
pape, datée du «decimo kal. martii pontificatus Nostri anno quinto» que le même
éditeur a traduite entre parenthèse par «= 20 febr. 1422».
38 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Comme en Crète vingt ans plus tôt, le pape dut donc, sous la
pression du clergé local et de la population, infléchir ses
recommandations vers plus de rigueur à l'égard des Juifs.
Il faut remarquer d'autre part qu'à Chios au XVe siècle, comme
en Crète au siècle précédent, les inquisiteurs ne pouvaient intervenir
contre les communautés juives.
Il s'avère en effet, qu'après la rigueur prônée pendant la
première période de domination latine, pendant tout le XIIIe siècle, peu
à peu, la politique pontificale s'était assouplie à l'égard des
communautés religieuses non catholiques de la province de Grèce. Même si
l'on peut constater quelques excès de rigueur, ponctuellement,
comme l'intervention de Pierre Thomas à Chypre, il faut remarquer
le rôle des Mendiants dans l'application de la politique pontificale.
La lecture des différentes chroniques de Chypre ne montre
jamais les Dominicains cherchant à convertir les Grecs, alors que
l'intervention de Pierre Thomas est largement rapportée5. Il est même
rare de les voir dans leur rôle de religieux. Les Prêcheurs
constituaient, à Chypre, la communauté religieuse la plus opulente6 et
leurs relations avec la dynastie des Lusignan paraissent très
privilégiées.
Le couvent des Prêcheurs de Nicosie était à Chypre un lieu
particulièrement illustre7. Il fut fondé grâce à la comtesse Alix d'Ibelin,
issue d'une des plus grandes familles de la noblesse franque de
Chypre8. Les rois de Chypre s'y firent souvent inhumer de même que
d'autres membres de la famille des Lusignan9 comme Hugues,
prince de Galilée et cousin du duc de Bourbon. Pour le repos de
l'âme de ce dernier, Bertrand Lesgare, procurateur du duc, fit une

5 Makhairas, Recital, I, op. cit., p. 88-90; Amadi, p. 409-410; Strambaldi,


p. 39; Florio Bustron, p. 258, paraphrase de Amadi, éd. R. de Mas Latrie. Les
chroniqueurs italiens ont la même source pour cet événement : Makhairas,
comme l'indique HJ. Magoulias, A Study in Roman Catholic and Greek Orthodox
Church Relations on the Island of Cyprus between the Years A.D. 1196 and 1360,
dans The Greek Orthodox Theological Review, X, 1, 1964, p. 75-106. Pierre
Thomas, de l'Ordre des Carmes, fut légat du pape à Constantinople (1357-1359) pour
discuter de l'Union avec Jean V Paléologue, il se rendit ensuite en Crète, où il fit
deux séjours, puis à Chypre en 1359, J. Smet O. Carm., The Life of St. Peter
Thomas, Rome, 1954.
6 J. Hackett, A History of the Orthodox Church of Cyprus, Londres, 1901,
chap. XII, The Latin Church, the Religious Orders, p. 589 sq.
7 J. Richard, Chypre sous les Lusignans, Documents chypriotes des Archives
du Vatican (XIVe et XVe siècles), Paris, 1962, p. 51.
8 J. Hackett, A History of the Orthodox Church of Cyprus, op. cit., p. 592,
d'après E. de Lusignan O.P., Chronografia et Breve Historia universale dell'isola de
Cipro, Bologne, 1573, 32 b. Sur la famille d'Ibelin, voir W.H. Rudt de Collenberg,
Familles de l'Orient latin XIIe-XIVe siècles, Variorum Reprints, Londres, 1983.
9 Léon Makhairas, Recital, éd. R.M. Dawkins, Oxford, 1932, paragraphes 63,
86, 554, 627, 648, 704, 708, 712, 713.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 39

fondation en 139910. Les Dominicains jouissaient donc de la faveur


de la famille régnante : l'un des frères, Nicolas de Marsilly, était
conseiller et chapelain du roi en 1310 quand il intervint comme
témoin au procès des Templiers11. Guy d'Ibelin O.P., évêque de Limas-
sol de 1357 à 1367, était issu d'une des grandes familles de la
noblesse franque, celle des seigneurs d'Arsur, qui donna au royaume
de Chypre plusieurs connétables et sénéchaux12. C'est lui qui
couronna le roi Pierre Ier de Lusignan13. Il fut, lui aussi, inhumé au couvent
des Prêcheurs de Nicosie.
Makhairas évoque les Prêcheurs de Chypre à plusieurs reprises.
Dans sa chronique, ils sont toujours en rapport avec le roi ou sa
famille. Les Dominicains sont soit des messagers, soit des
ambassadeurs, ainsi au moment où le seigneur de Tyr, Amaury, usurpa le
trône de son frère, le roi Henri II, ce dernier envoya un Prêcheur
pour négocier avec lui14. Alors qu'il se sentait menacé, il confia aux
frères de Saint Dominique ses biens, ceux-ci devant se charger aussi
de la dot de ses sœurs15. Plus tard Pierre II confia à son confesseur,
un Dominicain, frère Jacques, le plan qu'il avait formé pour se
débarrasser de ses adversaires. Mais ce dernier était aussi le
confesseur du frère du roi, ce qui fit échouer ce plan16. Au moment de
l'attaque génoise sur Famagouste, en 1374, c'est le prieur du couvent
des Prêcheurs de cette ville qui est chargé d'une lettre au connétable,
alors à Nicosie, afin qu'il vienne en assurer la défense17. En 1426, le
frère Angelo O.P. est chargé par le cardinal Hugues de Lusignan de
porter des vêtements au roi Janus, alors prisonnier au Caire18.
Dans la chronique de Georges Boustron, la seule référence aux
Prêcheurs est encore en rapport avec le pouvoir royal. Alors que le
futur Jacques II cherchait à usurper le pouvoir de sa demi-sœur,
Charlotte, en 1458, les partisans de la jeune reine, se réunirent au
couvent des Dominicains afin de faire obstacle à son ambition19.
Dans cette circonstance précise, la connivence entre les Prêcheurs
de Nicosie et les Lusignan s'explique par la proximité entre le

10 L. de Mas Latrie, Histoire de l'île de Chypre, 2, p. 453.


11 J. Richard, Chypre sous les Lusignans, op. cit., p. 51, note 1.
12 W.H. Rudt de Collenberg, Les familles de l'Orient latin XHe-XIVe siècles,
op. cit., p. 152-153.
13 N. Iorga, Philippe de Mézières, p. 102.
14 Makhairas, éd. Dawkins, paragraphe 53.
15 Ibid., paragraphe 56.
16 Ibid., paragraphe 260.
17 Ibid., paragraphe 394.
18 Ibid., paragraphe 699.
19R.M. Dawkins, éd. The Chronicle of George Boustronios (1456-1459),
Melbourne, 1964, paragraphe 25.
40 LES DOMINICAINS EN ORIENT

couvent et le château mais, plus généralement, par l'histoire de la


fondation de ce couvent. Plusieurs rois de Chypre furent couronnés
par des Dominicains, ainsi Jean II, en 1433, par Salomon, évêque de
Tortose en résidence à Chypre20, et, au début du XIVe siècle, Jean,
archevêque de Nicosie, avait couronné le roi Hugues IV et la reine
Alice d'Ibelin21. Frère Jean accompagnait le roi, la veille de sa mort,
alors qu'il se rendait au casai Strovilo. Ce fidèle du roi est le seul
Prêcheur, dont le zèle religieux soit mentionné dans les chroniques de
Chypre. Florio Boustron se livre même à un véritable éloge de la
générosité de l'archevêque. Issu de la grande famille romaine des
Colonna, celui-ci utilisa sa fortune personnelle à secourir le peuple de
Nicosie après une inondation catastrophique et à enrichir la
cathédrale, faisant construire, par exemple, une chapelle dédiée à Saint
Thomas d'Acquin. La chronique de Francesco Amadi ajoute que
pendant quarante jours furent organisés des processions, prières et
prêches et que l'archevêque décida que tous les ans, au jour
anniversaire de l'inondation, une procession aurait lieu, réunissant toutes
les nations : Francs, Grecs, Arméniens, Coptes, Nestoriens,
Jacobites, Maronites, et autres. Il ordonna d'autre part que les Juifs
portent un signe jaune sur la tête pour les reconnaître22. Si
l'œcuménisme d'une telle procession peut surprendre de la part d'un
Dominicain exerçant son ministère en pays de mission, cet archevêque est
tout à fait dans la politique des souverains latins en Orient, pour
lesquels la concorde sociale est une priorité. Son action contre les Juifs
est, elle aussi, dans l'esprit de l'époque, d'André Doto à Léonard Pal-
lavicini, comme il a été vu plus haut. D'autres sources mentionnent
les Prêcheurs de Chypre, là encore, toujours dans l'entourage du roi.
Ainsi, dans le procès de canonisation de sainte Brigitte, un
Dominicain, frère Simon, confesseur du roi, l'interroge sur les visions
qu'elle avait eues au cours de son pèlerinage en Terre Sainte23.
Comme la plupart des pèlerins, elle avait fait escale à Chypre. La
sainte y avait rencontré, à l'aller, la reine Eleonore, veuve de Pierre
Ier, et celle-ci l'avait conviée aux fêtes du couronnement de Pierre II,
à l'escale de Famagouste, lors du voyage de retour24. Il est possible
que ce soit le même frère Simon qui assiste les dernières heures du
légat Pierre Thomas et lui administre l'extrême onction. Simon,

20 Makhairas, op. cit., paragraphe 706.


21 Florio Boustron, éd., R. de Mas Latrie, dans Mélanges historiques V, Paris
1886, p. 251, p. 253, p. 255.
22 Francesco Amadi, éd., L. de Mas Latrie, Paris, 1891, p. 405.
23Acta et processus canonizacionis Beate Brigitte (1379/80), éd. I. Colligu,
Stockholm, 1931, p. 390.
24 Bibliotheca Sanctorum, III, p. 496.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 41

évêque de Laodicée (in partibus), raconte la fin édifiante de Pierre


Thomas dans la version longue de la biographie du saint, rédigée
par Philippe de Mézières. Cette pièce sera utilisée pour son procès
de canonisation. Pierre Thomas et Philippe de Mézières étaient les
fidèles compagnons de Pierre Ier25.
Ainsi les chroniques confirment-elles que le rôle des Prêcheurs
en Chypre se borne à exercer leur sacerdoce auprès des
communautés latines. Le prosélytisme auprès des Grecs est considéré par les
autorités comme fauteur de troubles.
En fait, avant le concile de Florence, les inquisiteurs
dominicains ont essentiellement affaire à des catholiques hérétiques.
Jean XXII envoya une bulle au provincial de Grèce, en 1318,
pour qu'il nomme des frères de l'Ordre à l'office de l'inquisition
contre les hérétiques dans les régions dont il avait la responsabilité.
L'imprécision du texte ne permet pas de savoir de quelle hérésie il
s'agissait. Il indique seulement qu'elle venait de Babylone et qu'elle
touchait les simples et les gens peu instruits, qui se laissaient
séduire, mais qui étaient autrefois des fidèles de la vérité26.
Le légat Pierre Thomas intervint contre des hérétiques en Crète,
des proches du duc de Candie, et procéda à une exécution sur le
bûcher27. Là encore les sources ne précisent pas la nature de l'hérésie.
Les sanctions étaient moins graves au siècle suivant comme le
montre le texte nommant Théodore Chrysobergès, inquisiteur dans
la région d'Athènes, le 24 janvier 1429. Cette fois le document
précise qu'il s'agissait de mener une action contre les Fraticelles : «secta
haereticorum..., qui Fraticelli Delà Opinione vulgariter nuncupan-
tur»2*. Le pape recommande d'abord la prison pour ceux qui ne vou-

25 J. Smet, The Life of Peter Thomas, Rome, 1954, chapitre VI.


26 CICO VII, 2, n° 18. L'éditeur indique, à la fin du document, que le
provincial devait résider en Crète, sans toutefois donner d'argument en faveur de cette
hypothèse. Il cite, d'autre part, B. Altaner, Die Dominikaner Missionen des 13
jhdts, Habelschwerdt, 1924, p. 9-10, qui pensait que cet office de l'inquisition
dans la province de Grèce s'adressait sans doute aussi aux schismatiques
orientaux. La partie du texte : «. . .qui nunquam fuerunt discipuli veritatis; propter quod
expedit ut sic insurgatur contra, quod, haeresi penitus confutata, ubique fides ca-
tholica dilatetur». indiquerait plutôt qu'il s'agisse de procéder contre des
catholiques devenus hérétiques.
27 A. Fabris, // Legato Pierre Thomas Inquisiture a Candia : storia di un rogo
(1359-1360), in Le Veneziane Francescane, ns. VI, 2, 1989, p. 345-363; G. Cracco,
Venezia nel Medioevo : un «altro mondo», in Storia d'Italia, VII/1, Turin, 1987,
p. 142-143, on ne connaît pas exactement le contenu de cette hérésie, il s'agit
peut-être de Fraticelles, elle serait liée à la prédication itinérante des Franciscains
pour la croisade. Voir également le long article sur les Fraticelles, Cl. Smitt
O.F.M., DHGE, t. 18, Paris, 1977, col. 1063-1108.
28 CICO XTV, 1, n° 73k. Il s'agit d'une recrudescence du mouvement des
Spirituels, qui traversait périodiquement l'ordre des Frères Mineurs depuis le siècle
précédent. Le principal refuge des Fraticelles était l'Achaïe. G. Mercati, Notizie di
42 LES DOMINICAINS EN ORIENT

draient pas se soumettre, puis, pour les plus récalcitrants, en


fonction de la gravité des faits, l'inquisiteur pourrait demander
l'intervention du bras séculier. Il ne put poursuivre son œuvre longtemps
car il mourut vraisemblablement dans les mois qui suivirent sa
nomination. Mais ce groupe de moines, qui portaient l'habit des
Franciscains malgré leur dissidence, resta longtemps actif dans la région
puisque Callixte III envoya, en 1455-1458, un autre Dominicain,
Simon de Crète, pour les combattre. Nicolas V avait ordonné à deux
inquisiteurs de poursuivre les Fraticelles : celui d'Achaïe en 1451,
celui de Crète en 145 3 29.
Les Dominicains de la Société des Pérégrinants eurent aussi à
intervenir contre les fraticelles et le mouvement des spirituels
franciscains. L'évêque de Caffa, Thaddée, Arménien converti,
vraisemblablement entré dans l'Ordre des Prêcheurs30, reçut les privilèges de
l'inquisition en 1353, afin qu'il procède contre eux31.
Les Frères Pérégrinants, nommés inquisiteurs en Orient,
reçurent la mission d'intervenir contre l'hérésie en général. Le
premier, Philippe de Bindo Incontri, fut nommé en 1351, sur l'ensemble
de la Romanie et les régions voisines, Tartarie, Perse et Coumanie.
La bulle de sa nomination indique que son office d'inquisiteur
s'applique aux hérétiques de son immense domaine d'intervention; il
n'est nulle part question de schismatiques32. Le pape Urbain V,
confirmant la nomination de son prédécesseur, cherchait à
empêcher le développement des hérésies dans tout le ressort de la Société
des Pérégrinants. Pour une plus grande efficacité, le domaine
d'intervention de l'inquisiteur en Orient fut divisé en trois groupes de
régions : Romanie-Gazarie (de Péra à Caffa), Ruthénie-Moldo-Vala-
chie (des bouches du Danube à Lwow), Arménie-Géorgie (régions
du Caucase). Ce partage n'apparaît qu'au moment où le pape

Prochoro e Demetrio Cidone, Manuele Caleca e Teodoro Meliteniota ed altri appunti


per la storia della teologia e della letteratura bizantina del secolo XTV, in Studi e
Testi, t. 56, 1931, p. 481. La secte se propagea en Italie en 1421, ils disaient que Dieu
priva Jean XXII de la vie et de son pontificat à cause de sa constitution sur la
pauvreté du Christ et des apôtres, G. Moroni, Dizionario de erudizione storico-
ecclesiastica, vol. XXVII, col. 234 B-236 B, Venise, 1844.
29 CICO XIV, 1, n° 73k, commentaire du document par l'éditeur A. Tautu,
p. 193.
30 R.J. Loenertz, Deux évêques dominicains de Caffa. Frère Thaddée d'Arménie
et frère Matthieu Manni de Cortone, dans AFP, 5, 1935, p. 346-357.
31 CICO X, n° 27.
32 CICO X, n° 127-127a : «...Cum autem sicut ad nostram, non sine gravi
mentis turbatione, pervenit auditum, in partibus circumvicinis, videlicet imperio Tarta-
rorum, Persidis et Comaniae, in quibus multi inhabitant christiani, quamplurimi
ex eis contra eandem fidem catholicam et Sanctam Romanam Ecclesiam, ..., haere-
tici damnaliter insurrexint et insurgere alii temeantur, Nos, cupientes adversus
huiusmodi perniciosam pestent salubriter providere...·».
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 43

nomme les successeurs de Jean Gallo O.P., en 13 8 133. Parmi eux, il


faut noter la présence d'André de Caffa O.P., dont la bulle de
nomination de son successeur, Luc de Bozzolo O.P., indique qu'il était
Arménien34. Sa nomination comme inquisiteur montre l'importance de
la communauté arménienne catholique de Caffa, depuis la
fondation de la congrégation des Frères Uniteurs, affiliée à l'ordre des
Prêcheurs, dans les années 1340, et l'émigration de la population de
Grande Arménie fuyant les incursions tartaro-mongoles à la fin du
XIVe siècle. En 1390, lors d'un séjour en Italie, André de Caffa fut
nommé vicaire de la Société, titre qui s'ajoutait à celui d'inquisiteur
de Caffa. Ce cumul des deux fonctions fut fréquent au XVe siècle35.
Après le concile de Florence, les inquisiteurs dominicains sont
envoyés pour mettre en œuvre l'Union. C'est alors seulement qu'ils
eurent en charge les communautés chrétiennes schismatiques
puisque la signature des chefs de leurs Eglises respectives les avaient
placées sur le même plan que tout fidèle de Rome, par là justiciable
de l'Inquisition. Les inquisiteurs du milieu du XVe siècle, tels Simon
de Crète en Crète ou André Chrysobergès à Chypre, reçurent cette
mission comme il sera montré plus loin.

2 - Les Dominicains en pays de mission

La province de Terre Sainte au XIIIe siècle, puis le ressort de la


Société des Frères Peregrinante, à partir de sa création, apparaissent
dans les sources pontificales comme de véritables terres de mission,
et les Prêcheurs y avaient officiellement un rôle auprès des Grecs.
Ceux-ci sont cités au milieu des longues listes des différentes
communautés et nations auprès desquelles les missionnaires
devaient se rendre.

33 BOP, éd. Ripoll, II, p. 299 : «.Sane cum ad extirpandos errores, seminan-
damque orthodoxe fidei veritatem sint in ultramarìnis partibus, que per infidèles oc-
cupantur, quamplures personae necessariae, ac edam opportunae». Urbain VI
demande donc au maître général de l'Ordre et à son vicaire en Orient de lui
désigner trois frères capables d'assumer l'office de l'inquisition. R.J. Loenertz, La
Société I, op. cit., p. 74-75. Voir également la Liste des Dominicains en Orient et
la liste des inquisiteurs.
34 CICO XIII, 1, n° 79, 13 février 1400.
35 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 76; ce fut le cas de Léonard de
Chios, de Louis de Pise, de Christophe de Viterbe, de Jean Baptiste Fattinanti et
de Vincent Robini de Chypre.
44 LES DOMINICAINS EN ORIENT

a) Pour une définition du rôle des missionnaires : les bulles


pontificales

Les bulles envoyées aux missionnaires en Orient comprennent


des enumerations de peuples et de communautés religieuses qui
semblent stéréotypées et se reproduire d'un texte à l'autre. La liste
de peuples à intégrer à l'Eglise romaine était longue en effet et les
clercs de la chancellerie reproduisaient plus ou moins fidèlement
ces enumerations car la transcription et l'orthographe de noms
étrangers n'était pas sans leur poser de problème. A examiner de
près ces textes une évolution doit cependant être prise en compte.
Mais ces listes posent surtout la question de la connaissance des
communautés chrétiennes d'Orient par la chancellerie pontificale.
Enfin, elles permettent d'évoquer un possible partage des espaces de
mission, arbitré par le pape entre les deux grands ordres mendiants.
Malgré le désordre apparent des listes établies par la
chancellerie pontificale, on distinguait parfaitement les communautés
d'obédience grecque des autres chrétiens d'Orient. Ainsi les Melkites de
Syrie sont explicitement classés dans la première catégorie, bien
qu'ils soient désignés sous des vocables très variables.
Dans le premier texte, il est écrit «Mossolinis», ce qui peut
induire à penser qu'il peut s'agir des Musulmans36, dans le second la
désignation est plus voisine du mot Melkites, puisqu'on a «Mesolito-
rum». Mais la proposition relative, qui précise de quel Orient il
s'agit, enlève toute ambiguïté au texte : «quae olim ritum Sanctae Ro-
manae Ecclesiae non servabant» que l'on peut traduire par [régions]
«qui depuis longtemps n'observaient pas le rite de la Sainte Eglise
Romaine», expression qui ne pouvait que faire référence à la
religion chrétienne. Dans ces deux listes, il ne peut s'agir que des
Syriens de la région de Mossoul, dont la consonance évoque les termes
utilisés par la chancellerie pontificale37. Le plus grand groupe de
Melkites résidait en Syrie, sous l'autorité du patriarche d'Antioche.
Mais ils essaimèrent dans plusieurs régions d'Orient, jusqu'à Tach-
kent et Samarkande, suivant la route de la soie. Il est possible qu'ils

36 Suivre la discussion entre Sbaralea et Altaner sur l'interprétation du mot


«Mossolini» dans les notes de l'édition du document n° 8, T.T. Haluscynskyj-
M.M. Wojnar, CICO IV, 1, p. 14-15. Ces notes de même que celles qui
accompagnent le doc. n° 19 donnent toutes sortes de renseignements sur les
différentes communautés chrétiennes d'Orient et une bibliographie, à laquelle on
ajoutera : R. Janin, Eglises orientales et rites orientaux, Paris, 1955.
37 La chancellerie désignait les Melkites soit «Mossolini», soit «Syri», avec
des variantes orthographiques notables, A.D. von den Brincken, Nationes chris-
tianorum orientalium, Cologne-Vienne, 1973, p. 89-93.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 45

aient atteint la Chine38. Au moment du concile de Chalcédoine (451),


ils étaient restés dans l'obédience du patriarcat de Constantinople
alors que les Jacobites, les Nubiens, les Maronites et les Arméniens
entraient en dissidence, adoptant des doctrines à caractère mono-
physite plus ou moins prononcé. Les Nestoriens s'étaient séparés
vingt ans plus tôt, au concile d'Ephèse.
C'est ainsi que la frontière peut s'établir entre Chrétienté
byzantine, ou grecque au sens large, celle de l'obédience de
Constantinople, et les communautés chrétiennes dissidentes de l'Orthodoxie.
Une lettre du pape Grégoire IX au patriarche de Constantinople,
Germanos, en 1232, montre ce qu'à Rome on entendait par
chrétienté grecque : «Nationes quae Graecorum ecclesiae obediunt»39 : «Primi
UH qui in prima parte Orientis habitant, Aethiopes; deinde omnes Syri
et alii, qui graviores sunt et magis virtuosi, scilicet Hyberi, Lazi, Alani,
Gothi, Chazari, innumerabilis plebs Russiae et regnum magnae victo-
riae Vulgarorum; et hi omnes tamquam mairi nostrae obediunt
Ecclesiae, in antiqua orthodoxia immobiles hactenus manentes». Cette
liste des communautés chrétiennes énumère un ensemble de
populations habitant l'espace compris entre le Caucase et les confins de
l'Europe comme les Ibères, les Lazes, les Goths des steppes du Nord
de la Crimée, Russes ou Ruthènes40 et Bulgares plus à l'Ouest, les
Alains et les Ziques ou Circassiens, à l'Est de la mer Noire. Les Ga-
zars étaient un peuple d'origine turque, installé en Crimée. Ils furent
évangélisés au VIIIe siècle, mais se convertirent au Judaïsme par la
suite. Malgré cela, la lettre de Grégoire IX les situe parmi les
Chrétiens de l'Eglise grecque. En effet, les missionnaires avaient à la
curie des rapports allant dans ce sens41. La mention des Ethiopiens
dans ce même document pose aussi la question de la connaissance
que la curie pouvait avoir des Chrétiens d'Orient. Cette communauté
est généralement classée parmi les Chrétiens refusant les définitions

38 J. Dauviller, Byzantins d'Asie centrale et d'Extrême Orient au Moyen Age,


dans REB 11, 1953, p. 62-87.
39 Résumé de l'éditeur, en marge du texte, n° 473. CICO III, Grégoire IX.
40 Le terme «Ruthènes» désigne les Slaves du Sud et de l'Ouest, R. Janin,
Eglises orientales, op. cit. Le prince ruthène, Vladimir le Grand, avait été baptisé
en 988 à Constantinople. Après la rupture, en 1054, de l'union ecclésiastique avec
le Saint-Siège par le patriarche de Constantinople, Michel Cérulaire, la Ruthénie
prit la voie du schisme, W. Urban, L'œuvre des missions de l'Eglise catholique en
Pologne, dans Le Millénaire du catholicisme en Pologne, Lublin, 1969, p. 389.
«Lors de l'érection, en 1228, de la province polonaise de l'ordre des dominicains,
Saint Hyacinthe Odrowaz entreprit un travail missionnaire en Ruthénie et arriva
jusqu'à Kiev...», Ibid., p. 387.
41 A.D. von den Brincken, Nationes Christianorum Orientalium, op. cit.,
p. 131-133.
46 LES DOMINICAINS EN ORIENT

du concile de Chalcédoine, mais elle était encore bien mal connue


au début du XIIIe siècle42.
Si Ton fait exception des Ethiopiens, la lettre adressée au
patriarche Germanos définit donc la zone d'influence de l'Eglise
grecque. La christianisation des populations de la région allant de la
basse Volga au lac Van et à la mer d'Azov faisait partie de la
politique de sécurité de l'empire byzantin; elle consistait à se créer un
réseau d'alliés ou de peuples vassaux43.
Le pape considère toutes ces nations comme faisant partie de
son Eglise même si elles restent dans une orthodoxie qu'il envisage
comme un archaïsme. Cet œcuménisme peut surprendre, mais il
faut le replacer dans le contexte d'une reprise des négociations entre
Rome et Constantinople; il montre néanmoins quelles étaient les
communautés que le pape considérait comme les moins éloignées
de l'obédience romaine, monophysisme et diphysisme étant le
critère de distinction.
Si l'on reprend la mission dominicaine de 1244, la province de
Terre Sainte avait un vaste ressort puisqu'elle s'étendait en Syrie-
Palestine où habitaient les Jacobites et les Maronites, avec les Mel-
kites. Les Arméniens étaient répartis entre deux régions : la Cilicie,
ou Petite Arménie, et la région du lac Van, ou Grande Arménie. Mais
le ressort de la province dominicaine de Terre Sainte s'étendait plus
au Nord, jusqu'au delà du Caucase, où se trouvait le royaume de
Géorgie, et vers le Sud, jusqu'en Babylonie, où vivaient de grosses
communautés de Nestoriens. Ces derniers essaimèrent aussi dans de
nombreuses régions d'Orient et l'île de Chypre peut être considérée
comme le parangon de la province de Terre Sainte, regroupant
depuis la conquête franque toutes les communautés chrétiennes, des
Latins, mais aussi bien des Grecs, que des Coptes et des Jacobites,
un important groupe d'Arméniens, des Maronites et des Nestoriens.
Coptes et Jacobites, monophysites, utilisaient les mêmes lieux de
culte.
Les Frères Mineurs avaient un domaine encore plus vaste
comprenant des régions peuplées de chrétiens, païens et
musulmans. La bulle, définissant leur mission, donne une longue liste,
dont le caractère dominant est l'exhaustivité. Les Coumans ont été
ajoutés aux Alains, Goths et Gazars des steppes. Le nom de «Ru-
thènes» précise l'expression «plebs Russiae» et les Ziques
remplacent les Lazes. La présence de plusieurs doublets : Ethiopiens-
Nubiens, Syriens-Melkites, Ibères-Géorgiens, pose cependant une

42 A.D. von den Brincken, Nationes Christianorum Orientalium, op. cit.,


p. 262-270.
43 Cambridge Medieval History, part II, Cambridge 1966, p. 474-475, p. 487.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 47

nouvelle fois la question de la connaissance des Chrétiens d'Orient


par la chancellerie pontificale.
Les Géorgiens sont bien classés dans l'obédience de
Constantinople dans la lettre, adressée au patriarche Germanos en 1232, où ils
sont désignés sous le nom d'Ibères. Dans la bulle de 1245,
définissant la mission des Frères Mineurs, les deux vocables cohabitent. Ce
doublet peut s'expliquer par l'ouverture de la curie aux questions
orientales pendant le pontificat d'Innocent IV et le rapport de Jean
de Plan Carpin O.F.M. sur les invasions mongoles, qui permit une
meilleure connaissance de la situation en Orient44. C'est ce dernier
qui fit état de la partition de la Géorgie45.
Le doublet Ethiopiens-Nubiens peut se comprendre de la même
façon. Dans les sources occidentales, le nom de Coptes n'apparaît
pas aux XIIIe-XIVe siècle : cette communauté de chrétiens d'Egypte
n'était pas distinguée des Jacobites. En effet, les Coptes étaient des
chrétiens convertis au monophysisme par des moines syriens
chassés par la persécution. Le XIVe siècle fut, pour l'Eglise copte, une
période florissante avec la traduction et la composition d'ouvrages
théologiques, l'évangélisation de païens et des discussions
dogmatiques. Cette époque succède aux grandes missions occidentales, qui
permirent de mieux distinguer les communautés coptes, les Nubiens
du haut Nil et les Ethiopiens, plus au Sud46. Ces communautés
étaient plus accessibles que celle des Coptes d'Egypte, sous le joug
musulman, et leur conversion à la doctrine catholique, de même que
celle des Tartares, entrait dans le cadre de la politique occidentale
d'encerclement du domaine musulman par des principautés de foi
romaine. L'avènement de Tamerlan remettrait complètement en
question cette stratégie, mais elle fut à l'ordre du jour pendant un
siècle et elle conduisit l'organisation des missions par Jean XXII.
Les documents pontificaux du XIVe siècle montrent un certain
souci de classement, ainsi les textes qui instituent les pouvoirs des
missionnaires en Orient, particulièrement nombreux pendant le
pontificat de Jean XXII. Après la bulle «Grattas Agimus »du 1er mai
131847, qui organise les missions dominicaines en Orient, «Cum
Horn Undecima» du 23 octobre 132148, adressée aux Prêcheurs et aux
Frères Mineurs, reprend celle de Clément V de 130749, pour les mis-

44 A. Paravicini Bagliani, L'Eglise romaine d'Innocent III à Grégoire X (1198-


1274), dans Histoire du Christianisme, dir. A. Vauchez, V, 1993, p. 554.
45 A.D. von den Brincken, Nationes Christianorum Orientalium, op. cit.,
p. 111.
46 A.D. von den Brincken,
V Nationes Christianorum Orientalium, op. cit.,
p. 230-270.
47 CICO VÌI, 2, n° 14.
48 CICO VII, 2, n° 48.
49 CICO VII, 1, n° 17.
48 LES DOMINICAINS EN ORIENT

sionnaires franciscains. Les doublets relevés précédemment ont été


évités par la chancellerie et un classement par ère géographique
apparaît avec un regroupement des peuples de l'obédience grecque,
des steppes russes au Caucase. La place des Géorgiens et des Mel-
kites parmi les antichalcédoniens reste cependant surprenante. La
lettre du pape à Laurent de Hongrie corrige en partie ce dernier
défaut puisque les Ibères, remplaçant les Géorgiens, ont retrouvé leur
place parmi les chrétiens de l'Eglise de Constantinople50. Cependant
les Melkites gardent curieusement leur place en fin de liste.
Il semble qu'au XIVe siècle, on ne fasse plus de différence entre
Géorgiens et Ibères et que les deux vocables soient indifféremment
utilisés51. Les Géorgiens étaient constitués en Eglise nationale et
utilisaient leur langue dans la liturgie, comme la plupart des Chrétiens
de l'obédience grecque. Ce que l'on entend par rite géorgien est en
fait la traduction du rite byzantin. Le monastère ibère du Mont
Athos traduisait les textes grecs à l'usage de leur Eglise52.
Le vocabulaire de la chancellerie s'est simplifié par souci de
rationaliser les listes de nations à ramener dans l'obédience de Rome
alors qu'arrivaient à la curie des informations de plus en plus
précises sur les peuples du Caucase. Les Lazes de la lettre au patriarche
Germanos disparaissent ensuite au profit des Ziques, mieux connus
depuis la mission de Jean de Plan Carpin53. Il est possible que «Lazi»
de la lettre de Grégoire IX nomme la même ethnie que «Zicorum» de
la bulle de 1245, que l'on retrouve sous la forme «Scytharum» dans
la lettre à Laurent de Hongrie et «Sitharum» dans la bulle de
Grégoire XI du 6 mars 1374. La confusion de la chancellerie pontificale

50 BOP, II, p. 196 : «Dilecto filio Lamentio de Hungarìa, ceterisque filiis et Fra-
tribus Ordinis Predicatorum, in terris Saracenorum, Grecorum, Bulgarorum, Ra-
cianorum, Ruthenorum, Cumanorum, Tartarorum, Iberorum, Alanorum, Gazaro-
rum, Gothorum, Scytharum, Nubianorum, Nestorianorum, Armenorum, Indorum,
Mochelitarum,
51 CICO IV,aliarumque
1, n° 40, note
non6,credentium
l'éditeur dit
nationum
: «Iberì, Orientalium
Hiberi seu Georgiani».
et Aquilonis...».
Pour
Etienne de Lusignan O.P. : «Li Giorgiani sono greci detto in greco Iverì, soggetti a'
Moscoviti, et essi in Cipro non hanno altro vescovo che quello dell'isola greco, et li
Greci et Giorgiani hanno pero alcune differentie tra di loro circa le cose della fede».
texte du XVIIe siècle, cité par J. Hackett, A History of the Orthodox Church of
Cyprus, op. cit., note 2, p. 522. Alors que les Abkhazes et les Lazi peuplaient la
Géorgie occidentale, les Ibères habitaient la Géorgie orientale, B. Martin-Hisard,
Christianisme et Eglise dans le monde géorgien, Le monde géorgien, Géorgie, Ibérie,
dans Histoire du Christianisme, 4, Paris, 1993, p. 549-550.
52 R. Janin, Eglises orientales et rites orientaux, op. cit.; J. Dauviller,
Byzantins d'Asie Centrale et d'Extrême Orient au Moyen Age, dans REB 11, 1953, p. 81.
53 Ses informations furent complétées par Guillaume de Rubrouck puis par
Guillaume Adam, qui les placent dans l'obédience grecque, A.D. von den Brinc-
ken, Nationes Christianorum Orientalium, op. cit., p. 134-135.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 49

viendrait du fait que «Lazi» et «Ziques» désignent des populations


du Nord-Ouest du Caucase. Les Ziques des steppes du Kouban, ou
Circassiens, étaient des chrétiens convertis en même temps que les
Alains, leurs voisins, donc de rite byzantin54. L'Abkhazie resta sous
influence byzantine mais la Lazique ne dépendait plus du patriarcat
de Constantinople et passa sous le contrôle de la métropole de Tré-
bizonde à partir du Xe siècle55. De la Crimée à la mer Caspienne, le
versant septentrional du Caucase abritait, en effet, une mosaïque de
peuples divers : Ziques, Abkhazes, Lazes, Ibères et Géorgiens, Lesg-
hiens et il faudra attendre le début du XVe siècle pour que l'Occident
acquière une bonne connaissance de cette région. Ainsi, dans son Li-
bellus de notifia orbis, Jean de Sultanieh O.P., donne un tableau
assez précis des différentes confessions professées par les peuples de
l'Orient dont il avait la charge. Son inventaire recouvre en grande
partie les listes des bulles pontificales définissant le ressort des
missions d'Orient. C'est ainsi qu'il décrit les «Lagzi» : «Et isti tales Lagzi
sunt quasi nullius legis; aliqui tarnen secuntur Sarracenos, aliqui Io-
rianos vel aliquos alios Christianos». Il précise que leur région est
située à l'Est de la Géorgie, dans les montagnes, près d'une ville
nommée Derbant, ce qui veut dire porte étroite. Il s'agit des Lesghiens.
Jean de Sultanieh, qui connaissait parfaitement la région qu'il
décrit, les place au Nord-Est du Caucase, près de la mer Caspienne,
alors que les Lazes habitaient à proximité de la Géorgie, mais à
l'Ouest du Caucase, près de la Mer Noire56. Il donne également
toutes sortes de détails pittoresques sur les mœurs des Ziques.
Les variations de vocabulaire et d'orthographe sont telles dans
ces documents qu'il est difficile de comparer le ressort des missions
franciscaines et dominicaines57. Cependant, il semble que celui des
Prêcheurs se soit élargi car le texte de 1321 donne la même liste pour
les deux ordres. Le domaine des Dominicains était plus étendu en
1318 qu'en 1307, selon la bulle de Clément V, qui omet les Nubiens,

54 J. Richard, La papauté et les missions, op. cit., p. 247.


55 B. Martin-Hisard, Christianisme et Eglise dans le monde géorgien,
l'éclatement de la vie chrétienne, VIIe-XIe siècles, dans Histoire du Christianisme, 4,
op. cit., p. 562.
56 Jean de Castamon, archevêque de Sultanieh : voir Index des Prêcheurs, le
Libellus : éd. A. Kern, Der «Libellus de notitia orbis», dans AFP 8, 1938, p. 113.
57 L'édition de la bulle «Cum Hora Undecima», dans BOP, II, p. 154, donne
«Motorum» pour les Melkites alors que ce mot est orthographié «Mochlitarum»
dans CICO VII, 2, n° 48, pour les Franciscains. Une autre différence
d'orthographe, plus notable : «Syrorum» remplace «Zichorum» entre le document du
Bullaire des Prêcheurs cité ci-dessus et un autre texte de la même édition, dans
BOP II, p. 184, document issu d'un autre fond d'archives. Il est donc assez
difficile de faire la part des erreurs de copie et des omissions conscientes ou non des
secrétaires de la chancellerie apostolique. Cette bulle est analysée par A.D. von
den Brincken dans Nationes christianorum orientalium, Cologne- Vienne, 1973.
50 LES DOMINICAINS EN ORIENT

les Nestoriens, les Géorgiens, les Indiens et les Arméniens. Dans la


bulle «Cum hora undecima» les Ziques ont été ajoutés.
L'organisation des diocèses de Ziquie, en 1349, fit l'objet d'un arbitrage
pontifical entre les deux ordres comme nous l'avons vu plus haut58.
La comparaison des différentes bulles pontificales ayant trait
aux missions en Orient permet donc une approche de la méthode de
travail des secrétaires de la chancellerie. Ils avaient sous les yeux les
documents antérieurs mais ne les reproduisaient pas exactement.
Certes ils ne réussirent pas à éviter des confusions entre les Melkites,
les Syriens et les Scythes, en particulier, mais leur travail reflète le
souci d'organiser ces listes de façon plus rationnelle et les rapports
des missionnaires se succédant à la curie leur apportaient une
connaissance de plus en plus précise sur ces communautés
chrétiennes d'Orient, dont les croisades avaient révélé l'existence et la
dissidence59.
Les lettres instituant les vicaires de la Société des Frères Pérégri-
nants au XVe siècle correspondent au modèle de la bulle Cum hora
undecima mais enregistrent l'extension du domaine des missions
dominicaines en Europe centre-orientale et le rôle des cités de la mer
Noire. La bulle Advesperascente nommant Louis de Pise, vicaire
général de la Société des Peregrinante, en août 143960, comporte, en
effet, deux nouveautés notables : «Karelorum» et «Ungarorum maiorìs
Ungane». La lettre souligne l'importance particulière des villes de
Caffa et de Péra, nommément indiquées avant la liste des peuples,
avec l'adverbe «maxime». Les bulles du XVe siècle reflètent
également la prétention au ressort le plus vaste en Orient, tel que l'avait
réaffirmé Jean de Sultanieh dans son Libellus, se fondant sur la
bulle de Jean XXII61. Outre la reprise des doublets évoqués plus
haut, les habitants de la cité d'Agolisca, en Abyssinie, sont
mentionnés dans la lettre adressée à Christophe de Viterbe, au moment de la
seconde restauration de la Société, en 146462. Jean de Sultanieh fut
nommé administrateur de l'archevêché de Pékin (Khanbaliq), en
1410 et se définissait, dans son Libellus, dès 1404, comme arche-

58 Se fiant au Libellus de notitia orbis de Jean de Sultanieh, A.D. von den


Brincken fait entrer Jean de Ziquie dans l'ordre des Prêcheurs alors qu'il était
franciscain. Cette erreur a été corrigée par J. Richard et G. Fedalto, La Chiesa
latina I, op. cit., p. 557-558, voir note 95.
59 A.D. von den Brincken dans Nationes christianorum orientalium, voir
l'introduction.
60 CICO XV, n° 807.
61-A propos des Ethiopiens et de leur roi, le prêtre Jean, Jean de Sultanieh
dit : «...sub iuridictione archiepiscopi Soltaniensis sunt ut patet in butta Iohannis
XXII». Libellus de notitia orbis, éd. Kern, AFP 8, 1938, p. 121.
62 R.J. Loenertz, La Société, II, op. cit., p. 140-144.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 51

vêque de tout l'Orient63. La place de Chios à côté de Caffa et de Péra


montre l'importance acquise par le secteur de l'Egée orientale
depuis la première restauration de la Société, sous l'impulsion de frère
Elie Petit et de l'archevêque de Mitylène, Léonard de Chios. Cette
description du ressort de la Société fut reprise pour la nomination,
par le pape Sixte IV, en 1473, de Jean-Baptiste Fattinanti, vicaire
général de la congrégation et inquisiteur en Orient, avec la même liste
de peuples64. La prise de Constantinople par les Turcs n'a donc pas
provoqué la suppression de Péra et l'adverbe «maxime» figure
toujours. Cette bulle de nomination reprend, en effet, exactement les
termes de la constitution Dum Levamus qui nommait son
prédécesseur Christophe de Viterbe en 1464.
Par leur définition des terres de mission, les bulles pontificales
étaient des documents très importants pour les missionnaires eux-
mêmes. Ils ont en effet servi de documents de référence lorsque
leurs privilèges apostoliques étaient menacés.
Le problème s'est posé à plusieurs reprises dans l'extension
danubienne de la Société des Frères Pérégrinants. Les Dominicains
appartenant à cette congrégation jouissaient de libertés particulières et
leurs couvents avaient un statut spécifique. Ces privilèges étaient
contestés par les Frères des provinces voisines et par le clergé
régulier des régions où ils exerçaient leur apostolat.
Nous avons vu plus haut que le provincial de Pologne avait fait
appel, sans succès, au chapitre général de Carcassonne, en 1378,
contre la décision pontificale intégrant les couvents de Ruthénie, Po-
dolie et Moldavie à la Société des Frères Pérégrinants. Cette
organisation ne fut pas remise en cause pendant les quatre-vingts années
suivantes. Mais à la suite de la prise de Constantinople par les Turcs,
le chapitre général de Montpellier supprima la Société en 1456 et
répartit ses couvents entre les trois provinces voisines, Pologne,
Hongrie et Grèce65. Cependant les Dominicains de Caffa obtinrent le
rétablissement de la Société par le pape Pie II, en 1464. Celui-ci
confirma les privilèges des missionnaires, reprenant les termes de la bulle
Advesperascente. La bulle pontificale Dum levamus consacre un
paragraphe au problème particulier des couvents de Ruthénie et de
Moldavie. Ce qui montre que leur rattachement à la Société était
fortement contesté par les provinciaux de Pologne et de Hongrie66.

63 «Hic ergo sit finis huius opusculi mei Iohannis archiepiscopi Soltaniensis
sive tocius orientis ordinis fratrum Praedicatorum...», Libellus de notitia orbis, éd.
Kern, AFP 8, 1938, p. 123.
MBOP11I, p. 498-499.
65 MOPH, 8, p. 266, lin. 18-23.
66 R.J. Loenertz, La Société II, op. cit., p. 130-140, citation des trois
paragraphes de la bulle Dum levamus mettant en évidence les problèmes spécifiques
52 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Le fait est que leur réintégration fut de courte durée puisqu'en 1475
le maître général Leonardo Mansuetis écrivit au provincial de
Pologne pour lui signifier que les couvents de Ruthénie faisaient partie
intégrante de la province de Pologne67.
Mais le clergé séculier contestait également les privilèges des
missionnaires et tenta à plusieurs reprises d'assujettir les
Dominicains à la bulle Super cathedram. Celle-ci réglementait les rapports
entre les Frères mendiants et les prêtres séculiers pour l'usage des
lieux sacrés et l'administration des sacrements. Les tensions furent
particulièrement graves à Lwow et plusieurs archevêques de Halicz
durent intervenir. A Lwow, ville marchande, la communauté
catholique était importante et, par conséquent, le clergé séculier
nombreux. Sans reprendre les épisodes multiples du conflit, le jugement
prononcé par l'évêque Mathias de Przemysl donne la conception des
séculiers sur ce que devait être une terre de mission. Il faisait suite à
une démarche du prieur du couvent de Lwow, Materne, soutenu par
le vicaire général de la Société, Pierre de Terrena, qui était venu en
Pologne et avait obtenu de l'archevêque de Halicz, Jacques Strepa, le
vidimus de la bulle Cum vos ad terras de 1374. Selon Mathias de
Przemysl, la ville de Lwow ne pouvait être considérée comme telle
bien que schismatiques et infidèles y fussent nombreux. En effet elle
était gouvernée par un prince catholique et possédait un évêque
catholique. En conséquence, il ne pouvait y avoir de Frères Pérégri-
nants à Lwow et les Dominicains devaient y être soumis à la bulle
Super cathedram. Mathias concédait cependant que dans les autres
régions de Ruthénie, gouvernées par des princes schismatiques, les
Prêcheurs pouvaient jouir de leurs privilèges de missionnaires. Ainsi
l'évêque de Przemysl pensait que la confession du prince
déterminait le statut de terre de mission et non la situation religieuse de la
région. Mais ce jugement, malgré une louable tentative de
clarification, révèle l'ambiguïté de l'état missionnaire. En effet, si on le suit,
les colonies génoises ne pouvaient en jouir. Cependant les privilèges
des Peregrinante y furent peu contestés. La situation en Pologne
était différente en raison de la pression exercée par le provincial et
un clergé local puissant.
Le problème des rapports entre mendiants et séculiers se posa
dans des termes similaires en Moldavie. Un groupe de bulles de
Martin V est très éclairant sur la rivalité entre les deux clergés dans
cette région, en 1420. Ainsi, lorsque l'évêque de Moldavie, Jean de
Ryza O.P., demanda l'application de la bulle Super cathedram, le

soulevés par la restauration de la Société et l'intervention des Frères de Caffa,


p. 134-135.
67 RJ. Loenertz, La Société II, op. cit., p. 139.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 53

pape répondit favorablement à la demande. Cependant plusieurs


documents appartenant à ce groupe de lettres pontificales donnent des
informations sur la confession des souverains de Moldavie. La
duchesse de Valachie mineure, Ringoia68, demanda l'annulation de son
mariage avec Alexandre «dux Graecorum» parce qu'il n'avait pas
renoncé au schisme comme elle l'avait espéré. Ainsi, bien que le
souverain fût schismatique, l'évêque demanda l'application de la bulle de
Boniface Vili. La situation était en effet complexe. Depuis 1370, les
princes de Moldavie fluctuaient entre le rite latin et le rite
orthodoxe. Le prince Latzco se convertit, à cette date, et fonda la
cathédrale de Seret. Un de ses successeurs, Pierre, figure, en 1384, parmi
les donateurs du couvent des Prêcheurs, dédié à la Vierge et à Saint-
Jean-Baptiste, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Alexandre, lui-
même, fut à l'origine de la création d'un second siège episcopal en
Moldavie, au début de son mariage avec la duchesse Ringoia, vers
1417/1420. Il semble donc que ce soit la présence d'une hiérarchie
catholique organisée dans une région qui motivait l'application de la
bulle Super cathedram. Le fait que l'évêque de Moldavie soit un
Prêcheur soulève cependant un autre problème. Pourquoi, en effet,
cherche-t-il à limiter les droits de ses confrères? La supplique de son
successeur peut apporter une réponse. Pierre Cipser O.P., évêque de
Moldavie, s'inquiétait de la liberté dont disposaient les
missionnaires de son diocèse. Il y dénonçait en particulier le mauvais usage
qu'ils en faisaient. N'étant pas obligés de résider dans le couvent, les
missionnaires étaient incontrôlables et les écarts dont ils pouvaient
se rendre coupables, pouvaient être préjudiciables à l'efficacité de la
prédication catholique.
Jusque dans le dernier tiers du XVe siècle, les papes soutinrent
toujours les Prêcheurs missionnaires en Orient et les documents
émanant du Saint-Siège montrent que leurs privilèges furent
régulièrement renouvelés lorsqu'ils étaient contestés. Mais le recul des
puissances chrétiennes devant les invasions turques rendaient leur
position de plus en plus fragile et la prise de Caffa, en 1475, réduisit
la Société des Frères Pérégrinants aux couvents de Chios et de Péra-
Constantinople.
Les Frères Mendiants avaient donc, dans leur si vaste domaine
d'intervention, des populations de religions et de rites extrêmement
divers. Ainsi ces longues listes des bulles pontificales révèlent-elles la
reconnaissance par le Saint-Siège de la réalité sur le terrain des
missions.

68 Ringoia (Ringalla) était une sœur de Witold, grand-duc de Lituanie. Elle


épousa Alexandre de Moldavie en secondes noces, G. Rhode, Die Ostgrenze
Polens, op. cit., table généalogique n° 9.
54 LES DOMINICAINS EN ORIENT

b) Schismatiques, païens et infidèles dans le ressort de la Société des


Pérégrìnants
Quelques exemples montreront que dans des régions aussi
éloignées que celle de Samarkande ou, plus proches, les rivages de la
Mer Noire ou les pays traversées par les routes commerciales
menant en Europe centrale, des populations très mêlées pouvaient
cohabiter.
Les différents documents qui concernent la mission et la
nomination de Thomas de Mancasole sur un siège episcopal créé pour
lui, Samarkande, en Sogdiane, montrent la présence de ces
chrétiens byzantins, loin en Asie Centrale. Cinq lettres pontificales nous
renseignent sur les circonstances de sa nomination et sur son
domaine d'intervention. Dans l'ordre chronologique, la lettre du 21
août 1329 recommande le nouvel évêque de Samarkande, siège qui
vient d'être créé, à tous les Chrétiens de l'empire d'Elgigaday, des
terres de Chorasan, du Turkestan et d'Indoustan. Le pape
recommande également les Frères Prêcheurs et les Frères Mineurs qui
se trouvent dans ces régions et qui s'y rendent. Une autre lettre du
même jour le nomme sur ce siège, précisant qu'il était professeur,
érudit en théologie. Le 29 septembre, le pape le recommande aux
Chrétiens hongrois et melkites et aux Alains, en particulier à Jereta-
mir, issu de la famille des princes catholiques de Hongrie. Puis une
seconde lettre, adressée à Elgigaday, le 4 novembre 1329, nous
indique que ce prince avait envoyé des frères Prêcheurs, dont Thomas
de Mancasole, auprès du pape afin qu'il soit informé sur la religion
catholique. Jean XXII lui envoya donc une profession de foi et
l'exhorta au baptême. Enfin, le 14 février 1330, sans doute peu avant son
départ vers l'Orient, le pape lui confia, ainsi qu'à Jourdain Cathala,
le pallium du nouvel archevêque de Sultanieh, Jean de Cori69.
Samarkande et la Sogdiane étaient au moment de la légation de
frère Thomas, gouvernées par le khan de Djagataï, c'est à dire
«l'empire des Tartares du milieu». Celui-ci était depuis le début du siècle
tolérant vis à vis des Chrétiens. La tradition littéraire médiévale
indique que l'ancêtre de la dynastie au pouvoir au XIVe siècle s'était
même converti et avait fait bâtir une cathédrale. Le khan Elgigaday
avait pris le pouvoir en 1327 et avait accueilli favorablement la
prédication de Thomas de Mancasole. Les documents pontificaux nous
le montre prêt à se faire baptiser70. Dans le cas des khans de
Djagataï, il s'agit donc de l'évangélisation de païens, mais les régions
environnant Samarkande étaient peuplées de Chrétiens de rite byzantin

69BEFAR, Lettres communes, Jean XXII, nn° 46053, 46054, 46760, 47167,
48453 noter éditeur.
70 J. Richard, La Papauté et les missions, op. cit., p. 186-188.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 55

à ramener dans l'Eglise romaine. Il n'est pas certain que les


Hongrois dont il est question dans la lettre du 29 septembre 1329 fussent
catholiques, d'où la précision de la confession de la famille d'origine
de leur prince. Melkites et Alains étaient dans l'obédience de l'Eglise
grecque. Ces derniers nomadisaient au XIIIe siècle entre le Nord du
Caucase et les bouches de la Volga et se sédentarisèrent peu à peu,
faisant du commerce dans les villes de Crimée ou de la mer d'Azov.
Ils avaient été évangélisés au IXe siècle par un higoumène du Mont
Athos, Euthyme de Bithynie71. Guillaume de Rubrouck indique
qu'ils étaient de rite grec et avaient des prêtres grecs72. Ces
différentes communautés chrétiennes, souvent déplacées en raison des
conquêtes arabes puis mongoles, se sont trouvées loin de tout
encadrement religieux. Exceptés les Melkites d'Asie centrale, dirigés
par le catholicos de Romagyris, elles manquaient de prêtres de leur
rite, mais les missionnaires étaient prêts à leur administrer les
sacrements et à assurer leur direction spirituelle, c'est pourquoi les
documents concernant la nomination de Thomas de Mancasole,
évoquent la demande d'un clergé par les souverains de la région.
Jusqu'au milieu du XIVe siècle, le christianisme byzantin s'était
répandu à travers la haute Asie, jusqu'en Mongolie et même en Chine,
mais la hiérarchie grecque ne semble pas avoir dépassé le Caucase.
C'est auprès de ces Chrétiens de rite grec, dépourvus de clergé, que
les missionnaires catholiques ont pu effectuer le plus facilement des
conversions.
De retour en Orient, Thomas de Mancasole emmenait avec lui
des frères Prêcheurs et des Franciscains. Le Djagataï était à la fois
dans le ressort des missions dominicaines et dans celui des
Franciscains, mais, dans ces régions si lointaines, la concurrence n'était pas
de mise.
La cohabitation entre communautés de rite byzantin et païens
ou infidèles, comme l'indiquent les bulles instituant les missions en
Orient, était générale de Samarkande à Péra. Ainsi Jean XXII
s'adresse t-il à l'archevêque de Sultanieh, Jean de Cori, nouvellement
nommé : «Venerabilibus fratribus archiepiscopo Soltaniensi et eius
suffraganeis episcopis, Ordinis Praedicatorum, commorantibus inter
infidèles et schismaticas nationes»73. Dans un document précédent,

71 G. Moravcsik, Byzantinische Mission im Kreise der Türkvölker an der Nord-


kuste des Schwarzen Meeres, dans Proceeds. XIII internat, congr. Byzant. studies,
Oxford, 1967, p. 15-28.
72 J.Dauviller, Byzantins d'Asie Centrale et d'Extrême Orient au Moyen Age,
dans REB 11, 1953, p. 72 sq.
73 CICO VII, 2, n° 119, 19 février 1330.
56 LES DOMINICAINS EN ORIENT

en faveur du prédécesseur de Jean de Cori, l'expression utilisée est :


«apud Graecos et infidèles»74.
L'une des bulles préparant la réorganisation de la Société des
Frères Peregrinante, «Cum vos ad Armenie Maiorìs...»75, utilise une
terminologie peu précise, certes, mais tout aussi riche
d'enseignements. Les Prêcheurs de cette région ont une mission d'évangélisa-
tion des peuples non croyants, donc des païens et des infidèles.
Mais plus on se rapproche de Byzance, plus les Grecs ou les
schismatiques sont présents et leur nombre peut faire obstacle à la
mission des Prêcheurs. Ainsi Jean de Florence, évêque de Tiflis,
envoya une supplique au pape Clément VI pour dénoncer les
schismatiques qui l'empêchaient d'exercer son ministère. Le texte montre
que, dans cette terre de mission, les Dominicains essayaient de
ramener les chrétiens orthodoxes dans l'obédience de Rome76. Le
diocèse de Tiflis fut créé par Jean XXII en 1329, en même temps que
celui de Samarkande pour Jean de Florence, en raison des succès de sa
prédication et de sa connaissance du géorgien. Ce frère aurait en
effet traduit plusieurs livres du latin dans cette langue77, et la bulle
citée ci-dessus indique que Jean XXII souhaitait que cette nomination
conduise à une augmentation du nombre et de l'efficacité des
professeurs de la foi catholique dans ces régions.
Un document du XVe siècle montre aussi la cohabitation
interethnique à Tana. Le pape Martin V institue Antoine de Levanto O.P.,
évêque de ce diocèse parce qu'il parle les langues de la région78. Dans
cette même lettre, le pape explique que la population de Tana et de
ses environs regroupe tant des infidèles que des hérétiques et des
schismatiques79. Outre la cohabitation entre infidèles et
schismatiques, le texte révèle donc la présence d'hérétiques. La
responsabil té de cette situation incombe au clergé grec, qui ne sait pas garder la

74 CICO Vu, 2, n» 72, 1er juin 1323.


75 BOP, II, p. 280 : «Cum vos ad Armenie maioris et alias partes infidelium, ad
evangelizandum gentibus, destinemus...»; BOP II, p. 281 : «Cum vos ad terras Sa-
racenorum paganorum, Graecorum... aliarumque noncredentium nationum Orien-
tis et Aquilonis...».
76 CICO LX, n° 74, 11 juillet 1346 : «...quidam ministri Sathanae, perditionis fï-
lii et iniquitatis alumni, quamquam falso se asserant eiusdem fidei professores,
eiusdem episcopi operibus invidentes et superseminare zizaniam in agris in quibus
ipse virtutum semina . . . iecerat, non verentes illos quos prefatus episcopus ad fi-
dem eandam adduxerat ...ab inde falsis et damnandis suggestionibus retrahere...».
77 J. Richard, La Papauté et les missions, p. 185.
78 CICO XIV, n° 220, 3 juillet 1422 : «Nos ... sperantes quod tu qui in illorum
idiomate piene doctus existis...».
79 Ibid. : «...ad salutem tarnen populi Tanen. et partis circumstantis habitan-
tium orthodoxae fidei zelator, qui tant infidelibus quam hereticis et schismaticis
undique circumdat, ut vera religione Christiana derelicta, ad idolatriam et heresim
subvertantur continue infestantur,...».
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 57

pureté de la foi; c'est un thème assez fréquent dans les sources


pontificales afférant aux missions en Orient80.
Dans les grandes colonies génoises de la Mer Noire, les sources
pontificales montrent une situation analogue. Louis de Tabriz O.P.
était recteur de la chapelle Saint-Antoine de Péra pendant une
longue période, mais ce service lui fut enlevé plusieurs fois et il dut
envoyer des suppliques à la curie pour que cette charge lui soit de
nouveau confiée. Il a alors soin de souligner sa connaissance des
langues parlées à Péra et le bénéfice que peuvent en tirer les fidèles
qui y sont accueillis. Le pape reprend cette qualité pour motiver la
prise en compte de sa demande et lui répondre favorablement. Nous
avons les deux textes pour l'année 1434, seulement la lettre du pape
pour 1403. La supplique de Louis de Tabriz était soutenue par le
podestat et le conseil de Péra, qui souhaitait que cette charge fût
enlevée à Nicolas O.P., d'origine allemande, il ne connaissait pas ces
langues. Louis, en revanche, parlait le grec, le latin, le perse, le
tartare et l'arménien, ainsi que le précise la réponse de Boniface IX81.
Ce texte montre donc le cosmopolitisme de la cité, non seulement en
raison de sa population mêlée mais aussi à cause des hôtes de
passage, marchands et pèlerins. Les textes de 1434 précisent que
Nicolas appartenait au couvent de Péra et que sa méconnaissance des
langues parlées dans la cité était un obstacle à la fréquentation de la
chapelle par les fidèles82. Louis de Tabriz était mieux à même de
pouvoir communiquer avec la population de Péra. Il était, en effet,
originaire de Tabriz, entré dans la congrégation des Frères Uniteurs
d'Arménie; les armées de Tamerlan l'avaient fait fuir vers des
régions plus calmes et il s'était réfugié, comme beaucoup de ses

80 CICO X, n° 116, 22 juin 1358, lettre adressée à Jean de Ziquie, archevêque


de Matrega : « . . .gentes, quae olim de secta Graecorum existebant, propter negligen-
tiam Graecorum, inimico humani generis procurante, per quasdam damnationis fi-
lias Pythonissas nuncupatas et seductores alios, circumventi, ad diversas idolatrias
prolapsi fuerant...» L'accusation est encore plus claire.
81 CICO XIII, 1, n° 131, 11 août 1403 : «...tuque in graeco, latino, persico,
tartarico et armenico idiomatibus, quae plerumque incolae terrae praedictae ac merca-
tores et peregrini necnon advenae, qui ad eamdem terram déclinant pro tempore, lo-
quuntur...».
82 CICO XV, N° 253, lettre d'Eugène IV, 7 octobre 1432, la supplique de Louis
de Tabriz, Reg. Suppl. 280, f. 189v-190 : «...Fr. Ludovicus de Taurisio, presbyter
professus Ord. Fr. Pr., rector hospitalis Sancii Antonii de Pera Constantinopolitana
diocesi, qui Grece, Armenice, Persice, Tartarice et Latine linguarum peritiam habet
et christianos illarum linguarum verbum dei predicando, ecclesiastica sacramenta
ministravit, quare pro parte dicti Fr. Ludovico s. v. humiliter et devote supplicatur,
quatenus ei ut verbum Dei predicare ipsosque christianos in dicto hospitali S.
Antonii et opido Pere sibi conftteri et ab eo Ecclesiastica sacramenta recipere volentes,
eorum confessiones audire... ».
58 LES DOMINICAINS EN ORIENT

compatriotes arméniens à Caffa. Il fut assigné au couvent Saint


Dominique de Venise par le maître général Raymond de Capoue en
1389. Il fut ensuite autorisé à entrer dans l'ordre des Prêcheurs en
1396 et assigné au couvent de Caffa.
Les Dominicains qui exerçaient leur ministère dans les diocèses
de la Mer Noire, s'affrontaient à la réalité du terrain missionnaire.
Nous avons peu de documents nous renseignant sur les
titulaires résidents de l'évêché de Savastopoli d'Abkhazie car il furent
peu nombreux. Cependant la lettre que fit parvenir Pierre Geraldi
O.P., par l'intermédiaire du marchand Joachim de Crémone, aux
évêques du royaume d'Angleterre, nous donne un tableau saisissant
de ce que pouvait être une mission dans un port de la Mer Noire. Il
envoya, le 13 octobre 1330, une circulaire afin de demander des
renforts militaires, car la situation devenait intenable. Pierre Géraldi
craint pour sa vie : «... sans cesse nuit et jour je m'attends à une mort
violente pour la foi et l'unité de l'Eglise». L'évêque promet donc ba-
ronnies, principautés, royaumes et palais à ceux qui viendraient
prêter main forte aux missionnaires. La lettre dénonce la menace sarra-
sine toujours plus présente : «...en Orient la puissance chrétienne
décroît de jour en jour, foulée par les Sarrasins, dont la malice se
fait jour, tantôt par trahisons, tantôt par promesses, tantôt par
présents, tantôt par guerres sur terre et sur mer, tantôt enfin par l'achat
en règle de chrétiens sur le marché». Les deux problèmes qu'il
développe ensuite sont plus particulièrement le trafic des esclaves et ses
relations tendues avec le clergé grec. Il accuse les Grecs de vendre
des esclaves chrétiens aux Sarrasins et d'avoir profané à trois
reprises la croix du cimetière de la communauté catholique. Un
évêque grec dirige la communauté schismatique, dont Pierre
Géraldi dénonce l'alliance formée contre lui avec les Sarrasins et les Juifs.
En revanche, il a réussi à ramener à la foi romaine des Géorgiens,
peu nombreux car il dit : «...le dimanche quelques pauvres
Géorgiens me font une offrande...». Mais surtout il s'est entendu avec le
prince de la région : c'est lui qui lui a concédé le terrain nécessaire à
l'aménagement du cimetière catholique. Dans cet appel à la
croisade, il informe les évêques d'Angleterre que ce prince est disposé à
se battre avec les chevaliers d'Occident pour faire cesser la menace
sarrasine. La circulaire de Pierre Géraldi est donc un document
important pour l'histoire des missions dominicaines en Orient83. L'Abk-
hazie était politiquement rattachée à la Géorgie, mais avait son
propre souverain, au moment où écrit l'évêque dominicain. A la fin
du XIIIe siècle, la Géorgie avait dû reconnaître la souveraineté des

83 Le texte de cette circulaire est traduit par R.J. Loenertz, La Société I,


op. cit., p. 133-134, qui donne le contexte politique, mais ce texte n'est pas analysé.
LES PRÊCHEURS EN ORIENT, UNE MISSION? 59

Mongols, qui l'avaient divisée en deux principautés84. Cette région


fut intégrée au domaine génois dans le dernier tiers du XIVe siècle et
reprise par les Abkhazes en 1455. Pierre Géraldi fut le successeur de
Bernard Moreti. Il était sans doute originaire d'Aquitaine, alors
domaine anglais, d'où les destinataires de sa lettre85.
En effet, la lettre de Pierre Géraldi montre les trois axes de la
lutte des Prêcheurs de ces régions : le prosélytisme auprès des
schismatiques en même temps que la dénonciation du schisme par
un attachement à la ségrégation des communautés, le combat
contre le commerce des esclaves, le refus de négociation avec les
Sarrasins et la recherche de moyens militaires pour desserrer la
menace musulmane. Cette action des Frères Peregrinante ne fut pas
sans provoquer de conflits avec les autorités génoises. Mais ce
document montre également les relations que les Prêcheurs savaient
entretenir avec le pouvoir politique de la région dans laquelle ils
exerçaient leur ministère, fût-il schismatique. Ces conditions
particulièrement délicates expliquent qu'il fut difficile de pourvoir le siège de
Savastopoli de titulaires-résidents. La liste des évêques révèle que
seuls les clercs originaires de la région, comme Paul Francisci du
couvent franciscain de Caffa, résidèrent. Les titulaires nommés ne
prirent pas possession de leur siège : c'est le cas de Berthold de Rott-
weil O.P., et de son successeur, Nicolas Passek O.P.86.
Comme les documents évoquant la concurrence entre les
mendiants et les séculiers l'ont révélé, la Ruthénie, la Podolie et la
Moldavie connaissaient la même situation religieuse. La plupart de ces
régions avaient été christianisées par l'Eglise orthodoxe, et, dans les
campagnes, la population était majoritairement de rite grec. Dans
les villes, étapes des routes du commerce, comme Lwow, mais aussi
Kamieniec-Podolsk, les catholiques étaient majoritaires. Elles
étaient peuplées de colons allemands ou polonais. Mais ces grosses
communautés catholiques cohabitaient avec des marchands juifs ou
arméniens. Les païens étaient également nombreux87, c'était le cas

84 M. Tamarati, L'Eglise géorgienne des origines à nos jours, Rome, 1910,


p. 434.
85 J. Richard, La papauté et les missions, op. cit., p. 178.
86 CICO XIII, 1, nn° 124a, 124i : «Nicolaum Passek O.P., praeficit in episco-
pum Sevastopolen., ei residendi obligationem imponens et prohibens quominus in
aliis civitatïbus et diocesibus pontificalia officia exercere valeat». (23 décembre
1401) mais un an plus tard : «concedit, ut post suam consacrationem etiam in aliis
civitatibus et diocesibus pontificalia officia exercere valeat, loci Ordinarii assensu
accedente». J. Richard, La Papauté et les missions, op. cit., p. 179, note 32.
87 Histoire religieuse de la Pologne, dir. J. Kloczowski, Paris, 1987, p. 110;
L. Bienkowski, Les Eglises orientales en Pologne avant les partages. Problèmes de
cartographie, dans Miscellanea Historiae Ecclesiasticae, V, Colloque de Varsovie
(27-29 octobre 1971), Louvain, 1974, p. 135-141.
60 LES DOMINICAINS EN ORIENT

des Lituaniens dans leur grande majorité, au milieu du XIVe siècle.


En Moldavie s'étaient installés des groupes de Coumans et de Tar-
tares fuyant les incursions mongoles. Ainsi les couvents dominicains
de Ruthénie, Podolie et Valachie étaient situés dans un contexte
ethnique et religieux très proche de celui des cités portuaires de la Mer
Noire et cela justifiait pleinement leur appartenance, si difficile à
défendre, à la Société des Frères Peregrinante.
Dans la mesure où les lettres pontificales parlent d'évangélisa-
tion, en même temps que de prédication auprès des chrétiens, pour
les Dominicains de la Société des Frères Peregrinante, il faut
considérer l'ensemble de son ressort comme véritable terre de mission.
Dans les autres régions grecques dominées par les Latins, la
Romanie vénitienne, Chypre ou l'Achaïe, l'action des Prêcheurs se limite la
plupart du temps au ministère dans les communautés latines et
donc à la lutte contre les hérésies lorsqu'elles apparaissent.
ε?'

CHAPITRE III

ROMANIE GÉNOISE,
ROMANIE VÉNITIENNE, DEUX MONDES,
ET LES AUTRES : HELLÉNITÉ DU MONDE RURAL
ET COSMOPOLITISME URBAIN

Ainsi les Dominicains apparaissent-ils dans les sources


pontificales comme omniprésents dans le domaine génois, alors qu'ils sont
particulièrement discrets dans les autres régions grecques dominées
par les Latins. Si les sources sont plus abondantes pour les colonies
génoises et la Société des Frères Pérégrinants et si le nombre des
documents peut accentuer le rôle des Prêcheurs dans cet ensemble de
régions allant de la mer Egée orientale à la Grande Arménie en
passant par la Mer Noire, les sources pontificales couvrent de façon
uniforme l'ensemble des colonies latines d'Orient et donnent
également cette image dissymétrique de deux mondes. Cette plus grande
intensité et cette différence de nature de l'action des Prêcheurs
peuvent s'expliquer par un contexte ethnique et culturel propre à
l'empire colonial génois, comparé aux autres domaines latins
installés sur les anciennes terres byzantines.
Fions-nous au témoignage de Marino Sanudo, à propos de la
Morée, de Chypre, de l'Eubée, de la Crète, de Rhodes et des îles de
la mer Egée : «Bien que ces régions soient soumises aux Francs et
obéissent à l'Eglise romaine, la plus grande partie de la population
est grecque et incline vers l'orthodoxie, et, quand elle le peut, la
pratique». Ces régions, bien que soumises à des pouvoirs politiques
différents, sont en effet caractérisées par une situation ethnique
particulière, les communautés latines y sont minoritaires et
dispersées dans un milieu culturel majoritairement grec. La situation des
missions dominicaines fut donc, dans cet ensemble régional,
particulièrement délicate. Les autorités civiles y furent généralement
peu favorables à la prédication catholique, celle-ci pouvant
compromettre la paix civile. Cependant, que ce soit en Romanie
génoise ou dans les autres régions de l'Orient méditerranéen, les
conditions de l'action des Prêcheurs semblent avoir été aussi
difficiles et la politique des pouvoirs locaux fut, sans doute, plus
convergente qu'il paraît à priori.
62 les dominicains en orient

1 - Ilots de Latinité en Romanie vénitienne et Achaïe

La Romanie vénitienne comprenait différents types


d'établissements. Les plus étendus, sous domination directe, étaient la Crète et
Négrepont, puis toute l'Eubée à partir de 1390; Chypre n'entrera
dans le domaine vénitien qu'à partir de 1489, lors de l'abdication de
la femme du dernier roi de l'île, Catherine Corner, une Vénitienne.
Les autres territoires sont de dimensions plus modestes : Corfou, où
un bailli est attesté en 1386, Tenedos, des établissements en Grèce
continentale et en Péloponnèse, Argos et Nauplie, les forteresses de
Modon et de Coron, Thessalonique entre 1423 et 1430. A côté de ces
territoires sous domination directe, il y avait des colonies de
marchands concédées en territoire étranger dont les plus importantes
étaient Constantinople et Trébizonde, gouvernées par un bailli,
responsable de la justice civile entre les membres selon le droit
vénitien. D'autres comptoirs, moins importants, Tana, Sinope, étaient
administrés par un consul. Des communautés de marchands, enfin,
étaient établies en territoire musulman sur les côtes de Syrie,
Palestine et d'Egypte. Les gouverneurs des installations vénitiennes de
l'outre-mer étaient appuyés par des conseils, selon le principe de la
collégialité des magistratures en vigueur à Venise. Ils étaient
nommés «Grands Conseils» pour les colonies les plus importantes, la
Crète, Négrepont et Constantinople, auxquelles s'ajouta celui de
Nicosie à partir de 1489.
C'est en Crète, le plus vaste ensemble territorial vénitien, que
cette situation très minoritaire de communautés latines isolées
dans un monde de culture hellénique dominante, est la plus
caractéristique. Les colons vénitiens furent peu nombreux, 180 familles
en Crète en 12111. La plupart des Latins vivaient dans les centres
urbains de la côte comme La Canèe et Candie, d'autres, regroupés
en petites communautés, étaient isolés dans l'intérieur de l'île.
Dans ces conditions, une certaine fusion des élites s'est effectuée
progressivement. Dans les premières années du XVe siècle, le
processus d'hellénisation de la société est commencé avec son
corollaire religieux, le passage au rite grec. Les Verner sont devenus
orthodoxes2.

1 La Repubblica di Venezia nell'età moderna, dalla guerra di Chioggia al 1517,


parte terza : II Dominio da mar, la Romania, p. 179-194, Turin 1986.
2 F. Thiriet, La Situation religieuse en Crète au début du XVe siècle, dans By-
zantion, 36, 1966, Mémorial Henri Grégoire, p. 201-212. Dans cet article F. Thiriet
dit que Démétrios Cydonès était Dominicain. Malgré les relations très étroites qui
le lièrent à des Prêcheurs d'origine grecque, les frères Chrysobergès ou Manuel
Calécas, il n'est pas du tout certain qu'il les ait imités, C. Delacroix-Besnier,
Conversions constantinopolitaines , dans MEFR, 1993, 105/2, p. 715-761.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 63

En Achaïe, il s'opéra un phénomène assez comparable à celui


que connut la société Cretoise. La version grecque, au XIVe siècle, de
la chronique de Morée montre que les archontes, bilingues souvent,
adoptèrent les valeurs des feudataires latins. En effet, dans cette
région de la Grèce, l'introduction du système féodal par les
Occidentaux permit une privatisation du pouvoir politique, dont les
archontes profitèrent. Pour cette raison l'intégration de la noblesse
grecque à la société féodale franque fut généralisée, continue et
profonde. Inversement, les Francs avaient tendance à se mêler à la
population grecque. Ce fait apparaît, dans les archives pontificales à
propos du culte. Le pape Jean XXII intervint, en 1322, auprès du
patriarche latin de Constantinople et de l'archevêque de Patras afin
qu'ils interdisent aux Catholiques de communier avec les Grecs
schismatiques3. Ce texte nous donne un tableau saisissant de la
fréquentation des offices par les communautés chrétiennes. Pour les
Orthodoxes comme pour les Catholiques, la nécessité de participer
au culte chrétien primait la crainte de la validité du sacrement qui
était administré. Le problème était que la communauté de rite latin
était minoritaire et le pape avait tout à fait raison de s'inquiéter de
cette intégration culturelle, qui s'effectuait par la participation des
Catholiques aux offices dans les églises orthodoxes, aussi bien en
Crète qu'en Achaïe.
Ce phénomène d'intégration fut moins important dans le
domaine vénitien, où la Serenissime prit conscience du danger pour
l'identité culturelle latine. Les autorités vénitiennes réagirent en
instaurant une ségrégation de fait entre les deux communautés aussi
bien parmi l'élite que dans les couches moyennes et inférieures de la
société. Dès le début de l'occupation de la Crète, Venise avait interdit
formellement les mariages mixtes, mais il fallut réitérer cette
interdiction à plusieurs reprises, ainsi en 1349. Les sources montrent
cependant des mariages mixtes, peu nombreux certes4, mais le fait
n'était pas rare et, dès le XIVe siècle, il était facile de trouver des «feuda-
tori bastardi», ainsi appelés parce qu'ils n'étaient pas de sang latin

3 CICO VII, 2, n° 63 : «Sane, non absque mentis amaritudine percipimus his


diebus, quod in principatu Achaiae christiani fidèles qui Latini in Ulis partïbus vul-
gariter nuncupatur, cum Graecis schismaticis et aliis infidelibus conversantes, in-
terdum tam ipsi quam eorum uxores et familiae praedictorum, schimaticorum ri-
tui, non sine suarum animarum periculis, adhaerent imprudenter; et accedentes
saepius ad Missas audiendas, eorum oblationes sacerdotibus schismaticis offerunt
et Sacramenta ecclesiastica iuxta ritum huiusmodi temere recipiunt ab eisdem dic-
tique Latini ad Missas et alia divina officia, quae secundum ritum sacrosanctae Ro-
manae Ecclesiae celebrantur ibidem, admittere dictos schismaticos non verentur».
4 D. Jacoby, From Byzantine to Latine Romania, Continuity and Change, dans
Latins and Greeks in the Eastern Mediterranean after 1204, Β. Arbel, Β. Hamilton,
D. Jacoby, éd., Londres, 1989, p. 1-44.
64 LES DOMINICAINS EN ORIENT

pur5. C'est ainsi que se formèrent des parentèles entre Grecs


indigènes d'une part et Vénitiens latins d'autre part, qui engendrèrent
des générations de chevaliers et de citoyens crétois d'origine
occidentale, passés au rite grec, fondateurs d'églises et de monastères
orthodoxes. Ils étaient bilingues et comptèrent pour beaucoup dans
la conservation du patrimoine hellénique puis sa transmission à
l'Occident, les monastères grecs ayant repris leur activité de copie
avec l'arrivée des réfugiés, chassés de Grèce par la conquête turque.

2 - Le cas de Chypre

La population de l'île était très bigarrée. Au moment de la


conquête franque, la plus grande partie de la population était, de
loin, gréco-chypriote. Mais les Syriens constituaient un groupe
important. Si les anciens immigrants syriens s'étaient complètement
fondus dans le groupe des Gréco-chypriotes, tant sur le plan de la
langue et de la religion que du mode de vie, ceux qui étaient arrivés
après la conquête franque formaient un groupe à part, régi par le
Reis, nommé par le roi et résidant à Nicosie et, jusqu'au XVe siècle et
probablement au XVIe siècle, à Famagouste. Les Syriens étaient
principalement établis dans les villes, même si Syrianochori, dans le
district de Morphou, atteste l'existence d'une communauté
villageoise.
Les Arméniens formaient une communauté importante,
regroupée surtout dans un quartier de Nicosie appelé «Armenia». Un lieu
du district de Limassol, Armenochori, attestait un établissement
arménien ancien. Mais ils habitaient aussi d'autres villes de l'île. Au
cours de son séjour à Famagouste, en juin 1335, Jacques de Vérone a
vu débarquer plus de 1500 réfugiés d'Arménie, vieillards, femmes et
enfants, fuyant les armées du Sultan qui ravageaient le pays depuis
l'Ascension. Les Juifs de Chypre sont attestés dans les sources
depuis le milieu du XIIe siècle.
Les ports de Chypre étaient fréquentés par les peuples les plus
divers. Ainsi, dans son récit de voyage, Ludolph de Sudheim rend
compte du cosmopolitisme de Chypre, où l'on entend et parle, au
milieu du XIVe siècle, toutes les langues du monde et où l'on
apprend de nombreux idiomes dans des écoles spécialisées. Il explique
cette situation en indiquant que. Chypre était la terre chrétienne la

5 Nicolas Tomadakis, La Politica religiosa di Venezia a Creta verso i Cretesi


ortodossi dal XIII al XIV sec, in Venezia e il Levante fino al secolo XV, II, dir. A. Per-
tusi, Florence, 1973, p. 783-800. Les grandes familles Cretoises descendent des
parentèles issues des mariages mixtes, ainsi les Zancaruol, Corner, Salamon, Fos-
colo.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 65

plus éloignée et que tous les navires, transportant marchandises et


pèlerins y faisaient relâche. Mais, en dehors des grandes villes, le
groupe gréco-chypriote était largement majoritaire.
Dans le royaume des Lusignan, l'évolution est aussi allée vers
une fusion des élites. L'histoire de Chypre favorisa un renforcement
progressif des éléments grecs et orientaux de la société. Dans un
premier temps, la prise de Saint- Jean d'Acre en 1291 profita aux Génois,
les courants commerciaux étant déviés désormais vers l'île. Leur
influence se renforça peu à peu au cours du XIVe siècle et la prise de
Famagouste en 1374 leur assura une position dominante à l'Est.
Mais cet événement fut suivi de la déportation de plus de cent
chevaliers francs-chypriotes à Gênes et permit à des familles autochtones
de reprendre une place dans l'élite de la société. En même temps des
sentiments anti-génois provoquèrent une réaction nationaliste de
plus en plus vive dans la noblesse.
Certes, la noblesse franque resta fermée, maintenant à un haut
niveau ses valeurs et ses traditions6. Peu nombreux furent les Grecs
qui purent s'y insérer : ces derniers, convertis au rite latin, étaient
des proches du pouvoir. Pour la fin du XIVe siècle, on ne peut
dénombrer que trois personnalités nobles, dont l'origine grecque est
certaine. Encore est-il que, parmi elles, Jean Lascaris, originaire de
Constantinople, n'était pas chypriote. Il fut l'ami du chancelier
Philippe de Mézières et, émissaire officiel du pape Grégoire XI, il fut
également l'un des principaux artisans de la conversion de
l'empereur Jean V Paléologue. Pour la fin du XVe siècle et le siècle suivant,
les chroniques de la période vénitienne livrent peu de noms grecs,
parmi les familles nobles, quatre en tout : Podocataro, Sozomenos,
Singritico, Contostefanos. Dès 1367, un homme du nom de
Théodore Contostephanos peut sembler s'être rallié à l'Eglise latine. Il est
en effet l'écrivain de la secrète de l'église de Limassol7. La famille
Podocataro apparaît dans les sources du XVe siècle comme
appartenant à la communauté latine, mais le premier Podocataro connu,
Nicolas, né vers 1340, était conseiller du roi Jacques Ier. Ses enfants,
tout comme lui, restèrent dans l'Eglise grecque. L'intégration dans
la communauté latine se fit à la génération suivante8. En 1453,

6 B. Arbel, The Cypriot Nobility from the Fourteenth to the Sixteenth century :
a New Interpretation, dans Latins and Greeks, op. cit., p. 175-197.
7 J. Richard, Chypre sous les Lusignans, Paris, 1962. J. Richard mentionne
les Contostefano parmi les familles appartenant, au début du XVe siècle, à la
bourgeoisie grecque francisée avec les Sain Quéras (ou Sakéras), les Cappadocas
et les Mâcheras, note 14, p. 25.
8 W.H. Rudt de Collenberg, Les premiers Podocataro. Recherches basées sur le
testament de Hugues (1452), dans Thesaurismata, 23, Venise, 1993, p. 130-182.
66 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Hugues Podocataro, petit-fils de Nicolas, fut envoyé en ambassade à


Florence afin que la Signoria intervienne auprès du pape Nicolas V.
Il demanda la confirmation de Jacques de Lusignan sur le siège de
Nicosie9. Marié selon le rite latin, il demanda cependant à être
inhumé dans un monastère grec. L'un de ses frères, Louis, dit médecin
du pape Innocent VIII, devint secrétaire d'Alexandre VI. Il fut
nommé cardinal10. Deux autres membres de cette famille furent
archevêques de Nicosie, d'autres encore reçurent des bénéfices
ecclésiastiques. Dans un document de 1472, Philippe Podocataro, époux
d'une Grecque convertie, Maria Calargi, fait un rapport sur l'état
déplorable dans lequel se trouve l'Eglise latine à Chypre et demande au
pape la permission de fonder des églises latines sur des domaines
privés ou de convertir des églises grecques au culte latin11. Quelques
membres des familles Bustron et Sozomenos firent partie du clergé
latin de l'île. Sur l'ensemble des XIVe et XVe siècles, le nombre des
familles grecques ayant pu accéder à la noblesse, à Chypre, ne dut
pas excéder la dizaine12.
Si les Grecs furent peu nombreux à s'intégrer dans la noblesse
chypriote au sens strict du terme13, des familles en plus grand
nombre parvinrent dans l'élite de la société, comme l'atteste la
chronique de Florio Bustron. Celle-ci contient une liste des
bénéficiaires d'offices et de pensions à la cour de Jacques IL Parmi les

9 W.H. Rudt de Collenberg, Royaume, Eglise latine de Chypre et Papauté,


1417-1471, d'après les archives du Vatican, Nicosie, 1988.
10 A. Mercati, Documenti Pontifici su persone e cose del Mar Egeo e di Cipro,
in Orientalia Christiana Perìodica, 20, 1954, p. 96, note 1.
11 Maria Calargi est appelée «dilecte filie in Christo », texte édité par A.
Mercati, Documenti, op. cit., p. 96-97. Philippe Podocataro, son époux, porte le titre de
docteur, sans doute fit-il ses études en Italie, J. Richard, Culture franque et culture
grecque : le royaume de Chypre au XVe siècle, dans Byzantinische Forschungen, 11,
1987, p. 399-415. Les Podocataro firent leurs études à l'université de Padoue, à
laquelle était liée la famille de la seconde femme de Jean, famille de Génois blancs,
d'origine syrienne et de rite latin, W.H. Rudt de Collenberg, Les premiers
Podocataro, op. cit., voir à la fin la généalogie de cette famille.
12 II faut ajouter deux noms à la liste des Orientaux intégrés à la chevalerie
chypriote : Thomas Barech et Thibault Belfarage selon P.W. Edbury, qui cite
Makhairas, Chronique, paragraphes 568, 579, 599, La classe des propriétaires
terriens franco-chypriotes et l'exploitation des ressources rurales de l'île de Chypre,
dans Etat et colonisation au Moyen Age, dir. M. Balard, Lyon, 1989, p. 146.
P.W. Edbury pense, à juste titre, que peu d'indigènes purent s'intégrer à l'élite
chypriote. Alors que le dernier siècle de la domination des Lusignan vit une
acculturation de la chevalerie franque, la bourgeoisie indigène obtint des domaines
ruraux et des bénéfices ecclésiastiques latins.
13 Les critères définissant la noblesse à Chypre : possession d'un fief contre
service militaire, participation à la Haute Cour (assemblée féodale du royaume),
désignation par les expressions «magnificus » ou «cavalieri nobili», dans Β. Arbel,
The Cypriot Nobility from the Fourteenth to the Sixteenth century : a New
Interpretation, op. cit.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 67

deux cents noms de cette liste se trouvent des Orientaux et des


Grecs. Ce texte montre donc que dans les années soixante du XVe
siècle, si très peu nombreux étaient les Grecs intégrés dans la
féodalité chypriote, certaines familles autochtones avaient pu accéder
à la faveur du roi.
A partir du milieu du XIVe siècle, il faut, en effet, constater une
orientalisation de la société chypriote due aux transformations de la
composition ethnique. Déjà, en 1335, Jacques de Vérone disait que
tous les Chypriotes parlaient grec et, bien qu'ils connussent le
sarrasin et le français, c'est cette langue qu'ils utilisaient le plus
volontiers14. Il rapporte d'autre part des signes de l'acculturation des
Occidentaux. A Famagouste, il assiste aux obsèques d'un riche citoyen
latin, puisque tous les religieux présents dans la ville y étaient
invités. Les femmes chantaient en grec et deux pleureuses escortaient le
défunt. Il décrit également le cortège d'une fiancée constitué de
femmes habillées de longs manteaux noirs et on ne voyait que leurs
yeux. La fiancée avait les sourcils et le front peints15. Sainte Brigitte
porta un autre regard de l'Occident sur la société chypriote lors de
ses étapes à l'aller et au retour de son pèlerinage en Terre Sainte.
Elle s'adressa à la population pour l'exhorter à la réforme de ses
mœurs, Chypre lui apparaissait comme une nouvelle Babylone. Elle
prévint de l'imminence de la colère divine mais elle se heurta à
l'incompréhension de la foule16. Cette orientalisation s'accentua encore
car la population latine diminua au cours du XVe siècle. Dans un
contrat de mariage de 1454, il est stipulé que les époux ont adopté
une coutume chypriote en matière de restitution de la dot17. C'est
ainsi que les diocèses latins de Paphos et de Nicosie n'eurent plus de
titulaires résidents à partir du milieu de ce siècle. Le diocèse de Li-
massol apparaît comme particulièrement sinistré en 1459, où un
texte le décrit comme peuplé de Grecs obéissant à l'évêque grec18. De-

14 Récit édité par A. Röhricht, Le pèlerìnage du moine augustin Jacques de


Vérone (1335), dans Revue de l'Orient latin, III, 1895, p. 155-302, en particulier
p. 176-179.
15 Sur l'usage des rites grec et latin pour le mariage et la sépulture et à propos
de la position de l'Eglise latine voir W.H. Rudt de Collenberg, Le déclin de la
société franque de Chypre entre 1350 et 1450, dans Kypriacai Spondai, Nicosie, 46
1986; Le royaume et l'Eglise latine de Chypre et la papauté (1417-1471), Nicosie,
1988; Les premiers Podocataro, Recherches basées sur le testament d'Hugues
(1452), dans Thesaurismata, 23, 1993, p. 130-182.
16 Sainte Brigitte, Bibliotheca sanctorum, III, p. 439-533.
17 L. Balletto, Les Génois dans l'île de Chypre au Bas-Moyen Age, dans les actes
du colloque «Les Lusignans et l'Outre Mer» (Poitiers-Lusignan 20-24 octobre
1993), p. 28-46.
18 Giuseppe della Santa, Alcuni documenti per la storia della chiesa di Limisso
durante la seconda metà del secolo XV, in Nuovo archivio veneto, XVI, 1898,
p. 150-187.
68 LES DOMINICAINS EN ORIENT

puis le début du siècle les catastrophes les plus diverses s'étaient


abattues sur la région : siège des Génois en 1402, prise de la ville par
les Turcs, attaque des pirates turcs en 1450, avec enlèvement d'une
partie de la population, puis deux ans plus tard, nouvelle attaque
génoise. Dans les diocèses latins de l'île, on ne parlait donc plus que le
Grec et l'Eglise latine employait des scribes autochtones. Au
moment de la mise en application du décret d'Union, les diocèses de Li-
massol et de Paphos n'avaient plus de culte latin. Même à Fama-
gouste génoise, sur cinquante familles, dix-huit seulement étaient
latines19. En 1396, un examen de latin était déjà exigé par Rome pour
la nomination des chanoines de la cathédrale20. On notera que, dans
cette cité les communautés de religions différentes habitaient des
quartiers séparés : les Latins dans la partie septentrionale et
orientale de la ville, les Grecs dans le quartier Sud et les Juifs au Sud-
Ouest, près de la porte de Limassol21.
Comme en Achaïe ou en Romanie vénitienne, il s'est donc bien
produit une fusion des élites même si ce phénomène n'a pas atteint
la couche la plus élevée de la société. Les Latins ont appris le grec et
sont devenus bilingues. Ainsi le cardinal Hugues de Lusignan joua-t-
il un rôle important au concile de Bâle dans les négociations avec les
délégués de l'empereur Jean VIII Paléologue. Il y rencontra
vraisemblablement André Chrysobergès, bilingue également, et dut
intervenir, favorisant la carrière de ce dernier22. André Chrysobergès
reçut en effet plusieurs bénéfices à Chypre, avant d'être nommé
évêque de Paphos en 1444, puis archevêque de Nicosie en 1447. Le
pape Martin V reprochait, dès 1418, à Hugues de Lusignan d'être
plus grec que latin. Mais le phénomène d'interpénétration culturelle
n'était pas le seul fait des Latins, ainsi Florio Bustron, issu d'une
famille grecque, employé à la chancellerie vénitienne connaissait-il
particulièrement bien la noblesse chypriote pour avoir consacré,
dans sa chronique, un chapitre aux droits et devoirs des chevaliers.
Il semble que l'on puisse distinguer la seconde moitié du XIVe siècle
comme moment important de la fusion des cultures grecque et
latine à Chypre. C'est une époque où les rois de Chypre aiment à s'en-

19 G. Pistarino, VII Maona e Mercanti genovesi a Cipro, in Genovesi d'Oriente,


Gênes, 1990, p. 421-476.
20 W.H. Rudt de Collenberg, Les cardinaux de Chypre, Hugues et Lancelot de
Lusignan, dans Archivum Historiae Pontifìciae, 20, 1982, p. 83-128.
21 G. Pistarino, Genovesi d'Oriente, op. cit., voir aussi : M. Balard, La
popolazione di Famagosta all'inizio del secolo XIV, in La storia dei Genovesi, t. IV, Gênes,
1984, p. 27-39, // paesaggio urbano di Famagosta negli anni 1300, in La storia dei
Genovesi, V, Gênes, 1985, p. 277-291.
22 W.H. Rudt de Collenberg, Les cardinaux de Chypre, Hugues et Lancelot de
Lusignan, op. cit., p. 83-128.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 69

tourer de philosophes grecs, comme Georges Lapithès23, ou Georges


le Philosophe, ami et correspondant de Démétrios Cydonès. Le
royaume des Lusignan fut à cette époque un refuge pour les Grecs
convertis au catholicisme24, ainsi les familles Raoul et Paléologue,
noms que l'on retrouve dans la noblesse chypriote en 1490 25. Manuel
Raoul, lettré constantinopolitain, ami de l'empereur Manuel II,
occupait une place importante auprès de Jacques Ier de Lusignan.
Cependant le phénomène d'acculturation s'est effectué surtout dans un
sens, en faveur de l'hellénisme. Le Grec est devenu la langue
dominante, de même que l'orthodoxie sur le plan religieux. Si bien que la
classe dirigeante franque ne réalisa pas sa fusion totale avec
l'ensemble de la société, comme les Normands avaient pu le faire en
Angleterre ou en Sicile. Si les divergences doctrinales ont pu constituer
un obstacle à l'intégration de l'élite grecque, d'autres facteurs
doivent être invoqués26.

3 - Cosmopolitisme et communautés latines


de Romanie génoise

Les colonies génoises de la Mer Noire avaient un peuplement


très cosmopolite ainsi que le chancelier de la République lui-même
pouvait le dire à propos des principales cités de son domaine27.
A Péra, la population, grecque à l'origine, fut surpassée par les
Génois auxquels se mêlèrent d'autres Occidentaux. A côté des noms
des grandes familles de la métropole figurent ceux de gens
originaires de la côte ligure. Mais Péra était une cité portuaire avec une
foule de résidents temporaires comme le montre la série de
documents concernant l'hôpital Saint-Antoine. Louis de Tabriz évoque,

23 La cour d'Hugues IV réunissait non seulement des Grecs et des Latins


mais aussi des Arabes et des Egyptiens. Sur l'entourage intellectuel du roi
Hugues IV de Lusignan, Costas P. Kyrris, Greek Cypriot Identity, Byzantium and
the Latins 1192-1489, dans Epeteris Etaireias Byzantinon Studon, 19, Nicosie, 1992,
p. 169-185.
24 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines au XIVe siècle,
dans MEFR 105, 1993, 2.
25 Β. Arbel, The Cypriot Nobility : a New Interpretation, op. cit., p. 188.
26 G. Hill, The History of Cyprus, part II, op. cit., The Frankish Period (1192-
1432), pensait que les divergences doctrinales constituaient un fossé
infranchissable. Cette idée doit aujourd'hui être nuancée, au moins pour la période qui
commence au milieu du XIVe siècle. Les mariages mixtes, les églises à double nef
et l'ensemble de la politique religieuse des Lusignan sont autant de faits qui
contredisent cette opinion.
27 «...Credendum est Famagustam, Peram, Samastram, Capham, Scythis, Ar-
menis, Grecis habitas, tarn longo hinc maris ac terrarum intervallo distantes, fides
dubiis in rebus servaturas esse», M. del Treppo, Tra Genova e la Catalogna, in Atti
del 1° convegno storico Liguria-Catalogna (1969), Bordighera, 1974, p. 661.
70 LES DOMINICAINS EN ORIENT

dans sa supplique de 1403 28, les marchands et pèlerins en transit


dans la cité génoise. La composition ethnique de Péra fut cependant
assez stable en ce qui concerne la population permanente. Caffa, en
revanche, était une cité particulièrement cosmopolite. Si les Génois
réussirent à conserver les commandes de l'administration,
l'immigration d'origine orientale fut constante. Les immigrés venaient des
steppes environnantes et le statut administratif de Caffa, établi en
1449, tenait compte du particularisme des différentes colonies qui
en dépendaient : Mapa, Matrega, Soldaïa, Cimbalo, Savastopoli et
celles de la rive méridionale de la Mer Noire, Sinope et Trébizonde.
Mais Caffa fut surtout le refuge de toutes les chrétientés refoulées
par les offensives tartares à partir du milieu du XIVe siècle. Les
Arméniens formaient une très forte communauté. En effet, la fin du
royaume arménien de Cilicie, puis les attaques de Tamerlan en
Grande Arménie, des années 1380 à la prise de Maku au début du
XVe siècle, avaient été à l'origine de la diaspora arménienne. Mais
les Grecs étaient également très nombreux. Chacune des
communautés avait ses sanctuaires, ainsi, à côté de la quarantaine de
sanctuaires latins, évoquée plus haut, se trouvaient trois églises de rite
arménien, dix églises grecques et il semble que les Musulmans aient
eu leur mosquée29.
A Kilia, les Occidentaux étaient nombreux. Parmi eux les Génois
étaient minoritaires et ne représentaient que 35% de la communauté
latine. La majeure partie était originaire de Ligurie. La Lunigiana
était particulièrement bien représentée dans le flux migratoire, les
colons venant d'Isola (La Spezia), de Levanto, ou de Montenegro. La
riviera du Ponant fut aussi une grande pourvoyeuse de migrants,
dont certains étaient originaires de Varazze30. On compte également
une cinquantaine de Pérotes, c'est à dire environ 16%. Ces derniers,
en Orient depuis plusieurs générations, connaissaient les coutumes
locales et parlaient un peu le grec et le couman31. Dans les actes
notariés des archives de Gênes, les Orientaux apparaissent assez peu
puisque ces documents concernent les affaires des Génois.
Cependant ils montrent que les marchands génois côtoyaient des Grecs,
des Tartares et des Valaques, de même que quelques Arméniens et

28 CICO XIII, 1, n° 131 : «[idiomates], quae plerumque incolae terrae praedictae


ac mercatores et peregrini necnon advenae, qui ad eamdem terram déclinant pro
tempore, loquuntur,...».
29 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, op. cit.
30 G. Pistarino, VI, A Chilia e Licostomo, in / Gin dell'Oltremare, Gênes, 1988,
p. 247-370.
31 M. Balard, Gênes et l'Outre-mer, II, Actes de Chilia du notaire Antonio di
Ponzio 1360, Paris, 1980.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 71

des Hongrois. Parmi les Orientaux, les Grecs constituent le groupe le


plus nombreux et le plus actif, entre trente et quarante-cinq noms, si
l'on se base sur les noms de baptême ou sur la localité d'origine; ils
proviennent de différentes localités des rives de la Mer Noire. Les
Tartares devaient être assez nombreux si l'on se réfère à la présence
d'un nonce et à l'usage assez fréquent du couman dans les contrats
d'affaires. Un petit groupe d'Arméniens résidait également à Kilia,
de même que des Juifs, dont deux noms, dans les actes d'Antonio di
Ponzio, attestent la présence. Les actes notariés permettent
également de se rendre compte des langues qui étaient parlées à Kilia et
des problèmes que cela posait. Les principales langues étaient le
grec, la romecha, le couman et le groupe des langues dérivées du
latin; de plus, quelques individus parlaient le turc, l'arabe et l'hébreu.
La présence d'interprètes était donc nécessaire lors de la rédaction
des actes et ils étaient une vingtaine environ.
Ainsi les colonies génoises de la Mer Noire avaient-elles une
population particulièrement bigarrée et la métropole avait dû tenir
compte des particularismes locaux. Alors que la Romanie vénitienne
était régie sur des principes administratifs de centralisation et
d'uniformisation, tout en tenant compte des acquis de l'administration
byzantine, la Romanie génoise fonctionnait sur un mode plus
souple32, où les autorités locales disposaient d'une plus grande
marge de manœuvre, ce dont rend compte le statut de Caffa. Celui
de 1398 associait Grecs et Arméniens à l'administration locale33. Un
nouveau texte fut établi en 1449 ainsi qu'à Soldaïa; ce sont donc des
documents législatifs tenant compte des réalités contemporaines et
qui font une place aux orientaux dans l'administration locale. Ainsi
le statut de Soldaïa prévoyait-il que le conseil élirait deux hommes,
un Grec et un Latin, qui auraient pouvoir de répartir et distribuer
l'eau entre les propriétaires de vignes34. A Péra, où le peuplement
était plus homogène, en majorité génois, la métropole avait pu
imposer un statut légal identique à celui de la République.

4 - Les grandes îles de l'Egée orientale

Bien qu'appartenant au domaine génois, les grandes îles de l'Est


de la mer Egée connurent une évolution ethnique et culturelle
comparable à celle de la Crète et de Chypre. Mais dans des condi-

32 Sur les institutions des comptoirs génois et le rôle des notables locaux,
M. Balard, La Romanie génoise, I, op. cit., p. 355-386.
33 M. Balard, Les Orientaux à Caffa au XVe siècle, dans Byzantinische
Forschungen, 11, 1987, p. 223-238.
34 R. A. Vigna, dans Atti VII, 2; P. Stringa, Genova e la Liguria nel
Mediterraneo, Gênes, 1982, p. 377.
72 LES DOMINICAINS EN ORIENT

tions différentes, la cohabitation des deux communautés fut plus


pacifique, leurs relations moins tendues35.
Le statut politique de Lesbos et de Chios était sensiblement
différent de celui des autres domaines évoqués plus haut. En effet la
souveraineté de l'empereur byzantin avait été préservée au moins en
droit. En 1355, alors que Francesco Gattilusio obtenait de son beau-
père, Jean V Paléologue, l'administration de Mitylène, la Mahone36
reçut la concession de Chios contre un tribut. En 1367, le même
empereur confirma cette concession en faveur de Tommaso Giustinia-
ni, chef de la Mahone. Chios et Lesbos faisaient donc toujours
partie, au moins juridiquement, de l'empire byzantin. La situation de
l'élite grecque et de l'Eglise orthodoxe était donc, dans ces îles, assez
différente de ce qu'elle était à Chypre ou en Crète, régions grecques
soumises à des gouvernements latins.
Cependant la domination numérique de la communauté
grecque y était aussi conséquente. D'après le rapport du podestat
Niccolo Fatinanti, en 1395, il y aurait eu à Chios 10 000 Grecs pour
2 000 Occidentaux, soit un rapport de 33 pour les seconds à 150
pour les premiers37. Dans les Cyclades, la situation est comparable
avec environ 20% de la population suivant le culte selon le rite
latin38. La répartition des Latins sur le territoire est la même qu'en
Crète ou à Chypre. A Chios, les Génois de la Mahone n'habitaient
que la ville principale et quelques domaines de la riche plaine du
Campos, confisqués après la révolte des archontes en 1347. Ailleurs,
il existait de petits groupes isolés, garnisons auprès des tours et
forteresses, mais leur présence permanente n'est pas certaine. Ici les
Latins, minoritaires, n'étaient pas protégés par la ségrégation
instituée par Venise en Crète. Au contraire, les contacts entre les deux
communautés étaient constants. Contrairement à la situation
constatée à Famagouste, dans la ville principale de Chios, les quar-

35 Ch. Bouras, Nea Moni, Athènes, 1982, p. 33.


36 La Mahone était une société à capital privé ayant en charge
l'administration financière et économique, de même que l'administration civile et la justice.
Elle était constituée par plusieurs familles de marchands, dont la plus
importante, à Chios, était celle des Giustiniani. G. Pistarino, Duecentocinquant'anni dei
Genovesi a Chio, in Civico istituto colombano, studi e testi, 14, Gênes 1990, n° IV,
p. 243-280.
37 M. Balard, The Genoese in the Aegean (1204-1566), dans Latins and Greeks
in the Eastern Mediterranean after 1204, B. Arbel, B. Hamilton, D. Jacoby, éd.,
Londres, 1989, p. 158-174.
38 A.T. Luttrell évalue la proportion des Occidentaux à 10% à Chios et 20%
dans les Cyclades, en se basant sur le même rapport de 1395 que M. Balard. Si les
dénombrements sont délicats et incertains, on ne peut cependant conclure qu'à
une faible minorité de Latins dans les îles de la mer Egée, The Latins and Life in
the Smaller Aegean Islands, 1204-1453, dans Latins and Greeks in the Eastern
Mediterranean after 1204, op. cit., p. 146-157.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 73

tiers n'étaient pas séparés, les actes notariés montrent, en effet, que
les maisons des Grecs et celles des Latins étaient souvent accolées.
D'autre part les activités économiques étaient l'occasion d'échanges
intercommunautaires. Les archontes, propriétaires terriens et
producteurs agricoles, contrôlant la main d'œuvre paysanne grecque, et
les Mahonais, vivant du commerce et de la banque, étaient
complémentaires et leur collaboration était nécessaire, ainsi pour la
commercialisation des produits locaux comme le mastique39, l'huile,
le vin, le coton et la soie. Cette complémentarité permit à
l'aristocratie indigène de s'insérer dans les réseaux commerciaux dirigés tant
vers les pays occidentaux que vers les pays turcs.
Dans ces conditions put s'opérer une certaine fusion entre les
élites des deux communautés, les alliances économiques étant
renforcées par des liens matrimoniaux40. Le bilinguisme était fréquent
et il y eut des mariages mixtes à tous les niveaux de l'échelle sociale :
les sources en fournissent des exemples. Depuis l'arrivée des Génois,
la pratique sociale du mariage mixte ne cessa de se développer, avec
l'arrivée de réfugiés grecs, chassés par les Turcs. Cette immigration
s'amplifia sans cesse jusqu'à la conquête turque. Beaucoup de
nobles byzantins s'allièrent à des familles génoises41. A Chios, la
famille des Argenti, originaire de Ligurie et installée là depuis la
première croisade, était considérée comme grecque; la famille des Gat-
tilusi, gouvernant Lesbos, était très hellénophile. Un correspondant
de Manuel Calécas, Manuel Paléologue, confia à ce célèbre
théologien grec uniate l'éducation de son fils42. Les Génois permirent le
maintien des traditions grecques, ainsi le serment sur les icônes,
«more grecorum», remplaçant dans les actes juridiques le serment
sur les Evangiles. Mais les coutumes matrimoniales des Latins
furent également influencées par la culture grecque, comme le
montre le procès en annulation d'un mariage par l'archevêque de
Mitylène, Léonard de Chios O.P., au milieu du XVe siècle. Son argu-

39 Ce produit était fabriqué à partir de la résine de lentisque et était utilisé


pour blanchir les dents; il était surtout commercialisé dans les pays musulmans.
40 G. Pistarino, Duecentocinquant'anni dei Genovesi a Chio, in Civico istituto
colombario, studi e testi, 14, Gênes 1990, n° IV, p. 243-280.
41 E. Sarou, Peri Meichton Naon Orthodoxon Kai Katholikon en Chio, dans
EEBS, 19, 1949, p. 193-208. Cet auteur se base sur la liste civile de l'église latine
de Chios et affirme que les mariages mixtes étaient très courants jusqu'au XVIIe
siècle. Pour les mariages dans les familles nobles, il indique que cette pratique se
faisait indépendamment du sexe. Le sultan Selim II témoigna de cette fusion des
communautés, dont il saluait l'esprit pratique. C'est ainsi qu'il appelait la
population de l'île des «Génois-chiotes».
42 R.J. Loenertz, La correspondance de Manuel Calécas, dans Studi e Testi,
152, Rome, 1950, p. 84, p. 154.
74 LES DOMINICAINS EN ORIENT

mentation est fondée sur le trop jeune âge de la mariée43. Le rôle du


clergé latin était donc surtout de maintenir des traditions latines
dans un milieu majoritairement grec. Cependant sa faiblesse
numérique chronique, ne lui permit pas de remplir ce rôle de façon
satisfaisante en raison de la pression sociale. De nombreuses églises de
Chios furent utilisées pour les deux cultes, en ville comme à la
campagne. Cette pratique commença dès l'établissement des Zaccharias
dans l'île et se développa constamment, jusque pendant la période
d'occupation turque44. Au XVIe siècle, l'évêque latin, Marc Giustinia-
ni, conduisit l'office dans le Katholikon du monastère de Nea Moni.
Ce fait, bien attesté45, ne fut certainement pas unique.
L'acculturation des Occidentaux dans les régions de la Romanie
vénitienne, à Chypre et dans les grandes îles de la mer Egée est un
fait patent au début du XVe siècle à tel point qu'elle inquiète Venise
et, tout autant, le pape Martin V. Ce dernier se plaint en 1418 que les
Latins de Chypre suivaient le rite grec, abandonnaient les lois latines
et ne faisaient plus de différence entre les deux Eglises46. En effet
beaucoup de coutumes grecques s'étaient introduites dans le rite
latin comme la participation des pleureuses aux funérailles47. A la
même époque, le sénat de la république vénitienne lui fait écho
quant à la situation en Crète48.
Les missionnaires dominicains en Orient ne pouvaient donc
envisager leur sacerdoce que de manière différente selon le domaine
où il l'exerçaient. La structure de ces missions, distinguant la
Société des Frères Pérégrinants des autres provinces, porte en elle-même,

43 A. Roccatagliata, Notai genovesi . . . Pera e Mitilene, II, in Collana storica di


Fonti e Studi, G. Pistarino dir., 34, 2, Gênes 1982, doc. n° 40 a et b. Sur l'âge au
mariage à Byzance : E. Patlagean, L'enfant et son avenir dans la famille byzantine
(VIe-XIIe siècles), dans Annales de démographie historique, 1973, p. 87-88, p. 90-93.
44 E. Sarou, Peri Meichton Naon Kai Katholikon, op. cit., l'occupation mixte
des églises se développa encore davantage sous l'occupation turque. En effet
l'occupant était beaucoup plus tolérant à l'égard des orthodoxes, si bien que ces
derniers accueillaient les catholiques dans leurs églises. Le samedi était le jour de
l'office pour les Latins, le dimanche, celui des orthodoxes. Cette situation était
due à l'ancienne symbiose sociale et au degré élevé de la culture chiote, dit cet
auteur.
45 Les sources qui l'attestent sont une relation de Léon Allatius et une lettre
de Grégoire XIII (1582), Ch. Bouras, Nea Moni, Athènes, 1982.
46 W.H. Rudt de Collenberg, Le Royaume et l'Eglise de Chypre face au Grand
Schisme, dans MEFRM, 94/2, 1982.
47 W.H. Rudt de Collenberg, Les cardinaux de Chypre : Hugues et Lancelot de
Lusignan, op. cit.
48 «Omnes fient deinde Greci ... catholici mortui habuerunt sacramenta greca
et sepulti more Grecorum, et que multi pueri more greco fuerunt baptizati·» , Arch,
di Stato, Venise, Sen. Seer. Reg. 7, f. 50, cité par W.H. Rudt de Collenberg,
Royaume, Eglise latine et Papauté 1417-1471, d'après les archives du Vatican,
Nicosie, 1988.
ROMANIE GÉNOISE, ROMANIE VÉNITIENNE 75

la marque de cette différence. Et le couvent de Chios fut


momentanément rattaché à la province de Grèce pour des raisons qui ne sont
peut-être pas étrangères à cette situation. Il s'agit, en effet, de deux
mondes profondément différents par leur composition ethnique et
leur structure sociale. L'empire colonial génois est constitué de
ports ou de marchés, ayant peu de relations avec leur arrière pays.
Dans ces colonies, les marchands italiens formaient des
communautés catholiques souvent minoritaires, mais cohabitant avec toutes
sortes d'autres minorités. Dans les autres domaines latins, la Crète,
Chypre ou l'Achaïe, les communautés latines apparaissent isolées.
Les plus nombreuses habitent, elles aussi, les villes; quelques
groupes peu nombreux habitaient des châtellenies, dispersées dans
le monde rural. Dans l'un et l'autre cas elles étaient très minoritaires
dans un monde où l'Hellénité était très marquée et profondément
ancrée dans les traditions. Dans ces régions, la minorité catholique
tendait à se rapprocher de la majorité grecque, avec laquelle elle
était en relation constante, alors que dans les colonies génoises,
mondes urbains, cosmopolites par définition, la coexistence des
différentes communautés ethniques ne posait pas le problème de
l'acculturation. Les Prêcheurs durent adapter leur action vis à vis des
Grecs schismatiques à ces situations différentes et ce d'autant plus
que les autorités civiles n'avaient ni les mêmes structures, ni la
même politique.
CHAPITRE IV

POUVOIRS CIVILS
ET PRÉSENCE DOMINICAINE

La politique des autorités latines en Orient, malgré des


contextes socio-culturels différents, comportent plus de similitudes que de
divergences. Génois ou Vénitiens, Francs de Morée ou d'Achaïe, les
officiels ont toujours eu le souci d'avoir un clergé docile et fidèle,
c'est pourquoi ils ont toujours cherché à contrôler, le plus
étroitement possible les nominations des clercs, particulièrement ceux qui
occupaient le sommet de la hiérarchie. Leur seconde préoccupation
majeure fut d'assurer la paix sociale, l'obédience des populations
chrétiennes dont ils avaient la charge passant très nettement au
second plan. Tout heurt entre les différentes communautés religieuses
ne pouvait qu'empêcher le bon fonctionnement de l'économie et
nuire à la prospérité du pays.

1 - Le contrôle de la nomination des prélats

Le principal point de convergence fut l'ingérence du pouvoir


civil sur la nomination des prélats. Les listes des évêques des sièges
latins en Orient montrent la présence massive des nationaux dans la
hiérarchie : Français à Chypre et sur les sièges de Terre Sainte,
Vénitiens en Crète, Génois dans les îles de la mer Egée orientale et dans
les comptoirs de la Mer Noire.
Venise eut à cet égard une politique exemplaire dans la mesure
où elle chercha à contrôler de la façon la plus stricte l'Eglise dans
son domaine colonial. En ce qui concerne les nominations, la
République réussit à imposer à la curie, par le système des probae, celles
de ses candidats. Mais la papauté d'Avignon chercha le plus possible
à appliquer son droit de nommer les prébendiers comme les prélats
en vertu du système de la réserve, si bien que Venise dut souvent
faire pression pour imposer ses candidats1. C'est ainsi que la plupart

1 F. Thiriet, Regestes des délibérations du Senat de Venise concernant la


Romanie, Paris-La Haye, 1958, 1, n° 752 : 25 mai 1389, lettre de recommandation en
faveur d'Antonio Venier, fils de Donato, pour qu'il obtienne le patriarcat latin de
Constantinople, si le pape refuse cette candidature, que le sénat consente à
78 LES DOMINICAINS EN ORIENT

des patriarches latins de Constantinople furent des Vénitiens, et ceci


d'autant plus que depuis 1261 et la reconquête byzantine de
Constantinople, ils étaient en résidence à Nègrepont, terre sous
influence vénitienne2. Il en alla ainsi du plus grand, celui qui disposait
du primat sur l'Eglise latine d'Orient, au plus petit de la hiérarchie.
De 1252 à 1387, l'archevêché de Candie connut 16 titulaires dont 12
étaient vénitiens3. Il s'agissait de garantir la fidélité des clercs
encadrant la population afin d'écarter tout candidat susceptible d'avoir
des sympathies pour un mouvement autonomiste toujours possible4.
Il faut replacer dans cette tendance politique la tentative de
placer les églises de la Romanie génoise sous l'autorité de l'archevêque
de Gênes alors qu'ils étaient théoriquement sous l'autorité du
patriarche latin de Constantinople. Dès 1162, lors de la visite du pape
Alexandre III, Gênes obtint la nomination perpétuelle de son propre
archevêque comme légat pour l'Outre-Mer. C'est pourquoi le
patriarche latin dut réclamer au pape le retour des églises de Péra-
Constantinople dans sa juridiction, ainsi Jean de Rochetaillée en
14175. Ce texte montre que les communautés laïques exerçaient un
pouvoir réel sur la nomination des recteurs des églises de Péra-
Constantinople. Dans sa supplique, le patriarche demanda la
déposition du recteur de l'hôpital Saint- Antoine, Louis de Tabriz O.P., et le
droit de collation pour l'église Saint-Pierre-Apôtre, fondée par les Pi-
sans, à Constantinople. Cette église avait été confiée à Jacques de
Imola O.P. par le pape Jean XXIII, mais les Pisans l'en avaient exclu
pour le remplacer par un prêtre de leur choix. Le patriarche
revendiquait le même droit pour quatre des églises de Péra, Saint-Antoine,
Saint-Michel, Saint-Georges et Saint- Jean. Au cours du XVe siècle,
les deux premières furent généralement desservies par des
Dominicains. Si satisfaction fut donnée à Jean de Rochetaillée par
Martin V, les documents ultérieurs concernant ces églises montrent que
les autorités civiles tenaient à ce qu'elles soient affectées à des
nationaux. C'est ainsi que Louis de Tabriz fut réintégré à Saint-Antoine
par Eugène IV qui révoqua les dispositions de Martin V en faveur de
deux Grecs convertis, Théodore Calécas, de l'ordre de Saint Basile6,

confier ce siège à un autre vénitien; également Reg. Senat., op. cit., 2, n° 1288,
1315, 1321.
2 F. Thiriet, La Romanie vénitienne, Paris, 1959, p. 283-286.
3 F. Thiriet, la Romanie vénitienne, op. cit.
4 G. Fedalto, La Chiesa latina I, op. cit., p. 398-401.
5 Texte édité par Miltenberger, Zur Geschichte der lot. Kirche im Orient im 15.
Jahrh., dans Römische Quartalschrift, 8, 1894, p. 275-281.
6 La dénomination «ordre de Saint Basile» dans les sources latines désigne
simplement un moine de rite grec. Il est nécessaire de faire le rapprochement
entre le nom de ce moine grec et la famille Calécas qui donna le patriarche Jean
XIV, condamné par le synode de 1347 pour antipalamisme et le Dominicain Ma-
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 79

et Emmanuel Diogenis, prêtre du diocèse de Constantinople. Le


pape répondait à deux suppliques de 1432 et 1434, et renouvelait la
concession trentenaire que le Dominicain avait obtenue de Boniface
IX7. Comme il a été indiqué plus haut, cette concession, dont on
remarquera la durée, avait été obtenue grâce à l'appui des autorités
civiles de Péra8. En 1448 l'hôpital et la chapelle Saint-Antoine sont de
nouveau dans les mains d'un Prêcheur, Thomas de Gubbio, vicaire
général de la Société des Pérégrinants. Il était aussi recteur de Saint-
Michel, église paroissiale des Génois de Péra. Il succédait à un autre
frère de l'ordre, Dominique. Mais il n'était que commendataire, les
sources le montrent en effet en 1449 à Chios, et il dut nommer un
suppléant, Baldassare Vegio, un autre Génois, et la lettre de
recommandation envoyée par l'Office de Romanie, au podestat, aux
anciens et aux bourgeois de Péra montre que les autorités civiles
tenaient à ce que leurs églises fussent tenues par des compatriotes9. A
cette date, Thomas de Gubbio portait le titre de vicaire du diocèse de
Constantinople. Gênes avait donc obtenu le contrôle des églises
latines de Péra-Constantinople10.
La nomination des évêques dans la Romanie génoise montre
aussi l'ingérence des autorités civiles dans les affaires religieuses.
Les sièges de Soldaïa et de Caffa en donnent des exemples
éloquents.
La nomination de Jacques Campora sur le siège de Caffa avait
été demandée par les autorités génoises en 1440. Il succédait à Giof-
fredo Cicala O.F.M., qui fut écarté pour des raisons que les sources
ne permettent pas de préciser11. Les lettres envoyées par la Répu-

nuel Calécas, polémiste, mort en exil à Mitylène en 1410, C. Delacroix-Besnier,


Conversions Constantinopolitaines , op. cit., p. 747.
7 7 oct. 1432, suppl. éd. CICO, XV, n° 164, la supplique de 1434 à laquelle
répond la lettre d'Eugène IV (voir note 205) est inédite, ASV. Reg. Suppl. 295,
f. 245r-245v. Il faut noter que le doc. n° 163 des actes d'Eugène IV concède de
nouveau l'église Saint-Pierre des Pisans de Constantinople à un Dominicain,
Antoine de Gaieté, du couvent de Péra.
8 Boniface DC avait restitué Saint-Antoine à Louis de Tabriz à la demande
du podestat et du conseil de Péra : CICO XIII, 1, n° 131.
9R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 58-61; R.A. Vigna, dans Atti III,
op. cit., p. 215.
10 Ph. Argenti, The Occupation of Chios by the Genoese, 1346-1566,
Cambridge, 1958, III, doc. n° 59, p. 554-555, ex Atti del notaio Tommaso de Recco, 1449-
1454 : «Reverendus frater Thomas de Eugubio sacre théologie professor ac in parti-
bus orientalïbus et septentrionalibus Vicarius Generalis et heretice pravitatis
Inquisitor Apostolicus ac etiam Diocesis Constantinopolitanae Vicarius... ».
11 R.A. Vigna, I vescovi domenicani liguri, Gênes, 1887, p. 143 : «...in
sostituzione del minorità genovese Gioffredo Cicala, tolto di seggio per ragionevole cause».
Il est possible que ces raisons soient liées au problème de relations entre l'évêque
de Caffa et les autorités civiles, problème que connaîtront ses deux successeurs.
CICO XV, n° 942, 23 janvier 1441, extrait du résumé : «...post absolutionem ab
80 LES DOMINICAINS EN ORIENT

blique au sacré collège, au pape , aux autorités civiles insistent


particulièrement sur ses qualités : connaissance de la doctrine,
expérience des gens et des pays, en raison de ses nombreux voyages, de
son habileté de polémiste et enfin de sa connaissance des langues
parlées dans les régions où on voulait l'envoyer, le «scythe», le «sar-
mate», le ruthène, le russe et peut-être même le polonais12. Jacques
Campora était un frère du couvent de Sainte-Marie de Castello de
Gênes. Il avait fait ses études de théologie à Paris et obtenu son
diplôme de docteur en théologie à Oxford. Puis il avait séjourné aux
Pays-Bas, où il avait rédigé un traité sur l'immortalité de l'âme13. La
nombreuse documentation le concernant dans les archives de Gênes
montre qu'il ne répondit pas à d'aussi considérables attentes. Les
autorités civiles de Caffa entrèrent même en conflit ouvert avec l'é-
vêque et demandèrent son rappel. Son successeur, Jérôme Panissari,
frère du couvent de Gênes comme lui, connut les mêmes problèmes,
s'il sut les gérer de façon plus diplomatique.
Ces pressions des autorités génoises sur le pouvoir apostolique
n'étaient pas sans précédent à Caffa. Elles avaient en effet obtenu un
échange de prélats entre deux sièges épiscopaux de Crimée14. En
1399, Barthélémy Ventura O.P., un autre Prêcheur génois, fut
transféré de Caffa sur le siège de Surgat, Jean de Saulo O.F.M., qui en
était titulaire, prenant le siège de Caffa. La même situation
conflictuelle entre Louis de Saint-Pierre O.P. et les autorités de Soldaïa
conduisit au transfert de l'évêque de la cité sur le siège du diocèse
voisin de Cimbalo, en 1427. C'est un autre Dominicain qui lui
succéda, et son action ne posa pas de problème. Cependant malgré les
éloges qu'en firent les autorités de Soldaïa, celles-ci sollicitèrent la
nomination de Dominique Mariana, qui était Franciscain15. En fait
c'est un Prêcheur de Péra, Jean, qui fut nommé en 1456. Ainsi,
malgré les pressions que ne manquaient pas d'exercer les autorités gé-

eccl. Caffensi ep. Giffridi...»; BOP III, p. 228 : «ex certis rationalibus causis absol-
vimus...»; il faut noter que ce frère appartenait à une grande famille génoise qui
avait des intérêts en Mer Noire, M. Balard, La Romanie génoise, I, p. 234. Le
consul de Soldaïa, qui demandait la nomination de Dominique Mariana
O.F.M. sur ce siège, en 1455, appartenait également à cette famille, R.A. Vigna,
dans Atti VI, op. cit., n° CXLII.
12 R.A. Vigna, / vescovi domenicani liguri, Gênes, 1887, p. 141-153 et
appendices.
13 Th. Kaeppeli, Scriptores O.P. Medii Aevi, II, Rome, 1975, p. 310-311.
14 CICO XIII, 1, n° 75-76, 22 sept. 1399 : Barthélémy Ventura s'opposa à ce
transfert. Boniface IX dut menacer d'excommunication le prélat et faire
intervenir l'archevêque de Gênes. Les documents pontificaux ne sont guère explicites
sur les raisons de ce transfert. Le seul élément clair est l'intervention des
autorités laïques de Gênes et de Caffa.
15 Dominique Mariana O.F.M. était natif de Caffa, R.A. Vigna, / Vescovi,
op. cit., p. 133.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 81

noises sur le pape dans la nomination, soit des desservants des


églises, soit des prélats, la curie décidait-elle toujours en dernier
ressort. C'est ainsi que le cardinal Bessarion intervint à plusieurs
reprises pour imposer des candidats capables de mettre en œuvre
l'Union de Florence. De même, au moment où se posa le problème de
la succession de Jérôme Panissari, en 1468, les protecteurs de la cité
de Caffa, la Banque Saint-Georges, intervinrent mais se rallièrent au
choix de Bessarion, dors patriarche latin de Constantinople.
C'est donc un Grec uniate, Pacôme, qui fut nommé, mais celui-
ci mourut avant d'avoir pu gagner son siège et ce n'est que quatre
ans plus tard que Nicolas de Caffa fut désigné pour le remplacer. Ce
délai mit en émoi la communauté grecque de la cité. Ainsi la
République génoise intervenait-elle auprès du pape afin qu'il nomme des
titulaires de son choix mais si l'évêque, un Génois ou un clerc né en
territoire génois, s'opposait au consul de la cité, Gênes faisait de
nouveau pression afin qu'il soit transféré sur un autre siège.
Si chaque métropole intervenait dans la nomination des
titulaires latins de prébendes ou de sièges épiscopaux dans son
domaine, elle se sentait aussi concernée par l'organisation des églises
orientales, particulièrement de l'église grecque, souvent la plus
importante, surtout dans le domaine vénitien.

2 - La politique religieuse de Venise

La Serenissime a pratiqué, dans son domaine colonial, une


politique originale. C'est en effet la seule métropole à avoir interdit une
hiérarchie orthodoxe.
Le principe était d'exclure toute référence à l'empereur byzantin.
Ce dernier était en effet chef politique et religieux dans son empire,
d'où le lien entre le droit et l'Eglise. Tout comme Venise refusa toute
référence au droit byzantin, elle se refusa à reconnaître l'existence
d'une hiérarchie orthodoxe ce qui aurait conduit à admettre
implicitement la souveraineté de l'empereur. Donc pour Venise, la seule
Eglise était celle de Rome, son clergé et sa hiérarchie. Le clergé grec
était toléré en fait, mais il était séparé de sa hiérarchie, on cherchait
ainsi à éviter toute relation entre le patriarche de Constantinople et la
Crète. L'originalité de la politique religieuse vénitienne tient
également à un principe d'administration plus général qui visait, par une
centralisation rigoureuse, à une unification de l'administration de
son domaine colonial. Venise y imposa ses institutions et ses
hommes. C'est pourquoi les magistrats vénitiens, et particulièrement
le sénat, exercèrent un contrôle strict des églises de Crète, tant sur les
attributions des bénéfices que sur les affaires d'ordre public où elles
étaient impliquées. L'archevêque de Candie était théoriquement le
82 LES DOMINICAINS EN ORIENT

chef de l'Eglise de Crète, mais il eut souvent à se plaindre des


interventions du gouvernement de l'île, même dans son diocèse. En effet le
pouvoir civil s'était réservé la nomination des clercs de la ville, ne lui
laissant que le contrôle des paroisses de l'arrière-pays.
La Serenissime intervenait également dans les relations entre
Rome et la hiérarchie. Cette politique ne put s'appliquer dans toute
son intégralité qu'en Crète. Dans les autres colonies, l'occupation
vénitienne s'est établie plus tardivement et la République dut tenir
compte d'un contexte différent. C'est le cas lorsqu'elle succédait à
une autre puissance latine comme à Nègrepont, où les Vénitiens ne
contrôlèrent l'ensemble du territoire de l'Eubée qu'à partir de 1390;
de même à Corfou, ou plus tard encore à Chypre, en 1489, après
l'abdication de sa dernière reine, qui était vénitienne. Venise dut faire
des concessions dans les domaines juridique et religieux, tenant
compte de la coutume franque et de la situation acquise par un
clergé grec qui avait pu conserver sa hiérarchie.
Dans ces colonies, sur le plan juridique, Venise dut accepter que
la règle imposant le droit vénitien et l'intervention de Yarbitrium des
juges lorsque la situation l'exigeait, fut remise en cause. A Nègrepont
et à Corfou, des Assises de la Romanie intégrèrent la coutume
franque. De même, à Chypre, la République dut accepter
l'application des Assises de Jérusalem et de Chypre.
La politique religieuse de Venise, dans ces territoires, s'exerça
selon deux principes : la défense du clergé grec et la limitation du
nombre de ses membres.
La Seigneurie tenait à ce que les droits et privilèges anciens des
clercs orthodoxes fussent respectés et donnait des instructions aux
autorités locales dans ce sens. Mais à Corfou, elle dut réitérer cet
ordre à deux reprises, en 1406 et 1408, ce qui montre que cela n'allait
pas forcément de soi pour les magistrats de Venise. En même temps,
le Sénat interdit que soient ordonnés de nouveaux prêtres16. A
Nègrepont, un effectif maximum fut fixé.
Lorsque Venise établit son administration à Chypre, elle
conserva la hiérarchie orthodoxe, que les Lusignan avait réduite à quatre
évêques, et contrôla de la façon la plus stricte les attributions de
bénéfices17.
Ainsi est-ce en Crète que la politique religieuse de Venise connut
son expression la plus originale. Le principe de la tolérance d'un
clergé orthodoxe, numériquement limité et étroitement contrôlé par

16 F. Thiriet, La Romanie vénitienne, op. cit.


17 La Repubblica di Venezia nell'età moderna, dalla guerra di Chioggia al 1517,
parte terza : // Dominio da mar, la Romania, Turin, 1986, p. 179-194 : pour
l'attribution des bénéfices, les trois recteurs de l'île fournissaient un candidat et, à
Venise, le collège choisissait le plus capable.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 83

la hiérarchie latine, fut constamment appliqué au cours des XIVe et


XVe siècles. Ce dispositif correspondait aux désirs du Saint Siège et
le pape Grégoire XI, dans une lettre de 1373, encourageait le doge
André Cantareno à empêcher les ordinations de prêtres grecs à
l'extérieur, comme l'avait fait son prédécesseur18. Ce texte est
intéressant en raison du vocabulaire utilisé par la curie, où l'on n'a pas
hésité à qualifier les prélats grecs d'hérétiques; l'expression «seu potius
antiepiscopus» montre que le rédacteur a cherché à frapper son
correspondant. Grégoire XI dénonce la liberté laissée aux schisma-
tiques, qui peuvent sortir de Crète pour se faire ordonner prêtre. Le
pape insiste sur les conséquences de cette pratique, qui provoque
une augmentation du nombre des schismatiques dans l'île. Ainsi, in-
cite-t-il le doge à la plus grande fermeté vis à vis du clergé grec à un
moment où la question de l'union progresse à Constantinople. Mais
cette politique dut subir quelques inflexions en relation avec les
vicissitudes de l'histoire de l'Eglise romaine et de l'évolution de
l'équilibre des forces en Méditerranée orientale.
Les deux périodes les plus critiques se situent au début du XVe
siècle, avec les conséquences du Grand Schisme, puis au milieu de ce
siècle, lorsqu'affluèrent les réfugiés grecs des régions conquises par
les Turcs. Ces crises s'inscrivirent dans un contexte où le problème de
l'Union des Eglises était, en lui-même, générateur de tensions. A
chaque fois, l'administration réagit, au début, en durcissant ses
positions, quitte à les assouplir ensuite, le pragmatisme étant la règle pour
répondre à un renforcement irrésistible de l'Orthodoxie dans l'île.
La première crise est due à la désorganisation de l'Eglise latine
par le Grand Schisme, provoquant un absentéisme généralisé du
clergé19. Ceci, non seulement discréditait la Serenissime dans son devoir
affirmé de pourvoir à la satisfaction des besoins spirituels de
l'ensemble de ses sujets, mais favorisait la propagande des clercs
orthodoxes. Dans un premier temps, l'administration vénitienne obligea à
la résidence le clergé latin sous peine de saisie des revenus, par le
décret de 1425, après des menaces réitérées en 1408 et 141020. Le résultat

18 CICO XII, n° 91 : «Nuper ... audivimus, quod cum olim per antipatriachas
constantinopolitan. haereticos et schismaticos unus episcopus seu potius
antiepiscopus hereticus et schismaticus in insula tua ... mitteretur et resideretur ... per
quemdam Ducem Venetiarum, tuum praedecessorem, fuit tarn provide quant ca-
tholice ordinatum ac sub gravi poena statutum,... et quod edam per eumdem
praedecessorem tuum sub diversis gravibus poenis fuit statutum, quod nullus
schismaticus dictae insulae exiret de Ma a schismatico episcopo existente extra ipsam insu-
lam quoscunque ordines recepturus».
19 Ce problème de l'absentéisme fut chronique dans l'église catholique en
Orient et Grégoire XI dut envoyer une lettre à l'ensemble des prélats, même de
rite oriental, pour rappeler l'obligation de résidence : CICO XII, n° 151.
20 F. Thiriet, Reg. Senat., 2, op. cit., n° 1370, n° 1984.
84 LES DOMINICAINS EN ORIENT

de cette politique fut la pénurie de clercs dans les régions rurales,


d'où la fréquentation par les Latins des offices orthodoxes21, et un
déséquilibre de l'encadrement religieux en faveur des prêtres grecs. Il
fallut revenir sur ces mesures tout en maintenant un contrôle strict
sur l'ordination de ces derniers. En 1418, les autorités vénitiennes
décidèrent d'envoyer de nouveau des prêtres latins dans les châtellenies
afin d'éviter le passage des feudataires vénitiens au rite grec, de même
les prébendes confisquées furent restituées22. Parallèlement, le Sénat
interdisait la construction de nouvelles églises grecques et remettait
en vigueur le décret de 136023. Ce texte législatif organisait le
recrutement des prêtres grecs. Les candidats étaient soumis à l'examen d'une
commission de papades choisis par le Regimen, avant d'être
ordonnés par ceux-ci, après autorisation de la Seigneurie et du Regimen
local. Il était interdit de sortir de l'île pour se faire ordonner ailleurs
sauf autorisation et lettres de recommandation aux recteurs des
lieux. Leur retour était soumis à la même règle. Les protopapades
étaient nommés par le duc de Candie et ses conseillers sur
proposition d'un collège de quatre protopapades choisis par les autorités. Les
ordinations en Morée furent dès lors, soit très strictement
réglementées, soit même interdites. Quelques documents attestent que des
ordinations furent faites par l'évêque grec de Coron24, mais, en 1429,
lorsque le Sénat apprit que le despote de Morée venait de créer un
siège episcopal grec à Maina (La Magne) afin qu'il consacre le clergé
crétois, il réitéra son interdiction aux prêtres grecs de sortir de Crète
à cet effet. Cependant un arrangement fut négocié avec le patriarche
grec de Constantinople afin que les ordinations effectuées fussent
validées25. D'autre part, dans le prolongement d'une disposition prise en
141426, l'accès de la Crète devenait quasiment impossible à tout ca-

21 Ibid., n° 1713 : «On avait supprimé beaucoup de profits que percevaient


autrefois les prêtres et aumôniers latins des châtellenies Cretoises : aussi on ne
trouve plus de prêtres latins dans les campagnes, où les feudataires vénitiens
suivent les offices grecs (modo sive more greco)», 24 oct. 1418.
22 Ibid., n° 1713, F. Corner, Creta Sacra2, Modène, 1971, p. 373.
23 F. Thiriet, La Romanie vénitienne, op. cit., p. 290; Délibérations des
assemblées vénitiennes concernant la Romanie, Paris-La Haye, 1966, t. 1, n° 668.
24 F. Thiriet, Ducali e Lettere ricevute, Venise, 1978, n° 9 (23 sept. 1402), n° 75
(16 juin 1403). G. Hofmann pensait que les autorités Cretoises autorisaient les
ordinations à Coron pour les prêtres affirmant qu'ils étaient catholiques. F. Thiriet
critiquait cette assertion dans la Romanie vénitienne arguant du fait que ces
mentions étaient rares.
25 F. Thiriet, La Romanie vénitienne, op. cit., p. 403-407.
26 Le conseil des Dix avait refusé la demande d'inspection du clergé crétois
faite par le Patriarche grec de Constantinople estimant que se trouvaient dans
l'îles des supérieurs capables de la faire, F. Thiriet, Le zèle d'un Franciscain crétois
et la riposte de Venise, XII, dans Variorum Reprints, Londres, 1977, note 12, p. 501.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 85

loyer grec, étranger à l'île : le Regimen ne tolérait la présence de pa-


pades itinérants que pour une durée de deux mois à partir de la date
de l'autorisation qu'il donnerait. La politique vénitienne fut donc à
cet égard très fluctuante au gré de la conjoncture. L'occasion de la
seconde crise, après le concile de Florence, obligera les Vénitiens à de
nouveau assouplir la réglementation des ordinations de prêtres
grecs; nous y viendrons plus loin.
Alors que Venise tenait toujours fermement la direction de
l'Eglise de Crète, même en l'adaptant aux circonstances, en même
temps la polémique faisait rage entre partisans et adversaires de
l'Union avec Rome, la Crète était en effet terre d'accueil pour nombre
de personnalités intellectuelles, byzantines mais converties au
Catholicisme, Démétrios Cydonès et Maxime Chrysobergès par
exemple. Ce mouvement touchait la Crète, Chypre, Chios ou Mity-
lène depuis les années 1375.
Les autorités vénitiennes soutenaient d'ailleurs fort mal les
Grecs convertis face à l'hostilité de leurs compatriotes. C'est ainsi
que l'on peut suivre les démarches d'une famille de prêtres auprès de
la curie pendant huit ans, entre 1368 et 1376. Georges Rampani était
archiprêtre des Grecs à Candie et envoya une série de pétitions afin
que ses droits fussent respectés27. Il se plaignait de l'hostilité de ses
compatriotes qui le réduisaient à la misère. Mais il accusait aussi le
vicaire général de l'archevêque de Crète de favoriser les schisma-
tiques et de lui reprocher d'attirer les Grecs au rite latin. Grégoire XI
envoya donc une série de lettres pour le soustraire à la juridiction de
l'archevêque de Crète et le mettre sous la protection de l'évêque de
Coron. En même temps, il demandait au duc de Candie, André Can-
tareno, de le soutenir ainsi que de favoriser la conversion des
schismatiques28. Il lui fut, ainsi qu'à ses fils, conféré des prébendes,
mais ils avaient beaucoup de mal à en percevoir les fruits à cause du
chapitre de Crète. Ce dossier montre non seulement l'hostilité des
Cretois vis à vis des convertis au catholicisme mais aussi le peu
d'empressement des autorités civiles pour ces prêtres uniates. Le
clergé latin leur était également hostile. Grégoire XI finit par faire
intervenir l'inquisiteur, en 1375, puis l'évêque de Hierapetra, Julia-

27 Cette affaire de la famille Rampani est à replacer dans le cadre d'un projet
pontifical, initié par Jean XXII. Le but était de construire une Eglise grecque de
rite catholique, avec à sa tête un prélat. Georges Rampani, archiprêtre de Saint-
Michel des Grecs aurait pu tenir ce rôle. Dans les instructions de Jean XXII
comme d'Urbain V, il n'est pas question d'imposer aux Grecs le rite catholique
mais de l'aménager, cf. J. Gill, Pope Urban V (1362-1370) and the Greeks of Crete,
dans Orientalia Christiana Periodica, 39, 1973, p. 461-468. Le système des réserves
était d'autre part utilisé par le pape pour récompenser, sinon induire les
conversions comme le montre le document n° 159 (CICO XII).
28 CICO XII, n° 91, texte cité.
86 LES DOMINICAINS EN ORIENT

nus Angeli O.P., en 137629. L'intervention de ce dernier dut être


décisive car cette affaire disparaît des archives pontificales après cette
date. D'autres Grecs convertis reçurent à la même période des
bénéfices en Crète, tels Ioannes Mudacio30, ou Emmanuel Lascaris31. Ce
dernier, comme Georges Rampani, était persécuté par les Cretois de
rite grec et dut aller plaider sa cause à la curie. Il appartenait à la
famille du conseiller de Grégoire XI pour les relations avec l'empereur
de Byzance, Jean V Paléologue. Jean Lascaris Calopheros permit le
rapprochement entre Rome et Constantinople et accompagna cet
empereur lors de son voyage dans la capitale de l'Eglise catholique
en 136932.
Cette attitude du clergé latin à l'égard des prêtres grecs
catholiques peut s'expliquer dans le cadre plus général de la politique
religieuse de Venise, pour qui les tentatives uniates ne faisaient que
créer des troubles de l'ordre public. La hiérarchie latine,
soigneusement choisie par les autorités candiotes, était l'instrument de cette
politique. Mais les chanoines de Candie voyaient sans doute aussi en
eux des concurrents pour l'attributions de bénéfices qu'ils
considéraient comme leur étant réservés. Il faut également remarquer le
pragmatisme du pape pour qui la construction d'une Eglise grecque
unie en Crète peut s'amorcer par un aménagement du rite.
C'est à ce moment qu'il faut situer la polémique entre Joseph
Bryennios et Maxime Chrysobergès : pour eux l'Union passait par la
discussion doctrinale. Il faut remarquer que, malgré la précision et
la rigueur de la réglementation imposée par l'administration
vénitienne à l'Eglise orthodoxe de Crète, il était possible de la
contourner. Joseph Bryennios séjourna, en effet, dans l'île, beaucoup plus
longtemps que le Regimen pouvait l'autoriser. Sa présence est
attestée en Crète entre 1382 et 140233. Il fut un des champions de
l'orthodoxie, envoyé en Crète, puis à Chypre par le patriarche grec de
Constantinople pour faire obstacle au prosélytisme catholique. Il
présida le synode des évêques grecs de Chypre, tenu les 28 et 29
juillet 1406, en qualité de vicaire patriarcal. En 1422, il faisait partie du
groupe de théologiens byzantins qui discutèrent avec le légat
pontifical, Antoine de Massa O.F.M., à Constantinople sur les modalités
d'un éventuel processus d'union des Eglises. On ne peut douter qu'il
fut de ceux qui contribuèrent à l'échec de cette négociation.

29 CICO XII, n° 208-208a.


30 CICO XII, n° 57.
»BEFAR, Lettres de Grégoire XI, n° 2893.
32 Sur la famille Lascaris, Constantinopolitains convertis, voir C. Delacroix-
Besnier, Conversions Constantinopolitaines au XIVe siècle, op. cit.
33 R.J. Loenertz, Pour la chronologie des œuvres de Joseph Bryennios, dans
Revue des Etudes Byzantines, 7, 1949, p. 12-32.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 87

Maxime Chrysobergès est un Grec converti au catholicisme. Il


était l'aîné d'une famille de trois frères, qui entrèrent tous dans
l'ordre des Prêcheurs34. Maxime fit au moins deux séjours en Crète.
Le premier se situe en 1391/1393, alors qu'il se rendait en Italie, il
passa par Chios, Lesbos et la Crète, où il dut rencontrer Joseph
Bryennios et Nil Damilas. C'est au cours de son second séjour, 1399/
1400, qu'eut lieu la dispute publique entre Maxime Chrysobergès et
Joseph Bryennios, dont ce dernier tira son premier dialogue sur la
procession du Saint-Esprit. Elle inspira également Maxime, qui
écrivit, de son côté, un Discours aux Cretois sur la procession du Saint-
Esprit35. Il est possible qu'il fût rejoint en Crète par son père, qui y
mourut. Avant de partir en Crète, Maxime Chrysobergès obtint du
pape la permission de dire et de chanter les offices en grec36. Il avait
l'intention de fonder un couvent dominicain en Orient, c'est
pourquoi il fit traduire par un autre grec converti, Manuel Chrysoloras, le
missel dominicain. Maxime pensait donc qu'outre l'aspect doctrinal
du problème de l'Union, il fallait donner aux Grecs ne connaissant
pas le latin la possibilité de suivre les offices catholiques dans leur
langue. Il envisageait aussi sans doute que d'autres compatriotes le
suivraient dans l'ordre des Prêcheurs. Les sources ne rendent
compte d'aucune fondation en Crète, il est possible que les autorités
vénitiennes ne se soient guère montrées favorables à un tel projet.
Venise fut toujours assez réticente envers la mise en œuvre de l'Union,
sa politique religieuse plaçant toujours le respect de l'ordre public et
la paix sociale avant toute préoccupation d'ordre spirituel. C'est
ainsi que Marco Sciavo O.F.M., issu d'une famille d'origine dalmate,
implantée en Crète depuis plusieurs générations, fut banni par le
conseil des Dix et remis à la justice de son ordre pour avoir pris, en
1414, une initiative pour le moins audacieuse : la célébration
simultanée des offices grec et romain, dans l'église Saint-François de Can-

34 Voir liste alphabétique des Prêcheurs d'Orient.


35 Léon Allatius a daté cette œuvre de 1396, mais cette date est sans doute
erronée et doit être reportée après 1399. H. Beck, Kirche und theologische Literatur
in byzantinischen Reich, Munich, 1959.
36 CICO XIII, 1, n° 52 : «...quod tu cupiens obviare abusui nonnullorum ca-
tholicorum in partibus Graeciae commorentium, qui ad Graecorum ecclesias
confluunt et inibì Missas et alia eorum officia audiunt asserentes se epistolas et
evangelia cum leguntur vel cantantur in lingua graeca more partium (Reg. erronee :
patrum) earumdem, melius intelligere quam si legantur vel dicantur in latino; prop-
ter quod catholici ipsi passim in ipsorum Graecorum prolabuntur errores; tuque
etiam desideres Missas et alia divina officia in presentia populi alta voce in greco
sermone celebrare, dicere, legere vel cantare,..., ut catholici praefati praelibatis ad
ipsarum Missarum et divinorum officium celebrationem pro tempore crebrius
confluant et ferventius intersint eisdem...» L'office en langue grecque devait être
dit selon le rite des Prêcheurs.
88 LES DOMINICAINS EN ORIENT

die, pour la fête du fondateur de son ordre37. Cette action se plaçait


dans le mouvement unioniste développé en Crète sous le pontificat
d'Alexandre V, un pape Franciscain d'origine Cretoise. Marco Sciavo
avait réussi à obtenir du pape la permission d'accueillir dans l'église
de son Ordre des prêtres grecs et de leur laisser célébrer leurs offices
selon leur coutume38. Le conseil des Dix pria Jean XXIII d'abroger
les lettres qui avaient permis de vastes rassemblements de Grecs
pouvant troubler l'ordre public. Il estimait d'autre part que des
offices grecs chantés dans une église latine ne pouvaient que jeter la
confusion dans la conscience des membres de la communauté
catholique39.
L'arrivée de propagandistes byzantins provoquait des troubles
auxquels le duc de Candie répondait par des expulsions. La solution
pour les partisans de l'Union, comme Maxime, qui connaissaient
bien la situation locale était de faire célébrer le rite en langue
grecque. Le Franciscain allant au bout de cette logique fut
cependant combattu par l'administration vénitienne.
La prudence fut une constante de la politique vénitienne
pendant tout le XVe siècle et rendit particulièrement délicate
l'application du décret d'Union signé à Florence par les deux Eglises comme
nous le verrons plus loin.
Un document plus ancien (1410) montre qu'outre ces problèmes
de prébende, évoqués plus haut, l'incompréhension était totale entre
le clergé latin et les prêtres grecs40. Le procès du prêtre Marc Paulo-
poulos devant le vicaire de l'archevêque de Candie montre que les
Latins ne connaissaient pas les coutumes grecques. L'archevêque latin
avait conservé la juridiction des paroisses de l'arrière-pays de Candie
et contestait les droits de Marco Paulopoulos sur son église. L'accusé
portait la chasuble rouge, insigne du protopapas et le vicaire ignorait
que le rouge était la couleur du carême dans le rite grec. D'autre part,
ne parlant pas l'italien, il est traité de bête et, comme il avait amené
des parents pour lui servir d'interprètes, il est accusé d'être un me-

37 Sur le culte rendu par les Cretois orthodoxes à Saint François, G. Mercati,
Nuove Minuzie, Fra Massimo da Constantinopoli O.P. e l'uso del greco coi Greci
uniti di Oriente, in Studi bizantini e neoellenici, 4, 1935, p. 312-315.
38 CICO XIII, 2, n° 179, il est vrai que le pape qui donna cette autorisation
était Jean XXIII, alors très préoccupé par la convocation du concile de Constance
et peu au courant des affaires de la Crète.
39 Le conseil des Dix était chargé des affaires concernant la sécurité de la
République. Les délibérations du conseil, concernant l'action de Marco Sciavo
furent éditées par F. Thiriet, Le zèle unioniste d'un Franciscain crétois et la riposte
de Venise, XII, Variorum Reprints, Londres, 1977.
40 F. Thiriet, La situation religieuse en Crète au début du XVe siècle, dans By-
zantion, 36, 1966, Mémorial Henri Grégoire, p. 201-212.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 89

neur. Les clercs latins, ne comprenant pas le grec, croient qu'on les
injurie. Les autorités finirent par lui reconnaître ses droits, mais cet
épisode est exemplaire du climat de tension et du fossé culturel qui
pouvait exister entre les deux clergés après deux siècles de vie,
séparée, mais dans le même pays. D'autre part, le pape insiste sur
l'importance de l'obédience romaine, mais, pour ce qui est des rites, sur la
liberté pour le clergé uniate de respecter les traditions grecques. Il est
dommage que les sources ne donnent pas de précision sur les
concessions faites en matière de rituel.

3 - A Chypre et à Rhodes,
LES DEUX HIÉRARCHIES COEXISTAIENT

Les Lusignan cherchèrent toujours à ménager l'équilibre entre


Grecs et Latins dans leur royaume, et ils manifestèrent souvent plus
que de la tolérance à l'égard de l'orthodoxie.
A Chypre, après plusieurs crises graves, l'Eglise latine réussit à
établir un contrôle rigoureux sur l'Eglise orthodoxe. Dans les années
1230, où les relations étaient très tendues, chaque parti s'accusait
d'hérésie et treize moines grecs furent massacrés, le pape envoya des
légats qui calmèrent les esprits. La situation fut stabilisée par A-
lexandre IV dans la constitutio cypria, du 3 juillet 126041. Les sièges
épiscopaux grecs furent réduits définitivement au nombre de quatre,
égal à celui des sièges latins. Ils étaient soumis à l'archevêque latin,
qui devait confirmer leur élection et recevoir le serment de fidélité
des évêques. En cas de vacance d'un siège orthodoxe, les prélats
latins ne devaient pas intervenir sauf si celle-ci se prolongeait au-delà
de trois mois. Le Saint Siège intervenait toujours en cas de litige.
Mais de nouvelles crises obligèrent le pape à envoyer d'autres légats.
En 1318, Jean XXII fit libérer les évêques grecs de Lefkara et de Solia
que le patriarche de Jérusalem avait fait emprisonner pour
ordinations contraires aux dispositions qu'il avait édictées. La politique
pontificale fut assez fluctuante. Le pape soutint souvent la volonté
de la hiérarchie latine à contrôler l'Eglise orthodoxe et à réduire le
schisme grec. Il envoya des légats, dans ce but, à plusieurs reprises
et écrivit aux autorités politiques chypriotes. Ainsi une série de
documents des années 1260 montre les difficultés d'application de la
constitution d'Alexandre IV en raison du manque de soutien des
autorités civiles. L'archevêque de Nicosie s'était plaint au pape Urbain
IV que le bailli ne voulait pas user du bras séculier pour extirper
l'hérésie chez les Grecs et les Syriens et que, pour cette raison, ses

41 CICO IV, 2; J. Richard, Le royaume de Chypre, dans Histoire du


Christianisme, 6, p. 771-775.
90 LES DOMINICAINS EN ORIENT

excommunications n'étaient pas efficaces. Le pape écrivit donc au


bailli afin qu'il l'aide. Urbain IV accusait le roi de soutenir les Grecs
et les Syriens qui rendaient la vie impossible aux clercs grecs
acceptant l'autorité de Rome, les accusant d'hérésie42. En 1314, le conflit
entre un légat pontifical et les évêques grecs se termina par
l'emprisonnement de ces derniers à l'archevêché. La population s'ameuta
devant les portes pour défendre ses évêques, et mit le feu. Les
autorités civiles intervinrent et arrêtèrent les meneurs, mais ceux-ci
furent relâchés après enquête43.
En effet, l'attitude des autorités laïques fut, en revanche,
constante : il s'agissait de maintenir la paix sociale avant tout. C'est
ce qui explique l'attitude du bailli. Il était soutenu dans cette
politique par le roi. Lors de la légation de Pierre Thomas, en 1359, les
plus hautes autorités du royaume, le frère du roi, Jean, prince d'An-
tioche, l'amiral, Jean de Sur, et le vicomte de Nicosie, se déplacèrent
pour calmer le peuple et commandèrent au légat de quitter l'île.
Pierre Thomas avait convoqué à Sainte-Sophie de Nicosie le
principal évêque grec et son clergé, et, à huis clos, ne tumultus Grae-
corum fieret, il cherchait à les convaincre de leurs erreurs. Comme
une partie de l'auditoire semblait subir son ascendant, un des
assistant grec s'éleva contre lui et il y eut un tumulte. Le peuple attroupé
dehors, entendant ces clameurs, craignit pour ses prêtres, força les
portes et envahit l'église, menaçant le légat44. Il est tout à fait
possible que, dans un premier temps, les officiels de l'île aient prié
Pierre Thomas de quitter Chypre et soient revenus ensuite sur cette
recommandation puisqu'il partit en compagnie du roi Pierre Ier de
Lusignan, le 24 octobre 1362. Pour ce qui est du problème de la
consécration des prêtres grecs, il s'agit sans doute d'une seconde
consécration, sous condition. La mention du coton dans la
chronique de Makhairas fait effectivement penser à une matérialisation
de la conversion45. Cette seconde consécration était un point très
sensible et il est possible qu'elle avait été à l'origine de la révolte de
certains Grecs contre le légat.
A Chypre, il convient de distinguer deux niveaux d'appréhension
de la question religieuse. Si les intervenants venus de l'extérieur,
comme Pierre Thomas, légat envoyé par Rome ou Joseph Bryen-

42 CICO V, 1, n° 4.
43 Chronique d'Amadi, De Mas Latrie, éd., op. cit., p. 396; chronique de Flo-
rio Boustron, p. 247.
44 R.J. Loenertz, d'après la vie de Pierre Thomas par Philippe de Mézières,
Fr. Philippe de Bindo Incontri O.P. du couvent de Péra, inquisiteur en Orient, dans
AFP, 18, 1948, p. 265-280. Le P. Loenertz doutait de l'objectivité des chroniques
chypriotes.
45 Makhairas, Récital, R.M. Dawkins, éd., op. cit., paragraphe 102.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 91

nios, émissaire du patriarche œcuménique46, ont éprouvé autant de


difficultés à faire comprendre leur point de vue, c'est qu'ils
n'envisageaient pas du tout la question sous le même angle que la
population chypriote. Pour cette dernière les divergences dogmatiques ne
constituaient pas un obstacle fondamental à la vie religieuse telle
qu'ils pouvaient la concevoir au quotidien.
Entre chrétiens de rite grec et chrétiens de rite latin, il existait
en effet, dans les campagnes une réelle cohabitation religieuse. A
plusieurs reprises, depuis le XIVe siècle surtout, la fréquentation des
offices grecs, par des femmes de confession catholique, fut
dénoncée47. La situation était telle au milieu du XIVe siècle que l'Eglise
latine chercha à édicter des mesures destinées à empêcher le passage
de ses fidèles au rite grec. Ainsi, dans sa constitution de 1350,
l'archevêque de Nicosie, Philippe de Chambarlhac, interdit les mariages
mixtes et organise la séparation des communautés religieuses,
empêchant les prêtres grecs de conférer des sacrements aux Latins et
réciproquement48. Ces mesures furent d'une efficacité toute relative
dans la mesure où le clergé latin souffrit constamment d'un faible
effectif.
L'archéologie témoigne aujourd'hui d'une communion des deux
communautés religieuses dans des églises à double nef où les deux
rites étaient pratiqués49. Ainsi la famille Gibelet avait fait construire,
pour la célébration du rite latin, une vaste chapelle attenant à l'église
grecque Panagia Angeloktistos à Kiti, sur son domaine. De même
l'église de Pelendri avait une nef ajoutée pour la célébration de la
messe catholique. L'exemple de Saint-Jean Lampadistis à Kalopana-
giotis, avec ses fresques du XVe siècle est peut être encore plus signi-

46 Les négociations entre Joseph Bryennios et l'Eglise orthodoxe de Chypre


échouèrent car le légat du patriarche estimait qu'elle s'était corrompue au
contact des Latins, édition de la relation du synode de 1406, dans N. Tomadakis,
Joseph Bryennios en Crète, Athènes, 1947, p. 133-137; celle du synode de 1412,
dans l'édition de ses œuvres, Leipzig, 1868, citée par J. Hackett, A History oh the
Orthodox Church of Cyprus, op. cit., p. 142. Pour une biographie de Joseph
Bryennios, Ν. Tomadakis en 1947 et du même auteur, Oeuvres Cretoises inédites
de Joseph Bryennios, dans EEBS, 19, 1949, p. 130-154, résumé en Français, p. 402.
n° 127, 47 Cartulaire
29 mai 1368,
de lettre
Sainte-Sophie
du pape Urbain
de Nicosie,
V à l'archevêque
éd. J. La Monte,
de Nicosie
Bruxelles,
lui 1930,
demandant de réformer les pratiques non canoniques de son diocèse : les mariages et
les baptêmes dans des maisons particulières, les femmes latines qui assistent aux
offices dans les églises grecques. Le roi Pierre Ier avait attiré l'attention du pape
sur cette question. Il n'est pas inutile de rappeler que Pierre Ier était un ami du
légat Pierre Thomas. Ce dernier devait avoir une certaine influence sur le roi et
donc l'induire à une politique religieuse originale à la cour de Chypre.
48 Cette constitution est éditée dans Labbe, Concilia, XI, col. 2439, citée par
J. Hackett, A History of the Orthodox Church of Cyprus, Londres, 1901, p. 137.
49 J.M. Hussey, The Orthodox Church in the Byzantine Empire, Oxford, 1986,
p. 205.
92 LES DOMINICAINS EN ORIENT

ficatif. Cette église est un ensemble architectural complexe dont la


construction s'est prolongée du XIe au XVe siècles. Il est constitué,
au Sud, d'un bâtiment cruciforme surmonté d'un dôme et dédicacé à
Saint Heraclidios. Au milieu fut reconstruite une nef en plein cintre,
dédicacée à Saint Jean, puis au Nord, une chapelle latine y fut
adjointe, décorée de délicates peintures italo-byzantines de la fin du
XVe siècle. Le narthex était couvert d'une charpente de bois et ouvert
à l'Ouest par une véranda ornée de peintures de la seconde moitié
du XVe siècle. L'une d'elles représente la famille des donateurs50, à
genoux en prière près d'une représentation du jugement dernier.
Devant, les deux fils, bien que tonsurés à la manière latine, sont vêtus
comme des prêtres grecs. De même que leur père, ils portent aussi
une barbe. Cette peinture, de même que les sanctuaires à double nef,
donne donc une image très signifiante de la vie de cette Eglise
chypriote marquée par une double culture.
L'attitude de la famille royale fut à cet égard souvent exemplaire
tout comme pour le développement des attitudes œcuméniques et
cette tendance se renforça de plus en plus au cours du XIVe siècle et
surtout du XVe siècle. Les Lusignan dotèrent à plusieurs reprises des
monastères grecs et l'histoire de la croix de Togni est, de ce point de
vue, assez significative. Elle est racontée par les différents
chroniqueurs chypriotes car, pour eux, cet épisode manifestait leur
sentiment national, caractérisé par l'appartenance à une double culture,
mais aussi une grande loyauté envers les Lusignan51.
L'histoire de la croix de Togni se situe en 1340. Florio Bustron
raconte que cette relique avait été apportée à Chypre par Hélène, la
mère de l'empereur Constantin52, et était à l'origine de la fondation
d'un sanctuaire à Togni53. La relique avait été volée, en 1318, par un
prêtre latin, qui avait cherché à l'emmener hors de l'île, mais en
avait été empêché par une tempête. Elle fut retrouvée par un berger

50 L'inscription qui accompagne cette peinture est traduite dans A. et J. Sty-


lianou, The Painted Churches of Cyprus, Athènes, 1985 et dans JOB, 9, 1960,
p. 109-110 : «Supplication of the servant of God Michael the lay reader and domesti-
cus of this Catholic church and of his wife and children, the weekly priests of His
Catholic church and those who read pray for them through the Lord, amen. ».
51 F.E. Thiriet, Le sentiment patriotique chez les chroniqueurs chypriotes,
Congrès de Nicosie, 1982, dans Praktika tou Deuterou Diethèous Kypriologikou Sy-
nedriou, Tome B', Nicosie, 1986, p. 185-199; l'évêque de Famagouste, Marc, était
dominicain, G. Fedalto, La Chiesa, II, op. cit., p. 122.
52 Hélène était la mère de l'empereur Constantin le Grand. Elle était honorée
comme une sainte car on racontait qu'elle avait rapporté, de son voyage en Terre
Sainte, la vraie Croix. Elle fonda alors de nombreux monastères en Palestine, à
Constantinople et dans de nombreux autres lieux, comme à Chypre. A. Kazhdan,
dir., Oxford dictionary of Byzantium, 2, p. 909.
53 Hélène à Chypre, chronique de F. Boustron, De Mas Latrie, éd., op. cit.,
p. 44-45, Togni, sur le Vasilipotamo, au Nord du cap des Caroubes, ibid., p. 256.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 93

en 1340 et fut dès lors à l'origine de nombreux miracles. Ce succès


auprès des Grecs éveilla les craintes du clergé latin et des autorités,
qui organisèrent une sorte d'ordalie afin de déterminer l'authenticité
de la relique. Devant le roi, Hugues IV, et sa famille, l'évêque de Fa-
magouste, Marc O.P., la croix subit avec succès l'épreuve du feu si
bien que la reine, Alice d'Ibelin, posa sa langue dessus et fut guérie
d'un défaut d'élocution, qui la gênait depuis plusieurs années. Une
des dames de la cour chargea alors un moine de chercher un terrain
afin de fonder un monastère et le dota richement54. La croix y fut
placée ainsi que de nombreuses reliques. Le patriarche grec d'An-
tioche, Ignace II, fit faire une icône des Saints qui enrichit, avec
l'accord du roi, la décoration du sanctuaire55. Les réactions de la famille
royale et de son entourage sont donc fort intéressantes. Face à un
clergé latin, inquiet de la concurrence exercée par le clergé grec très
populaire, le roi fit intervenir un évêque dominicain pour être le
garant insoupçonnable de l'authenticité de la croix. Les dames de la
cour étaient toutes prêtes à accepter l'efficacité d'une relique
grecque, et à fonder un sanctuaire pour organiser son culte, fût-il de
rite grec. L'épisode de la croix de Togni montre donc la
reconnaissance des valeurs de la religion orthodoxe et de l'héritage grec par la
famille royale. Les Lusignan encouragèrent régulièrement les
manifestations à caractère œcuménique, comme les processions
réunissant toutes les communautés religieuses de l'île au moment des
catastrophes (famines, pestes etc.).
Même Pierre Ier de Lusignan, qui fut peut-être le souverain le
moins favorable à l'orthodoxie, dota des monastères grecs56. Avec
l'hellénisation grandissante de la famille à la faveur des mariages
mixtes, fondations et dotation de monastères grecs devinrent une
pratique fréquente. Hélène Paleologine, épousa Jean II, en 1422.
Fille du despote de Morée, elle amena avec elle des Grecs de son
entourage et accueillit nombre de réfugiés après la chute de Constanti-

54 Le nom du moine change selon les chroniques, Grégoire, Georges ou


Gabriel, mais il s'agit de toute façon d'un moine grec. La fondatrice, Marie d'Ibelin
était une tante de la reine. Marie était d'ascendance grecque (elle descendait de
Philippe d'Ibelin, lui-même fils de Maria Comnène, W.H. Rudt de Collenberg,
Families de l'Orient latin XIIe-XIVe siècles, dans Variorum Reprints, Londres, 1983).
Les deux dames assumèrent conjointement les dépenses, Costas P. Kyrris, Greek
Cypriot Identity, Byzantium and the Latins 1192-1489, dans EEBS, 19, Nicosie,
1992, p. 169-185.
55 Costas P. Kyrris, Greek Cypriot Identity, op. cit., Ignace II faisait partie du
groupe des antipalamites réfugiés à la cour du roi Hugues IV de Lusignan.
56 Costas P. Kyrris, Greek Cypriot Identity, op. cit., ces dotations sont à
mettre en relation avec la liaison de Pierre Ier avec Jeanne Lalleman, cf. Le poème
populaire gréco-chypriote composé pour Jeanne Lalleman, Angel Nikolaou, La
chanson d'Arodaphnoussa, des origines à la tradition populaire actuelle, Mémoire
de maîtrise, Univ. Paul Valéry, Montpellier III, 1981-1982.
94 LES DOMINICAINS EN ORIENT

nople. Elle favorisa le renouveau de la vie monastique grecque et


dota le monastère Saint-Georges de Mangana. Au siècle suivant, la
grand-mère du dominicain Etienne de Lusignan57 dota elle aussi un
monastère grec, et le frère de celle-ci était un moine de rite
byzantin58.
Avec le Grand Schisme, l'Eglise chypriote tendit à devenir une
Eglise nationale sous l'autorité des Lusignan. Le cardinal Hugues de
Lusignan étant régent et archevêque de Nicosie, le cumul des
fonctions politique et religieuse accentua cette tendance à l'autonomie59.
Celle-ci s'explique par une acculturation grandissante des Latins en
domaine hellénique et des circonstances politiques particulières.
Dans le contexte du Grand Schisme, la personnalité du cardinal
Hugues de Lusignan ne fut pas non plus étrangère à cette évolution.
Cependant si, comme en Romanie vénitienne, la politique religieuse
des autorités chypriotes visa à un contrôle strict du clergé tant latin
que grec, la politique des autorités chypriotes fut beaucoup plus
tolérante envers le culte grec.
Il convient maintenant d'aborder l'exemple de Rhodes. En effet,
les principaux traits de la politique latine s'y retrouvent, mais l'île
connaît une situation particulière. Elle était administrée par un
Ordre militaire, les Hospitaliers de Saint- Jean. De plus la mise en
œuvre de l'Union fut confiée à l'archevêque André Chrysobergès
O.P., nommé depuis 1432, l'un des principaux protagonistes du
concile de Ferrare-Florence.
Le Grand Maître des Hospitaliers veilla toujours au contrôle de
la nomination des clercs de l'île. Sur proposition des gens
compétents, il nommait les curés et les abbés, assignait les offices
ecclésiastiques aux clercs et aux laïcs orthodoxes, notaires publics,
premiers chanteurs, sacristains... Mais, en même temps, l'Eglise
orthodoxe conserva sa hiérarchie et ses domaines fonciers. Le métropolite
orthodoxe jugeait les affaires concernant les Grecs, même les
affaires politiques. A son retour de Florence, le métropolite Nathanael
eut la permission du Grand Maître d'aller ordonner dans les autres
îles des diacres et des prêtres «secundum rìtum et consuetudinem
Ecclesie Orientalis Graecorum». Cette protection du clergé grec qui
peut paraître étrange de la part d'un ordre monastique catholique

57 Etienne de Lusignan était docteur en théologie, il est l'auteur d'une


histoire de Chypre, 1580, Description de toute l'Isle de Cypre.
58 J. Richard, Culture franque et culture grecque : le royaume de Chypre au XVe
siècle, dans Byzantinische Forschungen, 11, 1987, p. 399-415.
59 Hugues de Lusignan fut nommé cardinal en 1426 par Martin V, il semble
que le pape essaya ainsi de réinsérer l'Eglise chypriote dans l'espace culturel
occidental. Eugène IV, conférant des dignités aux prélats chypriotes puis Nicolas V,
avec la nomination d'André Chrysobergès, continuèrent cette politique. Hugues
de Lusignan fut régent pendant la captivité du roi Janus au Caire.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 95

s'explique par la préoccupation commune à tout organisme


politique latin en Orient de veiller au calme social, condition nécessaire
à la bonne marche des affaires. Rhodes au XVe siècle était, grâce à la
protection militaire exercée par les Hospitaliers, un exemple rare de
prospérité dans les îles de la Méditerranée orientale.
La mise en place de l'Union montre ce pragmatisme du Grand
Maître. Nul doute que l'Ordre ait eu à cœur de réaliser l'accord signé
à Florence entre les deux Eglises. Mais, comme en Crète et à Caffa,
la réalité imposa bien des compromis.
Il avait été prévu par Eugène IV que l'archevêque André
garderait l'entière juridiction de la province de Rhodes, et que celle-ci
appartiendrait ensuite au métropolite à moins qu'il meure avant60. Les
circonstances en décidèrent autrement et leurs successeurs durent
cohabiter, ce qui ne se fit pas sans difficulté. C'est ainsi que les deux
partis durent trouver un compromis en 1474 61. Les deux
souscripteurs, Giuliano de Ubaldinis O.P., archevêque latin et Métrophane,
le métropolite, décidèrent que le choix du métropolite se ferait
comme jusqu'alors par les Grecs. Ceux-ci désigneraient trois
candidats et le Grand Maître choisirait l'un d'entre eux. Ce dernier serait
confirmé par l'archevêque latin, qui, en tant que représentant du
Saint Siège, avait autorité sur lui et recevrait son serment de fidélité
à l'Eglise romaine. Pour ce qui était des affaires pénales concernant
les Grecs et des affaires matrimoniales, les décisions appartenaient
conjointement aux deux prélats. C'était en fait consacrer le modus
vivendi accepté par les notables grecs depuis la mort de Nathanael
en 1455 et la subordination de leur Eglise à la hiérarchie latine.
Mais si l'élite était parvenue à un accord, la population grecque
de l'île fut périodiquement parcourue par des mouvements hostiles à
l'Union. Il semble que la cause de ces troubles fût la venue de
moines grecs étrangers. En 1471, deux moines furent condamnés à
l'exil pour ne pas avoir commémoré à la messe ni le nom du pape, ni
celui du métropolite, et s'être déclarés ouvertement hostiles à
l'Union. Cinq ans plus tard, le conseil de l'Ordre prit la décision d'exiler
sur le champ tous les moines grecs non rhodiens, et il était
formellement interdit aux moines étrangers de s'installer dans l'île. Des

60 Lettre d'Eugène IV à André Chrysobergès, archevêque de Rhodes,


Florence, 12 septembre 1439, G. Hofmann, éd., Epistolae pontificiae ad concilium, flo-
rentinum spectantes, Rome, 1944, t. 2, n° 212.
61 Zacharias N. Tsirpanlès, // Decreto fiorentino di Unione e la sua
applicazione nell'Arcipelago greco, il caso di Creta e di Rodi, communication au congrès
historìco-théologique pour le 500è anniversaire du concile de Ferrare-Florence (16-
22 IV 1990), dans Thesaurìsmata, 21, 1991, p. 43-88. Et, du même auteur, H Rodos
hai oi Noties Sporades sta kronia ton Ioanniton Ippoton (14os-16os ai). Sullogè is-
torikon meleton.-'Ekdosè Grapheion Mesaionikès Poles Rodon, Rhodes, 1991,
résumé de A. Failler, dans REB 51, 1993, p. 321-322.
96 LES DOMINICAINS EN ORIENT

troubles graves avaient en effet éclaté car, selon les Hospitaliers, «ils
avaient divulgué de fausses opinions religieuses pour tromper les
gens simples»62. L'année suivante, l'archevêque et le métropolite
durent intervenir pour des faits semblables. Dans ces différentes
affaires, les documents montrent le métropolite et certains clercs
orthodoxes dénonçant les moines hostiles à l'Union et demandant
l'intervention du bras séculier, c'est à dire des Hospitaliers. Tout cela
montre donc une volonté de compromis entre les Hospitaliers et
l'élite grecque afin de préserver la paix sociale, mais des éléments
extérieurs vinrent, dans les années 1470, alimenter la polémique
dogmatique entre Latins et Orthodoxes, comme ce fut le cas en Crète à
plusieurs reprises au cours du même siècle.

4 - La politique religieuse de Gênes

II faut remarquer également, en Romanie génoise, les deux


principaux caractères de la politique religieuse latine en Orient. Si le
contrôle de la nomination des prélats par la métropole a déjà été
envisagé, l'action de celle-ci, sur le plan religieux, est marquée aussi
par le souci constant d'éviter les heurts intercommunautaires.
Cependant, il faut souligner une souplesse beaucoup plus grande dans
les relations entre les autorités civiles et les diverses communautés
chrétiennes, qui peuplaient les colonies génoises. Cette tolérance est
sans doute due au caractère essentiellement cosmopolite des
comptoirs coloniaux. Mais elle se retrouve aussi dans les îles de
l'Egée Orientale, où la proximité de la côte anatolienne et la tradition
de relations commerciales anciennes permettaient des contacts avec
les populations les plus variées.
Le traité signé immédiatement après la prise de Chios par
Simone Vignosi, le 12 septembre 1346, garantissait les droits des
Grecs, du clergé, des églises et monastères63. Cependant, en 1380, le
métropolite fut expulsé comme fauteur de troubles, si bien que le
clergé grec dépendit désormais du patriarcat œcuménique, c'est à
dire de Constantinople. On retrouve dans cette apparente
contradiction la tendance constante à privilégier la paix civile. Mais cette
tolérance des Mahonais à l'égard des orthodoxes fut interprétée par le
Saint Siège comme de l'indifférence64.
La polémique durable entre les autorités génoises et les évêques

62 Décision du conseil de l'Ordre des Hospitaliers, 16 juin 1476, Zacharias


N. Tsirpanlès, // Decreto fiorentino di Unione e la sua applicazione nell'Arcipelago
greco, il caso di Creta e di Rodi, op. cit., p. 43-88, appendice n° 3.
63 Ph. Argenti, The Occupation of Chios by the Genovese, op. cit., p. 98-100.
64 E. Sarou, Perì Meikton Naon Orthodoxon Kai Katholikon en Chio, op. cit.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 97

dominicains de Soldaïa et de Caffa au XVe siècle montre que celles-


ci n'ont jamais favorisé la ségrégation entre les communautés et que
les droits des chrétiens d'Orient furent toujours respectés. Pour
Gênes, Caffa devait être la capitale religieuse de la Mer Noire, aussi
bien la colonne du catholicisme en Orient que la tête de l'Eglise ar-
memenne 65
De nombreux différends opposaient les évêques dominicains
aux magistrats génois au XVe siècle. Les Prêcheurs reprochaient aux
autorités civiles leur laxisme à propos du commerce des esclaves,
leur tolérance vis à vis des communautés schismatiques, leur
politique par rapport aux mariages mixtes et au baptême des enfants qui
en étaient issus. Ces griefs touchaient même au domaine politique.
Les évêques critiquaient en effet l'attitude trop conciliante des
consuls à l'égard des Turcs.
Les archives pontificales offrent peu de documents sur le
diocèse de Soldaïa, mais deux suppliques de l'évêque en 1426 et 1427 66
sont d'un grand intérêt parce qu'elles éclairent les nombreux textes
qui ont été écrits à l'époque où Jacques Campora était en conflit
avec le consul de Caffa. D'autre part la personnalité de l'évêque,
Louis de Saint-Pierre O.P., caractérise bien les prélats des colonies
génoises de la Mer Noire au XVe siècle.
Ces documents, parce que ce sont des suppliques, sont tout
d'abord intéressants car c'est Louis de Saint-Pierre qui se présente lui-
même : « . . .devotus Vester orator Ludovicus Armenus de Sanctopetro
episcopus Soldayen». Il se dit Arménien de Saint-Pierre, ce qui
permet d'avancer l'hypothèse de son appartenance à une famille d'un
quartier de Caffa. En effet, Caffa avait reproduit sur les bords de la
Mer Noire, comme les autres colonies génoises, les structures
urbaines et sociales de la métropole. L'organisation des quartiers de la
cité suivait probablement, comme à Gênes, le système de la division
en «contrade», définies à l'origine par la composition ethnique de la
communauté qui s'y était installée. Les «contrade», pour la plupart,
prenaient le nom de l'église qui avait été érigée au centre du
quartier67. Cette hypothèse est renforcée par le fait que Saint-Pierre était
le vocable d'une des trois églises des Frères Uniteurs et cette maison
secondaire de la congrégation devait se trouver dans un des
quartiers arméniens de Caffa.

65 G.G. Musso, // Tramonte di Caffa genovese, in Miscellanea di Storia Ligure


in memoria di Giorgio Falco, Gênes 1966, p. 311-339.
66 CICO XTV, 2, n° 374-374a.
67 P. Stringa, Genova e la Liguria nel Mediterraneo, Insediamenti e culture
urbane, Gênes, 1982. Pour les structures urbaines, les «alberghi» génois, en
particulier, voir J. Heers, Le clan familial au Moyen Age, Paris, 1974, p. 148.
98 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Cet évêque de Soldaïa était donc très certainement fils d'une


famille d'Arméniens uniates, entré dans l'ordre des Prêcheurs. Dans sa
première supplique au pape, il se plaint des abus de juridiction
commis, au nom d'une certaine coutume, par le consul envoyé par
Gênes. Les points litigieux concernent le baptême des enfants issus
de mariages mixtes, les esclaves fugitifs baptisés, l'attitude du consul
à l'égard de la communauté grecque et de son évêque.
Sur les deux premiers, le consul est en opposition avec la justice
ecclésiastique car il ne permet pas le baptême selon le rite
catholique des enfants issus des mariages entre un catholique et une
grecque ou autre schismatique ou bien infidèle. Mais, au contraire,
le consul accepte contre une récompense qu'ils soient baptisés selon
leur rite. D'autre part il remet à leurs maîtres païens, contre de
l'argent, les esclaves fugitifs baptisés selon le rite catholique.
L'accueil par l'évêque de Soldaïa des esclaves réfugiés est en effet bien
attesté par un document postérieur. Il était de coutume qu'il les
baptise en échange de leur liberté68. Les dire de Louis de Saint-Pierre
sont donc graves puisqu'il accuse le consul de corruption et d'action
contraire à la juridiction ecclésiastique.
La même accusation de corruption se retrouve à propos des
rapports entre le consul de Soldaïa et l'évêque grec. Ce dernier est en
effet autorisé à entrer dans la cité : ainsi peut-il, à force de menaces et
de persuasion, faire retourner au schisme ceux que Louis de Saint-
Pierre avait convertis. De plus, malgré la coutume selon laquelle les
nouvelles fortifications doivent être bénies par l'évêque catholique
de la cité, le consul permet qu'elles le soient par les prêtres grecs ou
les évêques schismatiques, qui organisent des processions à cet effet.
Enfin, il permet que soient construites des églises pour qu'ils
officient selon leur rite. Louis de Saint-Pierre demande donc au pape
qu'il intervienne pour interdire aux autorités génoises de poursuivre
de telles actions.
L'évêque de Soldaïa estimait donc que sa mission était de
développer le catholicisme dans son diocèse et qu'il devait utiliser ses
pouvoirs (les censures ecclésiastiques) à cette fin. C'est pourquoi il
était en opposition avec le consul, qui cherchait à prendre appui sur
les communautés chrétiennes dissidentes, la majeure partie de la
population, afin d'assurer la cohésion sociale nécessaire à la défense
de la cité. Les accusations de corruption de Louis de Saint-Pierre
étaient-elles justifiées69? Le pape accéda à la demande de l'évêque,

68 Lettre du consul, Carlo Cicala, à la banque Saint-Georges, annonçant le


décès d'Augustin di Negro O.P., et demandant un évêque digne de lui succéder,
R.A. Vigna, Atti VI, op. cit., p. 347-348, n° CXLII (7 juillet 1455).
69 II est probable que cette pratique fut courante car lorsqu'une polémique se
développa, en 1473, pour la nomination de l'évêque des Arméniens, des Génois al-
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 99

ce qui provoqua sans aucun doute la colère des autorités civiles. En


effet, dans sa seconde supplique, ce même évêque se plaignait du
fait que le vicaire des Franciscains de Caffa, Francisco de Spinolla
de Gênes, l'ait expulsé et l'ait spolié des revenus de son église avec
l'aide des autorités génoises. Il demandait donc son transfert sur le
siège de Cimbalo, qui n'était distant, indiquait-il, que d'une journée
par mer, et d'une et demie par voie terrestre70. Ce texte montre
également que les autorités civiles jouaient de la rivalité entre les deux
ordres mendiants pour que soient nommés des prélats dociles. Enfin
il faut noter que le vicaire des Franciscains de Caffa était génois,
comme de très nombreux clercs des colonies de la Mer Noire. En
1455, le consul Carlo Cicala annonçait que la communauté latine
avait fait l'unanimité sur Fr. Dominique Mariana O.F.M.; il insistait
sur le fait que ce frère était originaire de Caffa et résidait dans cette
même cité. Cet argument était important puisque l'on sait que Gênes
recherchait des prélats génois ou régionaux.
Ces deux suppliques permettent donc de répondre à
l'interrogation du P. Loenertz sur les raisons de l'éloignement de Louis de
Saint-Pierre du siège de Soldaïa. L'évêque s'était révélé comme un
opposant à la politique de la cité, il fallait lui trouver un successeur
plus docile et le siège resta vacant jusqu'en 1432, date à laquelle
Augustin di Negro fut nommé. Ce Dominicain était issu d'une noble
famille génoise, dont un rameau s'établit en Crimée et qui donna
plusieurs podestats à Péra et Caffa71. Bien que Dominicain, sa culture
familiale lui permit sans doute d'être plus conciliant car il resta
évêque de Soldaïa jusqu'à sa mort en 1455.
L'épiscopat de Jacques Campora O.P. (1441-1458)72 fournit un
autre exemple de relations conflictuelles entre le consul et l'évêque
catholique d'une cité de la Romanie génoise.
Jacques Campora avait été nommé évêque de Caffa par Eugène
IV, sur recommandation du duc de Gênes Thomas Campofregoso.

liés à un groupe de riches Arméniens, préconisa d'acheter le consul, M. Balard,


Les Orientaux de Caffa, dans Byzantinische Forschungen, 11, 1987, op. cit.
70 Malgré le résumé de l'éditeur, la supplique n'indique pas clairement le rôle
de Gênes dans cette spoliation, mais le rôle de la Commune apparaît à deux
reprises comme déterminant dans l'attribution des sièges : «...ecclesia Cymbalen.
nunc vacans..., quae nullos certos habet reditus, nisi et quae a Comunitate Ja-
nuen., cuius in temporalibus subest ditioni, de gratia poterant obtineri» et, plus
loin : «...in dicta Cymbalien. ecclesia, cum adiutorio dictorum Januaen. Comunita-
tis caput, suum in sua senectute habeat reclamare...» CICO XIV, 2, n° 374-374a.
71 R.A. Vigna, / vescovi domenicani liguri, op. cit., p. 130-134; M. Balard, La
Romanie génoise, op. cit., p. 899-903.
72 R. Zapperi, Campora (Canfora) Giacomo, Dizionario biografico degli
Italiani, 17, Rome, 1974, p. 581-584.
100 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Les différentes lettres de recommandation font l'éloge de ses


qualités de théologien et de son caractère. Il fut nommé dans le but de
mettre en application les décrets d'union avec les Grecs et les
Arméniens73, comme le montre la lettre de Thomas Campofregoso au
pape, en novembre 144074. Malgré de nombreux voyages en
Occident75, il semble s'être attaché à sa mission avec ardeur76, ce qui
suscita rapidement des difficultés avec le consul de Caffa.
En effet, le statut de Caffa de 1449 lui consacra un chapitre
spécial : «XL, De molestiis per dominum episcopum caphe illatis grecis
ermenis judeis et aliis scismaticis removendis » . Bien que le nom de
Jacques Campora ne soit pas précisé, les formules du texte ne sont
pas ambiguës, il s'agit bien de l'évêque présent et de ses successeurs.
L'action du prélat étant une des causes de la dépopulation de la cité,
il lui était interdit d'intervenir contre l'évêque d'un autre diocèse77 ou
dans les affaires des autres nations. En revanche, il devait se
contenter de s'occuper de ses ouailles afin qu'elles demeurassent dans le
droit chemin. Si l'évêque ne tenait pas compte de ces dispositions, le
conseil devrait délibérer afin d'étudier les modalités de son retrait
des affaires religieuses de la cité et d'assurer la sécurité des Grecs,
Arméniens, Juifs et autres communautés78. Ainsi retrouve-t-on les
constantes préoccupations des autorités génoises : tranquillité pu-

73 Les décrets d'union des Grecs et des Arméniens datent de 1439, le 1er fut
signé le 6 juillet, le second, le 22 novembre.
74 G. Hofmann, éd., Acta Camerae Apostolicae, Rome, 1950, n° 128 : «...His
accedit Grecorum Armenorumque recens tenellaque reductio, quibus populis cum
tota urbs habita sit, quis ignorât, quantum boni presulis ingenium profìcere possit,
ut vetusti mores novis melioribusque preceptis corrìgantur. Que cum ita sint, mul-
tum duique circumspexi, quemnam proponerem virum sanctitati vestre huic tam
difficili provincie satis idoneum, cum interea oblatus est mihi vir singularis, magis-
ter Iacobus Campora, quern nescio an alter in tota nostra regione possit equare, qui
nunc et prior est conventus sui et simul predicationis munere fungitur...».
75 En 1447, il participait, dans la région de San Remo, à un procès de femmes
accusées à tort d'hérésie, en 1449, il emprunta de l'argent à un frère de son
couvent de Gênes, en mars 1455, un document de la massaria de Caffa montre
qu'il était absent de son siège, en septembre 1457, un acte notarié prouve qu'il
assistait à une cérémonie d'ordination sacerdotale. Les documents sur l'emprunt de
1449 sont édités par R.A. Vigna, / vescovi, op. cit., n° XV-XVI, les autres sont
mentionnés par G.G. Musso, // tramonte di Caffa genovese, in Miscellanea di storia
ligure in memoria di Giorgio Falco, Gênes, 1966, p. 311-336.
76 La lettre d'Eugène IV est éditée par R.A. Vigna, / vescovi, op. cit.,
appendices, doc. n° XIII. Le pape lui rappelle que l'union des Arméniens est une œuvre
à laquelle il est très attaché, qu'il lui en a confié le soin lorsqu'il l'a nommé à
Caffa. Il s'étonne de ne pas avoir encore reçu la visite annoncée, alors qu'il demeure
à Gênes depuis de nombreux mois. Qu'il se hâte car son retour à Caffa est urgent.
Eugène IV écrivit le même jour à l'archevêque de Gênes afin qu'il intervienne
dans le même sens (doc. n° XIV).
77 II s'agit des diocèses des autres communautés chrétiennes de Caffa.
78R.A. Vigna, dans Atti, VII, 2, op. cit., p. 630-631.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 101

blique et cohésion sociale. Celles-ci étaient d'autant plus nécessaires


que le danger turc se faisait plus pressant et la vie des colonies
d'Orient plus précaire. Il faut cependant remarquer la contradiction
entre le point de vue du duc de Gênes, au moment où il demande la
nomination de Jacques Campora et celui des autorités locales. Le
premier préconisait la mise en place de l'union religieuse, les
seconds étaient conscients de l'impossibilité dans laquelle ils étaient
de réaliser une telle politique. La crise des colonies génoises de
Crimée ne fut donc pas une conséquence de la prise de Constantinople,
elle la précéda très largement, puisque le conflit entre l'évêque de
Soldaïa et du consul de sa cité, en 1426/27, avait pour cause la même
recherche de la cohésion sociale par les autorités civiles sur le
terrain. Il faut donc mettre à leur crédit ce pragmatisme, qui permit la
survie de Caffa malgré les périls. La collusion entre Arméniens et
riches Génois évoquée plus haut à propos de la nomination de
l'évêque arménien confirme, que cette cohésion existait au moins dans
l'élite des marchands. Il ne faut donc pas, semble-t-il, exagérer le
rôle des divergences entre les différentes communautés religieuses
dans la défaite de Caffa en 1475. Il convient, en revanche, de
souligner les efforts de modération des consuls, assistés par les notables
locaux, malgré les pressions exercées par les pouvoirs occidentaux.
Les difficultés dans la gestion de la crise dans les colonies de Crimée
peuvent expliquer des attermoiements et des contradictions dans la
politique des autorités génoises, tant dans la métropole que dans les
comptoirs79.
Le conflit entre l'évêque de Caffa et le consul ne cessa de
s'amplifier dans les années qui suivirent la mise en place du nouveau
statut de la cité. Jacques Campora n'était, en effet, pas du tout disposé
à abandonner la mission que lui avaient confiée le pape et le doge de
Gênes. Et il était sans aucun doute convaincu que son rôle de
Prêcheur en mission en Orient était d'œuvrer pour la «dilatation» du
catholicisme dans le monde. Conformément aux dispositions de
1449, le consul de Caffa essaya donc, pendant des années, d'obtenir
le transfert de Jacques Campora sur un autre siège. En 1451, le doge
Pietro Campofregoso intervint auprès du saint siège pour obtenir
son départ. Il accusait l'évêque d'avoir failli à sa mission pastorale et
d'être responsable d'effets contraires à la religion romaine : agir
pour le mieux dans un monde aussi varié et hétérogène. L'année
suivante cette demande fut réitérée par le diplomate Gottardo Stella da
Sarzana. Il fut alors l'objet de virulentes attaques80. En 1454, la

79 M. Balard, la crise des années 1450, dans, Les Orientaux de Caffa, op. cit.
80 Des témoins déposèrent contre l'évêque de Caffa à propos d'une esclave,
Agnès, âgée de sept ans et demi. Embarquée sur un navire en 1440, elle était
l'objet d'un litige entre deux propriétaires italiens. L'un d'entre eux la reçut au nom
102 LES DOMINICAINS EN ORIENT

Banque Saint-Georges étant devenue la protectrice de la colonie,


Jacques Campora en profita pour contre-attaquer. Il accusait dans
sa lettre le consul de Caffa de mal assurer la défense de la ville et de
négocier avec les ennemis. L'année suivante, lettres, attaques et
calomnies se succédèrent de part et d'autre, si bien que Jacques
Campora décida, en juin 1455, de partir pour l'Occident81. Pensait-il
plaider encore sa cause auprès du Saint Siège, ou avait-il, comme
nombre de ses confrères avant lui, pris conscience qu'une partie de
sa mission se situait sur le plan diplomatique? Le pape Callixte III le
chargea d'une mission. C'est ainsi qu'il se rendit, en 1456, à Buda
puis à Graz, où il tenta d'obtenir de l'empereur Frédéric III qu'il
signe la paix avec le roi de Hongrie, Ladislas, afin qu'ils
interviennent contre les Turcs82. Dans ses discours devant l'empereur et
le roi de Hongrie, et pour témoigner de la réalité du danger, il
évoqua la prise de Constantinople et sa mission en Arménie, où il avait
vu des fidèles de l'Eglise romaine sous la domination des Turcs. Au
cours de la mission que lui avait précédemment ordonnée le pape en
Arménie, Jacques Campora rencontra le catholicos des Arméniens,
dont le siège avait été transféré à Etchmiadzin, en Grande Arménie,
depuis 1441. Dans son discours, il parlait en son nom ainsi qu'en
celui des archevêques de Naxivan, Pékin, Tiflis, Tabriz83. Jacques
Campora montrait ainsi le rôle eminent que tenait à jouer Caffa sur
l'Eglise catholique en Orient, pôle de résistance dynamique de
l'Occident latin, à l'origine d'une relance des croisades.
Jacques Campora illustre donc bien l'attitude des Prêcheurs,
missionnaires en Orient. Comme Pierre Géraldi, à Savastopoli, un

de l'évêque. Archivio Segreto di Genova, Notaio Cristoforo Rapallo, 6, 13 mai


1451, cité par G.G. Musso, // Tramonte di Caffa genovese, op. cit. La date est
suspecte puisque Jacques Campora fut nommé en janvier de l'année suivante, 1441.
81 Le 8 juin 1455, Jacques Campora se plaint aux protecteurs de Saint-
Georges des calomnies inventées par ses ennemis, Vigna, dans Atti VI, op. cit.,
n° CXXIII, le 6 septembre, le consul et les bourgeois de Caffa demandent son
transfert n° CLI-CLII; c'est à ce moment que se situe son départ pour Gênes. Le
10 octobre, ils répondent à ses attaques, n° CLXIII, on retrouve la même
accusation que dans le statut : «Sed volumus inteïïegatis quod de Ulis episcopis greets et
armenis et aliis qui de vobis conquesti sunt non vos intromittatis».
82 Jacques Campora prononça deux discours, l'un devant Ladislas de
Hongrie, le second devant Frédéric III, ce dernier discours est édité dans A. Pertusi,
La caduta di Constantinopoli. Le Testimonianze dei contemporanei, 1, Milan, 1976,
p. 190-197.
83 II est assez difficile de donner un nom aux titulaires de ces différents
sièges et de leur lieu de résidence. Le dernier archevêque de Pékin (Cambaliensis,
Khan Baliq), sur la liste de G. Fedalto, La Chiesa II, op. cit., p. 67, est Jacques
O.P., Italien de Caffa, nommé en 1427, et il semble avoir résidé dans sa ville
natale. Le siège de Sultanieh a fusionné avec celui de Naxivan, dont le titulaire
porte le titre d'archevêque depuis Jean Fr. Uniteur, nommé en 1431. A Tiflis, ce
serait un autre dominicain, Alexandre Italus, La Chiesa II, op. cit., p. 221.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 103

siècle plus tôt, il se sentait investi de la mission d'étendre le


catholicisme dans ces régions reculées, peuplées de schismatiques, la
condition nécessaire étant d'assurer la défense militaire du monde
latin face à la menace musulmane.
Au cours de son épiscopat, Jacques Campora fit donc deux longs
séjours en Orient. Le premier entre 1441 et 1445, lui permit de se
rendre compte des difficultés de sa mission, ce dont il avait fait part
au pape. L'importance des communautés chrétiennes orientales,
grecque et arménienne surtout, et leur influence auprès des
autorités locales rendaient l'application du décret d'union quasiment
impossible. Au cours du second, de 1449 à 1455, le conflit entre le
consul de Caffa et l'évêque fut inévitable, et il provoqua le retour
définitif de Jacques Campora dans son couvent d'origine, où il mourut,
en 1458/9.
Si l'épiscopat de son successeur Jérôme Panissari O.P. (1459-
1475) paraît avoir été moins conflictuel, les documents du consulat
de Caffa montrent néanmoins que les mêmes points de désaccord
subsistaient. En 1467/68, les protecteurs de Saint-Georges lui
demandèrent, à plusieurs reprises, de ne pas intervenir dans les
affaires matrimoniales des Grecs et des Arméniens, et même dans les
mariages mixtes. L'évêque avait, en effet, rendu une sentence en
faveur d'un Latin contre sa jeune femme grecque et avait demandé
l'arbitrage des autorités génoises car le consul n'était pas d'accord
avec sa décision84. Plus tard, en 1470, des instructions des
protecteurs aux autorités de Caffa font état d'un conflit qui avait opposé les
Grecs de la ville à l'évêque à cause des esclaves qui voulaient se
convertir. Ce dernier les faisait vendre mais interdisaient aux Grecs
d'en acheter. D'autre part l'interdiction d'administrer la justice en
matière matrimoniale était renouvelée, celle-ci allant à l'encontre
des bonnes et anciennes coutumes85. La répétition des mêmes
interdictions montre que l'évêque de Caffa continuait à jouer son rôle de
garant et de propagateur de la foi catholique. Les autorités civiles,
quant à elles, cherchaient toujours à empêcher tout conflit entre les
différentes communautés de la colonie.
Le commerce des esclaves et des marchandises prohibées à
destination des états musulmans posa toujours un problème dans les
relations entre les Frères Peregrinante et les autorités civiles. Les
premiers tentaient de faire appliquer les directives pontificales. C'est
ainsi qu'en 1372 la commune de Péra expulsa certains Dominicains
qui avaient voulu contraindre les bourgeois à obéir aux prohibitions

84 R.A. Vigna, Atti VII, 1, op. cit., n° DCCXLI, n° DCCLXXVII, n° DCCCXIX.


85 Ibid., n° DCCCCrV.
104 LES DOMINICAINS EN ORIENT

pontificales concernant le commerce du fer et du bois avec l'Egypte.


Le pape intervint auprès du duc de Gênes et du conseil des Anciens
de Péra afin que les Frères puissent retourner dans leur couvent et
assurer leur apostolat auprès des schismatiques et qu'ils
s'abstiennent à l'avenir de telles actions envers eux. En effet le texte
montre que l'incident fut violent : «...cum minis et terroribus ac
armata manu pro libito sue voluntatis plures hactenus expulerant...».
La lettre du pape indique aussi que ce n'était pas un acte isolé
puisque la même mésaventure était arrivée à l'évêque de Trébi-
zonde. Le moyen utilisé par l'Eglise était l'excommunication et
l'interdit, mais le pape lui-même était amené à absoudre les marchands
qui s'en étaient rendus coupables86. Cependant Martin V dut
rappeler que, conformément aux actes du concile du Latran (1179), la
vente des esclaves chrétiens était interdite et excommunia les
marchands de Caffa et de Tana, qui enlevaient des Ziques, des Russes,
des Alains ... etc., baptisés au nom du Christ, pour en faire des
esclaves87. Ces instructions furent reprises, en 1456, par Callixte III
disant que tous les chrétiens étaient frères et appartenaient à une
même Eglise. Ces lettres pontificales permettent d'éclairer le
différend qui opposait l'évêque catholique de Caffa aux autorités
génoises. Ces dernières cherchaient à protéger les intérêts des Grecs,
qui se plaignaient que celui-ci vendît des esclaves qui ne voulaient
pas accepter les sacrements de la foi catholique tout en ne leur
permettant pas d'acheter certains des esclaves des catholiques. Le fait
que les plaignants soient Grecs peut expliquer l'usage répété du mot
«catholique». Il est certain que l'évêque était chargé de recevoir les
esclaves fugitifs et qu'il les baptisait selon le rite catholique, après
quoi il les libérait. Ceci privait le marché d'un certain nombre
d'entre eux et mécontentait les marchands à quelque confession
qu'ils appartinssent. Ce que les Grecs lui reprochaient sans doute
c'était de profiter de sa fonction pour baptiser des schismatiques. Le
zèle de l'évêque latin de Caffa gênait le commerce des esclaves en
Mer Noire, or c'était, pour les comptoirs génois, la principale source
de richesse. Dans les mêmes instructions au consul de Caffa88, la
Banque Saint-Georges rapporte les plaintes des Grecs puis indique

86 Bulle de Boniface IX, 15 octobre 1398 : «Pontifex iubet ut absolvantur et eis


(homines terrae Peyrae, propter communicationem et commercium exercentes cum
Graecis et infidelibus, excommunicati) cum Graecis conversari permittity> . Résumé
de l'éditeur CICO XIII, 1.
87 Coquelines, Bullarium Romanum, III, 2, p. 454; 3, p. 78.
88 Vigna, dans Atti VII, 1, p. 675. A propos de ce texte, le P. Loenertz
indiquait qu'il était plus que probable que le copiste avait fait une faute écrivant «vo-
lunt» au lieu de «nolunt» dans la phrase «...quod reverendus dominus episcopus
latinorum servos et servuas suas qui ad sacramenta catholice fidei accedere volunt
vendi facit...», La Société I, op. cit., p. 122.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 105

qu'elle cherche un évêque capable de remplacer Pacôme, mort sur la


route qui le menait à son siège. Le terme «idoneo episcopo» sous-
entend une personnalité assez souple pour accepter certaines
entorses aux instructions pontificales. Pacôme, grec uniate,
recommandé par le cardinal Bessarion correspondait à ce critère, et
on pouvait penser qu'il pourrait s'entendre avec la communauté
grecque.
Les Dominicains, qui exercèrent leur ministère dans cet
ensemble de régions recouvrant la Méditerranée orientale et les pays
en contact avec la Mer Noire, rencontrèrent donc une grande
diversité de situations qui détermina la nature de leur action. Les
pouvoirs politiques, installés dans ces régions par les puissances
occidentales, eurent des attitudes souvent différentes. Cependant ils
mirent en œuvre des politiques convergentes sur des points
importants, le contrôle de la nomination des chefs religieux de leurs
domaines leur permettant de gérer des situations parfois conflictuelles.
Les tensions entre les communautés se cristallisaient en effet,
souvent sous l'influence d'éléments venus de l'extérieur, sur la
composante religieuse de leur identité.

5 - Un exemple original :
les relations entre les dominicains et
les princes de la mouvance territoriale polonaise

L'extension de la Société des Frères Peregrinante, à partir de


1375, aux pays des routes commerciales liant la Mer Noire à
l'Europe centrale, s'explique par l'évolution du commerce en Orient
mais aussi par l'émergence d'un vaste condominium catholique
dominé par le roi de Pologne.
Dans cet espace si particulier, jonction de deux mondes
culturels et religieux, l'Occident catholique et l'orthodoxie byzantine (et,
qui plus est, à un moment capital de son histoire : la mise en place
de structures politiques nouvelles), les liens entre les Frères
prêcheurs et les princes sont beaucoup plus serrés que dans les
ensembles régionaux envisagés jusqu'à présent. Ces relations
privilégiées doivent s'envisager sous deux angles, l'un, culturel, l'autre,
politique.
Nous avons vu précédemment que les couvents dominicains de
cet ensemble régional avaient bénéficié de donations princières,
celles-ci accompagnant leur fondation dans la plupart des cas. Cette
pratique de la fondation princière appartient au monde culturel
byzantin.
Les implantations dominicaines de l'espace ruthéno-moldave
datent de la période qui dura une quarantaine d'années, entre 1375
106 LES DOMINICAINS EN ORIENT

et 1415 et elles coïncident avec la restauration de la Société des


Frères Pérégrinants. Cette congrégation, plus souple dans son
fonctionnement que les provinces dominicaines, permettait l'intégration
de couvents princiers. Le pape Grégoire XI, à la demande des Frères
de la mission d'Arménie, avait accordé aux couvents de la Société le
droit des posséder des biens89. L'induit pontifical est clairement cité
dans la charte de fondation de Ladislas d'Opole90 en faveur du
couvent de Lwow, en 1377. Il semble qu'il ne fut pas étranger aux
négociations qui aboutirent à l'union des couvents de Ruthénie à la
Société des Pérégrinants : la constitution de l'Ordre interdisait en effet
la possession en commun de biens fonciers, alors que la charte de
Ladislas indique que Grégoire XI vient d'accorder ce privilège à la
congrégation91.
Les couvents dominicains de ces régions situées aux confins
orientaux de la Pologne furent fortement dotés non seulement par la
famille royale mais aussi par les grands seigneurs de ces régions, Po-
dolie ou Moldavie. Ils sont en effet les plus nombreux parmi les
donateurs mentionnés dans les sources. Les souverains de Pologne,
Hedwige et Ladislas Jagellon, furent les plus généreux. Cinq
couvents bénéficièrent de leurs dons : Lwow, Mosciska, Kolomya, Hru-
bieszow, Luck. Mais les chartes de donations font apparaître aussi
des proches de la famille royale, Ladislas d'Opole fut l'un, sinon le
premier, des donateurs du couvent de Lwow. Une princesse, très
proche de la reine Hedwige, Elisabeth, veuve du palatin de Cracovie,
Spytek de Mebsztyn, dota le couvent de Sambor92. La famille de La-

89 Vers 1340, au moment de la fondation de la congrégation des Frères Uni-


teurs d'Arménie, le problème s'était déjà posé. En effet le prince de Qrna avait
richement doté le monastère de son parent Jean, fondateur de la mission. Les
Frères avaient adopté des statuts différents de ceux de l'Ordre de
Saint-Dominique, leur permettant de posséder des biens fonciers. Il convient de considérer le
monastère de Qrna comme une fondation princière s'inscrivant dans l'espace
culturel byzantin. Des fondations princières sont attestées en Arménie du IXe au
XIe siècles, J.P. Mahé, L'Eglise arménienne de 611 à 1066, dans Histoire du
Christianisme, 4, op. cit., p. 514.
90 Ladislas d'Opole était un prince de la famille royale de Pologne, de la
dynastie des Piast. Il fut nommé palatin de Hongrie par Louis d'Anjou, roi de
Pologne et de Hongrie, en 1367, puis cinq ans plus tard gouverneur de Ruthénie, en
résidence à Lwow, O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central
Europe, New York, 1991, p. 51.
91 «Cum ex vi concessionis domini Gregorìi pape Fratribus Predicatorìbus pro
Christo peregrinantibus in terris infidelium misericorditer sit indultum quod bone
mobilia et immobilia possint obtinere...» texte cité par le P. Loenertz, o.e., dans
AFP 4, 1934, p. 10. La lettre est conservée dans une copie du XVIIe siècle, Woro-
niecki-Fijalek, Zbior formul zakonu dominikanskiego prowincji polskiej 1338-1411.
Archivum Komisji historycznej ser. 2, t. 12, 2, Cracovie, 1938, p. 391, n° 1.
92 Spytko de Mebsztyn mourut aux côtés de Witold, grand-duc de Lituanie, à
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 107

dislas Jagellon participa aussi aux fondations dominicaines. Ainsi


Witold, son cousin, est-il nommé aux côtés de Ladislas dans une
charte de donation au couvent de Luck93. Il avait accepté la foi
catholique sous la pression des Chevaliers Teutoniques, en 1382. Il
reçut alors le nom d'Alexandre qu'il garda jusqu'à sa mort. Il s'était
ensuite tourné vers l'Eglise orthodoxe. Il semble cependant être revenu
au catholicisme définitivement en se rapprochant de Jagellon en
1384; il espérait que ce dernier, devenant roi de Pologne, lui
laisserait la Lituanie. La date de cette charte, 1393, coïncide, en effet, avec
un nouveau retour de Witold dans le camp de Jagellon, les deux
cousins ayant réalisé que seule leur entente pouvait assurer
l'indépendance de la Lituanie94.
Le frère cadet de Ladislas, Boleslas-Swridrigiello, donna une
ferme aux Prêcheurs de Saint-Nicolas de Kamieniec, en mars 140195.
Parmi les donateurs du couvent de Lancut, il faut noter la veuve du
palatin de Sandomierz, Otton Pilecki. Leur fille, Elisabeth, sera la
troisième femme de Ladislas Jagellon96. Le couvent de Belz profita
lui aussi des largesses d'une des grandes familles polonaises en la
personne de Ziemovit III, prince de Mazovie et de Belz97.
Le couvent de Seret, en Moldavie, bénéficia aussi de la
générosité de la famille au pouvoir. Pierre, hospodar, fils de la duchesse

ia bataille de la Worskla, contre les Turcs, en 1399. Epoux d'Elisabeth, une


princesse hongroise, il fut un des plus importants agents diplomatiques de la reine
Hedwige dans les médiations qu'elle menait entre le roi Sigismond, son beau-
frère, et Ladislas Jagellon, son mari; dès 1386, Spytek apparaît comme un fidèle
de Jagellon, qui le reçut juste après son élection en février 1386, O. Halecki,
Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central Europe, op. cit., p. 151, p. 194-195 et
note 63.
93 Witold était le fils de Kejstut et un cousin de Ladislas Jagellon. Ladislas et
Witold, issus de deux dynasties rivales, se disputaient la souveraineté sur la
Lituanie. Witold chercha jusqu'à sa mort à assurer une autonomie maximale à son
pays, face aux Tartares et aux chevaliers teutoniques.
94 O. Halecki, Jadwiga..., op. cit., p. 154, p. 144. La charte fut éditée par Ba-
racz, Rys dziejow zakonu kaznodziejskiego w Polsce, t. 2, Lwow, 1860, p. 315,
n° 427, d'après une copie authentiquée aux archives du cuvent de Lwow.
95 Swidrigiello fut baptisé en même temps que Ladislas le 15 février 1386 et
reçut le nom de Boleslas en mémoire des plus grands rois de Pologne, de la
dynastie des Piast. Au moment de cette dotation, il était prince de Podolie.
96 O. Halecki, Jadwiga..., op. cit., p. 287. La donation d'Hedwige, veuve d'Ot-
ton Pilecki, date de 1390.
97 Ziemovit III, prince de Mazovie (1341-1381), issu de la dynastie des Piast,
allié par le mariage de sa sœur à Ladislas d'Opole. Avec ce dernier, il avait
participé à la conversion de la Lituanie au catholicisme. Grégoire XI leur envoya une
lettre de remerciement ainsi qu'à Louis d'Anjou, en 1373, O. Halecki, Jadwiga...,
p. 61, p. 71; G. Rhode, Die Ostgrenze Polens, I, op. cit., table généalogique n° 5.
Dans la charte datée de 1394, il s'agit de son fils, Ziemovit IV, prince de Mazovie
(1381-1426), éd. W. Abraham, Powstanie organisacyi kosciola lacinnskiego na Ru-
si, Lwow, 1904, p. 336, n° 1.
108 LES DOMINICAINS EN ORIENT

guérite, fit une dotation au couvent Saint- Jean-Baptiste, fondé par


sa mère98.
Les relations privilégiées entre les Prêcheurs et les princes de
l'Est de l'Europe centrale doivent être replacées dans le cadre de
l'influence byzantine séculaire en Europe orientale. Le prince avait une
situation différente par rapport aux affaires religieuses dans l'aire
orthodoxe et la conversion de celui-ci s'accompagnait toujours de la
fondation d'un monastère". Mais, à la fin du XIVe et au début du
XVe siècles, ces relations s'expliquent aussi par l'évolution du
contexte politique régional, qui voit la mise en place de frontières et
d'états nouveaux. Elles montrent combien les Dominicains furent
impliqués dans ce processus100.
La relation entre la fondation d'un couvent dominicain et la
mise en place des nouvelles structures politiques s'inscrit dans un
schéma verifiable dans la plupart des cas. L'installation des frères
précède la création d'un diocèse catholique, lequel sert ensuite de
support à une maîtrise politique du sol.
La fondation du couvent de Lwow coïncide avec la nomination
de Ladislas d'Opole comme gouverneur de Ruthénie, au début des
années 1370. Celui-ci demanda au pape la création de sièges épisco-
paux latins dès février 1375, à Lwow, Przemysl, Wlodzimierz et
Chelm, afin de remplacer la hiérarchie orthodoxe de la région101. En
fait la réalisation du projet s'avéra difficile et une coexistence des
deux Eglises s'imposa pour des siècles102. Le projet du prince d'Opole
était de mettre en place un siège métropolitain catholique à Lwow,
devenue grâce au développement du commerce la cité la plus
dynamique de Ruthénie et, pour cette raison, peuplée d'une forte
communauté d'obédience romaine. C'est pourquoi il avait demandé le trans-

98 Bulle du 1° mai 1384 : «Horleganoiu, Pierre, prince de Moldavie, à la


demande de sa mère, Marguerite, fondatrice du couvent Saint-Jean-Baptiste des
Frères Prêcheurs de Seret, donne au dit couvent un pesage public à Seret»,
traduction de RJ. Loenertz, dans ses papiers inédits d'après l'édition de W.
Abraham, Powstanie organisacyi kosciola lacinnskiego na Rust, op. cit., p. 385-386,
doc. n° XIV.
99 «Les communautés [monastiques] les plus anciennes semblent avoir été
constituées à l'intérieur des villes ou dans les environs immédiats, à l'initiative
d'un riche fondateur (en grec ktitor); cette fonction, calquée sur le modèle
byzantin, était exercée en Russie - tout comme un siècle plus tôt en Bulgarie - d'abord
par les représentants de la dynastie princière», V. Vodoff, Naissance de la
Chrétienté russe, Paris, 1988, p. 157.
100 Dès le XIIIe siècle, les Dominicains, très impliqués dans les affaires
sociales, avaient créé l'atmosphère favorable à la réunification du royaume de
Pologne, J. Kloczowski, Dominicans of the Polish Province in the Middle Ages, dans
The Christian Community of Medieval Poland, Wroclaw, 1981, p. 89.
101 CICO XII, n° 140-140a.
102 J. Kloczowski, La promotion des Eglises périphériques de l'Europe du
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 109

fert de la métropole d'Halicz, siège traditionnel de l'Eglise orthodoxe,


dans cette ville, mesure dont Grégoire XI s'informa de l'opportunité
auprès de l'archevêque de Gnezno et des évêques de Cracovie et de
Plock, dès le mois suivant103. La hiérarchie catholique de Pologne
s'opposa sans doute au transfert car il ne fut accordé par Jean XXIII
qu'en 1413, à la demande de Ladislas Jagellon104. C'est ainsi que la Ru-
thénie fut retirée du ressort de Gnezno, Lwow devenant siège
métropolitain. Cette date correspond à une nouvelle avancée polonaise
vers l'Est, après la victoire décisive de Grunwald (1410), remportée
par les forces conjointes de Ladislas Jagellon et de son cousin Witold,
duc de Lituanie, contre les chevaliers teutoniques. L'action de ces
deux princes lituaniens en faveur du catholicisme doit être replacée
dans le contexte politique des régions de l'Europe centre-orientale105.
L'autonomie politique de la Lituanie, menacée à l'Est par les princes
de Moscou et, au Nord, par l'ordre des Chevaliers teutoniques avait
rendu nécessaire l'alliance avec la Pologne catholique106. Leur
conversion et celle de leur peuple, à partir de 1387, avait enlevé aux
Chevaliers l'argument de la croisade. Malgré les difficultés
rencontrées par la délégation polonaise au concile de Constance107 pour
convaincre de la réalité du ralliement des Lituaniens à l'Eglise de
Rome, les sujets de Ladislas Jagellon avaient bien su plaider leur
cause puisqu'en 1418, Martin V nommait celui-ci ainsi que Witold,
vicaires généraux au temporel pour l'union des Eglises en Russie108. Le
pape précisait pour ce dernier l'étendue de ses domaines incluant la
Samogitie, jusqu'alors domaine des Chevaliers teutoniques
traditionnellement soutenus par le Saint-Siège. Les deux princes s'étaient per-

centre-est et du nord, dans Histoire du Christianisme, 6, A. Vauchez, dir., Paris,


1990, p. 784.
103 Buiïarium Poloniae, éd. S. Kuras, Rome, 1982, II, n° 2209, p. 364, avec la
date 6 mars 1375. Dans CICO XII, n° 197, l'éditeur donne 6 mars 1376, avec la
mention «anno quinto, probabiliter distractione amanuensis».
104 CICO XIII, 2, n° 155 : «Cum itaque nuperpro parte carissimi in Christo fïlii
Nostri Wladislas régis Poloniae illustris ac domini Ruissae Nobis expositum fuerit
et summa instantia supplicatum, ut pro defensione fidei orthodoxae ac etiam
incremento fideliumque salute ac redictione ad ovile dominicum infìdelium et oberran-
tium populorum, ... ».
105 Sur le contexte politique général voir : A. Gieysztor, dir., Histoire de la
Pologne, Varsovie, 1971; O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of East Central
Europe, Atlantic Studies on Society in Change, n° 73, Columbian University
Press, New York, 1991.
A. Armbrüster, Staat und Kirche zu Begin der Rumänischen Fürstentümer,
dans Miscellanea Historiae Ecclesiasticae, V, Louvain, 1974, p. 354-358.
106 u. Wincenty, L'œuvre des missions catholiques en Pologne, dans Le
Millénaire du catholicisme en Pologne, p. 381.
107 J. Kloczowski, La période de grand développement (1350-1450) , dans
Histoire religieuse de la Pologne, Paris, 1987, p. 106-140, voir p. 133 et sq.
108 CICO XIV, 1, n° 40-40a.
110 LES DOMINICAINS EN ORIENT

sonnellement impliqués dans la conversion de leur peuple au


catholicisme et avaient ainsi garanti, par des méthodes opposées à celles des
Chevaliers teutoniques, un ralliement populaire. Le dessein essentiel
des princes, de Witold en particulier, était de garantir une autonomie
religieuse capable de préserver l'identité nationale lituanienne109. La-
dislas fut moins soucieux d'indépendance car, roi de Pologne, ses
domaines étaient plus ancrés en terre catholique et il était plus lié aux
Dominicains que son cousin110.
Le ralliement des princes orthodoxes de la région, les Korjato-
wicz (fils de Koriat), à l'Eglise catholique entre dans le cadre de
l'expansion polonaise pendant le règne de Casimir le Grand111. Après
avoir vaincu les Tartares en 1349, les dynastes de Podolie avaient
accepté la suzeraineté du roi de Pologne. L'un d'eux s'était converti, A-
lexandre Korjatowicz112. Dès 1380-84, les princes de Podolie avaient
demandé au pape la création de l'évêché catholique de Kamieniec113.
Les fondations des princes de Podolie procèdent donc de la
même démarche que celle des princes lituaniens. L'installation des
Dominicains à Kamieniec et à Smotric précéda la demande au
Saint-Siège, par les frères Korjatowicz, de l'érection d'un siège
episcopal. L'organisation d'une hiérarchie latine avec le soutien de la
Pologne permettait la maîtrise territoriale de la dynastie sur la Podolie.
Il convient sans doute aussi d'analyser les fondations du prince

109 Le grand-duc Witold tenta d'organiser une Eglise orthodoxe indépendante


du métropolite de Moscou, favorisant les idées unionistes afin d'éviter une
russification de la population, J. Kloczowski, Données nationales, relations entre
confessions et religions, dans Histoire religieuse de la Pologne, p. 110 et sq. En
même temps, il veilla à éviter les ingérences du métropolite catholique de Lwow
dans les affaires de l'évêché de Vladimir, J. Kloczowski, Histoire du
Christianisme, 6, A. Vauchez, dir., Paris, 1990, p. 793.
110 M. Tradjos, cité par J. Kloczowski, ibid., p. 792, note 7, indique que les
liens privilégiés entre Ladislas et les Dominicains étaient dirigés contre Witold.
111 Ces princes sont les fils de Koriat, leur généalogie fait encore l'objet de
discussions de même que leur nombre, O. Halecki, Jadwiga d'Anjou and the Rise of
East Central Europe, New York, 1991, p. 38 et note 23. G. Rhode estime que
quatre est le nombre le plus sûr : Georges, Alexandre, Constantin et Théodore,
Die Ostgrenze Polens, I, Köln-Graz, 1955, p. 200, note 152 et table généalogique
n° 7. Alexandre et Boris collaborèrent à la politique du roi Casimir le Grand, puis
de Louis d'Anjou. A la mort de ce dernier, Boris et Constantin participèrent, pour
le compte de leur cousin, Jagellon, aux négociations qui conduisirent en 1385 à
l'union de la Lituanie et de la Pologne, O. Halecki, Jadwiga..., op. cit., p. 61,
p. 124.
112 A. Theiner, Vetera Monumenta Poloniae et Lithuaniae, I, op. cit., p. 748-
749, doc. n° MXV. Alexandre de Lituanie, seigneur de Kamieniec, obtint de
Grégoire XI, en 1378, le privilège d'un confesseur de son choix.
113 J. Kloczowski, Histoire du Christianisme, 6, dir. A. Vauchez, Paris, 1990,
p. 787.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 111

de Mazovie, Ziemovit IV, en faveur des couvents de Belz, Horodto et


Hrubieszov, comme une manifestation de ses prétentions
territoriales face au nouveau roi de Pologne, Ladislas, dont il contestait les
droits au trône114. Ceci pourrait expliquer la situation des deux
derniers couvents, hors de la Société des Frères Peregrinante, dont les
liens avec Ladislas Jagellon étaient si étroits.
L'exemple moldave est peut-être encore plus significatif115. La
fondation du couvent des Prêcheurs et l'organisation du diocèse
latin de Seret s'intègrent dans le cadre de l'œuvre émancipatrice de
Bogdan contre la domination hongroise, que poursuivirent ses
successeurs, Latzco et Pierre Musata. Si la fille de Bogdan, Marguerite,
convertie par un frère dominicain, Jean (Strenue), protégea le
couvent sa vie durant116, c'est son frère Latzco qui, en 1370, avec le
soutien des Franciscains117, obtint du pape Urbain V l'érection d'un
siège episcopal118. Il est important de noter que ce nouveau diocèse
dépendait directement de Rome et, ainsi, manifestait une première
tentative de la Moldavie pour affirmer sur le plan international son
autonomie119. Il est possible que Latzco soit retourné au schisme.
Une lettre de Grégoire XI nous apprend que son épouse ne
souhaitait pas se convertir au catholicisme et le pape mettait en garde le
prince contre les dangers de cette cohabitation120. Mais les fils de
Marguerite, qui lui succédèrent, reprirent cette politique pro-catho-
lique et prêtèrent plusieurs fois hommage à Ladislas Jagellon121. En

114 G. Rhode, Die Ostgrenze Polens, op. cit., p. 308-312.


115 Pour une étude générale sur la formation des principautés roumaines :
N. Iorga, Histoire des Roumains, t. 3, Bucarest, 1937; une étude récente s'ap-
puyant sur les recherches archéologiques, V. Spinei, Moldavia in the llth-14th
centuries, dans Bibliotheca Historica Romaniae, 20, Académie de la république
socialiste de Roumanie, 1986. Armbruster a souligné les rapports entre la mise en
place des structures ecclésiastiques et l'organisation politique des principautés
danubiennes au XIVe siècle : Staat und Kirche zu Begin der Rumänischen
Fürstentümer, dans Miscellanea Historiae Ecclesiasticae, V, colloque de Varsovie (27-29
octobre 1971), la cartographie et l'histoire socio-religieuse de l'Europe jusqu'à la fin
du XVIIe siècle, Louvain, 1974, p. 354-358.
116 Marguerite ordonna d'être enterrée au couvent des Dominicains de Seret,
N. Iorga, Histoire des Roumains, t. 3, op. cit., p. 314.
117 Le voïvode Latzco était orthodoxe et se convertit au catholicisme sous
l'influence d'un Franciscain allemand en 1369. Il était alors dépendant du roi de
Pologne. G. Rhode, Die Ostgrenze Polens, I, op. cit., p. 226-228.
118 CICO XI, n° 204.
119 S. Papacostea, La fondation de la Valachie et de la Moldavie et les
Roumains de Transylvanie : une nouvelle source, dans Revue Roumaine d'Histoire, 17,
3, 1978, p. 389-407.
120 CICO XII, n° 20.
121 Sur les relations entre les voïvodes de Moldavie et Ladislas Jagellon :
S. Papacostea, Aux débuts de l'état moldave. Considérations en marge d'une
nouvelle source, dans Revue roumaine d'histoire, 12, 1, 1973, p. 139-158.
112 LES DOMINICAINS EN ORIENT

fait comme en Ruthénie et en Podolie, la hiérarchie catholique


s'appuyait sur les centres urbains où les activités commerciales avaient
amené des colons allemands ou polonais, mais l'ensemble de la
population restait fidèle à l'orthodoxie. L'entourage du voïvode l'était
souvent également, tel le chancelier de Stéphane en 1391. C'est ainsi
qu'Alexandre le Bon se sentit assez puissant pour se passer de la
tutelle polonaise et, malgré son mariage avec une princesse
lituanienne catholique, Ringala, il refusa de se convertir au
catholicisme122. Mais, laissant espérer son passage à l'obédience romaine, il
avait obtenu, entre 1417 et 1420, l'érection d'un second siège
episcopal en Moldavie, peut-être à Baia-Mare. Cette démarche d'Alexandre
s'inscrit dans son programme politique d'indépendance, profitant
d'une conjoncture particulièrement favorable au début du XVe
siècle. Elle résulte de la conjonction de deux facteurs positifs pour la
Moldavie. D'une part la rivalité entre la Hongrie de Sigismond et la
Pologne de Ladislas Jagellon est toujours aussi vive, provoquant une
alternance de périodes de tension et de moments de détente. D'autre
part, les offensives de Bajazet au Nord des Balkans, à la fin du siècle
précédent, ont obligé à un rapprochement des différentes forces
chrétiennes, capables de défendre le Bas-Danube. C'est ainsi que
Sigismond, devant désormais assurer la défense de ses frontières,
s'efforça de rassembler, dans une ligue anti-ottomane, le prince de Va-
lachie, Mircea, et l'empereur de Byzance. Ce rapprochement entre
Constantinople et la Hongrie, opéré par le successeur de Louis
d'Anjou, au lendemain de la défaite de Nicopolis (1396), marquait un
tournant dans la politique hongroise. Cette évolution ne fut pas sans
conséquences religieuses et spirituelles, car elle s'accompagna d'un
assouplissement de la monarchie hongroise vis à vis du schisme
oriental et des chrétiens de rite grec, non seulement dans le royaume
de Sigismond, mais aussi dans tout l'ensemble Centre-Est de
l'Europe123. En effet, la constitution d'une structure catholique n'était
pas exclusive. Pendant la même période les voïvodes de Moldavie
obtinrent l'institution d'une métropole orthodoxe. Elle fut l'occasion
d'une crise grave entre le pouvoir laïc et le patriarcat œcuménique.
Dans l'esprit de Latzco comme de ses successeurs, la naissance
d'une métropole devait être l'une des bases de l'indépendance mol-

122 CICO XIV, 1, n° 153-153a-153b, Ringoia (ou Ringalla) obtenait le 1er juillet
1420, l'annullation de son mariage pour cette raison et des indulgences pour les
visiteurs de la nouvelle cathédrale. Ringalla était une fille de Kejstut et une sœur
de Witold, prince de Lituanie, G. Rhode, Die Ostgrenze Polens, op. cit., table
généalogique n° 9.
123 S. Papacostea, Byzance et la croisade au Bas-Danube à la fin du XIVe siècle,
dans Revue roumaine d'histoire, 30, 1991, p. 3-21.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 113

dave. Le voïvode et ses boyards imposèrent leur candidat, Joseph,


moldave et parent de Pierre, contre le titulaire nommé par le
patriarcat, un Grec, Jérémie. Le conflit se termina, en 1416, pendant le
règne d'Alexandre le Bon, qui dut prendre l'engagement de se
conformer au choix de Constantinople124. Non seulement
l'institution d'une double structure religieuse était nécessaire puisqu'elle
correspondait à la situation confessionnelle du pays, mais, sur le
plan politique, elle j ;rmettait de mieux assurer l'indépendance
nationale, faisant jouer la rivalité des deux zones d'influence.
A contrario, le processus menant à l'autonomie de la Valachie
avait précédé l'évolution moldave. Il put se poursuivre pendant le
règne du voïvode Mircea, sans implantation catholique effective.
Après avoir momentanément suivi les voïvodes de Moldavie dans
leur alliance avec la Pologne, Mircea se tourna vers la Hongrie125. Il
sut tirer parti des difficultés intérieures rencontrées par Sigismond
au début de son règne et de la rivalité entre ce dernier et son beau-
frère Jagellon dans la zone danubienne126 pour affirmer l'existence
de sa principauté. Malgré les pressions exercées par l'archevêque de
Kalocs, soutenu par Louis d'Anjou, puis Sigismond, l'autonomie va-
laque s'exprima au contraire dans l'orthodoxie. Dès 1359, le voïvode
Nicolas Alexandre négocia un accord avec le patriarcat de
Constantinople, qui aboutit à la mise en place d'un siège métropolitain
orthodoxe127. Mircea, à la suite de Vladislas-Vlaicu, développa une
politique de fondations de monastères orthodoxes128. Mircea soutint
l'œuvre du moine Nicodème de Prilep en faveur d'une renaissance
de la culture slavonne et de la vie monastique, dota les monastères
de Cozia et de Tismana. Pendant son règne, il n'y eut plus d'évêque
catholique à Arges et on voit le souverain orthodoxe se faire
pardonner ses péchés à Cozia à Pâques 1415 129.
Le grand-duc Witold en Lituanie pratiquait la même politique

124 V. Laurent, Aux origines de l'Eglise de Moldavie, dans Revue des Etudes
Byzantines, 5, 1947, p. 158-170.
125 Mircea avait conclu une alliance avec Ladislas Jagellon en 1389, puis se
tourna vers Sigismond en 1395, avec lequel il s'allia contre les Turcs, O. Halecki,
Jadwiga of Anjou, op. cit., p. 175, 214-215.
126 Sur les tensions diplomatiques entre la Hongrie et la Pologne, O. Halecki,
Jadwiga of Anjou, op. cit.; Les deux souverains trouvèrent un compromis à Lu-
blau, en 1412, en se partageant les principautés danubiennes en deux zones
d'influence, Z.H. Nowak, Kaiser Siegmund und die polnische Monarchie, dans
Zweitschrift für historische Forschung, 15, 1988, p. 423-436.
127 S. Papacostea, La fondation de la Valachie et de la Moldavie et les
Roumains de Transylvanie : une nouvelle source, op. cit., p. 391.
128 «C'est à la demande du roi de Hongrie, Louis d'Anjou, que le siège d'Arges
fut érigé en 1380 et suffragant de Kalocs», Louis espérait une domination réelle
sur la Valachie, N. Iorga, Histoire des Roumains, t. 3, op. cit., p. 301-302.
129 Ibid., p. 319, p. 329.
114 LES DOMINICAINS EN ORIENT

religieuse dans ses domaines, cherchant à affirmer, lui aussi,


l'indépendance politique et religieuse de la Lituanie tant par rapport à
la Pologne de Ladislas que vis à vis de l'Eglise orthodoxe russe130.
En fonction de l'équilibre des forces en présence, les princes de
l'Est de l'Europe centrale utilisèrent donc les structures
ecclésiastiques pour affirmer leur autonomie territoriale, que le processus
bénéficie à l'une ou à l'autre des deux Eglises.
Ainsi, dans cet ensemble régional, organisé autour de la route
moldave, à un moment aussi crucial de son histoire, la politique
religieuse des princes revêt un caractère tout à fait spécifique si on la
compare à celle de Venise ou de Gênes dans leurs domaines
coloniaux respectifs. Les Dominicains s'y montrent particulièrement
impliqués, et, liés comme partout au pouvoir, ils surent adapter leur
action aux réalités politiques et culturelles de l'Europe centrale.
Profitant de la tradition des fondations monastiques princières et du
rôle de l'organisation ecclésiastique dans la maîtrise politique du
sol, ils développèrent leurs missions afin d'accroître l'influence de
l'Eglise romaine dans cet ensemble traditionnellement orthodoxe
dans une large mesure.
Ce soutien des familles princières aux Frères Peregrinante
s'inscrit dans la ligne de la diplomatie complexe menée par Louis
d'Anjou, roi de Hongrie et de Pologne entre Rome et Constantinople.
Louis d'Anjou, héritier des deux couronnes, avait réussi à
transmettre ses domaines à ses filles. Marie fut couronnée «rex» de
Hongrie et épousa Sigismond de Luxembourg. Hedwige, la cadette,
«rex» de Pologne, réunit à sa couronne la Lituanie par son mariage
avec Jagellon. Ce dernier, qui était païen alors, dut se convertir au
catholicisme pour pouvoir devenir souverain de Pologne. Il fut
baptisé puis couronné au printemps 1386. Il prit alors le nom de son
parrain, Ladislas d'Opole. Jagellon était le fils d'Olgierd et le petit-
fils de Gedymin, duc de Lituanie. Celui-ci avait eu de nombreux fils
pour assurer sa succession, parmi eux : Olgierd, Kejstut et Koriat131.
Dans la continuité de l'expansion polonaise, menée par Casimir le
Grand, la politique angevine visait à l'organisation d'un vaste espace
politique organisé dans le Centre-Est de l'Europe. Elle fut poursuivie
par ses successeurs, Ladislas Jagellon, roi de Pologne, et Sigismond
de Luxembourg, roi de Hongrie. Ce dernier, après avoir obtenu la
couronne impériale en 1411, prétendit avoir la maîtrise du destin de
la chrétienté face au danger turc. Des années 1370 au concile de Fer-
rare-Florence, le passage obligé des missions diplomatiques entre

130 J. Kloczowski, Histoire du Christianisme, 6, op. cit., p. 792; Histoire


religieuse de la Pologne, op. cit., la période du grand développement, 2 : Données
nationales, relations entre les confessions et religions, p. 110 sq.
131 G. Rhode, Die Ostgrenze Polens, I, op. cit., tables généalogiques n° 7, 8, 9.
POUVOIRS CIVILS ET PRÉSENCE DOMINICAINE 115

les deux capitales de la chrétienté se fera par Buda. Plus loin, leur
étude montrera combien les Dominicains s'y impliquèrent.
Les Prêcheurs ne purent avoir, dans ces conditions, qu'un faible
impact sur les régions où la composante grecque était majoritaire.
C'est pourquoi leur présence fut beaucoup plus sensible dans les
régions les plus orientales, où l'emprise de l'Orthodoxie était moins
forte, c'est à dire sur l'ensemble constitué par la Romanie génoise et
sa zone d'influence. Mais il convient de remarquer que les autorités
politiques, tant génoises que vénitiennes ou chypriotes, ont toujours
veillé à contrôler étroitement la situation religieuse de leurs
domaines respectifs dans le but d'assurer la paix sociale. Le
prosélytisme catholique, et donc l'action dominicaine, furent par
conséquent toujours contenues dans d'étroites limites, ainsi que
l'ont bien illustré les différends souvent graves entre les évêques
dominicains de Caffa et le consul de la cité. Cependant le rapport entre
domaine politique et domaine religieux est complexe comme nous
l'avons vu à propos de l'extension de la Société des Frères
Peregrinante dans les régions slaves de la voie moldave. Ici, l'action
dominicaine fut toujours favorisée lorsqu'elle soutenait un dessein
politique. La construction des états de l'Europe du Centre-Est, depuis la
fin du XIVe siècle jusqu'au milieu du siècle suivant, constitua donc
une conjoncture favorable au développement des missions
catholiques.
Cependant cette très forte influence dominicaine s'explique
aussi par le dynamisme de la Société des Frères Peregrinante, qui joua
un rôle majeur et multiple dans l'histoire des relations entre Rome
et Byzance. Les missionnaires, leurs initiatives tant dans
l'organisation de la Société que dans son évolution, eurent un rôle si grand
qu'il est nécessaire de déterminer quelle fut la part de la politique du
Saint Siège dans leur action.
Ml

SECONDE PARTIE

POLITIQUE PONTIFICALE
ET INITIATIVES MISSIONNAIRES
Adf

CHAPITRE I

RECRUTEMENT ET ORIGINE
DES PRÊCHEURS MISSIONNAIRES

La présence dominicaine dans la partie occidentale de l'Orient


méditerranéen, en Romanie vénitienne ou en Achaïe, de même
qu'en Chypre fut, ainsi qu'il a été montré plus haut, assez faible.
L'action des Prêcheurs était, dans ces régions, atone du fait du
contrôle de l'Eglise par les autorités civiles. En revanche cette
présence était beaucoup plus massive en Romanie génoise et dans les
ramifications de l'empire colonial vers l'Est, le long des routes
menant en Extrême Orient, jusqu'en 1375, puis vers l'Ouest, sur la via
tartarica, à partir de la fin du XIVe siècle. Les listes épiscopales de la
hiérarchie latine dans l'Orient méditerranéen corroborent cette
impression de déséquilibre de la présence dominicaine entre les deux
Romanies. Mais ces listes, confrontées à celles des inquisiteurs en
Orient et des vicaires généraux de la Société des Frères Peregrinante
permettent d'aller au cœur de l'histoire des missions dominicaines
car elles montrent l'évolution de l'origine géographique de ses
acteurs1. Déterminer le pays d'origine d'un Prêcheur en Orient n'est
pas toujours possible, cependant les documents donnent assez
souvent des indications qui permettent de le faire. Les mentions, qui
précisent le prénom du missionnaire, sont variées, localité, village,
quartier, ou couvent auquel il appartient. Plus rarement, mais cela
évite la recherche d'informations complémentaires, le nom de la
famille est précisé. Enfin, il arrive parfois que la nationalité soit
donnée. Il semble que ce dernier cas soit le fait de Dominicains nés en
Orient et qu'il s'agisse, pour les fils de colons italiens, d'une sorte de
revendication de leur origine.

1 En dehors des listes établies par C. Eubel, au début du siècle, dont le


mérite est de couvrir l'ensemble de la hiérarchie catholique, il faut signaler l'ouvrage
récent et important sur l'Eglise latine en Orient, dont le second tome contient la
liste des titulaires des sièges catholiques établis en Orient : G. Fedalto, La Chiesa
latina in Oriente, II, op. cit. Toujours très utiles aussi, les deux ouvrages de
R.A. Vigna, sur les Dominicains de Gênes. Des recherches plus récentes comme
celles de W.H. Rudt de Collenberg, sur le clergé chypriote, ou de M. Balard sur
l'origine des colons du domaine génois et une lecture attentive des sources ponti-
120 politique pontificale et initiatives missionnaires

1 - Les évêques dominicains

a) En Crète vénitienne
Les Prêcheurs furent fort peu nombreux sur les sièges épisco-
paux de Romanie vénitienne. En Crète, tant à la tête de cette Eglise
que parmi les suffragante, il n'est possible de relever qu'un ou deux
frères de l'Ordre de Saint-Dominique, parfois aucun, comme à Kis-
samos. Il convient de remarquer également que le prélat qui fut
chargé de l'application du décret d'Union était l'archevêque de Crète,
Fantino Vallaresso, un Vénitien, comme la plupart d'entre eux. Il
faisait partie du groupe des collaborateurs d'Eugène IV au concile de
Florence, dont beaucoup appartenaient à l'Ordre de
Saint-Dominique et furent envoyés en Orient avec la même mission. Fantino
Vallaresso, lui, n'était pas Dominicain mais c'était un ami d'André
Chrysobergès O.P., avec qui il entretint une correspondance dont il
ne reste qu'une lettre.
Pour dire quelques mots des Dominicains nommés dans la zone
d'influence vénitienne et qui font exception, Théodore Chrysobergès
fut nommé évêque d'Olena en 1418, où il resta peut-être jusqu'à sa
mort en 1429 ou 1430. Ce diocèse était suffragant de Patras et l'é-
vêque devait résider à Andravida. Bien que n'appartenant pas à la
Romanie vénitienne, l'archevêché de Patras jouissait une certaine
indépendance depuis 1336, mais Venise y exerçait son influence2.
Les Prêcheurs étaient bien présents dans la région, comme il a été
noté plus haut, mais Théodore paraît avoir été le seul évêque
dominicain, si l'on excepte Pierre de Aginerco, de l'obédience de Clément
VII, pendant le Grand Schisme3.

b) A Chypre, Nicosie et Famagouste

Les évêques dominicains furent peu nombreux à Chypre, mais


les exemples que l'on peut donner sont très significatifs. Un des
évêques de Limassol, Guy d'Ibelin, appartenait à une des grandes
familles franques qui dominaient l'île4. Pendant le pontificat d'Eugène
IV, l'Eglise de Chypre, dirigée par le cardinal Hugues de Lusignan,

ficales permettent de donner un tableau assez précis des cadres de l'Eglise latine
et des missions dominicaines en Orient.
2 La rupture avec le prince d'Achaïe se produisit en 1336, lorsque
l'archevêque de Patras, Guillaume Frangipani, est allé à Venise et devint citoyen
vénitien, A. Bon, La Morée franque, p. 242 sq.; G. Fedalto, La Chiesa latina, I, op. cit.,
p. 351-353.
3 G. Fedalto, La Chiesa latina, II, op. cit., p. 182-184.
4 W.H. Rudt de Collenberg a remarquablement démontré que le clergé
chypriote était très majoritairement franc jusqu'au XVe siècle.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 121

se rangea dans l'obédience de Félix V, le pape élu par le concile de


Bâle. Cette situation s'explique par les liens qui existaient entre la
cour et la maison de Savoie à laquelle appartenait Félix V5. De 1442
à 1449, un accord tacite entre le pape et le roi permit aux évêques de
Limassol et de Paphos de gagner leur siège et il fut convenu que ce
serait des Vénitiens ou des Grecs.
Le siège de Famagouste est une exception car il fut beaucoup
plus souvent occupé par un Prêcheur, particulièrement au XVe
siècle. Trois Dominicains s'y sont succédés entre 1417 et 14556.
Nicolas de Tende appartenait au couvent de Savone et était très
vraisemblablement originaire de cette localité de la côte ligure7. Jacques
Castodengo était également de Savone. Il était encore à Florence au
moment où le pape le destinait à l'épiscopat. Il y enseignait au
Studium de l'Ordre et avait été consulté pour les questions théologiques
pendant le concile8. Il fut nommé en 1441. Dominicus Michaelis de
Péra est né à Péra, de la famille De-Micheli, qui comptait parmi les
anciennes familles patriciennes de Gênes. Il s'agit donc d'un Génois
né Outre-Mer9. La banque Saint-Georges, patronne de Famagouste
avait sollicité la nomination de Jérôme Panissari, un autre Génois,
mais il fut nommé peu après évêque de Caffa. Pour compléter ce
tableau des évêques Prêcheurs à Famagouste, il convient d'ajouter que
c'est dans cette cité que résidait André Chrysobergès, archevêque de
Nicosie de sa nomination en 1447 à sa mort en 145 110. Isidore de

5 Hugues de Lusignan cumula les fonctions de cardinal-archevêque de


Nicosie jusqu'à sa mort en 1442 et celles de régent du royaume, pendant la captivité de
son neveu Janus, au Caire. Il était bilingue et il fut de nombreuses années le
véritable chef d'une Eglise fortement hellénisée. W.H. Rudt de Collenberg, Le
Royaume, l'Eglise latine de Chypre et la Papauté 1417-1471, d'après les archives du
Vatican, Nicosie, 1988.
6 Voir Index des Prêcheurs.
7R.A. Vigna, / vescovi, op. cit., p. 107-113; W.H. Rudt de Collenberg, Le
Royaume, l'Eglise latine de Chypre et la papauté, op. cit., p. 101-102.
8R.A. Vigna, / vescovi, op. cit., p. 115-119; La Chiesa II, op. cit., p. 122.
9 R.A. Vigna, / vescovi, op. cit., p. 166-168.
10 J. Darrouzès, La date de la mort d'André Chrysobergès O.P., archevêque de
Nicosie et légat apostolique en Chypre, dans AFP 21, 1951, p. 301-305. W.H. Rudt
de Collenberg indique qu'après 1449 aucun archevêque de Nicosie ne put mettre
les pieds à Chypre, ce qui va à l'encontre de la mention de la mort d'André
Chrysobergès à Famagouste. Mais peut-on considérer que Famagouste génoise était
terre chypriote? W.H. Rudt de Collenberg, Le Royaume, l'Eglise latine de Chypre et
la Papauté 1417-1471, dans les archives du Vatican, Nicosie, 1988, p. 80, p. 85. Le
royaume de Chypre entra dans l'obédience de Félix V en 1439, en raison des liens
privilégiés entre les Lusignan et la famille de Savoie et le roi Jean II profita des
circonstances pour ne laisser entrer aucun prélat nommé par Eugène IV, Rudt de
Collenberg, dans Congrès de Nicosie, 1982, Praktika tou Deuterou Diethèous Ky-
priologikou Synedriou, t. B', Nicosie, 1986, 183.
122 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Kiev, un autre prélat d'origine grecque, rallié à l'Union, lui succéda à


partir de 1456. Famagouste, port génois depuis 1375, eut donc
plusieurs Dominicains parmi les prélats de son Eglise; ceux-ci étaient
de même nationalité que les colons, génois ou ligures; le dernier
d'entre eux, pour la période de domination génoise, Dominique
Michaelis (1455-) était natif de la colonie génoise de Péra11.
Ainsi dans les régions où le pouvoir politique contrôlait
fortement l'Eglise et la vie spirituelle, la Romanie vénitienne et Chypre,
comme il a été constaté plus haut, les Prêcheurs étaient peu
nombreux et les prélats était de même nationalité que le pouvoir. Avec le
XVe siècle et la mise en place du décret d'Union, les Grecs entrèrent
dans cette hiérarchie latine d'Orient.

c) Chios et Mitylène
La présence de Prêcheurs originaires de la zone d'influence
génoise, telle qu'elle est apparue à Famagouste, se retrouve en Egée
orientale. La hiérarchie latine de cette région comprenait une
métropole, Mitylène et plusieurs sièges suffragante, Chios et les Deux-
Phocées12. Le seul évêque attesté par les sources sur le siège d'Ere-
sos, dans l'île de Mitylène, est un Prêcheur, Luc Michaelis de Saint-
Laurent de Pise (1374). Il était lecteur au couvent de Caffa avant son
élection, qui eut lieu dans l'église Saint- Antoine de Péra13. Cette
église et son hôpital furent très souvent administrés par un
Prêcheur. L'existence de ce seul titulaire s'explique par le fait que
l'archevêque de Mitylène désirait un auxiliaire pour administrer sa
province : cette tâche fut confiée à Luc de Pise. Les Prêcheurs furent les
plus nombreux à être nommés sur ce siège métropolitain au cours
du XVe siècle. Il existe toutefois des exceptions comme la présence
de Dorothée, en 1438, qui faisait partie de la délégation grecque au
concile de Florence et était partisan de l'Union. Il semble que
Stéphane de Florence n'ait été que titulaire non-résident du siège car,
dans la bulle de nomination de son successeur, c'est le décès
d'Angelus Fortis O.P. (nommé en 1405) et non le transfert de Stéphane à
Thèbes qui est mentionné.
Il convient maintenant de souligner la présence dans cette liste
d'une personnalité illustre et bien connue, Léonard de Chios O.P.14.

11 Dominique de Michaelis est né à Péra, d'une vieille famille patricienne


génoise, R.A. Vigna, / Vescovi, p. 166.
12 La liste episcopale de l'ancienne Phocée s'achève avec Louis de Foro
(1354), qui ne fut sans doute que titulaire; celle de la nouvelle Phocée commence
avec Barthélémy de Cassino de Gênes O.F.M. (1347-), il n'y eut donc qu'un seul
évêque pour les deux Phocées, G. Fedalto, La Chiesa latina, II, op. cit., p. 124-125.
13 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 70-72.
14 R.A. Vigna, / Vescovi, op. cit., p. 154-163; R.J. Loenertz, La Société I,
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 123

II suffira ici de rappeler que ce Prêcheur est né à Chios d'une


humble famille vers 1395/96. Cette personnalité est l'exemple même
du Prêcheur né en Orient et y exerçant son ministère. Il était très lié
avec les Gattilusi, famille princière à la double culture, comme tant
d'autres dans l'Orient latin, au XVe siècle. Léonard fit ses études de
théologie à Gênes alors que ses confrères fréquentaient plus souvent
les studia de Padoue, Pavie ou Venise. Ceci peut sans doute
s'expliquer par le contrôle strict exercé par les princes de Lesbos sur le
clergé de l'île15. Il était le confesseur de la princesse Maria Giustinia-
ni, qui le proposa pour l'archevêché de Mitylène, où il fut nommé en
144416. L'ambiance de la cour, férue d'archéologie et de culture
grecque17, en fit une des personnalités du premier humanisme. Son
traité De vera nobilitate est un dialogue platonicien, répondant à
celui de Poggio Bracciolini18. Cet ouvrage relate une dispute entre des
seigneurs de la cour de Lesbos dans un cadre champêtre, tout à fait
dans la tradition des banquets de l'Antiquité. Latin de naissance
mais très imprégné d'Hellénisme, il peut être compté parmi ces
intellectuels orientaux qui œuvrèrent pour une redécouverte de Platon
dans l'Italie de la seconde moitié du XVe siècle. Son fidèle chapelain
était un frère d'origine grecque, Georges de Carystos en Eubée19.
Outre son intervention aux côtés d'Isidore de Kiev pour la mise en
œuvre de l'Union à Constantinople, qui sera évoquée plus loin, il
était encore dans la ville lorsqu'elle fut prise par les Turcs et se
sentit, dès lors, particulièrement impliqué dans la défense de la
chrétienté de plus en plus menacée. Il portait le titre de vice-légat pour le

op. cit., p. 66-70; A. Pertusi, La caduta di Constantinopoli. Le testimonianze dei


contemporanei, I, Milan, 1976, p. 120-171, p. 390-407; L.L. Calzamiglia, Un Mao-
nese di Chio : Leonardo Giustiniani Garibaldo, O.P., arcivescovo di Mitilene (1395-
1459), Atti del Convegno di studi sui ceti dirigenti nelle istituzioni della repubblica
di Genova, dir. C. Cattaneo Mallone, Gênes, 11-14 juin 1991, in La Storia dei
Genovesi, 12, p. 61-81.
15 RJ. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 55-56, une bulle de Callixte III, de
l'année 1456, donne l'ordre au vicaire de la Société des Peregrinante de remplacer
François de Lucques, vicaire de Saint-Georges, par Antoine de Cazolinis, natif de
Mitylène, selon les vœux de Domenico Gattilusi. Cet ordre ne fut pas exécuté
immédiatement car les documents de 1457 donnent toujours François de Lucques,
vicaire de Saint-Georges.
16 CICO XV, n° 1185-1186.
17 W. Miller, The Gattilusi of Lesbos, dans Byzantinische Zeitschrift, 23, 1913,
p. 406-447.
18 Th. Kaeppeli, S.O.P. Medii Aevi, III, op. cit., p. 71-73.
19 Dès 1444, il apparaît dans les sources comme messager de Léonard de
Chios à Rome. C'est lui qui est chargé de porter le pallium lors de la nomination
de Léonard sur le siège de Mitylène, R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 67-68.
Il est vraisemblable que le même Georges figure dans les actes notariés de 1457, il
est toujours chapelain de l'archevêque.
124 POLmQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

patriarche de la flotte de l'Eglise20. C'est ainsi qu'il se rendit en


Occident en février-mars 1459 pour demander de l'aide. Il mourut, à
Gênes, au cours de ce séjour.
Sur les sièges des Deux Phocées, figurent plusieurs évêques
dominicains, en particulier au XVe siècle21. Jean Rossi (Rubei) du
couvent de Péra, nommé en 1417, peut être identifié avec le vicaire
de la Société des Peregrinante, Jean de Rossi (Rubeis). Celui-ci était
probablement né d'une famille russe de Caffa22. Nicolas de Todi
alias de Chios avait été vicaire de l'église de Chios après la
suspension de Léonard Pallavicini. Il fut ensuite nommé évêque de la
nouvelle Phocée en 142723.
L'étude de l'origine des titulaires du siège de Chios est
particulièrement intéressante. Pendant la période où l'île fut gouvernée, à
partir de 1304, par des seigneurs génois, comme Benedetto Zaccaria,
puis, après un intermède byzantin (1329-1346), Simone Vignosi, les
évêques de Chios furent surtout des Dominicains. Mais, pendant
une seconde période, à partir de 1360, correspondant à la
domination de l'île par la Mahone, le siège est comme monopolisé par deux
familles, les Giustiniani et les Pallavicini. L'Ordre des Prêcheurs
étant particulièrement influent dans l'île, cette situation provoqua
des tensions assez graves entre les frères et l'évêque pour que le pape
soit obligé d'intervenir24. A partir de 1470, les Mendiants
réapparaissent à la tête du diocèse de Chios, avec des titulaires descendant
de familles originaires de la Riviera du Levant, Jérôme de Camogli
O.F.M., puis Paul de Moneglia O.P.

d) Les diocèses de Crimée


L'exemple le plus significatif de la présence d'évêques génois est
sans doute celui du diocèse de Caffa.
Au cours du XIVe siècle, les évêques de Caffa furent surtout des
prédicateurs, qui commencèrent leur apostolat dans les missions

20 II porte ce titre dans le document de 1457, n° 51 de l'édition des actes


notariés de A. Roccatagliata, Notai genovesi... Pera e Mitilene, in Collana storica di
fonti e studi 34/2, op. cit. : «Reverendus dominus Leonardas, Mitilleni Dei grada ar-
chiepiscopus et in hac parte vicegerens legati reverendissimi domini domini pa-
triarce, legati classis Sancte Ecclexie...»
21 G. Fedalto ne mentionne pas certains évêques figurant dans les actes de
Martin V et d'Eugène IV.
22 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 64; M. Balard, La Romanie génoise I,
p. 287.
23 Dans l'adresse de la bulle pontificale du 20 juillet 1423, Nicolas est
mentionné ainsi : «Nicolao de Chio alias de Todi...» Loc. cit., note suivante; voir aussi,
La Société, I, op. cit., p. 51, 64.
24 CICO XIV, 2, n° 233a, Martin V dut suspendre Léonard Pallacivini et le
remplacer par un vicaire episcopal, Nicolas de Todi O.P..
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 125

d'Orient. Le Saint-Siège eut soin de ménager une alternance assez


régulière entre frères Prêcheurs et frères Mineurs. Le premier,
Jérôme Cathala O.F.M., était Catalan; il avait été à l'origine de la
fondation de ce diocèse latin25. Son successeur fut un Dominicain,
Matthieu Manni de Coitone, prélat à la curie, qui ne gagna jamais son
siège26. Mais les suivants furent des missionnaires d'Arménie,
Prêcheurs ou Uniteurs. Thaddée O.P. était un Arménien converti,
transféré du siège de Korikos en Cilicie sur celui de Cafra. Il administra
son diocèse de longues années (1334-1357)27. On le rencontre à de
très nombreuses reprises dans les archives vaticanes, en particulier
en 1323, il signe le vidimus de la bulle de canonisation de Saint
Thomas, en compagnie de Guillaume Adam. Dans ce document,
Thaddée porte déjà le titre d'évêque de Cafra et Guillaume vient d'être
nommé archevêque de Sultanieh, en remplacement de Franco de
Pérouse, démissionnaire. En 1346, il est associé à Nersès Balientz,
évêque de Manazgerd, et à Nicolas de l'Ayas dans une bulle
d'indulgence collective. Thaddée et Nersès étaient tous deux des
Arméniens convertis, entrés dans l'ordre des Frères Prêcheurs28. La date
de cette lettre d'indulgence n'est pas fortuite, elle correspond, en
effet, au moment où Nersès Balientz est venu à Avignon porter son
Libelle contre les erreurs des Arméniens. La présence à leurs côtés
d'un frère de l'Ayas29, colonie génoise de Cilicie, corrobore l'idée
d'une délégation importante de frères d'Arménie, venus à la curie
afin de développer une action définitive contre le schisme arménien.
Il convient de noter la présence précoce, à Cafra, d'un Prêcheur
indigène. Celle-ci s'explique par l'importance de la migration
arménienne dans cette cité.
Le successeur de Thaddée fut un Franciscain, Conrad de Pre-
grance, qui était Ligure30. Puis deux Dominicains furent nommés
successivement, Jean de Tabriz (1377-1382) puis Jean de Rouen (1382-).
Le premier était un frère arménien, venu à la curie chercher des ren-

25 G. Golubovitch, Biblioteca biografica della Terra Santa e dell'Oriente


francescano, III, op. cit., p. 39 sq.
26R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 113.
27 De très nombreuses mentions de frère Thaddée dans M. A. van den Ouden-
rijn, Linguae Haicanae scriptores O.P. congregationis Fr. Unit, et Fr. Arm.
O.S. Bas. citra mare consistentium, Berne, 1960, en particulier sur son œuvre de
traducteur d'ouvrages liturgiques et théologiques, latins ou grecs en arménien.
28 R.J. Loenertz, Deux évêques dominicains de Coffa. Frère Thaddée d'Arménie
et frère Matthieu Manni de Cortone, dans AFP 5, 1935, p. 346-357; Vigna, /
Vescovi, op. cit., p. 49-54; La Chiesa II, op. cit., p. 62. Voir également la liste des
Dominicains en Orient.
29 Nicolas était peut-être l'évêque franciscain de L'Ayas, G. Fedalto, La
Chiesa, II, op. cit., p. 56.
30 R.A. Vigna, / Vescovi, op. cit., p. 52, Preganzia, ou peut-être Precante, était
une localité de la Riviera du Ponant, près de Sestri.
126 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

forts pour les missions dans son pays; le second était un frère
français, qui avait répondu favorablement à l'appel de Jean de Tabriz et de
ses compagnons. Le rôle de ces deux missionnaires est si important
dans le déroulement des relations entre Rome et le monde schisma-
tique qu'un assez long développement lui sera consacré plus loin.
Respectant l'alternance, le Saint-Siège nomma un Franciscain
pour succéder à Jean de Rouen, Alexandre O.F.M., qui était
précédemment sur le siège de Trébizonde. A partir de 1391, les évêques
de Caffa sont quasi exclusivement des missionnaires dont il est
possible d'établir l'origine génoise. Une incertitude persiste sur sa
nationalité exacte de Barthélémy Ventura O.P. (1391-1398), mais il était
Ligure ou Génois31. A la suite d'un conflit avec les autorités de Caffa,
il fut transféré, comme il a été vu plus haut, sur le siège de Soldaia,
dont l'évêque rejoignit sur celui de Caffa. C'est ainsi qu'un
Franciscain génois, Jean de Saulo, lui succéda32. Une série de quatre
évêques, dont l'origine génoise est facile à établir, vient ensuite.
Jérôme de Gênes O.P., nommé vers 1404, était fils du couvent Saint-
Dominique de Gênes et dut exercer une fonction importante dans
les stations missionnaires de Crimée33. Gioffredo Cicala O.F.M. lui
succéda en 1417. Une grande famille génoise de ce nom était établie
à Péra dès 128134. Il est fort vraisemblable que cet évêque fût issu de
cette famille et était donc né en Romanie génoise. Les deux suivants
sont des personnalités bien connues, Jacques Campora (1441-1459)35
et Jérôme Panissari (1459-1469); ce dernier était Prêcheur du
couvent réformé de Sainte-Marie du Castello de Gênes36. Leur
successeur fut un Grec uniate, Pacôme, comme on l'a vu plus haut.
Ainsi la liste des évêques de Caffa est-elle exemplaire de l'évolution de
l'origine des Prêcheurs d'Orient puisque les premiers furent des
Occidentaux, puis furent nommés ensuite des missionnaires indigènes.
Cependant le contrôle de plus en plus strict exercé par la métropole
sur la nomination des prélats de Romanie introduit une particulari-

31 Selon R.A. Vigna, / Vescovi, op. cit., p. 90-93, la plupart des auteurs
anciens et modernes le disent Ligure, mais l'un d'entre eux, Borzino, qui avait à sa
disposition des papiers anciens du couvent Saint-Dominique de Gênes et des
papiers de maisons privées, le dit Génois. Les Ventura étaient inscrits parmi
l'antique noblesse génoise. Mais Ligure ou Génois, ou fils d'un colon établi
outremer, Barthélémy Ventura appartenait, par sa naissance au domaine d'influence
génoise.
32 Ibid., p. 91, «...il francescano Giovanni Sauli genovese pur egli...».
33 Ibid., p. 95-99.
34 M. Balard, La Romanie génoise, I, op. cit., p. 235-236.
35 R.A. Vigna, / Vescovi, p. 141-153
36 Ibid., p. 175-182; R.J. Loenertz, La Société, II, op. cit., p. 136-137, p. 141.
Voir la liste des Dominicains en Orient.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 127

té puisqu'au cours du XVe siècle deux d'entre eux vinrent


directement de Gênes. En effet Jacques Campora et Jérôme Panissari
n'étaient pas missionnaires avant d'être nommés évêques.
Il convient de faire quelques remarques sur les autres diocèses
de la Mer Noire. Etablir la liste des titulaires qui y résidèrent
effectivement n'est pas aisé. Ces listes comprennent en effet nombre de
titulaires qui ne gagnèrent pas leur siège. La mention du décès de
son prédécesseur est un point de repère commode pour déterminer
si un évêque résida réellement, d'autant qu'il est parfois précisé que
le prélat est décédé hors de la curie.
Les diocèses de Soldaïa et de Cimbalo sont de bons exemples de
cette situation difficile. Dans ces régions d'Orient, où les
communautés latines étaient peu importantes numériquement, les
ressources des évêchés étaient faibles, voire inexistantes. Pour le XVe
siècle, les seuls prélats, qui résidèrent avec certitude à Soldaïa,
furent Louis de Saint-Pierre, Augustin de Caffa et Jean de Péra, tous
les trois Dominicains. Pour le premier, les registres de la massaria
attestent sa présence dans son diocèse entre 1410 et 1424. Mais les
actes pontificaux permettent d'établir qu'il y résidait depuis le début
du siècle. Dans la supplique du 15 décembre 1427, qu'il adressa au
Saint Père pour demander son transfert à Cimbalo, il indique en
effet qu'il administrait son diocèse depuis 26 ans37. Augustin de Caffa
et Jean de Péra sont nommés en raison du décès de leurs
prédécesseurs respectifs38. Ces trois évêques de Soldaïa étaient nés dans les
colonies génoises de la Mer Noire39.
La situation devait être encore plus grave à Cimbalo car, comme
l'indiquait Louis de Saint-Pierre dans sa supplique, précédemment
citée, ce diocèse n'avait pas de revenu assuré40. Le seul titulaire dont

37 CICO XIV, 2, n° 374a : «...idem Ludovicus episcopus a tempore ... domini


Bonifacii IX praedecessoris eiusdem Sanctitatis Vestrae, videlicet viginti sex anno-
rum spatio, suum offìcium pastorale in dieta sua ecclesia et etiam deficientibus epi-
scopis catholicis in Armenia Maiori et quod in Caffa et in eius convicinis partibus,
in conferendis Sacris Ordinibus ... fuerit exequitus...»
38 G. Fedalto, La Chiesa latina, II, op. cit., p. 210-211. Il n'est pas certain que
Louis de Saint-Pierre ait finalement accepté son transfert à Cimbalo, car la
nomination d'Augustin mentionne le décès de Louis (CICO XV, n° 144).
39 L'illustre famille d'Augustin a été évoquée p. 99; Jean de Péra, fils du
couvent de Péra, naquit sans doute dans cette cité ou dans un autre comptoir
génois.
40 CICO XIV, 2, n° 374a : «...quod ex dictae ecclesiae suae [Soldaiensis] reddi-
tibus quos habet certos, per annum videlicet quadraginta sex florenorum auri puri,
et modo quasi omnino est quasi destituta, se commode sustentare non valeat et
ecclesia Cymbalen. nunc vacans..., quae nullos certos habet reditus, nisi quae a
Communitate Januen., cuius in temporalibus subest ditioni, de gratia poterant ob-
tineri...» Ainsi le diocèse de Cimbalo étant dépourvu de revenu, l'entretien de l'é-
vêque dépendait de la Commune de Gênes.
128 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

la résidence ne pose pas de problème est Joseph de Grande Arménie,


nommé en 1386 par Boniface IX. Il est très vraisemblable que
Joseph fût un frère Uniteur41. Dans sa supplique, Louis de Saint Pierre
dit de ce siège qu'il était vacant lorsqu'il y fut transféré. De plus la
bulle de sa nomination mentionne le décès de Joseph : c'est donc
qu'entre les deux il n'y eut pas d'évêque résident. Le dernier évêque
effectif fut probablement Alexandre Monteacuto de Caffa O.F.M.42.
Les mêmes remarques peuvent être faites sur le siège de Tana.
Bien que les informations soient incomplètes, une alternance entre
Franciscains et Dominicains peut être observée. Les deux premiers
évêques furent des Franciscains, puis un certain Matthieu, dont on
ne sait à quel ordre il appartenait. Mais il semble qu'il résida dans la
mesure où, dans la bulle de nomination de son successeur, Antoine
de Levanto O.P., il est mentionné comme décédé extra curiam. Ce
document est intéressant car frère Antoine parlait la langue de la
région. Il était vraisemblablement né d'une famille de colons ligures,
installée dans un comptoir génois de la Mer Noire43. Un de ses
successeurs, Basile O.F.M. , connaissait aussi les langues de la région
puisqu'il fut interprète des Arméniens au concile de Florence. Le
dernier évêque résident de Tana fut encore un Dominicain que l'on
peut penser natif de la région. Nommé en 1464, il s'appelait en effet
Matthieu de Pontremoli. Des colons originaires du village de Pontre-
moli sont installés à Caffa depuis la fin du XIIIe siècle44. D'autres
familles de ce village de Lunigiana apparaissent dans les actes notariés
de Romanie, ainsi à Chypre au début du XIVe siècle ou à Chios en
1394. Il se peut aussi que frère Matthieu soit apparenté à un riche
marchand, Giovanni da Pontremoli, tenant boutique à Gênes et
faisant du commerce dans toute la Méditerranée, ainsi que l'attestent
ses lettres de 1453 à 145945. Le patronyme de frère Antoine et de frère
Matthieu portait la mention de l'origine de la famille.
Ainsi les listes épiscopales des diocèses établis dans les colonies

41 RJ.
42 R.A. Loenertz,
Vigna, / Vescovi,
La Société,
op. I,cit.,
op.p.cit.,
118-119,
p. 123.Ce frère mineur serait
effectivement né à Caffa, de Monteacuto, étant son patronyme. Comme beaucoup de
noms de colons génois, sans doute d'origine modeste, il avait gardé le souvenir du
village ancestral. Monteacuto était situé sur la Riviera orientale, non loin de
Levanto.
43 Levanto est une localité de la Riviera du Levant; trois familles de Levanto
on été relevées à Péra et deux à Caffa, à la fin du XIIIe siècle, M. Balard, La
Romanie génoise, I, op. cit., p. 241.
44 Ibid., p. 242, p. 246.
45 D. Gioffré, Lettere di Giovanni da Pontremoli, Mercante genovese, 1453-
1459, in Collana Storica di Fonti e Studi, 33, Gênes, 1982; E. Basso, Genova : un
impero sul mare, la diaspora dei Liguri : il caso dei Lunigianesi, Cagliari, 1994,
p. 166-185.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 129

génoises présentent-elles un certain nombre de caractères


remarquables, en particulier la présence de personnalités originaires du
domaine génois, de la métropole, de Ligurie ou des comptoirs de la
Mer Noire, surtout au cours du XVe siècle. Les Dominicains y sont
très présents, même si le Saint-Siège a tenu à ce qu'une alternance
soit respectée entre les ordres mendiants présents dans les missions
de la région. Cependant il convient de remarquer la très forte
présence des Prêcheurs en Romanie génoise, alors que la Romanie
vénitienne apparaît comme le domaine d'intervention des Franciscains.
Cette situation peut s'expliquer par le cosmopolitisme urbain des
comptoirs commerciaux, comme nous l'avons souligné plus haut,
mais aussi par les liens qui unissaient l'ordre de Saint Dominique et
le pouvoir ducal. Le couvent de Gênes était en effet la nécropole des
doges, comme l'était celui de Nicosie pour les Lusignan.
Le diocèse de Trébizonde, dans l'empire des Comnène, présente
des caractères tout à fait différents. Si les mendiants sont très
présents dans la liste episcopale, aucun Prêcheur n'y figure46. Il faut
cependant remarquer que les missionnaires indigènes n'en sont pas
absents, ainsi Corne Zique O.F.M. (1359-1362)47. Mais Grégoire de
Corsanego, moine du couvent de la Citerne de Péra, O.S.B. (1429-),
est un nouveau venu puisque cette institution ne fut fondée qu'en
142748.

e) Les évêques d'Arménie et de Géorgie


Ainsi qu'il a été mentionné à plusieurs reprises, il semble que le
Saint Siège ait opéré un partage équitable des responsabilités ou des
bénéfices entre les ordres mendiants ayant installé des stations
missionnaires en Orient. C'est ainsi que Saint-Antoine de Péra connut
une alternance de Franciscains et de Dominicains parmi ses prében-
diers. Il en était de même pour certains diocèses comme celui de
Caffa, par exemple. Trébizonde, en dehors de la Romanie latine, eut
des titulaires de plusieurs ordres différents. Dans les régions les plus
orientales, l'attribution des diocèses est différente, les sièges épisco-
paux étant réservés soit à des Franciscains soit à des Dominicains.
Comme le montre la carrière de Corne O.F.M. , les diocèses les plus
orientaux comme Sarai", Khambaliq mais aussi Monts Caspi étaient

46 G. Fedalto, La Chiesa, II, op. cit., p. 230-231.


47 Frère Corne O.F.M. poursuivit la plus grande partie de sa carrière dans la
métropole de Sarai, sur la côte de la mer Caspienne, (1362-1369), transféré sur le
siège de Khambaliq (1369/70), puis de nouveau à Sarai (1370-), il était en même
temps administrateur de Tana.
48 Ce couvent était affilié à la congrégation Sainte-Justine de Padoue, R. Ja-
nin, Les sanctuaires latins de Péra-Constantinople, Géographie ecclésiastique de
l'empire byzantin, III, Paris, 1953, p. 582-601.
130 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

presqu'exclusivement attribués aux Franciscains. Ne seront donc


étudiés ici que les sièges où la présence dominicaine est la plus
massive.
Certains diocèses, créés pour les Prêcheurs, ont eu une durée de
vie très brève et ne furent administrés que par des missionnaires nés
en Occident. Les cas les plus probants sont les sièges de Samar-
kande, de Vosporo et de Cherson, institués dans le premier tiers du
XIVe siècle. D'autres n'ont eu que quelques titulaires comme certains
sièges de Grande Arménie : Maraghah, Manasguerd, ou Maku
(Saint-Thaddée), ce qui rend les données, lorsqu'elles existent,
moins probantes. Cependant il convient de remarquer, dans les deux
derniers, la présence massive d'Arméniens convertis. C'est le cas des
deux seuls titulaires de Manasguerd, Nersès Balientz O.P. (1338-
1355-), déjà évoqué, et Dominique, de l'ordre des Frères Uniteurs
(1363-). A Maku, les deux premiers archevêques furent des
Arméniens convertis. Si on ne connaît du troisième que le nom, le
quatrième, Baptiste d'Isola O.P. (1400-), était originaire de la zone
d'influence génoise49. Le dernier archevêque de Saint-Thaddée, Job de
Maku O.P. (1424-), était né dans la région même qu'il administrait.
Le cas de Maraghah est un peu particulier dans la mesure où il
semble que seul le premier titulaire, Barthélémy de Podio O.P.
(1328-1333), ait résidé. C'est le fondateur bien connu de la mission
d'Arménie50. Le siège de Cherson en Crimée, qui ne paraît avoir eu
qu'un seul titulaire, Richard l'Anglais, d'après les archives
pontificales, dut cependant continuer à exister car un manuscrit arménien
mentionne un archevêque, Jean, du couvent Saint-Nicolas de Caffa
(1362-1380). Ce dernier était donc un Frère Uniteur51. Malgré la
brièveté de ces listes, il est donc possible d'y retrouver les caractères
définis précédemment pour les sièges où les Dominicains sont
nombreux : des Occidentaux d'abord, puis des frères indigènes.
Les circonscriptions ecclésiastiques, dont les listes de titulaires
sont plus longues, montrent avec plus d'évidence encore ces
caractères. Ainsi l'évêché de Tiflis, en Géorgie, fut-il le domaine réservé
des Prêcheurs jusqu'au milieu du XVe siècle. Pendant toute la
période des XIVe et XVe siècles, les titulaires, dont la plupart semblent
n'avoir pas résidé52, furent des missionnaires occidentaux. Mais il

49 Deux familles, originaires d'Isola, s'étaient installées à Caffa à la fin du


XIIIe siècle, M. Balard, La Romanie génoise, I, op. cit., p. 240.
50 Barthélémy était certainement originaire d'Italie, R.J. Loenertz, La
Société, I, op. cit., p. 162.
51 M.A. van den Oudenrijn, Linguae Haicanae, op. cit., n° 41.
52 Les successeurs de Jean de Florence ne résidèrent certainement pas,
malgré les injonctions pontificales, à l'adresse de Léonard de Villaco O.P., par
exemple : CICO XIII, I, n° 19b. La plupart d'entre eux continuèrent à résider en
Allemagne, C. Eubel, Hierarchia Catholica, I, Munich, 1913, 476.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 131

convient de relever quelques exceptions notoires. Le premier évêque


de Tiflis fut Jean de Florence O.P., nommé en 1330. Il contribua à la
naissance de la congrégation des Frères Uniteurs, frères arméniens
catholiques, affiliés à l'ordre des Dominicains53. Deux autres évêques
de Tiflis, Jean de Saint-Michel OFU (1425-) et Alexandre, Italien,
O.P. (1450 a), sont sans doute des frères nés en Orient. Jean de
Saint-Michel, Uniteur, était vraisemblablement originaire d'un
quartier qui portait le nom de son église paroissiale, comme c'était très
fréquent dans le domaine génois. A Caffa comme à Péra, se trouvait
une église dédicacée à Saint Michel : Frère Jean appartenant à
l'ordre des Uniteurs, il est très probable qu'il fut de Caffa. Alexandre
est peu connu54. La mention «Italus» peut faire penser à un fils de
colon italien de Romanie. Il semble en effet que les Prêcheurs nés en
Orient de nationalité italienne ait revendiqué cette qualité, ainsi
Jean de Castamon, archevêque de Sultanieh, lorsqu'il se présenta à
la cour de France, ou Jacques, successeur du précédent à la tête de
la métropole de Khambaliq, dans les bulles pontificales.
Le caractère de domaine privilégié des Dominicains est encore
plus accentué pour certains diocèses de Grande Arménie tels Tabriz
ou Naxivan.
Pendant la première moitié du XIVe siècle, les prélats, qui se
succédèrent à Tabriz, furent des Prêcheurs italiens. Si on n'a peu de
renseignements sur Guillaume de Cigiis (1329-1335-), le second
évêque, son prédécesseur, Barthélémy Abagliati, issu d'une noble
famille de Sienne, est mieux connu. Le successeur de Guillaume fut
François de Cinquinis, de Pise, frère de la province de Rome55. A
partir de 1390, les évêques semblent n'être que des titulaires non-
résidents. La personnalité importante de cette fin de liste est Jean de
Rouen O.P., venu en Arménie en 1375, il y resta et fut ensuite
transféré sur le siège de Caffa en 1382.
La succession des évêques sur le siège de Naxivan a fait l'objet
de nombreuses études56. Il convient cependant d'apporter quelques
précisions sur l'origine de ses titulaires-résidents.
Des confusions sont venues du fait de la succession de trois
frères Prêcheurs prénommés Jean. Jean de Tabriz fut nommé sur le
siège de Naxivan, alors qu'il était venu déplorer sa vacance auprès
du pape, en 1374. Fils du couvent de Tabriz, c'était probablement un
Arménien converti. Il fut transféré sur le siège de Caffa en 1377. Le
prélat suivant, Jean de Gaillefontaine, était Normand, peut-être

54 V.M.
53 Voir Index
Fontana,
des Sacrum
Prêcheurs.
Theatrum Dominicanum, Rome, 1666, p. 305.
55 V.M. Fontana, Sacrum Theatrum Dominicanum, op. cit., p. 304.
56 M.A. van den Oudenrijn, Bishops and Archbishops of Naxivan, dans AFP 6,
1936, p. 161-216, en particulier.
132 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

avait-il accompagné Jean de Rouen en Arménie57. Le successeur de


Jean de Gaillefontaine fut Jean de Castamon. Cette personnalité très
importante pour l'histoire des missions dominicaines en Orient n'a
jamais donné d'informations précises sur son origine. Dans les écrits
qu'il a inspiré, il n'a jamais revendiqué que la qualité d'Italien et
d'archevêque de Sultanieh, ce qu'il devint en 1398. Seule une
supplique livre le lieu précis dont il était originaire, Castamonu58 :
«...Cum vacante ecclesia Soltanien. per obitum Johannis de
Castamon...». Ce témoignage est d'autant plus probant qu'il dépend des
frères d'Arménie, auteurs de la supplique. Celle-ci avait pour objet
l'élection du successeur de Jean sur le siège de Sultanieh. Ainsi,
comme beaucoup de ses confrères missionnaires en Orient, Jean de
Sultanieh était-il né dans la région où il exerçait son apostolat. Né de
parents italiens, sans doute se présenta t-il sous cette nationalité, en
1403, devant la cour de France, étonnée de voir ce prélat de l'Eglise
romaine porter la barbe grecque59. Après sa promotion sur la
métropole de Sultanieh, le siège de Naxivan resta vacant pendant une
dizaine d'années. Le Grand Schisme aggravait la grande difficulté qu'il
y avait à pourvoir les diocèses latins d'Orient. Six évêques titulaires
furent nommés, pendant cette période, mais ne prirent sans doute
jamais le chemin de l'Arménie. Le premier, François de Tabriz, fut
sans doute proposé par Jean de Sultanieh, qui avait pensé que ce
Prêcheur prendrait réellement possession de son siège, étant né en
Grande Arménie. Mais, on ne sait pour quelle raison, il n'envoya pas

57 Jean de Gaillefontaine était un Dominicain normand, originaire de «Seine


inférieure», RJ. Loenertz, Evêques dominicains des deux Arménies, dans AFP 10,
1940, p. 238-281.
58 CICO XIV, 2, n° 259a, 12 décembre 1423 : Castamonu, ou Castra Comne-
non, était une ancienne place-forte byzantine, devenue la capitale d'une
principauté turque, en Paphlagonie, le Jandar, fondée au XIIIe siècle, The Cambridge
Medieval History, IV, The Byzantine Empire, Part I, Cambridge, 1966, p. 756,
p. 769; A. Bryer-D. Winfield, The Byzantine Monuments and Topography of the
Pontos, Dumbarton Oaks, Washington D.C., 1985, nombreuses mentions dans
l'index. Le problème est qu'on ne connaît pas de communauté italienne à
Castamonu. S.P. Karpov, qui a étudié le commerce du blé sur la côte méridionale de la
Mer Noire (The Grain Trade in the Southern Black Sea Region : The Thirteenth to
the Fifteenth Century, dans Mediterranean Historical Review, t. 8, n° 1, 1993, p. 55-
71) émet l'hypothèse que ce Prêcheur était originaire de Sinope, émirat de
Castamonu.
59 Le chroniqueur de la cour fit de frère Jean un portrait pittoresque : «Anno
sequenti 1403 in mense maii venit Parisius a Temurlano missus quidam de ordine
Fratrum Predicatorum, portans litteras credentie patentes scriptas litteris aureis et
sigillatas parvo sigillo eiusdem Temurlani. Hic frater in modum Greci, licet Ytalicus
natione esset ipso testante, hahebat barbam magnam et albam seque dicebat archi-
episcopum esse Soltanie civitatis, que, ut ipse dicebat, est in regione Persidis».,
Chronographia Regni Francorum, éd. H. Moranvillé, t. 3, p. 205, Paris, 1897.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 133

les lettres apostoliques qui lui auraient permis d'entrer en fonction60.


Si l'on s'en tient aux titulaires-résidents61, les évêques de Naxivan
pendant la première moitié du XVe siècle, Mxitaric, Martin de
Chiari, Pierre de Qrna et Jean, furent tous des Arméniens appartenant à
la congrégation des Uniteurs. Mxitaric n'est pas connu par ailleurs.
Il existe un Frère Uniteur contemporain de cet évêque, qui composa
un traité de théologie, mais il semble impossible à identifier avec l'é-
vêque de Naxivan car les colophons, qui le citent, mentionneraient
son titre d'évêque et ce n'est pas le cas. Martin et Pierre étaient fils
de Qrna, le berceau de la congrégation. Le titulaire du siège en 1431,
promu à la métropole de Sultanieh, n'a pas donné de précision sur
son couvent d'origine, mais il est très probable qu'il fut comme ses
prédécesseurs et ses successeurs un Prêcheur arménien. Il n'est
connu que par des suppliques adressées à Martin V, juste avant la
mort de ce dernier, et auxquelles répondit son successeur,
Eugène IV62.
A la tête de la métropole de Sultanieh, les mêmes remarques
peuvent être faites quant à l'origine des prélats et l'évolution de
celle-ci. Pendant les deux premiers tiers du XIVe siècle, les
archevêques de Sultanieh furent des missionnaires occidentaux. Parmi les
personnalités bien connues se trouvent trois italiens, Franco de Pé-
rouse O.P., Jean de Cori O.P., Jean Lunbello de Plaisance et un
Aquitain, Guillaume Adam O.P.. C'est avec la nomination de Thomas de
Tabriz (1368-1374) que commence la série des archevêques
indigènes. Presque tous furent des Frères Uniteurs, Jean de Castamon,
transféré du siège de Naxivan, en 1398, étant l'exception, puisqu'il
était Prêcheur, né d'une famille italienne, installée en Orient,
comme cela est dit plus haut.
Il faut, pour terminer, dire quelques mots de la métropole
extrême-orientale de Khambaliq. Son évolution est en effet très
signifiante de l'histoire des missions catholiques en cette fin du Moyen

60 François de Tabriz est peut être identifiable avec le frère François O.P., qui
intervint dans les négociations entre Tamerlan et les puissances occidentales à ce
moment et dont il sera question plus loin. On est en effet en droit de penser qu'il
fut proposé par Jean de Castamon, qui le connaissait, pour lui succéder sur le
siège de Naxivan.
61 Dans ces listes épiscopales, seuls les prélats qui résidèrent dans leur
diocèse peuvent intéresser cette étude, or il est d'autant plus difficile de les discerner
qu'ils sont les moins connus dans les documents pontificaux. C'est ainsi que
J. Richard, dans La Papauté et les missions, op. cit., p. 224, a pu écrire : «II est
difficile de tirer parti des provisions d'évêques ou d'archevêques décidées par le
siège apostolique : en effet, le jeu des réserves pontificales donnait à la papauté le
droit de pourvoir aux sièges vacants par transfert, ou par décès en curie romaine,
ou pour d'autres raisons».
62CICO XIV, 2, n° 527, CICO XV, n° 1; voir la liste des Dominicains en
Orient.
134 POLmQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Age. Dans son partage de l'Orient entre Franciscains et Dominicains,


cette métropole avait été attribuée aux premiers. C'est ainsi que les
archevêque de Khambaliq furent des Franciscains. Mais à partir du
début du XVe siècle, ce sont des Prêcheurs : Jean de Castamon,
archevêque de Sultanieh, devint administrateur de cette métropole, en
1410 et Jacques de Caffa lui succéda en 1427. Ce dernier était un
Italien de Caffa, comme le dit expressément la bulle de sa nomination63.
Malgré son vaste projet d'évangélisation de tout l'Orient, Jean de
Sultanieh ne parvint jamais à dépasser les limites de la Grande Arménie.
Son successeur, quant à lui, réalisa que la situation militaire
interdisait toute entreprise de ce genre et résidait à Caffa64. A ce moment,
Caffa tend à devenir, sans doute sous l'influence des Prêcheurs et des
Frères Uniteurs, qui dirigent les structures ecclésiastiques de
l'ensemble Arménie-Crimée, le pôle du catholicisme oriental65.
Si on ne tient compte que des prélats qui résidèrent
effectivement dans leur diocèse, et ceux-ci sont les seuls importants pour le
catholicisme en Orient, certaines conclusions s'imposent. Au début
du XIVe siècle, les prélats catholiques sont les «pionniers», arrivés
d'Occident, fondateurs de missions et de diocèses latins en Orient; à
partir du milieu du XIVe siècle, sauf exceptions notables, comme
Jean de Rouen, ou Jacques Campora et Jérôme Panissari, dans un
contexte différent, ce sont essentiellement des prélats indigènes.
Cette évolution de l'origine des chefs de l'Eglise latine des régions les
plus orientales, Arménie et Crimée, en particulier, eut des
conséquences importantes pour l'avenir du catholicisme. Catholiques, nés
en Orient, ils se sont impliqués dans toutes les actions pouvant être
mises en œuvre pour sauver la présence chrétienne face à une
menace turque de plus en plus oppressante. Ils ont envisagé ces actions,
tant sur le plan diplomatique que religieux, avec une approche
différente de celle de leurs prédécesseurs, connaissant mieux le
contexte dans lequel ils agissaient.

63 CICO XTV, 2, n° 367.


64 CICO XIV, 2, n° 383. Alors que le recteur de Saint-Laurent de Caffa, Marc
Harmenus (Arménien), est décédé extra curiatn, Jacques en demande le bénéfice :
«...qui ex fructibus suae ecclesiae Gambalien., quae inter huiusmodi infidèles
Tartaros constituta existât...» L'orthographe des noms de lieu étant très variable
dans les actes pontificaux, des confusions ont été commises. Jacques de Caffa en
est un bon exemple. Dans son ouvrage sur les évêques dominicains ligures,
R.A. Vigna faisait de ce frère un évêque de Cimbalo, / Vescovi, op. cit., p. 115.
Inversement,
n° 374a, à ladans
notel'édition
4, «Cymbalien.
de la supplique
ecclesia»deestLouis
indentifiée
de Saint-Pierre,
à Khambaliq.
CICO XIV, 2,
65 La situation géographique de Caffa explique ce rôle central que Franco de
Pérouse avait sans doute pressenti dès les années 20 du XIVe siècle. C'est là qu'il
décida de s'installer lorsqu'il démissionna de son siège de Sultanieh pour ne se
consacrer qu'à la conversion des chrétiens d'Orient, R.A. Vigna, / Vescovi,
op. cit., p. 50.
recrutement et origine des missionnaires 135

2 - Les inquisiteurs en Orient66

Dans les sources actuellement éditées, archives pontificales et


dominicaines pour la majeure partie, il n'a été possible de
répertorier, pour une période de deux siècles (XIVe-XVe siècles), que seize
inquisiteurs sur le vaste domaine géographique qui s'étend de la Crète
à l'Euphrate, d'Est en Ouest, et de Chypre à la Pologne, du Sud au
Nord. La faiblesse de ce nombre corrobore l'impression persistante
d'une politique pontificale souple à l'égard des Chrétiens d'Orient, et
cela d'autant plus qu'on les a vu, dans la partie précédente,
n'intervenir que contre les déviances de catholiques installés dans ces régions.
Il convient cependant de remarquer trois inquisiteurs pour la Crète
seule et un pour l'Achaïe, les autres ayant un ressort correspondant à
la Société des Frères Peregrinante, en totalité ou partiellement. La
moitié de ces inquisiteurs étaient en même temps vicaires généraux
de la congrégation missionnaire d'Orient. Les buts principaux des
missionnaires dominicains étaient, en effet, d'assurer le ministère
des communautés catholiques et de ramener les communautés
orientales dans le sein de l'Eglise romaine. Les moyens d'y parvenir
étaient donc essentiellement la prédication et les discussions
dogmatiques avec les autorités religieuses, byzantines surtout.
On remarque une certaine concordance, pour ce qui est de
l'origine des Prêcheurs, entre cette liste des inquisiteurs en Orient et ce
que l'on a pu dire des évêques et archevêques. Les Prêcheurs
indigènes y sont cependant moins présents. La plupart d'entre eux portent
des noms italiens soit qu'ils étaient originaires de la Péninsule, soit
qu'ils étaient issus de familles installées en Orient, mais cette
distinction est souvent délicate à faire car en Romanie génoise, ils portent
des patronymes ligures. Deux autres inquisiteurs, l'Arménien André
et Théodore Chrysobergès, sont clairement d'origine indigène.
Pour ce qui est des régions situées hors de la Romanie génoise,
la situation est un peu différente. Les inquisiteurs en Crète, peu
nombreux, comme Andrea Doto au XIVe siècle et Antoine, dans les
années 1420, n'étaient pas du pays. L'exception est Simon de Candie,
nommé en 1451, pour mettre en place le décret d'Union.

3 - Les vicaires de la Société des Frères Pérégrinants67

L'examen de la liste des vicaires généraux de la Société des


Frères Pérégrinants donne des conclusions assez voisines. La grande
majorité d'entre eux sont des Italiens, les indigènes sont assez peu

66 Voir la liste p. 448-449.


67 Voir la liste p. 447-448.
136 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

nombreux et, avec le XVe siècle, leur nombre n'augmente guère.


Cependant, ils sont présents. Il faut noter des personnalités déjà
connues comme les Frères Chrysobergès ou Léonard de Chios, ou
moins connues, comme Jean de Rossi. Le contrôle des postes-clé
était réservé surtout à des Occidentaux, comme nous l'avons vu en
étudiant la liste des inquisiteurs, mais le maître général eut aussi
recours à des missionnaires indigènes.
Si les Italiens sont donc largement majoritaire, il faut
remarquer, là encore, l'importance des Ligures en général et souvent de
Génois, comme Jacques de Fossano, Luchino de Mari, Andreolo Si-
bono, Baldassare Vegio ou Jean Baptiste Fattinanti. L'exception la
plus notoire est française, frère Elie Petit. Il conduisit le contingent
des Prêcheurs chargé de renforcer les missions d'Orient en 1375. Ce
phénomène isolé s'explique par la nationalité du maître général de
l'Ordre à ce moment, Elie Raymond de Toulouse. Son influence,
plus importante en France, parvint à vaincre les résistances et,
répondant à la demande de frères arméniens venus à la curie, il réussit
à faire partir un groupe de Prêcheurs français. La province de
Toulouse avait donné plusieurs missionnaires notoires au début du XIVe
siècle comme Guillaume Adam, Guillaume Bernard ou Jourdain Ca-
thala68. Et les Frères Mineurs, originaires de cette région étaient
encore plus nombreux en Orient pendant cette même période. Le
départ d'Elie Petit et de son contingent est le second et dernier grand
moment pour les missions françaises lointaines au Moyen Age. On
notera la présence de plusieurs normands comme Jean de Gaillefon-
taine et de Jean de Rouen, qui furent respectivement nommés sur
les sièges de Naxivan, pour le premier, et de Tabriz, puis de Caffa
pour le second69.
Il convient de noter que la responsabilité du vicaire général fut,
à certains moments, partagée, soit qu'un substitut lui fût adjoint,
soit que le ressort de la Société fût divisé en plusieurs régions. Ainsi,
à deux reprises, des substituts apparaissent dans la liste des vicaires
généraux, alors que ceux-ci résident plus particulièrement à Chios.
En effet, à la fin de sa vie, frère Elie Petit résidait dans cette partie,
quelque peu excentrée, du domaine dominicain d'Orient. Sa
présence y est en effet attestée par une lettre de Manuel Calécas,
constantinopolitain converti au catholicisme. Celui-ci, fuyant la
persécution, et ne pouvant bénéficier que d'une protection limitée de
son ami l'empereur Manuel II Paléologue, pensait entrer dans
l'ordre des Prêcheurs, et demanda au vicaire général de l'accueillir.

68 Voir liste des Dominicains en Orient.


69 Voir liste des Frères Uniteurs dans la hiérarchie latine d'Arménie, p. 449-
450.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 137

En 1389/90, sans doute en raison de l'âge de frère Elie, le ressort de


la congrégation fut partagé entre plusieurs vicaires, le maître
général lui laissant l'administration des couvents de la mer Egée
orientale. En 1389, fut nommé un substitut, Dominique de Caffa, un
Prêcheur de Crimée. En même temps, les couvents de la zone russe
furent confiés à Jean Strenue, tandis que le reste de la congrégation
était gouverné par André, un Arménien70. Ces deux frères étaient très
probablement des Prêcheurs indigènes. La nationalité du second est
explicite dans les actes du maître général Raymond de Capoue, qui
précise qu'il appartenait au couvent de Caffa71. Pour le premier la
question est plus délicate. Il est nommé, dans les sources, Jean
Janitor, alias Strenue. De ces dénominations, sans doute traductions
latines d'un patronyme qu'on ignore, il est impossible de déterminer
sa nationalité. Mais les quelques éléments de sa biographie, que l'on
peut reconstituer, peuvent la préciser quelque peu. Etant à la curie
en 1389/90, c'est à ce moment qu'il obtint l'autorisation de résider
dans la province de Pologne et qu'il fut nommé vicaire de Ruthénie.
Ensuite, sa résidence habituelle fut le couvent de Seret, où il avait
déposé une relique, ramenée d'un pèlerinage en Terre Sainte. Il est
probable que Jean Strenue soit l'un des frères que Jean Dominici de
Florence O.P. ait eu l'intention d'emmener avec lui visiter le
tombeau du Christ. Si le futur cardinal Jean de Raguse ne semble pas
avoir réalisé son projet, Jean Strenue, quant à lui, fit le pèlerinage.
La relique qu'il en ramena fut à l'origine de miracles et de
conversions de chrétiens de rite grec, au couvent Saint- Jean-Baptiste de
Seret72. Il semble donc, d'après ces éléments biographiques, que Jean
Strenue fût d'origine ruthène ou moldave73.
La charge de vicaire général fut de nouveau partagée en 1448,
alors que Thomas de Gubbio était à Chios74. Sa présence y est
attestée par plusieurs actes notariés. Depuis le séjour de frère Elie, l'in-

70 MOPH XIX, p. 221-222.


71 CICO XIII, 1, n° 79.
72 Les premiers miracles se produisirent juste après l'installation de la
relique au couvent des Prêcheurs de Seret, et Jean Strenue est signataire de la bulle
d'indulgences accordées par l'évêque de ce diocèse en mai 1392. Le relevé de ces
miracles fut fait par l'inquisiteur de Ruthénie et de Moldavie, Nicolas Goldberg.
Un acte notarié de 1402 consigne les différents miracles qui eurent lieu depuis
1391, texte édité par A. Czolowski, dans Kwartalnik historyczny, 5, 1891, p. 594-
598; N. Iorga, Studii si documenti eu privire la historia Romanilor, t. 1, Bucarest,
1901, p. XLVII.
73 Le professeur R. Härtel, dans sa communication concernant les confins
des pays germaniques, au colloque de l'Ecole française de Rome, «L'anthropony-
mie, document de l'histoire sociale des mondes médiévaux méditerranéens (6, 7 et 8
octobre 1994)», a indiqué que les Slaves latinisaient leurs patronymes.
74 C'était vraisemblablement un colon italien car une famille de Gubbio était
installée à Caffa en 1289/90, M. Balard, La Romanie, I, op. cit., p. 243.
138 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

fluence dominicaine à Chios est en plein essor, ainsi qu'on a pu le


remarquer avec la multiplication des maisons des Prêcheurs dans
l'ensemble du domaine génois de la mer Egée orientale. Les marchands
fréquentaient et favorisaient les sanctuaires dominicains ainsi que le
montrent les actes notariés de 1449. L'église du couvent Sainte-
Marie était le sanctuaire de la fraternité des «disciplinati» de
Chios75, dont la plupart des membres, des Giustiniani, appartenaient
à la Mahone. Dans l'acte notarié du 7 avril 1449, les marchands
engagent des travaux importants d'agrandissement et
d'embellissement de l'église76. Cet événement se situe dans une nouvelle période
de conflit entre les Dominicains et l'évêque de Chios, qui tolère mal
la concurrence des Frères. En juillet de la même année, l'évêque
interdit au clergé séculier d'assister aux funérailles d'un membre de la
fraternité, ce qui provoqua une protestation immédiate de celle-ci.
Quelques mois plus tard, le conflit rebondit à cause de la
fréquentation de l'église Sainte-Marie par la confrérie77. La présence, à Chios,
de Thomas de Gubbio, vicaire général des Prêcheurs et inquisiteur
en Orient, témoigne à la fois de la gravité du conflit entre les
Mendiants et les séculiers et de l'importance des couvents de la région de
Chios dans le cadre de la Société des Peregrinante. Thomas de
Gubbio est attesté dans les sources comme vicaire général lorsqu'il reçut
l'administration de l'église Saint-Michel, qui était considérée comme
la cathédrale des Génois de Péra. Alors qu'il était à Chios, la direc-

75 La présence de fraternité de flagellants est également attestée par les actes


notariés de Péra, ils fréquentaient deux chapelles, Sainte-Croix et Sainte-Anne,
actes de De Calvo de Lorenzo, A. Roccatagliata, Notai genovesi in Oltremare, Atti
rogati a Pera (1408-1490), in Collana storica di fonti e studi, 34/1, Gênes, 1982,
n° 37-38. Sainte- Anne est une chapelle du couvent des Franciscains, R. Janin, Les
sanctuaires latins de Péra-Constantinople, op. cit., p. 582-601, mais la chapelle
Sainte-Croix est inconnue dans cette publication. Ce mouvement de pénitents
laïcs apparut à Pérouse, pour la première fois, au printemps 1260. Il donna
naissance à des confréries de disciplinati, battuti ou de flagellanti et se réactiva avec
les épidémies de peste du XIVe siècle. Il se renouvela profondément au cours des
XVe et XVIe siècles, G. Alberigo, Flagellants, DHGE, t. 17, Paris, 1971, col. 327-
337. L'ouvrage de référence : // movimento dei disciplinati nel VII centenario dal
suo inizio, Pérouse, 1962, index avec bibliographie, Pérouse, 1965.
76 Ph. P. Argenti, The Occupation of Chios by the Genoese, 1346-1566, t. 3,
Cambridge, 1958, n° 59, p. 554-555, ex Atti del Notaio Tommaso di Recco, 1449-
1454. Thomas de Gubbio cumulant alors les fonctions de vicaire général des Pé-
régrinants, d'inquisiteur et de vicaire du diocèse de Constantinople : «... Reveren-
dus dominus frater Thomas de Eugubio sacre théologie professor ac in partïbus
orientalis et septentrionalis Vicarius Generalis et heretice pravitatis Inquisitor Apos-
tolicus ac edam Diocesis Constantinopolitanae Vicarius...»
77 Ph. P. Argenti, The Occupation of Chios by the Genoese, 1346-1566, op. cit.,
p. 558, note 2, Notaio Tommaso de Recco, filza 1, n° 122, 27 juillet 1449, n° 123, 11
octobre 1449.
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 139

tion de l'église et de la congrégation était assurée par Baldassare Ve-


gio, qui était Génois. Ces actes notariés permettent de corriger
l'opinion du P. Loenertz, qui pensait que Thomas de Gubbio ne s'était
jamais rendu en Orient78. Comme nous l'avons déjà remarqué à
propos du couvent de Licostomo, ce type de documents peut
constituer un complément intéressant aux archives pontificales et
dominicaines.
L'étude de la liste des Dominicains, inquisiteurs en Orient
impose trois remarques, qui renforcent certaines des précédentes
constatations : le fréquent cumul des fonctions de vicaire général et
d'inquisiteur, une division momentanée du ressort de la Société des
Peregrinante entre plusieurs inquisiteurs et une proportion assez
importante de frères originaires des régions où ils exerçaient leur
fonction.
Tout d'abord, il convient de remarquer qu'à l'époque de
l'expansion de la Société des Frères Peregrinante, dans les années 1380, le
maître général de l'ordre et le pape sentirent la nécessité de répartir
des charges devenues trop lourdes. A la mort de Jean Gallo, Urbain
VI demanda au maître général de choisir trois personnes pour
remplir l'office d'inquisition en Orient. Le pape avait organisé trois
ensembles régionaux, Arménie-Géorgie, Grèce-Tartarie, Russie-Vala-
chie (majeure et mineure). C'est à ce moment que Nicolas Goldberg,
le témoin des miracles de Seret, évoqués plus haut, reçut le premier
ensemble. Son patronyme conduit à penser qu'il était d'origine
allemande comme la majorité des catholiques des cités marchandes de
la voie moldave. André de Caffa, frère arménien, cumulait les
fonctions de vicaire général et d'inquisiteur sur la plus grande partie du
ressort de la Société. En 1393, Gérard de Podio prit en charge le
groupe de régions le plus oriental (Arménie-Géorgie-Caucase) et Luc
Bozzolo de Péra l'ensemble Romanie-Tartarie79. Il semble cependant
qu'au XVe siècle l'inquisiteur reprît en charge l'ensemble de la
Société : Léonard de Chios est nommé inquisiteur sur tout le ressort de la
Société, à l'âge de 36 ans, en 143 180, comme cela avait été le cas de
Philippe Incontri de Péra en 135181. A la fin du XVe siècle, le cumul
des fonctions semble devenir la règle, ainsi les trois derniers vicaires
Christophe de Viterbe, Jean-Baptiste Fattinanti et Vincent Robini de
Chypre.

79 L'origine
78 La Sociétéde
II, Gérard
op. cit. de
p. Podio
130. est incertaine, mais peut-être Génois. Luc
Bozzolo, fils du couvent de Péra, était vraisemblablement un fils de colon ligure.
Bozzolo était un village situé au Nord de la Spezia.
80 R.A. Vigna, / Vescovi, op. cit., BOP III, p. 9.
81 CICO X, n° 127.
140 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

On notera également que les frères Chrysobergès furent


successivement vicaires de la Société et inquisiteurs, Théodore en Achaïe
et André à Chypre et Rhodes. Ce dernier était archevêque et le pape
lui conféra les pouvoirs d'un inquisiteur après le concile de
Florence, mais il n'en porta pas le titre.
Les listes des Prêcheurs ayant exercé une fonction de
commandement en Orient permettent donc un certain nombre de
conclusions concordantes. Elles montrent, très souvent, l'adéquation entre
l'origine des missionnaires et celle des colons d'une part et la forte
présence des Génois et des Ligures en Romanie génoise d'autre part.
Elles témoignent en particulier de la coupure majeure, que l'on peut
situer autour de 1360, dans l'histoire de la présence occidentale en
Orient. A ce moment, en effet, le recrutement des missionnaires se
fait de plus en plus localement. Dans une grande première moitié du
XIVe siècle, les missionnaires sont majoritairement italiens, mais
d'autres nationalités sont présentes aussi. Ils sont aquitains ou
provençaux surtout, mais, à côté de ces régions, apparaissent quelques
Anglais et Aragonais.
En même temps que se développe la Société des Peregrinante, à
partir des années 1360, les missionnaires sont majoritairement nés
en Orient, soit descendant de colons italiens, soit d'origine orientale.
Beaucoup, parmi ce dernier groupe, sont des Arméniens convertis
au catholicisme et entrés dans l'ordre des Prêcheurs, d'autres
forment un noyau très actif d'origine grecque.
Cet apport indigène est dû à une efficacité indéniable de la
méthode dominicaine. La mission de Perse fut à l'origine de la
création d'une congrégation de frères arméniens affiliée à la Société des
Frères Pérégrinants. S'ils réussirent à maintenir une certaine
autonomie vis à vis de l'ordre des Prêcheurs, ils reconnurent toujours
cette filiation. Jean de Qrna, le fondateur de cette congrégation,
l'exprime clairement dans l'encyclique qui sert de prologue à leurs
constitutions. Leur désignation dans les bulles pontificales atteste
les liens étroits entre les Frères arméniens et les Dominicains. Leur
nom officiel était ordre des Frères Uniteurs de Saint Grégoire îllumi-
nateur ou aussi ordre de Saint Augustin dit des Uniteurs*2 mais, dans
les textes officiels du XVe siècle, ils sont appelés Frères Uniteurs
simplement ou plus souvent «Fratres Predicatores Uniti nuncupa-
ti»83. Il arrive même que seule la mention Prêcheur figure84. Si
l'histoire de cette naissance est bien connue grâce à l'historiographie

82 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 141-150.


835OPIL p. 625.
S4BOP II, p. 643, Job de Maku, Arménien, ne pouvait être que frère Uniteur,
malgré l'expression utilisée pour le désigner : «...te Ordinis Fratrum Predicato-
rum, Ordinum ipsum expresse professarti...».
RECRUTEMENT ET ORIGINE DES MISSIONNAIRES 141

dominicaine85, l'influence des Frères Uniteurs dans les missions


orientales, leur place dans la hiérarchie latine et leur influence
auprès des populations des colonies génoises n'ont pas été
suffisamment soulignées. Elles permettent d'expliquer le dynamisme des
communautés catholiques arméniennes à une période de
régression de la présence occidentale en Orient. Au début du XVe siècle,
ces communautés constituent un noyau solide de résistance face à
la poussée de l'Islam.
Les Dominicains grecs furent beaucoup moins nombreux que
les Arméniens mais leur action fut très importante également. Elle
se place sur un autre plan, moins pastoral, plus politique et
théologique. Ils sont à l'origine du processus qui amena, par étapes, à
l'Union de Florence.
L'efficacité de la méthode dominicaine consiste aussi dans une
grande souplesse de ses structures. Celle-ci permit l'extension vers
l'Europe Centre-orientale, ancien domaine d'influence byzantine. Le
ressort dans lequel s'exerçait le grand pouvoir dont disposait le
vicaire général, inquisiteur en Orient très fréquemment, a pu être
partagé momentanément lorsque les circonstances l'exigeaient.

85 Le plus ancien auteur fut C. Galanus. Deux pères dominicains


renouvelèrent cette histoire, particulièrement dans les années 1930 : R.J. Loenertz et
M.A. van den Oudenrijn.
.
A

CHAPITRE II

LES DOMINICAINS DANS


LES RELATIONS ROME-BYZANCE

Les sources montrent les missionnaires dominicains se rendant


fréquemment en Occident. Pendant tout le XIVe siècle, le trajet
habituel les amène de leur mission à Rome en passant par
Constantinople. A partir du début du XVe siècle, leur chemin les porte vers
l'Europe centrale et leur mission passe par la cour du roi de Hongrie
et les couvents de Pologne. Mais, pendant toute cette période longue
d'un siècle et demi, leur voyage en Occident a toujours des buts
multiples qu'il faut envisager sur deux plans. Le premier est purement
ecclésiastique. En effet, dans la plupart des cas il s'agit, pour eux, de
traiter des affaires de leur mission d'origine : ils cherchent à
recruter de nouveaux missionnaires, à mettre en place ou à restructurer
la hiérarchie latine de la région où ils exercent leur apostolat. Mais
la préoccupation constante des Prêcheurs est le problème de l'union
des Eglises. Ce second plan de leur action revêt peu à peu un
caractère plus politique. Ils s'impliquent alors dans des missions
diplomatiques, mais les discussions avec les autorités byzantines les
amènent souvent à la polémique théologique, comme nous le
verrons ensuite.
Il convient donc de distinguer deux périodes autour de la
conversion de Jean V Paléologue (octobre 1369). Dans un premier
temps, le but des Prêcheurs venant à la curie est le renforcement des
missions et leur seule action politique est de militer pour la
croisade. Il suffit de rappeler les traités de Guillaume Adam et de
Raymond Etienne, de mentionner aussi la participation des
Dominicains de Florence au siège de Smyrne en 1345 l. C'est dans l'esprit des
missionnaires de cette première moitié du XIVe siècle, avec
l'implication de Pierre Thomas dans l'équipée de Pierre de Lusignan à
Alexandrie en 1365.
Dans le dernier tiers du XIVe siècle, l'esprit est beaucoup plus

1 A l'appel de Clément VI, sept frères de Sainte Marie Nouvelle partirent pour
la 337,
n° croisade,
344, 352,
S. Orlandi,
371, 376,// 389,
necrologio
443. di Santa Maria Novella, Florence, 1955,
144 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

aux discussions et aux négociations. Ceci peut s'expliquer par la


présence de deux groupes de pression très impliqués dans les projets
d'union, qui leur semblent la seule solution à la défense du
christianisme oriental : sauver l'Orient chrétien. Il s'agit tout d'abord du
parti pro-latin à la cour de Byzance dont l'influence est plus forte à
mesure que la menace turque se fait plus pressante. Le second
groupe est constitué des Prêcheurs des résidences missionnaires
d'Orient. De part leur origine, ils ont une excellente connaissance
des données du problème, langues, religions et situation
diplomatique et militaire; ils sont, qui plus est, confrontés aux guerres et aux
destructions.

1 - Les Pérégrinants et le renforcement


des missions d'orient

Les sources pontificales montrent que les missionnaires se sont


rendus très souvent en Occident afin d'obtenir des renforts auprès
du Saint-Siège comme du maître général des Prêcheurs.
André della Terza, le fondateur du couvent de Trébizonde,
remplaça Franco de Pérouse à la tête de la Société des Frères
Pérégrinants, après que celui-ci eut été nommé le premier à la tête de la
nouvelle métropole de Sultanieh, en 1318. Quatre ans plus tard, il se
trouvait à la curie pontificale afin d'obtenir de nouveaux privilèges
pour les missionnaires2. Sur le chemin du retour, il séjourna
quelques temps dans son couvent d'origine, à Orvieto, où son passage
laissa un souvenir durable en raison de son apparence toute
orientale3. Le but du nouveau vicaire général était donc de recruter de
nouveaux missionnaires pour renforcer la présence dominicaine en
Orient, mais en passant par Constantinople, il remit des lettres à
l'empereur Andronic II, de la part de Jean XXII4.
Une série de documents pontificaux, dont les dates s'étirent du
mois d'août 1329 au mois de mars 1330, met en lumière une nouvelle
démarche des Prêcheurs auprès de Jean XXII. Les lettres du pape
montrent en effet qu'un groupe de missionnaires est venu à la curie.

2 La chambre apostolique paya une aumône de 20 fl. peu avant son départ de
la curie. R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 36, note 5; L.A. Redigonda, Andrea
della Terza, in Dizionario biografico degli Italiani, 37, Rome, 1989, p. 513-514.
3 «Demum ad nostram patriam remeavit, barba prolixa nutritus ut Ermenus
vel Grecus, exortans fratres et eos ducens ut primicerius de provincia nostra ad
idem opus ministerìi omnipotens Dei quod ipse adsunserat » , extrait du nécrologe
d'Orvieto concernant André della Terza, dans R.J. Loenertz, Les missions
dominicaines en Orient au XIVe siècle et la Société des Frères Pérégrinants pour le Christ,
AFP 2, 1932, p. 62.
4 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 69.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 145

Thomas de Mancasole avait été envoyé par le khan du Djagataï,


Elgigadey, qui s'était converti et demandait au pape sa bénédiction
et un exposé de la foi catholique. Jourdain Cathala de Séverac l'avait
sans doute précédé à la curie. Il venait des Indes et écrivit les Mirabi-
lia à Avignon en 1329. Les années précédentes il avait dû rencontrer
un des responsables de la mission de Perse, peut-être Jean de Cori,
qui était à ce moment vicaire général de la Société et connaissait
donc bien ses besoins. C'est sans doute à la demande des
missionnaires que Jean XXII demanda au maître général l'envoi de
cinquante frères.
Les missionnaires purent en effet emmener avec eux des frères
des deux ordres comme le montrent leurs lettres de
recommandation. Il fallait des hommes, mais il était aussi nécessaire de renforcer
les structures ecclésiastiques de la mission de Perse. Les frères
avaient d'abord conseillé au pape de transférer le siège de Smyrne,
que la conquête turque avait rendu inaccessible, à Tiflis. Cette
décision pontificale était certes motivée par la conjoncture militaire
mais elle prouve l'essor de la mission de Perse5. Les Prêcheurs
demandèrent aussi que les sièges, créés en 1318 et qui étaient devenus
vacants, soient de nouveau pourvus. Plusieurs d'entre eux n'avaient
pas de pasteur depuis plusieurs années, et le plus important en
particulier, celui de Sultanieh, depuis le transfert de son deuxième
titulaire, Guillaume Adam, sur le siège d'Antibar, depuis 1324. Dans
trois autres diocèses, Dehikerkan, Savastopoli et Tabriz, l'évêque
était décédé - extra curiam - et la coïncidence des dates de
nomination montre que le décès n'était pas récent. Enfin deux nouvelles
églises furent érigées, celle de Samarkand pour Thomas de
Mancasole, et celle de Quilon, pour Jourdain de Séverac.
Les lettres de recommandation montrent quel itinéraire fut suivi
par les nouveaux évêques, accompagnés des nouvelles recrues.
Thomas de Mancasole et Jourdain de Séverac étaient chargés de porter
le pallium au nouvel archevêque de Sultanieh. Ils se rendirent donc
en Perse, et de là prirent des routes divergentes. Le premier était
chargé de lettres destinées aux peuples nomadisant dans les steppes
de la région de la Volga et de la mer Caspienne, et à leurs chefs6. En-

5 CICO VII, 2, n° 111 : «...quod locus Thefelicensis, in regni Georgianorum me-


dullio constitutus, insignior et populosior . . . quodque per devotam sotticitudinem
et operosam efficaciam quorundam ex Fratribus Ordinis Pmedicatorum, qui olim
se ad dictum locum ... contulerunt et per eruditionem salutiferam eiusdem fidei
multitudo habitantium locum prefatum ...ad sinceritatem praedictae fidei est
conversa ... praedictam sedem Smirnensem ad eundem locum Thefelicen-
sem ... transferìmus de fratrum praedictorum consilio...»
6 J. Richard, La Papauté et les missions, op. cit., p. 187-188.
146 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

suite, frère Thomas chercha à retrouver le protecteur de sa mission


à Samarkande, mais la situation politique avait changé et
compromettait son avenir. Jourdain de Séverac prit la route de l'Inde... Les
lettres pontificales indiquent qu'un troisième groupe de
missionnaires partit sous la conduite de Guillaume de Cigiis, nouvel évêque
de Tabriz. Il se rendit directement en Grande Arménie, car il était
recommandé à Zacharias, archevêque de Saint-Thaddée, et au prince
de Carpi, qui gouvernait la région. Il prit la voie maritime jusqu'à
Trébizonde, étant porteur d'une lettre adressée à l'empereur7. Un
dernier groupe accompagnait Bernard de Guardiola, nommé sur le
siège de Dehikerkan. Il prit la route terrestre, à travers l'Europe
centrale puisqu'il était recommandé à de nombreux princes, gouvernant
des communautés schismatiques, Serbie, Géorgie, de plusieurs
régions du Caucase et d'Arménie. Il passa lui aussi par Trébizonde.
Bernard de Guardiola semble avoir été chargé d'une mission auprès
de ces souverains car la lettre de recommandation s'accompagne
d'une incitation à l'union des chrétiens dans une même Eglise8.
Chacune de leur intervention auprès du Saint-Siège permettait aussi aux
missionnaires d'obtenir du pape de nouveaux privilèges, en 1329/30.
Outre un élargissement du ressort de la Société des Pérégrinants,
comme il a été vu dans la première partie, Jean XXII donna aux
nouveaux élus le droit d'ordonner les prêtres qu'il choisiraient9 et le
nouvel archevêque de Sultanieh eut toute latitude pour ordonner
des prélats ou de les transférer s'ils le désiraient10. Cette disposition,
à destination des nouveaux convertis plus particulièrement, était
adaptée à une situation de pénurie et permettait d'attirer les prêtres
des autres rites dans la hiérarchie catholique.
Les documents pontificaux attestent, pour l'année 1333, la
venue, à la curie, de nouveaux missionnaires. Les comptes de la
chambre apostolique révèlent leur présence du mois de juin à la fin
de l'année 1333. Mais la lettre de Jean XXII, datée du 22 mai 1333,

7 G. Mollat-G. de Lesquen, éd., BEFAR, Jean XXII (131 6-1 334), Lettres
communes, n° 46551, 47572, 47589.
8 CICO VII, 2, n° 115 : «Magnifico virì imperatori Trapezondarum ... ut tu et
populus tuae ditionis commissus tuae studio ad unitatem eiusdem catholicae et
universalis Ecclesiae revertimini ... ac dilectos filios Fratres Praedicatorum et Mi-
norum Ordinum ad partes ipsas venientes, per illas transitum faciendo, caritative
recipias ...et maxime venerabilem fratrem nostrum Bernardum de Guardiola epis-
copum Diagorganensem ...»
9 G. Mollat-G. de Lesquen, éd., BEFAR, Jean XXII (1316-1334), Lettres
communes, n° 48284, 48802.
10 CICO VII, 2, n° 119 : «in novitate tarnen huiusmodi reductionis eorum, cum
nondum essent tune in firma radice piantati, quasi modo genitis infantes lacté dul-
cedinis nutriendos, tollerantiae supportandos humeris et ad praemissa lenitate po-
tius quant necessitate trahendos merito iudicamus».
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 147

au chapitre de l'ordre des Prêcheurs, demandant des renforts pour


les missions d'Orient, permet de penser qu'ils arrivèrent dès le
printemps. Deux de ces missionnaires, François de Camerino et Richard
l'Anglais, venaient de Crimée. La relation qu'ils firent au pape des
résultats de leur prédication auprès des Alains conduisit Jean XXII à
prendre toutes sortes de dispositions pour permettre le
développement de la mission de Crimée. Nous retrouvons, là, le même
dispositif que précédemment : l'organisation de nouvelles structures
ecclésiastiques, des privilèges renouvelés et précisés pour les frères11.
C'est ainsi que la métropole de Vosporo fut érigée avec à sa tête
François de Camerino. Dépendaient de cette nouvelle province
ecclésiastique les diocèses de Cherson, Trébizonde, Savastopoli, Caffa
et Péra. Richard l'Anglais devint le premier titulaire du siège de
Cherson12. Mais les deux frères prêcheurs furent munis de
nombreuses lettres donnant une nouvelle dimension à leur entreprise.
Sans doute avaient-ils évoqué, à la curie, toutes sortes de problèmes
que soulevait leur apostolat, comme le second baptême des schisma-
tiques, le degré de consanguinité pour le mariage, car le pape les
avaient munis de formules canoniques pour le baptême et
l'ordination sous condition et des dispenses pour le mariage des nouveaux
convertis13. De plus, ils étaient chargés d'engager des négociations
avec les autorités temporelles et spirituelles grecques en vue de
l'union des Eglises14. C'est ce qu'ils firent en s'arrêtant à Constantinople
sur le chemin du retour, comme l'atteste le récit de Nicéphore Gré-
goras15. Comme le pape avait envoyé deux évêques pour discuter de
l'union entre les Eglises, le patriarche, Jean Calécas, dut organiser
une réunion mais la plupart de ses évêques étant incapables de
disputer avec les Latins, il demanda à Nicéphore Grégoras, qui
pourtant était un laïc, de les conseiller. Bien que ce dernier ne donne pas
de nom, la chronologie permet d'identifier ces deux évêques avec
François Camerino et Richard l'Anglais. Nicéphore Grégoras, ainsi
qu'il le rapporte lui-même, conseilla d'éviter toute discussion avec
les Latins sous prétexte qu'elles ne pourraient aboutir16. Mais Jean
Calécas fit venir Barlaam le Calabrais de Thessalonique afin qu'il
rencontre les deux prélats dominicains. La discussion porta sur la

11 CICO VII, 2, n° 137.


12 A. Theiner, Vet Mon. Poloniae et Lithuaniae I, op. cit. n° CDLVII-CDLVIII,
CDLXI-CDLXII.
13 CICO VII, 2, n° 139-140.
14 CICO VII, 2, n° 134-136.
iSP.G. 148, col. 701-722.
16 Ibid.
148 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

procession du Saint Esprit mais les deux parties ne parvinrent pas à


un accord dogmatique17.
Parmi les missionnaires présents à la curie pendant cette année
là, il s'en trouvait également deux autres, venus de Perse, Jean de
Leominster et Jacques de Géorgie. Ils ne quittèrent la curie que vers
la fin de l'année 1334.
Jean de Florence, évêque de Tiflis, apparaît dans les sources
pontificales de janvier 1343, puis de nouveau en août 1345 et en
juillet 1346. Il est possible qu'il soit arrivé à la curie dès 1342. En effet
Jean de Qrna, le fondateur de la congrégation des Frères Uniteurs,
se trouvait à la curie cette année là, afin de demander des précisions
au pape sur la question du second baptême. Si l'on se souvient du
rôle du missionnaire florentin dans l'organisation de ce noyau
catholique arménien, il est tout à fait concevable de penser que Jean
de Florence avait accompagné son disciple en Occident. La chambre
apostolique lui paya ses frais de voyage en Angleterre. Quand il
revint à la curie, en octobre, Clément VI répondit favorablement à sa
demande d'être dispensé de la visite ad limina. La bulle du pape
motive cette dispense par la nécessaire présence de l'évêque auprès des
chrétiens unis, nouvellement convertis. L'archevêque de Sultanieh,
Guillaume de Cigiis, bénéficia de la même dispense, dans les mêmes
termes exactement. Jean de Florence était donc venu à Avignon pour
régler toutes sortes d'affaires concernant les missions d'Arménie, de
Perse et de Géorgie. Son retour en Orient est tout à fait
vraisemblable car le pape écrivit à Jean V Paléologue pour une relance des
négociations entre les deux Eglises, condition à une aide militaire de
l'Occident. Il est possible que, passant par le couvent de Péra, il ait
été chargé de cette mission par le pape. Mais à peine deux ans plus
tard, l'évêque de Tiflis bénéficie de nouvelles dispositions. Les
réponses à ses suppliques permettent de penser qu'il envisageait un
pèlerinage en Terre Sainte avec une quarantaine de personnes. Puis
l'année suivante, il intervint de nouveau auprès du Saint-Siège. En
juillet 1346, il obtint l'usage de son pouvoir episcopal lorsqu'il se
trouvait en Occident, alors que Jean XXII ne l'avait pas permis aux
prélats nommés en Orient. Jean de Florence avait également
souligné les difficultés de sa pastorale à Tiflis, en particulier dans la
mise en pratique du second baptême et Clément VI incitait les
fidèles de ce diocèse à persévérer dans leur foi.
Cette série de documents pontificaux nous renvoie donc l'image
d'une mission en pleine expansion et des prédicateurs particulière-

17 Barlaam le Calabrais, M. Jugie, DHGE, t. 6, Paris, 1932, col. 819; S. Impel-


lizzeri, Dizionario biografico degli Italiani, 6, Rome, 1964, p. 393-394.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 149

ment dynamiques, sachant obtenir tous les moyens nécessaires à


son complet développement. Cependant la terrible épreuve de la
peste allait considérablement réduire les effectifs et les Peregrinante
durent se rendre de nouveau à la curie.
Nous retrouvons Jean de Leominster à la curie en 1349, envoyé
par l'archevêque de Sultanieh. Après les ravages de la peste, il est à
la recherche de frères volontaires pour repeupler les missions
d'Orient. La régularité avec laquelle les chapitres généraux de l'ordre
des Prêcheurs invitent les différentes provinces à envoyer des
missionnaires en Orient montre la difficulté qu'il y avait à en recruter.
Chaque arrivée de Dominicains venus d'Orient coïncide avec des
appels du chapitre général pour recruter de nouveaux missionnaires18.
Jean de Leominster était porteur de suppliques auxquelles le
pape répondit favorablement. De janvier à mai 1349, il prit toutes
sortes de dispositions pour réorganiser la mission de Perse. Jean
Lumbello de Plaisance, qui était vicaire général de la Société et qui,
en cette qualité, avait envoyé Jean de Leominster, fut nommé
archevêque de Sultanieh, Guillaume de Cigiis étant décédé. Bernard de
Scala et Jean de Moulins, maître du sacré palais furent chargés de
donner à Jean de Plaisance un successeur à la tête de la mission,
mais les sources ne nous ont pas conservé son nom. Comme lors de
la précédente venue de Jean de Leominster à la curie, le pape
nomma des évêques afin de remplacer les titulaires des sièges que la
peste avait décimés. La supplique des frères en demandait deux ou
trois pour remplacer Jean de Florence à Tiflis (mort de la peste en
1347, au couvent de Péra), François de Cinquini à Tabriz (mort de la
peste, en 1348, dans son couvent de Pise) et Bernard de Guardiola à
Dehikerkan. Le nom du successeur de François de Cinquini ne nous
est pas connu, mais Clément VI lui écrit ainsi qu'à l'évêque de Caffa
afin qu'ils reçoivent le serment du nouvel archevêque de Sultanieh.
Jean de Leominster repartit donc en Orient chargé de transmettre le
pallium à ce dernier. Il n'est pas certain que le nouvel évêque de
Dehikerkan l'ait accompagné pour rejoindre son diocèse.
A partir des années 1350, les missionnaires sont toujours aussi
présents à la curie, mais leur nationalité change. Ce sont des
Arméniens qui viennent en Occident. Ce changement est dû à la mortalité
due aux épidémies de peste et à la mise en place d'écoles pour la
formation des prédicateurs indigènes.
C'est ainsi que l'on voit apparaître, en 1356, à Avignon deux
frères arméniens, Thomas et Eleuthère, du couvent de Djahouk. Ils
appartenaient à la congrégation des Frères Uniteurs et venaient

MOPH IV, p. 209, li. 22-25; p. 232, li. 23-26; p. 331, li 34-37.
150 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

chercher une reconnaissance officielle de leur existence par le Saint-


Siège. Le pape Innocent VI la leur accorda tout en légalisant le lien
entre les Uniteurs et les Prêcheurs. Il plaçait en effet la nouvelle
congrégation sous l'autorité du maître général des Prêcheurs19.
Thomas fut alors nommé évêque de Naxivan et son frère fut placé à la
tête de cette congrégation avec le titre de «gubernator». Mais ils
périrent en mer, au large de Caffa, alors qu'ils s'apprêtaient à regagner
l'Arménie. Thomas était le second titulaire du siège de Naxivan,
vacant sans doute depuis plusieurs années et ce malheureux accident
allait prolonger cette situation jusqu'en 1374, où une importante
délégation arménienne se déplaça à la curie.
Avant cette date, il faut noter la venue d'un autre Frère Uniteur,
Dominique. Les bulles pontificales concernant sa venue couvrent la
période allant du mois d'avril au mois d'octobre 1363. Il fut, à cette
occasion, nommé archevêque de Manasguerd, en remplacement de
Nersès Balientz, un autre Arménien converti au catholicisme et
entré dans l'ordre de Saint Dominique. Nersès était mort depuis
plusieurs années et frère Dominique avait demandé à ce que la vacance
de la métropole ne dure pas plus longtemps. Il était autorisé à
emmener vingt Dominicains pour prêcher la foi catholique en Orient20.
La délégation des Frères Uniteurs de 1373-1374 eut des
conséquences bien plus importantes, car elle permit, comme les
précédentes, de renforcer les missions par des forces neuves et des
nominations de prélats à la tête des diocèses d'Orient, mais elle aboutit
aussi à une restructuration des missions par la renaissance de la
Société des Frères Peregrinante. En outre, elle se doubla d'une reprise
des négociations avec l'Eglise de Constantinople.
La présence des frères d'Arménie est attestée par plusieurs
mandats de la chambre apostolique datant de la période allant du mois
de mai 1373 au mois d'avril 1374, date à laquelle les missionnaires
durent partir pour l'Arménie accompagnés par frère Elie Petit. En
dehors de ce dernier, qui devait être nommé vicaire général de la
Société des Pérégrinants, restaurée, ces documents donnent quelques
noms, Jean, évêque de Naxivan, Arnauld du Lac, Jean Vincent et
Robert Courtier. Les trois derniers étaient des Prêcheurs partant en
renfort en Arménie, avec Elie Petit, qui était un frère du Languedoc.

19 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 146-147.


20 CICO XI, n° 20, 28, 48-48a. Dans la première lettre datant du 26 avril 1363,
le problème de la vacance de l'église est exposé en ces termes : « . . .per obitum bo-
nae memoriae Nersès archiepiscopi Manasguerden., qui extra Curiam Romanam
diem clausit extremum, pastoris solatio destituta, Nos, vacatione huiusmodi fide-
dignis relatibus intellecta, ad provisionem ipsius ecclesiae celerem et felicem, ne lon-
gae vacationis detrimenta subirei...»
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 151

Le premier était Arménien, originaire de Tabriz, et devait être le


chef de la délégation arménienne venue solliciter de nouveaux
moyens pour assurer l'apostolat auprès des schismatiques et des
infidèles, comme l'indiquent les mandats pontificaux. Grégoire XI
s'attacha à renforcer les missions d'Orient et mit un terme à la vacance
de plusieurs sièges épiscopaux. Le 7 avril 1374, il nomma Jean de
Tabriz à Naxivan, Jean de Rouen à Tabriz et Guillaume à Maraghah.
Dans l'état actuel des listes épiscopales, il faut souligner la longue
durée pendant laquelle ces lointains diocèses étaient sans pasteur. Si
le siège de Tabriz semble avoir été à peu près régulièrement pourvu,
frère Jean s'était ému auprès du pape que son église d'origine fût
sans chef et avait demandé un nouvel évêque. Pour les deux autres
sièges, la situation était bien plus grave, la vacance ayant duré à peu
près une trentaine d'années. La charge des communautés
catholiques et de l'apostolat auprès des autres populations reposait donc
sur les missionnaires, toujours en trop faible effectif. Les Prêcheurs
arméniens avaient alerté le pape sur ce problème dès leur arrivée.
Dès 1373, Grégoire XI s'adressa donc au maître général frère Elie
Raymond de Toulouse afin que des missionnaires soient recrutés,
mais devant les réticences des provinciaux, le pape dut réitérer ses
ordres par la bulle Nuper audivimus, le 17 janvier 1374. Les sources
attestent le départ de deux groupes de frères occidentaux, l'un au
printemps 1374, et le second en 1375. En avril 1374, les
missionnaires étaient recommandés au doge et à l'archevêque de gênes et la
chambre apostolique versait 1000 florins aux chefs du groupe, frère
Elie Petit et Jean de Tabriz, l'archevêque de Naxivan21. Jean de
Rouen, évêque de Tabriz, était de nouveau présent à la curie, en
janvier 1375, et s'apprêtait à conduire avec lui un nouveau groupe de
Prêcheurs. En effet, les frais de ces voyages représentaient des
sommes assez considérables et le pape sollicita l'aide financière de
prélats italiens. En mars 1375, alors que Jean de Rouen emmenait
les missionnaires recrutés pendant l'année précédente grâce aux
injonctions pontificales, Grégoire XI le recommandait à l'évêque de
Padoue afin qu'il lui donne les fonds nécessaires, 20 ducats d'or. Le
pape demandait qu'il s'acquitte rapidement de cette somme afin que
leur départ ne soit pas retardé22.
Pour le pape, comme pour les missionnaires, l'envoi de ces
renforts était une première étape vers la restauration de la Société des
Frères Peregrinante. Cet événement est étroitement solidaire du
contexte politique de cette période. D'une part le rattachement des

21 R.J. Loenertz, La Société, II, op. cit., p. 112 et notes 20-22, pour la mention
des sources.
22 CICO XII, n° 150.
152 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

couvents de la mer Noire et de l'Egée orientale, tous situés dans des


établissements génois, à la province de Grèce, sous contrôle
vénitien, était devenu invivable depuis le durcissement des relations
entre les deux métropoles italiennes23. D'autre part un ensemble de
négociations Orient-Occident s'était développé, selon un triangle
Rome-Buda-Byzance, à l'initiative d'un groupe de convertis constan-
tinopolitains, très lié aux Dominicains de Péra, depuis la
restauration de Jean V Paléologue sur le trône de Constantinople. La Société
des Frères Peregrinante fut donc restaurée au moment du retour de
Jean de Rouen à la curie. Ayant pris acte des perspectives qui
semblaient s'offrir à la prédication dominicaine en Orient et du souhait
des missionnaires, Grégoire XI décréta cette restauration par la
bulle du 28 janvier 1375 et frère Elie Petit fut nommé vicaire général
de la Société.
Deux ans plus tard, Jean de Tabriz était de retour à la curie, à
Rome, où Grégoire XI s'était installé depuis le mois de janvier 1377.
Evêque de Naxivan, il demanda et obtint son transfert sur le siège de
Caffa24. Jean de Tabriz, Arménien et Prêcheur, profita de son séjour
à la curie pour attirer la faveur pontificale sur la communauté
catholique arménienne. Le siège n'était vacant que depuis six mois,
par le décès de Conrad O.F.M. mais il avait compris l'intérêt
stratégique de ce diocèse. Celui-ci était en effet très convoité en raison de
sa situation, qui était devenue centrale depuis le repli des courants
commerciaux de la Perse sur la Mer Noire. Le vicaire général de la
Société des Frères Peregrinante, très conscient de l'évolution
géopolitique de la région, avait perçu l'intérêt des couvents d'Europe
centrale dans une stratégie globale d'extension de l'obédience romaine
au détriment de la sphère d'influence de l'Eglise grecque. C'est
pourquoi il décida de l'élargissement du ressort de la Société aux
territoires des confins orientaux de la Pologne. Jean de Tabriz était donc
chargé par frère Elie Petit de demander au pape son appui. La bulle
de Grégoire XI avalisant cette décision dispensait en même temps
ces nouveaux couvents du respect de la règle de pauvreté. Le
représentant de Louis d'Anjou en Ruthénie, se conformant à la
tradition orthodoxe, désirait doter le couvent de Lwow de biens fonciers
et avait besoin de cette dispense, comme nous l'avons vu plus haut.
La présence du nouvel évêque de Caffa à Rome, organisant le
développement de la Société des Frères Peregrinante en Europe
orientale, montre donc clairement l'implication des Prêcheurs,
missionnaires en Orient, dans les négociations entretenues entre la curie et

23 RJ. Loenertz, La Société, II, op. cit., p. 109.


24 CICO XII, n° 218, dans les documents suivants, n° 220-221, le pape
accordait des indulgences aux visiteurs de Sainte-Marie de Caffa et confirmait la
donation de cette église aux Prêcheurs de Caffa par un Arménien converti, Arabiet.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 153

la cour de Hongrie et, en particulier, le représentant de Louis


d'Anjou en Ruthénie, Ladislas d'Opole.
Il faut maintenant aborder le second plan de cette intervention
des Prêcheurs à la curie. En effet cette période de 1373 à 1377 fut un
moment intense dans les relations entre Rome et Byzance. Il
convient de remarquer la coïncidence de dates entre la première
phase de la restauration des missions en Orient, initiée par les frères
d'Arménie, et l'intense activité diplomatique de Jean Lascaris Calo-
phéros d'une part, la reprise des discussions théologiques entre
Grecs et Latins d'autre part.
Jean Lascaris était membre d'une famille noble constantinopoli-
taine, apparentée vraisemblablement à la famille impériale. En
disgrâce sous Jean V Paléologue depuis son mariage avec Marie Canta-
cuzène, ce personnage aux activités multiples et complexes, devint
l'agent diplomatique du pape Urbain V puis de Grégoire XI, pour les
affaires orientales. Converti au catholicisme comme ses deux frères
Maxime et Emmanuel, ami de Démétrios Cydonès, il appartenait au
groupe des latinophrônes. Il vécut à Chypre, où il devint l'ami de
Pierre Ier de Lusignan et de son chancelier Philippe de Mézières et
participa à l'équipée chypriote à Alexandrie en 1365. Il dut quitter
Chypre après des démêlés avec la justice consécutifs à l'assassinat
du roi. Il devint citoyen de Gênes et de Venise. Si ses activités
servirent ses affaires personnelles, il n'oublia jamais la cause de sa terre
natale. Après avoir favorisé le rapprochement entre Rome et
Constantinople, qui aboutit au voyage de Jean V Paléologue à Rome,
en 1369, il intervint pour la seconde fois entre 1373 et 1375. Envoyé
par Grégoire XI, il fit le tour des capitales européennes afin de
rassembler les forces nécessaires à une croisade contre les Turcs. Un
groupe de lettres pontificales, de février à mai 1373, le recommande
auprès de la reine de Naples, du roi de France, Charles V, de
Philippe de Mézières, de Louis de Hongrie et de Jean V Paléologue. Son
action continue et s'élargit en juin de la même année puisqu'il est
recommandé de nouveau à Louis de Hongrie, au duc de Gênes, aux
Hospitaliers de Rhodes et qu'il est doté d'un sauf conduit pour le duc
de Dalmatie-Croatie. Il intervint ensuite, à plusieurs reprises auprès
de Louis de Hongrie pour qu'il participe à la lutte contre les Turcs,
comme il l'avait promis à Jean V Paléologue au moment de sa
conversion. Mais en janvier 1375, la vaste entreprise diplomatique
de Jean Lascaris Calophéros s'avéra vaine, Louis de Hongrie n'ayant
pas fourni l'aide militaire nécessaire25 et Jean V Paléologue ayant fi-

25 Louis d'Anjou était à ce moment beaucoup plus préoccupé par les affaires
intérieures de son domaine, en particulier dans la négociation du mariage de ses
filles, qui recevraient son héritage, O. Halecki, Jadwiga of Anjou and the Rise of
East Central Europe, dans Atlantic Studies on Society in Change, n° 73, Columbian
154 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

ni par signer une trêve avec les Turcs, ce qui ruinait tout espoir
d'union pour de nombreuses années.
En effet à côté de cette action diplomatique, une série de
discussions théologiques était menée par les Dominicains auprès des
autorités religieuses grecques. Le groupe de missionnaires, partant
pour l'Arménie au printemps de l'année 1374, s'était arrêté à
Constantinople pour discuter de l'union avec Jean Cantacuzène,
oncle de Jean V et empereur de Byzance de 1347 à 1355. Après avoir
restitué la couronne à son neveu, il s'était retiré dans un monastère
et était devenu le principal interlocuteur du pape sur les questions
théologiques26. D'après les lettres pontificales de janvier-février
1375 27, la discussion eut lieu à Constantinople, entre la délégation
latine (les trois évêques, accompagnés de l'ambassade envoyée en
juillet) et la délégation grecque. Celle-ci réunissait autour de l'ex-empe-
reur, des prélats, clercs et religieux. La rencontre avait été préparée
soigneusement avant le départ des missionnaires. Grégoire XI avait
demandé au doge de Venise son avis sur l'envoi d'une ambassade
pontificale à Constantinople, dont il avait annoncé la composition :
les archevêques de Patras et de Thèbes, deux maîtres en théologie et
deux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le pape avait aussi
demandé à l'évêque de Ceneda, Gasbert d'Orgueil, maître en
théologie de l'ordre des Prêcheurs28, un dossier scripturaire ainsi qu'un
rapport sur la discussion qu'il avait eue avec les Grecs lors de sa
mission de 1350, sous Clément VI.
La papauté avait en effet organisé à plusieurs reprises, dans les
décennies précédentes, des discussions théologiques. Après Richard
l'Anglais et François Camerino, en 1333, Gasbert d'Orgueil O.P.,
évêque de Ceneda, et Guillaume Emergavi O.F.M., évêque de Kissa-
mos, avaient été envoyés par Clément VI pour discuter avec Jean
Cantacuzène de l'union29. L'empereur avait, alors repris le projet de
concile œcuménique, proposé par Barlaam le Calabrais, en 1339.

University Press, New York, 1991. L'auteur de cet ouvrage précise que c'était la
partie polonaise de cet héritage qui souciait le plus Louis d'Anjou, les années
1370 sont en effet le moment où il affirme sa domination sur les régions
orientales, Ruthénie, Podolie et Lituanie, se heurtant aux seigneurs locaux.
26 Jean Cantacuzène discuta d'un projet d'union avec Paul, évêque de
Smyrne en 1367, J. Meyendorff, Projets de concile œcuménique en 1367, dans
Dumbarton OaL· Papers, 14, Washington, 1960.
27 CICO XII, n° 135-139.
28 Gasbert d'Orgueil appartenait à la province de Toulouse et était maître en
théologie à Avignon, au moment de sa première intervention à Constantinople,
Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 2, op. cit., p. 11; la
relation de cette discussion, SOP, I, p. 674-675. Son interlocuteur en 1350 était déjà
Jean Cantacuzène, alors empereur de Byzance.
29 CICO IX, n° 161-162.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 155

Après la mort de Clément VI, Jean Cantacuzène envoya un autre


dominicain, Jean, du couvent de Péra, pour que les relations avec
Rome ne soient pas interrompues30. Ce dernier était un spécialiste
de la polémique avec les théologiens grecs. De fait, les discussions
continuèrent. En 1356, deux légats de Jean V Paléologue arrivèrent à
Avignon pour demander une aide militaire contre les Turcs. Ils
avaient participé à l'élaboration d'un projet progressif d'union des
Eglises, ils l'apportaient également. L'un d'eux, Nicolas Sigeros, était
un dignitaire de la cour et avait déjà fait le voyage à Avignon,
comme envoyé de Jean Cantacuzène. Il appartenait au parti
prolatin et jouissait de la faveur pontificale31. Nicolas Sigeros fut l'un
des partisans du rapprochement entre Rome et Constantinople. En
1348, il avait été l'un des ambassadeurs de Jean Cantacuzène auprès
de Clément VI et, en 1355, il participa à l'élaboration du projet
d'union des Eglises. Il fut comblé de cadeaux lors de sa venue à
Avignon en juin 1356. Cette implication dans le processus d'union ne
nuisit pas à sa carrière : grand interprète en 1349, il fut nommé
prêteur du peuple en 1352, puis grand hétairiarque en 1355, titre qu'il
porte dans la bulle pontificale. Il passa ainsi du 50è au 25è rang dans
la hiérarchie aulique, selon le Pseudo-Codinos32. Le second était l'é-
vêque latin de Smyrne, Paul le Calabrais. Ils rentrèrent à
Constantinople sans la flotte escomptée mais accompagnés de deux
polémistes, un Dominicain, Guillaume, évêque de Sozopolis, et un
Carme, Pierre Thomas, évêque de Patti et Lipari33. Pour le pape, en
effet, il ne pouvait être question d'aide militaire qu'une fois l'union
des Eglises réalisée. Le concile œcuménique fut de nouveau évoqué
en 1367, entre Paul le Calabrais, patriarche latin de Constanti-

30 J. Gay, Le pape Clément VI et les affaires d'Orient (1342-1352), Paris, 1904,


p. 118. Cet auteur dit que le frère Jean O.P., du couvent de Galata, fut envoyé à
Clément VI. Cette opinion a été corrigée par R.J. Loenertz, dans deux articles :
Les ambassadeurs grecs auprès du pape Clément VI. 1348., dans OCP 19, 1953,
p. 178-196; Joannis de Fontibus, epistula ad abbatem et conventum, dans AFP 30,
1960, p. 163-195. Joannis de Fontibus est l'auteur d'un petit traité polémique, en
forme de lettre, adressé aux moines d'un monastère de Constantinople. Il doit
être identifié à l'envoyé de Jean Cantacuzène à Innocent VI, en 1353. L'empereur,
dans ses mémoires, le qualifie de «unus de amicis Galatae habitantibus», p. 165.
31 Dans la bulle pontificale du 15 décembre 1355, CICO X, n° 84, il est dit :
«dilecto familiari megateriarcha imperii Nostri domino Nicolao Sygeros...»
32 Sur l'organisation de cette hiérarchie, J. Verpeaux, Le Pseudo-Codinos,
traité des offices, dans Le monde byzantin, 1, CNRS, Paris, 1966. Sur cette
personnalité importante pour les relations entre Byzance et Rome, R.J. Loenertz, Les
ambassadeurs grecs, op. cit.; O. Halecki, Un empereur de Byzance à Rome2,
Londres, 1974, p. 17-18, p. 38-39, p. 52-53; A. Pertusi, L'Omero inviato a Petrarca
da Nicolo Sigerò, in Leonzio Piloto fra Petrarca e Boccaccio, Florence, 1964, p. 43-
72.
33 R.J. Loenertz, Joannis de Fontibus, epistula, op. cit., p. 171-172.
156 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

nople34, et Jean Cantacuzène, au palais des Blakhernes. Si


l'intervention du patriarche avait préparé la voie vers un concile œcuménique,
chaque parti restait, pour l'instant, sur ses positions. Le voyage à
Rome de Jean V, en 1369, avait semblé un moment être l'événement
qui pouvait faire évoluer la situation. Le pape espérait que le
ralliement de l'empereur serait nécessairement suivi par celui du peuple
grec, mais c'était fort mal connaître la situation religieuse de
l'empire byzantin. Cependant, dans ces années 1374/75, la présence de
plus en plus fréquente d'orientaux grecs et arméniens à la curie avait
fait évoluer la politique pontificale35. Le désaccord entre Paul le
Calabrais et Pierre Thomas sur les moyens de parvenir à l'union des
Grecs est sur ce point significatif. Paul, natif du sud de l'Italie, hellé-
nophone, était plus apte à comprendre le parti grec. Pour cette
raison, il semble avoir été écarté des négociations et transféré sur le
siège de Thèbes, alors que Pierre Thomas réussissait à organiser une
croisade. Innocent VI, dans les lettres concernant cette croisade,
l'autorise à employer la manière forte pour convertir les schisma-
tiques. L'union des Eglises n'était plus considérée comme la
condition préalable à l'aide de l'Occident. De leur côté les Prêcheurs de
Péra, en raison de leurs liens avec le parti pro-latin de la cour
impériale, ne concevaient plus la discussion théologique comme le seul
moyen pour parvenir à la réunion des Grecs dans l'obédience de
Rome. L'action sur le plan religieux devait être connectée à une
démarche diplomatique.
La polémique avec les théologiens grecs n'en constituait pas
moins, cependant, une part importante de l'action dominicaine. Le
dossier théologique fut prêt en juillet et confié à un groupe de quatre
moines, deux maîtres en théologie, Thomas de Bozolasco O.P. et
Bartolomeo Cherracio O.F.M. et deux frères hospitaliers de Saint-
Jean de Jérusalem. L'archevêque de Thèbes, Simon Attumano,
devait les aider, sans doute comme interprète, mais les lettres
pontificales de l'été 1374 ne mentionnent pas l'archevêque de Patras, qui
l'était dans la lettre au doge de Venise.

34 J. Meyendorff, Projets de concile œcuménique en 1367, dans Dumbarton


Oaks Papers, 14, 1960, p. 149-168, Paul fut nommé évêque d'Amisos (Samsûn,
port de la mer Noire, où se trouvait une colonie génoise), puis transféré le 10
juillet 1345, sur le siège de Smyrne. Archevêque de Thèbes, à partir de 1357, il
succéda à Pierre Thomas, en 1366, sur le siège patriarcal de Constantinople. Voir aussi
G. Fedalto, La chiesa latina in Oriente, I, op. cit., p. 321, p. 365, p. 477, p. 566,
p. 576; R.J. Loenertz, Athènes et Neopatras. Regestes et documents pour servir à
l'histoire des duchés catalans (1311-1395), dans AFP 28, 1958, p. 5-91. Sur l'œuvre
de Paul de Smyrne en faveur d'un rapprochement entre les deux Eglises,
K.M. Setton, The Byzantine Background of Italian Renaissance, dans Proceedings
American Philosophical Society, C, I, 1956, p. 45 sq.
35 J. Meyendorff, Projets de concile œcuménique, op. cit., p. 153.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 157

Le compte-rendu de ces discussions fut apporté à la curie par


Jean de Rouen, évêque de Tabriz, ainsi que des lettres impériales,
traduites en latin par Manuel Sgouropoulos, secrétaire de la
chancellerie36. Il semble avoir été particulièrement optimiste quant aux
perspectives d'union et d'expansion de l'obédience romaine en
Orient, ainsi que le montrent les lettres pontificales des 28 janvier et
13 février 1375. Grégoire XI écrivit, en effet, à Jean Cantacuzène
pour l'inviter à Rome afin de conclure l'union des deux Eglises. L'é-
vêque de Tabriz lui avait dit qu'au cours de la discussion, l'ancien
empereur des Grecs avait reconnu la primauté du successeur de
Pierre et de l'Eglise de Rome. Le pape espérait que ce nouveau
ralliement aurait valeur d'exemple pour l'ensemble des Grecs. Grégoire
XI mit également en garde Jean V Paléologue contre les dangers de
la trêve qu'il avait conclue avec les Turcs car celle-ci ne les
empêcherait pas de prendre Constantinople. Et le même jour, il demandait
une nouvelle fois à Louis de Hongrie d'aider Jean V, lui rappelant la
promesse faite au moment du voyage de l'empereur à Rome. Le 13
février Grégoire XI remerciait les évêques de Naxivan et de Marag-
hah pour leur contribution à la discussion si fructueuse qu'ils
avaient eue avec les Grecs, et appuyait leur demande de fondation
d'un nouveau monastère à Constantinople. Il remerciait donc le
bayle de Venise pour le don qu'il avait fait aux Prêcheurs de la
chapelle Saint-Marc et lui demandait de les aider à réaliser ce projet.
La démarche des Prêcheurs arméniens de 1374/75 constitue un
tournant dans l'action dominicaine car elle procède d'un plan global
offensif du catholicisme en Orient. Elle envisage un ensemble de
moyens multiformes : développement des structures missionnaires,
action diplomatique et discussion théologique. Elle préfigure ainsi
les actions qui seront menées au XVe siècle et qui aboutiront au
concile de Florence.
Les Prêcheurs originaires d'Orient prirent une place très
importante dans l'Eglise catholique à partir de la dernière décennie du
XIVe siècle, comme l'attestent les sources pontificales et
dominicaines.
Frère Elie Petit, désormais âgé, ne devant plus s'occuper que des
résidences de Chios, de Mitylène, et des deux Phocées, des frères
arméniens vinrent à Rome demander que lui soient adjoints des
vicaires pour les autres territoires. Ainsi que le montrent les actes du
maître général, Raymond de Capoue, en 1389, Jean, Frère Uniteur
d'Arménie, évêque latin d'un siège difficile à identifier37, fut nommé

36 Deux lettres pontificales de février 1375, BEFAR, 3è série, VI, fase. 2,


Lettres secrètes et curiales n° 3132; sur cette personnalité voir 2è partie, note 599.
37 R.J. Loenertz propose Anazarbe bien que ce soit un siège métropolitain,
La Société II, op. cit., p. 118, note 39.
158 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

vicaire de sa congrégation et obtint que frère Dominique, du


couvent de Caffa, soit désigné comme substitut de frère Elie. Les
actes suivants assignent à des couvents italiens plusieurs frères de
Caffa afin qu'ils puissent suivre leurs études de théologie, en
particulier au Studium de Padoue38. L'année suivante, des mesures
similaires sont prises à la demande de frère André, inquisiteur de Caffa,
venu lui aussi en Italie. Il était sans doute accompagné de frère Jean
Janitor. Les actes ont en effet été rédigés en faveur de ces deux
prêcheurs et d'autres missionnaires, Arméniens de Caffa, ou frères de
Lwow. Ils se partagèrent le ressort de la Société des Peregrinante,
alors que frère Elie conservait son autorité sur la région de Chios39.
Par la suite, les Frères Uniteurs se déplacèrent régulièrement à
la curie afin de solliciter le soutien pontifical, nécessaire à la
présence catholique en Orient. Dans une supplique de 1431, un Frère
Uniteur, pour appuyer sa demande de subsides, dit que c'est la
troisième fois qu'il se déplace à la curie. Il s'agit pour eux non seulement
de ménager une certaine indépendance par rapport à l'ordre des
Frères Prêcheurs, mais aussi d'assurer la présence d'une hiérarchie
catholique efficace, dans une région en voie d'islamisation rapide
depuis les raids de Tamerlan, dans la dernière décennie du XIVe
siècle. Les nombreuses suppliques qu'ils apportèrent montrent les
destructions subies par les établissements religieux, mais en même
temps la vigueur de la communauté catholique arménienne,
soutenue par cette congrégation si liée aux Dominicains. En 1399, Luc de
Sahapouniq était sans doute présent à Rome lorsqu'il obtint que
soient limités les privilèges du vicaire général lors de ses visites
apostoliques des couvents uniteurs de Caffa. Il fut alors nommé
vicaire pour sa congrégation40. Les frères arméniens cherchèrent
ensuite à plusieurs reprises à obtenir que cette limitation des privilèges
du vicaire général, dans leurs couvents, soit maintenue41. En 1419, le
siège de Naxivan fut pourvu d'un évêque, Martin de Chiari42. Ce
siège était resté sans titulaire-résident pendant de longues années
entre le transfert de Jean de Castamon sur le siège de Sultanieh en

38 MOPH XIX, p. 220-221.


i9MOPH XIX, p. 221-223.
40 M.A. van den Oudenrijn, Praesides Armeniae Dominicanae, dans AFP 21,
1951, p. 306-309.
41 En 1419 et 1423, les Frères Uniteurs firent transcrire cette limitation
d'après les registres pontificaux; en 1431, Eugène IV demanda à l'évêque et au
gardien des Franciscains de Caffa de confirmer tous leurs privilèges, BOP II, p. 564,
628; BOP III, p. 4-5. Mais les papes confirmèrent en même temps le contrôle que
devait exercer le vicaire général des Pérégrinants sur leur congrégation :
R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 149.
42 BOP II, p. 562.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 159

1398 et la désignation de Mxitaric, décédé en 141743. Les listes épis-


copales donnent plusieurs titulaires sur ce siège, pendant cette
période, mais ils ne se rendirent pas en Arménie44. Quelques jours après
la nomination du nouvel évêque de Naxivan, Martin V permettait
aux frères d'élire son successeur45. La bulle du pape montre le lien
étroit entre les Uniteurs et les Dominicains : l'ordre des Prêcheurs
est associé aux Uniteurs dans la même expression46. Les raisons de
ce privilège exceptionnel sont ensuite clairement exposées,
conformément sans doute à la supplique des Arméniens. Le pape salue
l'œuvre de prédication des Uniteurs en insistant particulièrement
sur leur rôle auprès de communautés catholiques dont ils confortent
la présence47. Martin V fut également sensible à deux autres
arguments : la distance qui séparait Rome de l'Arménie et la trop longue
vacance du siège dont elle était la conséquence48. Deux ans s'étaient
écoulés depuis la mort du prédécesseur de Martin, Mxitaric, et les
Frères Uniteurs estimaient que ce délai était intolérable. Les
documents pontificaux attestent donc les difficultés à pourvoir ce siège et
les longues vacances qui en étaient consécutives. Us avaient donc
réussi à faire accepter leur solution à ce problème, l'élection de l'é-
vêque par le clergé local. Ce privilège permettait le maintien d'une
tradition de l'Eglise arménienne, malgré le passage à l'obédience
romaine de cette petite communauté catholique49.

43 Le nom de cet évêque figure dans la bulle de nomination de son


successeur, Martin de Chiari, en 1419. On ne sait ni quand ni comment il fut désigné.
M.A. van den Oudenrijn donne la date de son décès, Bishops and Archbishops of
Naxivan, dans AFP 6, 1936, p. 161-216.
44 Parmi ces évêques titulaires, un cas est particulièrement intéressant, il
s'agit de Stéphane de Sceczhew, nommé en 1400, il est toujours titulaire de Naxivan
en 1423. Dans ses suppliques, il demande la possibilité d'utiliser les pouvoirs épis-
copaux hors de son diocèse et de résider en Hongrie, bénéficiant de sa
commende. Il justifie son refus de résider «propter proterviam Sarracenorum».
CICO XIII, 1, n° 95; CICO XTV, 1, n° 30-30a, n° 118c.
45 La nomination de Martin de Chiari date du 9 octobre 1419, CICO XIV, 1,
n° 118. la bulle, permettant aux Frères Uniteurs d'élire l'évêque de Naxivan, fut
enregistrée le 21 octobre de la même année, BOP II, p. 563-564.
46 Dans la bulle de nomination : «...demum ad te, Ordinis Fratrum Praedica-
torum Unitorum in Ulis partibus nuncupatorum...», CICO XIV, 1, n° 118; dans le
privilège d'élection : «de persona dilecti fïlii Martini de Chiarì Ordinis Praedicato-
rwn, nunc nuncupati Unitorum... », BOP II, p. 563.
47 «...nonnullos Fratres predicti Ordinis ad partes Armeniae majorìs, et pro fide
ad praedicandum fìdem Christi et ad regendum, et ad confortandum catholicos in
eisdem partibus commorantes...», BOP II, p. 563-564.
48 «...Mi decet, celeriter de idoneo pastore propter magnam locorum distantiam
providere, propter que Ecclesia ipsa sepe longo tempore vacare dignoscitur, in diete
fidei, et animarum gravissimum detrimentum...», ibid.
49 M.A. van den Oudenrijn, Bishops and Archbishops of Naxivan, op. cit.,
p. 185, le diocèse de Naxivan avait conservé la tradition très ancienne de l'élec-
160 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Quatre ans plus tard, une nouvelle délégation des Frères Uni-
teurs séjourna à la curie. Ils soumirent plusieurs suppliques, qui
donnent le nom de certains de ses membres50. L'un d'entre eux,
Georges, Arménien de Saint-Nicolas est dit laïc, habitant le diocèse
de Naxivan, les autres sont des Frères Uniteurs51. Frère Joseph porte
le titre de maître de l'ordre des Frères Uniteurs. Chef de la
congrégation, il obtient différentes facultés pour lui et ses successeurs pour
une période de vingt ans : absolution des péchés et administration
de tous les autres sacrements auprès des Chrétiens et de ceux qui
veulent se convertir en Arménie majeure et dans le diocèse de Sulta-
nieh52. Deux autres frères furent nommés sur des sièges vacants :
Pierre de Qrna à Naxivan et Job de Maku, sur la métropole de Maku-
Saint-Thaddée53. En dehors de toutes sortes de problèmes
immobiliers, cens ou occupation indue d'une maison léguée aux Frères
Uniteurs de Caffa, les suppliques montrent le dynamisme des
Catholiques de ces régions d'Orient si menacées. Dans une de leurs
suppliques, les Frères Uniteurs de Caffa, demandant des indulgences
pour les visiteurs de la nouvelle église Sainte-Marie-et-tous-les-
Saints de Baraverio, indiquent que les fidèles étaient nombreux54.
Ces suppliques révèlent aussi un phénomène curieux. En effet, le
pape accorda un pouvoir d'excommunication générale contre les hé-

tion de l'évêque avec participation des laïcs. Une lettre de Paul III semble
impliquer qu'elle devait exister depuis longtemps avant 1544.
50 La série de suppliques s'étale sur une période allant d'octobre 1423 à avril
1424. La présence de Georges de Saint-Nicolas est attestée par la supplique
n° 259a de l'édition CICO XIV, 1.
51 Georges de Saint-Nicolas est l'auteur de plusieurs suppliques en 1423-1424,
mais la précision de son état de laïc n'apparaît que dans celle du 17 juin 1426
CICO XIV, 1, n° 363. Bien que les documents soient avares d'informations, il semble
que Georges était un Arménien catholique, originaire du quartier de Caffa
entourant le couvent Saint-Nicolas, appartenant aux Uniteurs. Les textes montrent en
effet ses liens avec la cité de Caffa. Mais il résidait dans le diocèse de Naxivan en
1426. Ces textes témoignent donc de la permanence de relations étroites entre la
cité de la Mer Noire et la Grande Arménie. Ce qui peut paraître étrange c'est
qu'un laïc ait demandé et obtenu, conjointement il est vrai avec le nouvel évêque
de Naxivan, la faculté d'excommunier les infidèles et les hérétiques (CICO XIV, 1,
n° 259a).
52 Joseph avait demandé ces facultés pour une durée de trente ans, motivant
sa supplique par la distance séparant l'Arménie de la curie, CICO XIV, 1,
n° 259a-259b; M.A. van den Oudenrijn, Linguae Haicanae, op. cit., n° 35.
53 Les deux prélats demandèrent un subside de soixante florins d'or pour les
frais de leur voyage de retour, ainsi que deux personnes les accompagnant.
54 «...cum temporibus Vestris sit quaedam ecclesia de uovo fundata in
honorem Beatae Mariae Virginis et Omnium Sanctorum de Baraverio Nacchaonen. dio-
cesis, et conservata, in qua non modicum fìdelium viget, quae ut Vestrae Beatitudi-
nis suffragiis magis augeatur...», CICO XIV, 1, n° 269b.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 161

rétiques et autres infidèles au nouvel évêque de Naxivan et à


Georges de Saint-Nicolas, alors que ce dernier était un laïc55.
Cependant, ce qui apparaît comme le fait plus important, dans
cet ensemble de textes, est la réorganisation de la hiérarchie latine
telle que les Uniteurs l'ont préconisée. Comme lors de la venue de
missionnaires d'Orient tout au long du XIVe siècle, les frères
demandèrent que soient pourvus des diocèses vacants depuis plusieurs
années. Le diocèse de Naxivan était de nouveau sans titulaire-résident
malgré la faculté d'élire l'évêque accordée aux frères peu de temps
auparavant. Entre Martin de Chiari et Pierre de Qrna, il semble que
le pape ait nommé trois titulaires. Les deux derniers, Ladislas et
Stéphane O.F.M., demandèrent à conserver leurs prébendes en Hongrie
après leur promotion, en raison de l'inexistence des revenus de ce
diocèse. La supplique du dernier semble contemporaine de l'arrivée
de la délégation des Frères Uniteurs et leur présence à la curie
décida sans doute le pape à désigner rapidement un successeur à Martin
de Chiari, capable d'assumer la lourde charge de cette église56. Si
Ladislas et Stéphane ne se décidèrent pas à partir pour l'Arménie, ils
étaient parfaitement conscients des difficultés, comme l'indiquent
leurs suppliques57.
Mais les Frères demandèrent surtout que le nouvel archevêque,
qu'ils avaient élu sur le siège de Sultanieh, soit confirmé par le pape.
Sans doute avaient-ils profité de la possibilité d'élection accordée
par Martin V pour donner un titulaire à la métropole de Perse,
vacante depuis le décès de Jean de Castamon, peu après 1412, mais ils
désiraient donner davantage de poids à cette nomination grâce à
une confirmation pontificale, vis à vis de l'ensemble des catholiques
de la région, des Latins en particulier58. La longue distance qui sépa-

55 CICO XIV, 1, n° 259a. Le terme infidèle ne désignent pas ici les


Musulmans mais les schismatiques puisqu'il est précisé par l'expression «...qui non
credimi in Sanctam Ecclesiam et Sanctitatem Vestram et successores Vestros canonice
intrantes». Le fait que le pouvoir d'excommunier soit conféré à un laïc, même
conjointement à l'évêque de son diocèse est une particularité qui doit être
soulignée car l'excommunication était réservée aux évêques et depuis le concile de
Meaux (845) ceux-ci ne pouvaient y recourir sans en avoir référé à l'archevêque,
E. Valton, Dictionnaire de théologie catholique, V, 2, col. 1734-1736. Cette
concession du Saint-Siège pose le problème de la place des laïcs dans les régions,
comme la Grande Arménie, où les communautés catholiques étaient peu
nombreuses. Elle témoigne en tout cas du dynamisme de ces minorités.
56 BOP II, p. 625 : «...ne Ecclesia ipsa longe vacationis exponeretur incommo-
dis...»
57 CICO XrV, 1, n° 118b. Ladislas était originaire de Transylvanie, archidiacre
de Krasso et doté d'un canonicat à Csanad. Ceci peut expliquer sa nomination à
Naxivan, étant donnés les liens entre la Transylvanie et la Société des Frères Pé-
régrinants.
5SCICO XIV, 1, n° 259a. «Selon l'ancien droit des Décrétales (c. 11, 40, 32,
162 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

rait l'Arménie de la curie rendait difficile la consécration des


évêques par le pape, mais la fragilité du catholicisme dans cette
région la rendait d'autant plus nécessaire. Toutefois l'impérieuse
nécessité de pourvoir le plus rapidement possible les sièges vacants
imposa d'autres solutions. C'est ainsi que l'évêque de Caffa exerça ce
pouvoir de consacrer les évêques de Naxivan. Ils demandèrent
également qu'il puisse résider à Caffa, près de l'Eglise Saint-Michel, car la
métropole de Sultanieh n'avait plus de maison qu'il puisse habiter.
Cette réorganisation de la hiérarchie latine de Perse correspondait à
l'évolution de la situation politique et militaire du moment. Depuis
la fondation de la métropole de Sultanieh, en 1318, le catholicisme,
conquérant jadis, devait prendre une position de repli. La
communauté arménienne, étant l'élément le plus dynamique du
catholicisme oriental, avait déterminé cette position sur la cité génoise qu'il
l'avait accueillie. Pilier le plus solide, encore pour quelques
décennies, de la présence occidentale en Orient, Caffa avait vocation de
future métropole catholique. Cette promotion de Caffa, résidence
d'un métropolite latin, semble être confirmée par la présence de
l'archevêque de Khambaliq, successeur de Jean de Castamon. Ce prélat,
Jacques O.P., Italien, de Caffa, reçut en 1427, l'administration de
l'église Saint-Laurent et résidait par conséquent dans sa ville natale.
Cet archevêque avait perdu ses droits métropolitains, sans doute
depuis que son prédécesseur avait reçu l'administration de Khambaliq,
en 141059.
Cette ambition fut cependant déçue. En 1431, les Frères Uni-
teurs de Caffa étaient de nouveau à la curie, porteurs de nouvelles
suppliques. Ils demandèrent à ce que les privilèges accordés par
Martin V aux trois couvents, qu'ils possédaient dans la cité, soient
confirmés. Ils désiraient également poursuivre la construction d'un
clocher pour Saint-Nicolas. Un frère, nommé Joseph, qui avait
obtenu le diplôme de maître en théologie après un sévère examen,
demandait à ce que son insigne de maître lui soit officiellement
remis60. Il est possible qu'il faille l'identifier avec ce frère sollicitant un
dédommagement financier pour ses trois déplacements à la curie.
Peut-être avait-il accompagné Georges de Saint-Nicolas lors des
deux précédents voyages de 1423 et 1426? Mais l'affaire la plus im-

tit.V; c. 1, 2, rit. VII; e. 10, tit. XXIV, 1. L), aux archevêques était attribué le droit
de confirmer et d'ordonner les évêques suffragante qui avaient été élus...; mais
plus tard le souverain pontife se réserva le droit de confirmer et de consacrer les
évêques...», E. Valton, Dictionnaire de théologie catholique, V, 2, col. 1705.
59R.J. Loenertz, La Société, I, op. cit., p. 112; CICO XIV, 2, n° 367, 383.
60 Ce frère Joseph doit être distingué du maître de la congrégation des Uni-
teurs mentionné dans la lettre de Martin V, en 1423. Selon M.A. van den Ouden-
rijn, celui-ci devait être du couvent de Sahapouns. Le maître en théologie de 1431
était d'Aparan, Linguae Haicanae, op. cit., n° 36.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 163

portante qu'ils avaient à traiter était toujours le statut de l'église de


Sultanieh. La supplique du 10 janvier 1431, apportée par les Frères
Uniteurs est riche d'enseignements sur les difficultés rencontrées
pour assurer une présence episcopale permanente61. Jean, évêque
élu de Naxivan, formule deux demandes. La première concerne les
relations entre le siège de Caffa et les évêques d'Arménie en général,
la seconde sa situation personnelle. Evoquant à son tour la distance
séparant la Grande Arménie et le Saint-Siège, Jean souhaitait que,
pour une période de trente ans, l'évêque de Caffa puisse consacrer
deux ou trois évêques en Arménie, comme lui-même avait été
envoyé auprès de lui par ses électeurs pour être consacré. Le nombre
des évêques ayant ce pouvoir était insuffisant. Mais il demandait
aussi que le pape, qui l'avait promu sur le siège métropolitain de
Sultanieh, le confirme évêque de Naxivan. Ainsi se confirmait une
réorganisation de la hiérarchie latine en Orient avec le retrait des
missions catholiques de Perse et l'évolution qui devait faire de Caffa
la métropole de l'Eglise latine d'Orient. C'est pourquoi, à cette date,
la seigneurie de Gênes demanda à ce que Caffa ait le rang
d'archevêché62. Mais le pape ne le permit pas. Il est pour l'instant impossible
de connaître la raison de ce refus. Peut-être les Frères Uniteurs
craignirent-ils d'y perdre leur autonomie? Le titulaire du siège de
Naxivan obtint au siècle suivant, de façon régulière, le titre d'archevêque,
mais Matthieu, Frère Uniteur, est nommé ainsi dès 1438.
Les grands noms de la diplomatie dominicaine n'étaient pas
dénués de tout souci envers leurs confrères. Ainsi André Chrysobergès,
très impliqué dans les négociations entre Rome et Byzance, comme
on le verra plus loin, intervint pour obtenir des renforts pour les
missions d'Orient. Le 11 juin 1426, Martin V l'autorisa à emmener
dix frères pour repeupler les couvents de la Société63.
Ces différentes constatations à propos des missions
dominicaines peuvent être faites pour celles des frères mineurs. Souvent
concurrents et rivaux, les deux ordres sont affectés par les mêmes
difficultés. Dans les années 1320, Guillaume Saurati est venu
chercher du renfort en Aquitaine. Le 21 février 1349, Jean de Ziquie,
personnage bien connu dans les sources franciscaines mais aussi dans
le Libellus de Jean de Sultanieh, fut promu archevêque de Matrega,
nouvelle métropole latine. Ce dispositif fut complété par l'érection

61 CICO XIV, 2, n° 527.


62 L'argument des autorités génoises était que Caffa constituait «la colonne
de la chrétienté» dans ces régions orientales, J. Richard, La Papauté et les
missions, op. cit., p. 240, d'après un document édité par N. Iorga, Notes et extraits
pour servir à l'histoire des croisades, I, p. 544.
63 R.J. Loenertz, La Société II, op. cit., p. 125.
164 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

de deux nouvelles cité épiscopales, avec à leur tête des Franciscains,


puis de nouveau en 1358. Ces décisions pontificales, qui semblent
avoir été prises sans plan d'ensemble, furent la source de conflits, en
raison du chevauchement du ressort des diocèses et des métropoles.
Il semble donc bien que lorsque le pape prend des mesures pour le
développement des missions orientales, c'est sous la pression de
frères mendiants venus à la curie avec des suppliques. Dans ces
conditions, peut-on parler d'une politique pontificale en matière de
missions? Les seuls moments où une cohérence apparaît sont ceux
où la présence des missionnaires est conçue comme une partie d'un
plan d'action plus vaste de l'Occident, connectée soit avec la
croisade, soit, ensuite, lorsque la lutte contre l'Islam devient défensive,
avec la polémique théologique. Il faut donc souligner le renouveau
des missions catholiques en Orient, initié par des prêtres indigènes
dont le dynamisme est à l'origine de ces actions d'envergure.

2 - Jean, archevêque de Sultanieh

Les voyages de Jean de Sultanieh montrent combien le caractère


politique du rôle des Prêcheurs s'est affirmé avec le début du XVe
siècle. Il se rendit vraisemblablement trois fois en Occident.
Lorsqu'il alla à Rome pour la première fois, son but était essentiellement
d'améliorer les conditions de son action en Perse. Sans doute prit-il
alors la mesure de l'inconscience de l'Occident vis à vis des
problèmes de survie de sa mission, car les deux voyages suivants le
voient s'impliquer dans une mission diplomatique globale et
lointaine, dont le but était de sauver l'Orient de la menace turque.
Les archives pontificales le montrent présent à Rome de l'été
jusqu'au mois de décembre 1398. Il fut transféré en août, du siège
episcopal de Naxivan à la métropole de Sultanieh64. Quelques jours
plus tard, le pape accorda des indulgences aux fidèles qui aideraient
de leurs aumônes les religieux dominicains et franciscains en
partance pour l'Arménie et la Géorgie «où l'impie Tamerlan a détruit les
églises et réduit en esclavage beaucoup de fidèles»65. Boniface IX
ordonnait que soient excommuniés ceux qui avaient pillé l'église de
Sultanieh, si les objets dérobés n'avaient pas été restitués dans un
délai de quinze jours à partir du moment où la sentence aurait été
prononcée66. Enfin, en décembre, le pape accordait des privilèges

64 CICO XIII, 1, n° 95, nous savons la date de ce transfert (sexto kelendas sep-
tembris pontificatus Nostri anno IX) par la bulle qui nomme de l'un de ses
successeurs sur le siège de Naxivan, Stéphane de Sceczhew O.F.M.
65 CICO XIII, 1, n° 58.
66 CICO XIII, 1, n° 59. Cette lettre répond à une supplique de l'archevêque et
nous donne l'inventaire des objets qui ont été dérobés : «baculum pastoralem, mi-
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 165

aux fidèles d'Arménie majeure qui feraient l'aumône aux


missionnaires qui se préparaient à partir67. De cet ensemble de documents,
il est possible de restituer la description que Jean de Sultanieh fit de
la situation pitoyable en Arménie majeure, après le passage de Ta-
merlan. S'était-il rendu à Sultanieh, à la rencontre de ce dernier?68
L'inventaire, contenu dans la bulle pontificale, des biens dérobés par
des chrétiens «fils d'iniquité» : mobilier, objets et livres précieux,
mais également des reliques qui y avaient été déposées, peut
conduire à cette hypothèse. Il montre en effet qu'il s'agit en fait
d'une véritable mise à sac puisque tous les documents officiels
disparurent également. Cette situation exigeait des mesures purement
ecclésiastiques. Comme tous les Dominicains qui l'avaient précédé
depuis plus d'un siècle dans sa requête auprès du Saint-Siège, Jean
de Sultanieh avait obtenu des renforts pour les missions d'Arménie
et de Géorgie, en même temps qu'une restauration de la hiérarchie
avec sa nomination sur le siège de Sultanieh. Mais sa succession
s'avéra difficile à assurer comme nous l'avons vu plus haut. Cependant
ce voyage montre déjà des préoccupations politiques. En effet,
conscient de la gravité de la situation, il profita de son voyage en
Italie pour mettre en relation Venise et Gênes avec Tamerlan. Les
grandes cités marchandes lui confièrent en effet des messages pour
le khan des Tartares. Elles avaient intérêt, comme l'archevêque, au
rétablissement de la paix en Orient69, condition d'une reprise du
commerce asiatique. Les prêcheurs savaient combien avait été
précieux, dans le passé, le rôle des cités marchandes, comme Tabriz,
pour l'établissement et le développement des missions catholiques70.
Jean de Sultanieh n'était pas le seul à avoir engagé ce genre de négo-

tram pontificalem, Missale, Breviario., libros ecclesiasticos, calices, cruces altarium,


paramenta, iocalia, ornamenta ecclesiastica, pannos laneos et lineos, vestes, lectos,
lecti sterina, domorum ustensilia, litteras authenticas, privilegia, instrumenta pu-
blica, vasa aurea et argentea, Sanctorum reliquias, tura, iuridictiones et quaedam
alia bona mobilia praedecessorum suorum archiepiscoporum...»
67 CICO XIII, 1, n° 65.
68 Jean de Sultanieh rencontra au concile de Pise Thierry de Nieheim et lui
fournit toutes sortes de renseignements sur l'Orient et Tamerlan, qu'il inséra
dans son histoire du schisme. L'archevêque de Sultanieh lui montra un portrait
de Tamerlan et lui dit avoir passé une douzaine d'années à sa cour : «...Vidi enim
eius imaginem apud quendam Episcopum Catholicum qui secum plus quam
duodecim annos moram traxit...», De schismate, Bâle, 1566, III, 42.
69 Les armées de Tamerlan, passant à travers des steppes du Kiptchak, à la
poursuite de Toqtamich, avaient ravagé Sarai et Astrakan, ruinant les comptoirs
génois et vénitiens de la Tana, L. Kehren, dans son commentaire de l'édition de la
relation de l'ambassadeur de Castille, Ruy Gonzalvez de Clavijo, en mission à la
cour de Timour Beg (1403-1406), La route de Samarkand au temps de Tamerlan,
Paris, 1990.
70 Dans son ouvrage, Libellus de notitia orbis, Jean de Sultanieh mentionne, à
propos de l'Arménie, précisément les liens entre marchands et missionnaires :
166 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

ciations entre Tamerlan et les puissances occidentales. François


Ssathrou O.P., avait fait la même démarche auprès du roi de
France71. Les lettres de Tamerlan et de son fils Miranshah72 à
Charles VI indiquent que ce missionnaire avait ramené des
nouvelles de France à la cour du khan mongol et particulièrement leurs
exploits contre les Turcs73. De retour en Orient avec ses
missionnaires, Jean de Sultanieh poursuivit son action diplomatique. Il
retrouva frère François à la cour du chef mongol afin de poursuivre
son entreprise. Le projet n'était pas original : les missionnaires
cherchaient à restaurer les bonnes relations qui s'étaient établies, au
XIIIe siècle, entre chrétiens et Tartares contre les Turcs musulmans.
Pour les Prêcheurs, il était clair que l'Occident et Tamerlan avait un
ennemi commun, Bajazet. L'archevêque raconte qu'ils furent bien
reçus par Tamerlan. La requête des deux Dominicains fut d'autant
mieux accueillie que ce dernier avait besoin d'une alliance alors qu'il
s'apprêtait à attaquer Bajazet. De nombreux documents émanant de
Romanie montrent une action diplomatique mongole de grande
envergure dont le but était de constituer une flotte chrétienne afin de
contrer sur mer le puissant chef turc, alors que Tamerlan mènerait
une attaque continentale. Les Génois furent sollicités à Péra, ainsi

«...ibidem quidam fratres Predicatores cum mercatoribus iverunt ad Mas partes et


primo in Persidem et Armeniam maiorem ...»
71 A. Luttrell, Timms Dominican Envoy, dans Studies in Ottoman history in
honor to Professor V.L. Ménage, éd. Colin Heywood et Colin Imber, Isis Press,
Istanbul, 1995, p. 209-229.
72 Miranshah était le fils aîné de Tamerlan; il était responsable de toute la
Perse et particulièrement des villes de Tabriz et de Sultanieh, nous dit
l'ambassadeur de Castille Clavijo, éd. L. Kehren, La route de Samarkand, op. cit., p. 171. Les
relations étroites entre Miranshah et le frère dominicain, à travers les écrits de
Jean de Sultanieh peuvent s'expliquer par le fait qu'ils résidaient dans la même
ville alors que la résidence habituelle de Tamerlan était Samarkand.
73 Selon Sylvestre de Sacy, il s'agirait des dix mille Français envoyés au
secours de Sigismond, avant 1396. Frère François aurait précédé Jean de Sultanieh
dans sa démarche diplomatique, Mémoire sur une correspondance inédite de
Tamerlan avec Charles VI, dans Mémoires de l'académie des inscriptions et belles-
lettres, n.s. VI, 1822, p. 514-515. Il est possible que ce dominicain soit l'initiateur
du projet d'alliance entre Tamerlan et les chrétiens. Il est difficile de dire quelle
était son origine car il n'apparaît pas dans les sources ecclésiastiques et dans les
sources diplomatiques, Jean de Sultanieh est le seul à lui donner un patronyme.
Ce dernier l'a précisé en traduisant en latin les lettres de la cour mongole, qui
étaient écrites en persan. Bien que François ne soit pas usité par les Arméniens,
Sylvestre de Sacy a émis l'hypothèse de cette nationalité, il aurait pu selon lui
prendre ce prénom en entrant en religion, p. 516. A l'appui de cette hypothèse, il
faut rappeler que Jean de Sultanieh avait fait nommer son successeur sur le siège
de Naxivan, François de Tabriz (bulle du 27 août 1398), il est possible d'identifier
ce dernier avec le frère François Ssathru. Sur la discussion de cette identification,
L. Kehren, La route de Samarkand, op. cit.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 167

que l'empereur de Trébizonde et Jean VII Paléologue auquel


l'empereur byzantin, Manuel II, avait confié le pouvoir pendant son voyage
en Occident (1399-1403)74. L'empereur de Trébizonde, Manuel III,
accepta d'entrer dans la dépendance de Tamerlan au cours de
l'année suivante, en 1402. Dans le traité qu'il signa, il s'engageait à
fournir vingt galères armées contre les Turcs75.
Le second voyage de Jean de Sultanieh commença au moment
de la bataille d'Ancyre (28 juillet 1402) 76 et dura au moins deux ans,
au cours desquels il parcourut l'Europe en tant qu'envoyé de
Tamerlan, afin de développer les contacts commerciaux entre l'Occident et
l'Orient. Si cette mission paraît essentiellement diplomatique, le but
de notre Prêcheur était surtout la défense de la chrétienté. En effet,
c'est au cours de ce voyage qu'il rédigea le Libellus de notitia orbis,
qu'il dut terminer en Allemagne, en 140477. Cet ouvrage est un
manuel de géographie et d'ethnographie religieuse à l'usage des
missionnaires. L'idée de la croisade n'est pas absente, mais elle y tient
relativement peu de place. Jean de Sultanieh se rapproche
davantage de la manière de Riccoldo de Montecroce que de celle de
Guillaume Adam ou du Directorìum ad passagium faciendum. Son but
est triple : renseigner les théologiens sur les croyances des
Orientaux, réveiller chez les supérieurs et ecclésiastiques l'intérêt pour les
missions, fournir aux aspirants missionnaires une ample matière à
réflexions. Le Libellus de notitia orbis est donc le dernier témoin
littéraire de l'esprit missionnaire dominicain au Moyen Age; il montre
que malgré les guerres en Orient et la situation très troublée de
l'Eglise catholique, cet esprit était encore vivant78.

74 La lettre de Tamerlan à l'empereur grec, datée du 15 mars 1401, décrit la


mission diplomatique de fr. François entre Tamerlan, l'empereur de Trébizonde
et Byzance, la version vénitienne de cette lettre transmise par Marino Sanudo le
Jeune, Muratori, éd., Rerum Italicarum Scriptores, 32, Milan, 1733, col. 797-798.
Un marchand génois, ser Giacomo d'Orada raconta, en septembre 1402, aux
autorités vénitiennes de Candie, comment le 18 août précédent, deux ambassadeurs
de Tamerlan, fr. François et un musulman, vinrent inviter les Grecs et les Génois
à ne pas faire la paix avec Bajazet, parce qu'il attaquerait ce dernier au
printemps. L'annaliste génois, Georges Stella, évoque également cette ambassade.
Sur le récit bien connu du marchand génois, M. Balard, La Romanie génoise I,
op. cit., p. 101, bibliographie à la note 351.
75 La route de Samarkand au temps de Tamerlan, L. Kehren, éd., op. cit.,
p. 313, note 8.
76 Discussion sur la date de la bataille dans Mémoire sur Tamerlan et sa
cour, H. Moranvillé, Mémoire sur Tamerlan et sa cour, op. cit., p. 438.
77 L'aire de diffusion des manuscrits est restreinte au monde germanique,
Th. Kaeppeli, S.O.P. Medii Aevi, t. 3, op. cit., p. 18-19. Un autre argument peut
être avancé en faveur de cette thèse : l'allusion au peuplement de l'Allemagne,
exemple qu'il devait avoir sous les yeux lorsqu'il termina la rédaction de son
ouvrage, A. Kern, éd., Der Libellus notifia orbis, op. cit., p. 122, li. 35-37.
78 L'analyse du Libellus est du Père Loenertz, papiers inédits.
168 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Le voyage de Jean de Sultanieh en Occident s'inscrit dans la


continuité des contacts qui s'étaient établis, tout au long du XIVe
siècle, entre les promoteurs de croisades79. Si l'esprit a changé, le
trajet s'effectue selon le même axe, de Byzance à Londres, en
passant par Paris, Venise, Gênes et Buda. Après avoir débarqué à
Venise, à la fin de l'année 1402, où il séjourna au couvent des
Dominicains, il se rendit à Milan avec l'intention d'aller à Gênes et à Rome.
La documentation ne permet pas de dire s'il suivit son plan initial.
En revanche, son passage à Paris et à Londres est attesté par de
nombreuses sources. Il demanda, au nom de Tamerlan,
l'établissement de relations commerciales avec ces deux puissances
occidentales.
Il convient de mettre ce second voyage de Jean de Sultanieh en
relation avec ceux des Grecs qui sollicitaient une aide contre les
Turcs, l'empereur de Byzance et ses ambassadeurs, Manuel et Jean
Chrysoloras. Manuel II Paléologue fit en effet le même voyage à
Paris et à Londres de 1399 à 1403 80. Peut-être se croisèrent-ils? Lorsque
Jean de Sultanieh est à Paris, au printemps 1403, Manuel II est reçu
à Gênes par le nouveau gouverneur de la République, le maréchal
Boucicaut, sur le chemin du retour. Et il faut remarquer que c'est au
couvent des Dominicains de cette ville qu'il est hébergé pendant une
semaine, avant de se rendre à Venise, où une galère l'attend pour la
Morée et Constantinople. Cette hospitalité dominicaine pour
l'empereur des Grecs s'explique par les liens qu'il entretenait avec certains
Prêcheurs grecs de ses amis, Maxime Chrysobergès et Manuel Calé-
cas, mais aussi avec des sympathisants de la cause latine, proches de

79 Les entreprises militaires occidentales en Orient sont depuis les années


1340, soutenues par l'alliance entre le duché de Savoie, bientôt allié à Louis
d'Anjou, roi de Hongrie, et à Gênes. Après la défaite des princes chrétiens à Kossovo,
en 1389, son successeur, Sigismond, dut demander l'aide de l'Occident. Il faut
rappeler également la participation de contingents français à des expéditions,
dirigées contre les Turcs, en 1393, et en 1396, à Nicopolis. Le duc de Bourgogne,
Philippe le Hardi, avait appuyé la demande de Sigismond et envoyé un
ambassadeur, Guy de la Tremolile, à Venise, ville où se décidait l'organisation de ces
expéditions. Il faut également mentionner l'action de Philippe de Mézières, ancien
chancelier de Pierre Ier de Lusignan, et du maréchal Boucicaut, devenu ensuite
gouverneur de la République de Gênes. L'Angleterre, peu enthousiaste, envoya
elle aussi un contingent de chevaliers à Nicopolis, J. Delaville-Le Roulx, La
France en Orient au XIVe siècle, Paris, 1886, p. 57, p. 228-230. La place centrale
occupée par Venise dans ces négociations est soulignée par D.M. Nicol, dans
Byzantium and Venice, Cambridge, 1988.
80 M. Jugie, Le voyage de l'empereur Manuel II Paléologue en Occident, dans
Echos d'Orient, 15, 1912, p. 322-332; D.M. Nicol, A Byzantine Emperor in England,
Manuel's Visit to London in 1400-1401, dans University of Birmingham Historical
Journal, 12, 1971, p. 204-225.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 169

l'ordre de Saint Dominique, comme Manuel Chrysoloras. Ces


relations entre l'empereur de Byzance et les Prêcheurs furent si
importantes pour l'histoire des Dominicains auprès de la Chrétienté
grecque qu'elles seront largement évoquées plus loin.
Au début du XVe siècle, les missions diplomatiques se rendaient
donc en France et à Londres et Manuel Chrysoloras prit justement le
même itinéraire que Jean de Sultanieh entre 1408 et 1410. En tant
qu'ambassadeur de Manuel II, il entreprit à son tour de demander
au moins une aide financière aux cours occidentales. Le trajet fut
plus long que celui de l'empereur et il alla jusqu'en Espagne81. S'il est
impossible d'affirmer qu'il y ait eu des contacts entre l'archevêque
de Sultanieh et l'ambassadeur de Manuel II, il convient néanmoins
de remarquer la coïncidence des démarches, des lieux et des cercles
de relations.
D'Angleterre, Jean de Sultanieh rapportait de nombreuses
lettres que le roi Henri IV adressait aux différents princes d'Orient
auprès desquels il devait se rendre. Le roi d'Angleterre répondait à
Tamerlan, qu'il félicitait pour sa victoire contre Bajazet. Mais il
écrivit aussi au fils du khan mongol, Miranshah, en des termes
particulièrement amicaux, et par là assez étonnants. Henri IV, se fiant à
la relation que Jean de Sultanieh lui avait faite, le remerciait de la
protection et de la sécurité qu'il procurait aux chrétiens, favorisant
leur commerce. Cette courtoisie s'explique non seulement par
l'intérêt diplomatique du souverain anglais mais aussi par l'amitié qui
liait l'archevêque et le fils de Tamerlan. Jean de Sultanieh exprima à
plusieurs reprises ses espoirs dans la conversion de Miranshah au
catholicisme. Le ton de la lettre à l'empereur Manuel est beaucoup
moins amical. Si le roi d'Angleterre le remercie pour sa piété et sa
clémence à l'égard des catholiques, il dénonce, en termes fort rudes,
l'attitude des prélats grecs à leur égard. L'évêque de Sultanieh était
également porteur d'une recommandation au doge de Venise,
Michele Steno, ainsi qu'à l'empereur de Trébizonde, et au roi de
Géorgie. L'archevêque avait donc l'intention de rentrer par Venise, afin
de regagner la Perse en passant par Constantinople, Trébizonde et la
Géorgie. Mais son projet étant de partir ensuite prêcher la cause de
l'union des Eglises en Arménie et en Abyssinie, il était porteur de
messages au roi de Chypre et au prince d' Abyssinie, le prêtre Jean.
Dans son Libellus, il rappelle en effet que ces régions sont du ressort
de la métropole de Sultanieh depuis sa création par Jean XXII et
qu'il avait rencontré à Venise une ambassade de ce même prêtre

81 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines , op. cit., p. 752-


753.
170 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Jean. Les sources nous le montrent de nouveau à Venise en 1407. Il


semble donc qu'il n'ait accompli son projet qu'en partie. Il ne dut
pas dépasser les rives de la Mer Noire faute de temps.
Le troisième voyage de Jean de Sultanieh montre qu'il avait la
même analyse des problèmes de la chrétienté, en ce début du XVe
siècle, que l'ambassadeur grec. En effet, dans les années qui
précèdent le concile de Constance, il est apparu aussi bien à Manuel
Chrysoloras qu'à Jean de Sultanieh que le nœud de la question était
le schisme de l'Eglise d'Occident. Dans son Libellas, l'archevêque fait
dire à Bajazet qu'il ne craint pas de faire la guerre aux Francs tant
qu'ils ont deux papes82. Pour Jean de Sultanieh, la division de
l'Eglise d'Occident est cause de sa faiblesse. Il ne semble pas qu'il ait
reçu de mission de quiconque, mais ses différents contacts
diplomatiques lui apprirent sans doute que son action devait se centrer sur
les questions ecclésiologiques.
Il passa donc ce troisième séjour en Occident entre les
cardinaux du concile de Pise et les puissances politiques capables de
mettre en œuvre l'union de tous les chrétiens. Jean de Sultanieh
débarqua à Venise et s'installa quelque temps au couvent Saints- Jean-
et-Paul, appartenant aux Dominicains. Sa présence est attestée dans
une charte, qu'il signa, accordant des indulgences aux tertiaires
dominicaines de Venise. Il était très lié à Thomas Caffarini O.P., un
disciple de Catherine de Sienne, qu'il avait aidé à préparer le procès
en canonisation de la sainte au cours de son séjour précédent83.
Pendant qu'il était en Italie, des négociations étaient en cours afin de
mettre un terme au Grand Schisme. En 1408 Jean de Sultanieh se
mit au service d'un groupe de cardinaux des deux obédiences,
siégeant à Livourne puis à Pise. L'objectif était de provoquer la réunion
d'un concile et l'archevêque parcourut de nouveau l'Europe afin
d'inviter les princes et les prélats à envoyer des délégations. Là
encore, les destinataires des lettres dont les cardinaux le chargèrent
permettent de reconstituer son itinéraire. Il se rendit d'abord auprès
de Sigismond, puis prit la route de Constantinople en passant par la
Valachie et la Moldavie. Il était porteur d'un groupe de convocations
pour le concile, dont l'ouverture était fixée au 25 mars 1409. Cet
ensemble de documents étaient datés du 18 septembre 1408, et il dut

82 « Usque quo isti Franki habent duos papas, non timeo eis facere gwerram,
sed quando erit unus, tune oportet facere pacem cum eis»., A. Kern, éd., Der Libel-
lus de notitia orbis, op. cit., p. 100, li. 101-102.
83 II faut remarquer que Manuel Chrysoloras recommanda, lui aussi, le tiers
ordre dominicain de Venise au pape Innocent VII et à Ange Correr, patriarche
latin de Constantinople, comme l'indiqua Thomas Caffarini lorsqu'il déposa au
procès en canonisation de Catherine de Sienne, le 20 juin 1412, M. H. Laurent
O.P., Il processo castellano, in Fontes vitae S. Catharinae Senensis Historici, 9,
Milan, 1942, p. 74, p. 7-14.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 171

partir peu après. La lettre destinée aux prélats donne l'importance


de la région dont il était chargé : elle est en effet adressée aux «domi-
nis patrìarchis, archiepiscopis et episcopis parcium Orìentalium et
Aquilonarium, Gasane, Cornante ac Romanie... eorumque capitu-
lis...» Cet ensemble de régions correspond tout à fait au ressort de la
Société des Frères Peregrinante, dont il était un eminent
représentant. C'est ainsi qu'il porta une lettre à Mircea et à Alexandre, voï-
vodes des deux Valachies. Le fait peut paraître étrange si l'on
considère la modestie de ces états nouvellement constitués et si l'on se
souvient de la faible influence de l'Eglise catholique dans la Valachie
de Mircea. Mais les cardinaux, informés par l'archevêque de Sulta-
nieh, avaient pris en compte les changements politiques intervenus
dans cette région et l'autonomie nouvelle des principautés
danubiennes. Ces nouveaux états étaient donc entrés dans le concert des
nations dont la présence à une réunion de l'Eglise universelle était
nécessaire. C'est en effet Jean de Sultanieh qui fut le concepteur de
sa mission en Europe centrale, elle entrait dans une stratégie
d'ensemble dont le but était de sauver la chrétienté. Il apporta à
l'empereur Manuel II, outre la convocation au concile, une lettre, datée du
1er septembre, lui demandant sa collaboration dans la mise en œuvre
d'un processus qui amènerait la réunion des Eglises d'Orient et
d'Occident. Pour l'archevêque de Sultanieh, le concile devait mettre un
terme aux deux schismes en même temps.
Cette entreprise fut un échec car aucun des princes pressentis
n'envoya de délégation au concile de Pise. Le délai était trop court,
Jean de Sultanieh arriva à Constantinople peu avant le début du
concile, la bataille d'Ancyre avait desserré l'étau turc et Manuel II
était peu empressé de traiter un problème aussi délicat que celui de
l'union des Eglises.
Jean de Sultanieh rentra à Pise le 2 avril 1409 et y demeura
jusqu'à la clôture du concile, le 27 juin 1409. Il semble n'être pas rentré
en Orient : en effet, les sources attestent sa présence en Europe
centrale, à Brasov, le 26 juillet 140984, et à Lwow, le 12 février 141285.
Entre temps il fut nommé par Jean XXIII administrateur de Kham-
baliq (Pékin), et il est possible qu'après avoir repris contact avec
Manuel II à la fin de l'année 140986, il soit retourné en Italie en 1410,

84 Source mentionnée par N. Iorga, Histoire des Roumains, III, p. 388, note
3, éd. Urkunden zur Geschichte der Deutschen in Siebenbürgen, III, 1904, n° 1635.
85 R.J. Loenertz, Evêques dominicains def deux Arménies, dans AFP, 10, 1940,
p. 268.
86 Manuel II envoya des lettres de félicitations au nouveau pape élu
Alexandre, et des documents accréditant son ambassadeur, Jean Chrysoloras, H. von Si-
monsfeld, Analekten zur Papst und Konzilgeschichte im 14 und 15 Jahrhundert,
dans Abhandlungen der hist. Kl. der kön. bayerischen Akademie der Wissenschaf-
172 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

date de cette nomination. Il dut mourir peu après car, ensuite, les
sources deviennent complètement silencieuses à son sujet.
Le séjour à Brasov, en Transylvanie, montre qu'il dut reprendre
le même trajet de retour que lors de ses précédents voyages de 1404
et 1408, empruntant l'axe commercial majeur assurant la liaison
entre la Hongrie et la Mer Noire. Brasov était une des principales
étapes de cette route87. Il devait séjourner au couvent des Prêcheurs
de Licostomo, avant de s'embarquer pour Constantinople. Ce
document est riche d'informations sur la situation religieuse de ce gros
marché. La communauté catholique était nombreuse et ses séjours
réguliers lui avaient permis d'y nouer des relations amicales. Le
document de juillet 1409 est une charte d'indulgences en faveur de la
fraternité du Corps du Christ, qui avait fait construire un autel dans
l'église Sainte-Marie. Jean de Sultanieh accorda aussi des
indulgences, en 1412, aux fidèles visitant l'église des Prêcheurs de Lwow.
Sa présence dans cette ville s'explique très bien car Lwow était un
marché important, sur une autre route commerciale assurant la
liaison entre l'Europe centrale et la Mer Noire. Il demeurait très
certainement au couvent des Dominicains appartenant à la Société des
Frères Peregrinante. La commodité de ces routes commerciales,
momentanément devenues sûres, n'explique cependant pas totalement
les séjours de Jean de Sultanieh dans ces villes d'Europe centrale. Il
faut certainement les replacer dans le cadre du développement des
relations diplomatiques entre les puissances chrétiennes, Hongrie,
Pologne, Lituanie, Valachie, Moldavie, qui devaient assurer la
défense de l'Europe centrale et celle de l'empire byzantin. Cependant
sa nomination comme administrateur de la métropole de Chine,
deux ans auparavant, montre qu'il tenait toujours à son projet d'é-
vangélisation de l'ensemble de l'Orient. Dans les documents
diplomatiques dont il fut l'inspirateur sinon l'auteur, il est toujours
désigné comme archevêque de Sultanieh, c'est à dire d'Orient88. C'est

ten, 20, Munich, 1893, p. 1-57, lettre éditée p. 45-46. Il est possible de penser que
Jean de Sultanieh avait informé l'empereur grec de cette élection.
87 Sur l'importance de l'étape commerciale de Brasov, S. Papacostea, Kilia et
la politique orientale de Sigismond de Luxembourg, dans Revue roumaine
d'histoire, 15/3, 1976, p. 425-427. Le thème général de cet article permet à son auteur
de montrer les efforts déployés par Sigismond pour assurer la sécurité des
marchands sur cette route reliant la Hongrie à la mer Noire, nécessaire à
l'acheminement des produits orientaux vers son royaume, Venise contrôlant la côte
Dalmate.88 Dans les bulles pontificales, il| est désigné par les termes habituels : «Ioan-
nis archiepiscopi Soltaniensis » , CICO XIII, 1, n° 59, 65; «Iohanni archiepiscopo
Soltaniensi, administratori in spiritualibus et temporalibus ecclesiae Cambaliensis »
dans la bulle de nomination de Jean XXIII, CICO XIII, 2, n° 119. Alors que dans
les traductions latines des lettres de Tamerlan, celles qui émanent de la cour de
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 173

ainsi qu'il se définit aussi dans son Libellus, où, comme nous l'avons
vu plus haut, il a soin de rappeler que le ressort attribué par Jean
XXII à la métropole de Sultanieh couvre l'ensemble des régions
d'Orient, jusqu'aux sources du Nil89. Mais il indique aussi que
l'archevêque de Khambaliq, Charles de France O.F.M., est décédé depuis
longtemps et comme il n'a pas été remplacé, il exprime le désir de
rejoindre son nouveau siège90. Nommé administrateur de Pékin,
sans doute avait-il envisagé un grand voyage en Orient depuis Lwow
car, dans un autre passage du Libellus, il dit que la route la plus
courte pour aller en Chine passe par Moscou91. Excellent
connaisseur des affaires de l'Orient, dont il était originaire, ses voyages en
Italie et en Europe centrale lui donnèrent une vision d'ensemble des
problèmes de la chrétienté de son temps. Très impliqué dans la
défense du christianisme oriental, comme plusieurs de ses
contemporains, il tenta tout pour mettre fin aux schismes, condition d'une
entreprise commune contre les Turcs. A la fin de sa vie, conscient qu'il
ne pouvait rien faire de plus en Occident, il pensa qu'il ne lui restait
plus que l'œuvre de prédication à laquelle il était voué. Il était sur le
point d'embrasser de son œuvre tout l'Orient lorsqu'il fut surpris par
la mort.

3 - Théodore et André Chrysobergès en Pologne

Si leur action principale se situe essentiellement dans le projet


d'union des Eglises, ils exercèrent les fonctions de vicaire général de
la Société des Frères Pérégrinants et, à ce titre, firent de fréquents
voyages en Pologne. Ils surent faire apprécier du roi de Pologne, La-
dislas Jagellon, leurs combats contre les schismes. Il suffira de
souligner que Théodore, vicaire général des Pérégrinants, fut
recommandé par Ladislas Jagellon au concile de Constance. Le frère
Prêcheur était venu en Pologne de sa propre initiative et avait
proposé au roi de s'impliquer dans certains projets visant au
développement de la foi catholique; le texte fait précisément allusion aux Ru-
thènes orthodoxes. Le Dominicain était venu le trouver avec la

France (Sylvestre de Sacy, Mémoire sur une correspondance inédite, op. cit.,
p. 474, p. 478-480, p. 521-522) comme de celle d'Angleterre (Royal and Historical
Letters during the Reign of Henry IV, Rerum Brit. med. aev. SS., I, Londres, 1860),
ou du comité cardinalice de Pise (J. Vincke, Briefe zum Pizaner Konzil, Bonn,
1940, p. 94, p. 231-236), il se dit «archiepiscopus orientisi ou «. archiepiscopus Sol-
taniensis seu orientisi ou encore «archiepiscopus totus orientisi). Il en est de
même pour la charte d'indulgence de Brasov et pour le Libellus.
89 Libellus de notitia orbis, éd. A. Kern, op. cit., p. 121, li 36-37.
90 Ibid., p. 119, li 11-16.
91 Ibid., p. 105, li 5.
174 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

commandation de nombreux princes chrétiens92. Le P. Loenertz


mettait la démarche de Théodore Chrysobergès en relation avec une
ambassade grecque venue en Pologne demander un secours en
céréales et pensait que parmi les princes chrétiens le recommandant
pouvait figurer Manuel II ou son fils. Cette hypothèse est très
vraisemblable de même qu'un contact entre Théodore et les
ambassadeurs grecs. On est aussi en droit de penser que sa fonction à la tête
de la Société lui avait permis de rentrer en relations avec un certain
nombre de personnes, princes ou religieux, et que, grâce à ces
relations, il avait une excellente connaissance du contexte politique
dans lequel pouvait se conclure l'Union. S'il est difficile de
déterminer quels étaient ces princes, cette démarche personnelle de frère
Théodore montre que les Prêcheurs d'Orient étaient devenus au XVe
siècle des agents diplomatiques incontournables dans les relations
entre Rome et Byzance, celles-ci passant par l'Europe centrale
depuis leur implantation en Ruthénie, Podolie et Moldavie. Il est tout à
fait possible que Théodore Chrysobergès soit intervenu dans les
négociations entre les Pères du concile de Constance et le métropolite
de Kiev, Grégoire Camblak, venu discuter de l'Union93. Frère
Théodore demandait la réunion d'un concile œcuménique, ce qu'il
essaiera d'obtenir quelques années plus tard à Florence.
C'est avec le même objectif d'Union qu'André Chrysobergès
assistait à la conférence de Luck, en tant que légat pontifical. Ce
congrès constitue l'une des plus importantes rencontres survenues
en Europe orientale à la fin du Moyen Age. Organisée par Sigismond
de Luxembourg, en mars 1429, elle réunissait le roi de Pologne, La-
dislas, et le grand-duc de Lituanie, Witold94. Le thème général de la
conférence devait être l'union des Eglises et la sécurité de la
chrétienté sous l'autorité pontificale. Les lettres, que Martin V envoya à
Ladislas et à Witold (Alexandre), indiquent quelle était la mission
spécifique du légat pontifical. Il devait demander l'intervention des
deux princes contre les Hussites de Bohême. Le développement de

92 R. J. Loenertz, Les dominicains byzantins Théodore et André Chrysobergès et


les négociations pour l'union des Eglises grecque et latine de 1415 à 1430, dans AFP
9, 1939, p. 5-61 et p. 338.
93 Grégoire Camblak avait été élu métropolite de Kiev le 15 novembre 1415
par les évêques de Lituanie et avec le soutien du grand-duc Witold. Grégoire
Camblak partageait sans doute les idées de son oncle Cyprien, métropolite de
Kiev, décédé en 1406. Ce dernier avait élaboré un projet d'Union en 1396. Le
soutien de Witold s'explique par son projet de construire une Eglise lituanienne
autonome par rapport au patriarcat œcuménique et plus proche de Rome. Il avait
fait emprisonner le successeur de Cyprien, Photios, sans doute opposé à ce
rapprochement.
94 Z.H. Nowak, Kaiser Siegmund und die polnische Monarchie (1387-1437),
dans Zeitschrift für Historische Forschung, 15, 1988, p. 423-436.
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 175

l'hérésie comportait un danger non seulement pour l'Eglise mais


aussi pour la sécurité de la région. Sigismond avait hérité de la
Bohême depuis la mort de Wenzel en 1419, mais il lui fallait d'abord
conquérir la région à un moment où se développait ce foyer
d'hérésie. En 1420, les Hussites avaient offert la couronne de Bohême à La-
dislas, qui l'avait refusée, mais Witold avait en quelque sorte
accepté, envoyant son neveu Sigismond Corybut comme chef d'état à
Prague. Martin V et le cardinal Zbigniew Olesnicki, évêque de Cra-
covie95, avaient obligé le roi de Pologne et le grand-duc de Lituanie à
cesser de soutenir les Hussites. Cependant il entrait dans le jeu
diplomatique de la monarchie polono-lituanienne de faire durer
l'opposition de la Bohême pour affaiblir Sigismond. Elu empereur
depuis 1411, celui-ci avait des prétentions à la mesure de son titre :
réaliser l'unité de la chrétienté, c'est à dire mettre fin au schisme
d'Occident, créer une ligue anti-turque et conclure une union entre
l'Eglise de Rome et l'Eglise orthodoxe. Pour réaliser les deux
derniers buts qu'il s'était fixé, une entente avec Ladislas Jagellon était
nécessaire. Mais ses projets sur le plan régional étaient souvent en
contradiction avec son grand dessein européen. La mise en place des
états d'Europe centre-orientale et de leurs frontières pouvait lui
permettre de jouer le rôle d'arbitre entre les chevaliers teutoniques et la
Lituanie pour la possession de la Samogitie, entre la Moldavie et la
Pologne pour le contrôle des bouches du Danube. En 1429, le
problème hussite était au centre des préoccupations pontificales mais il
aurait fallu mettre en place des projets concrets d'union religieuse et
de ligue contre les Turcs. Cependant Sigismond privilégia son plan
personnel de réorganisation de l'Europe centre-orientale au
détriment du grand dessein de l'unité et de la défense de la Chrétienté96.

95 Les évêques de Pologne au XVe siècle appartenaient à la fois aux élites


intellectuelles et à la sphère du pouvoir et jouissaient d'une position importante
dans l'Eglise et dans l'état. Zbigniew Olesnicki est l'une des personnalités les plus
eminentes de la vie intellectuelle et politique de la Pologne au XVe siècle. Grand
humaniste et ami d'Eneas Piccolomini, il dirigea la politique de son pays pendant
des années. J. Kloczowski, L'Italie et les cultures des élites ecclésiastiques de la
Pologne au XVe siècle, dans Italia, Venezia e Polonia tra Medio Evo e Età moderna,
Florence, 1980, p. 149-164.
96 Ο. Halecki, Jadwiga of Anjou, op. cit.; S. Papacostea, Kilia et la politique
orientale de Sigismond de Luxembourg, dans Revue roumaine d'histoire, 15/3,
p. 429-430. Sigismond évoqua cependant ce problème de l'Union à la conférence
de Luck. Dans son article, Byzance et la croisade au Bas-Danube, de la même
revue, cet auteur cite et traduit un texte très intéressant. Il s'agit d'une déclaration
de Sigismond manifestant sa tolérance à l'égard des chrétiens de rite oriental. Ce
texte a été rapporté par Jan Dlugosz, historien polonais qui assistait à la
conférence, Revue roumaine d'histoire, 30, Bucarest, 1991, note 35, p. 15. S. Papacostea
pense que Sigismond est à l'origine du changement de terminologie concernant
la fin du schisme grec, remplaçant reductio par unio.
176 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

André Chrysobergès rentra au début de l'été 1429, comme l'indique


le compte rendu, daté de Rome, qu'il fit de sa mission au cardinal
Julien Cesarini97, le 16 août 1429, et qui retrace en détail toutes ses
démarches. Il assista probablement à la conférence de Luck, car il
dit que c'est là que Sigismond promit la couronne à Witold. Il fait
ensuite état des négociations laborieuses qu'il dut mener pour
rétablir une entente entre les princes dans le but de convoquer une
armée contre les Hussites. Il évoque ensuite son retour par la Silésie,
que les Hussites avaient envahie. L'imminence du danger l'obligea à
reprendre les négociations afin que l'armée polono-lituanienne soit
convoquée le plus vite possible. Lettres et ambassadeurs furent
échangés entre Witold, Ladislas et la légat pontifical. Mais le climat
de défiance était tel que lorsqu'André Chrysobergès rentra à Rome,
il n'avait pu obtenir que des promesses. Ce document montre
combien il dut s'impliquer dans les délicats problèmes de l'Europe
centrale. La question de la participation des souverains de Pologne
et de Lituanie passait par la fin du conflit que Sigismond avait
provoqué entre eux. Ce dernier avait proposé à Witold son
couronnement comme roi de Lituanie, or, comme l'indique André
Chrysobergès dans son rapport, Ladislas considérait la Lituanie comme
appartenant au royaume de Pologne. Le légat pontifical conseilla donc
qu'un légat spécial apportât une lettre à Sigismond lui demandant
d'ajourner ce projet de couronnement du grand-duc de Lituanie.
Si, dans son compte-rendu André Chrysobergès met en valeur
son action diplomatique, ce document n'en montre pas moins un
Dominicain aux prises avec des problèmes politiques et militaires
inextricables. Après la conférence de Luck, sur le chemin du retour,
il passa tout près d'un monastère polonais qui avait été pillé par les
Hussites98. Confronté aux horreurs de la guerre, il avait alerté
Ladislas sur le danger que ces hérétiques faisaient peser sur son propre
royaume. Il s'en suivit un échange de lettres entre lui et les
souverains de Pologne et de Lituanie. De nombreux détails pittoresques
manifestent l'authenticité de son témoignage de diplomate tentant
de concilier deux parties dont les relations étaient pleines de
défiance99, chacune craignait que l'autre n'utilisât l'armée réunie

97 A. Prochaska, éd., Codex epistularis Witoldi, magnis ducis Lithuanie (1376-


1430), Cracovie, 1882, p. 855-858.
98 «Cum itaque habita hac responsione redirent, interim Hussite qui Slesiam
proximam provinciam regno Polonie eo tempore occupabant, clam et furtim
ingres i regnum Polonie, quoddam famosissimum monasterium spoliarunt, ablato auro
et argento in magna summa. Eram ego proximus itti monasterio forte ad sex milia-
ria, nam redeunde (sic) de Litwania versus has regiones, fuit necessarium per
confina illa transire».
99 «Apud antedictum ducem [Witoldum] quidem autem aures puisant, cautum
ipsum facientes, ne adversus Hussitos iens et transitum per regnum Polonie fa-
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 177

contre les Hussites pour l'agresser. André Chrysobergès donne aussi


des informations militaires, mettant en valeur l'aptitude des troupes
que Witold pouvait réunir contre les Hussites100.
En 1431, une seconde mission diplomatique lui fut confiée par le
nouveau pape, Eugène IV. Il arriva à Cracovie le 24 décembre 1431,
chargé d'inviter une délégation polonaise au concile de Bàie. Mais sa
mission prit rapidement, comme la précédente, un tour très
politique car il fut envo} ; par le cardinal Zbigniew Olesnicki, évêque de
Cracovie, en Prusse et en Lituanie, afin de concilier les différentes
parties aux prises dans le contrôle de l'Europe centre-orientale. La
mort de Witold en 1430 avait rendu la situation encore plus tendue,
son successeur Swrigiello, un frère de Ladislas Jagellon, à la tête de
la Lituanie, permettant à Sigismond de réactiver son système
d'alliance visant à l'encerclement de la Pologne. Le nouveau grand-duc
de Lituanie avait une volonté d'autonomie plus affirmée encore que
celle de Witold vis à vis de la monarchie polonaise et il s'allia aux
chevaliers teutoniques et à Sigismond contre la Pologne. Dans la
lettre qu'il écrivit au cardinal Julien Cesarini, président du concile
de Bâle, l'évêque de Cracovie évoque la mission qu'il a confiée à
André Chrysobergès et donne toute la gravité de cette situation et ses
conséquences religieuses. Il dénonce l'alliance des hérétiques et des
schismatiques contre le catholicisme : Hussites de Bohême,
Lituaniens et Moldaves. Swrigiello avait, en effet, renoué avec les
hérétiques tchèques101. Zbigniew Olesnicki dénonce également l'alliance
entre le grand-duc de Lituanie et le voïvode de Moldavie, tous les
deux schismatiques et laissant se développer l'hérésie hussite dans

dans, quod fieri erat necesse, a rege Polonie caperetur aut aliter sinistre tractetur.
Quod ita factum fuisse aliqui mihi dixerunt. Aperte ego cognovi per Hueras eiusdem
principis ad me scriptas, in quibus narrât, se cum tota sua potencia adversus Hus-
sitos esse paratum, sed dubitare nee satis admirari [posse], cur dominus rex
Polonie cum Hussitis fréquentes collocaciones habeat».
100 «...dux magnus Witoldus cum plurimus orientalibus gentibus cum maxime
Tartans ac Ruthenis, Poloni vero cum suis quos patentissimos et ad bella aptissi-
mos haberent nee in pauco numero astarent . . .» .
101 Lettre de l'évêque de Cracovie au cardinal Cesarini, Codex epistularis sae-
culi XV, II, Cracovie, 1891, p. 289 : «Non tantum enim timendum erit ab unaparte
de hereticis Bohemie, si hec gwerra duraverit, sed magis ab hereticis et schismaticis
Ruthenis ftdem Grecorum sectantibus, qui inter se videntur de multis articulis,
videlicet communione utriusque speciei, paupertate cleri et aliis multis supersticioni-
bus, concordare cum Bohemis, et sunt unius ydiomatis. Multi edam inter eos nun-
cii frequenter percurrunt, et novissime detentus est in regno Polonie unus nuncius
duds Sigismond Coributhi apud Bohemos commorantis, cuius fratres germani et
fere totum genus patemum et maternum sunt cum duce Switrìgallo in Lythuania
ritu schismaticorum viventes, cum Htteris favorabilibus ad exercitum Taboritarum
et ipsum ducem Sigismondum, per cuius medium hec omnia dirigunt...».
178 POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

leurs domaines. A tel point que l'évêque de Moldavie lui écrivit pour
demander aide et conseil102.
Ainsi André Chrysobergès, envoyé du pape en Europe centre-
orientale pour des questions religieuses, la croisade contre les
Hussites et la convocation du concile de Bâle, fut-il conduit à régler des
problèmes purement politiques, touchant à la mise en place des
états de l'Est de l'Europe centrale. Cette évolution de sa mission est
due à des initiatives locales. En 1429, André Chrysobergès avait pris
l'initiative de chercher les solutions propres à restaurer la concorde
entre Jagellon et Witold. Vicaire général de la Société des
Peregrinante, et par là, responsable des couvents de Ruthénie, Podolie et de
Moldavie, il connaissait bien les rivalités politiques de la région,
c'est pourquoi l'évêque de Cracovie put lui confier une autre mission
diplomatique. Si le nonce apostolique dut rentrer à Rome pour
poursuivre cette mission, car les moyens dépendaient du pape, les
solutions avaient été élaborées sur place. Il faut remarquer aussi que
l'un de ses interlocuteurs à Rome est le cardinal Julien Cesarini,
responsable de la question hussite. C'est ce dernier qui prit le
commandement de la croisade en Bohème, le 1er janvier 1431.
La route continentale continua d'être le chemin diplomatique
obligé des Dominicains entre Byzance et Rome. Bien que difficile,
cette route fut choisie par deux évêques génois de Caffa : Jacques
Campora et Jérôme Panissari. Le premier laissa deux discours à
Graz et à Buda, montrant que le plan global de lutte contre les
Turcs, tel que l'avait élaboré André Chrysobergès était encore
d'actualité. La réconciliation de la Pologne avec la Hongrie était le
préalable nécessaire à la mise sur pied de la ligue anti-ottomane.
En conclusion : ces allées et venues des Prêcheurs entre Orient
et Occident manifestent de leur part une solution globale à la
présence des schismatiques. Leur apostolat auprès des communautés
devait être aussi efficace que possible et cela nécessitait des effectifs
missionnaires conséquents mais aussi une organisation efficace de
leur congrégation. C'est pourquoi ils négocièrent et obtinrent, à
plusieurs reprises, la restauration de la Société des Frères Peregrinante,
qui offrait la souplesse nécessaire à cette efficacité. Il leur fallait éga-

102 Lettre de l'évêque de Cracovie, Ibid., p. 290 : «Est eciam duce predicto
Switrigal et Ruthenis in liga quidam woyevoda Moldawie alias Walachie de Molda-
wia, potens schismaticus, omagialis et subditus régis nostri et regni, quem eciam
novissime predictus dux ab obediencia domini régis abstraxit promissis suis vanis,
et signanter, quod velit sectam et ritum eorum extollere, qui eciam dominum regem
nostrum diffidavit, non habens aliam causant, preterquam quod dicit ipsum
dominum nostrum regem et suos vette eorum fidem destruere; et hic univit se eciam cum
Thurcis, quibus conftrmavit dominia sua hac intencione...; et quod periculosius
est, admisit in dominio suo quendam sacerdotem religiosum de ordine Minorum
sectam Hussistarum publice predicare et docere...».
LES DOMINICAINS DANS LES RELATIONS ROME-BYZANCE 179

lement une Eglise structurée capable d'assurer l'encadrement


indispensable aux nouveaux convertis comme aux communautés
latines présentes dans les cités marchandes où ils s'étaient installés. Ils
bénéficièrent bien sûr des nouveaux sièges épiscopaux créés, mais,
la plupart du temps, les revenus de ces diocèses ne leur assuraient
qu'une existence matérielle précaire, surtout lorsque la région était
dévastée par les Turcs ou les Mongols. Or ils avaient conscience que
leur mission ne pouvait s'arrêter à cet aspect purement
ecclésiastique de leur action. A partir de la fin du XIVe siècle, les
missionnaires sont très souvent originaires des régions où ils exercent leur
ministère, ils sont très impliqués dans les problèmes politiques de
leur temps et l'urgence du danger turc est pour eux éclatante
d'évidence. Non seulement ils viennent en Occident pour le dénoncer,
mais ils agissent directement auprès de tous les princes qui
pourraient intervenir pour aider Byzance et l'Orient dans sa défense.
Enfin ils sont très conscients que cette lutte pour sauver la chrétienté
orientale ne peut aboutir que si l'on met fin aux schismes. En effet le
grand schisme de l'Eglise d'Occident affaiblit la pouvoir pontifical et
empêche la restauration de l'unité dogmatique de la Chrétienté.
Ainsi, lorsqu'ils viennent en Italie, ils agissent sur les deux plans
simultanément.
TROISIÈME PARTIE

UNE MÉTHODE DOMINICAINE,


PRÊCHEURS ET POLÉMISTES
Ainsi que nous venons de le voir, les Prêcheurs missionnaires en
Orient se sont complètement impliqués dans les projets d'aide
financière et militaire en faveur de l'empire byzantin. Grâce à une
connaissance particulière des régions dont ils assuraient l'apostolat,
ils ont pu, sollicitant très souvent le Saint-Siège, mettre en œuvre
des projets globaux, où politique et diplomatie eurent une large part.
Mais ils ne négligèrent jamais pour autant le principal but de leur
mission : la conversion des communautés de rite grec et la réunion
de l'Eglise byzantine à l'obédience de Rome. Sur ce plan là aussi, il
convient de remarquer les caractères originaux de la méthode
dominicaine. Si les sources ne mettent guère en évidence le rôle de
prédicateurs joué par les Dominicains en Orient, leur production
littéraire en fait des polémistes de talent.
Il est vrai que les sources ne montrent pas les Dominicains,
missionnaires en Orient, prêchant devant des foules de chrétiens. Mais
elles permettent de mettre en évidence des conversions au
catholicisme, principalement dans les élites. Les convertis formèrent
souvent des groupes influents et des communautés, peut-être peu
nombreuses, mais dynamiques. Cette action des Prêcheurs visaient
à la constitution d'Eglises catholiques indigènes, politique toujours
d'actualité dans les missions dominicaines.
Jit

CHAPITRE I

LA CONVERSION DES ÉLITES

La grande réussite des missions dominicaines en Orient fut sans


nul doute la constitution d'une Eglise uniate arménienne. Un long
exposé sur ce sujet nous entraînerait trop loin de la chrétienté
grecque1. Mais il convient cependant de la mentionner ici en raison
des liens étroits entre les Frères Uniteurs et l'ordre de Saint
Dominique. Ils appartenaient à la Société des Frères Peregrinante et son
vicaire général assurait le contrôle disciplinaire de leurs couvents.
De plus, nous avons vu plus haut combien il était difficile de les
distinguer des Prêcheurs dans les sources pontificales2. Nombre d'entre
eux cherchèrent à intégrer l'ordre de Saint Dominique et allaient
compléter leurs études de théologie dans les studia dominicains
d'Italie3.
Enfin nombreux furent les Frères Uniteurs qui assurèrent une
présence solide et durable du catholicisme en Orient. Nous avons vu
plus haut combien ils avaient été présents dans la hiérarchie latine
en Géorgie, Perse et Arménie et comment leurs interventions à la
curie avaient permis le renouveau des missions d'Orient.
L'abondance des sources sur les débuts de la communauté
uniate de Qrna est à la mesure de son succès. Celles-ci donnent un
bon exemple de la méthode dominicaine, qui s'adresse à l'élite
intellectuelle et organise un centre d'études au monastère de Qrna. Ce
Studium se consacra à la traduction en arménien des ouvrages
nécessaires à la formation de novices. A cette tâche s'attachèrent deux
missionnaires occidentaux, Pierre d'Aragon et Jean de Swinford,
aidés par les frères Barthélémy de Poggio et Jean de Florence. Mais
dès le début, un Frère arménien se joignit à eux, Jacques Targman,
dont le surnom signifie le traducteur4.
Un programme similaire fut mis en œuvre dans le domaine grec
dès le début du XIVe siècle avec les traductions de l'œuvre de Saint

321 Les
Cet
Supra
exposé
actes
notes
dufera
maître
83 et
l'objet
84,
général
p.d'une
140.Raymond
prochainede publication.
Capone, dans MOPH XIX, p. 220-
223.
4 Pour l'ensemble de l'œuvre de traduction réalisée par les Prêcheurs
d'Arménie : M.A. van den Oudenrijn, Linguae Haicanae, op. cit.
186 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Thomas par Guillaume Bernard de Gaillac. Si le succès peut


apparaître de moindre ampleur, les Dominicains grecs de Constantinople
et les prêtres uniates de Crète n'en sont pas moins les témoins de
cette Eglise catholique grecque que les Prêcheurs ont tenté
d'implanter dans le monde byzantin5.

1 - Conversions constantinopolitaines

La prédication dominicaine toucha avant tout l'élite byzantine,


provoquant un décalage entre les officiels et les intellectuels d'une
part, et l'ensemble de la population d'autre part. S'agit-il d'une
«ingénuité missionnaire», pour reprendre l'expression de
M. H. Congourdeau6, ou plutôt d'un plan établi? La conversion de
l'empereur et de son entourage ne pouvait-elle pas permettre le
ralliement de l'ensemble de la population, le rôle des intellectuels
pouvant être d'expliquer la nécessité de mettre fin au schisme
grec?
Comme en Arménie, le XIVe siècle fut à Constantinople une
période favorable au développement de l'influence dominicaine. Le
contexte politique était en effet à un renforcement des relations
entre Rome et Constantinople car la menace turque exigeait une
aide militaire occidentale de plus en plus urgente. De plus on assiste
à une nouvelle renaissance culturelle et artistique à Byzance à la fin
du XIIIe siècle et au début du suivant et à une ouverture à l'influence
de l'Occident. Dans ce double contexte politique et intellectuel, les
Prêcheurs de Péra pouvaient jouer un rôle important. Ils étaient en
effet, comme nous l'avons vu à plusieurs reprises, les agents
privilégiés du Saint Siège auprès des instances politiques, en même temps
que des promoteurs de la culture occidentale, en particulier de ΓΑ-
ristotélisme tel qu'il avait été repensé par l'université et Saint
Thomas. Dans ce double rôle, l'influence dominicaine porta
essentiellement sur l'élite politique et intellectuelle.

5 Les prêtres uniates de Crète, voir infra, chapitre IV de la dernière partie, 6)


Après l'Union des Grecs.
6 II ne me semble pas que l'on puisse parler «d'ingénuité missionnaire»,
comme l'a fait Madame Congourdeau, dans sa Note sur les Dominicains de
Constantinople, dans REB, 45, 1987, p. 181, mais bien d'une stratégie de la
conversion : amener l'élite à la vérité de l'Eglise romaine afin que son influence
sociale, politique et intellectuelle permette la conversion de l'ensemble de la
population. L'œuvre polémique des Prêcheurs de Péra visait ce but.
LA CONVERSION DES ÉLITES 187

Le XIVe siècle connut une alternance de moments d'intense


activité diplomatique entre Rome et Constantinople et de coups d'arrêt,
mais la pression turque rendit indispensable la quête d'une aide
militaire des Latins et l'ouverture de Byzance à l'Ouest devint
inéluctable. Le concile de Lyon II (1274) avait permis un rapprochement
momentané des deux Eglises et, malgré la réaction antilatine du
règne d'Andronic II, 'es contacts n'avaient pas été rompus entre les
Grecs et les Prêchei; s de Péra. Dès la fin de son règne, un échange
d'ambassades permit une timide relance des négociations entre
Rome et Byzance. Les liens entre la famille de Savoie et la cour
byzantine favorisèrent un puissant mouvement en faveur d'une action
militaire occidentale contre les Turcs. Si la prise du pouvoir par
Jean Cantacuzène en 1347 eut pour conséquence un nouveau coup
d'arrêt officiel des négociations entre les deux capitales, il ne fut
qu'apparent, commandé par la conjoncture intérieure. Avec le règne
de Jean V Paléologue, commença en 1355, une vigoureuse reprise de
la politique unioniste dans le cadre d'une mise en place de relations
diplomatiques entre l'empire grec, d'une part, et un triangle Rome -
Buda - Chypre, où la famille de Savoie continua à jouer un rôle
important, d'autre part. L'année 1375 marque une nouvelle rupture, la
conversion de Jean V en 1369 n'a pas été suivie de l'union de
l'ensemble de l'Eglise grecque et Louis de Hongrie était trop occupé par
la mise en place de la vaste entité politique dont il avait pris la
direction au centre de l'Europe pour accorder à Byzance l'aide militaire
tant de fois promise. Pendant toute la fin du XIVe siècle et les
premières années du XVe, les relations entre le pape et l'empire grec ne
furent cependant pas interrompues malgré le Grand Schisme et,
surtout, l'influence des Dominicains de Péra sur le pouvoir politique
fut plus importante que jamais, permettant l'élan qui aboutirait au
concile unioniste de Ferrare-Florence.
Comme cela avait été le cas au XIIe siècle, pendant le règne de
Manuel Comnène, l'ouverture à la culture occidentale fut l'une des
composantes d'une nouvelle renaissance culturelle à
Constantinople. Elle avait commencé à Nicée mais elle s'amplifia après la
reconquête de Constantinople, en 1261, par Michel VIII Paléologue.
Les personnalités eminentes de ce grand mouvement furent Maxime
Planude et Théodore Métochitès, le chancelier d'Andronic IL Le
premier traduisit en grec des œuvres de Saint Augustin et édita celles de
Platon, le second fut l'auteur de commentaires sur l'œuvre d'Aris-
tote. Les premières années du XIVe siècle virent aussi le moment où
fr. Guillaume Bernard de Gaillac, le fondateur du couvent des
Prêcheurs de Péra, traduisit les œuvres de Saint Thomas en grec. Les
lieux : le monastère de la Chora et les nombreuses écoles ouvertes à
la culture laïque, notamment celle de Maxime Planude. Nourrie
d'autres apports, persans par exemple, la dernière renaissance by-
188 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

zantine permit donc aussi la redécouverte du patrimoine hellénique


et, par là, une réarfirmation du sentiment national7. Après le
traumatisme de l'union manquée à Lyon, sous Michel VIII Paléologue,
les intellectuels byzantins se sont gardés d'approfondir leur réflexion
philosophique et théologique jusque dans les années 1330. Mais les
contacts suivis entre les missionnaires latins et les milieux
favorables à l'union, l'arrivée de Barlaam le Calabrais & Thessalonique,
au moment où se rétablissaient les relations diplomatiques avec
Rome, révélèrent la nécessité d'une prise en compte de la théologie
occidentale8.
Ce sont donc les années 1340, à la conjonction d'une nécessité
politique et d'une vie intellectuelle bouillonnante, qui apparaissent
comme le moment décisif pour un mouvement de conversions sans
précédent à Constantinople9. Il toucha d'abord les milieux proches
du pouvoir, le personnel de la chancellerie en particulier, puis des
hommes appartenant à l'élite, qui, la conjoncture intérieure ayant
changé, n'eurent plus d'autre solution que de se réfugier, soit à
l'étranger, soit chez les Dominicains.
Il n'est donc pas rare de rencontrer un Prêcheur de Péra-
Constantinople dans l'entourage des Grecs, convertis au XIVe siècle.
Cette présence dominicaine auprès des Grecs convertis apparaît dès
les premières années du XIVe siècle. Frère Philippe de Péra
témoigne, dans son Libellas, des relations qu'il entretenait avec la
famille Métochitès. Il reçut les livres de Georges Métochitès des mains
de son petit-fils10. Comme plusieurs familles de l'élite byzantine au
XIVe siècle, les Métochitès étaient divisés sur la question de l'union
des Eglises. Georges était un ami du patriarche Jean Beccos et
participa avec lui au concile de Lyon II. Ne voulant pas revenir sur son
adhésion à l'union, il passa les quinze dernières années de sa vie en
prison. Pendant ce temps, son fils, Théodore, était mésazon11 de
l'empereur Andronic II, dont on a déjà dit l'hostilité à l'union. Le pe-

7 1. Sevcenko, Theodore Métochitès, the Chora and the Intellectual Trends of


his Time, dans The Karìye Djami, Paul A. Underwood éd., Princeton, 1975, p. 19-
55; voir également A. Grabar, The Artistic Climate in Byzantium During the Paleo-
logian Period, ibid., p. 3-16; I. Sevcenko, Society and Intellectual Life in the
Fourteenth Century, Variorum Reprints, Londres, 1981.
8 Sur le rôle de Barlaam le Calabrais dans la genèse de la crise palamite et
dans les négociations entre Rome et Constantinople, C. Delacroix-Besnier,
Conversions constantinopolitaines au XIVe siècle, op. cit., p. 723-725.
»Ibid., 715-761.
10 Ed. partielle du Libellus qualiter Graeci recesserunt ab oboedientia Ecclesiae
Romanae, Th. Kaeppeli, Deux nouveaux ouvrages de Philippe Incontri de Péra
O.P., dans AFP 23, 1953, p. 163-183.
11 Sur cette fonction centrale de l'administration byzantine, J. Verpeaux,
Contribution à l'étude de l'administration byzantine, dans Byzantinoslavica, 16,
1955, p. 270-296.
LA CONVERSION DES ÉLITES 189

tit-fils de Georges semble donc avoir renoué avec les idées


unionistes de son grand-père. Frère Simon de Constantinople, auteur
d'ouvrages traitant des erreurs des Grecs, était sans doute grec de
naissance et fut certainement le premier à entretenir des relations
privilégiées avec ses concitoyens. Nous verrons plus loin combien
son œuvre fut importante pour l'évolution de la polémique
dominicaine contre les Grecs. Parmi les quelques lettres de sa main qui
nous sont parvenues, l'une était adressée à un moine, Sophonias, et
deux autres au nomophylax, Jean. Ces deux noms se retrouvent dans
des traités qui ont été attribués à un autre polémiste dominicain,
Guillaume Bernard de Gaillac. Ce dernier nous dit que Sophonias
s'est réfugié chez les Prêcheurs depuis sa conversion au
catholicisme12. Pendant le règne d'Andronic II, il était en effet dangereux de
se ranger dans le camp des unionistes. Mais il s'agissait d'un cas
isolé et, malgré les fonctions diplomatiques exercées par ce moine, il
semble n'avoir pu bénéficier de la protection impériale. Ce sera
également le cas des Grecs convertis de la fin du XIVe siècle, dans une
conjoncture politique pourtant meilleure. Pour le second, il semble
que l'on puisse considérer ses rapports avec les Prêcheurs de Péra
avec plus d'intérêt encore. D'après les témoignages de fr. Simon et
de fr. Guillaume, le nomophylax Jean n'est pas converti, mais il
paraît prêter une oreille complaisante aux requêtes des Prêcheurs.
Cependant, comme il semble que l'on puisse penser que cette
personnalité appartenait à la famille Ange, ses relations avec le couvent de
Péra prennent un relief particulier. En effet certains de ses
membres, apparentés à la famille impériale, Démétrios et Manuel
Ange participèrent aux négociations pour l'union des Eglises dans
les années 1350/60 et apparaissent comme convertis dans les
archives pontificales13. Mais parmi ces Grecs catholiques, très liés aux
Dominicains, deux figures se détachent plus particulièrement, celles de
deux amis, Démétrios Cydonès et Manuel Chrysoloras, non
seulement en raison du rôle qu'ils jouèrent dans les relations
diplomatiques entre Rome et Byzance, mais aussi du nombre et de la qualité
des personnalités auxquelles ils étaient liés.
Démétrios Cydonès fut l'une des grandes personnalités
politiques et intellectuelles à Constantinople pendant la seconde moitié
du XIVe siècle. Mesazon de Jean VI Cantacuzène puis de Jean V
Paléologue, précepteur de Manuel II Paléologue, il fut très influent à la
cour pendant de longues années. Il est avéré que son passage au
catholicisme fut l'œuvre des Dominicains de Péra. Pensant que le salut

12 M.H. Congourdeau, Note sur les Dominicains de Constantinople, dans REB


45, 1987, p. 175-181.
13 Lettre du pape Urbain V félicitant cinq Grecs convertis en 1365, éd. par
O. Halecki, Un empereur de Byzance à Rome, op. cit., pièce justificative n° 5.
190 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

de sa patrie dépendait de l'aide militaire de l'Occident, il est donc


responsable de la reprise des négociations entre les deux Rome. Il
s'était rendu compte que celles-ci exigeaient une meilleure
connaissance du latin que celle que possédaient ses secrétaires. Il décida
donc de l'apprendre lui-même et son professeur fut un Dominicain
de Péra; l'empereur permit même que celui-ci s'installât au palais
impérial14. Malgré la discrétion des sources, qui malheureusement
taisent son nom, il est possible que ce Prêcheur fût Philippe de Péra,
avec lequel Démétrios collabora à divers travaux de recherche et de
traduction comme nous le verrons plus loin. On sait aussi que
l'auteur de sa conversion fut un Dominicain espagnol15. Son groupe
d'amis était très impliqué dans les relations avec Rome. Démétrios et
Manuel Ange étaient sans doute les amis thessaloniciens qui se
retirèrent avec lui pour une retraite spirituelle au monastère des Man-
ganes lors de l'abdication de Jean VI Cantacuzène. Ce moment
coïncide avec l'achèvement de sa traduction de la Somme Théologique de
Saint Thomas, à la Noël 1354. Démétrios, qui connut alors une
période de crise spirituelle, avait abandonné toute responsabilité
politique. On ne sait combien de temps dura cette période de méditation
mais elle aboutit à sa conversion au Catholicisme. Celle-ci n'est
attestée, dans les sources pontificales, qu'en 1365, mais elle fut très
certainement antérieure. Elle intervint vraisemblablement au
moment de la légation de Pierre Thomas, de l'ordre des Carmes, à
Constantinople, en 1357. Il amena au Catholicisme l'empereur lui-
même et certains de ses proches collaborateurs tel Philippe Cycandi-
lès. Ce dernier faisait partie du groupe de nobles grecs qui
accompagnèrent Jean V Paléologue à Rome en 1369. Autour de l'empereur et
de son mésazon, Démétrios Cydonès, les documents pontificaux
attestent la présence de Manuel Ange, déjà mentionné, de Philippe Cy-
candilès et de Michael Strongilo16. Ils signèrent la profession de foi
prononcée par Jean V. Mais, malgré les difficultés qu'il éprouva à
concilier des fonctions officielles très prenantes et son goût pour les
études, Démétrios Cydonès constitua aussi un groupe de réflexion
philosophique et théologique. Le cercle littéraire de Démétrios
Cydonès, rassemblant des Prêcheurs grecs convertis, joua un rôle très
important dans l'évolution de la polémique théologique de la se-

14 RJ. Loenertz, Fr. Philippe de Bindo Incontri O.P. du couvent de Péra,


inquisiteur en Orient, dans AFP 18, 1938, p. 265-280.
15 C'est ce qu'affirme Jean de Sultanieh dans le Libellus de notifia orbis, éd.
A. Kern, op. cit., AFP 8, 1938, p. 101.
16 Sur la condition sociale des Grecs convertis et les missions diplomatiques
qui leur furent confiées, C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines ,
op. cit.
LA CONVERSION DES ÉLITES 191

conde moitié du XIVe siècle. Et ainsi que nous le verrons plus loin,
ses membres seront les auteurs des derniers traités défendant la
doctrine catholique avant le concile de Florence. Se sont rencontrés,
autour de Démétrios Cydonès, des descendants de grandes familles
ayant donné à l'Eglise grecque des patriarches : Maxime
Chrysobergès et Manuel Calécas. La famille Chrysobergès se convertit dans les
années 1370 et donna trois frères à l'ordre des Prêcheurs. Maxime
était l'aîné, Théodore et André étaient plus jeunes. Ils participèrent
tous les trois soit aux négociations qui permirent la réunion du
concile d'Union, soit à l'œuvre polémique dominicaine et les deux
derniers firent une brillante carrière dans la hiérarchie latine en
Orient. C'est Démétrios Cydonès qui présenta Maxime à l'empereur
Manuel II, qui en fit son collaborateur pendant son exil à Lemnos17.
Maxime entra ensuite au couvent de Péra en même temps que son
frère Théodore. Ils complétèrent leurs études de théologie aux
couvents de Padoue puis de Venise18. André était diplômé de l'université
de Padoue et reçut le grade de maître en théologie grâce à un
privilège de Martin V, sa participation, comme interprète, aux
discussions entre le pape et la délégation grecque à Constance ayant
interrompu ses études19. Maxime fut, à la différence de ses frères, plus
un pasteur qu'un politique et son champ d'action fut principalement
la Crète, où il chercha à développer une liturgie catholique en langue
grecque, comme nous l'avons vu dans la première partie. Parmi les
autres disciples de Démétrios se trouvait un autre Grec converti, qui
suivit le même parcours spirituel que Maxime Chrysobergès,
Manuel Calécas. Neveu du patriarche unioniste Jean XIV Calécas
déposé en 1347 en raison de son opposition au Palamisme, il fut initié à
la théologie catholique par Démétrios Cydonès. Après avoir
longtemps résisté aux pressions du pouvoir byzantin, il avait fait l'objet
de menaces malgré la protection impériale et avait dû se réfugier au
couvent de Péra20. Après un long périple entre les îles de
Méditerranée et un séjour au couvent des Bénédictins de Milan, il prit l'habit
des Dominicains à Mitylène21. Manuel Calécas était avant tout un
intellectuel, et fut l'auteur d'importants traités de théologie montrant
son cheminement vers la doctrine catholique22. Son abondante cor-

17 R.J. Loenertz, L'exil de Manuel II Paléologue à Lemnos (1387-89), dans OCP


38, 1972, p. 116-140.
18 MOPH XLX, op. cit., p. 225, n° 38.
19 L. Gargan, Lo Studio teologico e la biblioteca dei domenicani a Padova nel
Tre e Quattrocento, Padoue, 1971, p. 59.
20 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines , op. cit., p. 747-
748.
21 R.J. Loenertz, La correspondance de Manuel Calécas, dans Studi e Testi,
152, Rome, 1950.
22 Th. Kaeppeli, Scrìptores Medii Aevi, 3, op. cit., p. 102-104.
192 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

respondance nous donne le nom de nombreux Grecs sympathisants


de la cause latine. Parmi ceux-ci, se détache la personnalité de
Constantin Asen. Ce dernier apparaît comme un trait d'union entre
l'empereur Manuel II et les Constantinopolitains convertis, à un
moment où cette option les mettait physiquement en danger. Il figure
en effet dans la correspondance de Démétrios Cydonès, de Manuel
Calécas et de Manuel II23. Malgré ses affinités spirituelles et
intellectuelles pour le catholicisme, Constantin Asen ne s'est cependant pas
converti. Apparenté à la famille impériale, très proche de l'empereur
lui-même, sans doute les pressions de son entourage furent-elles
assez fortes pour l'en empêcher et il dut souscrire par deux fois au to-
mos de l'orthodoxie24. Les autres correspondants de Manuel Calécas
sont moins illustres mais montrent la dispersion des Grecs
catholiques du fait des persécutions. Ainsi Manuel Raoul occupait à
Chypre une fonction importante auprès du roi Jacques Ier de Lu-
signan25. C'était un ami commun de Manuel Calécas et de
l'empereur Manuel IL La correspondance de ce groupe de Grecs, convertis
ou sympathisants de la cause unioniste, révèle leur appartenance au
monde des lettres de même que des liens étroits avec l'empereur de
Byzance lui-même. Manuel Chrysoloras est certainement la
personnalité qui le montre le mieux. Agent diplomatique de Manuel II en
Occident, comme nous l'avons vu, il avait fondé de grands espoirs
dans de probables progrès de l'union des Eglises au concile de
Constance. Ami de Démétrios Cydonès et des Dominicains de Péra,
il avait envisagé de prendre l'habit des Prêcheurs26 et fut
vraisemblablement pressenti pour faire acte de candidature au pontificat
romain27. Mais il décéda avant la fin de ce concile et fut inhumé au
couvent des Prêcheurs de Constance. Comme l'ensemble des
disciples de Démétrios Cydonès, comme ce dernier, il était catholique
mais hellène avant tout et œuvra pour la connaissance de la langue
et de la culture grecque en Italie. Il enseigna le grec à Florence dans
les dernières années du XIVe siècle et fut l'une des premières figures
de l'humanisme florentin28.

23 G.T. Dennis, Letters of Manuel II, Washington, 1977, voir la prosopogra-


phie et la lettre n° 30, p. 74-75; PLP n° 1503.


24 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines , op. cit., p. 757-
758.
25 S. Fassoulakis, The Byzantine Family of Raoul, Athènes, 1973, p. 62.
26 Dans une supplique au pape Innocent VI, en 1405, il demandait
l'autorisation d'être ordonné selon le rite latin avec la permission de célébrer les offices en
grec, G. Cammelli, / dotti bizantini, 1, Manuele Crisolora, Florence, 1941, p. 141,
note 2.
27 Eloge funèbre de Manuel Chrysoloras prononcé par l'humaniste Andrea
Zulian, éd. A. Calogerà, in Raccolta d'opusculi scientifici, 25, Venise, 1741, p. 326.
28 G. Cammelli, / dotti bizantini, I, op. cit.
LA CONVERSION DES ÉLITES 193

Avant d'aborder des relations, qui peuvent paraître


surprenantes, a priori, entre les Dominicains de Péra et les empereurs de
Byzance, il convient de dire quelques mots d'une personnalité de la
chancellerie, Manuel Sgouropoulos. Discrète dans les sources en
raison de fonctions plus modestes, la personne de Manuel
Sgouropoulos apparaît cependant comme très significative des relations qui
s'étaient établies au cours du XIVe siècle entre la cour byzantine et le
couvent de Péra. Dans les archives pontificales, il est le traducteur
des lettres que Jean de Rouen O.P. apporta à la curie, en 1375, et le
pape le félicite pour les services qu'il rendit aux Dominicains de
Péra. Il est regrettable, là encore, que les sources soient aussi discrètes
et ne nous donnent pas de détails sur la nature de ces services. Mais
il n'est pas étonnant de retrouver ce secrétaire de la chancellerie
impériale parmi les correspondants de Démétrios Cydonès. Manuel
Sgouropoulos était à Mistra pendant l'hiver 1372/73 et enseignait le
latin au despote Manuel Cantacuzène, Démétrios Cydonès incite son
ami à ne pas se contenter de l'aspect linguistique et à donner au
prince un enseignement approfondi, sans doute lui conseille-t-il
ainsi d'aborder avec son élève la théologie catholique29.
Les missionnaires dominicains en Orient furent, comme nous
l'avons vu, des intermédiaires privilégiés entre Rome et Byzance du
début du XIVe siècle jusqu'au concile de Florence. Les Prêcheurs de
Constantinople jouèrent, dans le cadre de ces relations, un rôle
important, qui fut de recevoir les légats pontificaux, de les loger, mais
aussi parfois de les présenter aux officiels de la cour30. C'est ce qui
explique les liens qu'ils nouèrent avec la chancellerie impériale. Ils
participaient à des rencontres officielles pendant la première moitié
du XIVe siècle, mais à partir du règne de Jean VI Cantacuzène, des
relations plus familières s'établirent. Si l'on ne peut, là encore, que
regretter la discrétion des sources, celles-ci suggèrent leur présence
à des disputes théologiques au palais impérial ou dans des
monastères de la capitale byzantine. Jacques O.P., recteur de la Société des
Frères Pérégrinants, envoya une lettre à l'empereur Andronic II pour
l'inciter à accepter le primat du pape. Ce document comprenant un
argumentaire polémique, il sera étudié plus loin mais il est un bon
exemple des échanges à caractère théologique qui s'étaient établis

29 F. Tinnef eld, Démétrios Kydones Briefe, dans Bibliothek der griechischen


Literatur, 12, 16, 33, Stuttgart, 1981-1991, lettres n° 110, 0118. Lettres pontificales,
BEFAR, 3e série, VI, fase. 2, Lettres secrètes et curiales, n° 3132.
30 Parmi de nombreux exemples, on citera Philippe de Péra. Il relate, dans
son Libellas, la venue de Benoît de Còme en 1327, : «fraterBenedictus... habitabat
in Pera», Th. Kaeppeli, Deux ouvrages de Philippe de Péra, op. cit., p. 173. Le pape
Innocent VI lui recommanda ses légats Pierre Thomas et Guillaume de Sozopolis
O.P., bulle du 18 août 1356, Reg. Vat. 238, f° 163.
194 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

entre les Prêcheurs de Péra et l'empereur vers 132031. Si François


Camerino et Richard l'Anglais, comme nous l'avons vu plus haut,
avaient tenté d'engager sans succès la discussion avec l'Eglise
grecque, vingt ans plus tard certains Dominicains de Péra
participèrent en 1357 à une conférence sur la primauté du pape. Cette
rencontre eut lieu au monastère du Pantocrator et donna lieu à une
relation en grec sous forme de dialogue entre Pierre Thomas et le
moine Athanase. L'interprète était alors Nicolas Sigeros, dont
l'appartenance au parti pro-latin a été signalée, accompagné de Paul de
Smyrne32. Il est plus que vraisemblable que l'un des Prêcheurs de
Péra fût présent : en effet, Athanase connaissait le rituel des
ordinations latines et les Dominicains de Péra n'y étaient sans doute pas
pour rien33. Avec l'arrivée de Jean Cantacuzène sur le trône impérial,
les relations entre les Prêcheurs et la cour se firent en effet plus
étroites. La présence d'un Prêcheur, le professeur de latin de Démé-
trios Cydonès, logé au palais impérial, était un événement sans
précédent. Et l'on en prendra toute la mesure en le mettant dans le
contexte d'un règne peu favorable à la cause catholique. Jean VI
Cantacuzène était en effet soutenu par les forces conservatrices et la
période pendant laquelle il gouverna fut celle de la victoire du Pala-
misme. Lorsque l'on connaît le goût de Jean Cantacuzène pour les
discussions théologiques et son respect pour les théologiens latins34,
on est en droit de penser qu'il s'entretint souvent avec les Prêcheurs
de Péra. Malgré le mutisme des sources sur les rencontres
officieuses ou privées, la présence de Démétrios Cydonès à la tête de
l'administration byzantine pendant le règne de Jean V, son rôle
auprès du fils de ce dernier, suggèrent la poursuite de contacts
fréquents entre la cour et les Prêcheurs de Péra. Il n'est pas étonnant de
trouver parmi les rédacteurs du protocole de la profession de foi
prononcée par Jean V à Rome en 1369, un Prêcheur, Nicolas, évêque
«Arenopolitanus » , d'Adrianopolis35. Cette commission de rédaction

31 Voir p. 261.
32 Voir note 31, p. 155.
33 J. Darrouzès, émet deux hypothèses, Ioannes de Fontibus ou Philippe de
Péra, Conférence sur la primauté du pape à Constantinople en 1357, dans REB 19,
1961, p. 76-110.
34 Jean Cantacuzène, lors de sa discussion avec le légat pontifical, Paul de
Smyrne, avait repris le projet que Barlaam le Calabrais avait exposé à la curie, en
1339, et pensait donc que la seule voie possible vers la fin du schisme était un
concile œcuménique. Il estimait cependant qu'un délai était nécessaire afin de
permettre aux théologiens byzantins d'obtenir la compétence nécessaire à un
dialogue avec les Latins, dans de bonnes conditions, J. Meyendorff, Projets de concile
œcuménique en 1367, dans Dumbarton Oaks Papers, 14, Washington, 1960, p. 149-
168.
35 A. Luttrell, Greeks, Latins and Turks on the Late Medieval Rhodes, dans
Byzantinische Forschungen, 11, 1987.
LA CONVERSION DES ÉLITES 195

était composée également de Démétrios Cydonès, Michael Strongi-


lo, Philippe Cycandilès, Paul de Smyrne et Antoine Ballester O.F.M.,
archevêque d'Athènes36. Manuel II garda dans la communauté
dominicaine de Péra des amitiés durables, qui ne furent pas
interrompues par les dures réalités politiques. Malgré ses démarches
multiples auprès de la papauté afin d'obtenir l'aide militaire de l'Occident,
Manuel II ne permit jamais l'union des Eglises en dépit des
pressions que ne manquèrent pas d'exercer ses amis catholiques. Manuel
II entretint en effet une correspondance assez suivie avec nombre
des amis de son précepteur, Démétrios Cydonès, et ce dernier en
particulier, mais aussi Manuel Raoul, Manuel Calécas et Manuel
Chrysoloras. Ces lettres ont pour thème commun la littérature et
contiennent de nombreuses références à la culture grecque
classique. Nous avons vu Maxime Chrysobergès accompagner Manuel II
en exil, et les lettres de Manuel Calécas montrent la profondeur des
liens qui se maintinrent entre le Prêcheur et l'empereur37. Une des
lettres nous apprend que ce dernier avait commandé un ouvrage à
Manuel Calécas. Dans une autre, Manuel envoie à l'empereur l'un de
ses écrits afin de profiter de ses critiques. Malgré ses occupations,
comme Jean VI Cantacuzène avant lui, Manuel II réunissait en effet
autour de lui un cercle littéraire et, malgré son exil, Manuel Calécas
désirait rester en contact avec les milieux lettrés de la capitale. Ce
dernier, confiant dans l'estime de son impérial ami, avait éprouvé le
besoin de justifier son passage à l'Eglise romaine et sa fuite38. Ainsi,
les deux amis continuèrent-ils à échanger idées et ouvrages
littéraires, chacun comptant sur les critiques avisées de l'autre. La
correspondance de Manuel II et de Manuel Chrysoloras montre les
mêmes relations de profonde estime entre gens de lettres.
L'empereur lui envoya l'oraison funèbre qu'il avait composée pour le décès
de son frère Théodore et lui demandait d'en faire la critique tel
Apelles et Lysippe, dans l'Antiquité39. Ambassadeur permanent de
l'empereur en Occident, Manuel Chrysoloras n'avait certes pas pris
l'habit des Dominicains, mais il partageait la vie d'exil des Grecs
convertis. Il passa la plus grande partie de ses vingt dernières années
à l'étranger. Un autre exilé, Manuel Raoul écrivait non seulement à
Manuel Calécas mais aussi à l'empereur Manuel IL Ce dernier, dans

36 B. Altaner, Kenntnis des Griechischen in den Missionsorder während des 13


und 14 Jhdts. Ein Beitrag zur Vorgeschichte des Humanismus, dans Zeitschrift für
Kirchengeschichte, 53, 1934, p. 436-493, surtout p. 462-465.
37 R.J. Loenertz, Correspondance de Manuel Calécas, dans Studi e Testi, 152,
Rome, 1950, lettres n° 26, 47.
38 R.J. Loenertz, Manuel Calécas, sa vie et ses œuvres d'après ses lettres et
apologies inédites, dans AFP 17, 1957, p. 195-207; Correspondance, op. cit., lettre
n° 14.
39G.T. Dennis, Letters of Manuel II, op. cit., n° 56.
196 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

une de ses lettres, le félicitait d'avoir su garder son intérêt pour les
lettres malgré ses importantes charges administratives40.
Ainsi, à partir du règne de Jean VI Cantacuzène, des liens étroits
s'étaient établis entre l'empereur et ces lettrés convertis, Prêcheurs
ou sympathisants. Mais ceux-ci durent quitter la Grèce dans les
dernières années du XIVe siècle et moururent tous en exil car la
protection impériale était devenue impuissante à garantir leur sécurité.
Depuis les années 1360, le parti palamite n'avait cessé d'accroître
son influence à la cour. Démétrios Cydonès n'avait pu empêcher la
condamnation de son frère Prochoros par le synode en 1367. Lui-
même dut fuir en Italie et mourut en Crète, citoyen vénitien. Manuel
II réclama au doge de Venise les livres de son maître. Les archives de
Venise ont enregistré l'inventaire de sa bibliothèque au moment de
sa mort. Elle comprenait trois manuscrits, l'un rassemblait plusieurs
œuvres de Platon, le second le quatrième évangile, un psautier et des
autorités de l'Eglise grecque et le troisième était un ouvrage
d'Hérodote41. Cet inventaire de la bibliothèque de celui qui fut le principal
promoteur de l'idée de l'Union à Byzance au XIVe siècle semble
accréditer l'hypothèse, souvent avancée, d'un retour de Démétrios
Cydonès à l'Eglise grecque. Le père des frères Chrysobergès décéda
aussi en Crète, auprès de son fils, Maxime. Manuel Calécas mourut à
Mitylène, sans avoir pu revenir à Constantinople, de même que
Maxime Chrysobergès. Théodore et André Chrysobergès ainsi que
Manuel Chrysoloras retournèrent pour des missions diplomatiques
dans la capitale byzantine mais n'y résidèrent plus de façon durable
à partir des années 1390. Deux témoignages sont formels sur cette
nécessité de l'exil, celui de Jean de Sultanieh dans son Libellus et
l'apologie de Manuel Calécas, adressée à Manuel IL En effet, comme
Prochoros Cydonès, frère Manuel avait cherché le plus longtemps
possible à rester membre de l'Eglise grecque tout en s'opposant au
Palamisme. Mais le souvenir des souffrances de son oncle et les
menaces dont il était l'objet l'avaient décidé à partir. Pour lui, comme
pour un certain nombre de convertis, les persécutions contre les
opposants au Palamisme, devenu doctrine officielle, provoquèrent la
fuite et l'adhésion au catholicisme.
L'influence des Prêcheurs de Péra et des Grecs convertis fut
cependant déterminante pour l'évolution des rapports entre les deux

40 Ibid., lettre n° 32; voir également R.J. Loenertz, La correspondance de


Manuel Calécas, op. cit.
41 F. Thiriet, éd., Duca di Candia, ducali e lettere ricevute, Venise, 1978, n° 22,
31. L'inventaire est le suivant : «Liber multorum operum Platonis, liber in quo
continetur 1111° Evangeliste, psalterium et alia principalia ecclesie Grecorum, liber
Yrodotis de Ystoriis».
LA CONVERSION DES ÉLITES 197

Eglises entre les années 1350 et le concile de Florence. C'est en effet


au cours du règne de Jean VI Cantacuzène qu'une réelle perspective
de dialogue s'est établie entre elles. L'apport du thomisme par les
Prêcheurs de Péra provoqua un important renouvellement de la
théologie byzantine. Nous nous y attarderons plus loin. Le choc de
la pensée occidentale et la controverse née de l'émergence du Pala-
misme, qui en fut la conséquence, rendirent en effet nécessaire une
réflexion doctrinale approfondie, refusée par l'Eglise byzantine
depuis l'échec de l'Union de Lyon. Mais chercher la réplique c'était
s'ouvrir aux méthodes de discussion occidentales, aux arguments de
l'Eglise latine, au thomisme et à la scolastique. Cette évolution des
laïcs et des religieux du cercle impérial était loin d'être partagée par
le plus grand nombre des Byzantins et le décalage entre l'élite et le
peuple ne cessa de se creuser. Le débat doctrinal avait lieu entre les
théologiens mais l'argumentation développée auprès du peuple par
les moines, tenants de la tradition, était centrée sur les rites. Les
griefs «mineurs» comme la barbe des prêtres, leur célibat, la
matière des vêtements liturgiques, les règles du mariage, la forme du
baptême, les périodes déjeune etc.. étaient des points de divergence
extrêmement importants pour les populations parce qu'ils
concernaient leur façon de vivre quotidiennement la tradition nationale.
Certes il n'y eut pas de réaction nationale, accompagnée de
massacres, comme en Arménie, mais la pression populaire était si
considérable qu'elle contribua à empêcher la réunion des Eglises car
l'empereur, en même temps chef temporel et spirituel, devait en tenir
compte ainsi que Philippe de Péra l'expose très clairement dans son
œuvre, et comme nous le verrons plus loin. Jean V se convertit afin
d'obtenir l'aide militaire de la Hongrie, mais ne chercha pas à
entraîner son peuple dans sa démarche. Manuel II était trop fin politique
pour amorcer ne serait-ce qu'une tentative d'Union. Jean VIII Paléo-
logue, son successeur, n'avait pas d'autre choix que d'aller à
Florence et il se heurta à une véritable réaction nationale. L'empereur
avait en quelque sorte trahi l'Eglise grecque, qui apparaissait
désormais comme le dernier rempart de l'Hellénisme.

2 - Les limites de la méthode : conversions et


soutien d'un projet politique en europe centrale

A Constantinople, les considérations politiques ne sont pas


absentes du ralliement à l'Eglise romaine d'un certain nombre
d'officiels, mais les sources ont fait apparaître d'autres motivations, une
sincère attirance pour la culture latine, une réflexion raisonnée sur
la théologie catholique. En revanche, en Europe centrale les succès
obtenus nous ont paru appartenir plus à un projet politique de la
198 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

part des souverains. Mais ce soutien politique a permis une


importante influence dominicaine. Elle se développa à partir d'un nombre
notable de couvents et elle est attestée par des conversions parmi la
population. Certes les sources sont avares de preuves mais un
événement, certes exceptionnel, montre l'impact d'un miracle, celui du
couvent de Seret.
Pour les princes de Moldavie, pour Ladislas comme pour son
frère Witold, la conversion de la Lituanie au catholicisme permettait
la construction d'un vaste ensemble politique en Europe centre-
orientale. La faveur dont jouissaient les Prêcheurs de la Société des
Frères Peregrinante entrait donc dans ce projet politique. Et il est
avéré que dans ces régions, les Prêcheurs ont été avant tout des
pasteurs pour les communautés catholiques installées dans les villes,
sur les grands axes commerciaux. Cependant il est impossible de
passer sous silence un document relatant les miracles du couvent de
Seret, en raison de son témoignage sur les rapports entre les
Prêcheurs et la population moldave42. Le couvent Saint- Jean-Baptiste
de Seret était la résidence habituelle de Jean Janitor, alias Strenue,
vicaire des Peregrinante pour la province de Ruthénie-Valachie.
Celui-ci avait fait le pèlerinage de Terre Sainte en 1390 et en avait
ramené une relique, dont il avait fait confectionner trois corporaux,
un pour le couvent de Lwow, un second pour celui de Kamieniec et
le troisième pour Saint- Jean-Baptiste de Seret43. Le 23 janvier de
l'année suivante, un miracle se produisit : des gouttes de sang
apparurent sur le corporal du couvent de Seret. L'inquisiteur Nicolas
Goldberg, qui était présent, fut appelé, interrogea devant témoins
Dorothea, la femme qui avait, la première, découvert le miracle, et
l'authentiqua. Alors les cloches sonnèrent, une procession des
catholiques se dirigea vers l'église paroissiale et tout le peuple, tant
catholique que schismatique se rassembla et eut connaissance du miracle.
La nouvelle se diffusant dans tous les diocèses de la région, les
malades accoururent et la relique miraculeuse produisit de nombreuses
guérisons et même des résurrections. C'est alors que le chancelier du
voïvode Stéphane, qui était Ruthène et schismatique, et qui avait été
torturé et condamné à la peine capitale, s'agenouilla et pria devant
la relique. Au moment de son supplice, il ne ressentit aucune dou-

42 Diplôme du notaire Conrad relatant les miracles de Seret, attestés par


Nicolas Goldberg du couvent de Lwow, inquisiteur de Ruthénie et de Moldavie.
Document édité par A. Czolowski, dans Kwartalnik Historyczny, 5, 1891, p. 594-598.
43 «...pannum lineum ... quem etiam emendo persoluit ac etiam ... Ierosolimi-
tanis civitatis omniumque sacrorwn locorum ac templorum humiliter presentavit
et precipue statuant et columnam, in qua salvator noster ligatus ac virgis cesus fuit,
eodem humiliter circumdedit..., quoad usque auxiliante divina gratia, Czerenten-
sem civitatem Wallachie minons pervenit et ... in prefato claustro tripartite divisit
atque ex eadem divisione tria fecit...», ibid.
LA CONVERSION DES ÉLITES 199

leur et échappa à la mort. Lorsque le voïvode apprit ce nouveau


miracle, il le remit en liberté. Le chancelier se convertit alors comme il
l'avait promis et fut baptisé dans l'église des Prêcheurs. Ce récit
montre une nouvelle fois les relations privilégiées entretenues par
les Prêcheurs avec l'élite. En effet, si nous avons vu Marguerite, la
mère du voïvode Pierre, fonder le couvent de Seret, lorsqu'il apporte
sa relique, Jean Janitor sollicite la collaboration du secrétaire du
procurateur du voïvode Pierre. Il convient aussi de remarquer
l'insistance sur les témoignages publics attestant les miracles.
L'inquisiteur interrogea Dorothée devant tout le peuple réuni et le notaire
Conrad a reçu publiquement la dépositions des témoins des autres
miracles44. Nous retrouvons dans ce texte la pratique du second
baptême pour les chrétiens de rite grec convertis au catholicisme45. Ce
texte évoque le baptême du chancelier dans l'église des Dominicains,
semble-t-il, à moins que ce soit dans l'église paroissiale. Malgré
l'imprécision du texte, ce sont les Prêcheurs de Seret qui y ont procédé,
car, en pays schismatique, ils avaient la charge pastorale des
communautés catholiques. On ne peut que penser qu'ils
appliquaient les directives pontificales et utilisèrent la formule de
baptême sous condition46. Ce document est intéressant aussi car il
donne une idée des foules de malades, qui se pressaient en
pèlerinage à Seret47. La relation des miracles de Seret montre donc
l'influence des Prêcheurs en Moldavie. D'autres documents attestent
des conversions : Hryczko Kierdeyowicz, Ruthène, se fit ensevelir
dans l'église de Lwow48; Sœur Madeleine de la province de Saint Do-

44 «[Vicevicarius] cum sudano importavit ...et eiusdem ordinis Nicolao dicto


Goldberg inquisiture hereticorum protunc presente indicavit. Sepe dicta vero
Dorothea ad concursum tanti spectaculi a predicto inquisiture fideliter requisita omnia
et singula prout hic inveniuntur inserta sub fide et consciencia et non aliter fuisse
facta omni coram populo publice ac vivo testatur oraculo . . . nunc vero . . . michi in-
frascripto publico notano in memmorato claustro ordinis predicatorum ...a
consulibus iuratis senionbus dicteque Czeretensis civitatis civibus conscienciose ac
in animas ipsorum protestantes narraverunt coram me notano publico a testibus
infrascriptis ... », ibid.
45 «Et incessanter etiam sacrum ad sanguinem recurrendo acceleravit et que si-
bi gesta fuerant devote publicavit et in eadem ecclesia baptizatus fidem accepit»,
ibid.
46 La question se posa à de nombreuses reprises aux missionnaires qui
demandèrent au pape des instructions précises, voir supra, p. 147-148.
47 «...de diversis diocesibus homines ... recursum habuerunt. Qui ... mira-
culose sunt curati et adhunc diebus singulis curantur tam surdi quant ceci ac
paralitici nec non leprosi disenteriamque passionem perpessi una cum plum'morum
mortuorum resuscitatione ac vita restaut acione...», ibid.
48 W. Abraham, Powstanie organisacyi kosciola lacinskiego w Polsce, Lwow,
1904, p. 236, note 2, ex notes inédites du P. Loenertz.
200 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

minique était arménienne49. Les communautés arméniennes étaient


en effet nombreuses dans les cités marchandes de la voie moldave, à
Lwow en particulier.
Dans les années 1390, la présence d'un évêque latin et du
couvent des Prêcheurs à Seret donnèrent sans doute l'illusion d'une
implantation catholique durable. Mais l'influence des missionnaires
sur la population fut faible et le rite grec demeura largement
majoritaire. Alexandre le Bon put sans difficulté le rétablir officiellement
lorsque la conjoncture politique le lui permit.

49 «1393, feria quarta post Invocava, Magdalena Armena Catholica domum


muratam construxit in ade versus claustrum Corporis Christi». Le couvent Corpus
Christi était celui des Prêcheurs de Lwow. La mort de Sœur Madeleine est
attestée dans le nécrologe de Lwow, n° 557, S. Baracz, Zywoty slawnych Ormian w
Polsce, Lwow, 1856, p. 180. Ex notes inédites du P. Loenertz.
CHAPITRE II

L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE

1 - Une infrastructure scolaire

Les grands centres d'études étaient situés en Occident, mais il


existait en Orient des studia importants : Péra-Constantinople et
Caffa en Crimée. Ils répondaient d'abord à une nécessité :
l'enseignement des langues orientales. Mais la philosophie et la théologie
restaient des disciplines fondamentales.
Le centre de Péra-Constantinople joua un rôle très important.
Bien qu'on n'ait pas d'informations précises sur le programme des
études, le fait qu'il ait produit, pendant la première moitié du XIVe
siècle, nombre de polémistes de talent, dont les œuvres seront
étudiées plus loin, suffit à le montrer. L'enseignement de la philosophie
et de la théologie y était assuré puisque, parmi ces auteurs, plusieurs
étaient nés à Constantinople et rien n'indique qu'ils se soient rendus
en Occident pour achever leurs études. Mais la renommée des écoles
de théologie italiennes était telle que nombre de Prêcheurs ou d'Uni-
teurs arméniens se rendirent en Occident pour compléter leur
cursus. Une petite série de documents de 1389/91, concernant la
Société des Frères Peregrinante, dans les actes du maître général
Raymond de Capoue, nous en donne quelques exemples1. Ainsi Luchino
de Caffa fut admis au Studium de Padoue pour un an. Pierre de
Caffa, fut envoyé au même centre d'études pour deux ans et Luchino de
Péra à Venise, pendant deux ans. Les frères Chrysobergès et Manuel
Calécas complétèrent également leur formation de théologiens à
Padoue et à Venise, ainsi que nous l'avons vu plus haut. Il convient
donc de relativiser l'importance du Studium de Péra, car les
Prêcheurs formés en Orient devaient aller dans les studia italiens pour
obtenir leur maîtrise en théologie. L'étude attentive des bulles de
nomination des Prêcheurs, nés en Orient, comme prélats ou comme
inquisiteurs ne les qualifient que de professeurs. Le seul qui
apparaisse avec le titre de maître en théologie est André Chrysobergès. Le
vardapet Joseph avait obtenu son diplôme de maître en théologie
vraisemblablement à Caffa mais il demanda la confirmation de son

MOPH XIX, p. 220-223.


202 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

doctorat à Rome et il dut se soumettre à un sévère examen pour


l'obtenir. Mais peu avant la chute de Constantinople, une bulle de
Nicolas V en 1448 donne l'autorité nécessaire au vicaire général des Péré-
grinants, Thomas de Gubbio, afin qu'il réorganise les études selon le
modèle de l'université de Bologne2. Le centre désigné par le pape est
le couvent de Péra, mais il laisse au vicaire général la possibilité d'en
choisir un autre. Sans doute manquait-on alors de Prêcheurs
diplômés pour les missions orientales, car Thomas de Gubbio devait
trouver trois novices capables d'obtenir leur diplôme de bachelier et
même de maître en théologie. Ce document montre donc que la
formation des novices en Orient était toujours une priorité. Mais cette
disposition pontificale est également le signe de la vitalité des
missions d'Orient au milieu du XVe siècle.
La méconnaissance des langues orientales fut de très
nombreuses fois dénoncée par le Saint Siège, de même que par le maître
général des Prêcheurs, car leur enseignement fut difficile à mettre
en place. Depuis le concile de Lyon, grâce à Guillaume de Moerbeke
et à Saint Thomas, on avait pris conscience que l'un des obstacles
majeurs à la fin du schisme des Eglises orientales était
l'incompréhension mutuelle due aux différences de langage. L'apprentissage
des langues orientales était donc indispensable aux missionnaires
mais la connaissance du latin par les élites locales permettrait aussi
un rapprochement des communautés religieuses. C'est dans ce sens
qu'il faut lire la bulle de Jean XXII envoyée au roi d'Arménie en 1318
afin qu'il favorise l'enseignement du latin et la prédication de
Raymond Etienne O.P.3. Si la Cilicie ou Petite Arménie semble avoir été
moins bien pourvue en centres d'études que la Grande Arménie, il
dut donc exister une école, où l'on enseignait au moins le latin. Elle
fut sans doute fondée dans la colonie génoise de l'Ayas.
La discipline qui s'avérait indispensable à la réussite des
missions dominicaines d'Orient était donc celle des langues. Ainsi, dès
le milieu du XIIIe siècle, les Dominicains missionnaires en Géorgie,
pourtant installés depuis une dizaine d'années, connaissaient
suffisamment la langue du pays pour étudier la liturgie traditionnelle de

2 Bulle de Nicolas V du 1er février 1448, éd. G. Hofmann, Epistolae pontifi-


ciae, op. cit., t. 3, p. 128, n° 294 : «-Cum autem te ad urbem Constantinopolitanam
ac partes Grecie pro nonnullis honorem dei, augmentant fidei ac ordinis tui predi-
catorum destinemus, tibi, qui in partibus Orientalibus et Septantrionalibus vica-
rius generalis magistri dicti ordinis existis, in conventu Pere seu Constantinopolita-
no vel alibi, si melius tibi visum fuerit, in tuo vicariatu très personas dicti ordinis
ad illud idoneos usque ad gradum bacallariatus inclusive pro forma magisterii
promovendi, offìcialesque studii necnon studentes secundum formam studii Bono-
niensis creandi plenam et liberam apostolica auctoritate tenore presencium damus
et concedimus facultatem».
3 CICO VII, 2, n° 15.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 203

ce pays4. Nous avons remarqué les compétences linguistiques de


nombre d'évêques dominicains d'Orient. D'autres exemples méritent
cependant d'être mentionnés, tels Barthélémy de Poggio qui
prêchait en persan ou Jean de Florence qui savait le géorgien et
l'arménien et fit des traductions à Qrna, pour ne citer que les pères de la
mission dominicaine d'Arménie. Mais Dominique de Pologne O.P.,
missionnaire à la Tana, fut sollicité en 1332 par les autorités
politiques pour traduire en latin un traité conclu entre les Vénitiens et le
khan Usbek et rédigé en langue coumane5. Depuis les
recommandations d'Humbert de Romans et le concile de Lyon, un enseignement
des langues orientales commençait donc à produire des fruits. Le
maître général Humbert de Romans fut en effet le principal
promoteur de l'enseignement des langues orientales dans les studia
dominicains. Il donna des recommandations dans ce sens aux chapitres
de 1255 et de 12566. Mais il développa aussi ce sujet dans deux
ouvrages, l'Opus Trìpartitum (1274), composé à l'occasion du concile
de Lyon, puis le De eruditione praedicatorum (e. 1266-77)7. Si ce
dernier livre ne concerne que l'enseignement que devaient recevoir les
Prêcheurs se destinant aux missions, toute la seconde partie du
premier envisage plus précisément le rôle des Prêcheurs quant à la
question du schisme grec. Un vaste programme de développement
des missions en Orient devait être mis en œuvre afin de rassembler
tous les chrétiens dans une même Eglise. Par une meilleure
connaissance des communautés orientales, de leur théologie, de leur
histoire, de leurs institutions, il serait possible de rapprocher les points
de vue entre Grecs et Latins. Les moyens devaient en être
l'apprentissage des langues et la constitution de bibliothèques de textes
grecs. Le maître général Humbert de Romans recommande de ne
pas exagérer les divergences doctrinales, même sur la question du
Filioque, et il insiste sur une tolérance particulière à propos du
rituel8. Nous avons là les grandes lignes de l'action dominicaine telle
qu'elle sera développée dans les missions orientales du XIVe siècle.
Les recommandations d'Humbert de Romans en faveur du
développement de l'enseignement des langues furent reprises au cours
du XIVe siècle. Ainsi le chapitre général de l'ordre des Prêcheurs,

4 A. Dondaine, Contra Graecos, dans AFP 21, 1951, p. 378-383.


5 R.J. Loenertz, La Société I, op. cit., p. 97.
6 MOPH V, p. 16, p. 38.
7 Th. Kaeppeli, Scriptores ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 2, op. cit.,
p. 283-289, 4, p. 128-129; A. Berthier, Un maître orientaliste du XIIIe siècle, dans
AFP 6, 1936, p. 269-270; traduction anglaise du De Eruditione dans S. Tugwell,
Early Dominicans, New- York-Toronto, 1982, p. 179-370.
8 C. Carozzi, Humbert de Romans et l'Union chez les Grecs, in 1274, Année
charnière : mutations et continuités, dans les actes du colloque CNRS n° 558,
Lyon-Paris, 1978, 491-494.
204 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

réuni à Plaisance en 1310, ordonnait la fondation de trois écoles de


langue où seraient enseignés l'hébreu, le grec et l'arabe. Deux ans
plus tard, le concile de Vienne répondit favorablement à la
suggestion de Raymond Lulle et recommanda que le nombre des chaires
de grec dans les universités occidentales passe de deux à cinq.
Cependant ces dispositions semblent avoir été peu efficaces en
Occident car les Grecs envoyés en France soit par l'empereur Manuel II
Paléologue, soit par le pape ne rencontrèrent personne pour les
comprendre9. En 1430, l'université de Paris n'avait pas de
professeurs de grec, d'hébreu et d'arabe en nombre suffisant. La situation
n'était guère meilleure en Italie puisqu'il fallut attendre Manuel
Chrysoloras pour qu'un enseignement du grec fût dispensé à
Florence et les premiers humanistes durent se déplacer dans son école
de Constantinople. Ce fut le cas de François Filelfe et de Jacopo
Angeli della Scarperia, par exemple.
Certes des catholiques orientaux, convertis, pour la plupart à
partir du milieu du XIVe siècle, furent épisodiquement chargés de
l'enseignement des langues orientales à la curie10. Ainsi Barlaam le
Calabrais et Simon Attumano enseignèrent-ils le grec, et Nersès Ba-
lientz, l'arménien11. Mais la curie manqua toujours de personnel
capable de correspondre avec les chefs d'état ou les patriarches
orientaux et recourait généralement au service de légats franciscains ou
dominicains. Il faut donc reconnaître l'importance de l'œuvre
réalisée par les Dominicains dans le domaine de la connaissance des
langues orientales, du grec en particulier. C'est ainsi que Guillaume
de Moerbeke O.P., archevêque de Thèbes, et Henri de Kosbein
O.P. traduisirent, pour Saint Thomas, Aristote en latin à partir de
manuscrits grecs12. Il semble, en effet, que les Hellénistes fussent
plus nombreux au Nord et à l'Est de la France, mais c'est un
Prêcheur du Midi, Guillaume Bernard de Gaillac O.P., qui entreprit la
traduction de l'œuvre de Saint Thomas en grec afin de la rendre
accessible aux intellectuels grecs avec lesquels il discutait13. Enfin il
fallait aussi assurer l'enseignement des langues au plus grand
nombre possible de missionnaires et le chapitre général des
Dominicains ordonna, en 1332, sa mise en place dans les couvents de Péra
et de Caffa14. Il convient de remarquer que cette date correspond à

9 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines , op. cit., p. 752-


753.
10 B. Altaner, Kenntnis des Griechischen, Zeitschrift für Kirchengeschichte,
op. cit., p. 488.
11 J. Richard, Les Arméniens à Avignon au XIVe siècle, dans Revue des Etudes
arméniennes, 23, 1992, p. 253-264.
12 Histoire littéraire de la France2, t. 16, Nendeln, Liechtenstein, 1972, p. 142.
13 Th. Kaeppeli, Scriptores O.P. Medii Aevi, 2, op. cit., p. 91.
14 B. Altaner, Kenntnis des Griechischen, op. cit., p. 449.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 205

une période d'essor des missions en Arménie et dans les pays


riverains de la mer Noire. Les Prêcheurs comptaient donc dès la fin du
XIIIe siècle un certain nombre d'hellénistes, que le Studium de Péra
contribua à accroître pendant le siècle suivant. Grâce aux
recommandations d'Humbert de Romans, l'Ordre de Saint Dominique
devint l'organisme le plus efficace pour la diffusion de la culture
grecque parmi les Latins et de la culture latine parmi les Grecs15.
Cette infrastructure scolaire, qui avait permis le succès de la
prédication dominicaine en assurant aux missionnaires une solide
formation intellectuelle, ne fut jamais oubliée malgré les plus
grandes difficultés dues à l'occupation turque. Ainsi, au moment de
la restauration de la mission dominicaine en Arménie au XVIIe
siècle, un Prêcheur de Caffa, Emidio Portelli d'Ascoli, introduisit
une description des régions de la Mer Noire et du pays tartare en
montrant que ce travail de connaissance des régions de mission était
un préalable indispensable au succès de la prédication. Les sources
dominicaines du XiVe-XVe siècles faisant en grande partie défaut,
quelques lignes de frère Emidio illustreront cette tradition
dominicaine16. Cet auteur se réclame d'abord d'Aristote, qui reste la
référence obligée du discours dominicain : «La curiosità e desiderio di
sapere, è cosa connaturale all'huomo, come ogni sa, et Aristotele lo
disse nel 1° testo della sua Metafisica : che omnis huomo, natura scire
desiderai...·»11. Puis il justifie son œuvre : bien que sa mission fût
autre (la prédication), il passa dix ans à parcourir la Tartarie afin de
connaître l'histoire et la géographie de ces régions et en fit un dic-

15 Ch.A. Gidel, Littérature grecque moderne, p. 260; Histoire littéraire de la


France2, t. 21, Nendeln, Liechtenstein, 1971, p. 216.
16 «Essendo per questo chiamato l'huomo intellettuale, è [et] cagionevole, à pur
di cose, che in quall'utilità ridondino, come quelle che alla medicina spettano per la
salute humana, nulla dimeno tal hora con altre tanto desiderio si desidera sapere di
siti, di proprietà, et costumi di lochi, et di persone, et tanto maggiormente quanto
incognite, è lontano sono. Hora trovandomi già nelle prefettura del Caffa et Tartaria,
per spatio di dieci anni, et essendomi per questo convenuto navigare più volte il Mar
negro, benché l'officio mio ad altro tenda, che caggionar d'historia, è di siti, nulladi-
meno dopo haver fatto copioso dittionarìo con ogni nome, verbi, adverbii, sentenze,
cérémonie, et compimenti di parlare, et respondere con le cose più necessarie
concernanti l'anima, et Santa Chiesa in quattro languaggi, cioè l'Italiano, Greco,
Turco et Armeno, per commodità di missionarii m Levante, et per dopo haver fatto
un compendio di tutti i dogmi, che sin hora sono stati contrarii alla Santa Chiesa
Cattolica Romana, con i loro fondamenti et confutation d'essi, necessario da
sapersi da missionarii detti, m'è parso ancor per sadisfattione di coloro che volessero
sapere di quelle regioni, descriverne il presente libretto...», A. Eszer O.P. éd., Die
«Beschreibung des Schwarzen Meeres und der Tartarei» des Emidio Portelli d'Ascoli
O.P., dans AFP 42, 1972, p. 199-249.
17 «La curiosité et le désir de savoir appartient à la nature de l'homme,
comme chacun sait, et Aristote le dit dans le livre premier de la Métaphysique :
chaque homme désire savoir par nature».
206 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

tionnaire en quatre langues à l'usage des missionnaires en Orient.


En lisant ce passage, on ne peut pas ne pas penser au Lïbellus de no-
titia orbis que Jean de Sultanieh écrivit dans les premières années du
XVe siècle. Comme nous l'avons vu plus haut, l'archevêque de Perse,
cherchant à renseigner les théologiens occidentaux, dressait un
tableau de la situation religieuse de l'Orient, donnant toutes sortes
d'informations sur l'histoire et le géographie des régions qu'il
décrivait.
Péra-Constantinople fut le grand centre de la littérature
polémique dominicaine. La plupart des traités de théologie rédigés pour
discuter des points de divergence entre l'Eglise grecque et l'Eglise
romaine, autrement dit pour reprendre la terminologie catholique,
des traités réfutant les erreurs des Grecs, ont, en effet, été écrits par
les Dominicains de Péra-Constantinople entre le milieu du XIIIe
siècle et le concile de Florence. Les Prêcheurs d'Orient ont très tôt
conçu la littérature polémique comme l'une de leurs tâches
privilégiées. Les deux Dominicains qui avaient participé aux discussions
de Nicée et de Nymphée en 1233/34 ont pris soin d'en écrire une
relation. Quelques années plus tard, le provincial de Terre Sainte,
Nicolas, et Jacques de Milan, missionnaire en Crète, écrivaient, chacun
de leur côté, une réfutation d'un traité d'Eustrate, métropolite de
Nicée, contre les Latins sur la procession du Saint Esprit et les
azymes18. Cette intense activité littéraire était devenue le but
principal de la structure dominicaine lors de sa mise en place dans la
capitale byzantine, au contact des instances de décision de l'Eglise
grecque : le patriarche et l'empereur. Elle fit du couvent de Péra, à
partir du début du XIVe siècle un des lieux de discussions
théologiques entre Grecs et Latins.
Cette activité intellectuelle était soutenue par le Studium de
Péra. Ce centre était sans doute doté d'une bibliothèque importante,
comprenant des livres grecs. Les traités polémiques, comme nous le
verrons plus loin, montrent en effet que la documentation des
missionnaires s'était peu à peu enrichie de sources grecques et l'on est
en droit de penser que certains livres furent copiés au couvent. Cette
bibliothèque dut souffrir des déménagements de la fin du XIIIe
siècle, alors que le centre d'études dominicaines de
Péra-Constantinople était en pleine activité littéraire. Une partie des livres resta à
Nègrepont où la communauté s'était repliée après la reconquête de
Constantinople par Michel VIII Paléologue, en 1261. Mais elle se
réinstalla dans la capitale dès 1299. C'est en effet à Nègrepont
qu'Andréa Doto retrouva le Thesaurus veritatis fidei de Bonaccursius de

18 F. Stegmüller, Analecta Upsaliensia, I, Upsala, 1953, p. 325-339.


L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 207

Bologne pour le rééditer au début du XIVe siècle. Mais le traité


anonyme de 1305 fut écrit à Constantinople, peu avant que la
communauté en soit de nouveau chassée, en 1307, et prenne possession du
couvent de Péra, fondé dans la colonie génoise par Guillaume
Bernard de Gaillac, comme nous l'avons vu plus haut. Ces
déménagements successifs ne semblent guère avoir affecté l'activité de
recherche et de production littéraire des Dominicains puisque Péra vit
la rencontre fructueuse de frère Simon et de son jeune novice
Philippe Incontri de Péra. Ce dernier fut en effet un des grands auteurs
du XIVe siècle, profitant des recherches de ses prédécesseurs, et de
son maître en particulier, pour produire une œuvre importante.
L'auteur anonyme de 1252, qui fut très vraisemblablement un
Dominicain de Constantinople, donna les grandes orientations de la
méthode employée dans la polémique contre les «erreurs des
Grecs», selon l'expression communément employée par nos
polémistes. Comme le remarquait le P. Dondaine, il y a une filiation
évidente entre le Contra Graecos de 1252 et les ouvrages de Philippe de
Péra. Cependant ces derniers sont profondément différents, signe
d'une importante évolution dans la conception du traité contre les
Grecs par les Prêcheurs de Constantinople. Un moment important
de cette évolution se situe autour de 1305, où la production littéraire
de ces missionnaires, est très florissante, avec l'œuvre de Simon de
Constantinople, un Dominicain grec.

2 - Les premiers ouvrages, le traité anonyme de 1252


et autour du concile de lyon

Je rappellerai simplement, d'après le très bel article d'A. Don-


daine19 comment la nécessité de puiser aux sources grecques
s'imposa peu à peu.
Les prémices de la polémique contre les erreurs des Grecs se
situent au XIIe siècle, au moment du renouveau des études en
Occident. Abélard apporta d'abord, dans la Theologia christiana, un le
maigre corpus de références grecques qui fut réutilisé par Pierre
Lombard dans le premier livre des Sentences20. Mais Hugues Ethé-
rien et Léon Toscan, depuis la capitale byzantine, apportèrent à
l'Occident des sources nouvelles. La collecte des références, puisées
dans la patrologie grecque, se développa ensuite, avec la reprise des
négociations entre Rome et Byzance, au milieu du XIIIe siècle et la
préparation du concile de Lyon II (1274). Nicolas de Cotrone rédigea

19 A. Dondaine, Contra Graecos, dans AFP 21, 1951, p. 320-446.


20 A. Dondaine, ibid., p. 394-399.
208 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

alors le Libellas de Fidei21. Le Libellus est une chaîne dogmatique


dont la fonction était de servir de document de travail pour la
délégation grecque. Nicolas de Durazzo, nommé évêque de Cotrone en
1254, exposa les thèses latines à la demande de l'empereur Théodore
Lascaris. Plus tard Michel VIII Paléologue lui commanda un exposé
sur la même question et l'envoya à Rome demander des légats pour
négocier l'Union. La lettre de l'empereur au pape Urbain IV
témoigne des emprunts qui furent faits au mémoire de Nicolas de
Cotrone. De retour à Constantinople en 1264, celui-ci continua les
négociations. Le Libellus de Fidei semble être la traduction en latin de
l'ouvrage que Nicolas de Cotrone avait composé pour Théodore
Lascaris, remanié pour Michel VIII Paléologue et présenté, par son
auteur, au pape Urbain IV. C'est ainsi que cette collection de sources
grecques se trouvait à la curie. Dix ans auparavant était paru le
Contra Graecos de 1252. Il semble que ce livre fût intégré très vite à
la bibliothèque pontificale puisque les auteurs qui l'utilisèrent
étaient liés à la curie romaine et que, selon toute vraisemblance,
Nicolas de Cotrone s'en servit pour son Libellus. Il est possible aussi
qu'Albert le Grand pour son traité sur l'Eucharistie, puis saint
Thomas pour son Contra Graecos et la IVe partie de la Somme contre les
Gentils l'aient consulté22. Réalisé peut-être trop tard pour être
largement diffusé au moment de la préparation du concile de Lyon, le
Contra Graecos anonyme de 1252 constitua un apport considérable
pour les auteurs à venir. Parmi les polémistes de la seconde moitié
du XIIIe siècle, il n'est pas sans intérêt de remarquer essentiellement
des Prêcheurs, le seul contre-exemple étant Matthieu d'Aquasparta
O.F.M.23.

3 - Le corpus des traités24

II comprend l'ensemble des œuvres des Prêcheurs d'Orient,


éditées ou inédites, écrites entre la fin du XIVe siècle et le concile de
Florence. L'exemple du traité inédit et sans doute rédigé en Occident
par un Dominicain, nommé Pierre, permettra de mettre en valeur le
travail de recherche effectué par le groupe de Péra.

21 Edition des œuvres de Thomas d'Aquin, Commission léonine, Rome, 1969,


XL, A18.
22 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 384-392.
23 A. Dondaine, ibid., p. 394-401.
24 A partir du gros article du P. Dondaine, cité à la note précédente, et de
F. Stegmüller, qui a édité trois traités, et avait étudié le corpus, Analecta Upsa-
liensia, I, Upsala, 1953, p. 325-339.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 209

- Bonaccursius de Bologne : Thesaurus veritatis fidei, De errori-


bus Graecorum25.
- Simon de Constantinople : lettres à des officiels de Byzance26.
- Deux traités anonymes de 1305/07, Tractatus contra errores
Orientalium et Graecorum; Tractatus de Obiectionibus Graecorum
contra processionem Spintus Sancii a Filio21. Ces deux ouvrages,
écrits par un Dominicain de Péra-Constantinople, ont été attribués à
Guillaume Bernard ι e Gaillac en raison de la culture latine de leur
auteur et des similitudes relevées dans plusieurs passages28.
- Deux lettres rédigées en grec pendant la première moitié du
XIVe siècle : Ioannis de Fontibus ord. Praedicatorum, epistula ad ab-
batem et conventum29; Jacobi Praedicatorìs ad Andronicum Paleolo-
gum maiorem epistula30.
- Les quatre ouvrages de Philippe de Péra : Actus sancte univer-
salis octave synodi (1355/56); Libellus qualiter Graeci recesserunt ab
oboedientia ecclesiae Romanae (1356/57); De oboedientia Ecclesiae
Romanae debita (1359); De processione Spintus Sancii (1359)31.
- L'œuvre des Prêcheurs grecs : Maxime Chrysobergès : ad Cre-

25 Le Thesaurus, dans la recension d'Andréa Doto, a été partiellement édité


dans SOP I, 156-158 (prologue et table); Le second traité, anonyme, a été attribué
à Bonaccursius, par A. Dondaine et édité par F. Stegmüller, Bonaccursius contra
Graecos. Ein Beitrag zur Kontroverstheologie des XIII. Jahrhunderts , dans Vitae et
ventati, Festgabe für Karl Adam, Düsseldorf, 1956, p. 57-82.
26 Ces lettres, en grande partie inédites, ont été analysées par M.H. Congour-
deau, Frère Simon le Constantinopolitain, dans REB, 45, 1987, p. 165-174; voir
l'état de cette édition note 4, p. 166.
27 Ed. F. Stegmüller, [Guilélmus Bernardi de Gaillac, O.P. ], Tractatus..., dans
Uppsala Universtät Arsskrift 2, f. Vili (= Analecta Uppsaliensia I), 323 sq. (édition
ex ms. Uppsala C.55); Ein lateinischer Kontroverstraktat gegen die Grieschen aus
der Universitätsbibliothek Uppsala, dans Kyrkohistorisk Arsskrift, 1954, p. 123-150
(édition ex ms. Uppsala C. 685).
28 M.H. Congourdeau, Note sur les Dominicains de Constantinople, dans REB
45, p. 175-181.
29 Ioannis de Fontibus O.P. epistula, R.J. Loenertz éd., dans AFP 30, 1960,
p. 163-195.
30 R.J. Loenertz, éd., Epistula ad Andronicum Paleologum, dans AFP 29, 1959,
p. 73-88.
31 Quelques passages de ces œuvres ont été édités par R.J. Loenertz, Fr.
Philippe de Bindo Incontri O.P. du couvent de Péra, inquisiteur en Orient, dans AFP
18, 1948, p. 265-280 et par Th. Kaeppeli, Deux nouveaux ouvrages de fr. Philippe
Incontri de Péra, dans AFP 23, 1953, p. 163-183. Les extraits du De processione
Spiritus Sancii, cités plus loin, sont édités à partir du Ms. BNCF (Bibliothèque
nationale de Florence) conventi soppressi, C. 7.419. Ce manuscrit contient la
traduction des actes du huitième concile, le De Obedientia et le De Processione, mais
également un traité anonyme contre les Grecs, signalé par Th. Kaeppeli, Deux
nouveaux ouvrages de Philippe de Péra, op. cit., p. 163-183. L'explicit permet
seulement de situer son auteur sous l'autorité de la Sorbonne : «Explicit tractatus
contra Graecos parisius compilatus. Et per eius famosam universitatem approba-
tus», f° 138v.
210 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

tenses De processione Spirìtus Sancii oratioì2, Manuel Calécas : Ad-


versus Graecos. De controversiis Graecos inter et Latinos circa proces-
sionem Spiritus Sancii33.
- Petrus O.P., Tractatus per modum dialogi inter Latinum et
Graecum contra errores Graecorum34.
Les polémistes dominicains ont suivi les pistes que l'auteur
anonyme du traité de 1252 avait prospectées. Et s'il est impossible
d'affirmer que Thomas d'Aquin connaissait cet ouvrage35, on ne peut
que remarquer qu'il suivit les mêmes orientations : utilisation quasi
exclusive de la patrologie orientale et des actes conciliaires,
problèmes de vocabulaire dans la traduction du grec au latin, apport de
la liturgie. Toutes ces sources documentaires sont utilisées selon le
même principe : se battre avec les armes et sur le terrain de
l'adversaire. En effet, pour les Grecs, le garant du dogme est le concile
œcuménique, et, comme le dit lui-même Philippe de Péra, les Grecs
ne reconnaissaient pas l'autorité de la patrologie occidentale car ils
soupçonnaient les Latins d'avoir falsifié les textes pour qu'ils leur
donnent raison36. Souvent les polémistes de Péra dénoncent, avec
des mots très durs la mauvaise foi des Grecs face à leur propre
patrologie. Pour ceux-ci, les Grecs soit ne lisent pas leurs textes sacrés,
soit les interprètent mal et, sans multiplier les citations, en voici
quelques exemples :
L'anonyme de 1305 s'exprime ainsi au début de son deuxième
chapitre : «Quidam vero praedictorum Scripturas maie exponunt, si-
cut qui verba salvatoris ad sensum suum retorquentes ex voce veritatis
errons fundamentum assumunt». et, pour introduire le suivant :
«Aliam quoque auctoritatem evangelii similiter maie et contra doctri-
nam sanctorum suorum exponunt Orientales praedicti»31.
Philippe de Péra en fait de même à plusieurs reprises, ainsi au
début du De processione Spiritus Sancii : «Idcirco omnem machina-
tionem adversus veritatem oppositam ab ipsis volens excludere hoc
opus inchoavi ubi intendo, cum adiutorio dei dare per dicta sancto-

32 Ed. L. Allatius, Graecia orthodoxa, II, Rome 1659, p. 1074-1088; P.G. 154,
col. 1217-29.
33 Edition de la traduction en latin d'Ambroise Traversali en vue du concile
d'Union (1423), P.G. 152, col. 11-258.
34 Ms. Bale, Univ. Bibl. A I 32, f» 1-39.
35 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 387.
36 Ms. BNCF, C. 7.419, f° 98r : «Sed quia Greci nullum sanctorum nostrorum
recipiunt quantum ad testimonia fidei confirmanda dicentes quod nos corumpimus
dicta sanctorum quod ipsi fecerunt et faciunt nobis imponentes ideo dimissis dictis
sanctorum occidentalium solum ad dicta sanctorum orìentalium accedam ut ex li-
bris eorum comprehendantur».
37 F. Stegmüller, Ein lateinischer Kontroverstraktat gegen die Griechen aus der
Universitätsbibliothek Uppsala, op. cit., p. 125-126.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 211

rum orientalium in quïbus ipsi gloriantur, probare quod spiritus sanc-


tus quemadmodum procedit a pâtre sic procedit et a filio. Quod in H-
bris eorum apertissime continetur quos continue legunt nec videntur
precipue ut vere dicatur de eisdem»3*.
Autour de la charnière des XIIIe-XIVe siècles, les Prêcheurs de
Péra, tout en manifestant une grande fidélité envers l'anonyme de
1252, dont frère Barthélémy réédite le traité en 130539, se dégagent
de plus en plus de la chaîne dogmatique. Le champ d'investigation
s'élargit avec Bonaccorsi de Bologne et les polémistes recherchent le
texte authentique.
Le pas important est franchi avec Simon de Constantinople.
Parce qu'il était Grec, il a pu multiplier les discussions avec ses
compatriotes, et ces contacts ont modifié considérablement
l'approche que les Prêcheurs de Péra avaient des divergences entre les
deux Eglises. Son exemple fut suivi par Guillaume Bernard de Gail-
lac et Philippe de Péra, dont les œuvres révèlent des relations
fréquentes avec leurs contemporains grecs. Dans les milieux
occidentaux, il semble en revanche que l'on soit resté fidèle au modèle de
1252, ainsi Petrus O.P., et dans une moindre mesure, l'anonyme
parisien du manuscrit de Florence40. A Péra, en même temps que les
Prêcheurs enrichissent leurs traités par des références historiques,
ils les épurent, supprimant celles dont l'authenticité était douteuse,
et ne traitant plus que les problèmes de fond.

4 - L'œuvre de Philippe de Péra et le


De processione Spiritus Sancti

Ce traité polémique, en particulier, est exemplaire de


l'enrichissement de la méthode dominicaine depuis l'anonyme de 1252.
Dans la filiation du traité de 1252, Philippe de Péra n'utilise que les
pères de l'Eglise grecque, mais ajoute de nouvelles références.
Comme ses prédécesseurs, notre auteur justifie son usage de la
patrologie orientale mais plus clairement encore41. Philippe de Péra se
sert aussi de la liturgie traditionnelle grecque mais son ouvrage
montre aussi qu'il a étudié et comparé les différents textes de cette
liturgie. Surtout son œuvre est neuve et originale par la place qu'il a
donnée à l'histoire de l'Eglise byzantine et sur laquelle son
argumentation est fondée.
Philippe de Péra est donc l'héritier de la tradition polémique des

38 Ms.
39
4140 A. Dondaine,
BNCF, C.7.419,
Contraf°
ff°
Graecos,
98r,
87.
109v-138.
texteop.cité
cit.,à la
p. note
423. 104, infra.
212 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Dominicains de Péra-Constantinople et il rend hommage à son


maître, frère Simon. C'est, dit-il, grâce aux écrits de ce dernier qu'il
s'initia aux discussions avec les Grecs42. Mais, à partir de cette
tradition, il a construit une œuvre où le déroulement chronologique
témoigne d'une démarche originale. Si l'œuvre de Philippe de Péra est
encore en grande partie inédite, elle marque cependant une étape
importante dans la tradition polémique dominicaine. Outre la place
de l'auteur dans la hiérarchie latine d'Orient43, celle de son œuvre est
telle qu'il convient maintenant de s'y intéresser assez longuement et
d'en citer les passages les plus probants.

a) Philippe de Péra et les «Grecs modernes»


Les œuvres de Philippe de Péra témoignent de ses discussions
avec des Grecs, ses contemporains, soit officiellement, soit en privé,
sur la procession du Saint Esprit et sur le schisme, et de son
intervention dans les négociations pour l'Union.
Ainsi, en 1327, lorsque fr. Benoît Asinago de Còme O.P., légat du
roi de France, Charles IV, et nonce apostolique se rendit à
Constantinople, auprès d'Andronic II, pour négocier l'union des Eglises, il
s'installa à Péra, dans le couvent des Prêcheurs44. Philippe de Péra
fut donc témoin du rapport que fit fr. Benoît des discussions qu'il
entretint avec l'empereur et auxquelles participait un Génois, Simon
d'Oria, légat d'Andronic II auprès du pape.
Philippe de Péra nous dit que la reprise des contacts entre le
pape et l'empereur était due aux remords qu'éprouvait ce dernier à
cause des mauvais traitements qu'il avait infligé aux partisans de
l'union avec l'Eglise romaine. Il commence donc par évoquer la
mémoire de ceux-ci. Ainsi, il reçut des mains d'un des fils du chancelier
impérial Théodore Métochitès deux volumes que son grand-père,
Georges Métochitès, avait écrits en prison pour défendre l'union des
Eglises. En effet ce dernier, mort en détention en 1328, avait été,
avec le patriarche Jean Beccos, l'un des principaux artisans de
l'union de Lyon de 1274. Ceci montre les bonnes relations que frère
Philippe pouvait entretenir avec l'élite byzantine45. C'est donc à la
suite de ce décès, qui avait beaucoup affecté l'auteur, que l'empereur

42 «Fr. Simon Constantinopolitanus ordinis Praedicatorum, qui satis erat im-


butus scientia Graeca magis etiam quam Latina, quem vidi nonagenarium
existentem, qui multa scripta dimisit contra Graecos, ex cuius scriptis et libris initium ha-
bui contra Graecos disputandi...», texte cité par Th. Kaeppeli, Deux nouveaux
ouvrages de Philippe Incontri de Péra O.P., op. cit., p. 172, note 44.
43 Voir liste des Dominicains en Orient.
44 «magister Benedictus predictus nuntius domini nostri Pape in peram
comparuisset et ibi moram trahente...» Ms. BNCF, f° 87r.
45 Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 175.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 213

Andronic II, «conscient du mal qu'il avait fait», avait renoué les
négociations avec Rome46. Voici comment Philippe de Péra nous
rapporte les inquiétudes de l'empereur après avoir évoqué le décès de
Georges Métochitès et les efforts déployés par les Grecs pour que sa
sépulture demeure secrète47. Dans le Libellas, il donne une version
très proche de ces faits mais il ajoute que c'est un moine, secrétaire
de l'empereur qui lui a dit les sentiments de ce dernier48. Cette
mention du Lïbellus confirme les relations de Philippe de Péra, déjà
établies à la fin du règne d' Andronic IL Selon son récit, Georges
Métochitès serait mort avant la mission de Benoît de Corne et l'empereur
aurait envoyé Simon d'Oria demander au pape d'envoyer des légats
pour négocier l'union49. Philippe de Péra dit que Benoît de Corne
était nonce pontifical et ne parle pas de Charles IV le Bel. L'auteur
évoque ensuite le coup d'état d'Andronic III et l'échec des
pourparlers. Les légats pontificaux furent déçus car l'ancien empereur avait
nié avoir jamais fait dire au pape qu'il était prêt à discuter de la fin
du schisme. Et Philippe de Péra rend compte, dans le Lïbellus et
dans le De oboedientia, de la déception du légat pontifical devant la
mauvaise foi de l'empereur50.
Notre auteur met donc en relation l'échec des négociations avec
Rome et les problèmes internes de l'empire byzantin. En effet la
guerre civile avait éclaté en 1321 à cause du meurtre du despote
Manuel, frère d'Andronic III, qui s'était alors rebellé contre son grand-
père. Andronic II priva son petit-fils de ses droits de succession au
trône. Après plusieurs années de guerre, en 1328, Andronic III, aidé
du grand domestique, Jean Cantacuzène, l'emporta et contraignit
son grand-père à se faire moine. Les atermoiements d'Andronic II
dans ses relations avec Rome s'expliquent donc par sa crainte de
voir le peuple, hostile à l'union, se mettre du côté d'Andronic III.
Plus tard, Philippe de Péra rendit visite à l'archevêque grec de
Durazzo pour lui montrer les autorités grecques qu'il avait réunies

46 Philippe de Péra ne donne pas la date de la mort de Georges Métochitès et


il semble qu'on ne doive pas remettre en cause l'ordre chronologique dans lequel
il place les événements, ainsi que l'a fait Th. Kaeppeli, se basant sur d'autres
sources et des analyses modernes (ibid, note 6, p. 174). Notre auteur en effet
montre toujours un grand souci de la chronologie, ainsi que nous le verrons plus
loin et il est contemporain des faits qu'il évoque.
47 «Imperator autem Andronicus conscius malorum que fecerat sepius hoc re-
petebat : impius regno quia cum ecclesiam dei unitam invenerim non se mantenui
tandem in fine vite sue querens iterum unitatem ecclesie malis suis exigentibus non
meruit De Oboedientia, Ms. BNCF C.7.419, f° 87r.
48 Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 173.
49 Philippe donne une autre explication de la demande de l'empereur dans le
Libellus : parce qu'il voulait être converti, ibid., p. 173.
50 Ibid., p. 172-173.
214 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

afin de prouver que les Pères de l'Eglise grecque concevaient la


procession de l'Esprit par le Fils à égalité avec le Père51. Lors d'une autre
rencontre, l'archevêque lui montra un livre de Saint Cyrille contre
Théodoret et lui dit qu'il pourrait trouver de nombreuses citations
dans le Liber Thesaurorum de cet auteur52. La discussion continua
sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à la fin du schisme,
et ce prélat grec conseilla que les Latins envoyassent une armée pour
intimider le peuple, de sorte que l'empereur aurait le pouvoir de
faire l'union, le clergé ayant expliqué qu'il n'y avait rien de faux ni
d'hérétique dans l'enseignement de l'Eglise latine. C'est ce conseil
qu'il donna au pape Clément VI, alors qu'il se trouvait à la curie et
que Rome se préparait à envoyer des galères pour la croisade de
Smyrne (1344/45). Il prônait donc la modération53. Mais l'optimisme
de Philippe de Péra fit place progressivement au découragement
ainsi qu'il l'écrit dans le De oboedientia, une dizaine d'années plus
tard54. L'auteur nuance cependant ce sentiment un peu plus loin en
évoquant les dix années qui précédèrent la rédaction de ses œuvres.
Elles furent, en effet, pour Philippe de Péra une période de contacts
fructueux avec les Grecs modernes. Il se rendait dans leur
monastère pour discuter, mangeait et buvait avec eux55. Ce passage
témoigne donc des relations cordiales, qui s'étaient établies entre les
Prêcheurs de Péra et les moines de la capitale pendant le règne de

51 II se peut que l'archevêque de Durazzo dont parle Philippe de Péra soit


Grégoire Hypertamos. G. Fedalto, Hierarchia ecclesiastica orientalis I, Padoue,
1988, p. 529.
52 Philippe de Péra est le premier polémiste latin à se référer au Thesaurus de
Cyrille d'Alexandrie. Ce sont les traductions postérieures au concile de Florence
qui permirent sa diffusion en Occident, en particulier celle de Georges de Trébi-
zonde, B. Meunier, Cyrille d'Alexandrie au concile de Florence, dans Annuariwn
Historiae Conciliorum, 21, 1989, p. 147-174, voir note 31, p. 167.
53 «Que omnia dare dixi felicifsj recordationis domino Clementi pape VI.
Insuper etiam addidi quod galee, que tune parabantur contra Turcos, sufficiebant ad
utrumque opus, sed aliis impedientibus, non esset bonum Grecos irritare qui parati
erant uniri ecclesie Romane pacifice... y, éd. partielle du De obedientia, ex ms.
BNCF C.7.419, f° 73r, Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 177.
54 «Que divisio usque modo duravit, et durabit, ut mihi videtur, usque in fi-
nem, quia video Grecos in tanta obstinatione circa istud factum, quod omnem here-
sim acciperent antequam faterentur Spiritum sanctum ex Filio procedere. Et magis
sunt obstinati modo quam unquam fuerint», texte édité ex ms BNCF C.7.419,
f° 84r-v, Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 176.
55 «Hoc etiam in modernis temporibus experimento probavi in eisdem. Nom
antequam tractarem cum eis, ipsorum episcopi, Calogeri et sacerdotes ac etiam po-
pulus ita fugiebant nostros sicut excommunicatos aut hereticos, et magna briga
erat... Cum autem cepissem cum eis familiarius tractare, circumeundo monasteria
eorum, stando cum eis familiariter, disputando cum eis, respondendo dictis eorum,
infra X annos ita domesticavi eos, quod modo in nullo nos vitant, ymo familiariter
comedunt et bibunt nobiscum et nos cum eis», texte édité ex ms BNCF C.7.419,
f° 84r-v, Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 179.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 215

Jean VI Cantacuzène (1347-1355). Le De processione Spirìtus Sancii


confirme l'existence de telles discussions56.
Philippe de Péra était, dans ces années là, très impliqué dans les
relations diplomatiques entre Rome et Byzance et il discuta très
vraisemblablement avec Gasbert d'Orgueil O.P., évêque de Ceneda et
Guillaume Emergani O.F.M., évêque de Kissamos. Clément VI avait
envoyé ces deux nonces à la demande de Jean VI Cantacuzène, dès
le début de son règne, en 1347. On est en droit de penser qu'en 1350,
Gasbert d'Orgueil s'était établi au couvent de son ordre à Péra,
comme Benoît de Corne l'avait fait avant lui. Quelques années plus
tard, le pape lui recommanda une nouvelle légation composée de
Guillaume de Sozopolis O.P. et de Pierre Thomas Carme, en 135657.
Mais il est également fort probable qu'alors que Pierre Thomas était
à Constantinople, en 1357, Philippe de Péra ait participé à la
discussion théologique entre les délégations des deux Eglises58.
Ainsi les écrits de Philippe de Péra montrent-ils l'importante
activité de la communauté des Prêcheurs dans les discussions entre
Rome et Constantinople au milieu du XIVe siècle. L'auteur lui-même
y participa donnant l'avis d'un Latin connaissant bien l'opinion des
Grecs qu'il côtoyait souvent. Mais le but de ses relations avec les
lettrés grecs était aussi la critique des textes nécessaires aux disputes
théologiques. C'est dans ce contexte qu'il convient d'inscrire la
fructueuse collaboration entre Philippe de Péra et le chancelier impérial,
Démétrios Cydonès, qui fut sans doute son élève.
Cette rencontre fut capitale pour Philippe de Péra et le
détermina à entreprendre son œuvre écrite. La période de création littéraire
de frère Philippe est très ramassée dans le temps puisqu'elle se situe
entre 1355 et 1359. Elle ne dura donc que quatre ans et coïncida avec
un moment où les négociations entre Rome et Byzance étaient très
actives. Pour frère Philippe et Démétrios Cydonès la collaboration se
faisait sur les deux plans en même temps et allait aboutir à la
conversion de l'empereur Jean V Paléologue au cours de son voyage
à Rome en 1369. Notre Prêcheur évoque celle-ci à plusieurs reprises
dans ses ouvrages. Ainsi, dit-il dans le De processione Spirìtus Sancii,
alors qu'il discutait avec un noble grec de la procession de l'Esprit
saint, et de la transcription d'une lettre de Saint Paul, il raconte que
ce Grec lui apporta une version du texte conforme à celle des Latins

56 Voir infra p. 225.


57 Sur ces légations pontificales, R.J. Loenertz, Ioannis de Fontibus O.P.,
epistula ad abbatem et conventum monasterii nescio cuius constantinopolitani,
dans AFP 30, 1960, p. 163-195.
58 J. Darrouzès, Conférence sur la primauté du pape à Constantinople, dans
REB 19, 1961, p. 76-110.
216 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

dans sa propre langue59. Dans le Libellas, il est plus précis, il donne


en effet le nom de son interlocuteur, Démétrios Cydonès : quodam
fideli greco vocato Demetrio Chidonij, nobili genere, cive Thesaloni-
censi qui conversas ad fidem... et indique que ce dernier trouva les
actes du huitième concile en grec, dans le monastère Saint- Jean de
Petra. Il lui fit transcrire le texte, et, ensemble, ils en firent la
traduction en latin60. Il est vraisemblable qu'il s'agisse de la même
personne dans les deux ouvrages. Cependant le Libellas fut écrit avant
le De processione et fut précédé par la découverte et la traduction des
actes du huitième concile : il faut donc remarquer que, dans le
dernier ouvrage de Philippe de Péra, et le plus important, son
collaborateur grec ne reçoit comme qualificatifs que quodam nobili Graeco
fideli. Peut-être la haute fonction que Démétrios Cydonès occupait au
moment de la rédaction du De processione exigeait-elle la discrétion
de l'auteur.

b) L'œuvre de Philippe de Véra

La première tâche à laquelle s'est attaché Philippe de Péra fut la


traduction en latin des actes du huitième concile grâce à la
collaboration de Démétrios Cydonès. En effet, comme il le montre avec
insistance et vigueur dans toute son œuvre, ce huitième concile
marqua la véritable rupture entre l'Eglise grecque et l'Eglise romaine. Il
précise clairement sa démarche dans le prologue du Libellus : il
cherchait depuis trente ans la cause du schisme. La découverte des
actes du huitième concile lui montra que le premier responsable en
fut Photios61. Ce concile se déroula en 869/70, en pleine crise pho-
tienne. Le patriarche Ignace avait été écarté du siège de
Constantinople par l'empereur Michel III, qui y avait placé Photios, en 858.
Neuf ans plus tard Ignace fut rétabli sur le siège patriarcal, alors que
le pouvoir politique avait changé de mains. Depuis les meurtres
successifs de César Bardas, en 866, et de l'empereur Michel III, l'année
suivante, Photios était privé de ses soutiens politiques. Le huitième
concile condamna Photios, réaffirma la primauté romaine et,
implicitement, le second rang à Constantinople dans le cadre de la «pen-
tarchie». Le problème de l'Eglise bulgare, enjeu de la polémique
entre Rome et Byzance, ne fut pas réellement réglé. Ce pays, évangé-
lisé par les Grecs, était revendiqué par l'Eglise latine. Rome refusait
toujours le patriarche autocéphale que réclamaient les Bulgares. Dès
les années suivantes, le clergé latin de Bulgarie fut expulsé et rem-

59 R.J. Loenertz, Fr. Philippe de Bindo Incontri du couvent de Péra, dans AFP
18, 1948, p. 265-280.
60 Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 172.
61 Ibid., p. 164-165.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 217

placé par des évêques et des moines grecs. A la mort d'Ignace, Pho-
tios, dont l'influence sur le clergé grec était restée majoritaire, fut
rétabli sur le siège patriarcal. Le concile d'union de 879-880 jeta l'ana-
thème sur le huitième concile et fut un triomphe pour Photios.
Depuis ce moment les Orientaux ne reconnaissent plus l'existence de
ce huitième concile62.
Depuis les années 1950, les historiens contemporains ont
cherché à relativiser l'importance de la rupture entre Rome et Byzance
au moment du conflit entre Ignace et Photios et, en même temps, à
donner de ce dernier une image plus conforme à la réalité63. De
nombreuses sources grecques apportent surtout des témoignages
négatifs sur la personnalité de Photios. Mais F. Dvornik montre que
les documents écrits sous le patriarcat de Photios et, en particulier
au moment du concile de 879-880, contiennent nombre d'arguments
en faveur de la primauté romaine64. Cependant l'insistance de
Philippe de Péra à faire du schisme de Photios la première rupture
grave avec l'Eglise romaine est à prendre en considération.
Ensuite frère Philippe rédigea trois autres ouvrages. Après avoir
traduit les actes du huitième concile, il s'attacha au problème
historique que posait le schisme dans son Libeïïus. Ce petit livre donne,
en effet, une approche historique des divergences avec les Grecs. Il
écrivit ses deux dernières œuvres à peu près en même temps, en
1358/5965. Le De oboedientia, fondé sur des sources canoniques, des
actes conciliaires et des lettres pontificales, justifie l'obédience à
Rome. Si ces sources remplissent une grande partie des feuillets, le
discours historique n'est pas absent et l'auteur nous donne un
développement assez long sur la carrière de Photios et sur la révolte en
Sicile, au temps de Constantin Monomaque. Le dernier ouvrage, le
De processione Spirìtus Sancii est en quelque sorte le couronnement
de l'ensemble de l'œuvre de Philippe de Péra.

e) Le De processione S.S., un ouvrage d'historìen

Le De processione Spirìtus Sancii se compose de trois parties :


l'étude des différentes ruptures qui se sont produites au cours de
l'histoire entre Rome et les Eglises orientales; une discussion sur la

62 G. Dagron, Ignace, Photius et Rome, dans Histoire du Christianisme, 4,


Paris, 1993, p. 169-197.
63 Surtout F. Dvornik et V. Grumel, voir la bibliographie dans Histoire du
Christianisme, 4, op. cit., p. 197.
64 F. Dvornik, Byzance et la primauté romaine, Unam Sanctam, 49, 1964,
p. 108.
65 Th. Kaeppeli, Deux ouvrages, op. cit., p. 171.
218 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

date à laquelle l'addition du Filioque a pu être effectuée; une


démonstration sur l'incapacité des Grecs à lire correctement les écrits
de leurs Pères.
La première partie est donc consacrée aux divisions successives
entre Rome et les Eglises d'Orient, c'est à dire les différentes
hérésies qui ont déchiré l'Eglise grecque. Ces Eglises sont citées dans le
texte par ordre d'importance : en premier lieu celle de
Constantinople, puis celles d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Si
Constantinople est la première, toutes les Eglises d'Orient sont
impliquées aussi dans le schisme. En effet comme ses prédécesseurs,
Philippe de Péra a pris très souvent le soin de montrer que le
schisme grec s'inscrit dans les relations entre Rome et l'ensemble
des Chrétiens d'Orient. Il arrive que le titre des traités polémiques
place sur le même plan les Orientaux et les Grecs. Parmi ceux qui
ont été cités plus haut, on aura remarqué le Tractatus contra errores
Orientalium et Graecorum de 1305. Cependant frère Philippe met
surtout l'accent sur le choix contestable des empereurs quant à leur
candidat au siège de Constantinople, qui est le patriarcat
œcuménique dont dépendent en fait les autres Eglises d'Orient66. Il impute,
en effet, à l'empereur la responsabilité de souvent confier ces Eglises
à un patriarche hérétique. En revanche, le pape apparaît toujours
comme le défenseur de l'orthodoxie.
Après avoir donné le nombre symbolique des schismes des
Eglises d'Orient, que les hérésies avaient placées hors de l'Eglise de
Rome : «Sciendum est quod XII vicibus ecclesie orientales diviserunt
se ab ecclesia romana...», notre auteur illustre cet argument de
plusieurs exemples, faisant l'histoire des principales hérésies. Parmi ces
douze séparations, Philippe de Péra n'en développe que quatre : la
première fut celle des Ariens, la seconde celle de Macédonius, la
troisième celle de Nestorius. Il évoque alors les débuts du Mono-
physisme.
Ainsi Constance, fils de Constantin le Grand, favorisa-t-il Eu-
sèbe d'Antioche et Eusèbe de Nicomédie, de la secte des Ariens67,
aux dépens de saint Athanase, vrai catholique et défenseur de la
consubstantialité du Père et du Fils au concile de Nicée. L'empereur
transféra Eusèbe de Nicomédie sur le siège de Constantinople. A la
suite des persécutions exercées contre les catholiques, Athanase, exi-

66 Le patriarche de Constantinople est nommé par l'empereur byzantin après


consultation du synode des évêques. Le titre d'Eglise œcuménique est une
revendication de l'Eglise byzantine évidemment refusée par Rome.
67 L'Arianisme, du nom de son initiateur, Arius, était une hérésie christolo-
gique affirmant une subordination du Fils par rapport au Père. Il fut condamnée
par le concile de Nicée I (325).
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 219

lé par l'empereur, échappa miraculeusement à la mort plusieurs


fois, mais un autre, Paul (l'évêque) de Constantinople, eut moins de
chance et mourut étranglé sous l'autel de l'église de Cucuse68. Atha-
nase d'Alexandrie indique seulement «on ne se cacha pas pour le
faire étrangler dans la ville de Cucuse en Cappadoce...»69. Philippe
de Péra avait donc lu une version plus complète puisqu'il ajoute que
l'assassinat fut perpétré sous l'autel de son église70. Athanase envoya
une lettre au pape J les afin de lui montrer son orthodoxie et
d'obtenir son appui contre les Ariens.
Philippe de Péra énumère ensuite les patriarches71 hérétiques
qui se succédèrent à Constantinople pendant trente-six ans, l'auteur
ayant soin de mentionner le nombre d'années de chaque règne72. Il
évoque alors le concile qui fut réuni à Constantinople pour
condamner le patriarche Macédonius73, qui ne gouverna l'Eglise qu'un an.

68 II s'agit de Paul Ier, patriarche de Constantinople (339-341; 342-344; 348-


350) et de son ami saint Athanase, patriarche d'Alexandrie; ils s'opposèrent au
parti arien, installé à Constantinople, les informations de Philippe de Péra sont
conformes à la légende, A. Kazhdan, dir., Oxford dictionary of Byzantium, 3,
Oxford, 1991, p. 1605.
69 Athanase, apologie pour sa fuite, Sources Chrétiennes, 56, p. 137.
70 «...Eusebium nicomediensem qui erat magnus laqueus dyaboli et suos
complices infinitas persecutiones fecit omnibus catholicis occidentalibus et orienta-
libus et maxime beato athanasio qui miraculose evasit a morte moltotiens in tan-
tum quod imponebatur sibi quod arte magica deluderei valentes eum interfìcere
tandem suffocato beato paulo constantinopolitano sub altari in cucusa civitate
parva asye...» Ms. Bale A VI 15, f° 96v.
71 Le titre de patriarche, pour désigner les primats des grandes Eglises
d'Orient, ne fut adopté que progressivement. Il semble avoir été introduit à
Constantinople sous Acacius (472-488), J. Meyendorff, Impérial Unity and Christian
divisions, New York, 1989, p. 58; A. Kazhdan, dir., Oxford Dictionary of Byzantium, 3,
Oxford, 1991, p. 1599-1600. Philippe de Péra utilise à juste titre le terme
d'archevêque pour nommer le chef de l'Eglise grecque à cette période.
72 «...et extunt heretici ceperunt occupare predictam [ Constantinopol.J Qui
Eusebius tenuti sedem annis xii persévérons continue in persecutione catholicorum
Post quern tenuit Macédonius anno i iste est Macédonius heresiarcha [sic] qui spe-
cialiter posuit primo spiritum sanctum esse creaturam. Contra heresim congregata
fuit in Constantinopolitana sede utilis CL. sanctorum patrum. Post quern
predictam sedem tenuit Eudosius füius arrianus vixit annis χ Post quern Demophilus
annis xii Quo secutus est Evagrius anno i Omnes isti quinque fuerunt heretici et te-
nuerunt ecclesiam constantinopolitanam annis xxxvi. », Ms. BNCF, ï° 88.
Macédonius était le rival de Paul I; ils alternèrent sur le siège de Constantinople entre 342
et 350 jusqu'à ce que Paul soit définitivement exilé. Macédonius conserva l'Eglise
de Constantinople de 350 à 360. Opposé aux Ariens, il fut à l'origine d'une autre
erreur christologique, il refusait en effet de reconnaître la divinité du Saint
Esprit. Ses partisans furent appelés Pneumatomaques. Son successeur, Eudoxe
(360-370), soutenait les Ariens. Le patriarcat d'Evagre fut éphémère car
l'empereur Valens lui préféra un Arien, Démophile (370-380). Ce dernier fut contraint
de se retirer par l'empereur Théodose.
73 II s'agit du concile de Constantinople de 381.
220 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Philippe de Péra définit alors cette nouvelle hérésie : Macédonius


disait que le Saint Esprit était une créature74. On remarquera
l'exactitude et la précision des informations de Philippe de Péra. Il y eut
bien trente-six ans entre la période de dissidence de l'Eglise grecque,
entre le patriarcat d'Eusèbe de Nicomédie (341) et le début de celui
de Grégoire de Nazianze (380), en tenant compte des quelques
années pendant lesquelles Paul de Constantinople reprit la direction de
l'Eglise grecque.
L'auteur fait ensuite une large place à Giégoire de Nazianze.
Après avoir indiqué qu'il avait été nommé par Théodose à la tête de
l'Eglise grecque contre les canons pour éviter qu'un hérétique la
prenne de nouveau, Philippe de Péra insiste sur l'œuvre apostolique
de Grégoire de Nazianze, qui parvint à convertir tout le monde à la
vraie foi romaine. Théodose est gratifié du qualificatif de catholique
pour avoir choisi un tel patriarche. L'auteur précise aussi que ce
Père de l'Eglise, que les Grecs appellent le théologien, resta sur le
siège patriarcal pendant douze ans75. Mais au moment du concile
des 150 Pères à Constantinople, convoqué par le pape Damase et
l'empereur Théodose le Grand, face au murmure grandissant des
évêques contre lui, il décida de partir de lui-même76. Le patriarcat de
Grégoire de Nazianze fut, en effet, très bref et ne dura que quelques
mois en 380-381. Les circonstances de son passage de Nazianze à
Constantinople peuvent expliquer qu'on ait jugé son élection comme
anti-canonique, comme le dit Philippe de Péra. En effet, Grégoire de
Nazianze avait été élu par le pouvoir civil et comme plébiscité par le
peuple et le clergé; le concile de Constantinople I avait validé ensuite
ses fonctions. Cette élection n'était en effet pas conforme au canon
XV du concile de Nicée I. Président de ce concile, sa position fut
alors contestée et on prit sans doute ce prétexte pour l'obliger à
démissionner. C'est alors que ne trouvant, pour le remplacer, aucun
clerc qui ne fut hérétique, le synode choisit un laïc, Nektarios,

74 «macedonius heresiarcha qui spirìtualis ponuit primo spiritum sanctum


esse creaturam... », Ms. Bale A VI 15, î° 97r.
75 «Cum beatus gregorius predictus nanzangenus quem Greci theologum
appellant tenuisset sedem annis vii omnes convertit ad veram fidem romanam...», Ms.
BNCF, f> 88.
76 «Qui cum congregati essent predica sancii patres CL cepit murmurum [sic]
increscere contra beatum gregorium Nanzangenum supradictum contra canones...
nullus audebat eidem palam dicere... Qui advertens stetit in medio eorum et ait si
propter me est ista tempestas tollite me et precipitate me in mari hoc dicens cessit
voluntarie. », Ms. BNCF, f° 88, Grégoire était Cappadocien, ami de Basile de
Cesaree. Il prit en main l'Eglise de Nazianze à la mort de son père en 374, DHGE,
t. 22, Paris, 1988, col. 15-18; DECA, t. 1, Paris, 1990, p. 1108-1111. Les démissions
de Grégoire de Nazianze, Les Conciles œcuméniques, dir. G. Alberigo, Paris, 1994,
p. 66-67.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 221

homme prudent et de bonne réputation77. Lui aussi fut ordonné


contre le canon, qui dit qu'aucun laïc ne peut être promu sur un
siège episcopal.
Pour cette période, commencée avec Grégoire de Nazianze et
longue de quarante-cinq ans, notre Dominicain indique que les
patriarches de Constantinople furent tous dans l'obédience de Rome
sauf pendant les deux ans de gouvernement d'Arsace. Ce fait lui
donne l'occasion de souligner de nouveau le rôle négatif de certains
empereurs comme Arcadius, soutenu par l'impératrice Eudoxie, qui
sous l'influence de Théophile d'Alexandrie78, déposa Jean Chrysos-
tome. Exilé, il fut remplacé sur le siège patriarcal par Arsace79. Cette
même impératrice est de plus rendue responsable de la détention,
pendant deux ans, des nonces envoyés par le pape Innocent afin de
protester contre cette déposition80.
Puis Philippe de Péra évoque longuement la seconde séparation
des Eglises d'Orient au moment de l'arrivée de Nestorius sur le siège
patriarcal81. Ce dernier se mit tout de suite à prêcher qu'il ne fallait
plus appeler la vierge Marie mère de Dieu, mais mère du Christ. Un
nouveau concile fut donc convoqué et réunit deux cents Pères de
l'Eglise82. Cyrille, patriarche d'Alexandrie, y combattit
vigoureusement Nestorius et le symbole nestorien de Karisius, prêtre de
Philadelphie. Nestorius fut déposé et condamné par le concile. Saint
Cyrille écrivit à cette occasion une abondante correspondance, dont
une lettre au pape Célestin, qui le rassura sur l'exactitude de sa foi.

77 Ms. BNCF, f° 88, Nectarius fut un des rares patriarches issus de la classe
sénatoriale. Selon Diodore de Tarse, il fut inscrit sur la liste des candidats
présentés par Théodose Ier bien qu'il ne fût pas baptisé, A. Kazhdan, dir., Oxford
dictionary of Byzantium, New York - Oxford, 1991, 2, p. 1451.
78 Théophile d'Alexandrie : patriarche d'Alexandrie (385-412). La persécution
qu'il mena contre les partisans d'Origène le fit entrer en conflit avec Jean Chry-
sostome, patriarche de Constantinople (398-403), qui les protégeait. A
Constantinople en 403, où il devait se disculper, il parvint à retourner la situation à son
profit et déposa Jean Chrysostome. Il fut alors excommunié par le pape Innocent
Ier auprès duquel Jean avait fait appel, DECA, t. 2, Paris, 1990, p. 2426-2427.
79 Arsace, patriarche (404-405), il fut imposé par l'impératrice Eudoxie après
la déposition de Jean Chrysostome. Il ne fut jamais reconnu comme patriarche
par le pape et l'Occident, DECA, t. 1, Paris, 1990, p. 256.
80 «Hic Arsacius fuit ordinatus expulso Johanne Crisostomo de sede per Theo-
fillum allexandrinus favore imperatoria Archadii agente imperatrice Eudoxia contra
quam Innocentius papa litteras et nuntios misit qui nuntii fuerunt detenti in quo-
dam castro nomine thira per duos annos. » Ms. BNCF, f° 88r. «Castrum Thira» doit
être identifié à Théra, Santorin.
81 Nestorius, patriarche (428-431), il fut déposé par le concile d'Ephèse (431).
Il insistait sur la nature humaine du Christ, DECA, t. 1, Paris, 1990, p. 1742-1744.
L'analyse de Philippe de Péra est tout à fait juste.
82 Concile d'Ephèse, 431.
222 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Frère Philippe insiste ensuite sur l'entière satisfaction du pape83.


C'est ainsi que Constantinople résista à l'hérésie de Nestorius,
puisque le pape avait donné les assurances nécessaires. Les autres
Eglises ne suivirent pas Nestorius et le schisme ne dura pas plus de
trois ans, le temps du patriarcat de Nestorius84. La troisième division
intervient pendant le patriarcat de Flavien à cause de
l'archimandrite Eutychès85. Il s'agit des débuts de la crise monophysite.
Pour Philippe de Péra, ces quatre premières déviations de
l'Eglise grecque contre l'orthodoxie romaine et les trois conciles, qui
furent réunis alors, sont l'occasion de démontrer que les Grecs eux-
mêmes n'ont pas cessé de faire des additions aux différents
symboles rédigés par les conciles antérieurs. Et il en déduit que, refusant
toute addition, ils s'excommunient eux-mêmes puisqu'ils
participèrent à ces conciles. Pour appuyer cette thèse, frère Philippe se
livre à une comparaison, ligne à ligne, des symboles des trois
premiers conciles, dont il a trouvé le texte en grec et en latin. Et, ajoute
t-il ensuite, les Grecs ont continué au moment du concile de Chalcé-
doine86, puis du septième concile (Nicée II), sous le patriarcat de Ta-
rasios87. On aura noté l'erreur de notre auteur sur le lien de parenté
qu'il affecte à l'impératrice Irène. Au moment du septième concile
c'est-à-dire de Nicée II (787), régnaient sur Byzance Constantin VI et
sa mère Irène88. Et Philippe de Péra insiste plus loin sur la nécessité,

83 «Cirittus alexandrinus multas litteras scripsit ut corrigeret dicta et scripta


sua qui cum pertinaciter in eisdem persisterei scripsit eidem aliam epistulam unam
cum concilio egiptiaco in qua epistula per dicta sacre scripture redarguii eundem...
Quant epistulam misit Celestino pape quant Celestinus examinons invenit rectam et
catholicam fidem integerrime continentem. », Ms. BNCF, f° 89.
84 Trois ans correspondant à la durée du patriarcat de Nestorius.
85 Eutychès fut exilé après sa condamnation au concile de Chalcédoine (451),
DECA, t. 1, Paris, 1990, p. 929-930.
86 Le concile de Chalcédoine examina les questions doctrinales afin de
parvenir à une nouvelle formule de foi, qui fut promulguée en présence de l'empereur
Marcien le 25 octobre 451, DECA, t. 1, op. cit., p. 460-461.
87 «Et hoc manifestissime apparet in vii sinodo quod fuit celebrata tempore
Adriani primi et Constantini ν imperatoris et Hyrene mulieris eius ut dictum est.
Tarasius autem tenebat sedem constantinfopolitanam]... quibus sancii patres
CCCLjcvi vicarii autem domini pape fuerunt petrus presbiter cardinalis monachus
et petrus abbas monasterii sancte Sabei qui est in ipsa urbe romana. Nam in isto
concilio sic addiderunt...», Ms. BNCF, f° 90v. Les légats du pape Hadrien I
s'appelaient en effet tous lés deux Pierre et appartenaient au clergé romain. Les actes de
Nicée II les nomment : «Petrum archipresbyterum ecclesiae sancii Pétri et Petrum
abbatem sancii Sabae...», Mansi, XII, p. 957. Il ne faut cependant pas en conclure
au faible rang des légats pontificaux dans la hiérarchie, comme G. Dagron,
Ignace, Photius et Rome, op. cit., p. 123. Philippe de Péra ne nous dit-il pas que le
premier était cardinal.
88 Le concile de Nicée II avait pour but de mettre un terme à la crise
iconoclaste. L'impératrice Irène était attachée au culte des images et avait choisi Tara-
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 223

qui s'était imposée aux Pères, d'ajouter au symbole que l'Esprit Saint
procédait du Père par le Fils89.
En effet, reprend notre auteur, par quatre fois, l'erreur sur la
procession du Saint Esprit fut introduite par les Grecs. Là encore
son argumentation s'appuie sur l'histoire. Pour en arriver à cette
conclusion, il s'est livré à de nombreuses recherches, a compulsé
diverses histoires et chroniques, interrogé ses contemporains, des
Grecs bien informés. Il fait, en particulier appel au souvenir de son
maître, frère Simon, déjà évoqué, qui avait lui-même discuté de
cette question avec un Grec. Philippe précise que cet homme, un
haut magistrat, avait grande réputation parmi les Grecs, car il
connaissait très bien les chroniques. Après avoir confronté ses
diverses sources, il arrive aux conclusions suivantes : l'erreur sur la
procession du Saint Esprit fut faite une première fois par Nestorius,
ensuite dans les années qui précédèrent le VIIe concile, puis par Pho-
tios et enfin à l'époque de Constantin Monomaque. Pour les deux
premières fois il invoque des preuves textuelles. C'est Saint Thomas
qui dit que Nestorius fit cette erreur et si le VIIe concile ajouta «per
Filium» ce n'était pas pour rien. Il développe pour les deux autres
fois une argumentation historique. Cette erreur fut reprise par Pho-
tios parce que le pape ne voulait pas le confirmer sur le siège de
Constantinople90. Pour Philippe de Péra l'addition du Fiîioque ne
pouvait être qu'antérieure à la crise photienne et l'affirmation
grecque était anachronique. Elle n'a pu être faite non plus du temps
du pape Pascal, à l'époque de Photios, puisque 25 ans les séparent;
lorsque Pascal était pape, Photios n'était pas adulte et encore moins
patriarche de Constantinople. La question de l'addition a été de
nouveau soulevée, par les Grecs, à l'époque de Constantin Monomaque,

sios (784-806) pour ses qualités de diplomate, un laïc (de nouveau), chef de la
chancellerie impériale, G. Dagron, ibid., p. 122-129.
89 «...videtur insurrexisse tempore concilii vii ut superius tractum est non
enim sine magna causa sancii patres addiderunt in simbolo spirìtum sanctum ex
patre per filium procedere». Ms. BNCF, f° 94r. Le symbole de Nicée II donne à
propos de la procession du Saint Esprit : «Credimus... Et in Spiritum Sanctum, Do-
minum, vivificantem, qui ex Patre Filioque procedit...» Mansi, XIII, p. 729. II
convient de noter ici le problème de l'équivalence entre per et ex et la différence
de traduction entre le traité de Philippe de Péra, qui avait lu le texte grec et la
version officielle du symbole de l'Eglise latine, éditée par Mansi.
90 Par deux fois cet argument est donné par Philippe de Péra : «Tertio...
tempore fotii... et hoc quod papa Nicholaus noluit ipsum confirmare in sede patriar-
chatus quia ut tractum est invasit sedem vivente ignatio patriarcha. », f° 94r; «...ut
dictum est primus qui opposuit sumpta occasione contra ecclesiam pro tali addi-
tione fuit fotius et nulla alia causa fuit nisi quia papa Nicolaus primus noluit eum
consentire ut confirmatione eum in sede patriarchatus qui vivente ignatio patriar-
chatum invasit tirannice...», f° 95r.
224 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

c'est à dire 180 ans et plus après Photios. L'auteur construit ainsi son
argument politique expliquant le schisme de Constantin Mono-
maque : la rupture à propos de la procession du Saint Esprit est due
à la révolte de la Sicile. Et il renvoie à un autre de ses ouvrages, le De
oboedientia. A ce moment du récit on pourrait s'attendre à voir
évoqué le schisme de Michel Cérulaire. Il n'en est pas question. Philippe
de Péra dit que c'est à l'occasion de la rébellion de Sicile que
l'empereur retira les Grecs de l'obédience de Rome. Dans le De oboedientia,
Philippe de Péra donne davantage de détails sur cette rébellion. La
cause, selon lui, en est la politique de Constantin Monomaque qui a
ordonné le pillage de l'île, en particulier des marbres polychromes
des églises, pour construire le monastère Saint Georges des Man-
ganes à Constantinople91. Il évoque également les soupçons de
Constantin Monomaque à l'égard du pape, qui, selon lui, aurait
favorisé la révolte de la Sicile. Puis, assez brièvement, il rend compte de
l'ambition de Michel Cérulaire pour le titre et les insignes
pontificaux de même que le soutien de l'empereur au cours de la réunion
d'un synode lorsqu'il revendiqua le patriarcat œcuménique pour
Constantinople92. Ainsi la divergence sur le Filioque permit-elle à
l'Eglise grecque de revendiquer la première place au nom de
l'orthodoxie. En fait, selon ses recherches, il est impossible de dire à quelle
époque, sous quel pape, par quel concile le Filioque fut ajouté au
symbole : les Grecs disent que c'était au temps de Photios, mais
l'addition du Filioque a, en réalité, servi d'argument à la rupture avec
Rome, du temps de Constantin Monomaque. Pour ces deux
dernières dissidences de l'Eglise grecque, Philippe de Péra invoque
donc essentiellement des arguments politiques et c'est encore plus
net pour celle de Constantin Monomaque. Ainsi l'erreur grecque sur
la procession du Saint Esprit est-elle envisagée par notre auteur
comme liée aux relations, de plus en plus difficiles, avec le Saint
Siège.
Si aucun de ses contemporains n'est capable de préciser
l'époque de l'addition du Filioque, c'est, selon Philippe de Péra qu'elle
est très ancienne et dépasse la mémoire humaine. Il émet cependant
plusieurs hypothèses. Après avoir découvert que, déjà du temps du

91 Constantin Monomaque fit en effet construire dans le quartier de Man-


ganes un somptueux ensemble architectural comprenant, outre l'église et le
cloître du monastère qu'il fonda, un palais, un hôpital, une école et des jardins,
A. Kazhdan dir., Oxford dictionary of Byzantium, 2, p. 1283; R. Janin, Eglises et
monastères de Constantinople, Paris 1953, p. 75-76.
92 «Et imperator omnia complens coram multitudine episcoporum ipsum pro-
nunciavit patriarcham utilem totius orbis. », De oboedientia, Ms. BNCF, C. 7.419,
f° 84v-85r.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 225

pape Damase, l'Eglise romaine chantait le Filioque, il a poursuivi


son enquête. Il a ainsi trouvé que plusieurs conciles avaient eu lieu à
Tolède. Le premier, du temps du pape Léon, fut convoqué pour
combattre les hérésies, mais il n'a pas pu découvrir la date du
second93. Il est possible que ce soit à ce moment, mais notre historien
n'en a pas trouvé la preuve écrite94. Certes il s'agissait d'un concile
local, mais depuis cette addition, plusieurs conciles œcuméniques
ont eu lieu et personne, parmi les Grecs, ne l'a contredite, même pas
le patriarche Méthode95, qui était le prédécesseur d'Ignace et avait
une réputation de saint. A ce moment du récit, il exalte le rôle des
papes dans l'évangélisation des Goths et évoque le règne de
Charlemagne, au cours duquel toutes les Eglises étaient unies. Dans sa
louange à ce grand souverain, il va jusqu'à le créditer de la
reconquête de l'Espagne sur les Sarrasins.
Mais ses recherches ne l'ayant pas complètement satisfait, il alla
consulter un moine grec et celui-ci lui montra un livre, qui avait été
écrit par l'archevêque de Cyzique. Ce passage du De processione
montre bien le climat des relations entre les Dominicains de Péra et
les moines grecs de la capitale96. Le récit de Philippe de Péra est
important car il prouve une nouvelle fois que les Dominicains étaient
reçus dans les monastères grecs dans le but de discuter des
divergences entre les deux Eglises. Il apporte également le témoignage

93 II y a eu 18 conciles de l'Eglise wisigothique à Tolède entre 400 et 701,


Enciclopedia cattolica, XII, col. 194. Les hésitations de Philippe de Péra peuvent
ainsi s'expliquer.
94 Texte cité p. 233, note 129.
95 Méthode (843-847) restaurateur de l'orthodoxie après le second icono-
clasme. Sa mention dans l'ouvrage de Philippe de Péra s'explique non seulement
par son œuvre dans l'Eglise grecque mais aussi parce qu'il se réfugia auprès du
pape Pascal Ier en 815 et qu'il rapporta de Rome un «Tomos d'orthodoxie» du
pape, G. Dagron, Le second iconoclasme et l'établissement de l'orthodoxie, dans
Histoire du Christianisme, 4, op. cit., p. 135-165. Méthode jouissait donc d'une
double caution, celle des Grecs et celle de Rome.
96 «Cum enim in quodam monasterio disputarem cum quodam monacho
greco inter eos scientem [sic] reputato et loqueremur de tempore additionis istius de
spiritu sancto porruit unum libellum quem dicebatur composuisse quidam archi-
episcopus chisicensis quem bene noveram. In quo libello ostendit mihi sicut
scriptum erat quod hec additio facta fuerat a Christoforo papa ex reductione karoli
magni. Deridens eum dixi quod allegatis quod nescitis nullus enim papa Christoforus
fuit tempore karoli magni nee post per LXXV annos I [magnus autem, con. in ] et
ultra / Christoforus iste fuit per annos L post fotium. Et iste fotius fuit primus qui
insurrexit contra Ecclesiam propter istam additionem et imponebat. Quod ex hoc
erant excommunicati et depositi qui addiderant. Non enim insurrexit contra
ecclesiam pro additione fienda sed propter iam factam. Qui sic deprehensus clausit li-
brum dicens bene credo quod iste nescit quod dicat. Propter hoc posui quod greci
nullam habent defensionem sui errorum quando disputant cum homine sciente»,
Ms. Bale A VI 15, f3 109r.
226 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

d'une discussion ouverte, l'argumentation étant fondée sur des


ouvrages écrits en grec, et on est en droit de penser que les échanges se
faisaient dans la même langue. Il n'est certainement pas étonnant
que Philippe de Péra se donne le beau rôle, soulignant, avec une
pointe de mépris «deridens eum», qu'il connaît mieux l'histoire des
deux Eglises que le moine grec, pourtant réputé pour sa science.
Mais le ton direct du récit atteste l'authenticité de cette
conversation. La réalité était bien que les Dominicains de Péra possédaient
une parfaite connaissance du dossier grâce à des années
d'investigation dans les sources grecques. Frère Philippe ne dit-il pas qu'il
connaissait bien l'auteur du texte apporté par son interlocuteur97.
Ces discussions ont donc permis à Philippe de Péra de bien
appréhender les rapports entre les Grecs et leur patrologie, et il leur
consacre la troisième partie de son ouvrage.
Ce dernier ensemble de l'argumentation est introduit par un
assez long avertissement à ceux qui voudraient discuter avec les Grecs.
Lorsque ceux-ci lisent leur patrologie, ils se trompent et ils nous
trompent en raison d'un problème de langue et d'authenticité des
textes. Philippe de Péra lui-même en a fait l'expérience et il met en
garde ceux qui voudront discuter avec les Grecs98. Le but de la
démonstration est de prouver que lorsqu'on lit bien la patrologie, les
Pères grecs ont toujours dit que l'Esprit Saint procédait aussi du Fils
et que ce dogme fut approuvé par les conciles œcuméniques, ceux-ci
se référant à eux.
Philippe de Péra aborde la question linguistique selon deux
points de vue, la grammaire et le vocabulaire. La question de
grammaire porte sur la valeur des prépositions dia et ek dans la langue
grecque et celle de leur équivalent per et ex en latin. Après
consultation d'un grammairien, il conclut que les Grecs ont tort de dire «a
pâtre per filium » et il démontre que lorsque Cyrille d'Alexandrie ou
Athanase d'Alexandrie utilisent «per», ils disent «ex», dans une
signification instrumentale. Il démontre également l'équivalence des
verbes profitiere et procedere dans l'œuvre de Cyrille d'Alexandrie,
comme nous le verrons plus loin.
Mais Philippe de Péra dénonce surtout les corruptions de textes.

97 L'auteur du livre apporté par le moine grec doit être Athanase, métropolite
de Cyzique de 1315 à 1350. Athanase était un correspondant de Grégoire Palamas.
Il participa au synode qui condamna Barlaam le Calabrais en juillet 1341.
Adversaire du patriarche Jean XIV Calécas, il soussigna le tomos du synode de 1347,
consacrant la victoire du palamisme. J. Darrouzès, Regestes du Patriarcat, Paris,
1977, 5, n° 2110, 2206, 2209, 2213; PLP, 1, n° 389.
98 «...cum essem minus expertus in talibus et similibus ipsi me falebant et
sepe. Et ideo hoc posui Ulis qui volunt disputare cum greets ne decipiantur. Hiis po-
sitis procedamus ad auctoritates sanctorum ex quibus ostenditur quod spiritus
sanctus est sic a pâtre sic et ab ipso fïlio. », Ms. BNCF, f° 97r.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 227

Les Grecs utilisent des textes où des mots ont été omis
volontairement et ont laissé de côté ceux qui montraient la procession du
Saint Esprit par le Fils.
Notre Dominicain effectue cette lecture critique par la
confrontation des différentes éditions des Pères grecs. Car si les Grecs
soupçonnent les Latins d'avoir corrompu leurs textes, Philippe de Péra
montre que les Grecs en ont fait autant. Notre auteur s'est donc mis
en quête du texte authentique en cherchant les livres anciens. Ainsi
dans le seul passage bien connu de son œuvre, Philippe de Péra
raconte comment il a retrouvé des textes grecs mentionnant
clairement que l'Esprit Saint procède du Fils avec l'aide d'un noble grec,
que l'on a identifié avec Démétrios Cydonès". Cette recherche avait
été précédée d'une discussion au cours de laquelle notre polémiste
dominicain avait évoqué l'absence suspecte du nom de Jésus dans
certains textes grecs de l'Evangile. En lisant le Contra Eunomium de
Saint Basile, Philippe s'est aperçu que les preuves de la procession
du Saint Esprit par le Fils avaient été volontairement omises dans
les nouvelles éditions100.
Il nous dit aussi comment il a retrouvé le symbole Quicumque
Vult. On sait aujourd'hui que l'attribution de ce texte à saint Atha-
nase n'est plus reconnue101, mais ce document a tellement été mis à
contribution dans les discussions entre les deux Eglises que le récit
de Philippe de Péra mérite qu'on s'y arrête, car c'est pour lui une
nouvelle occasion de montrer la mauvaise foi des Grecs. Dans son
traité, il indique en effet que les Grecs affirment ne pas avoir reçu ce
document parce que, selon eux, Athanase l'a écrit au cours de son
exil et qu'elle était adressée au pape. Mais il réfute cette opinion
disant qu'il a retrouvé ce document, epistula ad Julianum, dans un très
vieux livre dont un folio était presque complètement détérioré par le
temps102. Cette découverte sera reprise par Manuel Calécas dans son
traité Adversus Graecosm.

99 SOP I, p. 646-647, cité par R.J. Loenertz, Fr. Philippe de Bindo Incontri
O.P. du couvent de Péra, inquisiteur en Orient, AFP 18, 1948, p. 265-280.
L'identification a été faite par Th. Kaeppeli grâce au Libellus, Deux ouvrages, op. cit.,
p. 164-165.
100 «Notandum quod istud dictum beati basila [filli ymago est spiramen eius
spiritus] in antiquis libris invenitur, in novis non invenitur...», Ms. BNCF, f° lOlv.
101 V. Laurent, Le symbole «Quicumque Vult» et l'Eglise byzantine, dans Echos
d'Orient 35, 1936, p. 385-397.
102 «Athanasius... misit epistulam julio pape de fide sua... quae epistula non
fuit scripta in greco nec missa in greciam. Ideo excusant se non habere. Ego autem
simbolum fidei invent scriptum in uno libro antiquissimo unde fuerat folium ex-
tractum ubi hoc erat scriptum fere totum dilaceratum ex antiquitate.», Ms. BNCF,
f° lOlr; Ms. Bale A VI 15, i° 114v : «...ego autem invent hoc simbolum fidei in greco
in uno libro antiquissimo... ».
103 Sur la tradition grecque du symbole Quicumque vult, et l'assertion de Ma-
228 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Ensuite il démontre que les Grecs ne savent pas lire


correctement leur patrologie104. C'est le passage de l'ouvrage où l'auteur
multiplie les citations de la patrologie grecque. Les textes patristiques
sont utilisés dans deux directions différentes : l'étude de la
terminologie reste importante mais l'analyse se fait plus théologique.
La collection des références patristiques est organisée dans
l'ordre chronologique. Chaque auteur est annoncé par une courte
biographie. Les analyses de citations, montrant que les grands
docteurs de l'Eglise byzantine concevaient la procession du Saint Esprit
conformément au dogme romain, ponctuent cette sorte d'histoire de
la patrologie grecque. Si Athanase et Cyrille, tous deux patriarches
d'Alexandrie, sont abondamment cités dans deux parties du texte, ils
ont leur place dans ce tableau chronologique des Pères grecs.
Après avoir présenté brièvement Athanase d'Alexandrie,
Philippe de Péra cite, en effet, abondamment son œuvre sur deux folios
et termine par sa découverte de la lettre au pape Jules. Evoquant
ensuite Basile de Cesaree, il indique que, vivant à l'époque de
l'empereur Julien, successeur de Constance, il n'eut pas à souffrir des
persécutions comme Athanase. C'est après avoir cité plusieurs passages
du Contra Eunomium qu'il montre que les Grecs ont ommis, dans
les livres plus récents, les expressions où l'on voyait Basile de
Cesaree concevoir la procession du Saint Esprit comme les Latins. Il
présente un peu plus loin Epiphane de Chypre105. Cette référence n'est
pas originale, un de ses ouvrages, le De Anchireto, fut en effet mis à
contribution dans tous les traités écrits par les Dominicains contre
les Grecs depuis l'anonyme de 1252 106. Mais Philippe de Péra
présente à la suite des citations de deux autres livres d'Epiphane sur la
procession du Saint Esprit : le De Trinitate et le De vestibus cilicinis.
Après avoir retracé à grands traits la vie des principaux Pères de
l'Eglise grecque (le groupe des Cappadociens, Cyrille de Jérusalem,
Epiphane de Chypre, Jean Chrysostome) il s'arrête un moment sur
la comparaison entre les textes liturgiques de Jean Damascène et ses
œuvres dogmatiques107. Dans les uns comme dans les autres, Jean

nuel Calécas, V. Laurent, Le symbole «Quicumque Vult» et l'Eglise byzantine, dans


Echos d'Orient, octobre-décembre 1936, p. 385-404, notamment p. 393 et note 4.
104 fo 9gr . « ex guibus omnibus manifeste concluditur quod [spiritus]
procedei a filio sicut ab ipso pâtre. Sed quia ipsi predictas auctoritates distorte exponunt
veniamus ad dicta sanctorum qualiter sancii predictas auctoritates exposuerunt».
105 Epiphane de Chypre, évêque de Salamine (Constantia) 367-403, il a
défendu le symbole de Nicée contre les hérésies, en particulier l'Origénisme, A. Kazh-
dan, dir., Oxford Dictionary of Byzantium, I, p. 714.
106 «Tempore archadii et honorii imperatorum floruit beatus epiphanius cy-
priensis inter concilium secundum et tertium. Hic Epiphanius in libro qui vocatur
anchireta de processione Spiritus sancii dicit sic», Ms. BNCF f° 103r-v.
107 Jean Damascène, théologien (675 e. -749), fut le plus grand théoricien
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 229

Damascène ne met pas les mêmes présupposés que les Grecs108. Il


termine son tour d'horizon de la patristique grecque par Théodore
de Raithu, dont il donne deux citations109.
Philippe de Péra achève son ouvrage par l'histoire
contemporaine en montrant que la mauvaise foi des Grecs lorsqu'ils lisent
leurs textes persiste. Cette dernière partie commence par une longue
évocation de l'œuvre de Cyrille d'Alexandrie110, dont il donne de
multiples citations. Philippe de Péra a tiré une trentaine de citations
d'ouvrages très divers comme le De sancta et consubstantiali Trini-
tate ad Hermiam, très sollicité par les polémistes dominicains,
comme le Liber Thesaurorum, mais aussi YApologétique à l'empereur
Théodose le Jeune. Il se livre de nouveau à une explication de
vocabulaire. Philippe de Péra a retrouvé, dans une traduction en latin, la
lettre synodale que Cyrille écrivit pour le concile d'Ephèse. Il y est
dit que «procedere·» est équivalent à «profiliere» , ce que les Grecs
refusent111. Ainsi les Grecs sont-ils de mauvaise foi, car lorsqu'on leur
fait remarquer que si les livres des autres Pères ont été modifiés
dans le sens qui leur convenait, ceux de Cyrille ne l'ont pas été, ils
répondent que c'est parce que ce Père a écrit sous la pression des
hérétiques112.
Alors qu'à l'époque de Michel Paléologue, des hommes ont
essayé de faire éclater la vérité, Jean Beccos, Georges Métochitès et
Constantin Méliteniotès, depuis le règne d'Andronic et sous
l'influence de Joseph et de Grégoire de Chypre, les deux successeurs de
Jean Beccos, les Grecs sont retombés dans leur erreur. Grégoire de

oriental de la doctrine chrétienne, Oxford Dictionary of Byzantium, 2, op. cit.,


p. 1063-1064.
108 «Et quod intendo damasceni non sit sic ipsi greci supponunt patet per alia
dicta sua in libris suis et in officio quod composuit. Nam in officio damasceni ha-
betur quod dictum greci contant in nova tempore paschali dicunt enim sic...», Ms.
BNCF f° 104r.
109 Ms. BNCF f° 104r : «-Theodorus raithu sacerdos dicit de processione spirìtus
sanctus... Idem in sermone qui intitulatur non scripto dicit sic intellectum autem
dicimus patrem verbi intellectum in quo verbum cum quo spiritus sanctus oris
deo».
110 Cyrille, patriarche d'Alexandrie (412-444), théologien, théoricien de la
Trinité, ses écrits dirigés contre l'Arianisme et l'Origénisme servirent ensuite la
doctrine monophysite, Oxford Dictionary of Byzantium, 1, op. cit., p. 572; DHGE,
t. 13, Paris, 1956, col. 1169-1177.
111 Ms. BNCF, f° 105r.
112 « linde notavi inter grecos quod licet beatus cirillus clarissime fateatur spiri-
tum sanctum a fïlio esse cum licet dicta aliorum sanctorum doctorum corrumpe-
rint vel de libris abstulerint et mutaverint, turn de dictis sancii cirilli nichil mutave-
rint et sapientes eorum dare dicunt beatum cirillum hoc dixisse quod scilicet
spiritus sanctus procedit a pâtre et filio, sed in hoc non est recipiendus quia hoc dixit
choactus non posse effugere hereticorum instantiis...», Ms. BNCF, f° 104v.
230 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Chypre, qualifié de piège du diable113, a convoqué un synode et fait


rédiger un tomos de la foi contre l'Eglise romaine où il récuse les
paroles de Cyrille d'Alexandrie, qui pourtant avaient été approuvées
par le concile d'Ephèse puis par celui de Chalcédoine. Dans ce
tomos, il exposait que l'Esprit Saint ne procédait pas de la nature
divine du Christ mais de sa nature humaine. Alors Jean Beccos écrivit
un ouvrage démontrant que ce tomos était hérétique114 et ce livre
diffusé dans toute la ville provoqua une révolte contre le patriarche et
celui-ci fut déposé115. A la suite de quoi, Athanase fut élu et le synode
qu'il convoqua maintint le tomos. En antithèse, Philippe de Péra
donne une autre série de citations de Cyrille afin de prouver l'origine
divine de la procession du Saint Esprit. Pourtant les Grecs récusent
cette autorité alors qu'ils ont accepté les anathèmes de quatre
conciles œcuméniques sur cette question. Philippe de Péra reprend
alors le motif de la pression des hérétiques sur le Père
d'Alexandrie116.
Philippe de Péra ajoute deux autres autorités, celle d'Anastase
d'Antioche, mais il avoue ne pas avoir trouvé à quelle époque il
vivait117. On notera la probité de notre chercheur. Pour Maxime le
Confesseur, il donne, comme pour les autres Pères cités, quelques
éléments biographiques. Il reprend ainsi le motif sur la tendance des
empereurs à favoriser les hérétiques et à exiler les bons catholiques,
qui se réfugient alors à Rome118. L'autorité doctrinale de Maxime

113 C'est la deuxième fois que cette expression «hqueus dyaboli» apparaît
dans le texte, la première fois elle était appliquée à Eusèbe de Nicomédie, arien et
partisan d'Eusèbe d'Antioche, au moment du concile de Nicée. Il fut patriarche
de Constantinople (341-342).
114 Jean Beccos, patriarche de Constantinople (1275-1282), écrivit entre
autres un ouvrage contre le tomos de Grégoire de Chypre, P.G. 141; Beck, p. 683.
115 Grégoire de Chypre, patriarche de Constantinople (1283-1289), fut
effectivement forcé d'abdiquer par la double opposition des Arsénites et des
Unionistes, A. Kazhdan, dir., Oxford Dictionary of Byzantium, 2, op. cit., p. 876-877.
116 «Notandum quod greci tot auctorìtatibus sancii cirìlli nesciantes eas negare
quod sanctus cirìllus hoc non dixit dieta, ipsius in hoc non recipiunt dicentes : dixit
quod beatus cirìllus quod Spiritus sanctus sic est a pâtre sic est a Filio, sed hoc dixit
coactus per dicta hereticorum...», Ms. BNCF, f° 109r.
117 «Item Anasthasius antiocenus de quo non invent quo tempore floruerit de
quo invent istud dictum : ... », Ms. BNCF, i° 109r. Il est vraisemblable qu'il s'agisse
d'Anastase, patriarche d'Antioche (559-570), qui dut intervenir dans les querelles
christologiques de son temps. Il est l'auteur de plusieurs traités sur la Trinité ou
sur l'incarnation par exemple. Il s'opposa à l'édit de l'empereur Justinien sur
l'aphtartadocétisme et fut déposé par le fils de ce dernier, Justin. Ami de Grégoire
le Grand, celui-ci obtint sa réhabilitation et la restitution de son siège patriarcal,
DECA, t. 1, op. cit., p. 112-113.
118 «Maximus monachus fuit tempore sextit concilii qui propter persecutionem
hereticorum et maxime constantini tertii imperatorìs venit romam. Libri et dicta is-
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 231

étant reconnue par les deux Eglises, il termine par une citation de
son œuvre. Ce n'est pas la lettre à Marin, prêtre de Chypre, qui sera
tant mise à contribution jusqu'au concile de Florence mais une
réflexion sur le prophète Zacharie, que l'on trouve aussi dans un des
traités du début du XIVe siècle119.
Le De processione de Philippe de Péra est donc une œuvre
originale dans sa méthode de discussion avec les Grecs comme dans son
système de références. Sur ce point, son originalité consiste dans le
choix des citations comme dans leur utilisation. En effet Philippe de
Péra a beaucoup réduit le nombre des Pères grecs cités par ses
prédécesseurs sans doute à la suite de ses conversations avec
l'archevêque grec de Durazzo. Celui-ci le convainquit de l'intérêt du
Thesaurus, qu'il avait pu découvrir préalablement chez son maître,
Simon, comme nous le verrons plus loin. Il cite les symboles des trois
premiers conciles et, parmi les Pères grecs, il utilise essentiellement
les œuvres d'Athanase et de Cyrille d'Alexandrie, dont il extrait
respectivement une vingtaine et une quarantaine de citations. Les
apocryphes des traités du XIIIe siècle ont été éliminés, on ne trouve en
effet aucune mention du Pseudo-Grégoire, utilisé par l'anonyme de
1252 et par Bonaccursius120. En revanche, il a des références qui lui
sont propres, comme Théodore de Raithu121. En effet ce théologien
n'est pas cité par les polémistes latins, mais Jean Beccos en donne
une dizaine de citations dans son florilège de patristique grecque, à
l'appui de la thèse latine, les Epigraphae122. Il convient donc de
penser que ce recueil de textes en faveur de la procession du Saint
Esprit par le Fils fut une de ses sources et ceci s'explique par les
relations de Philippe de Péra avec les Grecs sympathisants de la cause
unioniste, comme nous l'avons vu plus haut. Mais de plus, en
comparant les citations de Cyrille d'Alexandrie dans le traité de
Philippe de Péra et dans les Epigraphae, qui en sont particulièrement
riches, les mêmes extraits du commentaire sur l'Evangile de Jean se

tius maximi recipiuntur a greets sicut cuiusque alterius sancii et habentur valde
autentica...», Ms. BNCF, f° 109r.
119 F. Stegmüller, Ein lateinischer Kontroverstraktat gegen die Griechen aus der
Universitätsbibliothek Uppsala, dans Kyrkohistorisk Arrskrift, 1954, p. 133.
120 Si l'on suit l'attribution du traité anonyme du Ms. latin Vat. 819 par Th.
Kaeppeli, Contra Graecos, op. cit., p. 406-418.
121 Théodore de Raithu était moine d'un monastère près de Raithu, péninsule
du Sinaï. Il fut évêque de Pharan et mourut en 625. Surnommé le philosophe, il
est l'auteur d'une histoire des hérésies et d'un ouvrage de dialectique. Peut-être
doit-on lui attribuer l'ouvrage de jeunesse de Leontios de Byzance «De Seeds» et
des fragments de lettres... Tusculum-lexikon, griechischer und lateinischer
Autoren des Alterstums und Mittelalters, p. 777, Munich, 1982; Beck, p. 382-383.
122 P.G. 141, col. 622 B-C, 638 A, 663 D, 667 B-C, 671 d, 679 C-D, 682 A-B,
687 A.
232 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

retrouvent. La comparaison s'arrête cependant là car frère Philippe


cite les livres III et IV de YAd Hermiam, alors que, dans l'ouvrage de
Jean Beccos, ce sont surtout les livres II ou VI. Les points communs
sont encore plus rares avec le Thesaurus. Ainsi Philippe de Péra a t-il
puisé dans de nombreuses lectures et l'examen de ses références
conduisent à la conclusion qu'il les lisait pour la plupart en grec. En
effet l'œuvre d'Athanase fut traduite en latin assez tôt123, mais sa
diffusion est étroitement liée au concile de Ferrare-Florence et aux
traductions d'Ambroise Traversari124. Il en est de même pour celle de
Cyrille : certains de ses livres étaient connus en Occident, mais la
première traduction latine intégrale du Thesaurus ne fut effectuée
qu'après le concile de Florence, par Georges de Trébizonde, sous le
pontificat de Nicolas V (1447-1455), comme nous l'avons vu plus
haut125. Il convient également de remarquer les références à l'œuvre
d'Anastase d'Antioche. Là encore, Philippe de Péra apparaît comme
un pionnier, et cet auteur sera repris par André Chrysobergès dans
sa lettre à Bessarion, en 1437/38. La patrologie latine est écartée, il
ne reste plus d'auteur latin que Saint Thomas, dont notre polémiste
ne donne qu'une citation, répétée deux fois, comme en hommage au
grand théologien de son ordre. Il évoque aussi le nom de Saint Hi-
laire auquel il compare Athanase d'Alexandrie126.
La fonction de ce système référencier, ainsi épuré, n'est, le plus
souvent, pas de soutenir une argumentation théologique, mais
plutôt d'étayer la démonstration linguistique. Mais le De processione
Spirìtus Sancii de Philippe de Péra est en fait beaucoup plus l'œuvre
d'un historien que celle d'un théologien. Pour lui, le schisme grec
provient du déroulement du temps, du rapport des forces entre les
pouvoirs.
Ce frère missionnaire en Orient est un auteur très fiable en ce
qui concerne l'histoire de l'Eglise byzantine, depuis ses origines. Il
est très difficile de le prendre en défaut sur la chronologie, la succes-

123 B. Altaner, Altlateinische Überzetzungen von Schriften des Athanasios von


Alexandreia, dans Byzantinische Zeitschrift, 41, 1941, p. 45-59. Pour un état des
traductions latines de textes grecs au Moyen Age : J.T. Muckle, Greek Works
Translated Directly into Latin before 1350, dans Mediaeval Studies, 4, 1942, p. 33-
42; 5, 1943, p. 103-114; Walter Berschin, Griechisch-Lateinisches Mittelalter,
Berne, 1980, mise à jour dans Medioevo greco-latino, Naples, 1989; Benoît Gain,
Traductions latines des Pères grecs : la collection du manuscrit Laurentianus 584,
Berne, 1994.
124 A. Manfredi, Per la biblioteca di Tommaso Parentucelli, in Firenze e il
concilio del 1439, t. 2, p. 649-712, en particulier p. 672.
125 B. Meunier, Cyrille d'Alexandrie au concile de Florence, dans Annuarium
Historiae Conciliorum, 21, 1989, p. 147-174.
126 «Inter omnes sanctos doctores in partibus orientalibus beatus athanasius
fuit primus beatus hilarius in partibus occidentalibus. », Ms. BNCF, f° 98r.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 233

sion des patriarches et des papes, celle des empereurs et


impératrices de Constantinople. De même il connaît parfaitement les Pères
de l'Eglise grecque dont il donne des biographies courtes mais sûres.
Les informations de Philippe de Péra sont très précises car il avait le
souci du nombre. C'est ainsi qu'il a le soin de donner la durée de
chaque patriarcat, de compter les années où l'Eglise grecque était
hors de l'obédience de Rome. Mais lorsqu'il donne le nombre des
Pères réunis lors de chaque grand concile, il se conforme à la
tradition. Des progrès considérables ont donc été réalisés dans la
connaissance de l'histoire byzantine par les Prêcheurs de Péra,
depuis l'anonyme de 1252.
Cette grande fiabilité est due à la grande érudition de notre
polémiste. Comme il le dit lui-même, il a lu de multiples histoires et
chroniques127. C'est ainsi que l'on peut comprendre son admiration
pour des hommes comme Démétrios Cydonès ou l'officiel byzantin,
interlocuteur de son maître, frère Simon.
Rigoureux quant à la chronologie, il l'est également sur la
recherche de ses sources. Le traité de Philippe de Péra est parsemé de
l'expression inverti pour annoncer ses trouvailles : textes dans les
deux langues, vieux manuscrits où se trouvait encore la version
authentique de ses références patristiques. Il s'est particulièrement
attaché à la collecte des symboles, révisés par les différents conciles,
dans leur version grecque128. Notre Dominicain est donc un
chercheur de vérité et, lorsqu'il n'a pas trouvé de preuve, il le dit sans
ambage129. Il est alors en quête d'un texte prouvant que l'addition du
Filioque avait été faite par un concile occidental. C'est ainsi qu'il en
vint à formuler l'hypothèse de l'addition du Filioque par un des

127 «primo igitur videndum est [ ] error iste scilicet quod spiritus sanctus non
sit a filio apud Greco insurrexit. Secundum autem quod patet colligi de diversiis
historiis et cronicis quatuor vicibus primo enim ut dictum est error iste introductus
fuit...», Ms. BNCF, f°94r .
128 «...per quodam simbolo nestorìanorum de quo simbolo beatus Thomas de
Aquino facit mentionem... quod simbolum invent in greco in actis tertii concilii
epheseni. » ; à propos du symbole de Nicée revu par les Pères du concile d'Ephèse :
«Predica sancii patres fecerunt etiam thomum brevem ut nullus aliam fidem doce-
ret vel exponeret quam illam qua scripta est a sanctis patribus in nicea congregatis.
Et hoc fecerunt quod in simbolo nestorianorum de quo superius dictus est contine-
bantur in littera quae erant contra fidem sanctorum predictorum. Quod thomum
non intelligentes nec legentes nec attegantes ut scriptum est sumpserunt... thomum
maie allegant quia non legerunt. Et... invent eum predictum thomum in utraque
lingua.», Ms. BNCF, f° 88; f° 89.
129 «Quantum ad veritatem certitudinis nunquam inveni nec in latino nec in
greco nec in aliquo concilio in partibus occidentalibus celebrato propter errorem in-
surgentem scilicet spiritum sanctum non procedere a filio. Et quod mihi videtur
salva veritate...·», Ms. BNCF, f° 94v.
234 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

conciles de Tolède; cette indication sera reprise au moment des


conciles du XVe siècle. On notera encore, mais cela sonne désormais
comme une évidence, que notre Prêcheur connaissait les deux
langues et qu'ainsi, il a pu lui-même confronter les textes originaux.
Mais si la précision du déroulement chronologique est une des
bases de l'argumentation historique, c'est que celle-ci est fondée sur
l'évolution du rapport entre les pouvoirs. Le De processione Spiritus
Sancii de Philippe de Péra est en effet un document exceptionnel
dans la mesure où il donne l'analyse d'un prêtre latin du milieu du
XIVe siècle sur les relations entre le pouvoir temporel et le pouvoir
spirituel à Byzance et leurs conséquences sur l'histoire de l'Eglise
grecque. D'une part la soumission du spirituel au temporel est, selon
lui, responsable de sa tendance séculaire aux hérésies et au schisme.
D'autre part ce rapport de subordination empêche le processus
d'Union en raison de l'instabilité politique qui règne à son époque. Une
politique suivie et cohérente de rapprochement avec Rome aurait,
en effet, pu générer un mouvement populaire dont aurait profité le
rival de l'empereur du moment.
Parmi les causes du schisme grec, il souligne donc la mainmise
de l'empereur sur le patriarcat. Dans le Libellas, il dit que de son
temps, c'est à dire depuis 1312, trois patriarches sont morts à la tête
de l'Eglise grecque, mais cinq furent déposés par l'empereur130. Or
celui-ci est responsable du schisme car il a choisi très souvent dans
le camp de l'hérésie, donc dans celui de l'opposition à Rome. Ainsi
Constance soutint l'arien Eusèbe de Nicomédie et Eudoxie, Arsace
contre Jean Chrysostome. Pendant son enumeration des différentes
crises de l'Eglise grecque, Philippe de Péra dénonce à plusieurs
reprises l'invasion du clergé par les hérétiques. Ainsi le synode dut-il
élire le laïc Nektarios parce qu'il ne se trouvait pas de clerc
orthodoxe à Constantinople.
Il faut remarquer que Philippe de Péra est le premier polémiste
à avoir montré, avec autant de netteté, que l'étape décisive dans la
rupture avec Rome était la crise photienne. Là encore, ce sont les
intrigues de l'entourage impérial qui sont en cause, le principal
responsable étant César Bardas, l'ami de Photios. Si le concile d'union
de 879-880 avait permis aux deux Eglises de reprendre un dialogue
constructif, il rétablit en effet l'unité de la chrétienté et affirme la
primauté romaine. Il n'en reste pas moins que la crise photienne
avait marqué une rupture grave sur les questions doctrinales. Le
patriarche lui-même avait commencé à répertorier les points d'un
désaccord de plus en plus sensible, et parmi eux l'addition du Filioque,
conséquence dans la liturgie de la doctrine sur la procession du

130 Th. Kaeppeli, Deux nouveaux ouvrages, op. cit., p. 172.


L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 235

Saint Esprit131, ainsi que l'a très bien fait remarquer Philippe de Péra
dans son traité. Ces événements ont montré qu'entre les deux Eglises
les divergences étaient de plus en plus difficiles à surmonter, à tel
point que l'on avait commencé à les répertorier. Mais il est plus
convaincant encore lorsqu'il évoque le schisme de 1054. S'il est
étonnant qu'il n'ait pas dit un mot du patriarche Michel Cérulaire dans le
De processione, en revanche il a très bien senti les enjeux de la
révolte de Sicile et ses conséquences : la crise qui aboutit à la
séparation définitive des deux Eglises. La rupture est en effet due à la lettre
envoyée, à la demande de Michel Cérulaire, par Léon d'Ochrida à
l'archevêque grec Jean de Trani. Dans ce document l'archevêque
d'Ochrida demandait aux Latins de se détourner de pratiques
qualifiées de «judaïques» comme l'usage des azymes et le jeûne des
samedis de Carême132. Cette offensive grecque répondait à la
revendication romaine de la Sicile. S'appuyant sur la Donation de Constantin,
le pape Léon IX et son entourage réformiste, le cardinal Humbert
notamment, voulait étendre son influence directe de Rome sur
l'ensemble de l'Italie, la Sicile incluse, terre réputée byzantine malgré la
conquête arabe. Il nomma un archevêque et convoqua en 1050 un
synode à Siponto. Plusieurs décrets y furent votés, certains d'entre
eux étaient dirigés contre les usages liturgiques grecs133. Le nouveau
conflit, qui en fut la conséquence entre Rome et Byzance, fut
l'occasion pour les Grecs de poursuivre l'inventaire des divergences
dogmatiques et liturgiques, ainsi que le montre la correspondance entre
Michel Cérulaire et le patriarche d'Antioche, Pierre134. Ce dernier
intervenait comme un modérateur entre le pape et le patriarche de
Constantinople, mais sa lettre à Michel Cérulaire énumère les
erreurs que les Grecs reprochent aux Latins. S'y retrouvent tous les
différends en matière de liturgie, tels qu'ils seront énumérés dans le
Contra Graecos de 1252, mais Pierre d'Antioche souligne déjà que le
point principal est l'addition du Filioque au symbole de Nicée. Il
s'agit en effet d'une divergence fondamentale puisqu'elle touche à la
doctrine de la procession du Saint Esprit. Le patriarche d'Antioche
évoque aussi les azymes et le célibat des prêtres, le reste devant être
considéré comme des différences de coutumes sans grande
importance. Nous avons donc là, dès le XIe siècle, les points qui seront dé-

131 Le principal ouvrage de Photios sur la procession du Saint esprit par le


Père seul : Les Syllogismes, Beck, op. cit., p. 521.
132 G. Dagron, Le «schisme» entre l'Orient et l'Occident, dans Histoire du
Christianisme, 4, Paris, 1993, p. 338-347.
133 F. Dvornik, Byzance et la primauté romaine, dans Unam Sanctam, 49,
1964, p. 118-120.
134 G. Dagron, Le «schisme» entre l'Orient et l'Occident, op. cit., p. 345-346.
236 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

sormais discutés entre les deux Eglises. Le problème du purgatoire


ne sera ajouté à la polémique que plus tard, au XIIIe siècle.
Dans le Libellas et le De oboedientia, Philippe de Péra dénonce
également l'incapacité du pouvoir impérial à imposer l'union de son
Eglise à celle de Rome, en raison des troubles politiques et des
guerres civiles. C'est ainsi qu'il explique la rupture des négociations
avec Benoît de Corne alors que le pouvoir d'Andronic II est menacé
par son petit-fils Andronic III. Lorsqu'il évoque la discrétion des
partisans de l'Union dans le De oboedientia, il l'explique par leur crainte
du peuple. Et Philippe de Péra rapporte que l'évêque de Durazzo lui
dit un jour que le moyen de contourner cet obstacle pouvait être
l'arrivée d'une armée latine sous les murs de Constantinople, la peur
empêchant une insurrection populaire, comme nous l'avons vu plus
haut. L'œuvre de Philippe de Péra témoigne donc du décalage, qui
s'était constitué pendant la première moitié du XIVe siècle, entre
l'élite lettrée et l'opinion populaire sur la question de l'Union.
Mais l'assertion de Philippe de Péra concernant l'œuvre de
Charlemagne montre, de plus, une vision des relations politiques élargie
à l'ensemble du monde. Si, a priori, cette évocation ne semble être
qu'un faire valoir pour l'Occident, où l'on savait maintenir l'union de
l'Eglise, sa raison d'être réside dans le fait que la montée en
puissance de l'empire carolingien menaçait effectivement l'héritage de
romanité universelle, revendiqué par l'empire byzantin depuis sa
naissance. Philippe de Péra a donc bien senti que ce fait majeur de
l'histoire de l'Occident avait compté dans la rupture entre les deux
Eglises.
Le De processione Spiritus Sancii de Philippe de Péra doit donc
être considéré comme une source très intéressante de l'histoire de
l'Eglise grecque. Notre Dominicain, par la rigueur de sa méthode,
apporte des informations très fiables sur cette histoire, mais,
polémiste latin, il en souligne les aspects négatifs comme l'influence du
pouvoir politique sur le patriarcat et les fréquentes tendances à
l'hérésie dans l'Eglise grecque. Dans le processus qui mena au schisme,
il donne une idée très négative de la personnalité de Photios car il ne
connaît que les documents ignatiens sur cet épisode si critique pour
les relations entre Rome et Constantinople et il est tout à fait en
conformité avec son époque. Cependant il souligne l'importance de
la crise photienne à juste titre. Son évocation du schisme de 1054 est
originale, car on aurait attendu d'un Latin un plus long
développement sur ce fait, mais il souligne avec sagacité le rôle des
événements de Sicile qui ont provoqué le déclenchement de cette nouvelle
crise.
Philippe de Péra donne au pape le rôle du protecteur de
l'orthodoxie. Athanase et Cyrille d'Alexandrie se tournent vers lui pour qu'il
soit le garant de leur doctrine. Il envoie ses légats pour soutenir Jean
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 237

Chrysostome et dépose Arsace. Maxime le Confesseur eut lui aussi


au recours du soutien de Rome.
L'œuvre de Philippe de Péra marque donc une étape importante
dans la tradition polémique des Prêcheurs de Péra-Constantinople :
le point de maturité des recherches menées depuis les dernières
années du XIIIe siècle et le début du siècle suivant. Il ne s'attaque en
effet qu'au problème dogmatique de fond, la procession du Saint
Esprit, et le traite comme l'aboutissement de la longue et difficile
histoire des relations entre Rome et Byzance. Cette œuvre est
l'aboutissement de l'intense activité polémique chez les Dominicains
de Constantinople dans les toutes premières années du XIVe siècle.
C'est à ce moment que frère Barthélémy effectua une seconde
édition du Contra Graecos anonyme de 1252. Mais ces années-là virent
surtout la création d'œuvres originales, nourries de recherches
nouvelles et d'anecdotes sur les relations contemporaines entre les
Dominicains de Constantinople et l'élite byzantine. Une étude des
écrits des maîtres de Philippe de Péra permet de montrer que le De
processione résulte de cet héritage mais, en même temps, qu'il s'en
détache grâce à sa démarche d'historien.

5 - L'œuvre des prédécesseurs de Fr. Philippe


depuis l'anonyme de 1252

a) Frère Simon de Constantinople

Le Prêcheur qui fut à l'origine de ces innovations fut sans doute


frère Simon de Constantinople. On connaît cependant mal ce qu'il a
écrit, car il n'en reste que quelques lettres, écrites en grec, véritables
traités sur la procession du Saint Esprit, ainsi que le dit son premier
éditeur135. Si la biographie de ce Prêcheur est assez bien connue
aujourd'hui, il y a lieu d'insister sur ce qu'il a apporté à la polémique
dominicaine en pays grec pendant sa longue vie136. Connaissant
encore mieux le grec que le latin, ainsi que l'a dit son élève Philippe de
Péra137, il a su lier des relations étroites avec les milieux monastiques

135 Pour l'édition de fragments de ces lettres, M. H. Congourdeau, Frère


Simon le Constantinopolitain, dans REB 45, 1987, p. 165-174. L. Allatius a édité et
utilisé la lettre au Nomophylax Jean. Il existe une édition manuscrite : Opuscula
5 Contra Graecos, trans, lat. opusculi primi, Siena bibl. com. F.X.28, 47-109, Joh.
D. Stratico, interprete, 1759. Th. Kaepelli, SOP Medii Aevi, 3, Rome, 1980, p. 345.
136 R.J. Loenertz, Fr. Philippe de Bindo Incontri, op. cit., p. 265-280;
M.H. Congourdeau, Frère Simon le Constantinopolitain, op. cit., p. 165-174.
137 Texte cité en note d'après Quétif-Echard, SOP I, p. 558 par M.H.
Congourdeau, Frère Simon, op. cit., p. 165, note 3. Cet article démontre l'appartenance de
Simon au monde grec.
238 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

et a pu initier la recherche systématique de textes grecs


authentiques. C'est ainsi qu'il a pu trouver des manuscrits dans les
bibliothèques des religieux byzantins, telles que celle de Kyr Mélétios en
Attique. Il découvrit, par exemple, une lettre de Basile à Grégoire de
Nysse. Il a, bien sûr, puisé dans les sources déjà explorées par le
Prêcheur anonyme de 1252 comme les chroniques anti-photiennes.
Mais frère Simon a utilisé une autre vie de Saint Ignace qu'il
attribue à Nicétas de Paphlagonie et nous en donne un large passage
racontant l'anecdote de la rencontre de la mère de Photios avec Michel
de Synades138. Suivant, là aussi les pas du frère Prêcheur de 1252, il
explore les textes de la liturgie byzantine dont ses lettres révèlent
quatre citations139. Une partie importante de son argumentation
s'appuie sur les œuvres de Cyrille d'Alexandrie140. Il est le premier, en
effet, à dire dans quelles circonstances fut écrite la lettre synodale de
Cyrille d'Alexandrie141. Ce récit fut repris par Philippe de Péra. Frère
Simon cite, comme lui, le Thesaurus de Cyrille, et on est frappé par
la sélection étroite qu'il y a opérée, ne prenant que les chapitres
trente-quatre et trente-cinq142, ces mêmes chapitres qu'utilisa son
élève, Philippe, après lui. Simon de Constantinople cite deux fois le
trente-cinquième chapitre, dans sa lettre au nomophylax Jean, n'en
donnant que l'incipit. Il utilise également le commentaire de Cyrille
sur l'Evangile de Saint Jean143. Ses successeurs en donneront de
beaucoup plus larges extraits. Mais sans doute notre polémiste
n'eut-il pas accès au florilège de Jean Beccos. Les œuvres de Frère
Simon furent sans doute l'une des principales sources de l'œuvre de
Philippe de Péra.
Il dépasse le traité de l'anonyme de 1252 car il ne cherche pas
seulement le texte authentique, il met aussi l'accent sur la valeur des
textes canoniques et de la liturgie en tant que soutiens de la
controverse contre les Grecs. Son propos, dans la lettre au nomophylax
Jean, est de démontrer que Photios était dans l'erreur lorsqu'il disait

138 La source de l'anonyme de 1252 est Nicétas Chartophylax de Nicée, P.G.


120, col. 175, A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 369, note 56; celle de frère
Simon est le Ps. Syméon Magistros, P.G. 109, col. 729, M. H. Congourdeau, Frère
Simon le Constantinopolitain, op. cit., p. 172, note 41.
139 Ibid., p. 171-172.
140 Léon Allatius, Hottinger fraudis et imposturae convictus, Rome, 1661,
p. 347-358.
141 «Iam ostendum est, primam ephesinam sanctam synodum ex Filio quoque
esse : cum omnes qui in earn simul ex Aegyptia Diocesi praesules ad comproban-
dam dictam sanctam synodum cum sancto Cyrillo convenerant, cum eodem magno
Cyrillo, Spiritum ex Filio aeque atque ex Pâtre decemabat». Ibid., p. 352.
142 Ibid., p. 347-348.
143 Ibid., p. 349.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 239

que le Saint Esprit procédait du Père seul. Les différents conciles


œcuméniques lui donnent tort, en effet144.
Des définitions du septième concile il déduit l'équivalence du ex
Fïlio des Latins et du per Filium des Grecs. Cet argument sera
développé dans les traités de ses successeurs jusqu'au concile de
Florence et forme une partie très importante du De processione Spirìtus
Sancii de Philippe de Péra. Mais outre le problème de traduction du
grec au latin, cette équivalence impliquait une discussion
dogmatique fondamentale sur les relations des trois hypostases dans la
Trinité. Celle-ci fut abordée et approfondie par les Dominicains grecs
du tournant du XVe siècle, comme nous le verrons plus loin. Mais le
mérite de Frère Simon est d'avoir initié ce grand débat.
De plus, cette excellente connaissance de la langue grecque lui a
permis de rentrer en relation étroite avec l'élite intellectuelle
byzantine, ainsi qu'en témoignent ses lettres. Il les écrivit à des
personnalités eminentes : l'empereur Andronic II, Manuel-Maxime Holobolos,
le nomophylax Jean et le moine Sophonias. Le nomophylax Jean
était préteur et grand interprète du palais impérial, et le moine
Sophonias, ambassadeur de l'empereur Andronic à la cour des
Angevins de Naples. Sophonias fut l'auteur de nombreux commentaires
d'Aristote. Manuel Holobolos, prôtosyncelle et didascale, était
rhéteur et grammairien145. Il faut donc chercher dans ce milieu de
lettrés, proche du pouvoir impérial, les interlocuteurs de frère Simon,
évoqués par Philippe de Péra, dans le De processione Spirìtus Sancii.
Philippe de Péra est donc bien l'héritier de Simon de
Constantinople. Il a en effet consacré une partie de son œuvre au huitième

144 «His omnibus colligitur a Deo coactam congregationem non tantum divino-
rwn Ecclesiae Graecae Doctorum sed Latinae quoque, quorum fama edam apud
Graecos maxime gloriosa magni penditur, quinimo per eosdem quam maxime or-
thodoxam Graecorum Ecclesiam semper ab ipso sui initio ad hoc aevi, ut manifes-
tum est ex propriis ipsius Lectionibus, Contaciis, divina Missa, theologicis Canticis,
et Tropariis, omnes divino eodemque Spirìtu ductos concorditer, unaque voce de-
crevisse, Spirìtum sanctum ex Filio et per Filium et non ex solo Patre, imo senten-
tiam asserentem ex solo Patre, non item ex Filio sanctarum universalium synodo-
rum directores anathemati subiecisse, ut piane ostendum est. . . Quare cum demons-
tratum sit, très synodos recensitas universales ante quartam universalem sanctam
synodum Chalcedoniensem coactas per proprios qui eas coegerunt Praesides et Gu-
bernatores, ex Filio Spiritum déclarasse, nunc ostendum est, reliquas etiam post
hanc quartam très synodos, quintam nempe, sexta et septima confirmasse apertis
clarisque determinationibus, quaecumque quatuor praecedens Synodi pro fide pia
Patrum et Haereticorum condemnatione, eorum praecipue, qui Spiritum sanctum
ex Filio esse improbant, statuerunt. », Léon Allatius, éd., De octava synodo photia-
na, Simon const, epistola ad Ioannem Nomophylacem, 1662, p. 453-458.
145 M.H. Congourdeau, Frère Simon le Constantinopolitain, op. cit., p. 168,
p. 178-181.
240 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

concile et son traité sur l'obédience de Rome renferme un grand


nombre de citations des actes conciliaires. Il a bien noté
l'importance des textes liturgiques puisqu'il les a confrontés avec les écrits
dogmatiques. De même, à la recherche du texte authentique, mais
réutilisant certaines données de son maître, il reprit, dans son De
obedientia, l'anecdote de la rencontre de la mère de Photios avec
Michel de Synades, mais contrairement à son maître Simon, il cite sa
source, Nicétas de Paphlagonie146.
Il suit également son maître lorsqu'il poursuit la discussion avec
l'élite intellectuelle. Il fut probablement le professeur de latin du
chancelier impérial Démétrios Cydonès, et son traité sur la
procession du Saint Esprit mentionne au moins deux fois des
conversations avec des Grecs. Ces relations intellectuelles entre les
Dominicains de Péra-Constantinople comptèrent pour beaucoup dans le
mouvement notable de conversions au catholicisme de l'élite
byzantine. Mais Philippe de Péra dépasse frère Simon par la dimension
historique qu'il a ajoutée à la polémique dominicaine contre les
Grecs.

b) Les manuscrits anonymes d'Uppsala

Entre Simon de Constantinople et Philippe de Péra, il existe un


jalon supplémentaire dans l'élaboration de la polémique contre les
Grecs : les deux traités de 1305/07. Ce sont deux traités anonymes
dont on ne peut douter qu'ils furent écrits par des Dominicains de
Constantinople. Ces deux ouvrages ont été édités mais n'ont fait
l'objet que de quelques sondages sommaires147. Ils méritent donc une

146 M. H. Congourdeau a retrouvé dans un passage de la lettre de frère Simon


au nomophylax Jean une citation du Pseudo Syméon Magistros (P. G. 109, col.
729), dans le traité de Philippe de Péra il s'agit du récit original par Nicétas de
Paphlagonie : «Nam ut narrât quidam Niceta philosophus et hystoriographicus na-
tione grecus genere peflago qui dilligenter predica foni hystorìam scrìpsit. . . idem
Niceta peflagonus narrât sic...», ms. BNCF, C.S., C.7.419, f° 74r), source du Ps.
Syméon Magistros. Ce texte fait partie de la vie du patriarche Ignace, Beck,
p. 563-566. Cette précision des références de Philippe de Péra contribue à assurer
avec plus de certitude encore que Nicétas David et Nicétas de Paphlagonie ne
sont qu'un seul et même écrivain, A. Kazhdan, dir., Oxford Dictionary of
Byzantium, Oxford 1991, 3, 1480.
147 Ed. F. Stegmüller, [Guïlelmus Bernardi de Gaillac, O.P.], Tractatus..., dans
Uppsala Universtät Arrskrìft 2, f. VIII (= Analecta Uppsaliensia I), p. 323 sq.
(édition ex ms. Uppsala C.55); Ein lateinischer Kontroverstraktat gegen die Grieschen
aus der Universitätsbibliothek Uppsala, dans Kyrkohistorìsk Arrskrìft, 1954, p. 123-
150 (édition ex ms. Uppsala C.685). Des éléments d'analyse dans A. Dondaine,
Contra Graecos. Premiers écrits polémiques des dominicains d'Orient, AFP 21, 1951,
p. 418-422 et dans M. H. Congourdeau, Note sur les Dominicains de
Constantinople, dans REB 45, 1987, p. 175-181.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 241

analyse aussi serrée que possible en raison de la place qu'ils ont


donnée à l'argument historique dans la polémique dominicaine.
* Le traité de 1307, Tractatus de obiectionibus Graecorum contra
processionem Spirìtus Sancii a Filio.
Cet ouvrage a été attribué à Guillaume Bernard de Gaillac, le
fondateur du couven . de Péra. Il se compose de cinq chapitres et ne
traite que du conflit dogmatique sur la procession du Saint Esprit,
comme l'indique son titre. Le traité comprend une très longue
introduction, qui se développe sur le préambule et les deux premiers
chapitres, long exposé historique des hérésies dans l'Eglise grecque, à
propos des personnes de la Trinité. Cette introduction peut être
considérée comme le point de départ de la méthode de Philippe de
Péra, qui lui accorde une tout autre ampleur dans le De processione,
ainsi que nous l'avons vu plus haut.
L'auteur cite d'abord l'hérésie de Macédonius, qui disait que le
Saint Esprit était inférieur au Père et au Fils, sorte d'instrument
pour Dieu. Puis l'hérésie qui est dite chez les Grecs «Yopaterica»,
terme dont il donne l'étymologie : ab Yos quod est Filius, et Pater,
quia Pater de Filio faciebant. Les tenants de celle-ci disaient que
l'Esprit était né du Fils et, donc, qu'il était le petit-fils du Père.
Guillaume Bernard précise dans son quatrième chapitre que cette
hérésie était occidentale : «...quod utraque haeresis supradicta, scilicet
Macedonii in oriente et yopaterica in occidente...». Il termine son
exposé par une allusion aux discussions qu'il a pu avoir avec les Grecs.
Ceux-ci, dit-il, nient que le Saint Esprit procède du Fils et
condamnent l'addition du Filioque au symbole du concile de Nicée.
Ils croient de plus que ceux qui l'acceptent sont anathèmes.
Plusieurs Grecs lui ont exprimé souvent cette opinion. Cette assertion
est une brève allusion aux discussions qu'il entretenait avec les
Grecs de Constantinople. Mais, dans le chapitre II, Utilitas huius
opusculi et quaedam preambula ad solutionem obiectionum,
Guillaume Bernard justifie son traité en évoquant plus amplement les
contacts entre les Prêcheurs et leurs contemporains grecs. Comme
frère Simon, il parle du moine Sophonias, précisant que, depuis sa
conversion au catholicisme, il a beaucoup souffert des persécutions
et qu'il s'est rendu chez les Prêcheurs de Constantinople. Il raconte
également que lui-même se rendit un jour chez le préteur et grand
interprète Jean, pour se plaindre de l'hostilité des Grecs. Il est
vraisemblable que cette seconde personnalité soit aussi l'un des
correspondants de frère Simon, celui qui porte le titre de nomophylax. De
ses rapports avec les Grecs, il a retiré que l'on pouvait distinguer
trois attitudes différentes. Certains persistent à nier la Procession de
l'Esprit Saint. D'autres, vaincus par l'autorité évidente des Pères, ne
nient plus mais condamnent l'addition au symbole de Nicée. Les
242 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

troisièmes combattent obstinément les deux, plus pour cacher leur


propre erreur que pour chercher la vérité.
Guillaume Bernard explique ensuite pourquoi son choix s'est
porté sur la question de la Procession du Saint Esprit. Le moine So-
phonias avait dit aux Dominicains que les Grecs condamnaient les
Latins sur soixante-dix points de doctrine et de rituel. Après quoi,
appliquant une méthode désormais habituelle au couvent, il a
cherché dans les textes et n'en a retrouvé que quarante, dont il a écarté la
plupart pour leur peu d'intérêt comme le port de chasubles de soie
pour les évêques, le mariage prohibé des prêtres, le rasage de la
barbe ou les rites de baptême... Toutes ces questions étaient
abordées dans le Contra Graecos de 1252 mais il ne retient donc que trois
points capitaux de la controverse : le purgatoire, la consécration du
pain azyme et l'addition du Filioque. Mais il précise qu'il choisit ce
dernier car, au cours de sa discussion avec le préteur Jean, celui-ci
lui dit, répondant à sa plainte, que parmi les Grecs lettrés on ne
calomnie les Latins qu'à cause de la Procession du Saint Esprit. Le but
de son traité est donc de déjouer la «machination» des savants en
montrant ce qu'en disaient les docteurs de l'Eglise grecque.
L'auteur expose ainsi, dans son premier chapitre, les trois
objections des Grecs sur la Procession du Saint Esprit. Premièrement,
les Grecs ne commémorent que le Père dans la Procession du Saint
Esprit. Deuxièmement, c'est ainsi qu'il est commémoré dans les
symboles formulés par les principaux conciles qui se sont tenus chez
les Grecs : le Saint Esprit procède du Père et non du Fils.
Troisièmement, le pape Léon III a fait inscrire, à Rome, derrière l'autel de
Saint Paul, sur une table d'argent : «ex Pâtre procedentem, cum Pâtre
et Filio coadorandum et conglorìfìcandum», pour la protection de la
foi orthodoxe. Notre Dominicain y répond dans les trois derniers
chapitres de son traité. Il commence par une exposition de la
patrologie grecque puis des actes des conciles généraux, enfin il dénonce
la machination des Grecs pour défendre leurs erreurs.
Si l'auteur de ce traité est bien Guillaume Bernard de Gaillac, il
révèle une bonne connaissance du monde grec et celle-ci est d'autant
plus méritoire pour un Prêcheur venu d'Occident. Mais si l'on se
souvient qu'il fit une traduction de plusieurs livres de Saint Thomas
en latin, on ne s'étonnera pas de ses références à l'étymologie, ainsi
pour définir Yopaterìcaus ou kalogeros. De même d'autres mots grecs
parsèment le texte, pour définir la doctrine de Nestorius, par
exemple : « Unde non theotocon, id est Dei genitrìcem, sed Christoto-
con, id est Christi genitrìcem, beatam Virginem esse dixit. Ideoque
eundem Nestorìum anthropolatram, id est hominis cultorem...», ou

148 F. Stegmüller, Analecta Uppsaliensa I, op. cit., p. 339.


L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 243

pour «episcopi cyrotecis in celebrando utuntur»m. Il est également


indiqué, pour le Palais des Blakernes, que ce dernier mot désigne un
lieu comme le Latran à Rome150. Notre auteur donne ensuite une
description de l'inscription du symbole de Nicée que l'empereur a
fait réaliser151. La précision est telle que l'on peut penser que l'auteur
était un familier des lieux. Il est fort probable, en effet, que notre
Prêcheur ait eu l'occasion de se rendre au palais impérial, où il a pu
contempler cette magnifique œuvre d'art. Le traité de Guillaume
Bernard révèle également une analyse minutieuse de l'opinion des
Grecs contemporains. Surtout il convient de remarquer que son
ouvrage s'adresse avant tout à l'élite intellectuelle de la capitale.
Le système référencier de Guillaume Bernard est plus varié que
celui de Philippe de Péra, il est plus dans la tradition des Frères de
Constantinople. Mais il révèle les progrès réalisés grâce à la
recherche des meilleurs textes possible. Il a bénéficié des apports de
Simon comme l'Abrégé des canons d'Alexis Aristène et évité les
apocryphes152. Il convient de remarquer, de plus, la place de ce grand
maître de la théologie latine que fut Pierre Lombard, dont il donne
plusieurs citations de la deuxième dissertation du Ier livre des
Sentences, comme garant à chaque début de chapitre. Cette autorité,
ainsi utilisée, paraît trahir une origine occidentale153.
Il convient de relever un certain nombre de points communs
avec le De processione Spiritus Sancii de Philippe de Péra. Tout
d'abord, il faut souligner un recours non négligeable à l'histoire. Il est
possible que la lecture de ce traité ait inspiré Philippe de Péra. En
effet, si l'on compare la structure des deux traités, elle est très voisine.
Le thème central de la seconde partie de chacun des deux traités est
semblable : la condamnation de l'addition est nulle et non avenue
car, au fur et à mesure que naissaient les hérésies, chaque grand
concile général a fait une addition. Comme dans l'ouvrage de
Philippe de Péra, le pape est montré comme le seul garant de la foi et,

149 F. Stegmüller, ibid., p. 343, 351.


150 F. Stegmüller, ibid., p. 342-348, pour kalogeros comme pour Blakernes, il
s'agit de notes ajoutées dans la marge. Celles-ci ne sont donc peut-être pas de
l'auteur.
151 «Hanc huius symboli formam, nullo addino, mutato nec diminuto, ostendit
ipsius descriptio litteris graecis et latinis facta in tabula marmorea deaurata, posita
in ponete imperìalis palatii Blakhernarum (nomen est contratae, sicut Romae Late-
ranum) Constantinopoli ad perpetuam memoriam rei gestae. In quo quidem palano
ambitione regia praeparato omnia generalia concilia de opere mosayco sunt descrip-
ta, expressis Romanorum pontificum, imperatorum et patrìarcarum nominibus,
sub quibus et per quos facta sunt, ac propriis ipsorum imaginibus designatis, nec-
non eorundem conciliorum causis expositis diligenter graecis litteris et latinis. »,
F. Stegmüller, ibid., p. 348.
152 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 421.
153 Ibid., p. 422.
244 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

en opposition, l'empereur est accusé de se laisser influencer par les


hérétiques, ainsi Constant II qui fit exiler le pape Martin Ier en
Chersonese154. Ce conflit entre le pape et l'empereur de Constantinople se
situe en pleine crise monothélite. Après le meurtre de Constantin III
et la prise du pouvoir par Constant II, le patriarche Pyrrhos, qui
était pourtant un théoricien du monothélisme155, dut se réfugier à
Carthage; il était accompagné d'un groupe de clercs opposés au
gouvernement monothélite de la capitale. Le grand théologien Maxime
le Confesseur en était l'animateur. Le successeur de Pyrrhos sur le
siège patriarcal était Paul II, un autre monothélite. Une fois de plus
les intrigues politiques aggravaient les débats théologiques sur la
Trinité. L'empire de Constant II était menacé alors par les invasions
arabes et par des mouvements centrifuges dans les provinces
périphériques. La dissidence religieuse s'ajoutait à des rebellions locales.
Entre 647 et 652, trois gouverneurs se révoltèrent contre le pouvoir
impérial, celui d'Afrique, Grégoire, celui d'Italie, Olympe et celui
d'Arménie, Théodore Rstuni. Au cours de son exil en Afrique,
Pyrrhos abjura le monothélisme au cours d'une dispute publique avec
Maxime le Confesseur, à Carthage, en juillet 645. Forts du soutien
des papes Théodore puis Martin Ier, à partir de 649, Maxime et
Pyrrhos réaffirmèrent au cours du synode d'octobre 649, dans la
basilique du Latran, la doctrine des deux natures du Christ, établie par
le concile de Chalcédoine. Les moines grecs, Maxime le confesseur
en particulier, jouèrent un rôle capital dans l'élaboration des actes
du concile. C'était déclarer une opposition ouverte à l'empereur qui
avait interdit tout débat sur la question. C'est dans ce climat de crise
que Constant II fit arrêter Martin Ier à Rome par le nouvel exarque
Théodore Kalliopas, Olympe étant mort de la peste au cours d'une

154 «Romani Pontifices, qui pro tempore fuerunt tanquam fìdei directores ac de-
fensores et concilium adores ac statutorum executores, ad confessionem huius arti-
culis Graecos paternis admonitionibus sunt hortati, quemadmodum ad centum an-
nos vel circiter post quintum concilium et triginta annis vel circa hoc ante sextum
concilium legitur fecisse Martinus papa primus, qui iubente Constantino
imperatore ad suggestionem Pauli haeretici captus constantinopolim ductus est, ac de-
mum ultra mare ponticum relegatus exilio apud Chersonam obiit; ideoque Graeci
sanctorum catalogo hunc ascribunt; sed et Romana ecclesia in crostino beati
Martini Turonensis de eo festivat». F. Stegmüller, Analecta Uppsaliensa, I, op. cit.,
p. 356.
155 Le «monothélisme» est le dernier épisode des discussions christologiques
de l'Eglise grecque. Il s'agissait d'une dernière tentative pour rallier les Eglise mo-
nophysites d'Orient. Le débat était centré sur Γ« activité» du Christ incarné : cette
activité se rattache-t-elle à ses deux natures unies sans mélange, humaine et
divine, ou à sa personne unique? Cette dernière position était celle des mono-
thélites, G. Dagron, La fin des querelles christologiques, dans Histoire du
Christianisme, 4, Paris, 1993, p. 40-49.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 245

expédition contre les Arabes en Sicile. Le pape, soupçonné d'avoir


soutenu la dissidence religieuse et politique de l'Italie contre
l'empereur, fut emmené de force à Constantinople et condamné à mort
pour haute trahison. Le 23 décembre 653, l'empereur commua la
peine en exil perpétuel. Il fut alors défroqué et envoyé à Cherson, en
Crimée, où il mourut le 16 septembre 655 156. Maxime le Confesseur
fut également accusé de trahison en 655 et exilé en Thrace puis en
Lazique, où il mourut en 662 157. Notre Dominicain souligne que ces
deux martyrs sont tous les deux célébrés par l'Eglise grecque, ce qui
renforce l'image qu'il veut donner du pape, défenseur de
l'orthodoxie.
On remarquera, encore une fois, la précision du travail des
Dominicains de Péra. Guillaume Bernard nous dit que cet événement
se produisit environ 150 ans après le cinquième concile et 30 avant
le sixième. L'hérétique Paul n'est bien sûr pas désigné comme
patriarche puisque le pape ne l'avait pas reconnu comme tel. Ainsi,
pour Guillaume Bernard, l'addition date d'un concile romain,
présidé par le pape Damase en 380, comme frère Simon en avait déjà
exprimé l'hypothèse. En revanche pour Philippe de Péra, qui continua
les recherches historiques, il est quasiment impossible de dire
quand le Filioque fut ajouté au symbole. Et, comme nous l'avons vu
en analysant son De processione Spiritus Sancii, il n'évoque les
conciles de Tolède que comme hypothèse.
Guillaume Bernard fait également usage du motif sur la
mauvaise foi des Grecs par rapport à leur patrologie, ou, suggère-t-il,
c'est qu'ils ne savent pas lire. Alors que Philippe de Péra disait qu'ils
n'avaient rien à dire, pour Guillaume Bernard de Gaillac, ils se
défendent avec opiniâtreté. Cette différence dans les rapports avec les
Grecs entre Guillaume Bernard et Philippe de Péra peut s'expliquer
par un contexte politique complètement différent. En 1305, les
relations sont de plus en plus tendues entre Grecs et Latins comme en
témoigne l'auteur du traité lorsqu'il dit que les Grecs ne veulent plus
le recevoir dans leurs églises. Deux ans plus tard, Andronic II
expulsera les Dominicains de la capitale. Philippe de Péra vit en revanche
à un moment où la pression turque rend nécessaire un
rapprochement entre Rome et Byzance et où certains intellectuels, comme Dé-
métrios Cydonès, regardent vers la culture occidentale. Le thème de
la mauvaise foi des Grecs est illustré également par la tendance,
dont on les accusait, à falsifier les textes. On retrouve ce type d'argu-

156 J. Meyendorff, Imperial Unity and Christian Divisions, the Church 450-680
A.D., New York, 1989, p. 362-369; P. Corsi, La politica italiana di Constante Π, in
Settimane di studio del centro italiano di studi sull'alto medio evo, 34, 1988, p. 751-
796.
157 A. Kazhdan dir., Oxford Dictionary of Byzantium, 2, op. cit., p. 1323-1324.
246 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

ment depuis l'anonyme de 1252. Cet auteur avertit ses confrères :


«Nous avons écrit ces choses afin de mettre en garde contre une trop
facile créance à ce qui, dans les livres grecs, paraît faire difficulté
aux thèses latines. Car les Grecs modernes ne se font aucun scrupule
de faire disparaître ce qui leur est contraire et d'ajouter à leur
gré»158. Mais les Dominicains du XIVe siècle en ont cherché d'autres
exemples, ainsi Guillaume Bernard et sa prétendue falsification du
De Trinitate de Saint Augustin. Il semble que Philippe de Péra en ait
cherché de plus probants comme nous l'avons vu précédemment.

* Le traité de 1305, Tractatus contra errores Orìentalium et Grae-


corum.

Cette seconde contribution à la polémique dominicaine, rédigée


à Constantinople en 1305, montre des ressemblances troublantes
avec le précédent. A tel point qu'il est difficile de ne pas penser à un
même auteur.
Ne seront envisagés ici que les éléments les plus probants de la
filiation de ces deux ouvrages et une anecdote supplémentaire
montrant les relations entre les Prêcheurs de Constantinople et la sphère
du pouvoir à Byzance. Mais il conviendra également de souligner
des références communes entre les lettres de Simon de
Constantinople et ce traité.
Le plan comprenant onze chapitres et une chaîne dogmatique
très conséquente apparentent ce traité à ceux du siècle précédent.
Mais une argumentation centrée sur deux problèmes, la procession
du Saint Esprit et le primat du pape, de même que la place donnée à
une argumentation fondée sur les autorités des Pères en font un
ouvrage polémique de grande qualité159.
La mention de la venue du patriarche Jean XII Kosmas au
couvent des Prêcheurs de Constantinople, afin de discuter de la
procession du Saint Esprit, est une nouvelle preuve de la place de
premier ordre qu'avaient prise les Dominicains dans la polémique entre
les deux Eglises. Le fait que ce patriarche fut déposé définitivement
le 21 août 1304 160 induit une série de questions. La déposition du
patriarche fut-elle la conséquence de cette discussion avec les
Prêcheurs ou de sa correspondance avec les Unionistes en prison,
Georges Metochitès et Constantin Meliteniotès161? L'influence de ces

158 Traduction : A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 371-372.


159 Ibid., p. 420.
160 Ibid., p. 419.
161 M. H. Congourdeau, L'Eglise byzantine de 1274 à 1453, dans Histoire du
Christianisme, 6, Paris, 1991, p. 179.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 247

derniers était-elle devenue telle qu'elle fût ressentie comme


dangereuse par l'empereur et provoquât leur expulsion de la capitale, en
1307?
Dans le chapitre VII, dont le titre est : Quomodo symbolum in
primo concilio editum est et in secundo augmentatum per additionem
processionis Spiritus sancii a Pâtre et Filio, l'anonyme de 1305
développe la même argumentation que Guillaume Bernard, quant à
l'addition du Filioque. C'est, dit-il, un concile convoqué par le pape Da-
mase à Rome qui en est responsable. Il avait pour objet de lutter
contre des hérétiques d'Occident. L'anonyme de 1305 utilise les
mêmes expressions que l'auteur du traité de 1307 pour définir
l'hérésie dite yopaterica162. Il ajoute que le concile de Rome fit l'addition
suivante, au symbole de Nicée : Qui ex Pâtre Filioque procedit et
donne la même caution : Alexius, surnommé Aristinos, grand carto-
phylax. L'anonyme poursuit en disant qu'à la même époque s'était
développée l'hérésie des Macédoniens qui provoqua la convocation
du concile de Constantinople. Ce second concile, pour lutter contre
les Macédoniens, dut préciser de nouveau le symbole et le fit dans le
même sens que le pape Damase : Qui cum Pâtre et Filio simul adora-
tur et conglorificatur»... quod nunc cantatur in ecclesiis».
En deux ans, l'auteur a pu continuer ses recherches. En fait, il
ne nous dit rien de plus, en 1307, sur les Yopatericos, mais cette
hérésie ne semble mentionnée que dans ces deux traités du XIVe
siècle163. Cette mention originale suffirait à prouver la filiation des
deux ouvrages et à leur donner le même auteur164. Mais il y a plus :
dans le traité de 1305, l'auteur se contente de donner le nom d'A-
lexius, alors que dans celui de 1307, il cite le texte. Il s'agit de la
même citation, exactement, que dans le Contra Graecos réédité par
Barthélémy de Constantinople, en 1305. Frère Barthélémy, qui fut le
premier à citer ce texte, aura fait profiter notre auteur de sa
trouvaille. Ces progrès dans l'élaboration d'instruments efficaces de
discussion avec les Grecs sont donc le fruit du travail collectif des
Dominicains de Péra-Constantinople.
De plus le Tractatus contra errores reprend l'étude, faite par
Frère Simon, de la liturgie grecque comme preuve de la double
procession de l'Esprit Saint. La lettre au nomophylax Jean comprend

162 «...Quod tempore Damasi papae orta est apud Latinos haeresis illorum, qui
dicebant Spiritum sanctum gigni a Filio et esse eius Filium ac nepotem Patris; et
haec haeresis a graecis dicta est yopaterica, F. Stegmüller, Ein lateinischer
Kontroverstraktat, op. cit., p. 139.
163 Sur cette hérésie occidentale mystérieuse, je remarquerai simplement le
fait que l'auteur n'en donne que le nom grec, soit qu'elle n'a pas reçu de nom en
Occident, soit qu'il ne l'ait connue qu'en Grèce.
164 Ces nouvelles preuves de la parenté des deux traités corroborent
l'hypothèse de M.H. Congourdeau, Note sur les Dominicains, op. cit., p. 177.
248 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

les mêmes mentions, citées dans le même ordre que dans ce traité165.
Cette argumentation fondée sur la liturgie byzantine a été
abandonnée par Guillaume Bernard mais elle fut reprise et développée par
Philippe de Péra, comme nous l'avons vu. Ainsi doit-on souligner
l'existence de relations étroites entre les traités polémiques des
Dominicains de Péra sans qu'il s'agisse de travaux de compilation. On
notera en particulier la filiation d'une part entre Simon et Guillaume
Bernard, d'autre part entre Simon, l'anonyme de 1305 et Philippe de
Péra.
Le traité de 1305 évoque l'anathème encouru par ceux qui
modifient un symbole fixé par un concile œcuménique. Ceci est un
nouvel argument pour associer les deux traités anonymes au même
auteur. En effet celui-ci semble être le seul à avoir disserté sur cette
question. Il y consacre le huitième chapitre et le traité de 1307 nous
rend compte des discussions qu'il entretint par la suite sur ce
problème avec les Grecs et il en conclut que, s'il est si difficile de les
faire accéder à la vérité, c'est en raison de la crainte qu'ils en ont.
Ce souci du texte authentique, qu'il convient de souligner, a
permis aux Dominicains de Péra-Constantinople d'éliminer les
apocryphes. Le traité de 1305 porte l'emprunte encore très marquée du
Contra Graecos de 1252 166, comme les amplifications de Nicolas de
Coitone dans le Liber Fidei sur le Thesaurus de Cyrille d'Alexandrie.
Ces citations ont disparu du texte de 1307. L'auteur du Contra er-
rores Orientalium et Graecorum de 1305 cite quelques pères latins :
Saint Hilaire, Saint Augustin (en fait Saint Fulgence, De fide ad Pe-
trum) et Saint Jérôme. Il a été remarqué plus haut que le De obiectio-
nïbus de 1307 ignorait quasiment les références à la patrologie
latine.
Par rapport au Contra Graecos de 1252, les Dominicains du XIVe
siècle ont donc innové grâce à des contacts étroits avec les milieux
lettrés de la capitale. Convertir l'élite était, semble-t-il, la stratégie
des Prêcheurs d'Orient, en Arménie comme à Constantinople167.
Pour atteindre ce but, la discussion théologique était nécessaire : les
Dominicains de Péra-Constantinople avaient, en un siècle, mis au
point un arsenal polémique remarquable qui se révéla très efficace
au concile de Ferrare-Florence.
L'étape majeure que constituent les ouvrages des frères Simon
et Guillaume Bernard de Gaillac fut préparée par les travaux de Bo-
naccursius de Bologne, frère du couvent de Constantinople, lui aus-

165 Léon Allatius, éd., De octava synodo photiana, Rome, 1662, p. 453-458;
F. Stegmüller, Ein Latein Kontroverstraktat, op. cit., p. 135-136.
166 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 421.
167 Voir note 6, p. 186.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 249

si. Cette étape réalisée en symbiose avec le milieu grec vit son
couronnement avec les livres de Philippe de Péra.

c) L'œuvre de Bonaccursius de Bologne


Deux traités ont été attribués à Bonaccursius de Bologne. Le
Thesaurus verìtatis fidei est clairement identifiable grâce à Andrea
Doto qui en fait une recension. Ce dernier la dédia au pape Jean
XXII lors de sa venue à la curie en 1326. Le second, De errorïbus
Graecorum, daté de 1292, est anonyme, mais le P. Dondaine, après
une solide analyse, a démontré la parenté des deux textes et lui a
donné pour auteur Bonaccursius168. Mais, ainsi que nous l'avons vu,
l'œuvre polémique des Dominicains de Péra-Constantinople, au
tournant du XIIIe-XIVe siècles, est le fruit d'une recherche collective,
si bien que les références sont passées d'un auteur à l'autre et les
attributions en sont d'autant plus difficiles.
Les deux traités attribués à Bonaccursius de Bologne sont très
dépendants de l'anonyme de 1252 par leur plan et leur système de
références et tout d'abord par la diversité des questions abordées.
Outre les quatre problèmes clés : la procession du Saint Esprit et le
Filioque, la question du purgatoire, la consécration des azymes et la
primauté romaine, la version, remaniée par Andrea Doto du
Thesaurus, envisage le problème du remariage : «Quod licet fidelibus tran-
sire ad tertias nuptias quartos sive ultra sine peccato sicut ad se-
cundas». Il s'agit d'un nouveau point de divergence entre les deux
Eglises, soulevé par les Dominicains de Péra. L'anonyme, dans le
onzième et dernier chapitre, étend sa discussion à d'autres sujets déjà
débattus dans le Contra Graecos de 1252 : le divorce et la barbe des
prêtres. Ces constructions, très différentes des ouvrages ultérieurs,
ne sont pas sans rappeler l'anonyme de 1252, qui traite
essentiellement des quatre questions principales mais qui envisage dans ses
annexes «Graecorum malae consuetudines » : les habitudes
alimentaires, le divorce, le culte des images, le baptême169.
Les deux traités sont très dépendants du Contra Graecos de 1252
de même que de celui de Saint Thomas170. Mais lorsque
Bonaccursius s'écarte de ses principales sources, c'est pour utiliser des
documents grecs ainsi une collection conciliaire consultée à
Philadelphie ou une chronique des archives impériales. La question du re-

168 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 406-418; Ph. Hoffmann,


Contribution à l'étude des manuscrits du «Thesaurus veritatis fidei» de Buonaccorsi de
Bologne O.P. : description et histoire des Parisini graeci 1251 et 1252, dans
Miscellanea di Studi in onore di P. Marco Petta, III, a cura di A.A. Longo, S. Luca, L. Per-
ria, Bolletino della Badia Greca di Grottaferrata, Nuova serie, vol. XLVI, 1992.
169 Contra Graecos, anonyme de 1252, P.G. 140, p. 547-550, p. 570.
170 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 410-411.
250 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

mariage montre également les investigations des Dominicains de


Péra, à la fin du XIIIe siècle, dans l'histoire byzantine. Ce problème
avait pris des allures de scandale pendant le règne de Léon VI (886-
912). L'Eglise orientale tolérait le second mariage mais elle
assimilait le troisième à la polygamie. De son côté, poursuivant l'œuvre de
son père Basile Ier, et, pour mettre la loi civile en accord avec les
canons, Léon VI avait promulgué une Novelle interdisant le troisième
mariage. Cependant, afin d'assurer sa descendance, il se remaria
une troisième puis une quatrième fois. Un grave conflit éclata alors
entre l'empereur et le patriarche Nicolas Mystikos171. La série
conciliaire de Philadelphie et la question du mariage pour la quatrième
fois sont des apports d'autant plus intéressants pour nous qu'ils
seront repris par d'autres polémistes dominicains. Ces nouveautés ne
se rencontrant pas fréquemment dans les traités contre les Grecs,
elles permettent d'établir une filiation entre les différents ouvrages
polémiques.
Ce recours à des sources grecques et à l'argument historique
font de Bonaccursius un novateur, même s'il n'évite pas toujours les
anachronismes, comme dans la collection conciliaire de
Philadelphie172 ou l'utilisation d'apocryphes. L'auteur du Thesaurus avait
cependant commencé des recherches sur l'origine des textes utilisés
par ses prédécesseurs. C'est ainsi qu'il procéda à un début
d'identification de l'une des autorités de l'anonyme de 1252. La lettre de
Théorien aux prêtres d'Oréiné s'y trouvait attribuée à Jean Chrysostome.
S'il utilise toujours le nom de Chrysostome, c'est en tant que
pseudonyme littéraire ajoutant le nom de Théodore173. De même l'autorité
Gregorius in dialogo ne figure plus dans le chapitre VII, sur les
azymes.
Pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, les Dominicains de
Péra ont donc accompli un travail de recherche considérable,
appliqué au domaine byzantin, afin de mieux appréhender les
divergences entre les deux Eglises. Ils ont enrichi le traité de l'anonyme
de 1252 de références nouvelles prises aux sources historiques du
monde hellénique. Mais l'élargissement du champ des questions
débattues pouvait nuire à l'efficacité de la polémique et, à l'aube du
XIVe siècle, Simon de Constantinople et Guillaume Bernard de Gail-
lac, nourris des discussions qu'ils avaient avec l'élite byzantine, ont

171 G. Dagron, L'affaire du quatrième manage, dans Histoire du Christianisme,


4, Paris, 1993, p. 188-191.
172 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 392, note 20.
173 «Hec sunt verba, ut dictum est, beati Johannis Grisostomi necnon et Theo-
dorus Prodromos » Bonaccursius avait cependant confondu son auteur, Théorien,
avec l'un des contemporains de ce dernier : A. Dondaine, Ibid., p. 356.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 251

choisi de resserrer le débat aux questions essentielles sans quitter


pour autant une approche historique, qui prit peu à peu une
importance considérable dans les traités du XIVe siècle.
On ne peut que s'étonner du retour en arrière que semblent
constituer un certain nombre de traités polémiques du XIVe siècle,
tels la lettre de Jacques à l'empereur Andronic II ou le dialogue de
Pierre, tous deux Dominicains.

6 - Le Dialogue Contra Graecos de Petrus O.P.

Ce traité inédit a été écrit par un Dominicain comme il le dit lui-


même dans son prologue : «Idcirco ego frater Petrus ordine predicato-
rum ad utilitatem omnium catholicorum latinorum et specialiter ilio-
rum qui inter dictos grecos moram trahunt tractatum présentent
composui...» On ne sait rien de ce Prêcheur en dehors de cette
mention174. Malgré sa longueur et sa forme originale, ce traité ne
comporte pas de nouveauté. Le dialogue est une forme littéraire qui
s'est maintenue depuis l'Antiquité et fut très utilisée au Moyen Age,
mais, parmi nos traités écrits par des Dominicains au XIIIe et XIVe
siècles, c'en est le seul exemple.
Il mérite cependant notre attention dans la mesure où, s'il
n'apporte rien de nouveau quant aux progrès de la méthode des
polémistes dominicains, cet ouvrage apparaît comme la synthèse de tout
ce qui a été écrit depuis l'anonyme de 1252 jusqu'aux traités de Bo-
naccursius et de Simon de Constantinople. Il se réclame, dans son
prologue, de deux grands auteurs de la théologie latine, qu'il citera
dans son traité : Saint Anselme et Saint Thomas d'Aquin175.
Cependant il a puisé largement dans tous les traités, qui furent écrits par
nos Dominicains de Constantinople.
Ce traité est long, il ne comprend pas moins de trente chapitres,
mais en réalité ce texte est très dépendant du Contra Graecos de
1252 tant par sa forme que par son plan. En effet l'auteur anonyme
de 1252 a, pour chacun des thèmes abordés, fait alterner les
objections des Grecs et les réponses des Latins. Dans le dialogue de
Petrus, le rythme change mais le contenu des demandes et des
réponses est quasiment le même. Une analyse succincte du texte
permet, de même, de montrer la dépendance du second par rapport au
premier.

174 Th. Kaeppeli, Scriptores O.P. Medii Aevi, 3, Rome, 1980, p. 213. Ce
Prêcheur aurait vécu au XIVe siècle, date donnée à son traité. Il semble qu'on doive
lui faire écrire son dialogue un siècle plus tard, voir note 200, p. 260.
175 Ms, Bale, A.I. 32, f° Ir : «Licet autem multi excellentissimi doctorum contra
errores grecorwn libros subtiliter composuerint de quorum numero extiterunt bea-
tus anselmus et sanctus tho. de acquino...-».
252 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Les quatre premiers chapitres sont consacrés à la procession du


Saint Esprit, les quatre suivants à la consécration des azymes. Du
chapitre IX au chapitre XIV, Petrus traite du purgatoire et les deux
suivants du primat romain. Voilà exactement les quatre grandes
questions abordées par tous les ouvrages polémiques entre 1252 et
1305. La seconde partie passe en revue toutes les autres questions
qui étaient discutées entre Grecs et Latins, en particulier celles qui
touchaient au rituel : le baptême, le remariage, la confession, la
tonsure et la barbe rasée des clercs latins. Ce dernier sujet est traité
dans deux chapitres différents, le XXe qui est très court et le XXIIIe.
Entre les deux, notre auteur discute de différentes erreurs des
Grecs : de la Vierge Marie, du jeûne et des habitudes alimentaires.
Puis il nous fait l'historique des conciles œcuméniques et des
synodes locaux. Ensuite il expose la réponse des Latins lorsque les
Grecs leur reprochent de ne pas respecter les canons. Vient alors un
chapitre sur la corruption des textes par les Grecs. Les trois derniers
constituent une sorte de conclusion justifiant, dans un ordre
croissant, les accusations des Latins : les Grecs sont excommuniés,
schismatiques et hérétiques.
Dans ses grandes lignes, il s'agit bien du Contra Graecos avec
ses deux corps : les quatre grandes questions dogmatiques puis ses
annexes. On aura reconnu au passage le De conciliis176 et les Graeco-
rum maie consuetudines de Léon Toscan. Mais, en dehors de cette
source principale, Petrus a puisé comme il le dit dans Thomas d'A-
quin et Anselme de Canterbury. Il s'est beaucoup inspiré des
Prêcheurs d'Orient comme Bonaccursius et Simon de Constantinople.
Il cite, en effet, deux fois ce dernier. Nous y reviendrons.
Les emprunts au De conciliis sont très faciles à repérer tout au
long des chapitres XXIIII et XXV qui font l'histoire des conciles
œcuméniques et des synodes régionaux. Il convient cependant de
relever des variantes. Par exemple, la liste des principaux participants
au concile de Nicée I, manquante, est remplacée par la mention de
l'intervention de saint Nicolas177. Dans la partie que Petrus consacre
aux synodes régionaux, il ajoute des précisions qui, toutes,
concernent les affaires occidentales : le nom des légats de l'Eglise
romaine au synode de Sardes (Sardique) contre les Ariens ou le
concile de Carthage et l'intervention de saint Augustin178.

176 L'ensemble constitué par le De conciliis generalibus, De particularibus sy-


nodis et Responsio latinorum contra predictas obiectiones a été attribué à l'auteur
anonyme de 1252, A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 366-370.
177 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), f° 30r.
178 « . . .Alia particularis synodus fuit facta in civitate que Sardis dicitur propter
Constancium imperatorem filium magni Constantini qui declinavit in heresim ar-
rianorum. In hac synodo patres numero LX statuerunt canones XXI ad doctrinam
L'ÉCRLT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 253

De Bonaccursius de Bologne, il tira principalement, du De Errori-


bus Graecorum, les trois chapitres sur le baptême et la barbe des
prêtres, et du Thesaurus, le remariage. En effet, dans le chapitre XVII
qui traite du baptême, le texte de Petrus est assez semblable à celui de
Bonaccursius179. Il discute essentiellement de la formule et de la
question du second baptême. La même objection des Grecs est posée dans
les deux traités : ils disent que nul ne peut être sauvé que s'il est
baptisé selon la formule de l'Eglise grecque. A cette remarque, les Latins
répondent que l'empereur Constantin a été baptisé à Rome par le
pape Sylvestre, un pape latin, dans la forme et la foi latines. La
formule latine est meilleure dit Bonaccursius, et Petrus O.P. amplifie
l'expression : la formule est meilleure et plus claire. Le second
baptême est absolument à proscrire. Les deux Prêcheurs sont
catégoriques sur ce point qui fut tellement important pour nos
missionnaires en Orient, comme nous l'avons vu plus haut. Là encore, Petrus
est plus disert sur cette question, développant davantage son analyse
de la pensée de Saint Paul180. Mais Bonaccursius reste dans la
tradition des polémistes latins de Constantinople en soulignant la
malhonnêteté et l'ignorance des Grecs par rapport à leur patrologie.
Petrus ajoute une autorité de Thomas d'Aquin, la quatrième sentence, et
une assez longue digression sur l'Eglise romaine qui ne tomba jamais
dans l'hérésie et, de ce fait, resta universelle.

fìdei pertinentes quorum auctor maxime osius cardubransis episcopus et vincentius


episcopus capuanus et ianuarius beneventanus sancte romane ecclesie legati ex-
titerunt. » Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), f° 31v. Il s'agit du concile de Sardique
réuni en Thrace au début des années 340. La date est controversée, le nombre des
participants aussi, Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, 1,2, Paris, 1907, p. 737-
749. Les trois représentants de l'Eglise romaine cités dans notre traité
participèrent bien à ce concile, mais il n'ont pas eu la place que leur a assignée notre
auteur. Osius de Cordoue avait soutenu saint Athanase contre les Ariens en
envoyant une lettre à l'empereur, Athanase, apologie pour sa fuite, dans Sources
Chrétiennes, 56, introduction historique, p. 53.
179 F. Stegmüller, Bonaccursius contra Graecos. Ein Beitrag zur
Kontroverstheologie des XIII. Jahrhunderts, dans Vitae et ventati, Festgabe für Karl Adam,
Düsseldorf, 1956, p. 70-71.
180 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), f° 24v-25r, «Istud manifeste est contra
apostolum qui dicit unus deus una fides unum baptisma. Et ideo vos greci cum re-
baptizatis hominem alias vero baptizatum facitis contra sententias sanctorum et in
iniuriam sanctissimo sacramento baptismi. Nam in morte Christi baptizamur per
quod morimur peccato et resurgimus in novitate vite. Christus autem semel tantum
mortuus est et ideo baptismus semel tantum conferri débet. Ergo vos greci qui bap-
tizatos iterum rebaptizatis iterum Christum dominum crucifigitis et occiditis...».
Dans le De Erroribus Graecorum, les deux premières phrases sont presque
identiques mais Bonaccursius poursuit : «Irregularis efficitur secundum iura qui-
cumque bis vel tertio baptizatur. Et ideo doctores Graecorum sunt infatuati, quia
secundum Apostolum (I Tim. 1, 7) nesciunt de quibus loquuntur neque de quibus
affirmant».
254 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Dans le chapitre que Petrus O.P. consacre au mariage, il s'agit


selon toute vraisemblance d'une reprise du Thesaurus veritatis fïdei,
dans la version d'Andréa Doto car les titres sont très voisins181.
Sur la question du rasage de la barbe182, le chapitre de Bonac-
cursius est plus court183, et Petrus n'en a pris que le début. Les deux
textes sont vraiment proches, l'argument est le même. Le rasage et la
tonsure sont faits à l'imitation du martyr du Christ et des apôtres,
qui furent tondus par dérision. Il poursuit en ajoutant des autorités
nouvelles : le concile de Tolède et surtout les directives pontificales,
que les clercs grecs ne suivent pas.
Dans le chapitre VII, qui expose l'opinion des docteurs de
l'Eglise sur la question des azymes, Petrus utilise la vieille chronique
des archives impériales, trouvée par Bonaccursius de Bologne. A
l'exception de quelques variantes, raccourcissant généralement le
texte de ce dernier, nous avons à faire au même passage184. Mais
alors que le missionnaire en Grèce continue à traiter de cette
question en argumentant sur des citations de Grégoire de Nazianze,
Petrus cite Thomas d'Aquin et Innocent III. Thomas d'Aquin est
toujours mis à contribution dans nos traités polémiques contre les
Grecs, mais il faut souligner qu'ici la citation ne vient pas de son
traité contre les Grecs mais de la IIIe partie de la Somme théologique.
Dans les autres chapitres traitant de cette question de l'usage
des azymes, on retrouve de nombreux passages du Contra Graecos
de 1252 : l'autorité de Théophylacte de Bulgarie, puis celles de Jean
Chrysostome, Grégoire dans son dialogue en grec, la discussion sur
le sens du mot grec arton. Il convient de noter que Petrus, à la
différence de Bonaccursius, n'a pas éliminé la référence apocryphe de
Grégoire dans le dialogue185. Cependant il doit beaucoup à un frère
de Constantinople, en particulier l'argument historique du pape Da-

181 Chapitre XVIII, f° 25r-25v du mariage : quod matrìmonium rìte celebratum


non potest dissolut et quod ii°, iiii° et iiii° nuptie etc. sunt licite et sunt verum
matrìmonium; Thesaurus veritatis fidei, dans la version d'Andréas Doto, chap 7 : quod
licet ftdelibus transire ad tertias nuptias quartos sive ultra sine pecato sicut ad se-
cundas. Le titre de Petrus se trouve dans la table, Ms. Bale A.I. 32, f° lr-2r; celui
de Bonaccursius dans l'édition partielle du Thesaurus, dans la recension d'An-
dreas Doto, SOP I, p. 156-158.
182 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32, f° 29r-30r, Chapitre XXIII.
183 F. Stegmüller, Bonaccursius contra Graecos. Ein Beitrag zur
Kontroverstheologie des XIII. Jahrhunderts, op. cit., p. 81-82.
184 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), chap. VII, f° 14r.
185 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32, f° 15v : «Beatus autem gregorìus dyalogus
cum in grecia legacione fungeretur huic sacramento detrahentibus sic in greco
sermone respondit solet inquit plane moveri quaestio...», la même identification de la
source et la même citation se trouvent dans le Contra Graecos, P.G. 140, col.
524B.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 255

mase et le concile de Constantinople contre les Macédoniens et les


Yopaterici.
Frère Petrus cite en effet, à deux reprises, le traité sur la
procession du Saint Esprit composé par un frère grec du couvent de
Constantinople, comme dans le troisième chapitre, traitant de la
procession du Saint Esprit186. Tout d'abord il reprend l'assertion sur
l'addition du Fïlioque, faite par Simon de Constantinople à partir de
\Abrégé d'Aristène, dans sa lettre au nomophylax Jean187. Cette
information selon laquelle le Filioque fut ajouté au cours d'un concile
convoqué à Rome, par le pape Damase, a été largement reprise par
le ou les auteurs des traités de 1305/07. Mais Petrus nous donne sa
source d'information : le traité sur la procession du Saint Esprit,
composé par un frère grec du couvent des Prêcheurs de
Constantinople. Or nous ne connaissons qu'un frère qui puisse répondre à
cette désignation : frère Simon.
Plus loin, au chapitre XXVII, Petrus reprend le motif habituel,
depuis 1252, de la corruption des textes, dans la polémique contre
les Grecs. Il réutilise en effet l'exemple de la falsification du symbole
d'Athanase Quicumque vult dans des termes presqu'identiques à
ceux de l'anonyme de 1252 188. Il donne le récit de sa mise en évidence
par deux moines cisterciens à Nicée et la découverte de la version
authentique en grec par le moine Syrus au monastère du mont Si-
naï. Dans ce dernier exemple, le texte de Petrus est un peu différent
de celui du Contra Graecos de 1252 189. Cette version plus courte pré-

186 «Sed in quodam tractatu de processione spiritus sancii a pâtre et fïlio quem
composait quidam frater ordinis nostri grecus natione et constantinopolitanus...y>,
Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), f° 7r-7v.
187 «...continetur quod tota ista dictio qui ex pâtre filioque procedit addita fuit
in simbolo niceno perpapam damasum et suos coepiscopos in concilio celebrato in
urbe roma ante secundum generale concilium ad adnichilationem tunc heresis no-
viter exorte in partibus occidentalibus que dicebat spiritum sanctum generari a filio
et non ab ipso procedere unde dicebat Spiritum sanctum esse fìlium filii et nepotem
patris...y>, Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32 (XV), f° 7r-7v.; A. Dondaine, Contra
Graecos, op. cit., p. 392-393; M.H. Congourdeau, Frère Simon le Constantinopolitain,
op. cit., p. 171.
188 Ms. Bale, f° 34r-34v.
189 «Quidam etiam monachus syrus de monasterio grecorum quod ut in monte
synay veniens Constantinopolim et hoc ibidem loquens cum fratribus predicatorum
asseruit eis quod in eodem loco habetur similiter quicumque vult de verbo ad ver-
bum sicut in romana ecclesia legitur et cantatur», Ms. Bale, f° 34v. Le texte du
Contra Graecos donne «asseruit nobis», la version de Petrus est donc une
extrapolation du «nobis». L'auteur du Contra Graecos de 1252 est, rappelons-le, un
Prêcheur du couvent de Constantinople, ainsi que l'indique la finale de cet
ouvrage. L'édition de l'extrait du Contra Graecos a été faite par V. Laurent d'après le
Vat. Lat. 4066 et ne se trouve pas dans l'édition de la patrologie grecque de
Migne, n° 140. V. Laurent, Le symbole «Quicumque» et l'Eglise byzantine, dans
Echos d'Orient, 35, 1936, p. 403-404.
256 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

cise cependant cette information : le moine grec Syrus s'est rendu


chez les Dominicains de Constantinople pour discuter de la
procession du Saint Esprit190.- Petrus O.P. n'appartenait donc pas au
couvent de Constantinople.
Cette mention du rôle polémique des Dominicains de la capitale
byzantine lui permet d'enchaîner sur le concile de Constantinople.
C'est à ce moment qu'il évoque une nouvelle fois le frère Prêcheur
grec191. Cette seconde citation est un peu plus précise que la
première puisqu'elle nous livre le prénom du frère grec : Salomon. La
proximité des prénoms permet d'affirmer que Simon et Salomon ne
font qu'un.
Petrus explique alors que, d'après Simon, le concile de
Constantinople fut réuni sous le règne de Théodose, au moment où se
développaient, à Constantinople, l'hérésie de Macédonius et, à Rome,
celle dite yopaterica. Les Pères conciliaires condamnèrent les deux
hérésies et, dans le consensus, approuvèrent l'addition du Filioque,
déjà faite, au symbole de Nicée192. Il faut donc remarquer que frère
Petrus reprend la définition de l'hérésie Yopaterica que l'on ne
rencontre que dans les deux traités de 1305/07 (heresis yopaterica dicen-
tis spiritum sanctum gigni a fïlio) et qu'il ne parle de cette hérésie
que dans sa seconde mention du frère de Constantinople. Il est vrai
qu'il ne nous reste que quelques lettres de Simon de Constantinople,
alors qu'il rédigea plusieurs traités polémiques193. Il est donc tout à
fait possible qu'il ait composé un traité sur la procession du Saint
Esprit contre les Grecs. La première mention de l'hérésie Yopaterica
revient donc à frère Simon. Si l'on ne peut revenir sur l'attribution

190 Le texte du Contra Graecos de 1252 donne : «Quidam insuper monachus


Syrus de monasterio Grecorum quod est in monte Synai veniens Constantinopolim
asseruit nobis...», V. Laurent, Le symbole «Quicumque» et l'Eglise byzantine,
op. cit., p. 397.
191 «Item quidam solennis [sic pour Simon7 frater ordinis predicatorum na-
tione grecus sic narrât in quodam tractatu quem idem frater composuit de
processione Spiritus Sancii a pâtre et filio contra grecos. », Ms. Bale, f° 34v.
192 «Manifestum est, inquit ipse, quod ex comuni concordia latinorum et
grecorum ad destruxionem heresum tune precipue ad declarationem sui carissime verìta-
tis catholice fldei celebrata fuit constantinopolim sub tempore magni theodosii im-
peratoris romanorum. Secunda universalis synodus tempore quo in constantinopo-
li apparuit heresis macedonii blasphemantis in spiritum sanctum. Eodem edam
tempore rome manifesta est heresis yopaterica dicentis spiritum sanctum gigni a
filio. Ergo sicut dicti centum quinquaginta patres institores dicti secundi concilii ip-
sa synodus spiritu sancto manu dueta omnia peracta sunt in dicto concilio trac-
taverunt pariter ac diffinierunt pacifice. Ita ex comuni consensu ad condemp-
cionem ambarum dictarum heresum et veritatis fidei declarationem et additionem
iam factam symbolo niceno de spiritu sancto qui ex pâtre filioque proceda ut catho-
Hcam approbaverunt et qui cum patre et filio simul addoratur et cetera in eodem
symbolo addiderunt. », Ms. Bale, f° 34v.
193 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 405-406.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 257

des traités de 1305/07 à Guillaume Bernard de Gaillac, son


utilisation de la thèse du concile ajoutant le Filioque pour détruire l'hérésie
des Yopaterici démontre une dépendance étroite de ces traités par
rapport à l'œuvre de Simon. Comment comprendre autrement qu'un
occidental ne puisse utiliser qu'un mot grec pour désigner une
hérésie occidentale.
Mais, reprenons au début du traité de Petrus. Dans le troisième
chapitre, alors qu'il disserte sur la procession du Saint Esprit et qu'il
vient de dire que l'addition du Filioque remonte au pape Damase, il
poursuit par une digression historique sur les relations entre les
deux églises.
La suite de son récit mérite l'attention, car elle montre un
Dominicain d'Occident peu soucieux de l'exactitude de ses sources. Il
raconte comment Photios devint patriarche de Constantinople grâce à
sa popularité et à· la faveur impériale194. Il évoque ensuite le
gouvernement juste et équitable de l'Eglise de Constantinople par le saint
homme qu'était Ignace et les livres hérétiques qui furent diffusés
dans toute la Grèce et la Bulgarie, pendant le patriarcat de Photios,
auteur du schisme. Sans doute notre auteur a t-il retenu, de ses
frères d'Orient, l'intérêt de l'argument historique. Mais c'est un
travail beaucoup moins rigoureux que les recherches qu'effectuaient
les Prêcheurs de Péra-Constantinople, ses contemporains, qui se
devaient d'avoir des arguments irréprochables à présenter devant
l'élite byzantine. On est loin de la chronologie précise de Guillaume
Bernard ou de Philippe de Péra. Notre auteur est peu exigeant sur
les dates car un siècle d'incertitude, entre 710 et 850, pour le schisme
de Photios lui importe peu. Il l'est encore moins en ce qui concerne
les acteurs des événements évoqués. En effet il place ensemble, sous
le titre d'empereur, Philippikos et Bardas. Le premier le fut,
effectivement, et la première date lui convient (711-713), en revanche, si
Bardas fut un proche du pouvoir, il ne fut jamais que l'oncle de
l'empereur et la seconde date correspond à la période où il jouissait de la

194 «Greci vero tune temporis professi sunt spirìtum sanctum a patre et filio
procedere sed postea a fide déviantes inde nomen filii sübstraxerunt dicentes in
sacra scrìptura reperiri quod spiritus procédât a patre sed quod procédât a filio non le-
gitur. Circa igitur annos domini setingentesimum decimum secundum unam cro-
nicam ve/ secundum aliam octingentesimum quinquagesimum octavum tempore
imperatorum phillipici qui barda ve/ bardinus dictus est fuit in Constantinopoli
quidem nomine fotius homo dyabolicus et plenus iniquitate. Hie apud populum fa-
mosus erat in scientia nobilitate et divitiis multis propter quod multps et magnos de
civitate Constantinopolitana trahebat. Cum autem ad patriarchalem dignitatem
dicte civitatis toto affectu anelaret adiutorio eius qui mendax est et pater eius ius-
suque imperatoris cui placitum in cantilenis et minimis servitium exhibebat id
quod iniuste desideravit violenter obtinuit...», Ms. Bale, f° 7r.
258 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

faveur de Michel III (842-867). En lisant les deux chroniques, frère


Petrus, mal informé sur l'histoire byzantine, aura confondu Philippi-
kos et Bardas en raison du surnom du premier : Bardanès.
Enfin, frère Pierre évoque un concile œcuménique, réuni à Aix
la Chapelle, où furent traitées les questions de la procession du Saint
Esprit et du culte des images195. Et il ajoute que la procession du
Saint Esprit fut déterminée, de nouveau, par le concile du Latran
puis par le concile de Lyon, auquel les Grecs assistèrent. Pour ces
deux derniers conciles, notre auteur est parfaitement exact dans ses
informations : dates et participants. Il précise aussi que le concile du
Latran fut celui de la confirmation de l'ordre de Saint Dominique.
On aura remarqué qu'il est beaucoup moins savant sur les affaires
d'Orient, vieilles de plusieurs siècles, que sur les conciles qui se sont
déroulés en Occident plus récemment. Cependant son discours sur
le concile d'Aix la Chapelle méritait d'être vérifié. Si la date de 766
correspond encore au règne de Pépin le Bref, le concile œcuménique
qui rétablit le culte des Images se réunit à Nicée en 787 et aucun roi
des Francs n'y assista. Au contraire, Charlemagne, qui régnait alors,
condamna, pour des raisons politiques ce concile.
Après l'expédition de Pépin le Bref en Italie (755-756), les
relations étaient devenues très difficiles entre les Francs et les
Byzantins. Cependant, depuis 757, ils s'étaient engagés dans une politique
de rapprochement. Les entretiens diplomatiques se multiplièrent.
En 765 une ambassade byzantine vint en Gaule, ce qui fit craindre
au pape que Pépin fût impliqué dans la querelle des images. Mais,
deux ans plus tard, à Pâques 767, un synode se réunit dans le palais
royal de Gentilly et des théologiens grecs et francs discutèrent de la
Sainte Trinité et du culte des images196. Si l'erreur de date est
minime197, l'inexactitude du nom du lieu est significative. On peut
donner à cela deux explications. Elle peut être involontaire et notre
auteur aura confondu avec l'assemblée d'Aix la Chapelle de 809, qui

195 «Anno itaque domini septingentesimo sexagesimo VI° facta est sacra uni-
versalis synodus aquisgrani. In presentia pipini régis francorum ubi quaestio
ventilata est inter grecos et latinos de processione spiritus sancti et sanctorum ymagini-
bus utrum videlicet spiritus sanctus procédât a filio et sy ymagines essent igne
comburende aut in ecclesiis pingende. Ibique determinatum est spiritum sanctum
equaliter a pâtre et filio procedere et quod sanctorum ymagines essent cum omni re-
verentia colende. », Ms. Bale, ï° 7v.
196 P. Riche, Les Carolingiens, une famille qui fit l'Europe, Paris, 1983, p. 87;
F. Boespflug - N. Lossky, Nicée II (787-1987), Douze siècles d'images religieuses,
Paris, 1987, p. 272.
197 Les chroniques donnent des dates différentes, Noël 766 ou Pâques 767,
mais s'accordent sur le lieu, Mansi, XII, p. 677; Héfélé-Leclercq, Histoire des
conciles III, 2, Paris 1910, p. 726.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 259

pressa Léon III d'introduire à Rome le chant du Credo à la messe


avec le Filioque. Notre Prêcheur, ou sa source, voulant donner à ce
synode plus d'importance qu'il n'en avait eu en réalité, se devait de
donner le nom d'une grande capitale européenne, comme lieu de
réunion. Même si Aix la Chapelle ne devint capitale de l'empire
carolingien qu'à la fin du VIIIe siècle198.
Notre auteur force quelque peu le trait lorsqu'il parle de synode
universel et il revient sur Charlemagne à la fin de son traité, dans le
chapitre sur le schisme des Grecs, où il glorifie le grand empereur199.
Ainsi, faisant apparaître qu'il est mieux informé des affaires
d'Occident, l'analyse de la plus grande partie du chapitre III tend à
montrer que frère Petrus dépend ici essentiellement de sources
occidentales, chroniques peu fiables pour ce qui concerne l'histoire de
l'empire et de l'Eglise grecque.
Dans sa conclusion, notre auteur s'efforce de démontrer que les
Grecs sont excommuniés parce qu'ils sont schismatiques et
hérétiques. Ils sont excommuniés en raison de leur refus de l'addition du
Filioque, schismatiques parce qu'ils refusent la primauté romaine et
hérétiques à cause de toutes les fausses doctrines qu'ils ne cessent
d'inventer. Il récapitule alors les questions discutées : les azymes, le
purgatoire, le refus du primat du pape, le second baptême, la nullité
du 2e, 3e, 4e mariage, la confession orale, le jeûne et les habitudes
alimentaires.
On mettra cependant au crédit de notre auteur d'avoir évoqué le
rôle des Carolingiens dans les relations entre Rome et Byzance.
L'initiateur de cette recherche du côté de l'Occident carolingien fut Bo-
naccursius et Philippe de Péra développa longuement ce motif dans

198 Le premier concile d'Aix la Chapelle eut lieu en 789.


199 «Ad primant ergo non occasionem scismatis pro occasione a greets recep-
tam dicendum est quod licet imperatores qui regebant in Constantinopolim post re-
cessum magni Constantini ab urbe romano pro eo quod totum Imperium oeeiden-
talem contulerit ecclesie ut potius ius suum ei restituent sicut supra diximus nul-
lum ius haberent in Ytalia interdum tarnen usque imperaverunt. Sed cum infra
Ytaliam et usque Romam longobardorum gens barbara irruisset summus pontifex
auxilium imperatoris qui erat Constantinopoli requisisset et ille negligentius agendo
praestare subsidium ecclesie recusasset compulsus est predictus papa regent francie
Karolum magnum in defensorem ecclesie advocare. Qui Karulus sicud christianis-
simus et fïlius ecclesie totus mox cum magna multitudine armorum intravit
Ytaliam et gentem lombardorum cum rege eorum penitus destruxit et sic sanctam ro-
manam ecclesiam ab ilia percutione totaliter liberavit propter istud itaque tarn
maximum benefìcium romani Karolo magno laudes impériales acclamaverunt ip-
sumque per manus pape Leonis coronant cesaremque augustum appellant. Ad se-
cundant edam non occasionem. scismatis quod greci occasionem reputant dicimus
quod predicta clausula sine scitu grecorum non fuit addita in simbolo fidei. », Ms.
Bale, Univ. Bibl. A.I. 32, i° 38r.
260 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

son De processione. Nos polémistes du XIVe siècle n'ont pas toujours


le regard critique nécessaire quant à la politique des souverains
francs et ils en ont fait les vrais défenseurs de la foi catholique face à
un empereur byzantin toujours tenté par les hérésies. Ils ont
cependant eu raison d'attirer l'attention sur cette période de la fin du VIIIe
siècle et du IXe siècle, où la cassure entre Rome et Byzance se fit
plus nette. La politique de Pépin le Bref en Italie pouvait faire
craindre l'apparition d'un héritier de l'empire romain d'Occident,
s'appuyant sur la papauté romaine, dotée désormais d'un état. Cette
réorganisation de l'Occident par les Carolingiens menaçait
effectivement l'héritage de Constantin et la nouvelle Rome.
Tout donc porte à croire que Petrus O.P. est un Dominicain qui
a écrit son traité en Occident, où il a pu avoir facilement accès au
Contra Graecos de 1252 et au Thesaurus de Bonaccursius de
Bologne. Cette dépendance s'explique par le fait que ces deux ouvrages
se trouvaient dans la bibliothèque pontificale. Mais il utilisa aussi le
traité de Simon de Constantinople, sans doute moins diffusé et
aujourd'hui perdu. Une mention de la fin du Dialogue de cet auteur
pourrait inciter à reporter la date de cet ouvrage au moment du
concile de Bâle, où une documentation importante fut réunie pour
traiter de l'Union200. Frère Pierre était donc un compilateur peu
scrupuleux. Son dialogue constitue une sorte d'antithèse aux traités
polémiques rédigés au centre des Prêcheurs de Péra. Cependant
certains des travaux réalisés à Paris supportaient la comparaison
comme le traité anonyme, cautionné par l'université de Paris, du
manuscrit de Florence201.
A partir de Simon, le polémiste de Péra prend une liberté de
plus en plus grande par rapport aux autorités, et son discours se
délie pour intégrer des anecdotes du rapport quotidien avec les Grecs,
ce qui n'est pas le cas de Petrus. De plus sur le plan du discours
théologique, les Dominicains du centre de Péra ont réussi à dégager la
problématique qui sera celle du concile de Florence. L'addition du
Filioque est justifiable par l'histoire de l'Eglise, les canons
conciliaires étant cautionnés par les Pères de l'Eglise grecque. Il convient
de noter que la documentation patristique qui a été retenue et conti-

200 Ms. Bale, Univ. Bibl. A.I. 32, f° 38v : «Greci fere per quadrìngentos annos
contempserunt obedire ecclesie romane ut manifestum est per supradicta. Ergo
Greci sunt heretici». A moins qu'il s'agisse d'une intervention du copiste de ce
manuscrit, si l'on se réfère à la date du schisme, 1054, en ajoutant presque 400 ans, on
obtient la date du concile de Bâle. Le dialogue de Petrus doit donc être daté du
XVe siècle et non du XIVe siècle, comme il est indiqué dans SOP MA, voir note
174, p. 251.
201 Ms. BNCF C.7.419, ff° 109v-138.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 261

nuera de l'être jusqu'au concile concerne essentiellement les


querelles christologiques des premiers siècles de l'Eglise. Il ne faut pas
s'en étonner puisque l'addition du Fïlioque par les Latins est sous-
tendue par une doctrine de la Trinité, dans laquelle l'Eglise grecque
a de plus en plus de mal à se reconnaître202.
Ainsi peut-on reconstituer une filiation entre les auteurs
polémistes de la première moitié du XIVe siècle. Pierre dépend de
Simon, frère «grec de nation», qu'il cite deux fois. Ce dernier a utilisé
les travaux de Bonaccursius de Bologne203. Peut être pourrait-on
même envisager Simon comme étant l'auteur de l'anonyme du
Vat. Lat. 819, les 11 chapitres ayant été repris par Guillaume
Bernard. Ce dernier en dépend aussi pour l'argument sur
l'addition. Ainsi se constitua la longue chaîne de la tradition polémique
des Dominicains de Constantinople. En fait si l'attribution des
traités anonymes est délicate, il est important de remarquer la filiation
d'un traité à l'autre et, par là, l'innovation de chacun. Les Prêcheurs
grecs apporteront aussi leur part de nouveauté à la tradition
polémique de Péra au tournant des XTVe-XVe siècle.

7 - Deux lettres des Dominicains de Péra,


écrites au xive siècle

Ces deux documents n'ont en commun que la langue, la forme et


le but. Ce sont en effet deux lettres écrites en grec par des Prêcheurs
de Péra dans le but d'exhorter les Grecs à accepter leur retour dans
l'obédience de Rome. Mais ils sont très différents par leur contenu.
La première lettre a été écrite par Jacques O.P., alors qu'il
dirigeait la Société des Frères Pérégrinants, assurant l'intérim entre
Franco de Pérouse, démissionnaire en 1318, et Jean de Cori, attesté
vicaire en 1325204. Il s'adressait, en grec, à l'empereur Andronic II
vers 1320, à un moment où les relations entre Rome et Byzance
étaient très difficiles. Jacques tentait donc de reprendre le dialogue
rompu depuis la mort de Michel VIII Paléologue et l'éviction des
Prêcheurs de la capitale de l'empire.
Le contenu de cette lettre peut surprendre. Elle est en effet la
traduction de certains passages du traité de Saint Thomas contre les

202 L'éditeur du Contra Graecos de Thomas d'Aquin dit en effet que les
sources du grand théologien de l'ordre, le Libellas de Nicolas de Durazzo,
n'étaient pas bien choisies car elle comprenaient peu de mentions du Saint Esprit et
les amplifications de glossateurs, qu'elles contiennent reflétaient des
préoccupations du passé, Edition Léonine, XL A, p. 71-105.
203 A. Dondaine, Contra Graecos, op. cit., p. 418.
204 Cf. liste p. 447.
262 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Grecs205. Ce document n'apporte donc rien de nouveau, or son


auteur ne pouvait pas ne pas connaître les recherches effectuées dans
le principal centre d'études de la congrégation qu'il gouvernait. Il
semble en effet très loin des préoccupations de ses frères. Dans le
premier paragraphe de sa lettre, il annonce ses autorités, non
seulement les Pères grecs mais aussi les docteurs italiens206. Il est le seul,
parmi les polémistes dominicains, à se réclamer aussi souvent de la
patrologie latine, et en fait de Saint Thomas dont il ne donne pas le
nom. Cependant on notera qu'après avoir très brièvement discuté de
la procession du Saint Esprit, il développe dans tout le reste de sa
lettre l'argumentation du Contra Graecos de Saint Thomas sur la
primauté romaine. Comme les frères de Péra, il recherche l'efficacité
du discours et, s'adressant à l'empereur, il écarte rapidement la
question dogmatique fondamentale pour s'attacher au problème
plus politique du gouvernement de l'Eglise universelle, de son chef.
Le fait qu'il ait écrit sa lettre en grec, même si sa maîtrise de cette
langue laissait un peu à désirer, montre l'accent mis sur son
apprentissage au couvent de Péra.
Le second document a pour auteur Ioannis de Fontibus. Le
hasard de la conservation des sources ne permet de connaître de ce
Prêcheur qu'une lettre, qu'il écrivit en grec aux moines d'un
monastère de Constantinople, vers le milieu du XIVe siècle. Nous avons
donc perdu un traité polémique, dont il fut l'auteur, ainsi qu'il le dit
dans sa lettre207. Cette perte est dommageable dans la mesure où la
lettre ne donne qu'un bref aperçu du contenu de cet ouvrage et où,
comme l'indique le P. Loenertz, elle ne comporte pas de référence
scripturaire précise en raison de l'absence de Ioannis de Fontibus de
son couvent. Il était donc privé de sa bibliothèque et dut se
contenter de sa mémoire.
Ce petit opuscule est néanmoins intéressant car, comme toute la
production littéraire des Dominicains de Péra au XIVe siècle, il rend
compte des relations entre les missionnaires et les Grecs de
Constantinople et des acquis de la tradition polémique catholique en
Orient.

205 R.J. Loenertz, Iacobi praedicatoris ad Andronicum, op. cit., AFP 29, 1959,
p. 77.
206 «Ma [processio S.S. et oboedientia ecclesiae romanae] quae per sanctos doc-
tores ecclesiae Graecorum, et Italorum probatos sanctos, inverti, imperiati maiestati
tuae per praesentem epistulam notificare studui», traduction latine de R.J.
Loenertz, ibid., p. 79.
207 «...concluditur necessario Spiritimi sanctum a Filio procedere. Quod am-
plius et clarius in alio libro demonstravi a me scripto, in quo praedictum articulum
fidei exponendo multas posui demonstrationes, super sacram Scripturam aedifica-
tas, et per sanctos doctores Graecorum comprobatas. », R.J. Loenertz, Ioannis de
Fontibus epistula, op. cit., AFP 30, 1960, p. 192.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 263

Le contenu de la lettre de Ioannis de Fontibus témoigne des


discussions qui étaient devenues fréquentes au cours du XIVe siècle
entre les Prêcheurs et les clercs grecs de la capitale, comme on a pu
le remarquer plus haut, à plusieurs reprises. Mais, sans faire état de
rapports étroits comme l'attestent les écrits de Simon de
Constantinople et de Guillaume Bernard, notre Prêcheur propose à ses
interlocuteurs d'aller à Galata (donc Péra) demander au frère Emmanuel
le traité qu'il a écrit208. Si Ioannis de Fontibus est bien l'envoyé de
Jean Cantacuzène auprès du pape Innocent VI, nouvellement élu, en
1353209, il convient de remarquer que, malgré la victoire du Pala-
misme, évoquée plus haut, il n'était pas inconcevable pour des
moines grecs de se rendre chez les Dominicains de Péra. Et ceci
l'était d'autant moins que l'empereur lui-même qualifiait ainsi son
envoyé, Jean : «unum de amicis Galatae habitantibus»210. Mais Ioannis
de Fontibus nous fait part de ce qu'il pense des Grecs et son opinion,
assez contradictoire certes, semble être le résultat des contacts qu'il
put avoir avec eux. On notera que, comme les polémistes de Péra-
Constantinople évoqués plus haut, il connaît suffisamment le grec
pour le lire et pour l'écrire et qu'il était donc, comme ses confrères,
capables de discuter avec les Grecs. Ainsi, au début de sa lettre, dans
une sorte d'exhortation au dialogue, il leur exprime son admiration
pour le travail que les moines accomplissent au service de Dieu211.
Cependant, alors qu'il évoque la persistance des Grecs dans le
schisme, il donne un avis plus négatif en accusant les Grecs de subir
l'ascendance du diable et de se croire supérieurs en tout aux
Latins212.
Mais Ioannis s'est conformé à la tradition des Prêcheurs de Péra
car, comme il l'indique dans la présentation de son traité, il appuie
son argumentation essentiellement sur l'Ecriture et la patrologie
grecque. C'est ainsi que les Prêcheurs d'Orient ont toujours procédé

208 [Quod] «cognoscere poteris, praedictum librum accipientes et legentes,


quem, si vobis necessarius est, accipietis a fratre Emmanuele qui Galatae habitat».
Ibid., 192.
209 Voir note 30, p. 155.
210 Ioann. Cantac. IV 9 : t. III, p. 62, 11-18, cité par le P. Loenertz dans
Ioannis de Fontibus epistula, op. cit., p. 165.
211 «Primum igitur cognoscere vos volo, quod ego valde super vos perdolui, in-
telligens operam et laborem quos sustinetis pro Christo, servientes ei nocte et die, in
labore et disciplina, in vigiliis multis, in fame et siti et ieiuniis multis, in frigore et
nuditate et paupertate voluntaria, in orationibus ac stratis durioribus et multis aliis
aerumnis». Il s'agit certes de ne pas heurter un possible partenaire de discussion,
mais il convient de remarquer que l'hommage est appuyé. Ed. R.J. Loenertz;
ibid., p. 176-177.
212 «Nolite decipi diabolica illusione, reputantes vos meliores esse quoad fidem
et mores quam Latini, ut qui multos illorum laboribus et abstinentia excellere vi-
deamini». ibid., p. 190.
264 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

depuis le Contra Graecos de 1252. S'il ne peut donner les références


précises des textes grecs qu'il évoque, il connaît suffisamment
l'œuvre de Jean Chrysostome pour en citer un passage de
mémoire213. A deux reprises il énumère les Pères grecs dont les œuvres
sont favorables aux thèses latines et sont toujours sollicitées par les
polémistes catholiques. Et, la seconde fois, il donne une série de
citations exprimant leur accord avec la procession de l'Esprit saint par
le Fils, à égalité avec le Père214. Mais ce petit ouvrage se montre tout
à fait dans l'esprit des traités du XIVe siècle. Ioannis de Fontibus ne
discute en effet que des deux questions fondamentales : le primat du
pape et la procession du Saint Esprit. De plus, lorsqu'il dénonce le
schisme grec, il met le processus historique à contribution et on
retrouve une argumentation assez voisine de celle de Philippe de
Péra : l'Eglise byzantine se sépara dix fois de l'Eglise romaine à cause
des hérésies, alors que les grands théologiens reconnus par l'Eglise
grecque les ont combattues; ces schismes furent aggravés par Pho-
tios qui fut condamné par les actes du huitième concile, puis par
l'empereur Constantin Monomaque215. Et l'on retrouve ici évoquée la
concurrence entre le pape et Byzance en Sicile. Ioannis évoque en
effet la révolte de Sicile, comme Philippe de Péra le fait dans le De
oboedientia216. Pour ce qui est de l'addition du Filioque, notre
Prêcheur donne une solution originale, fruit de sa réflexion à la lecture
des traités de ses prédécesseurs : il ne croit pas que l'on puisse en
découvrir la date dans les chroniques ou les histoires dignes de foi,
mais elle fut rendue nécessaire, dit-il, par les hérésies nombreuses
qui s'étaient développées à ce moment-là en Occident217. Ioannis a,
sur ce point, un peu la même approche que Guillaume Bernard
lorsqu'il demande aux Grecs de ne pas craindre l'anathème de Nicée
condamnant toute addition au symbole. Ces similitudes entre la
démarche de Ioannis de Fontibus et les œuvres de Philippe de Péra, en
dépit de la différence du nombre des crises de l'Eglise byzantine,
permettent d'évoquer au moins des discussions dans le cadre
conventuel sur ces différentes questions.
Ioannis apporte cependant des éléments nouveaux à la
discussion. Cette lettre est en effet remarquable sur deux points. D'une

213 Ioannis de Fontibus epistula, op. cit., p. 179.


214 Ibid., p. 185, p. 191-192.
215 Ibid., p. 194. Le nom de Michel Cérulaire manque sur le manuscrit, mais
l'éditeur du texte, le P. Loenertz, ne doutait que Ioannis en parlait.
216 Ioannis : «Istam vero divisionem auxerunt et amplius flrmaverunt
Imperator Constantinus Monomachus, quia papa nolebat [consentire] eius in Siculos ty-
rannidi [...], Ibid., p. 194.
217 Ibid., p. 186, p. 193.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 265

part l'auteur y affirme l'infaillibilité de l'Eglise romaine, d'autre part


il témoigne de la position très conciliatrice du pape. Après les
épisodes guerriers, les appels à la croisade, la reprise du dialogue entre
les deux capitales du monde romain est très vive après 1350 et notre
Dominicain, annonçant la venue des apocrisaires pontificaux,
manifeste, à l'égard des Grecs, une grande tolérance218. Ioannis, qui fut
envoyé par le pape en Orient, qui fut, sans doute délégué par Jean
Cantacuzène à Rome, et qui avait eu l'occasion de participer à des
discussions sur les divergences entre les deux Eglises, était
particulièrement qualifié pour dire aux moines grecs que les différences
de liturgie et de rites ne devaient pas empêcher de mettre fin au
schisme. Si Ioannis associe hérésie et schisme, son texte est loin de
la rigueur appuyée de Pierre, qui n'avait sans doute jamais été en
contact avec les Grecs.

8 - Les Grecs catholiques entrent


DANS LA POLÉMIQUE, DE DÉMÉTRIOS CyDONÈS ET
Manuel Calécas à André Chrysobergès

Après une orientation de plus en plus historique du traité


polémique de Simon de Constantinople à Philippe de Péra, Démétrios
Cydonès et son groupe de réflexion se tournèrent vers un discours
plus philosophique et théologique. C'est ainsi que la production de
la littérature polémique de la seconde moitié du XIVe siècle traite
essentiellement de deux sujets : la relation entre essence et opération
divine et la procession du Saint Esprit. Les frères Cydonès,
Démétrios et Prochoros219, furent suivis dans cette voie par les Grecs
convertis entrés dans l'ordre de Saint Dominique à un moment où le
débat se faisait de plus en plus vigoureux avec l'Eglise grecque.
On ne connaît de Maxime Chrysobergès qu'un petit texte : le
discours aux Cretois, rédigé à l'époque du séjour de Joseph Bryennios
dans cette île220. Une rapide analyse de ce document est nécessaire

218 «Nolite credere quod propter oboedientiam ecclesiae Romanae praestandam


cogamini dimittere aliquant vestrarum sanctorum consuetudinum et ohservantia-
rum, quae ab antiquo apud vos probatae sunt. Non erit sic. Nïhil enim papa tollere
vult a vestris consuetudinibus et observantiis, nisi quod Scripturae sacrae et regulis
eius contrarium est. Illas autem quae ab ipsa traduntur et a catholica ecclesia cre-
duntur vos quoque recipere vult. Nïhil aliud enim a vobis papa requirit, quant salu-
tem animarum vestrarum». Ibid., p. 190.
219 Ne considérant que les exemples les plus significatifs de leur importante
production littéraire, Démétrios Cydonès a écrit un traité sur la procession du
Saint Esprit et Prochoros, un ouvrage traitant de l'essence et de l'opération
divines, Tusculum Lexikon, Munich, 1982, p. 455-457.
220 Voir supra, p. 87.
266 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

car il montre bien la filiation entre les traités des Prêcheurs de Péra
de la première moitié du XIVe siècle et les écrits de leurs héritiers
grecs.

a) Le discours aux Cretois de Maxime Chrysobergès

Ce texte est court car il ne couvre qu'un peu plus de six colonnes
dans la patrologie de J.B. Migne221. Le seul argument développé
dans ce discours est la procession du Saint Esprit. Il est composé,
dans l'édition de la traduction de Léon Allatius, de cinq parties.
Après un prologue, bref mais vif, contre les ignorants qui prêchent
des erreurs, les trois paragraphes suivant sont consacrés aux
dissensions du passé. Le second commence ainsi : «Possumus vero id, anti-
quam dissidii originem examinantes, deprehendere». Cette partie
oppose ensuite d'une part les erreurs, qui ont envahi toute l'Asie et une
partie de l'Europe par la faute des patriarches et des empereurs et
d'autre part l'Eglise de Rome, qui a toujours su maintenir le cap
malgré les tempêtes. Maxime utilise en effet la métaphore classique
de la barque pour désigner l'Eglise222. Il dénonce alors ceux qui
refusent le primat du pape. Puis l'auteur consacre toute la partie
suivante à la déposition d'Ignace, dont il décrit les conditions
ignominieuses d'exil à Lesbos, suivant la tradition antiphotienne. Il évoque
alors l'usurpation de Photios et nous retrouvons là les analyses de
Philippe de Péra. Photios s'opposa au pape non à cause de la
procession du Saint Esprit mais par pure ambition personnelle, car il
briguait le trône patriarcal. A partir de ce moment il conçut le schisme
disant que le Saint Esprit procédait du Père seul, ne craignant pas
de contredire les Pères de l'Eglise223. La quatrième partie est une
dénonciation de ce que Maxime appelle le syllogisme imbécile de
Photios et nous retrouvons ici une allusion, même si elle est brève, à
Arius. Il termine sa lettre aux Cretois par une réfutation du
patriarche schismatique citant les Pères grecs : Basile de Cesaree,
Athanase d'Alexandrie et Cyrille le premier d'entre tous. Ce
document épistolaire ne se prêtait donc pas à une longue dissertation

221 P.G. 154, col. 1217-1230, le texte est édité en double colonne bilingue, grec
et latin, d'après Léon Allatius. La date de 1396 est sans doute erronée et le P. Loe-
nertz suggérait 1399/1400 : Pour la chronologie des œuvres de Joseph Bryennios,
dans REB, 7, 1949, p. 12-32.
222 P.G. 154, col. 1219B : «Sic antiquitus multiformis error per multos subse-
cutos annos veluti multiceps hydra, universam Asiam et potiorem Europae partent
pervadens, nunc patriarcharum et episcoporum exsecrandorum sermonibus, nunc
imperatorum vel tyrannorum potentia, sanum Ecclesiae corpus infestabat»;
col. 1219CD : «Namque turn, ο viri, apostolica Romae Ecclesia fluctibus Ulis
superior erat, et cymbam hanc temone pietatis gubernabat...».
223 P.G. 154, col. 1223D.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 267

théologique, comme celles que produisaient ses frères grecs


convertis, mais il fait une large place à la responsabilité de Photios dans la
genèse du schisme grec, comme Philippe de Péra l'avait souligné
avant lui.

b) Le traité de Manuel Calécas


VAdversus Graecos est l'ultime ouvrage que Manuel Calécas
écrivit, fruit de ses dernières réflexions sur les raisons qui l'avait
conduit de l'antipalamisme au catholicisme mais aussi à cet exil qui
lui fut si douloureux. Il en termina la rédaction à Mitylène, peu
avant sa mort en 1410224. VAdversus Graecos est un traité polémique
qui emprunte aux deux traditions : celle des Prêcheurs de Péra et
celle des antipalamites de Constantinople. Ce traité de Manuel
Calécas est bien connu puisqu'il fut jadis édité225. Il est cependant
nécessaire de le replacer dans la tradition littéraire du centre de Péra.
Manuel Calécas a produit une œuvre polémique importante avant et
après sa conversion. Il écrivit en effet des études sur les questions
dogmatiques de fond comme un ouvrage sur l'essence et l'opération
divine et un autre sur la procession du Saint Esprit. VAdversus
Graecos s'intègre mieux dans la tradition dominicaine de Péra puisque ce
traité aborde l'ensemble de la controverse avec les Grecs.
Le système de références de Manuel Calécas ne comporte pas de
grande originalité mais il retrouve l'amplitude des traités des
premières années du XIVe siècle. Tous les Pères grecs sont cités, d'Atha-
nase d'Alexandrie à Maxime le Confesseur et Anastase d'Antioche.
Comme Philippe de Péra, il mit beaucoup à contribution l'œuvre de
Cyrille d'Alexandrie mais il puisa aussi ses citations dans les Epigra-
phae de Jean Beccos. On assiste donc bien dans ce tournant du XIVe-
XVe siècle à un changement dans la tradition des sources patris-
tiques. Manuel a utilisé davantage les traités grecs en faveur de la
thèse latine de la procession du Saint Esprit et beaucoup moins les
œuvres de ses frères Dominicains. Il est vrai qu'il est entré tard dans
l'Ordre et qu'il avait depuis longtemps commencé à travailler cette
question puisqu'avant sa conversion, en 1396, il avait écrit un livre
contre Grégoire Palamas, De Essentia et Operatione Dei. Ecrivant en
grec et maniant assez mal le latin, comme il l'avoue lui-même, il
puisa ses références de Cyrille dans l'important florilège de Jean
Beccos, ce qui s'explique parfaitement. Cependant ayant passé quelque
temps au couvent de Péra en 1398, au moment de sa conversion, il
ne fut pas sans lire les œuvres de ses Frères. C'est ainsi qu'il consacre

224 Th. Kaeppeli, SOP MA III, Rome, 1980, p. 102-104.


225 P.G. 152, J. Gouillard, Manuel Calécas, dans DHGE, t. 12, Paris, 1953, col.
380-384.
268 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

la première partie du quatrième livre de son traité à l'histoire d'une


tradition conciliaire de la procession du Saint Esprit, reprenant le
schéma d'explication des Prêcheurs de Péra.
Le traité de Manuel Calécas se compose de quatre livres, dont
les trois premiers et la première partie du quatrième traitent de la
procession du Saint Esprit226. Les deux premiers justifient la
position latine par l'Ecriture sainte, la tradition patristique et canonique
et par la raison théologique. Le troisième réfute les objections. Le
quatrième, après avoir retracé l'historique de la question, traite des
différences de rite et de liturgie. Tous ces sujets de divergence entre
les deux Eglises sont en effet relégués à la fin comme des questions
subsidiaires, ainsi que le faisaient les Prêcheurs depuis l'auteur du
traité anonyme de 1252.
Le traitement historique de la procession du Saint Esprit par
Manuel Calécas est intéressant, car il ouvre la perspective des
discussions de Florence. Prenant appui sur Grégoire de Nazianze, frère
Manuel dit que les conciles n'interdisent pas les éclaircissements
nécessaires à la foi227. Toute l'intervention d'André Chrysobergès aux
sessions de Ferrare se fera sur cet argument comme nous le verrons
plus loin. Manuel Calécas énumère ensuite, comme l'avait fait avant
lui Philippe de Péra, les erreurs christologiques ayant provoqué
chacune la convocation d'un concile, d'Arius à Nestorius, du synode de
Nicée à ceux d'Ephèse et de Chalcédoine. C'est ainsi qu'il en vient à
la filiation entre les erreurs christologiques et la négation de la
procession du Saint Esprit par le Fils228. La crise photienne est bien
entendu évoquée mais sans relief particulier. Photios tient le rôle de
l'ambitieux qui a soulevé la question de l'addition du Filioque dans
l'unique but de prendre le siège patriarcal, Ignace ayant alors fait
appel au pape comme ses prédécesseurs dans des circonstances
identiques : Athanase le Grand, Paul le Confesseur229 et Jean Chry-
sostome. La crise terminée, Photios se réconcilia avec le pape et il ne
fut plus question du Filioque. On ne trouve donc pas dans ce texte

226 Ibid.
227 P. G. 152, col. 187A : «Nam et qui addiîionem interdixere, adjonctionem fi-
dei, corruptaque dogmata conscribere prohibuerunt». col. 188C : «Addiderunt
tarnen, litterae sensum conferentes et contra adversarios constanter dimicantes juxta
theologum Gregorium, qui ait : Non de verbis, et nominibus pugnamus, dummodo
syllabae ad eamdem intelligentiam feront·».
228 P. G. 152, col. 196D : «Sunt item qui dicant quosdam ex Arii vesania, cum
vellent Filii maiestatem imminuere, a solo Pâtre Spiritum sanctum prodire dixisse».
229 II s'agit de Paul Ier patriarche de Constantinople, déjà mentionné par
Philippe de Péra. Manuel Calécas lui donne le titre de Confesseur conformément à la
tradition byzantine. L'Eglise latine lui accorde celui de Martyr, D. Stiernon, Bi-
bliotheca sanctorum, 10, p. 286-293.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 269

les violentes polémiques des chroniques anti-photiennes utilisées


par les Dominicains du XIVe siècle. Pour Manuel Calécas, le prétexte
que prit Michel Cérulaire pour ôter le nom du pape des diptyques
fut la question des azymes. Il profita de ce schisme pour s'orner du
titre de patriarche universel. Alors on inventa d'autres causes au
schisme, comme l'usage de la formule «per Filium». Puis il en vient
aux théologiens byzantins qui, depuis le schisme, défendirent les
positions de l'Eglise grecque. Il oppose Eustrate de Nicée230 et Nicolas
de Méthone231 à Nicéphore Blemmydès, qui, dans deux traités
adressés à l'empereur Théodore Lascaris, se prononce pour l'équivalence
entre les formules ex Filio et per Filium232. L'allusion au concile de
Lyon est réduite à une violente invective. Cette dernière partie, dans
laquelle il s'adresse à ses contemporains, est en effet rédigée dans un
style très vif où les interrogations se succèdent pour les interpeller.
L'Adversus Graecos témoigne donc de l'appartenance de son
auteur à la culture byzantine puisqu'il transmet l'héritage de Jean Bec-
cos et nous apporte de grands noms de la théologie grecque,
appartenant à l'après-schisme, comme Nicéphore Blemnydès. La
divergence doctrinale sur le Filioque au moment du schisme de
Photios puis de celui de Michel Cérulaire est minorée alors que
l'argument ecclésiologique est souligné. Manuel Calécas semble donc
ne considérer ces événements que comme des accidents de l'histoire
dus à la personnalité ambitieuse de ceux qui en portent la
responsabilité. Et, à la différence de ses Frères polémistes du XIVe siècle, il
condamne les théologiens qui ont, à partir du XIe siècle, théorisé la
doctrine de la procession du Saint Esprit per Filium.
Doit-on considérer la mention de Denys l'Aréopagite et la
citation des Nombres Divins comme le témoin de la culture grecque de
Manuel Calécas? Cet auteur est depuis longtemps cité dans les
traités latins de la polémique contre les Grecs. Le traité anonyme de
1252 et les auteurs qui l'ont utilisé citent la lettre de Denis. Saint
Thomas et Bonaccursius de Bologne mentionnent, à propos de la
question du purgatoire, la Hiérarchie céleste233. Mais Manuel Calécas

230 Eustrate, métropolite de Nicée, philosophe et théologien, élève de Jean


Italos. Sa polémique contre le Filioque l'entraîna vers une doctrine trinitaire dont
l'orthodoxie était douteuse. Il fut donc accusé d'hérésie, en 1117, et déposé,
A. Kazhdan, dir., Oxford Dictionary of Byzantium, 2, op. cit., p. 1469.
231 Nicolas, métropolite de Modon (1150 c), panégyriste de Manuel Ier
Comnène; il avait une théologie trinitaire photienne, Beck, p. 624.
232 Nicéphore Blemmydès, philosophe et théologien du XIIIe siècle,
disciplines qu'il enseigna à Théodore Lascaris. Il prit part aux disputes entre les deux
Eglises en 1232/34. Ces positions étaient proches de celles des Latins. Jean Bec-
cos lut ses œuvres, ibid., p. 671.
233 Bonaccursius de Bononia O.P., De Errorïbus Graecorum, éd. F.
Stegmüller, op. cit., p. 77; Contra Graecos de Saint Thomas, éd. Léonine, op. cit., A 158.
270 UNE MÉTHODE DOMINICAINE

cite le De divinis nominibus afin de montrer que Dieu est source de


l'ordre céleste et divin et qu'il a voulu un ordre dans la Trinité234.
Avant lui, mais simplement pour dire que la foi est le fondement des
croyances, la première mention de cet ouvrage se trouve dans le
traité anonyme de 1305, Contra Orientaliwn et Graecorum235. André
Chrysobergès construira, à partir des Nombres divins, un
développement philosophique plus long, comme nous le verrons plus loin. Il
convient donc de constater que cet ouvrage de Denys l'Aréopagite
semble une référence des polémistes grecs et que le traité anonyme
de 1305 doive être classé dans les ouvrages écrits soit par un
Prêcheur de cette origine ou très proche. Une nouvelle fois se présente
donc l'hypothèse de l'attribution de ce traité à Simon de
Constantinople.
Mais l'originalité du traité de Manuel Calécas réside surtout
dans les longues analyses théologiques qui suivent les citations des
Pères de l'Eglise. Il est aisé d'en trouver de nombreux exemples.
Pour donner un ordre de grandeur, notre polémiste consacre autant
de place aux citations des Pères de l'Eglise qu'au commentaire qu'il
construit. Reprenant le passage évoqué tout à l'heure sur l'ordre des
personnes dans la Trinité, une longue dissertation théologique suit
quatre citations dont celle de l'Aréopagite. Celle-ci amène Manuel
Calécas à l'évocation des hypostases, qu'il appuie par sept nouvelles
références et une analyse plus courte236.
Ainsi YAdversus Graecos de Manuel Calécas marque-t-il une
nouvelle progression de la polémique dominicaine. Il est indéniable
que sa maîtrise du grec, sa langue maternelle, lui permit d'enrichir
le débat de nouvelles références puisées dans son patrimoine
théologique. Et s'il éprouve la nécessité de traiter des différences de rite ou
de tradition entre les deux Eglises, il n'y consacre que peu de pages,
préférant s'attacher aux questions cruciales touchant le dogme, celle
de la procession du Saint Esprit plus particulièrement. Les citations
des Pères grecs sont très fournies mais elles sont suivies de longues
dissertations théologiques.
Le dialogue d'André Chrysobergès appartient à l'œuvre des
polémistes de Péra, mais les allusions claires au concile de Florence qu'il
contient nécessitent qu'il soit étudié dans sa dernière partie237. De
plus, c'est un texte tout à fait différent des traités présentés jusqu'à

2i4P.G. 152, col. 20D-21A.


235 F. Stegmüller, Ein Lateinischer Kontroverstraktat, op. cit., p. 149.
236 P. G. 152, col. 20D - 24D.
237 Ce dialogue avait été daté de 1437 par le Père Kaeppeli, SOP MA, 1,
op. cit., p. 64-67, mais il fut écrit après le concile de Florence, à la fin de l'année
1439 ou au début de la suivante.
L'ÉCRIT POLÉMIQUE, L'ARME FAVORITE 271

présent. Il aborde en effet de nouvelles questions et sa forme, sa


présentation des arguments en font une œuvre profondément originale.
Ainsi peut-on distinguer trois périodes dans la tradition
polémique des Prêcheurs de Péra. Avec la reprise des discussions
dogmatiques entre les deux Eglises à Nicée et à Nymphée en 1234,
annonçant le concile de Lyon II, les catholiques ont commencé à
préparer des dossiers dogmatiques, auxquels appartient le Contra
Graecos anonyme de 1252. Puis, à la fin du XIIIe siècle et pendant la
première moitié du XIVe siècle, les Prêcheurs de Péra ont fait de
nombreuses recherches dans les textes grecs et ils se sont peu à peu
orientés vers une explication historique du schisme grec leur
permettant de prouver que peu à peu l'Eglise byzantine était tombée
dans l'erreur, ainsi que le montre le De processione Spiritus Sancii de
Philippe de Péra. Enfin l'arrivée des Prêcheurs grecs a permis un
développement de la polémique sur le plan théologique, intégrant
l'apport de leur patrimoine philosophique.
QUATRIÈME PARTIE

LES DOMINICAINS ET LES CONCILES


DU XVe SIÈCLE
Qu'un concile œcuménique ait pu avoir lieu en 1438-1439, qu'il
ait réuni l'Eglise romaine et l'Eglise d'Orient, constitue en soit un
événement extraordinaire. Depuis le IXe siècle et la controverse avec
les Byzantins au sujet de la promotion du patriarche Photios, une
telle rencontre ne s'était pas produite. Les circonstances qui ont
amené cette réunion sont particulières. Le contexte international est
devenu dramatique pour l'empire et les relations entre les deux
Eglises ont beaucoup changé depuis cette époque. Si les
Dominicains jouèrent, au cours de ce concile, un rôle important, comme
nous allons le voir, celui-ci est loin d'être négligeable dans
l'évolution de ces relations.
CHAPITRE I

DÉMÉTRIOS CYDONÈS ET L'ÉVOLUTION


DE LA THÉOLOGIE BYZANTINE DE 1350 À 1439

Du milieu du XIVe siècle au concile de Florence, qui met fin au


schisme grec, du moins en théorie, en 1439, l'Eglise orthodoxe et ses
relations avec le pape ont considérablement évolué. Ce phénomène
s'explique par des raisons externes, la pression turque s'exerçant de
plus en plus fortement sur l'empire byzantin à partir du règne d'An-
dronic III (1328-1341), surtout, l'entente avec le pape devint alors
une nécessité politique car elle était la condition d'une aide militaire
de l'Occident. D'autre part, malgré la reconquête de Constantinople
par Michel VIII Paléologue en 1261, la présence latine a continué à
s'affirmer tout au long du XIVe siècle. Les négociations entre Rome
et Constantinople ont, ainsi, provoqué la multiplication des
échanges d'ambassadeurs. De plus Vénitiens et Génois ont continué
à développer leur implantation coloniale, profitant de
l'affaiblissement de la puissance byzantine en jouant des querelles familiales,
mais, en même temps en y contribuant.
L'évolution de l'Eglise grecque est due aussi à des causes
internes. Car, si l'Occident continue de s'affirmer politiquement, les
Latins résidant dans l'empire, et particulièrement les clercs séculiers et
réguliers, y ont développé leur influence culturelle, provoquant des
réactions contradictoires parmi les Orthodoxes.
L'apport des Latins dans ce domaine est double. Déjà, à la fin du
XIIIe siècle, les traductions des œuvres de saint Augustin par
Maxime Planude avaient suscité une certaine curiosité pour la
patrologie latine. Mais, au cours du XIVe siècle, les Occidentaux
apportent aussi leur propre lecture de la philosophie grecque antique,
génératrice d'un débat de fond que l'élite byzantine avait voulu
éviter au début du siècle, alors qu'on assistait à un nouvel élan de la
culture grecque. Cette question était celle des rapports entre la
philosophie et la théologie1. A partir des années 1330, alors que les
écoles monastiques se sont ouvertes à la pensée profane comme à la

1 D.M. Nicol, The Byzantine Church and Hellenic Learning, dans Studies in
Church History, 5, 1969, p. 23-57.
278 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Chora, le monastère restauré par le mésazon Théodore Metochitès2,


et que Barlaam, le moine orthodoxe originaire de Seminara en Ca-
labre, arrive à Constantinople pour y enseigner, la question se pose
clairement : est-ce que la philosophie peut être une aide dans la
connaissance de Dieu? On ne connaît pas précisément le cursus
scolaire du Calabrais mais, formé en Occident, il apporte les méthodes
de discussion à l'honneur dans les écoles italiennes et leur approche
de Platon et d'Aristote3. Il répondait donc à cette question par
l'affirmative alors que les lettrés byzantins étaient beaucoup plus
réservés4. La discussion se développa d'abord entre Barlaam, qui avait
obtenu une chaire à l'université grâce à l'appui de Jean Cantacuzène,
alors grand domestique d'Andronic III, et Nicéphore Grégoras qui
enseignait à la Chora. Ce dernier reprochait à Barlaam une
interprétation matérialiste de la philosophie d'Aristote. Les pressions de
l'élite byzantine furent telles que Barlaam dut quitter la capitale
pour Thessalonique, où il continua à enseigner. Mais alors la
polémique se déplaça du plan philosophique au plan religieux car, dans
les monastères, un mouvement spirituel très opposé à l'incursion de
la philosophie dans la théologie s'était développé5. Ce mouvement
s'inscrit dans une tendance traditionnelle du monachisme grec :
l'Hésychasme. Celle-ci entend que l'approche de Dieu ne peut se
faire que par la prière et la méditation, solitaire et individuelle. Ce
mouvement, le Palamisme, prit le nom de son chef de file : Grégoire
Palamas6. Des intellectuels orthodoxes tentèrent de s'interposer
entre Barlaam et Palamas, mais l'intransigeance des deux
protagonistes, les divisions politiques dans la famille impériale depuis la
mort d'Andronic III, en 1341, rendirent tout compromis impossible.
Le Palamisme, profondément ancré dans la spiritualité orthodoxe,
appuyé par le parti de Jean Cantacuzène, qui était soutenu par
l'aristocratie byzantine, triompha en 1347, puis surtout en 1351, face à
une tendance plus urbaine, plus ouverte aux nouveautés venues de

2 1. Sevcenko, Theodore Metochitès, the Chora and the Intellectual Trends of


His Time, dans The Kariye Djami, Paul A. Underwood éd., Princeton, 1975, p. 19-
55.
3 Barlaam le Calabrais, dans Dizionario Biografico degli Italiani, 6, p. 392-397,
article cité; J. Meyendorff, Un mauvais théologien de l'unité : Barlaam le
Calabrais, l'Eglise et les Eglises, dans Etudes et Travaux offerts à Dom Lambert Beau-
duin, 2, Chevetogne 1955, p. 47-64.
4 H. Beck, Der Kampf um den thomistischen Theologiebegriff in Byzanz, dans
Divus Thomas, 13, 1935, p. 1-22.
5 O. Tafrali, Thessalonique au XIVe siècle, Paris, 1919; D.M. Nicol, Thessaloni-
ca as a Cultural Center in the Fourteenth Century, dans Studies in Late Byzantine
History and Prosopography , dans Variorum Reprints, Londres, 1986.
6 J. Meyendorff, Introduction à l'étude de Grégoire Palamas, Paris, 1959.
DÉMÉTRIOS CYDONÈS ET LA THÉOLOGIE BYZANTINE 279

l'Occident. Les œuvres de Barlaam, lequel avait quitté l'empire dès


juillet 1341, furent condamnées et le Palamisme devint la doctrine
officielle de l'Eglise grecque. Cependant l'influence de Barlaam et les
discussions que son enseignement avait suscitées donnèrent
naissance, chez certains lettrés, à une curiosité accrue pour la culture
latine et à un mouvement opposé à la doctrine officielle : l'antipala-
misme'.
Particulièrement actif dans les années 1340, à Thessalonique, où
il était associé à la révolte des Zélotes, ce mouvement fut combattu
activement par les patriarches qui se succédèrent après la déposition
de Jean Calécas en 1347. Ce dernier, ainsi que Nicéphore Grégoras,
rallié à l'antipalamisme après avoir pris conscience de l'exiguïté de
la pensée de Palamas, moururent en prison. On raconte que le
cadavre de Grégoras fut traîné dans les rues de la capitale tant était
grand le déchaînement des passions et de la haine. Vingt ans plus
tard, Prochoros Cydonès mourait peu après sa condamnation par le
synode de 1368. Mais son frère, Démétrios, mésazon de Jean VI
Cantacuzène, puis de Jean V Paléologue, réussit à jouer un rôle
déterminant dans le cheminement de l'Eglise grecque vers l'Union de
Florence, en raison de ses fonctions politiques et de sa position à la
cour, mais aussi à cause de son influence sur l'élite intellectuelle de
Byzance.
Issu d'une famille noble de Thessalonique, Démétrios Cydonès
entra au service de Jean Cantacuzène à la mort de son père. Il exerça
très jeune et longtemps de très hautes fonctions à la cour8. Il fut, en
effet, mésazon pendant près de quarante ans, de 1347 à 1387, malgré
quelques interruptions, comme en 1373-1375. Il dut commencer très
jeune sa carrière politique car, lorsque Cantacuzène prit le pouvoir
contre son neveu, Jean Paléologue, Démétrios Cydonès n'avait qu'un
peu plus de vingt ans, si l'on considère avec G. Mercati qu'il naquit
en 13259. La fonction de mésazon, bien que ne figurant pas dans la
liste des offices de la cour, était au XIVe siècle une charge très im-

7 Sur la crise palamite en général : J.M. Hussey et T.A. Hart, The Cambridge
Medieval History, IV, 2 (Government, Church and Civilization), 1967, p. 200-204;
D. Stiernon, Bulletin sur le Palamisme, dans REB, 30, 1972; M. H. Congourdeau,
L'idée d'Eglise dans la théologie orthodoxe, dans Histoire du Christianisme, 6,
Paris, 1990, p. 315-317, Les voies du salut dans l'Eglise byzantine, ibid., p. 449-450.
8 Pour la biographie de Démétrios Cydonès : RJ. Loenertz, Démétrios
Cydonès, correspondance, 2 vol., dans Studi e Testi, t. 186, 208, Rome, 1956-1960;
F. Tinnef eld, Démétrios Kydones Briefe, 3 vol., dans Bibliothek der griechischen
Literatur, t. 12, 16, 33, Stuttgart, 1981-1991.
9 G. Mercati, Notizie di Prochoro e Demetrio Cidone, Manuele Caleca e
Theodore Meliteniota ed altri appunti per la storia della teologia e della letteratura byzan-
tina del secolo XIV, dans Studi e Testi, t. 56, Rome, 1931.
280 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

portante. Le mésazon était, en effet, une sorte de secrétaire


particulier de l'empereur. Jean VI Cantacuzène estimait que sa présence
à ses côtés était indispensable de jour comme de nuit. Il s'occupait
plus particulièrement du courrier de l'empereur et de la réception
des ambassades et des résidents étrangers dans l'empire10. Il était
donc au courant de toutes les affaires et surtout de tout ce qui
concernait les relations avec l'étranger. C'est donc dans le cadre de
ses fonctions qu'il fut amené à fréquenter souvent des Latins et qu'il
décida d'apprendre leur langue, comme nous l'avons vu plus haut.
Sa jeunesse passée à Thessalonique, lors de la présence de Bar-
laam, avait préparé Démétrios Cydonès à une ouverture à la culture
occidentale et l'influence des Prêcheurs de Péra avait favorisé sa
conversion dans les années 1350. Mais il convient de souligner que
cette évolution s'est faite à la cour de Jean Cantacuzène, l'empereur,
qui avait choisi de soutenir le Palamisme. La tolérance de ce dernier
à l'égard de son mésazon, qui ne devait pourtant pas faire mystère
de son opposition au Palamisme, peut s'expliquer si l'on considère
les qualités de ces deux personnalités. D'une part les services du
grand homme d'état que fut Démétrios Cydonès étaient
indispensables à l'empereur Jean VI, étant donné une situation diplomatique
particulièrement délicate. D'autre part ce dernier, comme tant
d'autres empereurs byzantins, était un homme cultivé et ne pouvait
pas ne pas avoir d'affinités pour la personnalité de son mésazon,
homme de lettres, lui aussi. Ainsi l'attitude de Jean VI Cantacuzène,
lorsqu'il fut à la tête de l'empire, peut sembler très ambiguë. En
même temps qu'il favorisait officiellement le Palamisme, pour des
raisons apparemment politiques, il s'entourait d'un cercle de lettrés
opposés à cette doctrine, à la tête duquel se trouvait Démétrios
Cydonès. De plus, il encourageait ce dernier et son frère Prochoros à
traduire les grands auteurs catholiques11. En fait cette contradiction
n'était qu'apparente, comme le montre son œuvre et ses actes
pendant la période qui suivit son abdication. Ces années de
confrontation avec la théologie catholique, vécues au contact de son mésazon
et des Prêcheurs de Péra, l'avaient en effet amené à deux
conclusions. La première était que les techniques de discussion des Latins
étaient plus efficaces que celles des théologiens grecs; la seconde
était que la théologie byzantine ne pouvait que s'enrichir de cette
confrontation. Il ne faut donc pas penser qu'il fut jamais tenté par
un quelconque compromis avec la doctrine catholique et, suivant

10 Sur cette fonction en général, l'article déjà cité de J. Verpeaux,


Contribution à l'étude de l'administration byzantine, op. cit. et sur la conception qu'en avait
Jean VI Cantacuzène, R. J. Loenertz, Démétrios Cydonès, Correspondance, op. cit.
11 M. H. Congourdeau, Le Problème de l'Union gréco-latine, dans Histoire du
Christianisme, 6, op. cit., p. 828.
DÉMÉTRIOS CYDONÈS ET LA THÉOLOGIE BYZANTINE 281

l'exemple d'autres empereurs byzantins, Théodore Lascaris, par


exemple, il est l'auteur de plusieurs ouvrages la réfutant12. Pour lui, il
était donc nécessaire que les théologiens grecs soient capables de
soutenir des discussions avec les Latins.
Démétrios Cydonès, quant à lui, avait fait le choix de l'Occident
et pensait que le salut de sa patrie, sur le plan tant politique que
spirituel, dépendait d'une entente avec le pape. Ainsi, alors que Jean V
Paléologue lui confiait une nouvelle fois la charge de mésazon, il put
tout mettre en œuvre pour opérer le rapprochement avec Rome.
Malgré tous les efforts déployés, il ne put obtenir que la conversion
personnelle de l'empereur, au cours du voyage dans la capitale du
Catholicisme, en 1369. Sans doute espérait-il, comme le pape Urbain
V, que ce ne serait que le premier pas vers la fin du schisme grec.
Mais le résultat à court terme de cette ouverture à l'Ouest tentée par
Démétrios Cydonès est assez décevant car, non seulement la
conversion personnelle de Jean V ne fut pas suivie de celle de tout son
peuple, mais l'Occident faisait dramatiquement attendre son aide
militaire. Comme nous l'avons vu plus haut, Louis d'Anjou, roi de
Hongrie, préféra signer un accord avec les Turcs afin de se
consacrer à la construction d'un puissant royaume en Europe centre-
orientale.
Cependant l'œuvre, à plus long terme, du grand mésazon du
XIVe siècle fut très fructueuse.
D'abord, parce qu'après Maxime Planude, à la fin du siècle
précédent, Démétrios est, avec son frère, Prochoros, le grand traducteur
des théologiens de langue latine. Certes le Dominicain Guillaume
Bernard13 avait, dans les premières années du XIVe siècle, au
couvent de Péra, traduit en grec l'œuvre de saint Thomas, mais on
n'a retrouvé aucun manuscrit de ses traductions, ce qui porte à
penser qu'elles n'eurent pas une grande diffusion. Il en existe en
revanche un certain nombre de celles des frères Cydonès. En un demi
siècle le climat culturel de la capitale byzantine avait
considérablement changé.
Les frères Cydonès ont traduit de nombreux ouvrages de
théologiens latins, Anselme de Canterbury, Riccoldo de Monte Croce O.P.,
mais surtout saint Augustin et encore plus saint Thomas d'Aquin.
Pour ne parler que des œuvres les plus importantes de ce dernier,
Démétrios a traduit la Somme contre les Gentils, une grande partie
de la Somme Théologique, l'Hymne au Saint Sacrement, le De Corpore
et Sanguine Domini. Prochoros a complété la traduction de la

12 E. Voordeckers et F. Tinnefeld, Iohannis Cantacuzeni Refutationes Duae


Prochori Cydonii et Disputatio cum Paulo Patriarca latino Epistulis septem tradita,
dans Corpus Chrìstianorum Series Graeca 16, Louvain, 1987.
13 Voir liste des Dominicains.
282 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Somme Théologique (82 articles de la troisième partie et le


supplément) et a traduit des œuvres philosophiques : De Mundi Aeternitate,
la préface du commentaire de la Métaphysique, et peut-être le De Po-
tentia. Pour ce qui est de leur production littéraire, Démétrios a écrit
des apologies pour justifier sa conversion, mais aussi un traité sur la
procession du Saint Esprit, question majeure, point doctrinal clé
dans la discorde entre Grecs et Latins, utilisant largement l'œuvre de
saint Thomas. Il est aussi l'auteur d'une défense de la scolastique
contre Nil Cabasilas et des invectives contre le patriarche Philothée,
au moment de la condamnation de son frère en 1368 14. Il a
également écrit des textes à caractère politique plaidant en faveur d'une
aide militaire de l'Occident : Oratio ad Romaeos de admittendo
Latinorum subsidio, en 1366, et contre le rapprochement avec les Turcs
en 1371, De non reddenda Gallipoli.
Son frère Prochoros, tout en restant dans l'Eglise grecque,
écrivit un traité sur l'essence et l'énergie divines, question plus
étroitement liée au débat sur le Palamisme. Il faut noter, dans cet
ouvrage, une grande influence de saint Thomas. G. Mercati a
remarqué la même manière de traiter le sujet et le même langage
avec la double série d'arguments pour et contre, la réponse ou la
solution de la question et la confrontation avec les arguments
contraires selon l'usage des scolastiques occidentaux. D'autre part,
à l'appui de son argumentation, il cite toujours de larges extraits
de la Somme Théologique dans sa propre traduction et non dans
celle de son frère. Cet ouvrage le rendit évidemment très suspect
aux yeux des autorités orthodoxes et explique sa condamnation
par le synode.
Cette œuvre de traduction et d'explication de saint Thomas par
les frères Cydonès a permis un renouveau de la pensée grecque, par
une redécouverte de Platon et d'Aristote et par l'accès à la théologie
latine et aux techniques occidentales de discussion. Elle eut, donc,
une influence considérable dans l'Eglise grecque car elle suscita des
réactions contradictoires. La méthode thomiste fut utilisée par les
adversaires du Palamisme, de Prochoros Cydonès à Manuel Calécas
en passant par Grégoire Akindynos, Isaac Argyros, Jean Kyparissio-
tès et Théodore Dexios15. Mais, pour les théologiens fidèles à la
tradition grecque, l'œuvre de Saint Thomas fut également une référence,
soit pour utiliser son argumentation, comme Nil Cabasilas et

»Beck, p. 733-738.
15 G. Mercati, Notizie di Procoro e Demetrìo Cidone, Manuele Caleca e Teodore
Meliteniota ed altri appunti per la storia della teologia e della letteratura byzantina
del secolo XIV, in Studi e Testi, t. 56, Rome 1931.
DÉMÉTRIOS CYDONÈS ET LA THÉOLOGIE BYZANTINE 283

Georges Scholarios contre le Filioque, soit pour le réfuter comme


Callistos Angelikoudès16.
Ainsi peut-on dire que la diffusion des techniques de la
discussion scolastique, avec une large utilisation du syllogisme et de
l'œuvre de saint Thomas, a provoqué un renouveau de la théologie à
Byzance et même de la réflexion philosophique jusqu'au milieu du
XVe siècle, avec les œuvres de Gémisthos Pléthon et de Georges
Scholarios, les prr osophes qui accompagnèrent la délégation
grecque à Florence.
Quelques exemples de la production littéraire byzantine du XIVe
siècle montrent qu'il s'agit toujours d'une réfutation de saint
Thomas sur le thème de la procession du Saint Esprit. Nil Cabasilas, le
professeur de rhétorique de Démétrios, composa un traité pour
défendre la thèse grecque dont la délégation byzantine se servit au
cours des discussions doctrinales de Florence. Plus tard, Démétrios
Chrysoloras écrivit un dialogue : Dialogus evertens librum Demetrii
Cydonii contra beatum Nilum CabasÜam thessalonicensem. Cet
ouvrage rapporte la discussion entre saint Thomas, Nil Cabasilas,
Démétrios Cydonès et l'auteur. En fait, comme l'indique le manuscrit
de la bibliothèque laurentienne (cod. 12 Plut. V), il s'agit d'une
dispute entre l'auteur et Cydonès sur la procession du Saint Esprit.
C'est là encore une réfutation du Thomisme. Démétrios Chrysoloras
était, lui aussi, un lettré proche du pouvoir impérial17. Ami de
Manuel II Paléologue, auquel il adressa une centaine de lettres, il fit
pour lui le portrait du prince idéal. Il fut mésazon de Jean VII
Paléologue à Thessalonique entre 1403 et 1408. Il appartient donc au
même groupe de lettrés que les Grecs convertis, amis de Démétrios
Cydonès, comme Manuel et Jean Chrysoloras, qui portent le même
patronyme mais on ne connaît pas exactement leurs liens de
parenté, s'ils ont existé.
Un autre polémiste antilatin, Joseph Bryennios, se révèle
comme un véritable scolastique18. Dans un sermon sur le jugement
dernier, il pose trente-cinq questions suivies chacune de leur
solution, comme on le faisait dans les universités occidentales. Il fait,
d'autre part, plusieurs fois références à saint Thomas dans son
premier dialogue sur la procession du Saint Esprit. Son œuvre montre

16 M. H. Congourdeau, Le Problème de l'Union gréco-latine, dans Histoire du


Christianisme, 6, op. cit., loc. cit.
"Beck, p. 748, p. 751.
18 R. J. Loenertz, Pour la chronologie des œuvres de Joseph Bryennios, dans
REB, 7, 1949, p. 12-32; N. Tomadakis, Oeuvres Cretoises inédites de Joseph
Bryennios, dans Epeteris Etaireias Byzantinon Studon, 19, 1949, p. 130-154, résumé en
français, 402; Beck, p. 749-750.
284 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

donc qu'il connaît bien celle du docteur angélique, mais dans un


échange de correspondance avec Maxime Chrysobergès O.P., alors
que ce dernier suit des études de théologie au couvent de Venise en
1396-1397, et qu'il a essayé de le convertir au Catholicisme, Joseph
Bryennios lui écrit que ses efforts sont inutiles car les
raisonnements ne peuvent convertir les Grecs, tout raisonnement leur étant
suspect en matière de théologie. Le mot de raisonnement évoque les
techniques de discussion, héritage de la philosophie antique pour la
scolastique occidentale. Comme la plupart des opposants à
l'ouverture à l'Ouest, Joseph Bryennios connaissait parfaitement la
théologie latine moderne, mais, comme Grégoire Palamas avant lui, il
refusait l'ingérence de la philosophie dans la connaissance de Dieu.
L'œuvre théologique des Grecs pro-latins a donc permis un
renouveau de la littérature dogmatique à Byzance par les polémiques
qu'elle a suscitées, mais elle a aussi préparé l'Union de Florence. En
effet, les ouvrages des frères Cydonès comme ceux de Manuel Calé-
cas O.P. avaient montré la qualité de la pensée occidentale. Même
opposés à cette pensée, les polémistes orthodoxes ont souvent
apprécié la solidité de l'argumentation utilisée par les Latins. Ainsi le
patriarche Philothée prétendait ne pas pouvoir trouver de
théologien, à Byzance, capable de réfuter le traité de Prochoros sur
l'essence et l'opération de Dieu. Les polémistes byzantins raillèrent
souvent l'usage du syllogisme chez leurs adversaires, mais ils l'ont
beaucoup utilisé. Ainsi Bessarion, lui même, au cours de ses
interventions à Ferrare en novembre 1438. Jean Cantacuzène, avant lui,
avait su reconnaître la supériorité de la scolastique. Il utilisa la
traduction, qu'avait faite Démétrios Cydonès, du traité de Riccoldo de
Monte Croce O.P. contre le Coran pour composer son ouvrage sur le
même thème. Et, malgré son soutien au Palamisme, il a favorisé
l'œuvre de traduction de Cydonès car il estimait que la théologie
byzantine devait progresser au contact de la scolastique dans la
perspective d'un concile œcuménique, où l'Eglise grecque serait amenée
à défendre sa doctrine face à celle de l'Eglise catholique. C'est dans
ce but qu'il discute d'un tel projet avec le légat du pape, Paul de
Smyrne, patriarche latin de Constantinople, en 136719. Il convient
donc de situer l'action de Jean Cantacuzène dans le prolongement
de celle de Barlaam le Calabrais, qui le premier avait proposé un
projet de concile à la curie à Avignon en 133920, et de celle de Nicé-
phore Grégoras, qui avait fait progresser la théologie byzantine.

19 J. Meyendorff, Introduction et commentaire d'un texte anonyme : projet de


concile œcuménique en 1367, dans Dumbarton Oaks Papers, 14, 1960, p. 147-177.
20 D. M. Nicol, Byzantine Requests for an Oecumenical Council in the
Fourteenth Century in Byzantium : its Ecclesiastical History and Relations with the
Western World, dans Variorum Reprints, Londres, 1972.
DÉMÉTRIOS CYDONÈS ET LA THÉOLOGIE BYZANTINE 285

Mais alors que ces derniers étaient passés à l'opposition au Pala-


misme et même au Catholicisme pour le second d'entre eux, Jean
Cantacuzène, dépassant les contradictions de son époque, permit la
renaissance de la théologie grecque. Une meilleure connaissance de
la théologie latine par les Orthodoxes, permettrait une discussion
d'égal à égal et un rapprochement des points de vue. Tous ces faits
montrent le succès de la méthode scolastique et du Thomisme à By-
zance entre 1350 et 1439.
L'œuvre de Démétrios Cydonès a donc frayé un chemin à
l'Union de Florence, non seulement en permettant le renouveau de la
théologie et de la philosophie à Byzance, mais aussi en constituant,
par son influence, un groupe d'hommes capables de promouvoir un
tel projet. C'est en effet à son cercle de lettrés, grecs convertis au
catholicisme, qu'appartiennent les artisans du concile de Ferrare-Flo-
rence. Les frères Chrysobergès, et particulièrement les cadets,
Théodore et André, ont pu avoir une action efficace pour qu'enfin ce
concile puisse se réunir. Ils avaient, de par leur origine, des appuis à
Constantinople, et, grâce à leur appartenance à l'Ordre, des relations
à la curie. Ainsi purent-ils intervenir, non seulement dans les
négociations préparatoires, mais aussi dans les différents conciles du XVe
siècle. Théodore est mort avant celui de Florence, mais André
intervint souvent dans les discussions dogmatiques qui aboutirent à
l'Union. Ils furent aidés par des laïcs de la cour comme les frères Dishy-
patos. Ces derniers formaient avec les Chrysobergès et l'interprète
au concile, Nicolas Sagundinos, la seconde génération des Constan-
tinopolitains convertis, héritiers de Démétrios Cydonès.

Les conciles du XVe siècle et leurs acteurs

II existe une importante bibliographie sur les conciles qui se


déroulèrent pendant la première moitié du XVe siècle (Constance 1414
- 1417, Pavie - Sienne 1423 - 1424, Bâle 1431 - 1438, Ferrare-Flo-
rence 1438 - 1439). Mais, jusqu'à présent, le rôle joué par les
Dominicains, au cours de ces conciles, n'a pas suffisamment été mis en
lumière21. Or les actes pontificaux, les actes de ces conciles et l'œuvre
littéraire des Prêcheurs, qui y participèrent, montrent combien ce
rôle fut important. Ces conciles avaient des finalités ambitieuses à la
mesure de la gravité de la situation : mettre fin aux divisions de ΓΕ-

21 Ce rôle a été mieux appréhendé lors des récents colloques, qui ont célébré
le 550e anniversaire du concile de Ferrare-Florence, mais on a surtout insisté sur
leur action en faveur du primat du pape sur le concile : Christian Unity, the
Council of Ferrara-Florence 1438/39 - 1989, dir. G. Alberigo, Louvain, 1991; Firenze e il
Concilio del 1439, Paolo Viti dir., 2 vol., Florence, 1994.
286 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

glise et entreprendre la réforme de cette grande institution. Les


divisions de l'Eglise revêtaient des formes diverses. Le Grand Schisme
avait ouvert une grave crise du pouvoir depuis 1378, à la tête de
l'Eglise romaine22. Trois papes se disputaient le trône pontifical au
moment de l'ouverture du concile de Constance. Le schisme des Grecs
divisait la chrétienté depuis le milieu du XIe siècle et le concile de
Lyon II, en 1274, n'avait pas réussi à restaurer l'unité. Enfin deux
mouvements dissidents, les Lollards en Angleterre, héritiers de la
doctrine de Jean Wyclif, et les Hussites de Bohème, menacent
gravement les structures mêmes de l'Eglise catholique dont ils contestent
l'aptitude à assurer le salut des fidèles23. La réforme de l'Eglise ne
pourra être entreprise qu'une fois l'unité restaurée. Les Dominicains
en sont convaincus et ils vont déployer tout leur zèle à mettre fin à la
crise du pouvoir pontifical comme à ramener toutes les brebis du
Christ dans le sein de l'Eglise romaine. Ils intervinrent surtout dans
les discussions doctrinales qui se déroulèrent avec les Hussites et les
Grecs. Leur solide culture théologique les prédisposait à jouer ce
rôle, et leurs interventions devant les pères conciliaires comme
auprès des autorités laïques permirent, dans une large mesure, de
réunifier l'Eglise mais, en même temps, d'assurer le triomphe de la
papauté. Comme nous le verrons plus loin, les principaux acteurs dans
les discussions dogmatiques avec les Grecs à Ferrare et à Florence,
Jean de Montenero O.P. et Jean de Torquemada O.P., par exemple,
furent également les ardents défenseurs du «papalisme». S'il est un
fait signifiant de l'implication de l'ordre des Prêcheurs dans cette
restauration de l'ordre ecclésiastique, c'est l'installation du concile à
Florence, au couvent Sainte Marie Nouvelle, une maison
dominicaine. Après avoir accueilli Martin V au lendemain de son élection à
Constance, les Prêcheurs recevaient, pour la seconde fois, le pape
Eugène IV. Cet ordre manifestait, ainsi, son zèle pour un pouvoir
qui le soutenait et dont, en même temps, il était le fidèle instrument.
Des personnalités se révélèrent, au cours de cette histoire, comme
Jean de Raguse O.P., contradicteur du Hussite, Jean de Rokyçana,
puis ambassadeur du concile de Bâle à Constantinople. André Chry-
sobergès O.P., quant à lui, œuvra sans relâche pour l'union des
Grecs, sa vie durant. Mais nombreux furent les Dominicains qui
travaillèrent avec lui à Ferrare et à Florence, parmi eux, pour ne citer
que les plus importants : Jean de Montenero et Jean de
Torquemada.

22 P. Ourliac, Le schisme et les conciles (1378-1449), dans Histoire du


Christianisme, 6, Paris, 1990, p. 89-140.
23 A. Vauchez, Contestations et hérésies dans l'Eglise latine, dans Histoire du
Christianisme, 6, op. cit., p. 320-352.
CHAPITRE II

ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE


ET BÂLE, UN HUMANISTE AU SERVICE DE L'UNION

1 - Un Dominicain originaire de Constantinople

André Chrysobergès était un Grec, né à Constantinople, à la fin


du XIVe siècle. Entré dans l'ordre de Saint Dominique, il occupa une
place très importante dans le cheminement vers l'Union de Florence
qui fut conclue en 1439. Grec et catholique converti, sa double
culture lui conférait naturellement une compétence particulière
dans ce rôle, mais, pour lui, le retour de l'Eglise grecque dans
l'obédience romaine était un enjeu essentiel pour l'avenir de l'empire
byzantin, sa patrie. D'autre part, son appartenance à l'ordre des
Prêcheurs marqua son action. En même temps qu'elle est originale,
celle-ci est donc exemplaire dans l'étude du rôle des Dominicains
dans les conciles du XVe siècle.
André Chrysobergès était le cadet de trois frères qui se
convertirent tous, de même que leur père. Us étaient issus d'une
importante famille de Constantinople, dont l'un des membres fut
patriarche au XIIe siècle : Luc Chrysobergès (1157-1170). L'aîné,
Maxime, appartenait au cercle des lettrés pro-latins, qui s'était
formé à la cour, dans la seconde moitié du XIVe siècle, autour du mésa-
zon, Démétrios Cydonès. C'est ce dernier qui le présenta au futur
empereur Manuel II, alors qu'il partait en exil à Lemnos, comme
nous l'avons vu plus haut1. Il passa ainsi deux ans auprès de Manuel
(1387-1389). Il était converti déjà puisque les archives du Vatican
permettent de faire remonter son passage au catholicisme aux
années 1370, en compagnie de son frère Théodore2. Les deux frères
entrèrent au couvent de Péra en 1390, mais on ne sait quand André prit
l'habit des Dominicains. Il devait être sensiblement plus jeune
qu'eux et il dut se convertir très tôt. En effet les sources du Vatican
sont tout à fait muettes sur son enfance orthodoxe alors que celle de
ses frères et leur passage au catholicisme sont largement évoqués.

1 Voir p. 191, note 17.


2 Théodore apparaît comme converti en 1373, dans la lettre de Grégoire XI,
CICO XII, n° 52 et Maxime Chrysobergès, dans la lettre du 25 juin 1376, CICO
XII, n° 206.
288 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Seul, Sylvestre Syropoulos, le grand ecclésiarque, membre de la


délégation grecque au concile de Florence, en parle dans ses
Mémoires : «ce prélat (André), élevé ici et nourri de sagesse hellénique,
avait dans un moment de fureur, passé aux Latins dont il prit les
idées3». Sylvestre Syropoulos était opposé à l'union de son Eglise
avec celle de Rome et il utilise le mot «fureur» pour signifier que se
convertir était en quelque sorte trahir. Il exprime un sentiment plus
que les circonstances réelles de la conversion. En fait, André Chry-
sobergès n'apparaît, dans les sources, qu'au moment où il
commence ses études au couvent de Padoue, dans les années 1410,
soit une quinzaine d'années après que ses frères eussent suivi les
leurs. André Chrysobergès est mort en 1451, c'est à dire environ 20
ans après Théodore. Ces références chronologiques peuvent donc
donner une idée de la différence d'âge qu'il pouvait y avoir entre lui
et ses frères. Dans les sources pontificales, il n'est jamais considéré
comme un transfuge de l'Orthodoxie. En effet, converti très jeune,
sans doute, entré dans l'ordre des Dominicains, il accomplit son
cursus scolaire en Italie et on oublia complètement son enfance en
Grèce. Il devint maître en philosophie à Padoue en 1410, bachelier
en théQlogie la première année du pontificat de Martin V, en 1417,
puis aussitôt après, maître en théologie, en février 14184. Le pape, en
effet, l'avait dispensé du commentaire des sentences, exercice
obligatoire pour l'obtention de ce diplôme, en raison des services
d'interprète qu'il avait rendus à la fin du concile de Constance. André
Chrysobergès avait donc fait toutes ses études de philosophie et de
théologie au Studium des Prêcheurs de Padoue, qui était intégré à la
faculté de théologie de cette ville depuis 1363. De langue maternelle
grecque, il a suivi toutes ses études en latin et c'est dans cette langue
qu'il s'est généralement exprimé dans son œuvre, alors que Maxime,
lui, écrivait en grec. Le seul ouvrage qu'il ait rédigé dans sa langue
maternelle est la lettre à Bessarion, quelques semaines avant
l'ouverture du concile de Ferrare. Encore est-il que, dans le prologue, il
explique que le retard apporté à la réponse est dû au fait que la
rédaction d'un texte en grec lui est malaisée. Il ajoute qu'il n'a pas une
connaissance parfaite de la grammaire telle que le nécessiterait une
argumentation serrée. Or il s'agit pour lui d'expliquer la doctrine
thomiste sur l'essence et l'opération divines et de justifier la thèse
catholique contre l'orthodoxie officielle. Grâce à ses études, André
Chrysobergès a donc complètement intégré la culture dominicaine,
spécialiste du Thomisme, qui sera une référence constante dans son

3 Traduction de V. Laurent, Les Mémoires du grand ecclésiarque, Sylvestre


Syropoulos, Rome, 1971, t. 2, paragraphe 5, p. 105.
4 L. Gargan, Lo Studio teologico e la biblioteca dei Domenicani a Padova nel
Tre e Quattrocento, Padoue, 1972, p. 59.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 289

œuvre, maniant habilement les techniques de discussion en usage


dans les universités occidentales. Cependant ses œuvres, dès le
concile de Constance, révèlent une culture très étendue.

2 - André, au concile de Constance

Au moment de l'élection de Martin V, André Chrysobergès est à


Constance, depuis peut-être un an. Il a, en effet, prononcé deux
sermons devant le concile. Le premier daterait de 1416; il est conservé
dans plusieurs manuscrits dispersés en Europe5. Le second est plus
intéressant. Le 3 octobre 1417, André s'adresse aux pères conciliaires
sur le thème «Divites facti estis in ilio», tiré de la première épître de
Saint Paul aux Corinthiens6. Il exhorte les Pères du concile à faire
taire leurs divergences afin de mettre un terme au schisme. Un mois
plus tard, Martin V était élu, c'était la fin du Grand Schisme. Son
intervention ne fut, bien sûr pas isolée, mais elle montre combien
l'unité de l'Eglise comptait pour lui. Elle était essentielle dans le but
qu'il s'était fixé : l'Union des Eglises. Dès l'élection du pape, les
négociations commencèrent et, nous y reviendrons, il servit d'interprète à
la délégation grecque.

Le sermon de Constance (3 octobre 1417)


Ce sermon est intéressant aussi, sur un autre plan. En effet, il
révèle la culture profane très étendue de son auteur. André
Chrysobergès est sans doute alors très jeune; il n'est que bachelier en
théologie. Or le texte présente de très nombreuses références à la
littérature antique. Les citations d'auteurs grecs, à peu près aussi
nombreuses que celles des auteurs latins, montrent une
connaissance équivalente des deux littératures. D'autre part elles couvrent
différents domaines du savoir.
Pour la philosophie, Frère André se contente parfois du nom
commun de «philosophes» ou de «philosophie», mais il précise le
plus souvent : Aristote, Socrate, Sénèque, Macrobius ... ou le nom
des grandes écoles philosophiques de l'Antiquité hellénique : les
Stoïciens, les Péripatéticiens. Mais il cite également des poètes :
Virgile, Aristophane, qu'il désigne comme «poeta graecus». Il utilise
surtout largement l'histoire politique pour soutenir son
argumentation sur le thème : toute communauté humaine doit avoir des règles,
elles permettent le fonctionnement de la Res Publica, malheur à
celui qui les viole. C'est ainsi qu'il évoque la lutte de Cicéron pour la ré-

5 Th. Kaeppeli, SOP MA 1, n° 182, p. 65.


6 Ibid. n° 183, étude d'après le ms. de la BAV Palat. lat. 607.
290 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

publique et critique l'ambition de César «quia omnia jura divina et


humana pervertit». En citant Lucain, il évoque la guerre civile entre
César et Pompée. En revanche, il fait l'éloge de l'œuvre législative de
Lycurgue «amantissimus humanitatis » . Sans doute avait-il lu la
République des Lacédémoniens de Xénophon, dont il ne précise
toutefois pas le nom, mais la référence était implicite. De plus il
mentionne les Politiques d'Aristote. En effet, l'organisation politique des
sociétés humaines est le thème majeur de ce sermon et l'Eglise doit
s'inspirer de l'exemple des anciens.
Enfin son argumentation s'appuie aussi sur des ouvrages
scientifiques, de médecine et, surtout, de mathématiques : «mathématici»
et il cite nommément Pythagore, référence qu'il reprendra dans son
dialogue avec Marc d'Ephèse, comme nous le verrons plus loin. La
figure géométrique du cercle doit servir de schéma organisateur de
la société. Ce qui était un thème cher aux Grecs de l'Antiquité depuis
la naissance des cités7.
Mais s'il faut constater un équilibre dans les références aux deux
cultures, la Grèce tient, cependant, une place particulière dans ce
texte. André Chrysobergès fait une place à sa mythologie en
évoquant l'Hydre de Lerne des travaux d'Hercule. D'autre part, il fait
l'éloge de Constantin «illum principem gloriosissimum» , qui réussit à
briser l'étreinte des barbares et à sauver son peuple. Sans doute
pense-t-il aux Turcs qui se pressent aux portes de l'empire byzantin
et regrette-t-il cette époque glorieuse. Pour notre auteur, la Grèce est
surtout la mère des civilisations : «omnium virtutum optimarumque
disciplinarum matrem greciam», «gentem clarissimam». L'usage des
superlatifs est réservé à ce monde culturel, on l'a vu appliqué à
Lycurgue et à Constantin. La Grèce est donc montrée comme la mère
des systèmes politiques alors que, de l'histoire romaine, il n'évoque
que les guerres civiles et les rivalités pour le pouvoir à la fin de la
République.
Ces nombreuses références à la littérature profane posent un
certain nombre de questions. Ces citations peuvent-elles être le
reflet de la culture d'un Dominicain ayant suivi son cursus scolaire en
Italie, au début du XVe siècle? Permettent-elles de montrer qu'André
Chrysobergès appartient déjà au mouvement humaniste, en 1417,
alors qu'il est en passe de terminer ses études?
A ces questions, il est possible d'apporter quelques réponses
grâce aux études qui ont été faites sur les bibliothèques italiennes de
cette époque d'abord, puis en situant les textes qui sont mentionnés
dans les cultures médiévale et humaniste.

7 J. P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, 3, l'organisation de l'espace,


Paris, 1990, p. 155-260; P. Vidal-Naquet, Le chasseur noir, Paris, 1983, p. 316.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 291

La bibliothèque du couvent de Padoue a été étudiée de façon


précise et trois inventaires ont été publiés pour la période allant de
1390 à 14988. En 1390, elle comprenait 204 livres et en 1459, 207
seulement. Cette différence s'explique par des pertes de volumes ou des
oublis dans l'inventaire de 1459, comme les lettres de Saint Jérôme
que lut Ambroise Traversari pendant l'été 1433, alors qu'il cherchait
des textes pour préparer les discussions avec les Grecs dans la
perspective du concile d'Union. Ces inventaires, malgré leurs
imperfections, peuvent cependant donner une idée de la bibliothèque qui
était à la disposition d'André, lorsqu'il suivait ses études à Padoue.
Dans l'ensemble, elle a les mêmes caractères que les autres
bibliothèques dominicaines d'Italie9. Elle comprenait essentiellement des
commentaires de la Bible, des textes de philosophie et de théologie
scolastique, des manuels et des sommes de théologie pastorale, des
collections de sermons et d'exempla pour la prédication. Peu
nombreux étaient les ouvrages d'auteurs classiques. Si on compare les
titres de ces derniers avec les citations du sermon de Constance,
l'inventaire ne comporte que des livres d'Aristote, encore est-il que le
livre des Politiques, utilisé par André Chrysobergès, ne s'y trouve
pas. Des ouvrages de Cicéron et de Sénèque n'apparaissent que dans
l'inventaire de 1459. Pour ce qui est des livres scientifiques,
l'inventaire de 1390 révèle l'existence de deux ouvrages de médecine, mais
aucun de mathématiques. La bibliothèque du couvent de Padoue
était beaucoup plus riche en 1498. Elle comprenait 431 livres. Il est
vrai que l'imprimerie commençait à permettre une plus grande
diffusion de la culture et que l'humanisme avait contribué à une
ouverture vers le savoir profane. En effet, la littérature classique latine y
est beaucoup mieux représentée avec des ouvrages de Pline,
Cicéron, Salluste, Sénèque, Valerius Maximus. Mais les livres grecs en
sont absents. Il faut donc conclure de cette étude, que près d'un
siècle avant, André Chrysobergès avait dû puiser ailleurs sa culture.
Il y avait, à Padoue, des bibliothèques plus riches que celle des
Dominicains, celle des Franciscains et celle des Augustiniens, en
particulier. Mais il faut penser, au moins pour ce qui concerne le
domaine grec, qu'il dut, au cours de ses voyages dans sa patrie, prendre
à la source d'une culture maternelle dont il était si fier.
Malheureusement, on ne sait rien de la bibliothèque de Péra, principal
centre d'études des missions dominicaines d'Orient, centre
renommé pour l'apprentissage des langues orientales. Elle dut disparaître
dans le désastre de 1453, car on n'en trouve trace nulle part dans les

8 L. Gargan, Lo Studio e la biblioteca dei Domenicani a Padova nel Tre e


Quattrocento, Padoue, 1972.
9 Th. Kaeppeli, Inventari di libri di San Domenico di Perugia, in Sussidi
Eruditi, 15, Rome, 1962; Antiche biblioteche domenicane, in AFP, 36, 1966.
292 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

archives de l'Ordre. Pour comprendre l'origine des connaissances


littéraires de Frère André, il faut aussi évoquer le milieu dans lequel il
évoluait. Les bibliothèques des couvents ne donnent qu'une image
imparfaite de la culture dominicaine sinon il serait impossible
d'expliquer l'œuvre d'Albert le Grand. Après le concile de Constance, ce
milieu est celui des humanistes italiens, je l'évoquerai plus loin.
Pour les premières années du XVe siècle, André Chrysobergès devait
fréquenter les amis de ses frères, l'élite intellectuelle pro-latine de
Constantinople, formée par Démétrios Cydonès. Parmi eux les livres
circulaient, ainsi que le révèle leur correspondance, évoquée plus
haut, avec Manuel II. De plus, malgré la règle de l'Ordre, Maxime et
Théodore en possédaient personnellement un certain nombre. En
effet, le pape Martin V permit à André d'hériter de leur
bibliothèque10. Celle-ci comprenait aussi les livres de Manuel Calécas;
Maxime les avait reçus, à la mort de ce dernier à Mitylène, en 1410.
Tous ces ouvrages durent être intégrés à la bibliothèque vaticane
après le décès d'André, mais les sources pontificales ne donnent pas
leur liste. La riche bibliothèque de l'archevêque de Nicosie semble,
pour l'instant difficile à repérer11. Lorsqu'il mourut à Famagouste,
ses biens furent volés mais sans doute son successeur, Isidore de
Kiev, tenta-t-il de les retrouver12. Celui-ci se consacra en effet, avec
Bessarion, à sauver le patrimoine littéraire grec. Tous trois se
connaissaient personnellement depuis leur participation au concile
de Florence. Cependant, si on considère le contenu de la
bibliothèque pontificale, dans l'inventaire qui a été réalisé à la mort de
Nicolas V, en 1455, grâce à l'enrichissement important qui fut effectué
au cours du règne de ce pape, il correspond assez bien à la culture
de Chrysobergès au moment où il prononça son sermon, en 1417.
Ainsi ce dernier avait-il acquis, grâce à sa curiosité personnelle et,
grâce à ses relations privilégiées avec le monde grec, une culture
bien plus étendue que beaucoup de ses contemporains. Celle-ci
tendait même à l'universalisme selon les canons de l'humanisme
naissant.
En effet, si certaines citations appartiennent au répertoire
traditionnel du lettré de la fin du Moyen Age, d'autres sont plus nou-

10 M. H. Laurent, L'activité d'André Chrysobergès O.P. sous le pontificat de


Martin V (1418-1431), dans Echos d'Orient, 34, 1935, p. 414-438.
11 Des recherches sur la bibliothèque de Nicolas V sont en cours. Le
spécialiste actuel, A. Manfredi, a commencé à en publier les résultats au colloque de
Florence pour le 550e anniversaire du concile. K. M. Setton souligne la richesse
de la bibliothèque d'André Chrysobergès, The Byzantine Background of the Italian
Renaissance, dans Proceedings of the American Philosophical Society, C, 1, 1956,
p. 1-76.
12 J. Darrouzès, La date de la mort d'André Chrysobergès O.P., archevêque de
Nicosie et légat apostolique en Chypre, dans AFP, 21, 1951, p. 301-305.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 293

velles. Les références à Aristote de même que celle aux lettres de


Sénèque à Lucillius sont à mettre dans la première catégorie. En
revanche, la citation des Saturnales de Macrobius est davantage
dans l'esprit de l'humanisme. Certes cet auteur était déjà lu à la fin
du XIIIe siècle. Il était dans la bibliothèque de Gérard d'Abbeville
lorsqu'il fait don de ses livres à la Sorbonne en 1271 13. Mais c'était
un homme qui avait combattu le conservatisme des ordres
mendiants à l'université de Paris, donc les ouvrages qu'il lisait ne
faisaient pas partie du répertoire habituel des étudiants parisiens.
Macrobius est un des auteurs du Compendium notabilium de Here-
mias de Montagnone, compilation des «bons auteurs» pour les
lettrés de Padoue dans les années 1300. Mais Padoue est à ce
moment la patrie de contestataires comme Pierre d'Abano ou Marsile
de Padoue, l'auteur du Defensor Pacisu. Macrobius se trouve aussi
en 1338, dans la bibliothèque de Pétrarque, un des premiers
humanistes. Au début du XVe siècle, un Prêcheur de Florence, Jean
Dominici, le cite dans son ouvrage Lucula Noctis15. Bien qu'étant de la
génération précédente, il appartient au même cercle qu'André
Chrysobergès. Frères du même ordre monastique, ils étaient, tous
deux, présents au concile de Constance. A la suite des négociations
avec les Grecs, auxquelles André participa comme interprète, Jean
Dominici fut envoyé par Martin V en mission à Buda et à
Constantinople. Il mourut au cours de son voyage, en Hongrie en 1419.
Mais l'humanisme de ce dernier peut être sujet à caution pour
plusieurs raisons. Tout d'abord il cite l'ouvrage de Macrobius d'après
une compilation alors que les humanistes avaient soin de chercher
le texte original. Il donne le titre sous lequel il apparaît dans la
littérature médiévale : Les Saturnales, alors qu'André utilise la forme
classique : Somnium Scipionis. Jean Dominici fut un auteur très
curieux de culture antique, mais c'était, sans doute, sur le plan
moral et doctrinal, une personnalité très rigoriste. Il fut, en effet, un

13 B. Ullman, The Sorbonne Library and the Italian Renaissance, dans Studies
in the Italian Renaissance, Stona e Letteratura, t. 51, Rome, 1955, p. 41-53.
14 J. Quillet, éd. Defensor Pacis de Marsile de Padoue, Paris, 1968; P. O. Kris-
teller, Petrach's Averroits, a note on the History of Aristotelism in Venice, Padua
and Bologna, dans Mélanges Augustin Renaudet, Genève, 1952.
15 G. Cracco, Banchini, Giovanni di Domenico, dans Dizionario biografico
degli italiani, 2, Rome, 1973, p. 657-664; G. di Agresti, Introduzione agli scritti
inediti del Dominici in Giovanni Dominici, Saggi e inediti, Memorie Domenicane, n.s.,
1, 1970, p. 49-199; I. Colosio, IlB. Giovanni Dominici come uomo, come scrittore e
come maestro di vita spirituale specialmente religiosa, Memorie Domenicane, n.s. 1,
1970, p. 7-48; P. Denley, Giovanni Dominici's opposition to Humanism, dans
Religion and Humanism, Papers..., éd. Κ. Robbins, Oxford, 1981, p. 103-114; G.
Cracco, Giovanni Dominici e un nuovo tipo di religiosità, Giovanni Dominici O.P., in
Conciliarismo, stati nazionali, inizi dell'Umanesimo (Academia Tudertina, Atti del
Convegno XXV, Todi, 9-12 oct. 1988), Spolète 1990.
294 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

des premiers Prêcheurs à mettre en place la réforme de l'ordre en


Italie. Il fut en constant débat avec les humanistes florentins : Lu-
cula Noctis est une critique de la lecture de la littérature classique,
dédiée à Coluccio Salutati, chancelier de Florence. Ce dernier avait
fait venir Manuel Chrysoloras pour qu'il enseigne le grec. Ce livre
appartient à la tradition littéraire des «banquets», sous la forme
d'un dialogue au cours duquel les convives échangent des
anecdotes amusantes et rivalisent d'érudition. Il s'agit donc, néanmoins,
d'un ouvrage conçu dans l'esprit des milieux intellectuels du début
du XVe siècle. En effet, si le dialogue est une forme qui s'est
maintenue pendant tout le Moyen Age, où l'on rédigeait ainsi les
disputes théologiques, il est, par cette mise en scène, une façon, pour
les humanistes, de redécouvrir l'Antiquité classique16. Les élèves de
Manuel Chrysoloras disputaient sous cette forme chez Pallas
Strozzi, dans sa villa des environs de Florence, un été où la peste faisait
rage dans la cité, comme le raconte François Filelfe. En 1428,
André Chrysobergès participa à un tel exercice chez Poggio Braccioli-
ni, aux environs de Rome, nous y reviendrons.
La référence à la République de Lycurgue se situe, elle aussi,
tout à fait dans l'esprit du XVe siècle, où l'on s'interroge sur la
nécessité de la monarchie comme modèle d'organisation humaine, tant
sur le plan religieux, avec le succès de la théorie conciliaire, que sur
le plan politique, où le problème se pose pour les cités italiennes de
leurs relations avec le pape ou l'empereur, mais aussi de leur propre
organisation politique. François Filelfe fit une traduction de cet
ouvrage de Xenophon.
La mention des travaux d'Hercule semble être également assez
nouvelle pour les lettrés de cette période. En effet, Coluccio
Salutati composa son dernier ouvrage sur ce thème, il le laissa inachevé à
sa mort, en 1406. L'auteur commençait par une défense de la
poésie comme l'avait fait Boccace dans son De Genealogia Deorum,
puis continuait avec une interprétation allégorique des travaux
d'Hercule. En homme du Moyen Age il utilise l'allégorie comme
procédé, mais, en homme de la Renaissance, il cite beaucoup les
auteurs classiques, ainsi que le fait André Chrysobergès dans son
sermon.
Ainsi notre Dominicain grec montre-t-il, à Constance, en 1417, la
culture d'un étudiant formé à la scolastique, habitué à manier la
pensée d'Aristote, mais aussi celle, plus large, d'un humaniste du
XVe siècle.

16 G. Wyss Morigi, Contributo allo studio del dialogo (XTVe-XVe siècle), Berne,
1950.
andré chrysobergès entre constance et bâle 295

3 - Des négociations pour l'Union

Au cours de cette période, André fit de fréquents voyages en


Orient afin d'obtenir la réunion du concile œcuménique qui mettrait
fin au schisme grec. Les sources grecques et latines le montrent
participant à toutes les phases importantes des négociations entre
Rome et Constantinople depuis l'élection de Martin V jusqu'au
transfert du concile de Bâle à Ferrare, d'abord en collaboration avec
son frère, Théodore, puis seul. La délégation grecque à Constance
avait été très active afin de mettre un terme au schisme de l'Eglise
d'Occident puis d'amorcer le processus diplomatique avec le
nouveau, et désormais unique pape. L'une des personnalités les plus
importantes de cette délégation était Manuel Chrysoloras, évoqué plus
haut. Grec converti au catholicisme, comme André Chrysobergès, il
appartenait au cercle des lettrés pro-latins formé autour de Démé-
trios Cydonès, en compagnie de Maxime Chrysobergès et Manuel
Calécas. Il avait été l'agent diplomatique de l'empereur Manuel II, en
Occident, depuis le voyage de ce dernier à Paris et à Londres (1390-
1402). Manuel Chrysoloras était apprécié à la curie : dans les
premières années du XVe siècle, il avait été chargé de percevoir des
indulgences accordées par le pape pour couvrir les frais d'une
expédition contre les Turcs. Il retourna donc, ainsi à Paris et à
Londres, puis son voyage se prolongea jusqu'en Espagne. Il avait
aussi rencontré Sigismond, roi de Hongrie, puis empereur à partir
de 1411. En raison du Grand Schisme, ce dernier faisait figure de
chef de la chrétienté et pouvait être l'initiateur de la convocation du
futur concile devant mettre en œuvre l'Union. Mais Manuel
Chrysoloras mourut le 15 avril 1415, à Constance, sans avoir vu la
réalisation de son projet. Il fut inhumé au couvent des Dominicains de
cette ville. Il avait, vraisemblablement, eu l'intention de prendre
l'habit des Prêcheurs, comme ses amis, Maxime Chrysobergès et
Manuel Calécas, l'avaient fait avant lui. Sa demande d'être enterré
parmi eux montre, encore une fois, les liens privilégiés qui s'étaient
développés entre les Grecs convertis au catholicisme et les
Dominicains.
Nicolas Eudaimonoioannès était un autre membre important de
la délégation grecque. Il arriva à Constance le 16 mars 1416 pour en
prendre la direction, à la suite de Manuel Chrysoloras. C'était un
haut dignitaire, grand stratopédarque du despotat de Morée, que
Manuel II dut prendre à son service lors de son premier séjour à
Mistra, en 1408. Envoyé de l'empereur, il poursuivit l'œuvre de
Chrysoloras, aidé par les frères Chrysobergès, jusqu'à sa mort en 1423.
En 1418, les premiers pourparlers avec le pape aboutirent à la
rédaction de 36 propositions, traduites par André (comme il l'indiqua lui-
même plus tard, dans son sermon à Bâle, en août 1432). Martin V
296 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV" SIÈCLE

était prêt à les satisfaire, c'est pourquoi il avait envoyé à


Constantinople Jean Dominici, alors cardinal de Saint Sixte, dont la mission
était évoquée tout à l'heure17. Malgré le décès du légat pontifical, en
1419, les négociations continuèrent grâce au dynamisme du parti
pro-latin à la cour de Byzance. Théodore Chrysobergès se rendit
l'année suivante à la curie, à Florence, en compagnie de Nicolas Eu-
daimonoioannès. Ils avaient rencontré le pape à Sainte Marie
Nouvelle, où Martin V avait dû s'installer. Fins diplomates et ardents
défenseurs de la cause de l'Union, ils avaient accepté la soumission de
l'Eglise Grecque au pape sans condition, mais l'acte d'Union serait
approuvé et sanctionné par une assemblée œcuménique; c'était un
premier pas vers l'acceptation par le pape de la modalité du concile
œcuménique. Près d'un siècle avait été nécessaire pour que la thèse
grecque fût enfin acceptée. Cette demande avait, en effet, été
formulée, pour la première fois, par Barlaam le Calabrais à Rome, en 1339.
Cette évolution de la politique pontificale peut s'expliquer par la
force du mouvement conciliaire. Depuis Constance, il était de règle
que le pape convoquât le concile régulièrement, ainsi que l'avait fixé
le décret Frequens. En fait la difficulté vint de Constantinople : les
envoyés de Manuel II auraient outrepassé leurs instructions.
L'empereur retardait, en réalité, un processus d'union auquel il n'avait
jamais été favorable18. Il cherchait avant tout à obtenir une aide
militaire de l'Occident. Il envoya une lettre, l'année suivante, portée sans
doute par Joseph Bladyntéros, dont le passage est signalé à Florence
en 1421. Les Grecs renouvelaient leur demande de concile mais
précisaient que les revenus de l'empire, ayant beaucoup diminué, ne
permettraient pas d'en assumer les frais. En 1422, Théodore
Chrysobergès fit parvenir au pape des lettres l'informant que le concile ne
pourrait se tenir à Constantinople à cause des Turcs, qui risquaient
d'empêcher le passage des prélats venant tant d'Asie que d'Europe.
Martin V envoya alors, dans la capitale byzantine, une mission
constituée de six Franciscains, dirigée par Antoine de Massa O.F.M.,
pour étudier de nouvelles modalités. La relation de cette mission,
dont le texte fut authentiqué par François Filelfe et Jean Aurispa,
humanistes italiens, venus à Constantinople apprendre le grec,
présente le résultat de toutes les négociations entreprises depuis le
concile de Constance. Elle en conclut que seul un concile restreint
du type de celui de Lyon (1274) pourrait permettre d'aboutir
rapidement et à moindre frais. Mais l'empereur et le patriarche, après
avoir fait attendre leur réponse, finirent par refuser cette proposi-

17 Voir supra p. 293.


18 G. Sphrantzès, P.G. 156, col. 1046.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 297

tion et exigèrent, une nouvelle fois, la réunion d'un concile


œcuménique «videlicet fieri concilium, universale secundum ordinem et
consuetudinem sanctorum septem universalium conciliorum». En
effet, l'Eglise grecque ne considérait comme véritablement
œcuméniques que les sept premiers conciles. Ceux qui s'étaient déroulés
depuis le schisme de Photios, au IXe siècle ne l'étaient pas, et surtout
pas celui de Lyon, où les Grecs n'avaient pu envoyer que trois
représentants, et ces derniers avaient dû se contenter de réciter une
profession de foi, sans avoir eu le loisir d'en discuter. Ce futur
concile serait donc le huitième et il devrait être réuni selon les
modalités d'usage, comprenant des représentants de toute l'Eglise, les
patriarches des Eglises d'Orient, en particulier. L'Union était de
nouveau remise en cause.
Il faudra attendre trois ans encore et la mort de Manuel II pour
que les tractations reprennent, et plus vigoureusement. Le nouvel
empereur, Jean VIII Paléologue, était plus enclin à faire des
concessions. On connaît mal les circonstances de la reprise des pourparlers
à cause de lacunes dans les Mémoires de Sylvestre Syropoulos. Mais
un acte de Martin V accorde à André Chrysobergès un bénéfice à
Caffa, colonie génoise de la mer Noire, afin qu'il puisse assumer les
frais de sa mission de prédication en Orient. Il y séjourna de 1418 à
1425. Il est donc possible qu'il soit intervenu pour relancer les
négociations. Ainsi, en 1426, alors qu'il était rentré à Rome, il reçut la
mission de raccompagner des ambassadeurs byzantins, venus
refuser une nouvelle fois le projet de concile restreint. Ils retournaient à
Constantinople avec l'assurance que le pape réunirait un concile
selon le désir des Grecs, qu'il se tiendrait en Italie et à ses frais.
Cependant la date n'était toujours pas fixée. André repartit donc pour By-
zance avec le titre de légat pontifical. Son zèle de prédicateur et son
ardeur à défendre la cause de l'Union avait accru l'estime qu'avait de
lui le pape.

4 - André Chrysobergès à la curie

Avant ce nouveau départ pour l'Orient, Martin V lui avait


accordé des privilèges et de hautes fonctions : le 12 février 1426, il avait
été intégré dans la famille pontificale; puis, au mois de juin, il avait
été nommé Maître des écoles du sacré palais : ce titre lui donnait la
direction de l'université de la cour pontificale. Cette université était
devenue un véritable Studium generale au début du XIVe siècle. Son
professeur de théologie fut presque toujours un Dominicain. André
Chrysobergès y enseigna jusque en 1431. Ses successeurs furent Bar-
tolomeo Lapacci O.P. (1432-1434), puis Jean de Torquemada O.P.
298 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

qui donna à cette charge un éclat particulier19. C'est au Maître des


écoles qu'il appartient de choisir ceux qui doivent prêcher devant le
pape et ils sont tenus de lui soumettre leur discours; il peut leur en
imposer le sujet s'il le juge utile. Il confère en outre la licence
d'enseigner pro forma, c'est à dire en vue de la maîtrise, à tous les
professeurs de la curie, séculiers et réguliers; il a seul, après
consultation de quelques maîtres, le droit de décerner le doctorat. Deux actes
de Martin V illustrent cette activité d'André20. Le pape lui demande,
en effet, à deux reprises, de conférer la maîtrise en théologie. En
1427, il s'agit d'un frère Prêcheur anglais, Jacques Blacden. Le texte
ne donne pas la raison précise pour laquelle ce frère est à la curie et
demande que lui soit conféré ce grade. Il indique seulement que
Frère Jacques était lecteur en théologie au Studium d'Oxford depuis
plusieurs années et lisait les livres des sentences; ce qui montre qu'il
était apte à recevoir la maîtrise. Mais le pape n'est pas certain de ses
connaissances. André est donc chargé de les examiner avant de lui
donner le titre. Il réunit alors, sous sa présidence, un jury composé
de trois maîtres en théologie afin de procéder à l'examen habituel :
une dispute publique. L'acte de Martin V ne donne donc pas la
raison pour laquelle Jacques Blacden n'avait pas obtenu la maîtrise à
l'université d'Oxford, qui était une des plus anciennes à pouvoir
décerner ce grade. En 1430, il confère, aussi, la maîtrise à Jean Fou-
chier O.F.M. Ce frère Mineur, français, avait fait ses études au stu-
dium de Rouen, et la guerre avait empêché qu'il se rende à Paris
pour obtenir son grade. Il avait donc dû venir à la curie. Ici la raison
est claire, il s'agit d'un cas de force majeure, et il ne fut pas
nécessaire de procéder à l'examen habituel. Ces deux cas apparaissent
dans les archives car ils ont un caractère exceptionnel, mais on peut
penser qu'il était dans les attributions habituellement attachées à
cette charge de conférer ce grade.
Ces documents nous donnent donc des informations précieuses
sur la carrière d'André Chrysobergès. Ils attestent sa présence, en
1427 et 1430, à Rome, où il exerçait une fonction importante à la
curie. Celle-ci lui donnait une influence non négligeable auprès du
pape et lui permettait de fréquenter les humanistes de la curie
comme Poggio Bracciolini qui y était secrétaire. En effet l'université
pontificale était un cas particulier dans la mesure où son public
devait être composé de laïcs pour une bonne part et où son
enseignement devait être assez proche de la prédication de cour. Poggio
Bracciolini nous a donné plusieurs témoignages de discussions

19 K. Binder, // magistro del Sacro Palazzo Apostolico del Cardinale di Torque-


mada, Memorie Domenicane, 71, 1954, p. 3-24.
20 M. H. Laurent, L'activité d'André Chrysobergès O.P. sous le pontificat de
Martin V (1418-1431), dans Echos d'Orient, 34, 1935, p. 414-438.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 299

entre André et les humanistes à Rome. Ce dernier intervient, en effet


dans son dialogue De Avaritia (1428) : un soir d'été, Bartolomeo da
Montepulciano a invité, dans sa villa du Latran, ses collègues et
amis Antonio Loschi et Cincio Romano à discuter des prédications
de Saint Bernardin de Sienne. Ils arrivent à la conclusion que la
prédication manque complètement son but, qu'elle devrait combattre
un vice qu'ils considèrent comme capital : l'avarice. C'était un thème
de discussion très à la mode, les sermons de Saint Bernardin étant
en effet très controversés. Ce Frère Franciscain fut le principal
propagateur de l'observance dans son ordre, dont il deviendra vicaire
général en 1438. Le succès de sa prédication contre les vices du
siècle lui créèrent beaucoup d'ennemis, qui l'accusèrent d'hérésie,
sous prétexte qu'il faisait adorer un emblème portant les initiales
Y.H.S. En 1431, Bartolomeo Lapacci O.P., successeur d'André Chry-
sobergès comme Maître des écoles du Sacré Palais, intervint dans la
polémique et écrivit, au mois d'octobre, un traité contre Bernardin21.
Cette prise de position d'un Dominicain contre le célèbre
prédicateur siennois n'est pas surprenante si l'on tient compte de profondes
différences, entre les deux ordres, dans la manière de traiter les
questions tant de théologie que de spiritualité.
Cette disputatio sur l'avarice, que propose donc Cincio Romano,
est en fait une critique de l'amour excessif que le clergé portait à
l'argent. André y survient, qualifié de «vir insignis litteris ac
religione». Après un moment d'embarras, étant donné l'attaque contre
le clergé, vite dissipé dans l'ardeur de la discussion, Bartolomeo
lança la première attaque contre ce vice. Antonio soutint l'opinion
contraire. La troisième partie, la plus importante puisqu'elle
apportait la conclusion, revient à André de Constantinople, ainsi que
Poggio nomme André Chrysobergès dans son œuvre22. Celui-ci donne à
ses arguments tout le poids de sa formation de théologien. Il fait
reposer son exposé sur les idées des philosophes antiques à l'appui
desquels il cite Saint Jean Chrysostome et Saint Paul. Même s'il
s'agit là d'une recomposition littéraire, il n'est pas douteux qu'André
Chrysobergès était un familier des villas des secrétaires de la curie,
de Poggio, en particulier. Deux lettres de ce dernier, adressées à son
ami Niccolo Niccoli, le prouvent23. Dans l'une d'elles, datée du 6 mai
1429, il recommande la lecture de son dialogue De Avaritia, justifiant

21 Th. Kaeppeli, Bartolomeo Lapacci de' Rimbertini (1402-1466), vescovo,


legato pontificio, scrittore, dans AFP, 9, 1939, p. 86-117.
22 G. Wyss Morigi, Contributo allo studio del dialogo (XIVe-XVe siècle), op. cit.,
p. 46-49.
23 Lettres éditées dans, Ph. W. G. Gordan, Two Renaissance Book Hunters,
New York, 1974.
300 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

le rôle qu'il avait donné à leur ami par son appartenance à un ordre
religieux et par sa connaissance de la Bible. Dans la seconde, datée
de l'année suivante, il regrette l'absence de Niccolo à la fête qu'il
avait donnée pour son anniversaire et il indique quels en avaient été
les participants : Antonio Loschi, Cincio et André de Constantinople,
entre autres. Ces lettres permettent donc de préciser la biographie
de ce dernier : il était présent à Rome pendant la période qui
précéda la rédaction du De Avarìtia et en 1430. Sur ses relations avec les
humanistes, il existe, par ailleurs d'autres sources. François Filelfe
lui a adressé une lettre, en décembre 142824. Ce dernier lui
demandait d'intervenir en sa faveur à Rome car il avait été chassé de
Florence.
S'il ne subsiste que de très rares témoins de la correspondance
d'André Chrysobergès, sa lettre à Bartolomeo Fazio mettra un point
d'orgue à cette étude de ses relations avec les Humanistes italiens,
qu'il continua à fréquenter jusqu'à la fin de sa vie25. L'entrée dans
l'ordre des Prêcheurs de cette personnalité centrale dans l'histoire de
l'ultime tentative d'Union entre les deux Eglises, grecque de
naissance, montre une complète intégration dans la culture profane des
humanistes latins. Cette lettre est moins intéressante par son
contenu que par ce qu'elle révèle des relations d'amitié qu'André avait
nouées parmi les intellectuels italiens de son temps et qu'il entretint
jusqu'à la fin de sa vie. Après avoir montré dans quelles
circonstances elle fut écrite et son but, on tentera une reconstitution du
cercle de ses amis humanistes à la fin de sa vie. En effet cette lettre
date de 1448. Sans doute sur la route qui le ramène en Orient, son
navire affronte la tempête et doit se mettre à l'abri à Palerme, alors
qu'il vient de quitter Naples. Il charge Bartolomeo Fazio de remettre
à la curie des documents par l'intermédiaire du cardinal de Nicée
(Bessarion) ou du Panormitain. Depuis la lettre de 1437/38 et leurs
discussions à Florence, celle de 1448, adressée à Bartolomeo Fazio
permet donc de montrer la continuité des relations entre André
Chrysobergès et le cardinal de Nicée. Après la signature du décret
d'Union et différentes missions pour la mettre en œuvre, Bessarion
avait été nommé cardinal par le pape Eugène IV et s'était installé à
Rome. C'est dans cette ville qu'il avait fondé une académie afin
d'assurer la survie de son patrimoine culturel. Il s'était entouré alors
d'un cercle de lettrés grecs réfugiés mais aussi d'Italiens comme
Laurent Valla. Sans relâche, jusqu'à sa mort il tentera d'organiser,
depuis l'Occident, la défense militaire de l'empire byzantin, sa patrie
jamais oubliée.

24 Milan, Bibl. Trivulziana 873, n° 11, édition 1505.


25 Lettre éditée en annexe, ex ms. Ravenne, Bibl. classense 23, f° 91v-93.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 301

L'amitié de Bessarion était donc ancienne, comme les sources le


montrent. En revanche, la rencontre du Prêcheur et du jeune
humaniste est plus difficile à déterminer. Cependant la biographie de Bar-
tolomeo Fazio amène à la situer à la fin des années 142026. Car ce
dernier étudia d'abord à l'école de Guarino à Vérone, puis apprit le
grec à Florence. Nous retrouvons là l'héritage de Manuel Chrysolo-
ras, qu'André avait bien connu et dont Guarino Veronese était le
disciple. Florence était de plus la cité qui, grâce à l'enseignement de
Manuel, devint le premier centre des études grecques en Occident.
Cette ville était alors résidence pontificale et André fréquentait la
curie. Dans les années 1440, Bartolomeo était devenu le protégé
d'Antonio Beccadelli, le Panormitain à la cour de Naples. Grâce à
cette protection, il avait remplacé Laurent Valla comme
historiographe des Aragon de Naples. Au moment de l'élection du grand
pape humaniste que fut Nicolas V, en 1447, les intellectuels italiens
se pressèrent autour de lui. C'est ainsi que Laurent Valla se rendit à
la curie, à la recherche d'une charge de secrétaire et qu'un an plus
tard Bartolomeo Fazio vint présenter au pape une de ses œuvres, De
vitae felicitate, un dialogue philosophique. Les principaux
protagonistes de ce dialogue étaient Guarino et Panormitain, ses maîtres. Il
convient de remarquer, dans un opuscule où l'humaniste défend son
œuvre, au milieu d'une argumentation où se mêlent les références à
Platon et Aristote sur la participation de l'humanité au divin, une
allusion à Achille, héros de la mythologie grecque. Dans sa lettre,
l'archevêque de Rhodes rapporte donc ses conversations avec l'un de
leurs amis Nicolas, un Génois comme Bartolomeo, à propos de sa
dernière œuvre27. Mais ce concitoyen de Gênes est difficile à
identifier. Cette lettre montre donc qu'André Chrysobergès avait continué
à fréquenter assidûment ses amis humanistes depuis son séjour à
Rome en 1428. Il semble qu'il ait aussi gardé l'habitude de ses
voyages incessants entre l'Orient et l'Occident. Naples et le
Péloponnèse, la Sicile lorsque la tempête soufflait, étaient ses escales
habituelles. On comprend maintenant les nombreuses références à la
mythologie grecque que contient son œuvre et cette lettre en
particulier28. Celles-ci peuvent revêtir une certaine incongruité sous la

26 Claudio Marchiori, Bartolomeo Facio tra letteratura e vita, Milan 1971.


27 «Siquidem nicolaus Italianus concivis tuus, cuius clarissimum ingenium
multiplex virtus ac ornatissimi mores in suas laudes proprium opus desiderant, ex
britaniis nuper adveniens statuii esse comes huius nostri itineris, quo fiet ut quotti-
die accedamus te etiam absentem de fine et felicitate hominum acutissime disseren-
tem».
28 «Ex marìnis fluctibus committimus quo neptunnus hospitibus suis inexora-
bilis esse solet. Exorandus est igitur deus ut ipsum nobis mitem secundumque fa-
ciat».
302 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

plume d'un Prêcheur, prélat de l'Eglise romaine, mais elles


appartenaient au langage convenu dans l'élite intellectuelle italienne de ce
milieu du XVe siècle. Cette lettre d'André Chrysobergès à Bartolo-
meo Fazio donne une nouvelle facette à la personnalité déjà si
originale de ce Grec converti bien introduit à la curie et dans les cercles
humanistes de la Péninsule.
Mais les années 1420-1430 furent, pour notre Dominicain
humaniste, centrées sur la question de l'Union et les œuvres de cette
période portent moins la marque de sa culture profane.

5 - La mission de 1426 À Constantinople

L'acte de Martin V qui le nomme Maître des écoles du sacré


palais, lui donne le titre de vicaire général de la société des Frères Péré-
grinants, il dirige donc la mission dominicaine en Orient. Il est
possible que \e pape l'ait désigné à cette charge dès son retour de Caffa,
en 1425. Lorsqu'il part en mission auprès de l'empereur byzantin, en
1426, André Chrysobergès est donc un proche du pape, helléno-
phone, c'est aussi un interlocuteur idéal pour mettre au point les
derniers préparatifs du concile d'Union.
Sylvestre Syropoulos, qui raconte cette ambassade, rend
hommage à l'impartialité d'André, dont les propos furent identiques à
ceux des ambassadeurs grecs. Il rapporte également l'efficacité de
son intervention29. Il obtint rapidement l'accord de l'empereur
pour une réunion du concile en Italie dans les plus brefs délais.
Mais, après concertation avec le patriarche Joseph, au monastère
de Stoudiou, l'empereur changea d'opinion et décida d'ajourner le
projet sans vouloir expliquer la raison de ce revirement. Celui-ci
peut se comprendre par l'importance de ce monastère dans le mo-
nachisme byzantin, garant de l'Orthodoxie. La tendance palamite
faisait une nouvelle fois pression pour empêcher toute discussion
avec les Latins. Lorsque l'empereur fit part de sa décision à Frère
André, Sylvestre Syropoulos nous dit que le Dominicain le prit
fort mal. Et sans doute dût-il réprimer, avec difficulté, un
mouvement d'humeur devant l'empereur. Certaines de ses interventions
au cours des sessions, qui se déroulèrent à Ferrare, montrent, en

29 V. Laurent, Les Mémoires du grand ecclésiarque, Sylvestre Syropoulos ,


Rome, 1971, 2, paragraphes 15-16, p. 116.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 303

effet, de l'impatience de sa part et une certaine intransigeance. La


suite du récit de Syropoulos nous donne les raisons de ce
mouvement d'humeur. André prit la parole ainsi : «Je suis de
Constantinople, l'obligé de cette patrie dont le bien me tient à cœur». En effet,
la réunion de ce concile est la réalisation du but qu'il s'est fixé
depuis Constance et si ce projet est si important, c'est que, pour lui,
l'Union est la condition nécessaire au salut de sa patrie. Il insiste
alors pour obtenir la raison de l'ajournement de la décision de
l'empereur et proteste contre le choix d'un autre porte-parole que
lui pour annoncer la décision impériale au pape : «Pourquoi donc,
dit-il, l'empereur ne m'avoue-t-il pas l'intention qu'il a eue en
écrivant au pape? Je verrais ainsi à collaborer, moi aussi, si la chose
peut se faire ou l'empêcher au cas contraire». Mais, justement, sans
doute Jean VIII craignait-il une discussion avec son compatriote
qui l'aurait amené à accepter une proposition que les moines
auraient réprouvée. Face à ce Dominicain, habile à argumenter et
animé par la volonté de sauver sa patrie, il ne se sentait pas assez
ferme sur ses positions. Et André Chrysobergès se sentait d'autant
plus sûr de lui qu'il savait avoir toute la confiance de Martin V,
puisqu'il dit à l'empereur : «Je sais, moi exactement, quels sont les
sentiments du pape en ces sortes d'affaires, jusqu'où il cédera, ce
qu'il fera et ne fera pas». Mais Jean VIII ne voulu pas se rendre à
ses arguments et préféra envoyer sa réponse par d'autres
ambassadeurs qu'il savait moins favorables, voire hostiles à la cause de
l'Union : Marc Iagaris, grand stratopédarque, et Macaire Makrès,
moine du Pantocrator. Plusieurs échanges de lettres et
d'ambassades suivirent entre Rome et Constantinople, mais, la situation
n'avait guère évolué depuis six ans malgré le zèle des frères
Chrysobergès. En fait, seule la conjoncture militaire pouvait débloquer
le processus des négociations. C'est, en effet, en 1430 que l'accord
est conclu entre le pape et l'empereur, alors que les Turcs
prennent Thessalonique, la seconde ville de l'empire, confiée à la
garde de Venise depuis 1423. André fit état, dans son sermon de
Bâle, en 1432, de cette convention passée entre Byzance et Rome.
Il indique qu'il participa à sa rédaction. Ce texte est conservé sans
date dans les archives du Vatican mais dut précéder de quelques
mois le décès de Martin V, qui survint en février 1431. La
convention prévoyait que l'empereur choisirait le siège du futur concile,
une ville du littoral italien, située entre Ancóne et la Calabre, donc
proche de la Grèce; le pape en assumerait, en outre tous les frais :
voyage et résidence des participants, protection de la capitale
byzantine pendant l'absence de l'empereur. Ce texte servit de base
lors de la reprise des négociations, après l'élection d'Eugène IV. Le
nouveau pape se servit de cet accord pour justifier le transfert du
concile de Bâle en Italie dans la bulle du 12 novembre 1431. Mais
304 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

il fallut encore sept ans de négociations triangulaires entre Bâle,


que le concile ne voulait pas quitter, Florence, résidence du pape
de 1434 à 1436, et Constantinople, avant que le concile
œcuménique, tant désiré par les Grecs pro-latins puisse enfin se réunir à
Ferrare30. Les raisons de ce long délai sont complexes. Tout
d'abord, l'idée de l'Union est toujours loin de faire l'unanimité à la
cour de Byzance, malgré une menace turque de plus en plus
précise. Mais le conflit, qui a éclaté entre Eugène IV et les pères de
Bâle, rend les négociations avec les Grecs plus difficiles. Le pape
avait fait du choix du lieu de réunion du futur concile l'enjeu de la
lutte entre lui et les pères conciliaires. Il pensait, ainsi, les obliger
à venir en Italie, afin de les ramener dans sa zone d'influence et
de faire reconnaître sa primauté. Le choix de ce lieu allait
cristalliser l'opposition entre le pape et le concile. Celui des deux qui
parviendrait à faire venir à lui la délégation grecque, l'emporterait.
C'est ainsi que le retour de l'Eglise grecque dans l'obédience
catholique devenait l'enjeu de la rivalité entre les deux pouvoirs qui
se disputaient la tête de l'Eglise romaine. Ils envoyèrent donc
chacun une mission rivale à Constantinople. L'une était dirigée par
un autre Dominicain, Jean de Raguse. Ardent défenseur du
pouvoir conciliaire, il souhaitait réaliser l'Union à Bâle pour montrer
que le concile était capable de rassembler tous les chrétiens dans
l'Eglise universelle. Son œuvre sera amplement évoquée plus loin.
La délégation pontificale fut dirigée par Christophoros Garatoni,
évêque de Coron. C'est lui qui obtint l'envoi des représentants de
l'Eglise d'Orient à Ferrare. Bien qu'il ait continué à négocier
simultanément avec les deux délégations de 1435 à 1437· Jean VIII
Paléologue choisit le parti du pape pour une raison évidente31 :
faire accepter l'Union à son peuple était une entreprise difficile et
il avait absolument besoin de la caution du pouvoir pontifical.
D'autre part, les Pères de Bâle n'avaient consenti à descendre que
jusqu'à Avignon (et à la dernière extrémité), ce qui était encore
trop loin de la capitale byzantine, menacée par les Turcs et dont
la sécurité pouvait exiger un retour rapide de l'empereur. André
Chrysobergès avait parfaitement compris toutes les données du
problème et, comme il l'avait fait à Constance, il soutenait
l'autorité du pape, par son sermon devant le concile, à Bâle, en 1432 et
tentait d'obtenir le transfert en Italie.

30 J. Gill, Constance et Bâle - Florence, Histoire des conciles œcuméniques, 9,


Paris, 1965, p. 152 sq.
31 J. Gill, Ibid., p. 213.
andré chrysobergès entre constance et bâle 305

6 - Le sermon de Bâle, 22 août 1432

Le moment où André Chrysobergès prononce ce sermon, le 22


août 1432, se situe au plus fort de la crise entre pape et le concile. En
novembre 1431, par la bulle Quoniam Alto, Eugène IV avait ordonné
le transfert de celui-ci en Italie en même temps qu'il prononçait sa
dissolution. Mais le concile, présidé par le cardinal Julien Cesarini,
se proclama assemblée constituante et souveraine avec pour
objectifs : la foi, la réforme et la paix, lors de la première session, le 14
décembre. Le pape était sommé de comparaître dans les trois mois.
Le conflit s'aggrava peu à peu, et en juin l'équilibre des forces était
du côté des Pères de Bâle. C'est pourquoi Eugène IV dut envoyer des
ambassadeurs afin de faire des concessions32. Jean de Torquemada
O.P., alors représentant du roi de Castille au concile, rapportant à
son souverain la confusion qui y régnait, donne la liste des envoyés
du pape : «summum pontificem hic solemnes destinasse amhaxa-
tores, videlicet archiepiscopum Tarentinum, archiepiscopum Colocen.
et episcopum Magalonen. et dominum Antonium, auditorem sacri pa-
lacii, qui omni possibili medio laborarent ad dissolutionem concilii et
translationem eiusdem ad aliquem locum italiae...». Parmi eux se
trouvait donc André Chrysobergès, qui avait été élevé sur le siège de
Rhodes, le 2 mai 143233. Les ambassadeurs arrivèrent au moment où
se déroulait la quatrième session, le 10 juin, alors que le concile se
donnait l'autorité suprême à la tête de l'Eglise et prenait plusieurs
décrets instituant qu'en cas de vacance du trône pontifical pendant
le concile, l'élection du nouveau pape se ferait là où se tenait
l'assemblée. Préparait-on la destitution d'Eugène IV? Il est cité par
contumace et les Pères, assemblés, demandent à ses envoyés s'ils
sont mandatés pour répondre à sa place.
Lorsqu'André prend la parole, il intervient donc pour défendre
l'autorité du chef suprême de l'Eglise34. Toute son argumentation
tend à démontrer que la nouvelle crise, qui déchire la Chrétienté
d'Occident, empêche le règlement des affaires pour lesquelles le
concile siège : l'Union et la réforme de l'Eglise. Ce sermon est
composé de trois parties.
Dans la première, il traite des divisions de la communauté des
Chrétiens, les classant par ordre croissant de gravité, depuis le
simple conflit jusqu'à l'hérésie. Mais, pour lui, la plus grave est le
schisme qu'il définit d'après l'étymologie grecque. Or, ce qui se
produit alors dans le concile est un schisme selon cette définition, et

32 J. Gill, Ibid., p. 137-139.


33 Le siège de Rhodes est appelé Colocensis ou Colossensis, selon les sources.
34 Collatio Andreae archiep. Colossen., oratoris Eugenii IV, coram consilio Ba-
sileensi (22 VIII 1432), Munsi, XXIX, col. 468-481.
306 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

cette division est la plus préjudiciable à la vie de l'Eglise puisqu'elle


est génératrice de toutes les autres, celles qu'il vient d'énumérer.
C'est une véritable coupure qui détruit la paix et l'unité de la
communauté chrétienne. Ainsi démontre t-il que les Pères étaient
incapables d'atteindre les buts qu'ils s'étaient eux-mêmes fixés, à
cause du schisme, dont ils étaient responsables. Mais c'est aussi un
crime contre l'Eglise et contre le Christ, qui a versé son sang pour la
fonder.
La seconde partie est la plus longue; elle est consacrée aux
hérésies. Il commence, là aussi, par une définition du mot, comparant ce
mal qui affecte le corps de l'Eglise à une maladie humaine. On
retrouve donc, là, une référence à la science médicale, comme dans le
sermon de Constance. Et il reprend la comparaison classique de
l'Eglise et du corps humain. Les médecins distinguaient alors trois
types de maladies, selon les parties du corps atteintes : les membres
inertes (la chair, les nerfs, les os), ceux qui ont une action (le pied,
l'œil, la main). La troisième sorte de maladie affecte les deux sortes
de membres, en même temps. Il compare, alors, le premier type
d'organes aux fidèles de l'Eglise et le second à ceux, qui, à sa tête,
ont une fonction d'autorité et de justice. Ainsi, l'hérésie est une
maladie qui atteint les fidèles, reprenant la définition de Saint Jérôme
«qui hereticum hominem putridae carnae comparavit». Il montre,
ensuite, par un vaste panorama des hérésies dans l'histoire du monde,
combien elles furent nombreuses et comment les apôtres d'abord,
puis les papes, avec les premiers conciles et les Pères de l'Eglise ont
lutté contre elles. Mais il dit, en suivant l'opinion des saints
docteurs, qu'elles sont un mal nécessaire. Dieu les supporte car elles
tiennent en éveil l'âme des Chrétiens qui éprouvent leur foi en
luttant contre elles. André Chrysobergès en vient alors aux maux de
son époque, aux deux ennemis de la foi catholique, que ce même
concile, devant lequel il parle, doit combattre : les Hussites et les
Grecs. Mais il démontre, dans ce passage, qu'il ne s'agit pas du tout
de la même sorte d'adversaires : «Et Ulis [GraeciJ quidem, ut pro-
susceptis beneficiis gratiae dignae reddantur; istis [Hussiti] vero, ne
contagione pestifera totum corpus ecclesiasticum laedant». La
différence est donc clairement exprimée; pour les premiers, l'action du
concile doit être positive (ut); pour les seconds, elle ne peut être que
négative (ne). Il développe alors les deux cas. Après avoir salué les
services rendus par la Grèce à la civilisation et à l'Eglise, il s'attache
à montrer que les Grecs sont prêts à l'Union. Il faut donc remarquer
le même motif que celui qu'il avait déjà développé à Constance :
l'Occident à une dette à l'égard de la Grèce, sa patrie, puisqu'elle a
engendré des philosophes illustres et des penseurs pour l'Eglise.
André Chrysobergès évoque alors longuement les négociations
auxquelles il a participé, depuis l'élection de Martin V et poursuivies par
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 307

son successeur. S'il parle de son rôle personnel, ce n'est pas dans le
but de se faire valoir. Il veut seulement faire savoir qu'il connaît bien
l'affaire et cherche à démontrer la réalité du désir d'union des Grecs.
Selon lui, le but est d'autant plus proche que le nouvel empereur,
Jean VIII, souhaite l'union plus que son père. Il était certain de ce
qu'il disait puisqu'il l'avait rencontré à Constantinople. Maintenant,
il suffisait de s'entendre sur le lieu qui conviendrait le mieux aux
Grecs et aux Latins afin qu'ils puissent discuter ensemble des
problèmes doctrinaux. Le seul obstacle, désormais, résidait dans
l'attitude schismatique des pères du concile. Comment imaginer attirer
les Grecs dans une Eglise divisée et dont le chef était méprisé? Dans
cette longue dissertation sur la situation des négociations entre
Rome et Byzance, il expose, en quelques lignes d'une grande
vigueur, la gravité de l'hérésie hussite. Pour eux, non seulement il
utilise ce terme précisément, ce qu'il s'était gardé de faire pour ses
compatriotes, mais il n'a pas de mots plus durs, juxtaposant les
superlatifs négatifs : «gens pestilentissima..., atrocissimum malum...»;
«captiosissimwn ac fallacissimum hominum genus...». Pour les
Grecs, bien qu'il traitât de leur cas dans la partie qu'il consacre aux
hérésies, il s'était bien gardé d'utiliser ce mot. Le schisme orthodoxe
pouvait-il être assimilé à une hérésie? S'il y avait refus d'obéissance
au pape, les divergences sur la procession du Saint Esprit, sur le
purgatoire ou sur la forme de l'Eucharistie pouvaient-elles être
considérées comme hérétiques? Sans doute répondait-il, à ces
questions par la négative. La réponse n'était pourtant pas évidente et les
Pères de Bàie, qui s'apprêtaient à commencer les discussions avec
les Hussites sur la communion sous les deux espèces, ne tarderaient
pas à assimiler les deux formes de dissidence. Le préambule du
décret Sicut pia Mater (7 IX 1434) traite, en effet, sur le même plan les
deux schismes et les Grecs exigèrent le retrait de cette phrase
blessante35. Pour le Grec qu'était Chrysobergès, c'était inconcevable, et
pour bien montrer l'horreur des crimes commis, il évoque les ruines
que cette hérésie a provoquées en Bohème. Pour lui ce problème
devait être réglé au plus vite et avec les méthodes les plus radicales. Au
contraire, le retour de son Eglise d'origine devait être soigneusement
mis en œuvre, c'est pourquoi il y consacre une partie importante de
son sermon. Cela lui permet de faire l'éloge de ce pape qu'il
représente devant le concile et qui travaille pour l'Union depuis tant
d'années et avec tant de zèle. Puisque l'Eglise a la chance,
désormais, d'avoir un chef tel qu'Eugène IV, les Pères doivent faire preuve

35 La réaction des Grecs dans les Mémoires de S. Syropoulos, éd. V. Laurent,


op. cit., 2, p. 37; J. Gill, Constance et Bâle - Florence, Histoire des conciles
œcuméniques, 9, op. cit., p. 159.
308 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

de modération et lui obéir. Si près d'un but si grand, le concile ne


peut se priver d'une œuvre aussi généreuse.
La troisième partie, qui traite de la réforme de l'Eglise, est
sensiblement plus courte. Il a donc disserté sur les trois grandes
finalités du concile, telles qu'il les avaient lui-même définies. Mais ce
discours est surtout celui d'un Grec venu plaider la cause de l'Union en
même temps que celle du pape dont il connaît la compétence pour
traiter cette question. Ce sermon, quinze ans après celui de
Constance, montre une sensible évolution de son argumentaire.
Bien que l'auditoire soit sensiblement le même, il parle devant le
concile assemblé, les références à la culture antique ont
pratiquement disparu et il faut se demander pour quelle raison.
André Chrysobergès manifeste donc à plusieurs reprises sa
qualité d'hellène. Il ne la revendique pas expressément, mais il ne peut
parfois pas éviter de se situer à l'extérieur du monde latin : «vos
patres latini schisma nominatis...»36. Sa langue maternelle est le grec
et il recourt au sens premier qu'il a dans cette langue pour définir ce
mot de schisme. Dans sa première partie, il se livre donc à un
véritable exercice de vocabulaire afin de démontrer la gravité de la
situation de l'Eglise à ce moment. Il prend à témoin Saint Paul dans
sa première lettre aux Corinthiens, dont il a extrait le thème de son
discours37. Il a choisi cette citation parce que la langue d'expression
de l'apôtre était le grec. Et il précise que l'équivalent du mot grec
«schisme» est «scissura» en latin. Il connaît le texte dans sa forme
originale, et le recours à celle-ci lui sert d'argument pour démontrer
que ce qui se passe dans l'Eglise est une véritable déchirure, une
rupture de l'unité «... adimitque corporis ecclesiastici unitatem»ÌS. Il
ne faut pas la confondre avec la coupure qui peut intervenir entre le
pécheur et Dieu. Cette division porte, en effet, le nom grec plus juste
«rectius» d'hérésie. Pour bien distinguer entre les différents types de
divisions qui ont affecté l'Eglise au cours de son histoire, il faut donc
avoir recours à l'étymologie grecque puisque c'est dans cette langue
que furent exprimés d'abord les textes sacrés. Elle permet de
retrouver le sens premier des termes.
Cet exercice de clarification du vocabulaire par le retour à la
langue d'expression primitive des textes est le fait d'un penseur
formé à la scolastique. Saint Thomas argumenta sur la question du Fi-
lioque en reprenant la signification des prépositions grecques
équivalant à per et à ex en Latin. Mais cette méthode porte aussi la
marque des travaux des Prêcheurs de Péra au XIVe siècle comme

36 Discours de Bale, Mansi, XXIX, col. 470B.


37 Ibid., col. 469C.
38 Ibid., col. 469B.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 309

celle de la pensée humaniste, à la recherche du texte authentique, le


plus fiable. On peut imaginer qu'il discutait ainsi avec ses amis de la
curie.
Cette démarche lui a donc permis de distinguer entre schisme et
hérésie et de prouver que le premier était plus grave que le second.
En effet, il engendre toutes les autres divisions, atteignant la tête et
les principes de l'Eglise, ruinant l'œuvre du Fils de Dieu, qui l'a
fondée, et celle du Saint Esprit, qui s'attacha à la faire fonctionner et à
en conserver l'unité39. Or l'attitude des Pères conciliaires est
schismatique : «In novam enirn ecclesie scissuram»40'. Il utilise cette
expression après avoir cité Saint Paul «Non sit schisma in corpore».
Dans la seconde partie de son sermon, André Chrysobergès
montre combien Grecs et Hussites sont des adversaires différents du
Catholicisme. Pour cette raison, le concile ne peut traiter les deux
cas de la même manière. Ramener les Grecs dans l'obédience de
Rome ne peut se faire que de façon positive, par des discussions
dans le cadre d'un concile. A l'appui de cette thèse, il apporte
plusieurs arguments. Le premier est que la Grèce fut mère et même
préceptrice de tous41. L'emploi du verbe «taceo» renforce en fait la
louange adressée à sa patrie, mère de la sagesse et de la
connaissance : à ses auditeurs de se rappeler l'œuvre préceptrice de cette
nation, ils la connaissent parfaitement et il est inutile de développer
davantage. Cependant, il précise sa pensée sur l'héritage grec de
l'Eglise, reprenant l'idée de la partie précédente. Le grec est la langue
dans laquelle furent, en premier, exprimés les dogmes et les
préceptes. Les Pères latins sont donc les débiteurs de la Grèce et
doivent, pour cela, faire preuve de gratitude42.
Son second argument est le réel désir d'Union des Grecs. Il peut
en témoigner car il a personnellement participé aux négociations. A
deux reprises, il évoque son action personnelle; il utilise la première
personne, non par vanité, mais pour appuyer son argumentation :
«Habeo testes gravissimos... quae dico in praesenti audiunt»... «quae
vidi... contrectavi et publica stipulatione concluseram»43. Dans ce
paragraphe, il s'agit de l'accord conclu entre Martin V et la délégation
grecque, en 1430, peu avant la mort du pape, comme il est évoqué
plus haut. Il met en évidence son rôle, dans la mise au point du texte

39 Ibid., col. 469D.


40 Ibid., col. 476A.
41 «Graecorum gentem sic optimis artïbus floruisse, ut omnium gentium
incredibili quadam virtute superauit... Taceo de variis disciplinis, quas omnes a fontibus
graecorum profectas...», Ibid., col. 475B.
42 Ibid., col. 475B.
43 Ibid., col. 475D.
310 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

dans les deux langues afin de bien montrer qu'il connaît les ternies
de cet accord. Si les autres témoins sont absents, lui-même est là et
son témoignage suffit. Plus loin44, il rappelle son action à la fin du
concile de Constance. Il a traduit du grec en latin les trente-six
propositions de la délégation byzantine, donc ce qu'il dit est vrai. Il sait
combien les propositions grecques étaient honnêtes et quelles furent
jugées ainsi par le pape puisqu'il envoya Jean Dominici O.P.,
cardinal de Saint Sixte, à Constantinople45. Il est aussi certain que les
Grecs ne reviendront pas sur leur parole, d'autant que le nouvel
empereur, Jean VIII, est animé d'un plus grand désir d'Union que son
père. En effet, les derniers événements le confirment, le secrétaire
de l'empereur est venu récemment voir le pape et il a été convenu
que l'empereur constituerait la délégation qui serait envoyée au
concile négocier l'Union46.
André Chrysobergès, Grec et Catholique, témoin et acteur des
tractations entre Rome et Byzance depuis quinze ans, était donc
bien placé pour dénoncer ce nouveau schisme de l'Eglise d'Occident,
cassure d'autant plus criminelle qu'elle constituait le dernier
obstacle à l'Union des Grecs. C'est pourquoi la citation de Saint Paul
revient comme un leitmotiv dans le sermon du Dominicain : «non sit
schisma in corpore». Il faut donc que cessent les querelles intestines
afin que le concile accomplisse la grande œuvre que Dieu lui a fixée :
accueillir cette vaste Eglise d'Orient dont il se plaît à rappeler
l'importance47. Le siège patriarcal de Constantinople étend son autorité
sur de vastes provinces et royaumes d'Asie, d'Afrique et d'Europe. Le
pape a compris, lui, l'urgence de cette mission. Eugène IV est prêt à
envoyer des légats en Epire, en Macédoine, en Thrace, en Propon-
tide, en Asie, en Cilicie, en Syrie, en Egypte. Cette enumeration, qui
est cependant incomplète, car il manque au moins la Russie, doit
démontrer combien il serait facile d'augmenter considérablement
l'obédience de Rome et que le concile ne doit pas faillir à cette tâche si
grande. Il s'agit d'une sorte de croisade48. Mais si le ton de
l'expression est guerrier, il ne peut s'agir, dans l'esprit de l'auteur, que d'une
croisade pacifique, dont l'arme serait la parole, et la gloire de
l'Eglise n'en serait que plus grande.
La question grecque est donc au centre du discours même lors-

44 «Scio quod verum loquor et quod hae manus Hueras Mas obsignatas expli-
cuerunt et quae itlic continebantur ex graecis latina feceram», ibid., col. 476B.
45 Voir liste des Dominicains.
46 Discours de Bale, Mansi, op. cit., col. 478A.
47 Ibid., col. 475E.
48 «Vexillum sanctissimae crucis cum swnmam gloriarti nostrae religionis fige-
retur», ibid., col. 477E.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BALE 311

qu'il fait l'éloge du pape. Sa mission était de défendre le pouvoir


pontifical, mais l'action d'Eugène IV en faveur de l'union est le
principal argument de cette défense. Ce thème du discours est donc
intéressant aussi parce qu'il montre quelle conception de l'Eglise avait
André Chrysobergès.
De Martin V, il évoque la sagesse et l'humanité, qualités qui lui
ont permis de réduire les divergences avec les Grecs au problème du
choix du lieu du futur concile49. Il insiste davantage sur celles
d'Eugène IV, sa religion insigne, la grandeur de son âme50. Ces qualités
lui permirent de continuer l'œuvre de son prédécesseur et de la
développer. Il déplore donc qu'elles soient méconnues51, en particulier,
son intégrité, sa vertu, et son ardeur dans la lutte contre les
hérétiques. En fait, il a commencé à agir depuis longtemps, avant même
qu'il fût nommé cardinal, par des négociations privées. Depuis son
élection, grâce à l'autorité ainsi conférée, il pourrait envoyer des
délégations et faire rédiger des textes afin de préparer l'Union des
Grecs. Ces informations d'André sont, en effet, exactes. Eugène IV
avait commencé à s'intéresser à la question orientale très tôt; il avait
acquis le manuscrit de la traduction de YAdversus Graecos de
Manuel Calécas O.P., réalisée par Ambroise Traversari pour Martin V et
cette acquisition date de la période précédant son accession au trône
pontifical. Ainsi, tout comme l'empereur, Jean V Paléologue, le pape
était-il prêt à réunir les deux Eglises. Alors André Chrysobergès ne
veut pas croire qu'on puisse s'opposer à un tel dessein52. Aucun
Chrétien ne doit le faire, aucun des Pères du concile ne peut donc
refuser d'obéir à un tel chef.
L'Eglise a, en effet, besoin d'un chef pour combattre les hérésies.
Après les Apôtres des premiers temps de la communauté des
Chrétiens53, ce sont les papes, en convoquant des conciles, qui ont lutté
contre les dissidences54. Les premiers, surtout (Nicée,
Constantinople, Ephèse, Chalcédoine), fixèrent la doctrine. Nous retrouvons
là le discours tenu par les Prêcheurs de Péra dans leurs traités
polémiques. Pour André Chrysobergès, il faut donc assurer la pérennité
de cette tradition de l'Eglise chrétienne55. Eugène IV a convoqué le
concile pour mettre fin aux hérésies, il a demandé son transfert en
Italie afin que les Grecs puissent s'y rendre, les Pères du concile

49 Ibid., col. 475C.


50 «Pro tua religione eximia et animi amplitudine», ibid., col. 475D.
51 Ibid., col. 477D.
52 Ibid., col. 475D.
53 Ibid., col. 472B.
54 Ibid., col. 473C-D.
55 Ibid., col. 478B.
312 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

doivent donc répondre à sa convocation. Mais ils doivent aussi obéir


au pape car l'Eglise d'Orient ne peut revenir dans l'obédience de
Rome tant que son chef est contesté. Il indique, en effet, que les
négociations avaient dû être interrompues pendant le Grand Schisme,
C'est pourquoi, dès l'élection de Martin V, les tractations reprirent :
des légats grecs rencontrèrent le pape56. En réalité, les relations
diplomatiques n'avaient pas totalement cessé puisque Manuel Chryso-
loras percevait des indulgences pour financer une aide militaire, au
nom de Benoît XII. Mais il est vrai qu'alors le processus devant
mener à l'Union était bloqué. La contestation du pouvoir pontifical
risquait de provoquer un nouveau blocage. Et André pose une série de
questions : que peut penser le Grec qui désire l'Union, d'une telle
Eglise, divisée et dénuée de tout esprit de charité? Ne rirait-il pas
d'un chef que même les siens méprisent? Il évoque, alors,
rapidement mais avec des mots très vifs, le procès qui est fait au pape57.
Cette action judiciaire est effroyable en raison même de son
existence, mais aussi de ses conséquences, car c'est elle qui est à
l'origine du schisme. Les Pères sont divisés à son sujet «volentes et no-
lentes», tous ne la veulent pas. Il tend la main aux moins
déterminés, espérant qu'ils entraîneront les autres dans la voie de la
modération. Si le schismatique n'a pas sa place dans l'Eglise, par
définition58, celui qui est dans le schisme malgré lui peut se racheter :
il suffit qu'il rentre dans l'obédience du pape. C'est ce qui se
produira à partir de 1436, mais quatre ans après ce sermon.
Cette nouvelle cassure de l'Eglise d'Occident est donc
condamnable en ce qu'elle empêche l'Union, mais elle est de toute façon
indue car elle ruine l'autorité du pape, or sa place est tout en haut de
la hiérarchie59. Le verbe suspicere marque l'admiration dont doivent
faire preuve les Pères à l'égard du souverain pontife. Us doivent donc
lever les yeux vers celui qui est à la place de Dieu sur terre.
Si, André Chrysobergès, soutient donc le pape, c'est non
seulement à cause de son action en faveur de l'Union, mais aussi en
raison de la place qu'il occupe au sommet de la hiérarchie
ecclésiastique : il ne s'agit pas d'un soutien opportuniste mais d'une position
de principe, qui n'est pas partagée par tous les Pères présents à Bâle,
ni même par tous les Prêcheurs participant aux sessions. Ainsi
André Chrysobergès montre-t-il, dans ce discours, une opinion origi-

56 «Mox legati graecorum pontificem adierunt», ibid., col. 476B.


57 «Per ittud districtum horrendumque judicium», ibid., col. 478B.
58 Ibid., col. 470E, 471A.
59 «Illud [novella zizania evellantur... zelus ecclesiasticae pacis] etiam summo
studio agendum est ut debitus honor ac reverentia pontifici maxitno, quem unicum
loco Dei in terrìs suspicimus», ibid., col. 477C.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 313

naie sur l'organisation de l'Eglise, en 1432. Grec, il pense que l'Union


ne peut être réalisée que dans le cadre d'un concile œcuménique, où
chaque partie pourra s'exprimer. Mais en raison de sa formation
intellectuelle dans les studia dominicains d'Italie, il pense que le rôle
du pape, chef de l'Eglise, est d'organiser la lutte contre les
dissidences, qui ne manquent pas de diviser la communauté des
Chrétiens. C'est donc à lui de convoquer le concile afin de restaurer
l'unité, dont il est le garant.
Ce sermon de Bâle marque, ainsi, une réelle différence par
rapport à ceux qu'il avait prononcés à Constance. Toute référence à la
culture antique a disparu. En dehors de deux allusions aux sciences
profanes, à la médecine dans la première et la troisième partie,
toutes ses citations ont, comme source, l'Ecriture ou la Patrologie
ou, dans la troisième partie, Saint Thomas. Ce changement radical
de système de références est difficile à comprendre car ces œuvres
ont toutes été conçues pour un auditoire conciliaire. Mais depuis
Constance, André Chrysobergès avait enrichi sa culture classique au
contact des humanistes romains et, de plus, l'enjeu du plaidoyer
était différent. A Constance comme à Bâle, il fallait mettre un terme
au schisme de l'Eglise d'Occident : il doit maintenant convaincre ses
Pères que l'Union doit être conclue et qu'elle dépend d'eux. Il a
consacré tant d'années à cette œuvre, qui est sur le point d'être
accomplie. Pour y parvenir, il sait que le langage qu'ils comprennent le
mieux, que la culture la plus profondément ancrée encore, dans
cette première moitié du XVe siècle, parmi les clercs est celle de
l'Eglise médiévale.

7 - André Chrysobergès, polémiste en Orient

L'intervention des ambassadeurs d'Eugène IV n'avait pu


désamorcer la crise au concile. La situation continua même de se
dégrader encore. André Chrysobergès, quant à lui, regagna les
missions en Orient et son siège episcopal à Rhodes. Ce séjour fut plus
long que les précédents, car il semble avoir résidé surtout en Italie
entre 1418 et 1432, excepté deux missions, l'une en Grèce, en 1425-
1426, et l'autre en Pologne, en 1428-1429. Il est rentré à Rome au
début de l'été 1429, mais en 1431, une lettre à Jean Stoikovic de Ra-
guse, datée de Rome, prouve qu'il est toujours dans la péninsule60.
Cette chronologie est en accord avec ses activités à la tête de
l'Université pontificale, telle qu'elle est attestée dans les actes de Mar-

60 Ed. F. Palacky, Iohannis de Ragusio Initium et prosecutio Basiliensis


Concilii, dans Monumenta Conciliorum generalium saeculi XV, 1, Vienne, 1857,
p. 118-119.
314 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

tin V, comme nous l'avons vu plus haut, de même qu'avec les


lettres de Poggio Bracciolini. Il était responsable des couvents de
Pologne, dépendants de la Société des Frères Peregrinante dont il
était le vicaire général (1426-1432). Sans doute était-il peu présent
en Orient pendant cette période d'où la tentative de Léonard de
Chios pour prendre la direction de la Société des Frères Pérégri-
nants en 1429/31. Mais, nommé archevêque de Rhodes en 143261,
André Chrysobergès se rendit en Orient où il se consacra donc
pendant cinq ans à la prédication, ainsi que le pape le précisait dans sa
bulle de nomination62. Un Prêcheur de Florence, Laurent Cardi, lui
succéda à la tête des missions dominicaines d'Orient63. On sait peu
de choses sur l'activité d'André en Orient entre le moment où il se
rend à Rhodes et celui où le pape le rappelle afin qu'il participe aux
discussions du concile, en 143764. Les actes d'Eugène IV attestent
cependant qu'il exerça son ministère à Rhodes, et avec un certain
succès. En 1436 il obtint la permission de célébrer la messe en grec.
On retrouve avec ce document la même approche unioniste que
celle qu'avait adoptée son frère Maxime en Crète. Pour ces
Prêcheurs d'origine grecque, le dogme prime le rite, et la cause de
l'Union nécessite de la souplesse. A ce moment apparaît un étudiant
grec de Rhodes, converti au catholicisme sans doute par lui,
Constantin Chabibi65. Il l'accompagnera pendant des années dans
ses voyages à travers la Méditerranée, comme nous le verrons plus
loin. Avec cette lettre d'Eugène IV, la seule source qui puisse
attester sa présence en Orient, et son retour par conséquent, est la lettre
à Bessarion écrite soit à la fin de l'année 1437 soit au début de la
suivante. La délégation grecque a en effet passé la Noël de cette
année-là à Modon, escale habituelle des flottes venant de
Méditerranée orientale, et il est très possible que les deux hommes s'y soient
rencontrés à ce moment. André est rappelé en Occident en avril
1437 et dut faire le voyage au cours de l'année. Ainsi qu'André le dit
dans son prologue, Bessarion avait sollicité à plusieurs reprises une
explication sur la doctrine de Saint Thomas à propos de la
distinction entre essence et existence divines. Nous étudierons ce texte
plus loin, car il illustre la méthode de raisonnement qu'André avait
apprise chez les Dominicains de Padoue, mais cette indication
suggère plusieurs contacts entre eux avant le début de l'année 1438.

61 G. Hofmann, Epistolae Pontificiae, op. cit., t. 1, n° 33.


62 Voir les vicaires généraux de la Société des Frères Peregrinante, p. 447-448
et liste des Prêcheurs.
63 Voir : Les vicaires généraux de la Société des Frères Peregrinante p. 448.
64 G. Hofmann, Epistolae Pontificiae, op. cit., t. 1, n° 65; CICO XV, n° 521.
65 CICO XV, n° 464-465, p. 730.
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS ENTRE CONSTANCE ET BÂLE 315

Alors qu'André Chrysobergès prêche le Catholicisme en Orient,


un de ses frères d'ordre, Jean de Raguse, reprend les tractations
diplomatiques avec Constantinople et invite une délégation grecque à
Bâle afin d'y discuter de l'Union. Mais, alors qu'André œuvrait pour
un renforcement du pouvoir pontifical, Jean de Raguse, lui, espérait
prouver que le concile, même sans le pape pouvait être l'organe de
rassemblement de l'Eglise universelle.
CHAPITRE III

JEAN DE RAGUSE, UN DOMINICAIN


AU SERVICE DE L'EGLISE UNIVERSELLE

Jean Stoikovic O.P., dit «de Raguse»1, sa cité d'origine, est un


personnage intéressant pour cette histoire des Dominicains et de
leur activité au cours de conciles du XVe siècle. On pourrait même
dire que c'est une personnalité fascinante en raison de l'abondance
de son œuvre littéraire et de l'éclairage qu'elle peut donner sur son
action dans l'Eglise.
Actuellement, une part non négligeable de cette œuvre a été
éditée dans des recueils de documents conciliaires2. Ces textes furent
écrits au moment où il négociait la venue de la délégation grecque
au concile de Bâle entre 1435 et 1438. Ils rendent parfaitement
compte du détail des tractations. Ainsi, nous connaissons bien son
activité à Constantinople, d'autant que les Mémoires de Sylvestre
Syropoulos, éditées par le père V. Laurent en 1971, nous donnent
l'autre versant de la documentation. En fait, le problème n'est pas de
retracer ici une chronologie de ces négociations ou de montrer ses
difficultés à faire aboutir son projet face à la mission concurrente
envoyée par Eugène TV et dirigée par l'archevêque de Coron, Chris-
tophoros Garatoni. Ce qui est nécessaire maintenant est de replacer
cette mission qui suit son activité de négociateur et de disputeur
avec les Hussites dans sa conception globale de l'Eglise. En effet,
depuis l'édition de sa dernière œuvre, le Tractatus de Ecclesia par
F. Sanjek en 1983, le problème posé est celui de sa place dans l'ecclé-
siologie du XVe siècle alors que deux théories s'affrontent sur les
rapports entre le concile général et le Pape dans le gouvernement de
l'Eglise. Jean de Raguse est-il conciliariste et pense-t-il que le concile
est supérieur au Pape ou non et sa position a-t-elle évolué du Concile
de Pavie au Concile de Bâle? Le Tractatus de Ecclesia est-il le
résultat de cette évolution? C'est en effet sa dernière grande œuvre,
terminée trois ou quatre ans avant sa mort. L'édition de ses sermons au

1 Voir liste des Prêcheurs.


2 Éditions de Mansi, Cecconi, Haller ou, plus récente, Palacky, voir
bibliographie.
318 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

concile de Pavie-Sienne (1423-1424), par W. Brandmüller et les


analyses que ce dernier donne de ces œuvres, permettent de donner le
point de départ de cette évolution3. Cependant, tant que d'autres
œuvres ne sont pas éditées et analysées comme les sermons de
Bologne et de Rome prononcés entre les conciles de Sienne et de Bâle,
il sera difficile de donner une réponse précise à ces questions. Mais
conciliariste ou non? Le problème peut se poser pour l'instant
autrement car son action dans le cadre du Concile de Bâle à l'égard des
chrétiens placés hors obédience romaine montre que, pour Jean de
Raguse, la question fondamentale était l'unité de l'Eglise.

1 - Jean de Raguse, ses années de formation

Dans la vie de ce personnage, retracée de façon détaillée dans la


monographie de A. Krchnak4, il convient de donner les éléments les
plus éclairants pour comprendre son œuvre.
Il est né à Raguse en Dalmatie entre 1390 et 1395. Slave d'origine
(son père s'appelait Miholkovich Stojkovich) il s'exprime dans cette
langue. Ses relations avec les Hussites n'en furent que plus faciles et
les Mémoires de Sylvestre Syropoulos relatent de longues
conversations, à Constantinople, avec le Patriarche Joseph II, d'origine
bulgare. Mais sa patrie est à la charnière de deux mondes culturels dont
les relations sont délicates. Il est donc particulièrement sensible aux
problèmes résultant du partage des Balkans entre l'obédience
romaine et l'orthodoxie. Né dans la partie occidentale de cette région,
il était dans la zone d'influence latine. Mais son regard fut sans cesse
attiré par le monde orthodoxe, les Grecs et les Serbes. La situation
religieuse si particulière de la Bosnie qui sera évoquée plus loin fut
également l'objet d'une constante attention d'autant que les relations
diplomatiques et militaires entre la cité ragusienne et ce peuple des
montagnes de l'arrière pays étaient souvent difficiles.
Son cursus scolaire permet aussi de mieux comprendre son
œuvre. Il est difficile de donner une chronologie précise des
prémices de son instruction. Il dut commencer ses études à Raguse où
les Dominicains avaient une importante maison. Au début du XVe
siècle, la notoriété des Prêcheurs dans l'enseignement était telle
qu'on peut penser que c'est au cours de ses premières années d'étude
qu'il décida de prendre l'habit de saint Dominique5.

3 W. Brandmüller, Das Konzil von Pavia-Siena (1423-1424) , 2 vol., Munster,


1968-1974.
4 A. Krchnak, De vita et operibus loannis de Ragusio O.P., Rome, 1960.
5 J. Verger, Studia et Universités, Le scuole degli ordini mendicanti sec. XIII-
XIV, in Convegni di studi sulla spiritualità medievale, 17, Todi 1978, p. 175-203.
JEAN DE RAGUSE 319

En 1414, grâce à un subside du Sénat de Raguse, il part


continuer ses études dans une université italienne, sans doute à Padoue.
Comme dans la plupart des universités italiennes, à cette époque, la
faculté de théologie résultait de la réunion des écoles de théologie
des quatre grands ordres mendiants, dominicains, franciscains,
carmes et ermites de Saint Augustin. En 1417, il obtint son grade de
bachelier6, puis fut incorporé au collège des Maîtres en théologie.
En 1417, il fut envoyé à l'université de Paris par Leonardo Dati,
maître général de l'ordre, pour achever ses études et obtint son
doctorat en théologie en 1420. Sur cette carrière scolaire, il faut faire un
certain nombre de constatations. Il a commencé ses études dans la
même université qu'André Chrysobergès. Us assistent tous les deux
au Concile de Constance et à l'élection de Martin V en 14177. Jean de
Raguse est alors un familier de l'empereur Sigismond de Hongrie.
Leonardo Dati, déjà Maître général de l'Ordre des prêcheurs (1414-
1425) est au concile où il interroge Jean Huss. De même s'y trouve
Jean Dominici O.P., archevêque de Raguse, cardinal de Saint Sixte,
que Martin V investit d'une mission à Buda et à Constantinople.
Jean Stoikovic est donc, au moment du concile de Constance, en
relation avec des Frères ayant, souvent, une position importante dans
son ordre et impliqués dans les négociations avec Byzance. De ces
relations, on notera plus particulièrement Jean Dominici, qui eut
une grande influence sur sa personnalité, et André Chrysobergès.
Jean de Raguse avait dû faire la connaissance de ce dernier à
Padoue; il est vraisemblable qu'ils se retrouvèrent à Constance. Si les
sources, pour l'instant n'apportent pas de preuve de ces premières
relations, une lettre d'André, évoquée plus haut et datée du 13
octobre 1431 témoigne d'un échange de correspondance8. Entre Jean de
Raguse, qui est à Bâle, et André Chrysobergès, à Rome, le courrier
passe difficilement. André le déplore. C'est un Frère Dominicain qui
lui a transmis les salutations de Jean. Il aurait préféré recevoir une
lettre. Mais il sait son correspondant très occupé par les préparatifs
du concile, qui l'obligent à de fréquents déplacements. Nous
sommes donc au tout début du concile de Bâle, les relations entre
les deux hommes apparaissent dans la lettre comme tout à fait
chaleureuses. Le principal sujet abordé par André est la future union
des Grecs. La plupart des autres thèmes s'y rattachent. A la fin
cependant, il évoque les attaques dont leur ordre fait l'objet en Italie.
Et cela ne pouvait laisser indifférent le procurateur général de
l'Ordre, que Jean de Raguse est toujours, malgré son absence de

6 L. Gargan, Lo Studio teologico, op. cit., p. 58.


7 A. Krchnak, De vita, op. cit., p. 6.
8 F. Palacky éd., Monumenta concïliorum generalium saeculi XV, t. 1, Vienne,
1897, p. 118.
320 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV- SIÈCLE

Rome, comme l'indique l'adresse de la lettre. Mais, par ce courrier,


André Chrysobergès rappelle à son correspondant le problème
important que le concile aura à traiter : l'Union des deux Eglises. Il
revient d'abord sur le premier schisme grec et le septième concile
œcuménique assemblé à Constantinople sous le pape Adrien IL Puis
il assure Jean de sa totale confiance en lui pour mener à bien les
négociations avec les Grecs. Mais l'obstacle le plus important est la
situation politique à Rome. L'empereur de Constantinople est animé
du plus ardent désir de réaliser l'Union, il a déjà désigné les
membres de la délégation grecque, mais il ne peut les envoyer au
pape, étant donné les querelles qui agitent la curie depuis l'élection
d'Eugène IV9. En effet, avant son élection, le futur pape Eugène IV,
alors cardinal Gabriele Condulmaro avait signé, comme membre du
conclave, une capitulation selon laquelle le nouvel élu serait soumis
au collège des cardinaux. Bien qu'il ait promulgué ce texte, il n'avait
pas l'intention de s'y conformer, ce qui provoqua la révolte des
neveux de Martin V, les Colonna, et mit les rues de Rome à feu et à
sang. Ainsi le destin du concile d'Union est-il étroitement lié au
problème du pouvoir pontifical à Rome. André Chrysobergès en est
parfaitement convaincu depuis le concile de Constance, c'est pourquoi
il met en relief cet aspect de la question dans sa lettre. C'est
justement à cause de ce problème que la rupture interviendra entre les
deux hommes. Mais pour le moment, il n'en est pas question et
André Chrysobergès est optimiste sur l'avenir de l'Eglise10.
Un des personnages qui compta sans doute le plus dans les
années de formation de Jean de Raguse fut Jean Dominici. Tout
d'abord parce qu'il est peut-être à l'origine des subsides concédés par le
Sénat afin que Jean Stoikovic puisse continuer ses études et il dut le
présenter au Maître général lors du Concile de Constance. Jean
Dominici et Leonardo Dati étaient frères du même couvent, Sainte
Marie Nouvelle de Florence. Il est donc possible de supposer une
influence certaine de l'archevêque de Raguse sur la personnalité de
Jean Stoikovic sur plusieurs plans. Jean Dominici est, lui aussi, une
personnalité complexe. Il est l'un des principaux promoteurs de la

9 «Praeterea Imperator constantinopolitanus , cui pro unione ecclesiae arden-


tissimum desiderium est, amplissimam delegationem ad pontificem maximum de-
signaverat; quam audivisset Urbem et totam hanc curiam intestino hello quassari,
illas quidem orationes mittitutum arbitratus non est, alium autem quempiam a se
destinatum iri putavit, dignoscendi gratia, an ad negotium unionis contractandum
eadem praesens pontifex sentirei, quae et praedecessor agitaverat»., F. Palacky éd.,
loc. cit.
10 «Optima semina catholicae fidei in mentibus illorum hominum [les grecs]
jacta est, magister egregie; quorum curam si diligens cultor exciperet, non longe
postea chrìstiane religioni uberrìmos fructus afferei»., Ibid.
JEAN DE RAGUSE 321

réforme de l'observance dans l'ordre des Prêcheurs en Italie et à


Florence en particulier. Il est aussi l'un des premiers grands écrivains et
humanistes de l'Ordre au début du XVe siècle et son œuvre reflète les
difficultés d'intégration de la culture profane dans l'idéal spirituel
du mouvement de l'observance. Cette influence permet de mieux
mettre en évidence certaines facettes de notre personnage : il
montra une volonté constante et très affirmée de réforme, dans son
Ordre alors qu'il est procureur général auprès de la curie en 1430, et
dans l'Eglise toute entière comme le montre son action au cours des
conciles. D'autre part, comme beaucoup de Prêcheurs devenus
maîtres en théologie après des études approfondies, il est très attiré
par la culture universelle prônée par le mouvement humaniste et a
profité de son séjour à Constantinople pour enrichir sa bibliothèque
personnelle par l'achat de nombreux manuscrits grecs11. C'est ainsi
que l'historiographie le reconnaît plus comme humaniste que
comme théologien. Ses préoccupations d'homme de lettres
expliquent son exhortation, adressée à ses concitoyens, pour qu'ils
fondent à Raguse un Studium général à l'exemple des cités
universitaires italiennes12.
Il exerça son activité de réformateur au couvent de Padoue et il
semble que ce fut une réussite car ce couvent est toujours
mentionné parmi ceux qui observent la réforme au milieu du XVe siècle. Le
considérant comme un promoteur de l'observance, en 1428, le Sénat
de Raguse avait fait appel à lui pour qu'il mette en œuvre la réforme
du couvent des Frères Mineurs de la ville. Cette requête peut
paraître étrange mais le document d'archives, qui donne cette
information, précise que le sénat avait fait appel en même temps au Maître
général des Franciscains à Ferrare et avait envoyé un frère afin
d'obtenir sa permission. Mais, en 1430, rien n'ayant été entrepris, le
sénat lui demande de nouveau son aide. Il vient d'être nommé
procurateur général de l'ordre à la curie et sans doute a-t-il dû répondre
qu'il ne pouvait pas venir à Raguse. La ville réclame alors qu'il
intervienne auprès du pape et du Maître général des Mineurs pour
obtenir, enfin, cette réforme. Mais, en 1433, les frères refusant toujours
l'observance, le sénat les menace d'écrire de nouveau à Jean de
Raguse. Ces requêtes répétées montrent combien il était un personnage
important pour ses compatriotes. Comme il était réputé pour sa
piété et sa rigueur morale, le sénat n'avait hésité à faire appel à lui pour
une affaire qui pourtant ne relevait pas de sa compétence normale.
De ses études parisiennes, il aura tiré la base de son ecclésiolo-

11 A. Vernet, Les manuscrits grecs de Jean de Raguse, dans Basler Zeitschrift,


61, 1961, p. 75-108; Etudes médiévales, Paris, 1981, p. 531-564.
12 G. Bedouelle, Jean de Raguse aux mains des historiens, dans Misao I Djelo
Ivana Stoikovica, Zagreb, 1986, p. 141-153.
322 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

gie qui rappelle à plus d'un titre les thèses de Jean Gerson13. Le
conciliarisme, affirmant la supériorité du Concile sur le Pape,
marque son action voire son œuvre jusqu'à la fin de sa vie. Il meurt
en effet à Lausanne en 1444, après avoir soutenu l'élection de
l'antipape Félix V et sans avoir cessé de soutenir le Concile contre
l'autorité d'Eugène IV.

2 - Jean de Raguse, de Pavie à Bâle (1423-1431),


un conciliariste?

Au Concile de Pavie-Sienne, Jean Stoikovic apparaît déjà


comme une personnalité qui sait faire valoir ses projets et sa
manière de les mettre en œuvre. En 1422, il a été chargé, avec le juriste
Philippe Maréchal, par l'université, d'une mission auprès de
l'Empereur Sigismond et du Pape Martin V afin d'obtenir la réunion du
Concile général prévu par le décret Frequens adopté à Constance. Ce
décret rendait obligatoire la tenue régulière d'un tel concile. Il arriva
à Rome le 30 novembre 1422 et rencontra le Pape au cours d'une
audience publique une semaine plus tard, le 7 décembre à Sainte
Marie Majeure. Là, il lui remit les lettres de l'Université et prononça un
sermon sur le thème «Ini concilium, coge concilium» exhortant
Martin V à rassembler l'Eglise en concile. Il rend compte lui-même de
cette entrevue dans «Initium et prosecutes Basiliensis Concilii» alors
qu'il est en plein conflit avec le successeur de Martin V. Il faut donc
utiliser ce texte avec précaution. Cependant, Jean de Raguse note
que le Pape et ses conseillers accueillirent sa requête avec tiédeur
mais qu'il était résolu à demeurer à la curie tant qu'il n'aurait pas
obtenu de réponse favorable. On peut donc supposer un certain
nombre d'entrevues entre Martin V et notre prêcheur car, non
seulement, le Concile fut convoqué, mais de plus c'est le Pape lui-même
qui envoie Jean de Raguse à Pavie avec l'honneur de prononcer le
sermon d'ouverture le 23 avril 1423 sur le thème «Fiet unum ovile et
unus pastor». Selon W. Brandmüller, qui a édité ce sermon, le
thème fut choisi par Martin V14. Il devait donc avoir pour but de
réajuster les rapports entre le Pape et le Concile. Citations du Pseudo-
Denys à l'appui, il parle de la monarchie du Christ qui doit être
dirigée par un chef comme le peuple l'est par un souverain. Dans la
seconde partie, il en vient au sujet d'actualité, le Concile. Il l'inscrit
dans la continuité de celui de Constance avec pour buts essentiels la

13 A. Tuilier, La mission à Byzance de Jean de Raguse, docteur de Sorbonne, et


le rôle des Grecs dans la solution de la crise conciliaire, dans Bulletin philologique
et historique, Paris, 1979, p. 137-152, voir surtout p. 140.
14 W. Brandmüller, Das Konzil, op. cit., I, p. 88-90.
JEAN DE RAGUSE 323

réforme de l'Eglise et la réunion de tous les chrétiens en son sein.


Maintenant que l'unité a été refaite à la tête de l'Eglise, il s'agit de
rassembler ses membres.
Ainsi reconnaît-il la nécessité du pouvoir pontifical à la tête de
l'Eglise mais il insiste aussi sur l'importance du rôle du Concile pour
la réunion des chrétiens dans une Eglise réformée. D'autre part, il
estime que le Pape doit suivre ses légats au Concile, sa présence
donnant plus de force à l'autorité du synode. Même si le commanditaire
du sermon, Martin V, avait réussi à faire mettre en évidence le
pouvoir pontifical au sein de l'Eglise, Jean de Raguse le reconnaissait
tout en se gardant bien de donner la primauté à l'un ou à l'autre des
instances dirigeantes. Sans doute pensait-il que les deux pouvoirs
pouvaient s'épauler dans cette œuvre salvatrice.
Mais Martin V ne vint pas. La peste obligea au transfert du
Concile à Sienne en juin. Jean de Raguse fit intervenir André Lasca-
ris, évêque de Posnan, afin que le Pape assiste aux débats.
Cependant, malgré les liens d'affection entre le Pape et l'évêque de Posnan,
cette mission fut sans résultat. D'autre part, les sessions s'enlisaient
dans d'interminables débats, révélant de profondes divisions parmi
les Pères. Alors Jean de Raguse prononça un nouveau sermon en
octobre 1423. Sur le thème «Reformabit corpus humilitatis nostrae», il
dénonçait sur un ton très vif les négligences des prélats et des
souverains pontifes et il exaltait la mission de réforme des mœurs qui était
celle des Pères assemblés. Le passage édité par A. Krchnak semble
significatif de sa conception de l'Eglise et de son gouvernement à ce
moment15. Dans ce sermon, il déclare toujours reconnaître la
nécessité de la tête au sommet de la hiérarchie, reprenant l'image du
corps mystique de l'Eglise. Mais, il distingue deux formes d'unité. La
première est celle de l'unité de l'Eglise universelle représentée par le
Concile général. Celle-ci est en effet constituée de la tête et de ses
membres, ensemble. Elle est régie dans l'Esprit saint et professée
dans le symbole de Nicée. La seconde est celle de l'unité de sa tête.
Elle est dérivée de la première; elle est régie et gouvernée par elle.
Cette seconde forme d'unité est représentée par le souverain pontife,
vicaire unique du Christ. Il ajoute qu'il souhaite et a toujours
souhaité exalter son primat dans l'Eglise et sa plénitude de pouvoir faisant
référence à son sermon d'ouverture du Concile, mais à condition
que cette organisation du pouvoir permette la construction de
l'Eglise et non sa destruction.
Ce sermon ne marque donc pas selon son auteur une rupture
par rapport à sa position au début du Concile. Il réaffirme l'autorité

15 A. Krchnak, De Vita, op. cit., p. 12-13.


324 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

du Pape et la nécessité du Concile : les deux formes de l'unité de


l'Eglise. Mais il faut cependant noter une certaine inflexion puisque la
seconde forme est subordonnée à la première. Ce réajustement des
rapports d'autorité entre Concile et Pape devait permettre la
reconstruction de l'Eglise. L'emploi du subjonctif du verbe «exalter»
est la marque d'un regret, celui de ne pas avoir obtenu la présence
de Martin V à Sienne.
Ce sermon fut suivi de très vives réactions. Au lieu de
rassembler les Pères dans le jeûne et la pénitence comme il l'avait
recommandé, son discours ne fit qu'accentuer les divisions. Les
présidents du Concile voulurent le faire expulser, mais c'était impossible
puisqu'il représentait l'Université de Paris.
Ils envoyèrent des lettres au Pape afin qu'il recommande aux
Pères de ne plus le fréquenter. Mais il nous dit que beaucoup d'entre
eux lui étaient favorables. Enfin, ils demandèrent un contre sermon
à Jérôme Jean de Florence O.P., frère du couvent de Sainte Marie
Nouvelle comme Leonardo Dati, l'un des présidents comme je l'ai dit
plus haut. Ce sermon fut prononcé le jour de l'Epiphanie 1424. Le
Prêcheur florentin prit une position diamétralement opposée,
accusant Jean de Raguse d'avoir déconsidéré l'état clérical. Il déclara
d'autre part que la réforme ne paraissait pas le principal sujet du
Concile, que le zèle de celui-ci pouvait aboutir à la ruine de l'Eglise
et que c'était un asile sûr pour les rebelles et les contestataires. Cette
intervention provoqua de nouveaux troubles. Elle fut réfutée par
Jean de Raguse qui essaya de monter un procès contre Jérôme de
Florence. Ce dernier fut incarcéré puis libéré grâce à l'intervention
de Leonardo Dati16.
Ces événements montrent l'âpreté des discussions entre les
Pères du Concile. Ils rendent compte des profondes divisions qui
persistaient au sein du clergé depuis le Grand Schisme. Celles-ci
n'épargnaient pas l'ordre des Prêcheurs où le mouvement en faveur de
l'observance plus stricte de la règle ne faisaient pas l'unanimité,
comme le montra la difficile élection de Barthélémy Texier, le
nouveau maître général17.
Mais ces divisions avaient empêché l'efficacité des travaux et,
lorsque le Concile de Sienne fut dissout le 7 mars 1424, on n'avait
guère avancé et chacun des protagonistes poursuivit son chemin
dans des directions opposées. A Bàie, Jean de Raguse prit
définitivement le parti du Concile contre Eugène IV. Jérôme de Florence
devint doyen de la faculté de théologie de Florence, à Sainte Marie

1617 A.
Ibid.,
Mortier,
p. 16. Histoire des Maîtres Généraux de l'ordre des Prêcheurs, t. 4,
Paris, 1909, p. 141 sq.
JEAN DE RAGUSE 325

Nouvelle; il prêcha souvent devant le Pape et les pères assemblés


autour de lui pour le Concile d'Union18.

3 - Jean de Raguse à la curie

En 1424, cependant, sa position n'est pas précisément définie.


Entre 1424 et 1427, la chronologie est mal établie. Il semble avoir
fait un court séjour à Raguse et est allé à Paris où il est noté comme
professeur19. En 1428, il est de retour en Italie et enseigne à la faculté
de théologie de Bologne. Il y reste jusqu'à l'année suivante où il est
envoyé comme procurateur de l'Ordre à la Curie par Barthélémy
Texier. On peut s'étonner de ce choix. Sans doute fut-il déterminé
par des qualités de probité et de rigueur alliées à une grande
intelligence. C'était donc un homme de grande valeur représentant les
Prêcheurs auprès du Pape. Ces vertus ont sans doute prévalu à des
tendances conciliaristes qui n'étaient pas aussi affirmées qu'on a
bien voulu le dire. En effet, son œuvre révèle plusieurs sermons
prononcés devant le Pape et les cardinaux à Rome pendant l'année
1430, ce qui tend à montrer aussi que Martin V avait su faire
abstraction des rigueurs du sermon de Sienne. C'était donc un orateur
apprécié à la Curie. Cependant, il semble avoir continué à militer
pour une nouvelle réunion du Concile que Martin V tardait à
convoquer. Palacky pense qu'il avait reçu une nouvelle mission de
l'Université de Paris auprès de Sigismond pour que ce soit fait avant la
fin des sept ans comme il avait été décidé à Sienne. Le nouveau
Concile général put en effet se réunir à Bâle en 1431.

4 - Jean de Raguse à Bâle et


l'Union de tous les Chrétiens (1431-1439)

Jean Stoikovic fut l'un des grands acteurs du Concile de Bâle et


il mit tout son zèle pour l'union des chrétiens dans l'obédience
romaine. Il connaissait très bien les affaires balkaniques, et sa grande
idée était que c'était la condition indispensable au salut de tous ces
chrétiens de plus en plus dangereusement menacés par les Turcs.
Mais il faut encore remarquer qu'il a toute la confiance de
Martin V qui le nomme adjoint du président du Concile, le cardinal
Julien Cesarini, pour préparer ce concile et négocier avec les Hussites.

18 C. Piana, La facoltà teologica dell'università di Firenze, in Spicil. Bonaven-


tur., 15, Grottaferrata, 1977.
19 J. Kubalik, Jean de Raguse, son importance pour l'ecclesiologie du XVe siècle,
dans Revue des sciences religieuses, 41, 1967, p. 150-167, surtout p. 151.
326 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Depuis Nuremberg, en mars, il fit demander à Jean Nider, prieur du


couvent des prêcheurs de Bàie, si cette ville convenait comme siège
du concile.
Alors que le cardinal commande les croisés en Bohème, c'est lui
qui ouvre le nouveau concile en son nom, le 23 juin 1431. Mais les
croisés furent vaincus et Jean de Raguse accompagné de Jean Nider,
envoyé négocier en Bohème, obtint la venue d'une délégation devant
le Concile. La tâche ne dut pas être facile après l'exécution de Jean
Huss à Constance en 1415. Les premières années à Bâle furent
consacrées à l'hérésie hussite et, pendant quatre mois, de janvier à
avril 1433, il discuta avec le principal orateur de la délégation
tchèque, Jean de Rokyçana. Les Hussites purent rentrer chez eux
librement comme les accords de Eger l'avaient prévu, après avoir
admis les Compactata (30 novembre 1433) qui permettaient avec
quelques réserves la communion sous les deux espèces. L'accord ne fut
publié qu'en 1436. Il ne semble pas que Jean de Raguse ait participé
à la rédaction des Compactata car son œuvre traduit une ferme
opposition à la communion sous les deux espèces. Ce compromis
n'avait satisfait personne mais il permit néanmoins à la tendance
modérée de l'emporter et, à partir de 1450, la Bohème put vivre dans
une paix religieuse relative20.
Malgré ce demi-échec, il se tourna vers les chrétiens d'Orient. Là
encore, s'il n'aboutit pas personnellement dans la réalisation de son
projet, il eut le mérite de sensibiliser les occidentaux à leur sort.
Il commença par tenter de ramener les Bosniaques dans le sein
de l'Eglise romaine. Depuis environ trois siècles, ces voisins de la
cité ragusienne avaient été séduits par les hérésies dualistes. Le Bogo-
milisme bulgare s'était d'abord implanté à Constantinople puis avait
suivi les routes commerciales vers l'Occident. Au XIIe siècle, cette
déviance dogmatique animait d'importantes communautés dans les
cités marchandes de Dalmatie comme Zara ou Raguse. De là, elle
essaima vers les montagnes de l'intérieur. Ces communautés étaient
en relation avec les Patarins de l'Italie du Nord et les Cathares du
Sud de la France21. De nombreuses missions dominicaines au XIIIe
siècle puis surtout franciscaines au XIVe siècle avaient tenté de les
réduire, mais sans grand succès malgré les dires de Sigismond22. En
effet, à la différence des hérétiques dualistes de France ou d'Italie,

20 A. Vauchez, Nouvelles hérésies et mouvements religieux nationaux (1378-


1449), dans Histoire du Christianisme, 6, p. 350-351.
21 F. Sanjek, Le christianisme dans les Balkans au temps de Jean de Raguse
(1390/95-1443), dans L'Eglise et le peuple chrétien dans les pays de l'Europe du
Centre-Est et du Nord, BEFR, 128, Rome, 1990.
22 F. Palacky, Monumenta Conciliorum generalium, t. 2, op. cit., p. 750.
JEAN DE RAGUSE 327

les Bosniaques jouissaient de la protection du souverain qui était lui


aussi accusé d'hérésie. Ils avaient constitué une sorte d'Eglise
nationale dans le royaume de Bosnie. Il en était de même dans la
principauté voisine, le Hum. C'était pour ces peuples une manière de
manifester leur identité nationale face aux menaces d'annexion qui
venaient tantôt de la Hongrie catholique, tantôt de la Serbie
orthodoxe.
Jean de Raguse écrivit, à la demande du Concile, au Sénat de sa
cité natale afin qu'il intervienne auprès des princes voisins et qu'il
les exhorte à oublier leur différend avec l'Eglise romaine. Mais le
Sénat répondit le 5 décembre 1433 que les temps n'étaient guère
propices à ce genre de démarche, à cause des incursions turques en
Bosnie23. En 1434, le registre du Concile a conservé des notes sur la
situation religieuse en Bosnie24. L'année suivante, alors qu'il
s'apprêtait à partir pour Constantinople, il écrivit une lettre sur le même
thème d'une réduction facile de la Bosnie25. Mais les négociations
avec les Grecs l'empêchèrent de poursuivre cette action. Elle fut
reprise en 1439 par un autre dominicain, Thomas Tommasini, évêque
de Hvar, qui fut envoyé par le Pape Eugène IV à la cour de Bosnie. Il
fallut encore négocier pendant six ans pour aboutir à la conversion
du roi, Etienne Thomas (1443-1461). Afin d'obtenir l'aide de
l'occident contre les Turcs, le roi obligea ses sujets à se convertir ou à
s'exiler. Ceux qui choisirent l'exil se réfugièrent auprès du duc de
Hum, qui avait refusé la conversion26.
Alors qu'il séjournait à Constantinople, en 1437, il semble qu'il
soit intervenu pour obtenir l'envoi d'une délégation serbe au Concile
de Bâle. Les Mémoires de Sylvestre Syropoulos rapportent en effet
que Jean VIII Paléologue envoya le grand domestique, Andronic
Cantacuzène, en Serbie, avec une mission allant dans ce sens27. Ce
dernier était le beau-frère du roi serbe Georges Brankovic (1427-
1456) et avait alors une affaire privée à régler avec sa sœur. Cette
ambassade n'est pas isolée. En effet, l'Empereur byzantin vient de
recevoir des lettres bullées de Bâle contenant les nouvelles
dispositions du Concile et Jean VIII organise la délégation de son Eglise.

23 S. Krasic, Congregatio ragusina O.P. (1487-1550), Rome, 1972, voir surtout


p. 131-135, p. 154-160.
24 «Super supplicatione magistri Johannis de Ragusio, missa per legatum do-
minum, cuius tenor sequitur : Quia Jhesu Christi offertur facilis occasio reductio-
nis regni Bosnie, quod iam a trecentis annis et ultra fuit infectum heresi Manicheo-
rum et Arianorum, ideo supplicatur, ut detur plena facultas domino legato et
cardinali Arelatensi...», J. Haller éd., Concilium Basiliense, t. 3, Bâle, 1900, p. 417.
25 A. Krchnak, De Vita, op. cit., p. 82.
26 F. Sanjek, Jean de Raguse et les Chrétiens bosniaques, dans L'Eglise et le
peuple chrétien dans les pays de l'Europe du Centre-Est et du Nord, op. cit., p. 294.
27 V. Laurent, éd. des Mémoires de S. Syropoulos, op. cit., p. 162-165.
328 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV SIÈCLE

C'est à ce moment qu'Isidore de Kiev est chargé de la même mission


en Russie. Il y a tout lieu de penser que Jean de Raguse, qui fournit
l'argent et les présents nécessaires à ces ambassades, ait participé à
leur préparation. Sylvestre Syropoulos rapporte qu'Andronic Canta-
cuzène entretint longuement le roi de Serbie de cette affaire mais
qu'il ne voulut envoyer ni ambassadeur ni lettre. Il est de nouveau
question de Georges Brankovic dans les actes du Concile de
Florence mais sa venue n'est pas certaine malgré Andrea de Santa
Croce, le rédacteur des Actes Latins, qui le fait participer aux
cérémonies d'ouverture.
Mais le but principal de son voyage à Constantinople était
d'organiser la venue à Baie de la délégation grecque. Jean de Raguse
avait été précédé par deux autres Mendiants : Antonin de Pera O.P.28
et le provincial de Lombardie de l'ordre des Eremites de Saint
Augustin, Albert de Crispi29. Le premier originaire du couvent de Péra,
proche de Constantinople, devait être l'interprète de la mission
envoyée à l'empereur et au patriarche pour inviter les Eglises d'Orient
au Concile. Partis en janvier 1433, il revinrent à Bâle l'année
suivante, suivis par deux envoyés de l'Empereur. Jean de Raguse fut
chargé d'aller à leur rencontre et de les accompagner jusqu'à Bâle30.
Le Concile résolut alors de célébrer un concile œcuménique avec les
Orientaux et il fut chargé de l'organiser. Il séjourna plus de deux ans
(septembre 1435-novembre 1437) dans la capitale byzantine. Les
lettres qu'il envoya au Concile de Bâle, dont il était le légat, et la
relation qu'il fit de son séjour rendent amplement compte des difficultés
de sa mission.
Arrivé à Constantinople, il devait, en effet, persuader l'empereur
que l'Union devait être réalisée à Bâle et non en Italie, comme était
venu le lui proposer le légat du pape Eugène IV, Christophoros Ga-
ratoni. C'était l'évêque de Coron, il connaissait bien le monde grec et
il était bien introduit à la cour, où il était lié à Manuel Dishypatos,
membre d'une famille de diplomates qui négociaient le
rapprochement des deux Eglises depuis le XIVe siècle. Alexis Dishypatos avait
été envoyé en Occident par Manuel II (1391-1425)31. Il avait été
chargé de recueillir les subsides nécessaires à l'organisation d'une
croisade. Le pape, Benoît XII, avait accordé, pour le sauvetage de
l'empire byzantin, des indulgences à lever sur les royaumes de France,
d'Angleterre et d'Espagne.
On ne connaît pas ses liens de parenté avec Manuel, mais il y a
tout lieu de croire qu'ils existèrent. En effet, au moment du concile

28 Voir liste des Prêcheurs.


29 A. Krchnak, De Vita, op. cit., p. 29.
30 J. Gill, Constance, Bâle - Florence, op. cit.
31 C. Delacroix-Besnier, Conversions constantinopolitaines , op. cit., p. 749.
JEAN DE RAGUSE 329

de Bàie, nous rencontrons régulièrement, dans les sources, trois


frères Dishypatos : Manuel, Georges et Jean. Ambassadeurs de Jean
VIII Paléologue, ils ne cessent de voyager entre Bàie et Florence,
négociant soit avec le pape, soit avec le concile. Ils étaient tous les trois
présents à Ferrare et à Florence, pendant le concile. Il est impossible
de ne pas faire le rapprochement avec les familles de Grecs convertis
de l'entourage de Démétrios Cydonès pendant la seconde moitié du
XIVe siècle. Conversion au Catholicisme et négociations avec Rome
étaient, pour ces familles, les deux formes d'un même choix, celui de
l'Union. Les composantes de ce choix étaient non seulement
philosophique et religieuse mais aussi politique. Le sauvetage de l'empire
face à la menace turque faisait de l'Union une nécessité. La famille
Dishypatos suit bien la même ligne puisque l'un d'eux, Jean devient
le familier et l'écuyer du pape Eugène IV32. Il est mentionné dans les
sources pontificales comme converti.
La mission avait bien d'autres atouts : elle assurait les Grecs de
la présence du pape et proposait, pour accueillir le concile, une ville
plus proche que Bâle.
Jean de Raguse rencontra donc bien des difficultés pour faire
prévaloir son projet. Son principal atout était que ce concile serait
véritablement œcuménique. Cet argument ne pouvait que
convaincre les Grecs dont c'était le vœu le plus cher depuis la
mission de Barlaam à Avignon en 1339. Il dut, cependant, faire réviser
par le concile le décret Sicut Pia Mater (7 septembre 1434), qui avait
été adopté dans la perspective de la venue à Bâle de la délégation
grecque et du retour de l'Eglise d'Orient à l'obédience romaine. Le
préambule du décret, comme nous l'avons vu plus haut, mettait sur
le même plan les Grecs et les Hussites et, à la cour de Byzance, on
avait très vigoureusement réagi. Cette bévue commise par les Pères
de Bâle peut s'expliquer de différentes façons. Les sources
pontificales présentent très souvent, dans les textes qui ont pour objet les
dissidents orientaux, des listes énumérant : hérétiques, schisma-
tiques, infidèles... Sont donc mis ensemble tous les exclus de la
chrétienté romaine sans qu'on ait éprouvé le besoin de marquer les
différences; pour Rome, le problème est le même que l'on ait à faire
à des hérétiques ou à des schismatiques.
Mais la notion d'hérésie avait évolué au cours du XIVe siècle
sous l'impulsion du pape Jean XXII (1316-1334). L'hérétique n'était
plus seulement le déviant sur le plan doctrinal mais aussi tout
Chrétien manifestant une quelconque insubordination contre le pouvoir
pontifical et la hiérarchie de l'Eglise en général. Ainsi les orthodoxes

32 E. Cecconi, Studi storici sul concilio di Firenze, Florence, 1869, n° CXLV.


330 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

entraient-ils désormais dans cette nouvelle définition. A


Constantinople, l'hérésie avait conservé son premier sens, comme le
rappellent les Grecs à Jean de Raguse : «Nous n'avons absolument rien
transgressé et violé des traditions apostoliques, conciliaires ou pa-
tristiques»33. Les Hussites contestaient l'autorité de la hiérarchie
romaine, mais dans la mesure où ils revendiquaient la communion
sous les deux espèces, ils pouvaient être considérés vraiment comme
hérétiques, transgressant la tradition patristique.
Ainsi les Pères de Bâle n'étaient pas sans savoir que les
divergences de dogme n'étaient pas les mêmes. L'assimilation faite entre
Grecs et Hussites peut donc aussi se comprendre par le fait que le
concile de Bâle entendait régler le problème grec selon la même
méthode que celle qu'ils avaient mise en œuvre avec les Hussites.
Malgré l'exécution de Jean Huss en 1415, la Bohème avait persisté dans
la dissidence. La croisade menée contre les Tchèques en 1431 avait
échoué. Le concile avait donc décidé de régler la question par des
discussions dogmatiques et des négociations. C'était cette méthode
que les Pères du concile comptaient appliquer aux Grecs.
Il faut cependant rappeler qu'André Chrysobergès, dans son
discours de Bâle, en 1432, avait, au contraire, bien marqué la
différence. Même opposé à la doctrine officielle de l'Eglise grecque, il
ne pouvait la concevoir comme déviante par rapport au dogme
chrétien.
Jean de Raguse, quant à lui, connaissait aussi le problème
particulier posé par l'orthodoxie. Il avait commencé à rassembler des
textes sur la controverse gréco-latine avant de partir pour
Constantinople et continuait à travailler cette question sur place. Il savait
donc combien il lui était indispensable d'obtenir du concile la
révision du décret Sicut Pia Mater s'il voulait aboutir dans son projet de
faire venir à Bâle une délégation grecque. C'est pourquoi il s'engagea
formellement à faire agréer le texte qui conviendrait aux Grecs. Jean
de Raguse ne sera avisé de la révision du préambule qu'en
septembre 1436, mais l'empereur ne le saura officiellement qu'en février
de l'année suivante.
Jean Dishypatos, de son côté, rentrait de Bâle où il s'était rendu
compte des profondes divisions qui existaient entre les Pères
conciliaires et le pape et que l'accord, demandé par les Grecs, entre les
deux têtes de l'Eglise d'Occident, avant d'accepter la venue au
concile d'Union d'une délégation byzantine, serait impossible à
réaliser. Les autorités byzantines n'avaient cessé de négocier pendant
ces deux années avec les deux délégations simultanément. Elles

33 Mémoires de Sylvestre Syropoulos, V. Laurent, éd., op. cit., p. 140-144.


JEAN DE RAGUSE 331

avaient obtenu des deux côtés les mêmes avantages matériels. Cette
importante délégation grecque, grosse de sept cents membres, serait
entièrement défrayée de voyage et d'hébergement. La défense de
Constantinople serait également prise en charge par les
Occidentaux. Mais la mission pontificale proposait, comme siège du futur
concile, une ville d'Italie et la présence du pape. Christophoros Ga-
ratoni ne pouvait que l'emporter.
Non seulement Jean de Raguse dut quitter Constantinople sans
avoir réussi à amener une délégation grecque à Bàie34 mais cet échec
permit le triomphe de la politique d'Eugène IV. L'union des Grecs à
Florence, par le prestige qu'elle procura au Saint Siège, aboutit à la
restauration du pouvoir pontificai au sommet de l'Eglise.
Malgré son échec, cette mission en Orient du Dominicain de
Raguse eut cependant une grande influence sur son œuvre. En effet, il
mit à profit son séjour constantinopolitain pour approfondir sa
connaissance de la théologie orientale et rapporta de nombreux
manuscrits. La bibliothèque du couvent des Prêcheurs de Bàie, qui
reçut ses livres en héritage, témoigne de ses préoccupations
d'humaniste et de théologien35. La bibliothèque de Bâle, où les livres du
couvent furent transférés au moment de la Réforme, conserve des
copies des traités contre les Grecs de Manuel Calécas et de saint
Thomas d'Aquin, des projets de croisade comme le De modo ex-
tirpandi sarracenos de Guillaume Adam O.P., du Libellas de notitia
orbis de Jean de Sultanieh, un autre Prêcheur missionnaire en
Orient36. Outre ses ouvrages sur le concile, sa correspondance et ses
sermons, il écrivit un traité, De Mahometo et Saracents, témoignant
de ses inquiétudes face à la pression turque. Ainsi, à Constantinople,
au contact du danger que représentait l'Islam pour la Chrétienté, en
relation avec le couvent de Péra et sa tradition missionnaire, sa
vision de l'Eglise avait pris sa dimension universelle. En rentrant à
Bâle, malgré l'échec de sa mission, il pouvait commencer son œuvre
maîtresse, le Tractatus de Ecclesia.

5 - Le Tractatus de Ecclesia

Cet ouvrage est une synthèse de toute son expérience. Si les


discussions qu'il avait eues avec les Hussites ont tenu une grande place
dans sa réflexion, comme l'indique l'explicit du manuscrit de Bâle37 :

34 J. Gill, Constance, Bâle - Florence, op. cit., p. 160 sq.


35 G. Bedouelle, Jean de Raguse aux mains des historiens, dans Misao I Djelo,
Ivana Stojkova, F. Sanjek éd., Zagreb, 1986, p. 141-153.
36 A. Vernet, Les manuscrits grecs de Jean de Raguse, dans Basler Zeitschrift,
61, 1961, p. 75-108.
37 Bâle, Bibliothèque universitaire, ms. A 1.29.
332 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

«Explicite tractatus de ecclesia quem magister Johannes de Ragusio


ordinis predicatorum Basilee, dum in concilio generali cum magistro
Johanne de Rochisana bohemo hereticho, disputaret compilavit, in
quo tanta de ecclesia locutus est, quantum sibi prefatus hereticus pres-
titit loquendi occasionem», il donne en fait sa conception d'ensemble
de l'Eglise. Commencé vers la fin de l'année 1438, le traité fut achevé
en 1441, trois ans avant sa mort38.
Cet ouvrage est composé de trois parties39. La première est une
définition de l'Eglise. Elle est, pour lui, le corps mystique composé
de l'ensemble des fidèles et du concile général. La seconde partie
traite de la nature et des qualités de l'Eglise ainsi que des pouvoirs
que le Christ lui a conférés. Jean de Raguse évoque ici les quatre
qualités du symbole : une, sainte, catholique et apostolique, puis
reprenant l'image du corps mystique, il énumère les trois
hiérarchies : in regione capitis, in regione manuum, in regione pedum.
La première des trois hiérarchies possède le pouvoir dans l'Eglise.
La primauté de Pierre y est clairement affirmée, fondées sur trois
preuves : celle que fournit l'Ecriture, celle des docteurs et celle de
la raison. Cette dernière impose qu'il n'y ait qu'un seul chef car le
concile ne suffit pas, à cause des difficultés que l'on rencontre pour
le réunir. Pierre puis les souverains pontifes, ses successeurs,
peuvent être appelés «caput ecclesiae». La puissance de l'Eglise est
prouvée selon le schéma aristotélicien des quatre causes. La
troisième partie est apologétique et, en cela annonce les traités du XVIe
siècle, qui furent écrits en réaction contre les attaques protestantes.
Contrairement à l'opinion des hérétiques comme Jean Wyclif ou
Jean Huss, ce n'est pas Constantin qui est à l'origine du principat
de l'Eglise romaine. Il est antérieur. L'Eglise a joui de la primauté
depuis le début. Elle l'a reçue du Christ «principaliter et
autoritative», de Pierre «secundario et instrumentative», des apôtres, des
conciles et des empereurs «per consensum et approbationem». Ainsi
tel qu'il apparaît dans ses grandes lignes, le Tractatus de Ecclesia
est une œuvre conforme à la doctrine du Catholicisme romain,
aboutissement d'une évolution au cours de laquelle le conciliarisme
de Jean de Raguse à Sienne se serait progressivement évanoui.
Mais la contradiction entre la conception de l'Eglise telle qu'elle est
développée dans cette œuvre et l'attitude de son auteur, soutenant
l'élection de Félix V et persistant dans le nouveau schisme de
l'Eglise d'Occident jusqu'à sa mort, est difficile à expliquer. Elle peut
cependant être dépassée si l'on évoque certaines constances entre

38 Le tractatus de ecclesia de Jean de Raguse, F. Sanjek, éd., Zagreb, 1983.


39 G. Thils, Le tractatus de ecclesia de Jean de Raguse, dans Angelicum, 17,
1940, p. 219-244.
JEAN DE RAGUSE 333

1423 et 1441. Le pouvoir du pape est toujours évoqué


conjointement à celui du concile. A Pavie, il reconnaissait la nécessité du
pouvoir pontifical à la tête de l'Eglise mais il insistait aussi sur le
rôle du concile pour la réformer. A Sienne, son sermon marquait
une certaine radicalisation du propos, le pouvoir du pape dérivant
du concile, forme première de l'unité de l'Eglise. Les deux formes
de son unité devaient concourir à sa reconstruction. Déçu par
Martin V, qui persistait à ne pas vouloir renforcer le pouvoir du concile
par sa présence, il hésitait à exalter la primauté du pape qu'il
évoquait néanmoins. A la fin de sa vie, il continue à affirmer cette
primauté du successeur de Pierre. Mais un passage du chapitre 8 de la
troisième partie semble très significatif d'une conception qu'il a
toujours eue. L'Eglise romaine a reçu du Christ le pouvoir et Pierre,
le premier, a commencé à l'exercer avec le consentement des
apôtres, des conciles généraux, des empereurs et des princes. Pour
lui, depuis l'origine, c'est l'Eglise qui a reçu le pouvoir de
gouverner, Pierre et ses successeurs l'exercent (c'est la signification du
«ministerialiter» du discours de Sienne) avec le consentement de
tous. Il doit donc y avoir un lien étroit entre le pape et l'Eglise, c'est
pourquoi il avait tant réclamé la présence de Martin V au concile
de Sienne. Le pape, cependant, évitait la confrontation des deux
pouvoirs. Pourtant, les deux hommes se connaissaient et
s'appréciaient. Avec l'élection d'Eugène IV, en mars 1431, la situation
évoluait considérablement. Les Pères étaient réunis à Bâle, entre la
France et l'Allemagne, deux nations soutenant le concile contre la
monarchie pontificale. Le nouveau pape voulait restaurer la
primauté dans toute son acception. Il ne pouvait et ne voulait donc
pas se rendre auprès des Pères conciliaires. Dès la fin de l'année
1431, il décidait donc le transfert en Italie. Cet acte d'autorité était
inacceptable pour la grande majorité du concile y compris son
président Julien Cesarini. Mais, en 1437, alors que celui-ci se décide
peu à peu à suivre la minorité et les autres cardinaux auprès du
pape en Italie, Jean de Raguse rentre à Bâle. Peu après, il
commence à rédiger son traité. Le procès du pape, puis sa
destitution, le 25 juin 1439, sont décidés par une assemblée qu'il
cautionne de sa présence. Cette attitude s'explique par une dernière
constance dont il avait fait le but de sa vie : réunir tous les
Chrétiens dans une Eglise régénérée par la réforme, où le pape
soutiendrait l'œuvre du concile. Il n'avait pas voulu accorder sa confiance
à celui qui profitait de l'union des Grecs, en voie de se conclure,
pour reconstruire, à la tête de l'Eglise, un pouvoir sans partage. La
théologie ecclesiale de Jean Stoikovic de Raguse est donc plus
complexe qu'on l'a dit jusqu'à présent. Si le qualificatif de concilia-
riste s'applique parfaitement à ce théologien méconnu lorsque l'on
considère sa décision de suivre le concile jusqu'au bout, il est trop
334 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

simplificateur au regard de sa théorie de l'Eglise40. Mais Jean Stoi-


koviö montre, par son action comme par son œuvre, combien la
question des schismes et celle du primat du pape étaient
étroitement connectées dans une théologie ecclesiale. L'intervention de
ses frères d'ordre, restés dans l'obédience d'Eugène IV, au concile
de Ferrare-Florence illustreront parfaitement cet état de fait.

40 G. Bedouelle, Jean de Raguse aux mains des historiens, op. cit., p. 141-153.
CHAPITRE IV

LE CONCILE D'UNION :
FERRARE-FLORENCE (1438-1439)

Beaucoup d'ouvrages ont été écrits sur cette question mais


aucun ne souligne le rôle essentiel qui y fut joué par les Dominicains1.
Ils sont intervenus dans toutes les phases du processus qui aboutit à
l'accord et à sa mise en œuvre, depuis les négociations longues et
difficiles qui permirent la venue de la délégation grecque jusqu'aux
discussions, entreprises à Constantinople, dans les années 1440,
dont le but était de faire admettre l'acte d'Union dans la capitale
byzantine. Le rôle d'André Chrysobergès et de Jean de Raguse dans la
phase préparatoire du concile vient d'être évoqué. Il faut maintenant
montrer combien la participation de l'Ordre des Prêcheurs fut
importante dans son déroulement

1 - Florence, la cité de l'Union de 1439

Le choix du lieu d'abord est manifeste de ce rôle. Si les sessions


ne se déroulèrent à Florence que dans la seconde période du concile,
Eugène IV avait depuis longtemps décidé de ce lieu, au moins
depuis son séjour dans cette ville, entre 1434 et 1436. Lorsqu'il prit la
décision de transférer le concile en Italie, à la fin de l'année 1431, il
avait d'abord choisi Bologne, qui était ville pontificale. Mais, le
conflit qui l'opposait aux grands seigneurs et, particulièrement, au
duc de Milan, avait rendu ce projet impossible à réaliser. Peu à peu,
le choix de Florence s'était imposé. La ville était politiquement plus

1 Outre les éditions des sources conciliaires pour lesquels on se reportera à la


bibliographie générale, il convient de signaler les ouvrages désormais anciens
mais toujours essentiels de J. Gill. Mais des livres ont parus très récemment :
Histoire des conciles œcuméniques, dir. G. Alberigo, 3 vol., Paris, 1994; et les actes
des colloques célébrant le 550e anniversaire du concile : Christian Unity, the
Council of Ferrara-Florence 1438/39 - 1989, dir. G. Alberigo, Louvain, 1991;
Ζ. Ν. Tsirpanlès, II Decreto fiorentino di Unione e la sua applicazione
nel 'Arcipelago greco, il caso di Creta e di Rodi, communication au congrès historico-théolo-
gique pour le 550e anniversaire du concile (16-22 IV 1990), dans Thesaurismata, 21,
1991, 43-88; Firenze e il Concilio del 1439, Paolo Viti dir., 2 vol., Florence, 1994.
Voir également l'Annuarium Historiae Conciliorum, Paderborn, 21, 1989.
336 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

sûre et son entourage le conseillait dans ce sens. Ambroise Traversa-


ri, maître général de l'ordre des Camaldules, son fidèle collaborateur
durant toute la période du concile, était moine du couvent Sainte
Marie des Anges, à Florence. Cet ami dévoué, de même que les
Dominicains de Sainte Marie Nouvelle, insistèrent sans doute pour
qu'il y convoquât le concile.
Une autre raison l'inclina certainement à prendre cette décision.
En effet, la cité florentine s'était affirmée depuis le début du XVe
siècle comme un refuge sûr pour la personne du souverain pontife,
lorsque l'opposition qu'il rencontrait à Rome devenait trop
puissante. C'est ainsi que Martin V s'y était installé en 14192. L'accueil du
pape avait été négocié par Leonardo Dati, maître général des
Prêcheurs. Nous avons évoqué sa présence plus haut, participant à
l'interrogatoire de Jean Huss. Il était aussi l'ambassadeur de Florence
au concile de Constance. Représentant de la nation italienne, il avait
pris part au vote pour l'élection de Martin V. Dès janvier 1418, il
avait informé la République que le pape avait l'intention de
séjourner dans la cité, à son retour de Constance. Sans doute avaient-ils
discuté ensemble de l'impossibilité d'une installation immédiate à
Rome, et Leonardo Dati avait proposé l'hospitalité de sa ville. Dès ce
mois de janvier, la commune votait les fonds, d'un montant de 1500
florins, nécessaires à l'aménagement de la future résidence
pontificale. Cependant, les négociations furent assez longues. En février,
Florence avait envoyé un autre Dominicain, Jacopo da Rieti, comme
ambassadeur secret. Celui-ci fut reçu par Martin V les 17 et 20
février et il était de retour le 13 mars. Le mois suivant, la Seigneurie
nommait une ambassade officielle, à la tête de laquelle se trouvait
Leonardo Dati, avec la double mission de présenter l'hommage du
peuple florentin au pape et de l'inviter à venir à Florence. Mais cette
ambassade ne partit qu'en octobre. De son côté, Martin V, parti de
Constance en mai, s'était attardé en Suisse et résidait alors en Italie
du Nord. Il reçut donc les Florentins à Milan et répondit
favorablement à l'invitation formulée par Leonardo Dati. La réponse
officielle, cependant, ne partit que le 25 octobre de Mantoue, dernière
étape du pape. Il promettait son arrivée pour le printemps. Les
Dominicains et Florence s'affirmaient ainsi comme les plus fidèles
appuis d'un pouvoir pontifical qui allait devoir réaffirmer son autorité.
Leonardo Dati et Jean Dominici, tout comme André Chrysobergès et
la délégation grecque, avaient soutenu la candidature d'Odone
Colonna, qui était devenu le pape Martin V; la république florentine

2 S. Orlandi, // concilio Fiorentino e la residenza dei Papi in Santa Maria


Novella, in Memorie Domenicane, in Memorie Domenicane, n.s., 39, 1963, p. 69-90,
p. 125-151.
LE CONCILE D'UNION 337

accueillait le nouveau pape, dans le principal couvent dominicain de


la ville.
L'ordre des Prêcheurs connaît, dans cette première moitié du
XVe siècle, un grand essor sous l'impulsion de Jean Dominici, chef
de file du mouvement réformateur en Italie. Les Dominicains
florentins jouissaient donc d'un grand prestige, non seulement sur le plan
spirituel, mais aussi dans la vie intellectuelle de la région. Au milieu
du XVe siècle, Florence comptait trois couvents de Prêcheurs. Sainte
Marie Nouvelle était le plus ancien, mais Jean Dominici, pour
mettre en œuvre la réforme, avait fondé une nouvelle maison sur les
hauteurs de Fiesole, en 1405. Le couvent de Fiesole se développa
rapidement grâce à Frère Antonin, futur archevêque de Florence
(1446-1459) 3. Il fut canonisé en raison de la réforme des maisons
dominicaines, qu'il mena, en tant que vicaire général des Prêcheurs en
Italie de 1437 à 1446. C'est toujours dans le cadre de ce mouvement
réformateur qu'il faut placer une seconde fondation, celle du
couvent San Marco, dans la ville même. C'est Eugène IV qui en
donna l'autorisation par la bulle du 21 janvier 1436. Saint Antonin et
Cosme de Médicis voulurent faire de ce couvent un lieu exemplaire
de vie religieuse et un grand centre d'études littéraires4. Saint
Antonin fut prieur de San Marco entre 1439 et 1444. C'est à ce moment
que Michelozzo construisit les bâtiments et que les livres de
l'humaniste Niccolo Niccoli y furent placés, constituant le noyau primitif
de la première grande bibliothèque publique. C'est ainsi que San
Marco devint le grand centre du renouveau spirituel et intellectuel
qui produisit Savonarole à la fin du siècle. Si humanisme et réforme
religieuse eurent parfois du mal à coexister, ils constituèrent
l'atmosphère bouillonnante qui accueillit papes et concile dans cette
première moitié du XVe siècle.
Dès que les Florentins décidèrent de recevoir Martin V, ils
entreprirent de faire les travaux nécessaires pour lui aménager des
appartements à Sainte Marie Nouvelle : «// comune delibero che per
fare in santa Maria Novella degnio abituro, come alla sua Santità si
convenia, che dell'Opera di santa Liperata si chiavassino fiorini mille-
cinquecento. Et cosi fu fatto nel secondo chiostro della detta chiesa
coli'arme del comune. Et dappiè l'arme dell'Arte della lana». Ces
appartements comprenaient une grande salle de réception de laquelle
on pouvait se rendre à une chapelle. Autour de cet ensemble, étaient
disposées différentes pièces, regroupées en plusieurs appartements.

3 S. Orlandi, San Antonino, Studi bibliografici, Florence, 1960.


4 S. Orlandi, La biblioteca di Santa Maria Novella in Firenze, Florence, 1952;
B. Ullman - Stadter, The Public Library of Renaissance Florence, Niccolo Niccoli,
Cosimo de' Medici and the Library of San Marco, in Medioevo e Umanesimo , t. 10,
Padoue, 1972.
338 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

On y accédait, depuis le grand cloître, par un escalier monumental.


Les meilleurs artistes de la ville participèrent aux travaux. Il semble,
en effet, que ce soit Ghiberti qui ait conçu le dessin de l'escalier et
Donatello reçut douze florins pour le lion qui fut placé sur la
colonne de celui-ci. C'est cet ensemble d'appartements qui est désigné
sous l'expression «palatium apostolicum santae Mariae Novellae»
dans les actes du concile. Martin V y résida du 24 février 1419 au 9
septembre 1420, alors que le personnel de la curie et les cardinaux
étaient logés dans divers palais privés et couvents de la ville.
La seigneurie florentine, soucieuse de son prestige de centre
urbain en pleine expansion, se fit un plaisir d'accueillir Eugène IV, le
successeur de Martin V. La situation politique du pouvoir pontifical
était d'une extrême gravité lorsqu'il arriva à Florence en 1434.
Depuis son élection, le 3 mars 1431, il était aux prises avec trois types
d'opposition : les Pères du concile de Bàie qui ressentaient leur
transfert en Italie comme une manifestation de l'autoritarisme du
nouveau pape; la guerre faisait de nouveau rage en Italie du Nord et
le duc de Milan menaçait les états pontificaux. Mais l'opposition la
plus grave et la plus immédiate venait du peuple romain mené par
deux grandes familles, les Colonna et les Savelli. La lettre d'André
Chrysobergès à Jean de Raguse en faisait écho, en 1431 et le sermon
de Bâle, prononcé en août 1432, aussi. La situation a continué de
s'aggraver, et le 28 mai 1434, des émeutes populaires obligèrent le
pape à s'enfuir. Cette révolte populaire était soutenue par le
condottiere Fortebraccio, aidé par des agents milanais et les Colonna.
Celle-ci grondait depuis plusieurs mois et Eugène IV avait pu
préparer sa fuite : depuis sainte Marie en Trastevere, sous l'habit de
moine de la Badia florentine, il descendit le Tibre jusqu'à Ostie, puis
une galère de la reine de Naples l'amena à Livourne, où l'attendait
celle de la seigneurie florentine. Il fit une entrée triomphale à
Florence le 25 juin. Le Prioriste florentin, qui décrit cet événement,
précise que l'accueil de la population fut encore plus chaleureux que
lors de la venue de Martin V en 14195. Malgré les honneurs et la
générosité prodigués, encore une fois, par la cité, Eugène IV arrivait en
exil, accompagné d'un seul de ses cardinaux, Jean Casanova, un
Dominicain espagnol, présence significative du fidèle appui des
Prêcheurs auprès du souverain pontife. Eugène IV s'installa donc au
palais apostolique, à sainte Marie Nouvelle. Il connaissait bien cette
résidence puisqu'il y avait accompagné son prédécesseur lors de son
séjour, en 1419-1420. Il était alors évêque de Sienne et cardinal; il

5 Priorista Paolo di Matteo di Piero di Fastello Petroboni, BNCF, conv. soppr.


C.4.895, cité par S. Orlandi, // Concilio fiorentino e la residenza dei Papi in S.
Maria Novella, in Memorie Domenicane, 39, n. s., p. 69-90, p. 125-151.
LE CONCILE D'UNION 339

avait été logé à San Antonio, sans doute dans la villa de l'archevêque
de Florence.
Il demeura à sainte Marie Nouvelle pendant deux ans jusqu'à ce
que la situation se soit améliorée. En 1436, le duc de Milan avait dû
signer la paix avec Venise, Florence et le Saint Siège. Bologne, cité
pontificale, privée de l'appui de Sforza, avait dû s'empresser
d'inviter le pape. En même temps, la cohésion du concile de Bâle
faiblissait, peu à peu, les cardinaux venaient rejoindre le pape dans cette
ville.
Dès l'année précédente, Ambroise Traversari, envoyé à Bâle
pour examiner la situation, lui avait annoncé qu'il existait,
désormais, parmi les Pères, un parti qui lui était favorable. A Bologne, sa
cour se reconstituait : huit cardinaux l'avaient accompagné, quatre
vinrent bientôt les rejoindre. Ainsi une bonne moitié du collège des
cardinaux l'entourait.
Mais le lieu du concile d'Union posait toujours un problème.
Sans revenir sur l'échec de la mission conciliaire menée par Jean de
Raguse et la victoire du pouvoir pontifical, qui réussit à faire venir
les Grecs en Italie, il faut mentionner l'insistance avec laquelle
Florence proposa d'accueillir le concile d'Union. La mort de l'empereur
Sigismond en 1437 et l'élection de Frédéric III contribua à renforcer
la proposition florentine6. Dès 1436, elle s'était portée candidate
malgré les importantes charges financières que cela supposait. Les
Médicis jouèrent un rôle non négligeable dans la réussite de ce
transfert du concile à Florence en 1439. Il s'agissait en fait de la
réalisation d'un projet établi depuis plusieurs années et qui fut possible
car elle résultait de la convergence des intérêts communs du pape et
des princes. L'un des principaux artisans du transfert du concile à
Florence fut, en effet, Leonardo Bruni, chancelier de la République
de 1427 à 1444, qui, dès 1434, en avait appréhendé tous les enjeux
économiques et politiques. Il publia en effet, à cette date, la seconde
édition de sa Laudatio Fiorentinae Urbis, écrite quelque trente ans
plus tôt et il y montrait que Florence était la seule ville capable
d'accueillir la délégation des Grecs dans le cadre de ce synode des deux
Eglises7. La réunion du concile à Florence servait le projet
dynastique des Médicis. Le prestige qu'ils en tireraient permettrait de
consolider leur pouvoir politique un moment ébranlé par l'exil de
Cosme (1433-1435). Laurent de Médicis intervint, au nom de la
seigneurie, auprès du pape, en 1437. Puis l'ambassade qu'il envoya en
décembre 1438 permit de mettre au point les termes de l'accord défi-

6 P. Viti, Leonardo Bruni e il concilio del 1439, in Firenze e il concilio del 1439,
op. cit., 2, p. 562.
7 Ibid., p. 509-575.
340 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

nitif. L'amitié qui liait Cosme de Médicis à Ambroise Traversari,


l'ami et le collaborateur d'Eugène IV, compta sans doute beaucoup.
Mais pour ce dernier, les Médicis constituaient un soutien d'une
part dans sa lutte contre l'expansion des Visconti, alliés à
l'empereur, d'autre part et surtout dans le cadre du rétablissement du
pouvoir pontifical. La convergence des intérêts politiques du pape et des
princes de Florence était en cohérence avec la constitution des états
monarchiques en Europe et la fin des pouvoirs locaux8. Ceci
explique la réussite de l'entreprise, dans le financement de laquelle
Cosme de Médicis fut personnellement impliqué9. La même
convergence d'intérêts se retrouve sur le plan financier. Les liens, établis
depuis le milieu du XIIe siècle, entre la chambre apostolique et la
banque des Médicis s'étaient encore resserrés pendant les premières
années du XVe siècle et celle-ci en contrôlait les dépôts. De plus
Eugène IV possédait des titres sur le Monte Commune de Florence10.
En effet les intérêts financiers et commerciaux comptèrent aussi
beaucoup. La cité marchande escomptait bien retirer un bénéfice en
compensation des dépenses que l'hébergement de la délégation
grecque engagerait et la seigneurie obtint de Jean VIII Paléologue la
faculté d'envoyer un ambassadeur résident à Constantinople, en
août 1439.
A la fin du XIVe siècle, Manuel Chrysoloras avait ouvert la route
de Florence aux Byzantins; à la demande du chancelier Coluccio
Salutati, il venait enseigner le grec11. Pendant quatre ans, de 1396 à
1400 il fut rétribué par la seigneurie à raison d'une somme qui
augmenta régulièrement de 100 à 250 florins d'or annuels. Le voyage de
l'empereur Manuel II en Occident l'obligea à quitter sa chaire. Ce
séjour de Manuel Chrysoloras dans la cité florentine, donna
l'impulsion décisive au mouvement humaniste en Toscane. Avant de partir
pour le concile de Constance, il avait déposé ses livres chez Pallas
Strozzi. A sa mort, ceux-ci furent dispersés entre ses amis Cosme de
Médicis, Niccolo Niccoli, Ambroise Traversari, Cencio di Rustici et,
bien sûr, Pallas, ce qui fit l'objet de bien des querelles entre eux,
dont François Filelfe s'est fait l'écho. L'âpreté des disputes était sans
doute à la mesure de la richesse de sa bibliothèque. Ses nombreux
manuscrits grecs et latins constituèrent le premier noyau de la col-

8 R. Bizzocchi, Concilio, Papato e Firenze, in Firenze e il concilio del 1439,


op. cit., I, p. 109-119.
9 A. Molho, L'economia e la finanza pubblica fiorentina alla vigilia del
Concilio, in Christian Unity, op. cit., p. 59-94.
10 R. Bizzocchi, Concilio, Papato e Firenze, loc. cit.
11 G. Cammelli, / Dotti Byzantini e le origini dell'umanesimo, I, Manuele Criso-
lora, Florence, 1941.
LE CONCILE D'UNION 341

lection de Niccolo Niccoli, puis après lui, de la bibliothèque du


couvent San Marco, comme je l'ai indiqué plus haut.
Depuis 1419, les ambassades grecques s'étaient succédées sur la
route de Florence à la faveur des négociations pour l'Union12. Joseph
Bladyntéros vint cette année-là y apporter la réponse aux lettres
pontificales que Théodore Chrysobergès et Nicolas Eudaimonoioan-
nès avaient transmises à Manuel IL II insistait sur la nécessité de
réunir les deux Eglises ensemble. L'année suivante, ces deux
ambassadeurs de l'empereur venaient rencontrer le pape à sainte Marie
Nouvelle, négocier une solution de compromis, Martin V ne
souhaitant pas convoquer de concile œcuménique. En 1421, Joseph
Bladyntéros revient à Florence alors que le pape est rentré à Rome. Il
convient peut-être de donner à cette visite des raisons commerciales.
En 1438, un autre ambassadeur byzantin, Jean Dishypatos, vient
négocier les conditions du transfert du concile de Ferrare avec les
autorités florentines. Il est possible que les tractations commerciales
aient accompagné les pourparlers en vue du concile.
L'installation du concile d'Union à Florence, au début de l'année
1439, n'est donc pas le fait du hasard. Elle s'explique par tout un
faisceau de causes : l'essor commercial de la cité florentine, la
coordination du renouveau spirituel et de l'épanouissement de
l'humanisme en Toscane, un choix politique aussi, celui du soutien du
pouvoir pontifical. La Florence des Médicis cherchait à s'affirmer
comme une cité capable de rivaliser avec la capitale mythique du
monde chrétien, Rome.
C'est donc dans cette atmosphère que se déroulèrent les sessions
du concile, à Ferrare et à Florence. Dominicains et humanistes
florentins y jouèrent les premiers rôles.

2 - Réunir une documentation patristique

Les Prêcheurs collaborèrent étroitement dans la collecte des


textes qui seraient nécessaires aux discussions avec la délégation
grecque. Le coordinateur de cette recherche fut Ambroise Traversa-
ri, Maître général des Camaldules13. Moine lettré, savant et
humaniste, il dut faire la connaissance du cardinal Condulmer, futur
pape, Eugène IV, au moment du séjour de Martin V à sainte Marie

12 R. J. Loenertz, Les Dominicains byzantins Théodore et André Chrysobergès et


les négociations pour l'Union de 1415 à 1430, dans AFP, 9, 1939, p. 5-61.
13 A. Dini - Traversali, Ambrogio Traversari e i suoi tempi, Florence, 1912;
J. Décarreaux, Ambroise Traversari, un moine helléniste et diplomate, dans REI, 4,
1957, p. 101-143. Voir également les actes du colloque réuni pour le sixième
centenaire de sa naissance : Ambrogio Traversari nel VI° centenario della nascita, dans
Istituto nazionale di studi sul Rinascimento, Atti di convegni, 17, Florence, 1986.
342 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Nouvelle. Les négociations avec Byzance était alors très actives et les
discussions doctrinales imminentes. Il commença sa quête des
textes et traduisit YAdversus Graecos de Manuel Calécas à la demande
de Martin V et il l'envoya à Eugène IV, au début de son règne. Ce
manuscrit est attesté dans les inventaires de la bibliothèque vaticane
comme étant la propriété personnelle de ce pape14. Il avait appris le
grec au moment de son noviciat (1396-1400), alors que Manuel Chry-
soloras était à Florence. Il fut en relation avec lui, mais ne suivit
vraisemblablement pas ses cours, du moins les sources ne l'attestent
pas. Cependant une lettre de Bartolomeo da Montepulciano indique
qu'Ambroise Traversari lui portait une grande estime. Il mit, en fait,
au point une technique moderne de traduction, sans doute en
collaboration avec Démétrios Scaranos, qu'il appelait tendrement «le
vieux». Ce dernier était un Constantinopolitain converti au
Catholicisme. Il appartenait à la mouvance de Démétrios Cydonès. Ami de
Jean Lascaris Calophéros, le conseiller et légat de Grégoire XI pour
les affaires d'Orient dans les années 1370. Démétrios Scaranos fut
l'exécuteur testamentaire de Jean Lascaris après avoir été son agent
financier15. Après la mort de ce dernier, il était venu à Florence où il
était entré au couvent des Camaldules, là où Ambroise Traversari
était novice. Une bonne génération séparait donc les deux hommes.
Démétrios compta sans doute beaucoup dans l'aisance avec laquelle
Ambroise manipulait la langue grecque. Ce dernier estimait qu'il
fallait se garder d'une traduction trop littérale, telle que l'avait
enseignée Manuel Chrysoloras. L'art de la traduction, selon lui, devait
allier à la fidélité au texte grec, dans une mesure égale, le respect des
exigences de la langue latine. Ambroise Traversari peut donc être
considéré comme l'un des pères de l'art de la traduction tel que le
pratiquaient les humanistes.
L'abondante correspondance du Camaldule et les Actes du
concile attestent ce travail de recherche et de traduction auquel il se
consacra sans relâche jusqu'à ce qu'il mourût, épuisé par des nuits
de veille, le 21 octobre 1439. Il n'avait pu avoir que le plaisir
immense de la tâche accomplie et de sa réussite. Quelques exemples
suffiront à montrer l'importance de sa collaboration aux travaux du
concile. Son activité se déploya sur deux plans : premièrement la re-

14 E. Muntz et P. Fabre, La bibliothèque du Vatican au XVe siècle d'après des


documents inédits, Paris, 1887 (BEFAR, t. 48) p. 19-20, A. Sottili, Autografi e
traduzione di Ambrogio Traversant, in Rinascimento, 5, 1965,8, Rééd. en préparation
de l'inventaire de 1443, J. Fohlen, La bibliothèque du pape Eugène IV (1431-1447),
contribution à l'histoire du fonds Vatican latin.
15 G.T. Dennis, Letters of Manuel H, Washington, 1977, I, Prosopographie,
p. LVII.
LE CONCILE D'UNION 343

cherche de manuscrits, puis la traduction et la compilation des


textes utilisés pendant les discussions.
Ambroise Traversari visita les bibliothèques monastiques
d'Italie16. Comme il a été dit plus haut, il se rendit à Padoue, où il lut les
lettres de saint Jérôme au couvent des Prêcheurs. Il alla également
dans la région de Ravenne. Dans une lettre qu'il adresse au Cardinal
Cesarini, le 17 octobre 1438, il parle d'un livre contenant les actes du
septième concile, dans une très vieille écriture latine : «venit enim e
conventu Praedicatorum Arimini». Il confronta ce texte avec celui
des manuscrits grecs que Nicolas de Cuse avait achetés à
Constantinople, alors que ce dernier participait à une mission envoyée par
Julien Cesarini pour la minorité conciliaire ralliée au pape depuis la
fin de l'année 1437. Il se serait rendu également au monastère
bénédictin de Pomposa, bien que sa destination ne soit pas explicite dans
la documentation pontificale. En effet, un acte de la chambre
apostolique, daté du 21 décembre 1438, mandate Julien Cesarini d'une
somme de 43 florins et demi afin de contribuer à des dépenses
contractées en vue de l'Union des Grecs. Ce mandat permettait au
président du concile de rembourser les frais de déplacement à Fer-
rare de l'abbé de Grottaferrata mais aussi ceux que nécessitait le
transport de livres. Au plus fort de la discussion sur l'addition du Fi-
lioque, à Ferrare, pendant l'automne 1438, le cardinal Julien
Cesarini demanda, en effet, à ses collaborateurs de rechercher des
manuscrits anciens prouvant la thèse romaine. C'est ainsi que sont
mentionnés Ambroise Traversari et Nicolas de Venise O.P., provincial de
Lombardie. Mais le document ne précise que la destination du
second, Pomposa17.
Le monastère de Pomposa possédait une bibliothèque très riche
en patrologie grecque et latine. Il était déjà une source précieuse
pour l'humanisme de Lovato. La réforme religieuse du XIe siècle
s'était faite sur la base des œuvres de saint Augustin, de saint Jérôme et
de saint Ambroise. Mais, au moment du schisme de Michel Céru-
laire, provoquant la rupture définitive entre l'Eglise grecque et
l'Eglise latine, la bibliothèque s'était enrichie de manuscrits sur la
doctrine trinitaire. L'abbé Jérôme, réformateur du monastère, réussit à
obtenir des traductions d'Origène, de saint Jean Chrysostome, de Di-
dyme d'Alexandrie et de Grégoire de Nazianze.

16 A. Manfredi, Traversari, Parentucetli e Pomposa, Ricerche di codici al


servizio del concilio di Firenze, in Ambrogio Traversari nel VI" centenario della nascita,
dir. G.C. Garfagnini, Florence, 1988, p. 165-187.
17 «pro mittendo magistrum Nicolaum de Venetiis ad Pompozam (sic) pro qui-
busdam libris pro dicto facto grecorum et pro barca in eundo et redeundo», Acta
Camerae apostolicae et civitatum Venetiarum, Ferrariae, Florentiae, Ianuae de
concilio Fiorentino, éd. G. Hofmann, Rome, 1950, n° 61.
344 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Nicolas de Venise faisait partie du groupe de théologiens


dominicains, envoyés par leur ordre au concile afin d'aider les prélats
dans leurs interventions18. Sa mission à Pomposa montre qu'il savait
lire le grec et il n'est pas indifférent de remarquer des coïncidences
entre son cursus et l'itinéraire des frères Chrysobergès, qui tous
étudièrent la théologie en Vénétie, sensiblement à la même période. Les
deux aînés séjournèrent à Saint-Jean-et-Paul, le couvent des
Prêcheurs de Venise, puis à Pavie, quant au cadet, André, il était encore
étudiant à Saint-Augustin de Padoue lorsque Nicolas de Venise était
le régent de ce Studium, en 1413 19. Ils se retrouvèrent à Ferrare alors
qu'André participait au débat théologique sur l'addition du Fïlioque.
Frère Nicolas et Frère André apposèrent ensemble leur signature au
décret de Florence.
Les missions d'Ambroise Traversari et de Nicolas de Venise
semblent tout à fait parallèles si on ne peut affirmer qu'elles furent
exécutées conjointement. Deux sources les exposent. Une lettre du
cardinal Julien au général des Camaldules et l'extrait d'une autre,
sans doute du même auteur, envoyée à Nicolas de Venise. Ce dernier
texte se trouve dans un miscellanee appartenant au théologien
dominicain (ms. Venise, Marc. III 96/2504), parmi les textes qu'il avait
collationnés pour les discussions du concile20. Julien Cesarini
demandait non seulement de rapporter des livres à Ferrare, comme
l'atteste le mandat de la chambre apostolique, mais aussi de vérifier
la lecture de passages cruciaux pour la discussion avec les Grecs
d'après des témoins anciens21. Le manuscrit de la bibliothèque
vénitienne révèle de plus que Nicolas de Venise était un proche
collaborateur de Julien Cesarini. Il contient en effet un des rares témoins
des interventions de ce dernier au concile sur la question du
purgatoire et sur l'addition du Filioque et il n'est pas improbable que le
théologien dominicain ait participé à leur rédaction22.
Cet acte de la chambre apostolique est donc intéressant à plus

18 voir liste des Prêcheurs.


19 L. Gargan, Lo studio teologico e la biblioteca dei domenicani a Padova nel
Tre e Quattrocento, op. cit., p. 55, p. 59.
20 Ms. Venise, Marciano lat. Ili, 96 (= 2504). Ce manuscrit appartenait à
Nicolas de Venise : A. Manfredi, Dispersione dei codici di umanisti a Pomposa tra
Quattro e Cinquecento, in La biblioteca di Pomposa, éd. G. Billanovich, Padoue,
1994, p. 319-349.
21 « . . .Item de quinta synodo ycumenica, si reperìatur et portetur. Item si repe-
riantur Epistole décrétâtes summorum pontificum ...et videre si Ulis Hormisde re-
peritur Thomus fìdei quem misit ad Iustinianum imperatorem et in ilia sit pars
« ...» sicut habebat liber domini cardinalis de Ursinis ...» transcription d'A.
Manfredi, La biblioteca di Pomposa, op. cit., p. 334.
22 Ibid., p. 332-333.
LE CONCILE D'UNION 345

d'un titre. D'une part il montre qu'Ambroise a travaillé de concert


avec les Dominicains à la collection des textes patristiques
nécessaires aux discussions avec les Grecs, d'autre part il est possible de
reconnaître dans le codex Vatican latin 314 l'un des manuscrits qui
furent empruntés à ce monastère au moment du concile. Des notes
marginales montrent qu'il servit de document de travail sur la
doctrine du Filioque, problème au centre des discussions pendant les
sessions de Florence.
Pour la recherche des textes, Ambroise Traversari fit aussi appel
aux bibliothèques des couvents florentins. C'est ainsi qu'il
correspondit avec l'abbé de la Badia. Cette maison possédait, en effet, un
nombre conséquent de livres grecs. Ambroise parle dans sa lettre de
l'un d'eux, écrit sur du papier de meilleure qualité que celui qu'on
trouvait habituellement en Italie, ce qui semble indiquer une origine
orientale. Ce livre contenait des oraisons de Grégoire de Nazianze,
auteur très souvent mis à contribution pendant les sessions
conciliaires. A la fin du manuscrit, se trouvait un ouvrage de Jean Beccos,
le patriarche qui avait conclu l'Union au concile de Lyon II : «quid-
dam etiam Joannis Patriarchae : ut non ex toto mentibus sit titulus
Ambrosium De Trìnitate latinum quaero ut videam incognitum hacte-
nus mihi tanti viri opus». C'était en effet un ouvrage assez rare dans
les bibliothèques italiennes. G. Mercati remarquait que cette lettre
était sans date et que le fait qu'Ambroise eût signé «.Filius tuus»
indiquait un écrit antérieur à la période du concile, puisqu'il ne porte
pas son titre de maître général des Camaldules23. Cependant, il faut
faire deux remarques : les ouvrages de Jean Beccos semblent avoir
beaucoup circulé à Florence au moment du concile et deux
manuscrits en apportent aujourd'hui le témoignage, les codices de la
bibliothèque laurentienne, conventi soppressi n° 603 et Plut. 4.22. Ce
dernier livre a été répertorié comme autographe du patriarche
unioniste : il date, en effet du XIIIe siècle, époque du concile de Lyon IL
Cette attribution n'est cependant pas certaine24. Mais ce qui est plus
important pour notre propos, c'est que des gloses marginales en
latin indiquent qu'il fut consulté et étudié plus tard, probablement par
quelque théologien dominicain. La première page porte la mention :
«Conventus Sancii Marci de Florentia O.P. de hereditate Nicolai de Ni-
colis». Ce manuscrit doit donc bien être replacé dans le cadre des
sessions du concile de Florence.
Ceci permet de penser que la lettre de Traversari, adressée à
l'abbé de la Badia, s'inscrivait dans sa collecte des textes en vue du

23 G. Mercati, Ultimi contributi alla storia degli umanisti, 1, Traversariana, in


Studi e Testi, 90, Rome, 1939.
24 Controversie dogmatiche del secolo XIII da un codice autografo di Johannes
Beccos, in Roma e l'Oriente, 4, 1914, p. 37-51, p. 168-174.
346 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

concile. La correspondance d'Ambroise montre que c'était sa


principale occupation en 1437 et 143825, dès avant l'arrivée des Grecs. Il
écrivit aussi à des collectionneurs italiens installés dans le monde
grec, tel Andreolo Giustiniani à Chios, en 1435. Il le remercie pour
les livres envoyés par l'intermédiaire d'un théologien franciscain,
Francesco da Pistoia.
La plus grande partie des textes fut donc rassemblée peu avant
le début du concile et au cours de l'automne 1438. C'est pourquoi,
pendant les sessions, la principale tâche d'Ambroise en fut la
traduction, pratiquement à la demande, au jour le jour et il y passait ses
nuits. Une séance de travail chez le cardinal Julien Cesarini nous le
montre. Le récit de Jean de Montenero O.P. et une lettre du cardinal
Julien en témoignent. On prépare alors la session du 10 mars 1439,
où l'on doit discuter sur le Contra Eunomium de saint Basile avec
Marc d'Ephèse. Jean de Montenero se trouve dans la maison du
cardinal, qui coordonne les travaux; Ambroise Traversari est également
présent, puis arrive le chancelier de la seigneurie, Leonardo Aretino,
qui apporte un très vieux manuscrit grec. Jean l'avait demandé car il
y cherchait une lettre de saint Basile «ad canonicos» disant que
l'Esprit Saint était la troisième personne en ordre et en dignité. Cette
lettre lui avait été indiquée par André Chrysobergès, qui était à ce
moment le spécialiste en patrologie grecque. Le manuscrit du
chancelier {Aretinus, dans les actes du concile) ne comprenait pas la
lettre mais les participants à cette séance de travail eurent la
surprise d'y découvrir des sermons de Basile qu'ils purent utiliser pour
leur démonstration. La lettre du cardinal Cesarini demande à
Ambroise la traduction du Contra Eunomium et le délai doit être court
puisque le cardinal lui demande de se consacrer entièrement à cette
tâche, toute affaire cessante26. Julien Cesarini ajoute que Giovanni
d'Arezzo lui a apporté un recueil de petits ouvrages de saint Basile,
le matin même, et lui a dit qu'il avait trouvé les lettres tant cherchées
de cet auteur, à la Badia florentine, parmi lesquelles celle qu'André
Chrysobergès avait indiquée. Ainsi peut-on reconstituer la cellule de
travail préparant les sessions de Florence : Julien Cesarini centralise
les informations et distribue les tâches, les humanistes florentins,
Leonardo Bruni Aretino, chancelier de la Seigneurie, Giovanni
d'Arezzo recherchent les textes demandés par les Dominicains, orateurs
au concile, Jean de Montenero et André Chrysobergès, puis
Ambroise Traversari fait les traductions. Giovanni d'Arezzo peut très

26 «.Perciò
25 Ibid., ep.lascia
n° 13tutte
du 27
le altre
Sept.occupazioni
1437; n° 18e du
datti
2 Avr.
anima
1438.
e corpo e di notte, a
tradurre dai greci, particolarmente di S. Basilio contra Eunomio, tu sai quanto sia
necessario», traduction en italien de C. Somigli, Camaldolese ο Un amico dei Greci :
Ambrogio Traversari, Arezzo, 1964.
LE CONCILE D'UNION 347

certainement être identifié à Giovanni Bacci, généralement appelé


Aretino du fait qu'il était né, comme le chancelier florentin,
Leonardo Bruni, à Arezzo. Solidement introduit dans les milieux
humanistes, il fut nommé clerc de la chambre apostolique grâce à l'appui
des Médicis, mais sans doute aussi en raison des services rendus
pendant le concile. Il s'agissait d'une charge importante et très bien
rétribuée puisqu'Eugène IV avait réduit le nombre des clercs afin de
ne pas trop diminuì · les revenus de chacun d'entre eux. Traversari
fit l'éloge de son caractère et de sa passion pour les lettres. Giovanni
Bacci fut l'un des commanditaires des fresques d' Arezzo, peintes par
Piero della Francesca27. Il appartenait donc à un groupe important
d'humanistes, liés par une solidarité géographique et des intérêts
culturels et religieux communs. Tout comme Poggio Bracciolini,
relation intime d'André Chrysobergès et secrétaire à la curie ou
Giovanni Tortelli, futur bibliothécaire de Nicolas V, le chancelier de la
République, Leonardo Bruni, Aretino, car il était, lui aussi,
originaire d'Arezzo.
La bibliothèque personnelle de Niccolo Niccoli fut mise à
contribution. Il était mort au début de l'année 1437, laissant, par
testament, la destinée de ses livres à un conseil de sages, parmi lesquels
se trouvaient Cosme et Laurent de Médicis. Il souhaitait que ses
livres servent au bien de l'humanité, ainsi que son ami Poggio
Bracciolini le dit dans son éloge funèbre. Ils furent tout d'abord déposés
à Sainte-Marie-des-Anges, le couvent d'Ambroise Traversari, pour
les travaux du concile, avant d'être transférés à San Marco en 144128.
La collection de livres de Niccoli était particulièrement riche en
patrologie. Il faut rappeler qu'il avait hérité des manuscrits de Manuel
Chrysoloras, dont il avait été l'élève. C'est pourquoi Ambroise
Traversari demanda à un de ses collaborateurs, le moine Michele, de lui
procurer son livre de saint Anastase et celui de saint Cyrille
d'Alexandrie, provenant de la bibliothèque de Niccoli. Aujourd'hui la
plus grande partie de ses livres sont encore conservés à la
bibliothèque laurentienne parmi les manuscrits répertoriés dans la
collection des conventi soppressi, car ils proviennent de San Marco. Il
serait fastidieux d'en donner la liste complète. Il suffit d'indiquer, par

27 Les fresques de Saint-François d'Arezzo témoignent des préoccupations


unionistes de ce foyer humaniste. Des personnalités de la délégation grecque y
sont représentées comme Jean VIII Paléologue et Bessarion, Carlo Ginzburg,
Enquête sur Piero della Francesca, Paris 1983.
28 II est inexact de dire que Nicolo Niccoli légua ses livres à Sainte-Marie-des-
Anges, comme l'a fait B. Meunier, Cyrille d'Alexandrie au concile de Florence, dans
Annuarium Historiae Conciliorum, 21, 1989, p. 147-174. Ils furent déposés au
couvent des Camaldules, à disposition d'Ambroise Traversari pour ses travaux au
concile, A. Manfredi, Per la biblioteca di Tommaso Parentucelli, in Firenze e il
Concilio del 1439, op. cit., p. 653.
348 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV* SIÈCLE

exemple, 34 volumes de saint Augustin, avec des traductions en grec


de Maxime Planude, 7 volumes grecs de saint Jean Chrysostome et 2
traduits en latin, 8 volumes de saint Jérôme... Les auteurs grecs
cités dans les actes du concile s'y trouvent : Cyrille d'Alexandrie,
Grégoire de Nazianze, saint Basile. Il possédait également un manuscrit
autographe de Jean Beccos.

3 - Des manuscrits pour le concile

II est donc possible de retrouver actuellement certains des


manuscrits qui ont servi aux discussions doctrinales avec les Grecs au
concile de Ferrare-Florence.
Trois d'entre eux portent des références explicites au concile.
Deux livres sont conservés à la bibliothèque laurentienne. C'est le
cas du Redi n° 167. Il comprend quatre traités contre les Grecs : le
traité de saint Thomas d'Aquin, quelques folios de celui de Bonac-
cursius de Bologne, le traité anonyme d'un Prêcheur de
Constantinople de 1252, le traité de Philippe de Péra. Sur le verso du folio 17,
fut noté : «B. Sampsonis procurator ordinis 1438, 4° die Martii, cor-
rexit hune tractatum ipso existente in Ferrano.»29. Les deux autres
sont des recueils de patristique. Le conv. soppr. 603 appartenait au
couvent d'Ambroise Traversari30. Ce recueil de patristique est
composé de 35 extraits de textes différents. Ils sont regroupés en
trois parties :
- du n° 1 au n° 8 : des témoignages des Pères et des synodes
latins sur la question du Filioque.
- du n° 9 au n° 29 : des témoignages grecs sur le même thème.
- du n° 30 au n° 35 : des textes variés, ajoutés ensuite, dont une
réfutation de Jean Beccos par Grégoire Palamas et celle de Bessarion
contre Palamas.
Il est fort possible qu'il soit le résultat du travail d'Ambroise
Traversari. Ce florilège avait pour but de démontrer la thèse latine du
Filioque. Comparé à l'argumentaire de Jean de Montenero, lors de
sa dispute avec Marc d'Ephèse, les ressemblances sont frappantes,
cependant il ne coïncide pas totalement. Etant donné les relations

29 B. Sampson était un frère du couvent des Carmes de Rouen, à Ferrare et à


Florence pendant le concile. C'est dans cette dernière ville qu'il mourut le 25
septembre 1439. Le propriétaire du Redi 167 était Geminianus de Inghiramis, prévôt
de l'église de Prato. Il légua ses livres à l'œuvre de S. M. del Fiore à Florence, peu
avant sa mort en 1460, D. Mafei, Proceedings of the 3rd International Congress of
Medieval Canon Law, Strasbourg, 1968, éd. Vatican, 1971, p. 217-218.
30 Manuscrit analysé par I. Ortiz de Urbina S.I., Un codice fiorentino di
raccolte patristiche, in OCP, 4, 1938, p. 423-440; voir également L. Caciolli, Codici di
Aurispa e di Traversari, in Firenze e il Concilio del 1439, t. 2, p. 616 sq.
LE CONCILE D'UNION 349

de travail très étroites entre Jean et Ambroise, il semble que les deux
hommes se soient référés à une source commune31. Mais il est
certain que le manuscrit a été remanié après le concile. Les cinq
derniers articles sont consacrés à une discussion de l'ouvrage de Jean
Beccos sur la procession du Saint Esprit. A la contradiction
apportée par Grégoire Palamas, répond celle de Bessarion, archevêque de
Nicée. Ce dernier texte fut donc écrit avant son élévation au
cardinalat par Eugène IV, en décembre 1439, puisqu'il ne porte pas ce titre.
La conclusion est la copie de l'acte d'Union, suivie d'un opuscule de
saint Basile sur la création. Ces textes n'ont pas été utilisés au
concile. L'ensemble du manuscrit est en grec, mais l'index qui a été
rédigé après coup est en latin. Le texte commence ainsi, sur le
premier folio : «Testimonia doctorum Romanae Ecclesiae de Processione
Spiritus Sancii producta in Octava concilio Fiorentina^. Ce titre
pourrait indiquer un usage grec de ce recueil. En effet pour les
Grecs le concile de Florence était le huitième concile œcuménique,
car ils avaient toujours refusé de considérer comme œcuménique
celui de 869-870, rétablissant le patriarche Ignace, après le schisme de
Photios. Le schisme grec fut officialisé en 1054, sous Michel Céru-
laire, mais datait en réalité de ce moment-là. Ce manuscrit, très
vraisemblablement traduit par Ambroise Traversari, était peut-être
destiné à l'usage de Bessarion. En effet ce dernier rencontra très
souvent en privé les théologiens latins. Les actes des conciles achetés
à Constantinople par Nicolas de Cuse lui furent prêtés et il les remit
à Ambroise. Lorsqu'ils furent devenus amis, en 1438-1439, ils
échangèrent des informations littéraires. Ambroise Traversari l'interrogea
sur un ouvrage traitant de la bibliothèque de Photios, qu'il avait reçu
de son correspondant de Chios, Andreolo Giustiniani. Il se trouve
actuellement à la Marciana de Venise, où sont conservés les livres de
Bessarion. Ce dernier avait prêté des manuscrits à Traversari pour
qu'il en fasse exécuter des copies, comme le gros ouvrage de Cyrille
d'Alexandrie contre Julien l'Apostat. Ces relations littéraires peuvent
donc étayer l'hypothèse d'un usage du conv. soppr. 603 par
Bessarion. Ce serait une copie du florilège préparé pour Jean de Montene-
ro, car l'article 1 indique de façon très explicite qu'il servit aux
discussions : «Testimonia sive auctoritates Doctorum latinorum quod
Spiritus Sanctus a Pâtre Filioque procedit aliata a Latinis florentiae in
santa œcumenica octava synodo quae etiam erunt in confutatione
propriae opinionis contradicentium sanctae huic synodo».
Le troisième manuscrit est conservé à la bibliothèque vaticane :

31 Β. Meunier, Cyrille d'Alexandrie au concile de Florence, dans Annuarium


Historiae Conciliomm, 21, 1989, p. 147-174.
350 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

le Vatican latin 314, dont il a été question plus haut. C'est aussi un
recueil d'autorités sur le thème de la Procession du Saint Esprit,
comprenant des ouvrages de Didyme d'Alexandrie, de saint Am-
broise, de saint Fulgence et de Nicétas, évêque. Ce manuscrit est en
relation étroite avec la bibliothèque du monastère de Pomposa. Il
contient, en effet, la transcription, datée de 1439, de la plupart des
textes d'un livre de la bibliothèque de ce monastère. Il est donc le
fruit des recherches menées par Nicolas de Venise dans ce même
monastère, comme nous l'avons vu plus haut32. Ce dernier
manuscrit, qui était la propriété de Thomas Parentucelli (futur Nicolas V),
contient la transcription d'une grande partie d'un manuscrit de
Pomposa aujourd'hui perdu. Le futur pape était le collaborateur de
Nicolas Albergati, participant au concile, lui aussi, et il connaissait
bien la bibliothèque de Pomposa33. Comme le miscellanee de
Nicolas de Venise (ms. Venise, Marc. III 96/2504), ce manuscrit regroupe
de nombreux extraits de patristique. Ce livre était un document de
travail comme le montrent les notes marginales de la main de
Thomas Parentucelli. Outre ce recueil de patristique, la bibliothèque de
Thomas de Sarzana contenait aussi les actes complets des premiers
conciles, dont il convient de noter qu'ils faisaient partie des livres
réclamés par le cardinal Julien34.
Un certain nombre d'autres manuscrits ont été aussi consultés
pour le concile sans que le texte l'indique explicitement. A Florence,
provenant de Sainte Marie Nouvelle, est conservé à la bibliothèque
centrale, dans la collection des conventi soppressi, le C 7-419, qui est
un recueil des principaux ouvrages de Philippe de Péra O.P.. On
pouvait s'attendre à ce qu'il y ait davantage de ce type de manuscrits
en provenance de ce couvent puisque les dernières sessions s'y
étaient déroulées. En fait, Eugène IV dut en emmener un certain
nombre lorsqu'il rentra à Rome, dont quelques-uns lui
appartenaient personnellement comme YAdversus Graecos de Manuel Calé-
cas (Vat. lat. 4064). Mais l'inventaire de sa bibliothèque révèle bien
d'autres livres se rapportant aux discussions doctrinales avec les
Grecs : plusieurs autres traités contre les Grecs, le Contra Euno-
mium de saint Basile, les actes des VIIe et VIIIe conciles. La plupart
de ces manuscrits portent les armes du pape.
La composition de la bibliothèque d'Eugène IV montre donc le
souci particulier qu'il avait de la réussite du concile d'Union c'est
pourquoi il l'avait préparé si soigneusement avec Ambroise Traver-
sari.

32 A. Manfredi, La biblioteca di Pomposa, op. cit., p. 337.


33 Ibid., p. 320.
34 A. Manfredi, Per la biblioteca di Tommaso Parentucelli, in Firenze e il
concilio del 1439, op. cit., p. 649-712.
le concile d'union 351

4 - Le déroulement du concile d'Union

La session inaugurale eut lieu le 9 avril 1438, un mois après


l'arrivée des Grecs. Le pape était pressé d'obtenir un accord rapide
parce qu'il avait à supporter les frais de séjour de la nombreuse
délégation grecque à Ferrare35. L'enjeu était politique aussi car il lui
fallait rallier les souverains d'Europe qui soutenaient encore les Pères
assemblés à Bâle, plus particulièrement, le roi de France, Charles
VII, et les princes allemands, avec à leur tête, l'empereur, Albert II
de Habsbourg. Les discussions devaient donc être menées avec
diligence afin d'aboutir rapidement à un acte d'union. Il en allait de la
crédibilité de son autorité.
Jean VIII Paléologue, chef de l'Eglise byzantine, et donc de la
délégation grecque, était beaucoup moins pressé. Il venait, avant
tout, chercher en Italie une aide militaire, devenue particulièrement
urgente. Il demanda quatre mois de délai avant de commencer les
discussions doctrinales. Doit-on en conclure que les Grecs n'étaient
pas prêts et avaient besoin de ces quatre mois pour se préparer à
affronter les théologiens latins? Ceux-ci s'efforcèrent néanmoins
d'obtenir des sessions préliminaires. Elles eurent lieu en mai et juin
après qu'une commission, comprenant dix membres de chaque
Eglise, eût choisi un thème de discussion36. L'empereur grec avait
interdit qu'on examinât, pour l'instant les divergences les plus
graves : la question de la procession du Saint Esprit et celle de
l'Eucharistie. Ils restait donc à examiner les problèmes de la primauté
du pape et du purgatoire. Ce dernier fut choisi, sans doute à la
demande de Marc Eugenicus, métropolite d'Ephèse, qui avait déclaré
avoir beaucoup de choses à dire sur cette question. Bessarion était
d'un avis différent. La délégation grecque fut pressée par les Latins
de donner une définition claire de leur doctrine sur le purgatoire,
mais ils n'y parvinrent pas, celle de Marc d'Ephèse ne faisant pas
l'unanimité parmi eux. Le délai imposé par Jean VIII pour aborder les
questions les plus importantes, les divisions qui apparaissent, dès le
début, chez les Grecs suggèrent donc une certaine impréparation.
Une épidémie de peste interrompit le cours du concile sans qu'on ait
pu avancer d'un pas. Les sessions officielles ne purent commencer
qu'en octobre. Pendant trois mois les orateurs s'affrontèrent sur le
Filioque du Credo des Latins. Onze sessions ne suffirent pas à
aboutir à un accord37. Ce problème pouvait s'envisager sur deux plans :

35 J. Gill, Personalities of the Council of Florence, Oxford, 1964; J. Décarreaux,


Les Grecs au concile de Florence (1438-1439), Paris, 1970.
36 J. Gill, Constance, Bâle - Florence, op. cit., p. 218.
37 G. Hofmann, Die Konzil Arbeit in Ferrara, dans OCP, 3, 1937, 1, p. 111-140,
II, p. 403-455.
352 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

l'addition du Filioque par les Latins était-elle licite? Cette position


doctrinale était-elle conforme à l'Ecriture et à la tradition? Alors que
Bessarion et Georges Scholarios auraient préféré situer le débat sur
le plan doctrinal, la majorité des Grecs choisit de prouver que
l'addition était illicite. Les discussions n'avaient fait qu'accentuer un
clivage préexistant dans la délégation byzantine. Bessarion et
Scholarios (un des trois philosophes laïcs), conseillers des théologiens
orientaux, avaient déjà tendance à se laisser convaincre par
l'argumentation des Occidentaux. Rappelons que Bessarion a, depuis
1437, des contacts avec les Latins, Ambroise Traversali, André Chry-
sobergès, pour ne citer qu'eux. Il sera nécessaire de se demander à
quel moment il a commencé à s'interroger sur la nature et le bien
fondé des divergences entre les deux Eglises.
Au début de l'hiver, l'épidémie faisait rage de nouveau, et
Eugène IV, fortement encouragé par la Seigneurie florentine, comme
nous l'avons vu plus haut, prit la décision de transférer le concile à
Florence. Il eut du mal à en convaincre les Grecs qui, divisés et
découragés par l'enlisement des discussions, ne songeaient qu'à
rentrer chez eux. D'autre part la curie subvenait avec difficulté à leurs
besoins. Les paiements se faisaient toujours attendre. Le patriarche
Joseph II était très âgé et sa santé était un grand sujet d'inquiétude.
Cependant le pape réussit à les décider. Ce serait, pour ses finances,
un soulagement car la Seigneurie prenait en charge les dépenses du
concile.
Les disputes doctrinales reprirent, donc, à Florence, à la fin du
mois de février38. Toutes les séances publiques se déroulèrent à
sainte Marie Nouvelle, dans le palais apostolique. Dès la session
préliminaire, on s'efforça de trouver une procédure plus efficace et plus
rapide. Les Grecs préféraient des rencontres privées. Mais Eugène
IV insista pour le maintien du dispositif habituel, dans les conciles :
des sessions publiques mais organisées de telle sorte qu'une
succession de questions et de réponses permettent une réelle discussion.
C'est ainsi que se déroulèrent, pendant le mois de mars, les huit
séances, où l'on aborda l'aspect doctrinal de la procession du Saint
Esprit, qui conditionnait l'addition du Filioque. Le ton de la
discussion monta peu à peu, si bien que le métropolite d'Ephèse,
principal orateur des Grecs, refusa de siéger aux deux dernières sessions.
Sûr de sa position, il se sentait acculé par les techniques de
discussion des Occidentaux. Ces derniers avaient réussi, par leurs
arguments, à impressionner certains membres de la délégation
byzantine, comme Isidore, métropolite de Kiev, Dorothée, métropolite de

38 G. Hofmann, Die Konzil Arbeit in Florenz, dans OCP, 4, 1938, p. 372-397.


LE CONCILE D'UNION 353

Mitylène, et Bessarion penchait de plus en plus de leur côté.


Cependant la majorité des Grecs continuait à penser, comme Marc d'E-
phèse, que la doctrine trinitaire des Catholiques était non seulement
erronée mais hérétique. En réalité on avait fort peu progressé sur la
voie de l'Union. Alors, Jean VIII proposa de nouveau les séances
privées, et on commença à travailler en commissions restreintes. Les
travaux durèrent jusqu'à la fin du mois de juin et cette nouvelle
procédure permit de parvenir à un accord sur les différents points de
divergence entre les deux Eglises : le 8 juin sur la procession du Saint
Esprit, du 16 au 24 juin, sur l'Eucharistie et la primauté du pape. Le
27 juin 1439 une délégation latine était envoyée chez l'empereur,
afin de l'informer que l'accord était réalisé39. Les trois principaux
membres en étaient André Chrysobergès, Fantino Vallaresso et
Christophoros Garatoni. Fidèles du pape et agents acharnés de la
politique d'Union, ils avaient l'honneur d'annoncer l'heureuse
conclusion de travaux, qui s'étaient avérés particulièrement longs et
délicats. Fantino Vallaresso, archevêque de Crète, n'apparaît dans
les sources conciliaires qu'à la fin. Il rentrait d'une mission de cinq
mois en France, dont le but était de rallier Charles VII à la cause
d'Eugène IV. Mais son ouvrage, le De Ordine generalium conciliorum
et unione fiorentina, permet de penser qu'il avait participé à la
préparation du concile.

5 - Les Dominicains au concile

Les documents officiels, actes du concile, lettres pontificales ne


donnent les noms que de quelques participants aux travaux
doctrinaux qui eurent lieu, pendant plus d'un an, à Ferrare et à Florence.
Ils ne mentionnent que les principaux acteurs. Il faut faire appel à
d'autres sources pour obtenir un tableau un peu plus complet de la
foule des théologiens, qui, de près ou de loin apportèrent leur
concours à ces travaux40. Ce sont, par exemple, la correspondance
d'Ambroise Traversati ou le nécrologe de Sainte Marie Nouvelle41, le
couvent qui accueillit la phase finale du concile. Tous ces
documents font apparaître une participation en force des Dominicains.

39 G. Hofmann, Formulae praeviae ad defìnitionem concilii Fiorentini de No-


vissimis, dans Gregorianum, 18, 1937, p. 337-360 et les articles parus dans Acta
Academiae Velehradensis , Prague, n° 13-15, 1937-1939, sur l'établissement des
formule du décret d'Union, le dernier numéro traitant de l'Humanisme au concile de
Florence. E. Candal, Processus discussionis de Novissimis in Concilio Fiorentino,
dans OCP, 19, 1953, p. 303-340.
40 G. Meersseman, Les Dominicains présents au concile de Florence jusqu'au
décret pour les Grecs, dans AFP, 9, 1939, p. 62-75.
41 S. Orlandi, // Necrologio di Santa Maria Novella, Florence, 1955.
354 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Lors de la phase préparatoire, le pape avait demandé aux ordres


mendiants de lui envoyer douze de leurs meilleurs théologiens. Ces
ordres constituaient, en effet, les forces vives de l'Eglise latine. Les
studia des Mendiants sont au cœur de l'Université, en cette fin du
Moyen Age. A partir du milieu du XIVe siècle, soit ils ont été
incorporés aux universités existantes, comme à Toulouse, à Salamanque,
à Bologne, ou à Padoue, soit la réunion des studia locaux est à
l'origine d'une nouvelle faculté de théologie, ainsi à Florence en 1349.
Les Frères Mendiants, ceux qui sortent gradués de ces universités,
constituent, donc, à ce moment, l'élite intellectuelle de l'Eglise.
D'autre part, depuis leur origine, ils avaient toujours été les plus
solides instruments du pouvoir pontifical, qui leur avait
généreusement accordé les privilèges nécessaires à l'essor de leur œuvre de
prédication contre les hérésies. Il est vrai que, parmi les Prêcheurs,
s'était élevée la voix discordante de Jean de Raguse. Mais le cas
paraît être isolé, si on ne tient pas compte du ralliement des Prêcheurs
de Savoie à Félix V. Ses confrères, Jean de Torquemada, Jean de
Montenero ou André Chrysobergès avaient fait preuve de leur
fidélité au Saint Siège, en prenant au besoin la parole devant les Pères de
Bâle. L'attaque de ces derniers contre les Mendiants, au cours du
concile s'inscrit dans ce contexte. La crise avait éclaté à cause d'une
plainte du clergé savoyard. En vertu de la bulle de Martin IV, Ad
fructus uberes, ils avaient le pouvoir de prêcher dans les églises
paroissiales sans avoir à demander l'autorisation du clergé local42. S'ils
avaient toujours usé de ce privilège avec précaution, leurs
interventions avaient parfois provoqué des heurts. Le concile de Bâle
avait donc adopté un décret supprimant ces privilèges. Les quatre
ordres mendiants formèrent alors un front uni et, Jean de
Montenero, auteur du traité Tractatus contra impugnantes privilegia fratrum
mendicantium, devint leur porte parole en 143543. Il obtint du pape
l'annulation du décret et, en juin 1437, alors que l'équilibre des
forces, à l'intérieur du concile, basculait en faveur d'Eugène IV, le
président du concile, Julien Cesarini, fit une déclaration publique
pour en avertir les Pères. Cette attitude du président Cesarini est très
significative de l'évolution de l'atmosphère du concile à ce moment.
Ardent défenseur de la cause conciliaire, il devenait plus circonspect
en raison du désordre qui s'installait peu à peu dans les débats.
Ainsi, soutiens zélés du pouvoir pontifical pour la plupart, les
mendiants fournirent-ils les valeureux combattants de la théologie

42 Ch. de la Roncière, L'enseignement de la foi dans l'Eglise latine : prédication


et prédicateurs, dans Histoire du Christianisme, 6, Paris, 1990, p. 355-395.
43 G. Meersseman, Giovanni di Montenero O.P., defensore dei Mendicanti,
Rome, 1938.
LE CONCILE D'UNION 355

catholique. Car les joutes verbales furent âpres et l'animation des


débats fut souvent ressentie comme un véritable combat. La maison de
Julien Cesarini, dont fut évoqué le rôle de coordinateur des travaux,
était comme une sorte de quartier général.
Les Dominicains montèrent donc en première ligne. Parmi les
principaux participants, ceux que les actes officiels indiquent
comme préparant les discussions et comme prenant la parole au
cours des sessions, se rencontrent toujours au moins deux
Prêcheurs, ainsi André Chrysobergès à Ferrare et à Florence.
Dans les conférences publiques qui se déroulèrent à Ferrare
pendant l'automne 1438 et à Florence, au cours du mois de mars
1439, André Chrysobergès est toujours présent. Dès le mois d'avril
1437, le pape l'avait fait revenir d'Orient afin qu'il puisse participer
au concile44. Cette lettre d'Eugène IV montre donc combien il
compte sur lui pour parvenir à conclure l'Union avec les Grecs, mais aussi
que ses derniers souhaitaient sa participation aux discussions.
Lorsque les actes grecs énumèrent les participants, il est cité en
deuxième position, derrière le cardinal Julien Cesarini, le président
de Bàie, qui vient de rallier le parti pontifical. Dès 1435, Ambroise
Traversari avait tenté d'obtenir qu'il abandonne la cause du concile;
il lui avait offert des livres et appris quelques rudiments de grec,
mais il n'avait pas réussi à le convaincre à ce moment.
La présentation du concile et de ses acteurs par le texte des actes
grecs appelle plusieurs remarques45. Une nouvelle fois, il est à noter
que le concile de Ferrare-Florence est toujours, dans les sources
grecques mentionné comme le huitième. De plus, le texte donne
l'ordre solennel dans lequel les personnalités sont entrées et se sont
assises. Il faut noter que l'empereur fut placé avant le pape. Pour la
délégation grecque, on notera que le texte ne donne que les trois
principaux participants. Marc d'Ephèse en est le chef, les deux
autres personnalités, chargées de représenter l'Eglise d'Orient, sont

44 «...exhortamur tuam fraternitatem,eidem [Greci] nihilominus mandantes,


ut tempore debito se conférât ad concilium prefatum, in quo speramus in domino
tuam doctrinam et virtutem plurimum profuturam », G. Hofmann, Epistulae ponti-
ficiae, op. cit., t. 1, n° 65.
45 «Acta sancii et œcumenici octavi concilii habiti a piissimo et Christo
amabil rege nostro et Romaeorum imperatore Joanne Palaelogo et sanctissimo et beatissi-
mo papa Eugenio antiquiorìs Romae et Joseph sanctissimo patrìarcha Constanti-
nopolitano ... Quibus in splendida urbe Ferraria congressis... a parte latinorum hi :
primus, cardinalis Julianus, vir maximae virtutis; secundus, metropolita Rhoden-
sis, nomine Andrea; tertius, episcopus Forliviensis; et quartus, frater Joannes qui
provincialis erat, sapientissimus, optimus theologus; a parte graecorum : primus
ille Dominus Marcus Eugenicus, metropolita Ephesius, secundus admirabilis prae-
sul Nicaenus, Bessario; tertius Isidorus Russiae. Qui cum convenissent omnes et
per ordinem sedissent ...», traduction latine de l'édition du texte par J. Gill, Acta
Graeca, Rome, 1953, p. 27.
356 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV* SIÈCLE

Bessarion et Isidore de Kiev46. La délégation latine était constituée


de quatre membres. En dehors du cardinal Julien, le pape avait
délégué d'éminents théologiens : deux Dominicains Jean de Montenero,
le provincial de Lombardie et André Chrysobergès; le troisième était
un Franciscain, l'évêque de Forli. Cette place d'André s'explique par
le fait qu'il fut le principal orateur durant les sessions de Ferrare.
Les actes grecs donnent aussi la liste des participants de la
première session (9 oct. 1438), où Bessarion prononça le discours
d'inauguration. Pour les Latins, s'étaient ajoutés le cardinal Firmanus,
Domenico Capranica, et deux moines, maîtres en théologie, dont les
noms ne sont pas précisés. Mais Jean de Montenero n'est pas dans
cette liste. Chaque parti ayant six orateurs, les trois autres
personnalités grecques étaient : Théodore, grand skevophylax, Théodore Bal-
samon, grand chartophylax, et le philosophe Georges Gemistos. Le
secrétaire qui a pris les notes pour les Latins, connaissait les deux
théologiens de son parti et en donne les noms : Petrus Perquerii
O.F.M. et Jean de saint Thomas de l'Ordre des Augustiniens. Mais il
y a une divergence entre les deux listes : pour les actes latins, Firma-
nus est remplacé par le provincial. D'autre part, il ne pouvait pas
préciser les noms des Grecs, et indique seulement : «quidam secula-
m» pour Gemistos et «duo cruciferi S. Sophiae quos cardinales vo-
cant». Ce manque de précision des rédacteurs des actes, pour le
parti adverse, signifie que les derniers nommés intervinrent peu.
André Chrysobergès est donc l'un des principaux acteurs à Fer-
rare. Il participa aux réunions préliminaires dont l'objet était de
définir l'organisation des sessions et les sujets qui seraient débattus.
Du côté des Latins, il était entouré des deux cardinaux : Julien Cesa-
rini et Domenico Capranica et de son confrère Jean de Torquemada.
A Florence, il ne fut plus le principal orateur car il semble
qu'Eugène IV lui ait préféré Jean de Montenero, en raison du ton
quelque peu vigoureux des propos qu'il échangea avec Marc d'E-
phèse. On retrouvera ce débat et toute sa violence dans le dialogue
qu'écrivit André contre Marc après la signature du décret d'Union.
Le pape rendit sans doute le théologien dominicain responsable du
piétinement des débats. Mais sa présence était néanmoins
nécessaire car un examen attentif des actes, tant grecs que latins, montre
qu'il était le consultant indispensable en matière de patristique
grecque. Au cours des sessions de mars, il intervint à plusieurs
reprises pour lire des textes en grec ou pour corriger des ambiguïtés
dues au transfert des concepts d'une langue dans l'autre. Le 20 juin
1439, il assiste à la séance de travail sur la primauté du pape et lit la

46 J. Gill, Personalities, op. cit.


LE CONCILE D'UNION 357

Donation de Constantin. Le 27, nous l'avons vu se rendre chez


l'empereur annoncer que l'Union était réalisée. Les sources officielles ne
le montrent pas aux séances de rédaction de l'acte final, mais il
apposa sa signature en bas du document47.
* Jean de Montenero, à Florence
Jean de Montenero, quant à lui, paraît, dans les sources, dès le
début des sessions publiques de Ferrare48. Originaire de la région de
Livourne, il avait fait toutes ses études au Studium de sainte Marie
Nouvelle où il était devenu maître en théologie. Les actes grecs
soulignent qu'il était un excellent théologien : «optimus theologus», de
même le chroniqueur sicilien Pietro Ranzano O.P., dans ses Annales
Omnium Temporum, indique son habileté dans les discussions et ses
qualités de philosophe49. Il faut, certes, se méfier de la complaisance
toute confraternelle de l'auteur, il n'en reste pas moins que Jean de
Montenero fut un orateur brillant pour la cause du Catholicisme et
qu'il fut écouté. Son caractère sans doute plus souple que celui
d'André Chrysobergès peut aussi expliquer son succès. Il se sentait
beaucoup moins partie prenante que son prédécesseur pour qui l'enjeu
était aussi l'avenir de sa patrie.
Jean de Montenero était, au moment où le concile se réunit,
provincial de Lombardie, les actes le désignent sous le vocable «provin-
cialis», sans autre précision. Il est donc situé à un rang important de
la hiérarchie de l'ordre, qu'il occupa de 1430 à 1445. Le maître
général, Barthélémy Texier, l'avait choisi pour le représenter aux
premières sessions officielles du concile. Auparavant, Jean de
Montenero avait été délégué d'Eugène IV au concile de Bàie de 1431 à 1437.
Cette année-là, ce dernier prononça, pour la fête de Saint Pierre et
Paul, un discours, où il défendait la place du pape à la tête de
l'Eglise50. Il semble, en effet, que le Maître Général de l'Ordre n'y
assistât que de façon intermittente, sans doute était-il très occupé à
mettre en œuvre la réforme de l'Ordre. Il était remplacé par Jacques
de Regno, procureur général, à partir de la troisième session, le 10
janvier 1438, et, sans doute, pendant une grande partie de cette an-

47 A. Mercati, // decreto d'Unione del 6 luglio 1439, nell'archivio segreto


vaticano, dans OCP 11, 1945, p. 5-44.
48 Voir liste des Prêcheurs.
49 «non theologus tantum sed philosophus quoque sua aetate ementissimus in
disputando maxime copiosus maximeque acutus omnium judicio habitus est,
ideoque Graecos ipse saepenumero vicit», Pietro Ranzano, Annales Omnium
Temporum, Ms. Bibl. communale de Palerme, 3 Qq. C. 54-60, vol. VIII. Sur cet
humaniste sicilien, voir V. Fera, Cultura classica e mediazione umanistica negli Annales
di Pietro Ranzano, in La cultura siciliana del Quattrocento, Messine, 1988, p. 1-26.
50 S.S. Manna, L'autorità del Papa negli interventi del Giovanni di Montenero,
in Christian Unity, op. cit., p. 445-469.
358 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV- SIÈCLE

née-là. Gui Flammochet, prieur du couvent de Chambéry, prit sa


suite à partir du mois de septembre jusqu'en février de l'année
suivante. Ce sont eux qui ont la charge de répartir la subvention
accordée par le pape aux théologiens qui collaborent aux travaux du
concile, comme l'indiquent les registres de la chambre apostolique.
Le maître général, Raymond de Capoue, avait commencé à
mettre en place la réforme au début du siècle, mais elle se heurtait à
de nombreuses et vigoureuses résistances. L'élection de Barthélémy
Texier, en 1426, avait manifesté les divisions de l'Ordre face au
mouvement de l'Observance51. Entre les partisans de ce mouvement,
puissant surtout en Italie, et ses adversaires, Barthélémy était
apparu comme un candidat neutre. Mais il mit rapidement en place un
programme de réformes soutenu par Martin V puis par Eugène IV.
En effet ce dernier fut élu au couvent dominicain de la Minerve à
Rome. Cette élection était une victoire pour les partisans de
l'Observance. Gabriel Condulmer, neveu de Grégoire XII, entré dans l'ordre
des Augustiniens, en même temps que Jean Dominici, chez les
Dominicains, appartenait à un groupe de prélats très favorables à la
réforme des ordres monastiques. Il observait, dans son palais, le plus
possible la règle de son ordre et il avait réduit au maximum le
personnel qu'il avait à son service. Il avait placé son ami, Ambroise Tra-
versari, à la tête des Camaldules afin qu'il puisse mettre en œuvre la
réforme dans son ordre aussi. Le pape acceptait donc avec
bienveillance l'absence du maître général des Prêcheurs, qui consacrait son
temps à cette tâche. Barthélémy Texier assista cependant à un bon
nombre des sessions de Florence, mais il était déjà reparti au
moment de la signature de l'acte d'Union.
Si Jean de Montenero est cité dans les actes grecs à la quatrième
place dans la liste des intervenants latins, c'est en raison, surtout de
sa qualité de théologien eminent, même si, en fait, il n'a un rôle
officiel qu'à partir des sessions de mars à Florence, sur la question de la
procession du Saint Esprit. Il est, alors, le principal orateur de la
délégation occidentale.

* Jean de Torquemada, Defensor Fidei, entre le concile et


l'Allemagne.

Mais André Chrysobergès et Jean de Montenero, tout comme


Jean de Torquemada52, participèrent activement aussi aux
commissions privées. Les actes grecs et latins ne donnent pas d'informations

51 A. Mortier, Histoire des Maîtres généraux, op. cit., t. 4, p. 145-146.


52 Voir Index des Prêcheurs.
LE CONCILE D'UNION 359

sur celles-ci et il faut faire appel à d'autres sources. Ces documents


ont été rassemblés par O. Giustiniani et E. Cecconi à partir de
différents manuscrits, dont trois contiennent une source importante, le
De Synodis et ecclesiastica potestate libri IV ad Eugenium IV de Jean
de Ley O.P.53. Ce dernier participa aux travaux du concile. Nous y
reviendrons.
Jean de Torquemada fut le principal orateur latin à intervenir
sur la question du purgatoire, au cours des sessions de mai et juin
1438. Mais il disparaît des sources conciliaires pendant près d'un an.
Le pape lui avait, en effet, confié d'autres missions.
Né à Valladolid en 1388, oncle du fameux inquisiteur Thomas de
Torquemada, c'était, lui aussi, un eminent théologien. Il avait fait
ses études à Paris : licencié en théologie en 1424, il avait été gradué
maître en 1425. Il s'était distingué, au concile de Bâle, comme
défenseur du pouvoir pontificai. Il était à Bâle en qualité de délégué du roi
de Castille, Jean II, qui soutenait fidèlement le pape. Il fut admis à
participer aux travaux du concile le 30 août 1432. Le roi avait, en
effet, retardé sa venue, attendant que le conflit entre le pape et le
concile se calme. Il avait choisi Jean de Torquemada en raison de
son attachement à la primauté du pape et il fallait une amélioration
de la situation afin qu'il puisse intervenir. Par ailleurs, le roi de
Castille ne souhaitait pas que la mission de son délégué cautionnât le
schisme du concile. Cependant la situation était restée très délicate,
même après l'intervention des ambassadeurs d'Eugène IV, Jean de
Tarente et André Chrysobergès, comme il le dit dans son rapport au
roi daté de septembre 1432 54.
Jean de Torquemada fut libéré de la mission que lui avait
confiée le roi de Castille au cours de l'année 1434. Cependant sa
présence, à Bâle, est attestée en 1435. A ce moment, il a reçu la charge
de Maître des écoles du Sacré Palais, peut-être depuis l'année
précédente55. En juin 1435, il fut chargé par Jean de Montenero, sans
doute, an nom de la nation italienne, d'examiner le traité d'Agostino
Romano «De sacramento unitatis Christi et ecclesiae». Les
propositions de l'auteur avaient provoqué de vives réactions parmi les Pères
du concile : il y affirmait, par exemple que le pape n'était pas la tête
du corps mystique de l'Eglise. Une session publique fut donc fixée
pour en débattre. Elle ne put avoir lieu qu'en juillet car le débat sur

53 Voir liste des Prêcheurs et Th. Kaeppeli, SOP MA 2, op. cit., p. 469-470,
SOP MA 4, p. 157.
54 V. Beltran de Heredia, Noticias y documentas para la biografia del cardinale
J. de Torquemada, dans AFP 30, 1960, p. 58-143.
55 K. Binder, // magistero del Sacro Palazzo Apostolico del cardinale di
Torquemada, in Memorie Domenicane, 71, 1954, p. 3-24.
360 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

les annates s'était prolongé. Sa relation se termine ainsi : «explicit


votum magistrì Johannis de Turrecremata, Apostolici Palatii magistri,
super primo tractatu magistri Augustini di Roma...; ita compilatum et
scriptum, redactum ad mandatum inclitae nationis Italicae...». Le
fait qu'il fût mandaté par la nation italienne laisse à penser qu'il
exerce sa charge à la tête de l'université apostolique depuis quelque
temps déjà, et c'est en cette qualité que les Italiens lui avaient
demandé cette intervention. Ce document prouve donc que Jean de
Torquemada participe toujours aux travaux du concile, mais que
désormais il y représente le Pape. Ce document montre aussi qu'il
devait travailler avec Jean de Montenero dès ce moment-là. Lors-
qu'Ambroise Traversari, accompagné d'Antoine de Vito, l'auditeur
du Palais Apostolique, vint prendre la mesure du crédit du pape au
concile, en août 1435, il le rencontra donc très certainement. C'est
pourquoi, lorsqu'il prépare le concile d'Union, il le recommande à
Eugène IV en des termes très élogieux56. Il n'est pas surprenant de
voir les deux Dominicains associés dans la même lettre d'Ambroise
Traversari et dans la même perspective : les discussions doctrinales
avec les Grecs. Le Général des Camaldules avait apprécié, chez eux
la fidélité et la compétence en matière de théologie. Sylvestre Syro-
poulos remarqua lui aussi les qualité d'esprit de Torquemada :
« C'était un homme très versé dans les sciences profanes, habile
dialecticien, d'esprit fertile et astucieux et à l'aise dans le maniement de
la parole»57.
Tout comme André Chrysobergès, Jean de Torquemada était un
homme du pape. Eugène IV l'envoya, en 1437, avec son
ambassadeur, Jean Aurispa, auprès du roi de Castille afin qu'il délègue des
représentants au concile, transféré à Ferrare. Jean Aurispa était un
humaniste sicilien, collectionneur de manuscrits grecs58. Il
connaissait très bien les affaires d'Orient pour y avoir fait de très fréquents
voyages. On se rappellera qu'il avait authentiqué la relation de la
mission d'Antoine de Massa O.F.M., en 1422, alors qu'il était
secrétaire, en compagnie de François Filelfe, à la chancellerie impériale à
Constantinople. Il était toujours resté en relation avec les Grecs
partisans de l'Union et, en 1434, il avait traduit le discours de
l'ambassadeur byzantin Jean Dishypatos, au concile de Bâle.

56 «Commendavi tuae pietati Johannem de Turrecremata, hominem singula-


rem et integerrimum. Alium de Monte Nigro non dissimilis meriti advocandum pro-
videat Sanctitas tua.», E. Cecconi, Studi storici sul concilio di Firenze, op. cit.,
n° CLV.
57 Mémoires du grand ecclésiarque Sylvestre Syropoulos, édition et traduction
de V. Laurent, op. cit., p. 289.
58 R. Sabbadini, Carteggio di Giovanni Aurispa, Rome, 1931.
LE CONCILE D'UNION 361

Pendant les sessions publiques de Ferrare et de Florence, Jean


de Torquemada était en Allemagne afin d'obtenir de l'empereur et
des princes qu'ils abandonnent leur soutien au concile de Bàie. Il
intervint devant les diètes de Nuremberg et de Mayence. Il prononça
au moins un des deux discours qu'il avait préparé sur le thème de la
défense de la primauté du pape59. Depuis sa réfutation du traité
d'Agostino di Roma, il avait beaucoup travaillé cette question et, à la
demande du cardinal Julien, il avait composé un florilège de
citations de saint Thomas sur ce sujet : Flores sententiarum D Thomae
Aquinatis de auctorìtate Summi Pontiflcis collecti in concilio basïlien-
si anno 1437 jussu cardinalis Juliani60.
Il rentra en Italie au printemps 1439 pour se consacrer aux
travaux du concile. Au cours des sessions des 16 et 20 juin, Jean de
Montenero et Jean de Torquemada prirent la parole tour à tour. Le
premier défendit la thèse latine sur la primauté romaine et le second
intervint sur la question de l'Eucharistie. Cette répartition des sujets
peut paraître étrange, si l'on considère que Torquemada étudiait et
soutenait, depuis plusieurs années, le primat du pape. Elle peut
néanmoins se comprendre si l'on se souvient des relations de travail
qui s'étaient établies entre les deux Dominicains pendant le concile
de Bâle. Us étaient entourés d'un groupe conséquent de théologiens,
rassemblés à sainte Marie Nouvelle pour le concile. Leur formation
de prédicateur leur avait donné, d'autre part, une culture
théologique telle qu'ils pouvaient aborder de nombreux sujets.
Après la signature de l'acte d'union, Jean de Torquemada fut de
nouveau envoyé à l'étranger par Eugène IV. Il se rendit en France
pour de difficiles négociations, auprès de Charles VII, sur la guerre
contre l'Angleterre et sur les relations entre la France et le concile de
Bâle. C'est ainsi qu'il reçut le chapeau de cardinal à Bourges. Il avait
été élevé à ce rang si eminent, en décembre 1439, en même temps que
Bessarion, en raison des services rendus à l'Eglise pendant le concile.
Ainsi les principaux orateurs latins à Ferrare et à Florence
furent-ils trois Dominicains. Il faut toutefois mentionner le
franciscain, Louis, évêque de Forli, qui fit deux longues interventions, les 8
et 11 novembre 1438. Il reprit l'argumentation d'André Chrysober-
gès, mais sur un ton plus conciliant. Le débat ne progressait guère,
cependant, et Julien Cesarini prit la parole. Il fut pratiquement le
seul à intervenir pour les Latins, au cours des sessions suivantes.
Son discours impressionna beaucoup Bessarion. Il prit ensuite

59 G. Hofmann, Papato, conciliarismo, patriarcato (1438-1439) teologi e


deliberazioni del concilio di Firenze, in Miscellanea Historiae Pontificiae II, 2, Rome,
1940; Th. Izbicki, Protector of the Faith, Card. J. de Turrecremata, Washington,
1981.
60 Th. Kaeppeli, SOP MA 3, op. cit., p. 24-42.
362 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

souvent la direction des discussions. Les Prêcheurs n'ont donc pas


monopolisé le débat, mais ils l'ont dominé très largement.
* Les autres Prêcheurs du concile.
Autour des trois principaux orateurs dominicains, était
rassemblé tout un groupe de collaborateurs. Certains furent interprètes. Le
principal traducteur de la délégation grecque était Nicolas Sagundi-
nos. Après le concile, il s'installa en Italie et se convertit au
Catholicisme à cause de la réaction du peuple grec contre l'Union : sans
doute avait-il été convaincu par les arguments des théologiens
occidentaux. Mais les Dominicains d'Orient avaient préparé le départ
des délégations de leurs régions. Simon de Candie fut l'interprète du
plénipotentiaire de l'empereur byzantin, Manuel Tarchaniotès, il
l'accompagna entre Bologne et Bâle, en 1437, où il négociait la
préparation du concile. Thomas Simonian de Caphasta eut le même
rôle entre les Arméniens et le consul de Caffa, en 1438. Ce qui permit
l'envoi d'une délégation de l'Eglise d'Arménie à Florence.
D'autres Prêcheurs s'illustrèrent par leurs sermons, tel Léonard
Matteo d'Udine, Dominique Corella, qui était provincial de la
province romaine ou Jérôme Jean, le protagoniste de Jean de Raguse au
concile de Sienne, nommé ensuite provincial de Grèce par le maître
général, Leonardo Dati61. Ces deux derniers étaient des spécialistes
de Dante, titulaires d'une chaire à l'université de Florence.
Les archives de Sainte Marie Nouvelle, le livre des comptes et le
nécrologe, de même que les actes de la chambre apostolique,
permettent de retrouver quelques uns des douze théologiens
dominicains demandés par Eugène IV, soit parce qu'ils reçurent des
subsides du pape, soit parce qu'ils payaient une pension au couvent62.
Gui Flammochet, prieur de couvent de Chambéry, recevait une
subvention mensuelle pour l'entretien de six théologiens. Il représentait
le maître général de l'Ordre, Barthélémy Texier, à Ferrare, comme il
a été dit plus haut. Parmi ces théologiens, se trouvent deux Anglais,
Frère Guillaume et Maître Gauthier. Le premier est signataire des
actes de la cinquième session, le 11 février 1438, avec trois autres
Dominicains, Jean de Verceil, Jean Sancii et Jacques de Valence. Il faut
remarquer l'importance de la représentation de l'ordre des
Prêcheurs, lors de cette session : sur sept théologiens, quatre sont
dominicains.
Le livre des comptes de sainte Marie Nouvelle nous donne le
nom de certains des participants, comme Jean de Torquemada, Jean

n° 647.
61 Jérôme Jean, // necrologio di Santa Maria Novella, éd. S. Orlandi, op. cit.,
62 G. Meersseman, Les Dominicains présents au concile de Florence jusqu'au
décret pour les Grecs, dans AFP 9, 1939, p. 62-75.
LE CONCILE D'UNION 363

de Montenero et Nicolas de Venise, qui payaient une pension au


couvent parce qu'ils n'étaient pas de la province romaine à laquelle
appartenait sainte Marie Nouvelle. André Chrysobergès n'apparaît
pas dans les comptes. Familier du pape, il est possible qu'il fût logé à
ses frais.
C'est ainsi qu'un collaborateur important n'apparaît pas dans les
sources, il s'agit de Jean Ley O.P. Il était Prêcheur de la province
romaine et avait donc pu être hébergé gratuitement à Florence. Ses
ouvrages prouvent qu'il a assisté aux travaux du concile63. Thomas
Kaeppeli O.P. a recensé six œuvres pouvant lui être attribuées.
Quatre d'entre elles le sont avec certitude : le De Synodis et ecclesia
potestate et le De Visione beata, deux traités qu'il dédia à Eugène IV
et deux autres, le Dialogus Fr. Johannis Leonis de Roma de
temporibus antechristi et le Liber adver sus perftdias schismaticorum. Ce
dernier ouvrage appartint également au pape Eugène IV. Un traité De
azymo et fermentato et les Gesta conciliorum ferrariensis et fiorentini
sont anonymes, mais il y a tout lieu de penser que ces livres sont de
lui. Les Gesta sont, en effet, transcrits à la suite du De Synodis64. Ce
dernier ouvrage est une polémique contre le concile de Bâle, écrit en
1437-1438. Il y justifie le transfert du concile à Ferrare par le pape.
Le second était conçu pour lui faire suite, mais il ne s'agit que de
notes rassemblées sans travail de rédaction. Cet ensemble de textes
permet de prouver la collaboration de Jean Ley au concile car, dans
le premier livre, il raconte que voulant préparer la discussion sur
certaines questions dogmatiques, il avait d'abord été obligé de faire
une histoire des conciles, c'est ainsi que s'introduit la controverse
sur Bâle, le second rassemble des notes prises au fil des sessions, où
se sont glissés des souvenirs personnels. Deux autres ouvrages ont
un rapport avec les questions débattues avec les Grecs : De azymo et
fermentato et De Visione beata. Ce dernier, dans la perspective du
débat sur le purgatoire, défend la vision béatifique de l'essence divine
par les âmes des justes après la mort, point de foi contesté par les
Grecs. Jean a ainsi préparé par son traité, la définition dogmatique
qui sera imposée par les Latins dans l'acte d'Union avec la formule
«animas purgatas». Il est donc possible qu'il ait participé à la
commission, réunie à Ferrare, le 4 juin 1438, afin de mettre au point
la formule sur le purgatoire. E. Candal, dans son édition du traité De
Visione beata65, indique la composition de la délégation latine : les
cardinaux Cesarini et Albergati et les Dominicains Chrysobergès et

63 G. Meersseman, Les œuvres de Jean Ley O.P. se rapportant au concile de


Ferrare - Florence, dans AFP 9, 1939, p. 76-83.
64 Mss. Vaticani latini 4128 et 7316 de la première moitié du XVe siècle.
65 E. Candal, De visione beata, Jean Ley O.P., dans Studi e Testi 228, Rome,
1963.
364 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Torquemada; il pense que d'autres personnalités en faisaient partie,


puisqu'elle était composée de seize membres, comme Louis de Forli,
Jean de Montenero, Andres de Escobar, Fantino Vallaresso et Jean
Ley.
D'autre part, celui-ci a abordé, dans la deuxième partie de son
traité, le problème de la vision divine, touchant ainsi à la polémique
palamite. Les Latins avaient, en effet, pensé un moment que cette
question serait traitée au cours du concile, c'est le thème de la lettre
d'André Chrysobergès à Bessarion, à la fin de l'année 1437; on y a
renoncé, il faudra envisager les raisons de cette impasse sur un
problème aussi sensible.
Jean Ley était sans doute l'un des deux collaborateurs de Jean
de Montenero, mentionnés par les mandata cameralia de 1438-1440.
Le second pouvait être Nicolas de Venise, provincial de Lombardie
inférieure, mandaté par la chambre apostolique pour sa recherche
de livres au monastère de Pomposa, dans sa province. Il en a été
question plus haut. Mais on lui connaît deux autres compagnons, tel
Louis de Pise, dont le chroniqueur sicilien, Pierre de Ranzano O.P.,
dit qu'il était un spécialiste en théologie positive. Le second est Jean
de Colonia, qui reçut du pape une récompense pour les services qu'il
avait rendus à Montenero66. Ce document montre donc que les
Dominicains travaillèrent aux discussions avec les Grecs, mais aussi
avec les autres Eglises orientales et qu'ils parcoururent le monde
afin de mettre en œuvre les accords conclus, comme nous le verrons
plus loin. Mais arrêtons nous encore un instant sur le lien entre la
question du schisme grec et celle du primat du pape à propos d'un
document inédit, une lettre d'André Chrysobergès à Fantino
Vallaresso, archevêque de Crète67. Ce texte n'est pas daté mais semble
remonter au pontificat de Nicolas V : «Beatum Dominum Nico-
laum». André Chrysobergès, sans doute à la curie, relate la venue de
l'émissaire du roi de France Charles VII, Thomas Narducci. Ce
dernier avait été envoyé en France par Eugène IV en 1442 afin de
préparer la venue du nonce apostolique, le juriste vénitien Pierre dal
Monte, célèbre pour ses ouvrages en faveur des prérogatives
pontificales. Une allusion au concile de Bâle : «His nunciis pene omnes
recreati sunt nec dubitant temeritatem illam Basiliensium et incredibi-

66 bulle du 1er juin 1447 «...non ignarus solicitudinis et laborum quos tu una
cum quondam Johanne de Monte Nigro dicti ordinis professore pro arduis negotiis
sacrosancte universalis ecclesie et catholice fidei tam in reductione Grecorum quam
nonnullarum aliarum nationum ad prefatam fidem per varias mundi partes pera-
grando indefesse pertuleras et animadvertens te senio confractum ...».
67 Ms. XVe s., BAV, Barb. lat. 1809, f° 608v-609v. Cet épistolaire contient
également une lettre d'Antonius Panormitanus à Poggio Bracciolini et une autre de
Poggio à Panormitain, ce qui montre encore une fois les liens entre André
Chrysobergès et les Humanistes italiens.
LE CONCILE D'UNION 365

lem audaciam ultore deo in nïhïlum redigi debere», et une autre aux
affaires grecques montrent que, pour les deux prélats, ces questions
sont liées. Ce document qui doit dater des années 1443 à 1447, car
André est encore archevêque de Rhodes, évoque donc les tractations
diplomatiques qui précédèrent l'abrogation de la Pragmatique
Sanction de Bourges68. Les deux archevêques avaient travaillé ensemble à
Florence pour l'Union des Grecs, ils étaient toujours en relation,
fidèles du pape, afin d'achever l'œuvre du concile, pour les affaires
concernant l'autorité du pape sur l'Eglise.
Comme nous l'avons vu à propos de l'action de Jean Stoikovic
de Raguse, pour les principaux intervenants dominicains au concile,
la question du schisme grec était liée à celle du primat du pape. Les
conciles de Bàie et de Ferrare-Florence furent en effet l'occasion
d'un renouveau du papalisme dominicain. Que ce soit Jean de Mon-
tenero, Jean de Torquemada, Jean Ley ou même André Chrysober-
gès dans son sermon de Bâle, tous intervinrent et écrivirent des
ouvrages afin de défendre le pouvoir du pape à la tête de l'Eglise
universelle. Ils se sentaient investis d'une double mission : réussir
l'Union pour réaffirmer le pouvoir pontifical. Mais le lien entre la
primauté et la procession du Saint Esprit était encore plus profond
car il constituait l'aspect ecclésiologique d'une question
dogmatique : il s'agissait, en effet, de défendre l'autorisation par le pape de
l'addition du Fïlioque au symbole de Nicée69.
Ainsi, malgré une certaine imprécision des sources, qui ne
donnent les noms que des principaux intervenants au concile, peut-
on, néanmoins, se faire une idée de l'importance des moyens
humains et intellectuels qu'Eugène IV avait pu mobiliser afin de
parvenir à un accord avec l'Eglise grecque. L'ordre des Prêcheurs
contribua pour beaucoup dans cette réussite car il avait, en son sein, les
hommes de la situation. Avant d'aborder les spécificités de l'école
théologique des Dominicains, voyons leur rôle dans les suites du
concile de Ferrare-Florence.
L'Union de l'Eglise grecque fut célébrée solennellement dans la
cathédrale de Florence, sainte Marie des Fleurs, le 6 juillet 1439. La
cathédrale, couronnée de la coupole de Brunelleschi, manifestation
des nouvelles formes esthétiques qui s'épanouissaient alors en
Toscane, avait été consacrée trois ans auparavant par Eugène IV, à la
fin de son précédent séjour à sainte Marie Nouvelle. Cette
célébration fut suivie de deux autres, de celle de l'Union des Arméniens, le
22 novembre 1439, puis de celle des Coptes et des Ethiopiens, le 4 fé-

68 N. Valois, Histoire de la Pragmatique Sanction de Bourges sous Charles VII,


Paris, 1906.
69 Th. M. Izbicki, The Council of ΐ errara-Florence and Dominican Papalism,
dans Christian Unity, op. cit., p. 429-443.
366 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

vrier 1442. Je n'envisagerai que la première car elle est étroitement


liée à l'Union des Grecs à de nombreux points de vue.

6 - Après l'Union des Grecs

Ce lien entre Grecs et Arméniens est tout d'abord spatial. Les


deux communautés cohabitaient souvent sur le même espace
géographique, comme les colonies marchandes de la mer Noire. D'autre
part la province dominicaine d'Orient, c'est à dire la Société des
Frères Peregrinante, regroupait aussi bien les couvents implantés en
terre grecque que ceux qui constituaient la congrégation des Frères
Unis d'Arménie, comme il a été indiqué dans la première partie de
cette thèse. Enfin le lien temporel entre l'Union des Grecs et celle
des Arméniens est évident puisque les deux événements se succèdent
à un intervalle de trois mois. Les mêmes hommes et les mêmes
principes s'y retrouvent. Nous avons déjà vu Thomas Simonian O.P.
jouer le rôle d'interprète entre le consul de Caffa et la communauté
arménienne pour qu'elle envoie une délégation à Florence. Nous
retrouvons Jean de Montenero avec un rôle majeur dans les
discussions dogmatiques. Il travailla en collaboration avec Thomas Pa-
rentucelli, le futur pape Nicolas V. Deux Franciscains ont,
également, participé à l'union des Arméniens. Ils sont mentionnés dans
les comptes de la chambre apostolique. Jacques de Primadizi était
allé chercher les Arméniens et les accompagna à Gênes puis à
Florence. Le Frère Basile était l'interprète de la délégation arménienne.
Jean de Montenero, quant à lui, est mentionné dans les comptes
du Vatican du 2 octobre 1438 jusqu'au 31 décembre 1439. Mais sa
participation est aussi attestée par des lettres du Doge de Gênes,
Thomas de Campofregoso. La cité génoise était très concernée par la
réussite de l'Union des Eglises d'Orient en raison de l'importance de
son domaine colonial. Il s'étendait, ainsi que nous l'avons vu, de la
mer Noire jusqu'à Chypre, points dispersés sur le littoral : Péra, près
de Constantinople, Caffa et les comptoirs commerciaux de Crimée,
Chios et Lesbos, Famagouste à Chypre et les comptoirs de
Méditerranée orientale, comme Phocée en Asie Mineure. Ainsi que nous
l'avons vu, les autorités génoises veillaient attentivement sur la paix
religieuse de leur empire, l'application des décrets d'Union ne pouvait
donc que leur importer fortement.
Thomas de Campofregoso, dans une de ses lettres, montre Jean
de Montenero, qui était l'un de ses sujets, comme l'architecte de
l'union des Arméniens. C'est lui qui l'a choisi comme chef de la
délégation latine à Florence en raison de ses qualités qui en faisait la
personnalité la plus qualifiée pour cette tâche. Il avait fait part de ce
choix et au pape et au Dominicain.
LE CONCILE D'UNION 367

Cette recommandation est donc bien la preuve du rôle eminent


joué par Jean de Montenero au cours des discussions avec les
Arméniens, qui étaient nombreux à Caffa, mais le texte, même, du décret
d'union atteste qu'il en fut bien le maître d'œuvre. En effet le texte
du décret d'union des Grecs a beaucoup été mis à contribution et
celle-ci est évoquée à plusieurs reprises dans la narratio de la bulle
des Arméniens. D'autre part celle-ci est profondément marquée par
la doctrine de saint Thomas. La présence de cette influence du
grand docteur de la théologie dominicaine atteste, justement, la
profonde empreinte des Prêcheurs dans toutes les discussions qui se
sont déroulées pendant deux ans avec les Eglises orientales.
L'honneur de la publication de la bulle d'union, à sainte Marie
des Fleurs, revint au moine arménien Nersès, qui devait appartenir à
la congrégation des Frères Unis d'Arménie, affiliée à l'ordre des
Prêcheurs.
Jean de Montenero était donc le seul des trois grands orateurs
dominicains à être resté à Florence, en cette fin d'année 1439. En
effet, nous avons vu Jean de Torquemada, partir en France négocier
afin d'obtenir l'abolition de la Pragmatique Sanction de Bourges,
ordonnance du 7 juillet 1438, qui soutenait le concile de Bâle contre le
pape70, et qui prenait en compte ses décrets même si elle les
modifiait quelque peu. Charles VII pressé par le clergé conciliariste de
France avait tenté de trouver une position plus modérée. Il semble
que l'intervention de Jean de Torquemada ait eu quelque effet puis-
qu'en 1440 il refusa un soutien inconditionnel au concile que
réclamait pourtant l'Université et le Parlement. Cependant les tractations
continuèrent encore plusieurs années puisqu'elles étaient encore
l'objet de la lettre d'André Chrysobergès à Fantino Vallaresso,
comme il a été indiqué plus haut.
De son côté, André Chrysobergès avait regagné l'Orient dès le
mois de septembre. Deux documents des 11 et 12 septembre 1439
attestent ce départ. Un mandat de la chambre apostolique lui accorde
100 florins d'or pour ses frais de retour à Rhodes et pour des frais de
voyage ailleurs, l'endroit n'étant pas précisé. Il s'agissait d'une
mission pour le pape71. Le second lui accorde la faculté de conférer des
bénéfices ecclésiastiques dans son diocèse en raison des qualités
qu'il a montrées au service de la cause de l'Union72.

70 B. Guillemain, L'Eglise dans le royaume de France, dans Histoire du


Christianisme, 6, op. cit., p. 640.
71 « . . .pro expensis per eum fiendis eundo Rodum et ad nonnullas partes pro
factis sanctissimi domini nostri pape.», G. Hofmann, Acta Camerae Apostolicae,
op. cit., doc. n° 91.
72 «Cum unto Occidentalis et Orientalis ecclesie, quam singülaris studio et
labore a plurìbus [annis] impensis nostris procuramus, per omnipotentis dei eie-
368 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

* Le dialogue contre Marc d'Ephèse73.


C'est au cours de voyage de retour en Orient, donc après
septembre 1439, qu'André Chrysobergès écrivit son dialogue contre
Marc d'Ephèse. En effet, dans sa conclusion, André Chrysobergès
reproche à Marc d'Ephèse son obstination, au cours des débats
conciliaires et après la signature du décret74. Nous reviendrons sur
ce passage si intéressant plus loin. A présent attachons-nous aux
circonstances qui ont vu naître ce dialogue. Après les sessions de
Florence, en route vers Rhodes, dont il était alors l'archevêque il
séjourna sans doute quelque temps à Modon. André Chrysobergès fit, en
effet, très souvent le voyage entre l'Italie et l'Orient et comme tous
les marchands et pèlerins, il s'arrêtait à l'escale habituelle de Modon,
où se trouvait un couvent dominicain75. La situation, dans cette
colonie vénitienne du Sud du Péloponnèse, était identique à celle de la
lettre aux Cretois de Georges Trapezuntios (de Trébizonde).
Ce dialogue a été écrit dans l'atmosphère tendue qui présida à
l'application du décret d'Union. Dans son prologue, André
Chrysobergès s'adresse donc aux citoyens de Modon afin de réfuter les
erreurs contenues dans une lettre que Marc d'Ephèse leur avait
envoyée76. L'auteur du dialogue indique, un peu plus loin dans le texte,
la raison de celle-ci. Il s'agissait de rassurer un prêtre grec, nommé
Georges, sur les modifications du rituel imposées par l'Union de
Florence77.
Ce document inédit mérite que nous nous y arrêtions un
moment. Des citations assez longues seront extraites du seul manuscrit
contenant ce texte. Ce manuscrit du XVe siècle de la bibliothèque
vaticane ne contient que le dialogue d'André Chrysobergès. C'est un
petit livre de parchemin orné d'enluminures sur le premier folio, qui
porte les armoiries de son possesseur78. Les questions et réponses de
chacun des interlocuteurs sont signalées par des initiales en alter-

mentiam ac benignitatem secuta fuerìt, tuque ardore catholice fidei inflammatus ac


ob nostram et sedis apostolice reverentiam in disputationibus pro huiusmodi
unione concludenda [editis] tui ingenii ac doctrine lumen ostenderis...», G.
Hofmann, Epistolae pontificiae, op. cit., t. 2, n° 211.
73 Palat. Lat. 604.
74 Ce texte est daté de 1437 dans le premier volume du SOP MA, p. 64-67, ce
qui est en contradiction avec ce que dit André Chrysobergès.
75 G. Bartolini et F. Cardini, Nel nome di Dio facemmo vela, viaggio in Oriente
di un pelegrino medievale, Rome, 1991.
76 L. Petit, éd., Patrologia orientalis, voi. 17, 1923, Documents relatifs au
concile de Florence, doc. n° 18.
77 M. Arranz, Circonstances et conséquences liturgiques, dans Christian Unity,
dir. G. Alberigo, op. cit., p. 407-427.
78 II est possible que ce livre soit celui de l'auteur, mais le manuscrit ne
donne aucune indication sûre et les armoiries sont difficiles à identifier. Le
dernier folio porte le nom d'André Chrysobergès.
LE CONCILE D'UNION 369

nance, bleues pour André, rouges pour Marc d'Ephèse. Il contient 60


folios d'une écriture humanistique très soignée. La plus grande
partie du texte est en latin mais certaines citations sont en grec.
La forme de cette réponse est tout à fait originale puisqu'il s'agit
d'un dialogue platonicien. Après avoir précisé qu'il traduisait la
lettre de Georges en latin pour ceux qui ne comprenaient pas le grec,
il justifie la forme littéraire qu'il a choisie en disant que la
démonstration serait ainsi y lus claire et plus agréable79. Le contenu,
fortement chargé de réflexions philosophiques et théologiques, la
longueur de cet ouvrage amènent une série de questions difficiles à
résoudre. Il semble impossible que les citoyens de Modon aient reçu le
texte dans sa forme actuelle. Cependant André dit qu'il s'exprime
pour tous. Quel fut donc le public de ce texte qui ressemble
beaucoup plus à un exercice de style qu'à une lettre pastorale? Ainsi qu'il
l'explique lui-même, André Chrysobergès cherchait à écrire un
ouvrage beau et agréable à lire. On est donc en droit de croire qu'il
pensait à ce moment au monde des lettres, où se trouvaient ses relations
habituelles. Cependant ce texte est un document attestant les
difficultés de mise en pratique du décret de Florence. Dès son arrivée à
Modon, André Chrysobergès fut informé, nous dit-il, de la lettre du
métropolite d'Ephèse et de l'émoi qu'elle avait provoqué dans la
population. Cette colonie vénitienne se révélait un centre de forte
contestation de l'Union, comme le montre un autre document, la
lettre du successeur du patriarche de Constantinople Joseph, Métro-
phane II, aux gens de Modon (15 mai 1440) ordonnant la
commémoration du nom du pape pendant la messe80. Dans les mois qui
suivent le concile de Florence, Marc d'Ephèse apparaît en effet
comme le seul recours pour les prêtres qui, comme lui, refusent
l'Union81. Le dialogue d'André Chrysobergès permet de retrouver les
principales questions du prêtre grec au métropolite d'Ephèse. Celles-
ci concernent principalement le rituel : la question des azymes et le
rite de l'Eucharistie82.

79 « Utque hoc iocundius fìat fingamus nos ambos more platonis coram
omnium nostrum conventu considère objectantes alterutro respondentes. Sic enim aper-
tior et suavior nostra disputatio fìet.», Palat. Lat. 604, f° 3r.
80 M. Arranz, Circonstances et conséquences liturgiques du concile de
Florence, dans Christian Unity, op. cit., p. 407-427.
81 Marc d'Ephèse nomma un nouveau chef de l'Eglise de Roumanie car le
métropolite Damien, qui avait participé au concile, ne pouvait rentrer dans son
pays en raison de l'opposition des Roumains à l'Union, S.C. Alexe, L'Eglise
orthodoxe roumaine, dans Christian Unity, op. cit., p. 613-621.
82 Le début de la lettre de Marc d'Ephèse au prêtre grec est cité en grec puis il
est à la suite traduit en latin, Palat. Lat. 604, f° 2r. Une allusion à cette même
lettre est faite par André Chrysobergès au f° 31v, en fait f° 30v, car il se trouve
deux folios 31 dans ce manuscrit.
370 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Le dialogue se compose de quatre parties très équilibrées, d'une


douzaine de folios chacune. Trois d'entre elles sont surtout
consacrées aux rites et aux sacrements : la première partie, à la question
des azymes, la troisième, au rite de l'Eucharistie et la dernière aux
traditions, dont les différences sont irritantes, la barbe des prêtres,
le jour du jeûne ou les interdits alimentaires par exemple. Ces
dernières questions sont toujours traitées à la fin des écrits polémiques
depuis le Prêcheur anonyme de 1252. Nous nous intéresserons
surtout à la seconde qui traite de la procession du Saint Esprit et à la
conclusion qui est une sorte de réquisitoire contre Marc d'Ephèse et
son refus d'adhérer à l'Union.
Le dialogue d'André Chrysobergès reprend donc les questions
évoquées au concile. Mais, contrairement à ce qui fut dit de ce texte,
il aborde aussi la question dogmatique essentielle de la procession
du Saint Esprit et si la plus grande partie du dialogue traite des rites
c'est qu'il a été conçu en réponse aux questions d'un prêtre, ayant
cure d'âmes. Il faut donc dire quelques mots sur ces différences de
tradition entre les deux Eglises car ce sont elles qui cristallisèrent la
résistance de la population grecque face à l'Union décrétée à
Florence. Si le concile n'évoqua pas le vêtement des prêtres, ni leur
barbe, le rituel de l'Eucharistie fut cependant débattu pendant les
sessions qui se déroulèrent du 9 au 11 juin 1439. Les Latins
réussirent à faire admettre un compromis sur les azymes puisque le
décret admet le sacrifice des deux types de pain. Ils obtinrent que les
Grecs reconnaissent que les verba Domini, seuls, réalisent la
transsubstantiation. Mais ils ne purent imposer que soit inscrite, dans le
décret, la suppression de l'épiclèse des paroles de la consécration.
Les Grecs célébraient l'Eucharistie selon la liturgie soit de Jean
Chrysostome, soit de Basile de Cesaree comprenant une épiclèse,
c'est à dire une formule faisant intervenir le Saint Esprit83. Ce débat
n'était en fait pas clos et André en présente les principaux points à la
fin de la quatrième partie de son dialogue avec le métropolite
d'Ephèse84. Laissons, cette fois, à André Chrysobergès le parti de la
tolérance. Ce n'est pas le terrain qu'il a choisi car, pour lui, comme

83 M. Arranz, Circonstances et conséquences liturgiques du concile de


Florence, loc. cit. Voir bien sûr J. Gill, The Council of Florence, Cambridge, 1959,
p. 272-281.
84 André : Latini tuas typicas significationes et débitas cerimonias non
accusant.
- Ephèse : Quid igitur in ipsis est quod eos adeo vehementer offendit.
- André : Quod putes non in alio quant in fermentano pane sacramentum do-
minicum confici posse. Quod in tempio circum eas et in vîtes indoctam plebem ido-
latriam comittere. Quod arbitreris in aliis quam in salvatoris verbis misterium illud
perfid. Quod cum illud momentum tarn admirabilis conversioni^ accesserit nullam
omnino venerationem ostendis.», Palat. Lat. 604, f° 56r.
LE CONCILE D'UNION 371

pour ses frères polémistes de Péra, les questions de rituel ne sont pas
essentielles, ainsi que nous l'avons vu plus haut.
Le thème de la procession du Saint Esprit est cependant
intéressant pour plusieurs raisons. La première est qu'il permet de replacer
ce dialogue, postérieur à l'Union, dans la tradition des traités
polémiques écrits par les Prêcheurs d'Orient depuis la fin du XIIIe siècle.
La seconde est qu'il met en relief l'usage que fait l'auteur de la
philosophie dans son argumentation théologique. Ce dialogue corrige
ainsi l'impression d'un débat qui n'est pas allé à la question de fond,
ainsi que le laissent à penser les actes du concile de Ferrare-Flo-
rence. Pour André Chrysobergès, la discussion sur la procession du
Saint Esprit engendrait nécessairement un débat sur la question de
la différence entre l'essence et l'existence divines85. L'évocation de la
controverse palamite, où cette question avait été soulevée pour la
première fois, lui permet donc de la reprendre.
La discussion sur la procession du Saint Esprit est introduite
par une référence à l'Antiquité86. André Chrysobergès utilise le mot
palestra pour signifier la discussion. Avec ce terme, qui désignait en
même temps la lutte sportive et la discussion philosophique, il
confirme la tonalité humaniste de son dialogue platonicien. Les
références patristiques qui appuient son argumentation sont
sensiblement les mêmes que chez les autres polémistes. Comme les autres
Prêcheurs, dont les traités ont été présentés, André Chrysobergès
cite essentiellement les Pères de l'Eglise, surtout Jean Chrysostome,
Grégoire de Nazianze, Cyrille d'Alexandrie et Maxime le Confesseur.
En revanche, il se réfère peu à la patrologie latine : le traité sur les
sacrements d'Ambroise de Milan et surtout les papes. Il faut
cependant remarquer une forte présence de Denys l'Aréopagite. Les
particularités de cette partie consacrée à la procession du Saint Esprit
résident surtout dans la place qui est faite à la distinction entre
essence et opération divines ainsi qu'à son traitement philosophique.
De même l'association du refus de la procession par le Fils et des
hérésies christologiques des premiers siècles de l'Eglise grecque est,
pour la première fois, faite très clairement87. André Chrysobergès
revient deux autres fois sur ce motif dans cette seconde partie sur la

85 N. Lossky, Climat théologique au concile de Florence, dans Christian Unity,


op. cit., p. 241-250.
86 «Nulla conditione ab hac palestra discedam si non prius que dixi vera osten-
dero. Et primo a te cupio scire si filius dei cum pâtre spiritum sanctum producat. »,
Palat. Lat. 604, f° 14v.
87 «Cum spiritum a pâtre procedere créais nullus latinorum te accusât sed cum
a pâtre solo id esse asseris mox in Arrianam blasphemiam incidis. », Palat. Lat. 604,
f°16v.
372 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

procession du Saint Esprit, puis une troisième dans sa conclusion.


Cette insistance ne s'explique pas seulement par cette sorte
d'acharnement que met notre auteur à condamner Marc d'Ephèse et
Grégoire Palamas comme hérétiques mais aussi par le lien
indéniable qui existe entre la question de la procession du Saint Esprit et
la doctrine trinitaire, touchant par là les erreurs christologiques des
premiers siècles de l'histoire de l'Eglise grecque. Nous retrouvons
donc dans ce texte l'explication historique du schisme grec, telle
qu'elle avait été élaborée au Studium de Péra. Depuis Simon de
Constantinople et surtout depuis Philippe de Péra le schisme est
envisagé comme la conséquence d'une succession de crises à caractère
hérétique, au cours desquelles la doctrine grecque s'est de plus en
plus éloignée de celle de Rome, le pape ayant constamment défendu
la foi et l'union. André Chrysobergès a ajouté la crise palamite à
rénumération des hérésies christologiques. En effet, pour lui, la
doctrine de Grégoire Palamas consacrait une nouvelle aggravation des
différences doctrinales entre les deux Eglises. Mais comme ses
prédécesseurs, l'auteur de ce dialogue oppose aux diviseurs de l'Eglise
les papes, champions de l'orthodoxie et, par là, sauveurs de l'unité88.
La seconde partie du dialogue aborde trois thèmes. André
Chrysobergès démontre d'abord la procession de l'Esprit Saint par le Fils
en vertu du fait qu'un principe peut avoir plusieurs effets et
inversement. Ensuite, après avoir évoqué deux passages de l'Evangile
(f° 16r-v), et montré le danger que pouvait représenter l'assertion
selon laquelle la procession du Père seul pouvait conduire à l'Aria-
nisme, l'auteur aborde la distinction entre essence et opération.
Enfin son argumentation prend un tour très philosophique pour
démontrer que l'essence divine est intelligible.
La plus grande part de sa dissertation sur la procession du Saint
Esprit est consacrée à la distinction entre essence et opération
divines, et, ainsi, à une réfutation du Palamisme. Marc d'Ephèse est le
premier à invoquer l'autorité de Denys, dans la Théologie mystique89.

88 «Sei ex Us que respersimus illud sequi necesse est ut nullus catholice verita-
tis preceptor invenin possit cuius magisterio te committere audeas nisi forte Arno
Macedonio Nestorio Dioscoro quos tanquam edacissimum ignem orientalis ecclesia
protulit. Ad quem extinguendum occurrerunt Romani Pontifices Silvester Damas-
sus Celestinus Leo et ceteri presules sedis illius. », Palat. Lat. 604, f° 23v. Alors que
Philippe de Péra évoquait le patriarche Flavien et Eutychès, André Chrysobergès
nous donne le nom de Dioscore, qui fut le successeur de Cyrille sur le siège
d'Alexandrie (444-451). Dioscore soutint le moine Eutychès, que l'on retrouve plus
loin dans ce texte, et la tendance arienne contre Flavien. Dioscore fut déposé au
concile de Chalcédoine (451), A. Kazhdan, dir. Oxford Dictionary of Byzantium, I,
op. cit., p. 632-633.
89 «Et primo quidem adest beatissimus Dionisius cum de unione et discretione
LE CONCILE D'UNION 373

Cette référence est rare dans notre corpus car lorsque les polémistes
dominicains puisent dans l'œuvre de Denys, ils citent les Noms
divins. Remarquons que l'auteur de cette citation est un fidèle de
l'Eglise grecque et que c'est toujours lui qui place la discussion dans le
champ platonicien. Un peu plus haut, Marc d'Ephèse avait évoqué
l'autorité de Saint Justin90. Puis, quelques lignes plus loin, il prend à
témoin Jean Damascène, une seconde référence qu'André ne peut
récuser : «Et Damascenus quem tu negare non potes». Et enfin
Grégoire de Nazianze. André ne peut contester ces «trois lumières de
l'Eglise». Alors ce dernier répond en accusant le métropolite
d'Ephèse de suivre non pas les Pères de l'Eglise, mais Grégoire Palamas.
C'est lui qui dans son thomos fabriqua la distinction entre l'essence
et les opérations divines91. L'habileté de notre polémiste dominicain
est de reprendre à son tour l'autorité des trois lumières de l'Eglise.
Mais, alors, le tour de la dispute devient plus philosophique lorsqu'il
prend ses références chez Pythagore et Denys l'Aréopagite.
Une nouvelle fois, Marc d'Ephèse proteste contre l'inutilité du
débat tel que le conçoit son interlocuteur et préfère le centrer sur la
patristique92. Alors André Chrysobergès change de registre et prend
ses arguments chez le philosophe de Samos93. Cette lecture de
Pythagore semble être une interprétation platonicienne, puisqu'elle
donne la priorité à l'Un sur le divers, ainsi un principe produit
plusieurs effets94. Cet argument est renforcé par la référence, dans le
paragraphe suivant, à Denys l'Aréopagite95. Bien que notre auteur ne

théologie disputaret. Quo in loco divinam essentiam occultant et incognitam nobis


suas vero energias cognitas ac manifestas esse affirmât», Palat. Lat. 604, f° 18v.
90 «Ego nihil aliud credo quod beatissimus iustinus me docuit dicens sicut...»,
Palat. Lat. 604, f° 15v. Justin était un philosophe et martyr du IIe siècle. Converti
au Christianisme, il identifiait le Christ avec l'âme du monde de Platon. Il fut
l'auteur d'un dialogue platonicien, dans TRE, t. 17, Berlin, 1988, p. 471-478; DECA,
t. 2, op. cit., p. 1382-1385.
91 «Me autem inter ceteras blasphémas differentias quas essentie divine et suis
energiis fabricavit has etiam addidit ut divina essentia creature minime appropin-
quet. », Palat. Lat. 604, f° 20.
92 «Hec cum nostro proposito aliena sint otiosum est ipsa in hac disputatione
discutere. Tantum sententiis patrum respondeas.», Palat. Lat. 604, f° 21r.
93 «Quod et Pithagoras misarchides samius intellexit cum unitatem attingen-
tem indefìnitam dualitatem omnia intermedia in quadam armonia constituisse af-
firmet», Palat. Lat. 604, f° 21r.
94 «Quod autem trìbuit iam non aliunde sedper se rem habet et nomen. Homo
enim ab humanitate homo est et nominatur; humanitas vero non aliunde sed ex se
talis est. Album ab albedine rem et nomen accepit; albedo vero iam non per aliud
sedper se albet...», Palat. Lat. 604, f° 21v.
95 «Dyonisii ergo comparatio non inter divinam substantiam et suas energias
intelligenda est sed fertur ad particulares creaturas. Que per se suarum perfectio-
num entitatem et appellationem habent.-», Palat. Lat. 604, f° 21v. Denis
l'Aréopagite et Pythagore, dans DHGE, t. 14, Paris, 1960, col. 277-278.
374 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

donne pas de référence précise, il semble que cette assertion


provienne du traité sur les noms divins. C'est une citation que les
polémistes du XVe siècle utilisent dans leurs traités sur la procession du
Saint Esprit, chez Manuel Calécas par exemple. L'ensemble de
l'œuvre de l'Aréopagite était bien connue des théologiens de l'ordre
de Saint Dominique96, mais il semble que les références au
platonisme et à certaines œuvres de Denys l'Aréopagite appartiennent, à
ce moment, à une tradition des Unionistes grecs. A l'appui de cette
hypothèse, il convient de rappeler que Barlaam, à Thessalonique,
faisait l'exégèse de cette œuvre et qu'il l'utilisa lorsqu'il discuta avec
François de Camerino et Richard l'Anglais97. Mais on soulignera
également que le livre qu'apporta Manuel Chrysoloras à la cour de
France était l'œuvre de Denys. Comme cela est unanimement admis
aujourd'hui, les Grecs réfugiés autour de Bessarion après le concile
sont responsables de la renaissance du Platonisme en Italie, mais il
convient de faire remonter à Barlaam et aux polémistes grecs
unionistes du tournant du XVe siècle ce retour à Platon. André Chry-
sobergès, Dominicain grec, était donc l'héritier de la tradition
aristotélicienne des Prêcheurs et de la philosophie platonicienne de ses
concitoyens.
Selon notre auteur, ces deux philosophes permettent de mieux
comprendre Jean Damascène et Grégoire de Nazianze98. La
conclusion de cette seconde partie est qu'il n'y a pas de distinction dans
l'essence divine comme l'ont bien compris les Pères. Mais les seuls
maîtres qu'ait connus Marc d'Ephèse étaient des hérétiques.
André Chrysobergès se livre donc à une attaque virulente du Pa-
lamisme. Cette attitude s'explique par ses origines, ses frères, ses
amis ne s'étaient-ils pas convertis au catholicisme en raison de leur
opposition à cette doctrine, devenue officielle lors des synodes
convoqués par Grégoire Palamas? Mais un passage de ce texte est
particulièrement intéressant pour apprécier l'intégration de notre
polémiste dans la tradition et la culture de l'Eglise latine. Alors qu'il

96 Albert le Grand a abondamment commenté le Pseudo-Denys et Saint


Thomas a recopié son commentaire des noms divins, F. O'Rourke, Pseudo-Dyonisius
and the Metaphysics of Aquinas, Leyde-New York-Cologne, 1992; E.H. Weber,
Albert le Grand, commentaire de la Théologie mystique, dans Sagesses chrétiennes,
Paris, 1993.
97 S. Impellizzeri, Barlaam le Calabrais, dans Dizionario Biografico degli
Italiani, 6, Rome, 1964, p. 392-397.
98 «Non mirum igitur si divinum ens propter eius immensam simplicitatem at-
que perfectionem ad filium et spiritum quidam velut natura ad creaturas vero vo-
luntatis vim et officium habeat. Et hoc pro Damasceni sententia Gregorii quoque
differentia quo pacto intellegi habeat catholica veritas docet.», Palat. Lat. 604,
f> 22v-23r.
LE CONCILE D'UNION 375

termine l'étude de son premier thème par une première attaque de


Grégoire Palamas, il conclut en disant que si Dieu est inaccessible à
l'homme, la pratique religieuse est inutile". On aborde ici la finalité
du christianisme. Selon André Chrysobergès, dans la tradition
latine, l'homme pouvait prétendre approcher Dieu : le théologien par
l'intelligence, le fidèle, par ses prières. La distinction entre essence et
opération divines opérée par Grégoire Palamas privait l'homme de
cet accès à l'essence divine et le livrait au désespoir.
Ainsi, comme avant lui les frères Cydonès et Manuel Calécas,
André Chrysobergès traite de cette différence dogmatique si
importante entre les théologies latine et grecque sur les relations entre
essence et opération dans la déité. Celle-ci avait été, comme il le dit,
soulevée par Grégoire Palamas et était devenue un point de
discussion essentiel entre les Grecs100. Bessarion, comme nous le
verrons plus loin, avait demandé à André Chrysobergès, quelques mois
avant l'ouverture du concile d'Union, des éclaircissements sur la
position de l'Eglise latine sur cette question. Celle-ci ne fut pas abordée
pendant le concile et il conviendra de chercher la raison de cette
absence. Mais dans les mois qui suivirent le décret de Florence, elle ne
manqua de resurgir et André Chrysobergès revint sur un sujet qui lui
était particulièrement familier.
La forme de ce texte polémique, présenté par son auteur comme
une dispute publique, imposait que celui-ci ne donne pas les
références précises des autorités avancées pour appuyer ses
arguments. On aura cependant remarqué qu'il les puise essentiellement
dans la littérature théologique et philosophique grecques, que
l'Evangile est relativement peu présent, et surtout que Saint Thomas
est complètement absent, ce qui est exceptionnel dans les traités des
polémistes dominicains. De plus les interrogations de Bessarion
portaient sur la théologie thomiste. Comme il est impossible de croire

99 «Item energiam dicit extremum hominis fìnem, hereditatem sanctorum


summamque felicitatem hec a divina essentia prorsus adimit solum deitatis nomen
dicit ipsis esse commune. Si igitur Ma summa deltas ex se [ ] non entia miratur. Si
omnern entitatem et excellentiam ab aliis accipit, si creature inaccessibilis si pro-
pinquare nobis sine nostro interitu nequeat si non docet nec illuminât aut sanctifi-
cat si finis non est quem omnibus hominibus natura indixit vana sunt igitur sacri-
ficia que Uli offerimus. Nil prosunt preces nil lacrime nulle religio se observantie
christianis populis proficere possunt unde et aliam fidem querere oportebit et no-
vam religionem cudere.», Palat. Lat. 604, f° 20r-v.
100 N. Lossky conteste la qualification de «palamite» pour la question de la
distinction entre essence et opération divine disant qu'elle était apparue plus tôt
et qu'on pouvait en trouver les prémices dans la théologie de Grégoire de Nysse,
Climat théologique au concile de Florence, dans Christian Unity, op. cit. Pour les
Grecs contemporains, comme André Chrysobergès, il ne faisait cependant pas de
doute que Grégoire Palamas était l'inventeur de ce nouveau différend entre Grecs
et Latins.
376 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

qu'André Chrysobergès ait voulu ménager ainsi la susceptibilité de


son interlocuteur, on ne peut interpréter cette absence que par un
souci de plus grande efficacité. André Chrysobergès, comme ses
prédécesseurs polémistes dominicains, utilisaient de préférence les
arguments de leurs adversaires afin de les retourner en faveur de leur
thèse.
André Chrysobergès n'a en effet pas ménagé son interlocuteur et
il convient, pour terminer, de remarquer le ton extrêmement vif des
répliques entre les deux hommes. Le dialogue est parfois très vivant
et, si l'auteur laisse la place à de longues dissertations
philosophiques, certaines interventions des deux protagonistes sont parfois
réduites à un mot ou deux. La violence des attaques est même tout à
fait inhabituelle dans l'œuvre polémique des Prêcheurs d'Orient et
elle ne peut s'expliquer que par la situation de converti de notre
auteur. De plus l'âpreté de l'affrontement de Florence ne s'était pas
effacée et l'obstination des Grecs à refuser d'accepter la doctrine
latine, que les polémistes dominicains ont toujours dénoncée depuis
le XIIIe siècle, est encore plus vigoureusement critiquée par André
Chrysobergès. Nous avons déjà vu ce dernier accuser, à plusieurs
reprises, Marc d'Ephèse d'être hérétique, ce que les Prêcheurs ne
faisaient qu'en période de rapports tendus entre les deux Eglises. Mais
d'autres répliques d'André sont à situer sur un registre inférieur,
allant de la discourtoisie à la grossièreté101. Marc d'Ephèse, quant à lui,
préfère utiliser l'ironie et stigmatiser le discours philosophique de
son protagoniste102.
Comme pendant les discussions de Florence, Marc d'Ephèse
conteste de son côté l'utilité d'un tel débat. Et c'est là qu'il exprime le
mieux le fossé qui sépare les deux théologiens. Pour lui, comme
pour Grégoire Palamas avant lui, l'homme ne peut connaître Dieu
par la raison. La discussion doctrinale est par conséquent inutile
surtout lorsqu'elle fait appel au raisonnement philosophique.
La conclusion du dialogue est un véritable réquisitoire et la
colère du polémiste arrive à son comble, de telle sorte qu'il termine son
dialogue en condamnant Marc d'Ephèse au feu de l'enfer, comme les
autres hérésiarques103. André Chrysobergès souligne la qualité du
concile de Florence et de ses participants afin de mieux montrer
l'ingratitude et l'obstination du métropolite d'Ephèse. Ce synode était
œcuménique puisqu'il réunissait le pape, l'empereur et le patriarche
Joseph, de même que les représentants des trois autres patriarches.

101 «Tu enim cum canem in ecclesia vides, clamas, vociferaris totumque illud
sacellum coinquitatum fuisse quereris», Palat. Lat. 604, f° 38r.
102 «Audiamus igitur novum philosofum. », Palat. Lat. 604, f° 31v.
103 «...si tu unus ad tot supplitia satis non sis, eterno tarnen cum ceteris here-
siarchis cruciaberis igne·», Palat. Lat. 604, f° 59.
LE CONCILE D'UNION 377

De plus, à cette assemblée, qu'il nomme du nom grec de synaxe,


assista une multitude de métropolites grecs104. En effet la valeur d'un
concile œcuménique dépendait traditionnellement du nombre des
prélats qui y participaient. Frère André souligne également la
qualité de l'accueil dont les prélats grecs firent l'objet en Italie105. Dans
cette phrase, la répétition des superlatifs oppose la délégation
grecque, Marc d'Ephèse et les siens, qui ne sait rien, aux Latins,
modestes et pieux, certes, mais que l'auteur nous montre ailleurs très
savants106. Et ce synode a bien travaillé. Les docteurs des deux
Eglises ont trouvé ensemble un compromis en analysant la doctrine
des Pères et André insiste sur la méthode incontestable qui fut mise
en œuvre : les livres étaient ouverts devant eux107. Et leurs raisons
furent telles que Marc en fut rendu muet. Comment comprendre
alors l'attitude de ce dernier, l'ingratitude qu'il a manifestée devant
tant d'humanité et de sollicitude? Le pape et l'empereur ensemble
ont essayé «summa benignitate et dementia» de le persuader de
signer les actes du concile, mais il leur a opposé cette obstination
qu'André n'hésite pas à qualifier de diabolique. Plusieurs fois le mot
«mendax» revient sous la plume de l'auteur. Ce que notre polémiste
ne pardonne pas à Marc d'Ephèse c'est d'avoir renié sa parole. Il
avait promis, une fois retourné à Constantinople, de souscrire au
décret. Mais, Marc au contraire, fuit le concile, puis, parcourant les
pays grecs, répandit ses opinions erronées sur les Latins. André se
livre alors à l'énumération de huit propositions antilatines diffusées
par le métropolite d'Ephèse et pour lesquelles il le déclare exclu de la
communauté chrétienne. Il reproche surtout à Marc de condamner
la définition du concile de Florence108.

104 Le mot «synaxe» revêt des significations diverses, A. Kazhdan, dir.,


Oxford Dictionary of Byzantium, 3, op. cit., p. 1992. André Chrysobergès l'entend
dans le sens d'une assemblée de clercs réunis pour discuter dans la plus grande
solennité.
105 «Posteci quam in Italiani intrasti cum tuis nil in latinis expertus es quod te
in hune terrorem induceret imo eorum in vos benevolentia hospitalitas munificen-
tia maximi apparatus et cetera humanitatis officia ipsos piissimos et modestissi-
mos docuerunt. », Palat. Lat. 604, f° 58v.
106 «Taceo patres occidentalis ecclesie in omni disciplina ac religione eruditissi-
mos. », Palat. Lat. 604, f° 58r.
107 «Illud decretum inane et novi sermonis fictio esse non potest quod apertis
codicibus sancii patres et utriusque generis preceptores in medium produxerunt...»,
Palat. Lat. 604, f° 58r.
108 [Ephesinus] asserens latinos mortuum sacrificium Deo offerre. Quod
umbre mosayee legis assideant. Quod Basilio magno et sapientissimo maximo
contradicant. Quod fidem simul et naturam humanam corruperint. Quod altare
apud eos et pontificalis cathedra non habeatur. Quod velut mulieribus similes
virilem sibi dignitatem aufferant. Quod mulieres ad sacrorum administrationem ad-
mittant. Quod sacra eorum nulla veneratione habita sunt. Quod Florentinum
378 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Ainsi, en raison de sa propagande active contre les définitions


du concile et contre les Latins, mérite-t-il l'enfer. Marc d'Ephèse
demande, pendant tout ce réquisitoire, quel acte il a commis pour
mériter d'aussi graves reproches, par exemple : «Sed quid feci ut tali
obiurgatione me postea dignum existimes». Il cherche aussi à se
justifier. Alors que notre polémiste vient de lui reprocher son attitude au
cours des discussions de Florence, il répond : «Verîtus sum ne in me
constanter disputantem manus funestas injicerent». Marc d'Ephèse
refusait la dispute théologique car il en redoutait les effets néfastes
pour son âme.
Quel crédit peut-on apporter à la liste des erreurs du
métropolite d'Ephèse sur les Latins, telle que nous la donne André Chry-
sobergès? Le ton du dialogue, le fait qu'il montre Marc d'Ephèse
constamment sur la défensive, ne plaident évidemment pas en
faveur de son objectivité. Cependant cet inventaire des griefs grecs
contre les Latins mérite une certaine attention car il comporte des
lacunes significatives et seule la superficie des questions apparaît.
La mention de la loi juive concerne l'usage latin des azymes; elle est
conforme à la formule utilisée par Georges et Marc d'Ephèse et,
avant eux, par les compilateurs des erreurs des Latins, depuis le
schisme de Photios. Les «Latins contredisent Saint Basile» est
l'expression qui traduit la divergence dogmatique sur la procession du
Saint Esprit. Pour les propagandistes anti-unionistes, il ne faut en
effet pas mêler les fidèles au débat théologique et cette
condamnation réductrice suffit. Cette liste semble donc bien être le reflet de la
lettre du prêtre Georges à Marc d'Ephèse et constitue un témoin de
la manière dont les prêtres hostiles à l'Union, et ils étaient largement
majoritaires, présentaient les résultats du concile de Florence. Nous
avons déjà remarqué ce décalage entre le langage tenu par les
prêtres à leurs fidèles et la teneur des discussions dogmatiques entre
les théologiens catholiques et ceux des Eglises orientales.
Cette source latine ne peut donc d'aucune manière permettre
une approche objective de l'attitude du métropolite d'Ephèse
pendant le concile et dans la période qui le suivit immédiatement, et
encore moins une réhabilitation. L'historiographie catholique a en
effet toujours montré la raideur de Marc et son incapacité à faire la
moindre concession, le moindre pas en direction d'un compromis
pouvant mener à l'Union109. Cet immobilisme s'explique en effet par

concilium inanem et nove fìdei difßnitionem ediderit. In quibus omnibus hac


nostra congressione explosus et redargutus es. », Palat. Lat. 604, f° 39r-39v.
109 B. Petrà dresse un tableau de l'historiographie catholique et de la réponse
des historiens grecs contemporains avant de démontrer la cohérence dogmatique
de Marc d'Ephèse pendant les discussions de Florence, La coerenza teologica di
Marco d'Efeso, in Firenze e il Concilio del 1439, op. cit., p. 873-900.
LE CONCILE D'UNION 379

sa volonté de ne pas transgresser la lettre des canons des conciles


œcuméniques. La position des Grecs peut être considérée comme
dogmatique, et non pas seulement canonique comme le disait
J. Gill, car, comme nous l'avons vu à plusieurs reprises, pour les
Grecs, la foi, le dogme, sont déterminés par les Pères conciliaires.
En dehors des conciles, les Pères peuvent se tromper car ils ne sont
pas infaillibles. Que Marc, incarnant l'orthodoxie grecque, ait tort
ou raison peu impor e, mais on ne peut que remarquer que sa
position dogmatique était incompatible avec celle des Latins, qui ont
cherché à montrer que l'orthodoxie pouvait être également au delà
des formules des symboles, au delà des mots, et que le théologien
pouvait l'atteindre par l'étude des textes patristiques. Ces deux
positions dogmatiques, antagonistes et irréductibles étaient la
manifestation d'une divergence de vue encore plus profonde. Marc d'Ephèse
était parfaitement dans la lignée des théologiens comme Photios et
Grégoire Palamas. Le Saint Esprit inspire les conciles œcuméniques
qui disent la vérité. L'homme ne peut l'atteindre par son intelligence
et par sa raison. Or la scolastique occidentale était fondée sur ce
dernier principe. Cette incompatibilité des points de vue grec et latin est
donc la raison essentielle de l'échec de l'Union de Florence,
considérée seulement sur le plan religieux.
Il est parfaitement manifeste que le dialogue d'André Chrysober-
gès ne peut donner qu'une image négative de Marc d'Ephèse. Mais,
malgré la violence du langage, il faut cependant mettre au crédit de
son auteur la spontanéité de certaines réparties du métropolite
d'Ephèse. En effet lorsqu'il a dit qu'il craignait les effets maléfiques de
la discussion théologique, ces paroles crient de vérité. Elles
correspondent parfaitement à ce qu'a pu éprouver Marc, au fond de lui,
pendant les discussions conciliaires, et elles reflètent donc très bien
sa position dogmatique : une telle discussion est dangereuse pour le
fidèle car elle est incapable de conduire à la vérité puisque celle-ci ne
peut être qu'inspirée.
Mais, de retour en Orient, où il devait rester jusqu'à sa mort en
1451, la tâche qui incombait à André Chrysobergès était de veiller à
la mise en place de l'Union. Les deux lettres, qui nous restent de lui
le montrent en Italie, mais un certain nombre de documents
attestent ses activités de pasteur, au service de l'Union. Suite à une
supplique des évêques grecs de Chypre, qui se plaignent que les
Latins ne veuillent pas prendre part avec les Grecs aux cérémonies,
Eugène IV le charge, en 1441 de vérifier sur place leurs affirmations et
d'intervenir ensuite pour faire en sorte que les fidèles latins
acceptent de se rendre aux offices qu'ils célèbrent pour les Grecs110.

110 G. Hofmann, Epistolae pontificiae, op. cit., t. 2, n° 254.


380 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

En avril 1447, il fut transféré, par Nicolas V, le pape


nouvellement élu, sur le siège de Nicosie. La raison de ce transfert est sans
doute que le Saint Siège désirait qu'il continuât à développer, dans
l'île, son action en faveur de l'Union. Nicolas V connaissait bien la
question de l'Union puisqu'il avait participé aux discussions
dogmatiques avec les Arméniens. Il poursuivait donc l'œuvre de son
prédécesseur. A la fin de l'année 1441, Eugène IV avait envoyé Antoine
de Troia O.F.M. en mission en Orient (Tartarie, Assyrie, Perse, et
chez les Maronites, Druses, Nestoriens...) afin de préparer le retour
de ces communautés chrétiennes dans l'obédience romaine111. En
juillet 1447, André Chrysobergès fut envoyé comme légat
apostolique dans toute la Méditerranée orientale, excepté dans le domaine
vénitien, la Crète et les cités de Modon, de Coron, en Péloponnèse, et
Nègrepont, en Eubée. Il était chargé par le pape de mettre en place
l'union des Eglises maronite et chaldéenne à Chypre, qu'il avait
préparée depuis son précédent voyage dans l'île. En 1445, Timothée,
métropolite de Tarse et «archiepiscopus Chaldeorum qui in Cypro
sunt», et Isaac, représentant de l'évêque des Maronites, se rendirent
au Latran. Eugène IV était rentré à Rome depuis 1443 et y avait
transféré le concile d'Union. Les autorités chaldéennes et maronites
souscrivirent la bulle Benedictus sit Deus.
L'acte de Nicolas V rend hommage aux qualités de négociateur
d'André et à toute son œuvre en faveur de l'Union112. Il fut investi
d'une nouvelle mission trois ans plus tard. Il devait punir les Chal-
déens qui refusaient d'accepter l'Union en partie ou en totalité113. Il
mourut à Famagouste en 1451. Cette dernière partie de sa vie se
déroula donc principalement en Orient même s'il ne perdit pas tout
contact avec ses amis italiens. Il voyagea sans doute beaucoup,
comme l'atteste une lettre d'Eugène IV en faveur d'un membre de la
suite d'André Chrysobergès, Constantin Chabibi de Rhodes, un Grec
converti sans doute par l'archevêque en 1433. Le pape lui accordait
en 1445 un subside pour couvrir les frais de ses dépenses car il
parcourait les mers en compagnie de l'archevêque depuis douze ans114.

111 Ibid., n° 255.


112 «Attendes itaque, quod tu in magnis et arduis negotiis expertus es ac in ipsa
unione Latinorum Grecorumque necnon Chaldeorum et Maronitarum in insula Cy-
pri conversione plurìmum studii et cure impendisti, quod ilia, que tibi commisi-
mus, assistente divina gratia prudenter et fideliter exequaris, te in partibus Orientis
... nostrum et apostolice sedis legatum missum ... facimus...», G. Hofmann, Epis-
tolae pontificiae, t. 3, op. cit., n° 291.
113 « . . .omnes et singulas personas ex prefatis Caldeis, que date in reprobum sen-
sum ab unione huiusmodi vel eius articulis resilire presumpserint, monendi ac re-
quirendi, ut ad cor reversi unionem ipsam, ut decet, amplectantur, et si id facere ne-
glexerint, excommunicandi...», ibid., n° 299.
114 CICO XV, n° 730, 1323.
LE CONCILE D'UNION 381

Ainsi André Chrysobergès avait-il œuvré toute sa vie à réunir


tous les Chrétiens dans l'Eglise universelle. Il avait d'abord soutenu
le pouvoir pontifical en favorisant, avec la délégation grecque à
Constance, l'élection de Martin V, puis en plaidant la cause
d'Eugène IV devant le concile de Bàie. Il en fut largement récompensé
par le pape, comme tous les prélats qui l'avaient soutenu. Si André
ne reçut pas le chapeau de cardinal comme Jean de Torquemada, il
fut comblé de bénéfices, comme le montrent les actes d'Eugène IV et
il serait fastidieux d'en faire la liste115.
Pour lui, l'unité de l'Eglise catholique était la condition
nécessaire à la réunion du concile œcuménique tant souhaité par le parti
pro-latin de Constantinople. Il avait ensuite beaucoup contribué à la
réussite du concile d'Union à Ferrare et à Florence, par son art de la
discussion et sa connaissance de la patristique grecque. Enfin,
rentré en Orient, il avait parcouru la Méditerranée afin de faire de cette
union, qu'il avait contribué à étendre aux petites communautés
maronites et chaldéennes de Chypre, une réalité. Cependant le dernier
document montre les difficultés de cette entreprise. La résistance de
populations dont les croyances et les rites étaient enracinés dans
une tradition ancestrale, était en effet très forte. De plus la
cohabitation entre Latins et Orientaux avait toujours posé problème depuis
la conquête franque, à la fin du XIIe siècle. Pour chaque
communauté, l'originalité religieuse était une forme d'identité culturelle et
l'union pouvait être vécue comme une nouvelle conquête. Les Latins,
eux-mêmes, acceptaient mal de communier aux mêmes cérémonies,
comme l'a montré la supplique des évêques grecs de Chypre.
* L'application du décret d'Union en Crète.
En Crète, les tensions entre les Unionistes et la majorité grecque
étaient encore plus graves. Après le concile, la situation religieuse y
connut, en effet, une nouvelle crise. La question de l'Union était
devenue une réalité car le décret de Florence devait être appliqué. Le
moins que l'on puisse dire est que l'appui de la Serenissime à la
politique unioniste de Rome fut très nuancé. Le pape envoya pourtant
ses plus valeureux théologiens, et eut soin de choisir des
personnalités susceptibles d'avoir l'action la plus efficace car ils connaissaient
bien le contexte crétois : ainsi Fantino Vallaresso, un patricien
vénitien qui tint l'archevêché de Candie (1425-1443), puis le Dominicain
Simon de Crète, qui fut chargé de plusieurs missions. Les deux
patriarches latins de Constantinople, qui se succédèrent entre 1459 et
1472 m, étaient, eux aussi, des Unionistes convaincus puisque Grecs

115 CICO XV.


116 G. Fedalto, La Chiesa latina, 2, op. cit., p. 92. Isidore, métropolite de Kiev,
et Bessarion, métropolite de Nicée, furent nommés cardinaux en décembre 1439,
382 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

convertis et cosignataires du décret de Florence, pour la délégation


byzantine.
Pour Venise, l'Union était l'occasion de pouvoir imposer une
Eglise uniforme et de contrôler un clergé orthodoxe, qui, comme
nous l'avons vu, participait aux mouvements révolutionnaires contre
le gouvernement vénitien. L'application du décret nécessita
cependant des concessions. Rome put nommer les candidats de son choix,
et depuis Martin V et la fin du Grand Schisme, le pape choisissait,
en Orient les personnalités les mieux à même de comprendre les
réalités locales, des chrétiens uniates le plus souvent. Elles
bénéficièrent du soutien de Venise. De plus les autorités vénitiennes
réformèrent leur politique à l'égard des orthodoxes, permettant les
ordinations de prêtres à l'extérieur de l'île, contre un serment de fidélité
qui n'était en fait qu'une formalité. Par rapport à la réglementation
du début du siècle, les progrès étaient considérables puisque ces
ordinations étaient désormais clairement permises et elles l'étaient
dans un grand nombre de localités et non plus seulement à Coron.
Malgré ces précautions, la politique unioniste échoua, souvent
pour des raisons dépassant le contexte local. La mission de Simon
de Crète eut lieu sous le pontificat de Callixte III (1455-1458)117. Dans
son épître aux Cretois, Georges Trapezuntios (de Trébizonde) dit
que Callixte III envoya un frère prêcheur, inquisiteur en Grèce,
auprès de ses compatriotes afin de servir le Seigneur. Georges
Trapezuntios était lui-même Cretois, sa lettre à ses compatriotes était un
plaidoyer en faveur de l'Union. Il semble bien que l'inquisiteur,
envoyé par ce pape, en Grèce puis en Crète, puisse être identifié avec le
frère Simon, du couvent de Candie, interprète de Manuel Tarchanio-
tès Bullotès à Bâle en 1437. Manuel, qui était plénipotentiaire de
Jean VIII Paléologue et du Patriarche Joseph II, auprès du pape
pour l'organisation du concile, s'était fait traduire en latin la
protestation de la Commune de Florence auprès des pères de Bâle. Dans le
texte118, le traducteur est appelé «frère Simon de Candie, de l'ordre
des Prêcheurs». La Seigneurie florentine avait proposé d'accueillir le
concile, mais les pères de Bâle s'opposaient à son transfert en Italie,
comme nous l'avons vu plus haut. Trapezuntios dit que Simon était
Cretois et ce texte indique que l'interprète était originaire de Candie.

pour leur action au concile de Florence; ils se succédèrent sur le siège patriarcal
de Constantinople, après la mort du patriarche grec unioniste, Grégoire
Mammas, en 1459.
117 R.J. Loenertz, Fr. Simon de Crète, inquisiteur en Grèce et sa mission en
Crète, dans AFP 6, 1936, p. 372-378.
118 Cecconi, Studi storici sul concilio di Firenze, t. I, Florence 1869,
p. CCCLXII-CCCLXIII, doc. n° CXXXV.
LE CONCILE D'UNION 383

Bilingue, frère Simon était tout à fait l'homme de la situation. L'é-


pître aux Cretois nous donne des précisions sur sa mission : il était
chargé de lettres pontificales disant que tous les évêques et prêtres
grecs devaient faire mémoire du pape à la messe et chanter le Credo
romain, qui incluait le Filioque. Outre le fait que Simon de Crète
était chargé de faire respecter la liturgie romaine, acceptée par la
délégation grecque au concile de Florence, ce texte montre que l'Union
des deux Eglises avait été suivie par la restauration d'une hiérarchie
grecque en Crète. La lettre de Trapezuntios parle en effet d'évêques
grecs. Le résultat de cette mission ne nous est pas connu mais les
difficultés rencontrées par le cardinal Bessarion dans sa défense des
prêtres grecs catholiques suffisent à montrer son échec.
Bessarion eut, en effet, beaucoup de mal à soutenir la douzaine
de prêtres unionistes, qui devaient former le noyau d'une nouvelle
Eglise de Crète. Il faut sans doute voir dans cette entreprise un
prolongement des tentatives pontificales, depuis Jean XXII, visant, à
partir d'un petit noyau de convertis, à construire une Eglise Cretoise
catholique, moins loin de la culture hellène que l'Eglise latine. Il
avait fondé en Crète une maison pour former seize prêtres
catholiques de rite grec, capables d'enseigner le catéchisme romain et
parmi lesquels seraient choisis les protopapades des grandes villes cré-
toises, et il encouragea en outre les études de théologie. On retrouve
là l'idée de Grégoire XI, lorsqu'il soutenait la famille Rampani, dans
les années 1375 119. Mais ce groupe de prêtres était très isolé.
Bessarion, administrateur du patriarcat de Constantinople120, dut, en effet,
aider douze prêtres uniates que les autorités vénitiennes lui avaient
signalés comme vivant dans le plus grand dénuement121. La Sérénis-

119 Voir supra note 27, p. 85.


120 Bessarion alerta la curie dès le 19 mai 1462, mais ne rut nommé
administrateur du patriarcat qu'à partir de décembre de cette même année, en
raison des problèmes de santé d'Isidore de Kiev. Ce dernier est mort le 27 avril 1463;
c'est alors que Bessarion lui succéda sur le siège patriarcal, H.D. Saffrey, Pie II et
les prêtres uniates en Crète au XVe siècle, dans Thesaurismata, 16, Venise, 1979,
p. 39-53.
121 H. Noiret, Documents inédits pour servir à l'histoire de la domination
vénitienne en Crète, dans Ecole Française d'Athènes et de Rome, 61, Paris, 1892,
Sen. Mar. R. 7 (1461-1464), f° 4r, f° 23r, f° 50v. Ex f° 23r : le 23 juin 1461, don du
château de Stillo aux douze prêtres uniates : «Post celebratum consilium causa
uniendi Ecclesiam Orientalem cum Sancta Ecclesia Romana Catholica, in universa
insula nostra Cretensis, XII tarnen presbyteri greci remansserunt obedientes ecclesie
Romane, qui a prebyteri greets maximas persecutiones patiuntur et non sinuntur ut
aliqualiter ipsi XII participent in aliquo minimo emolumento ecclesiastico, et quum
morìuntur fame, sit eis favendum ut conservarì valeant in bona obedientia ecclesie
latine, et potius multiplicent quant diminuantur, sicuti jam visum est huic
concilio, in quo captum est scribi in eorum favorem in Romania Cuna, ut ad eorum vic-
tum provideatur. . . » .
384 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

sime était consciente de la nécessité de leur accorder des revenus car


c'était la condition de l'augmentation du nombre des prêtres
uniates. C'est pourquoi le château de Stillo, dans le district de La
Canèe, leur fut donné. Qu'est-il advenu de ce don? Pour leur donner
des moyens d'existence, Bessarion obtint du pape, une dotation sur
les revenus du patriarcat, prélevée sur les domaines du monastère
du Mont Sinaï. Ces douze prêtres grecs uniates sont nommément
mentionnés dans les bulles pontificales de 1462/63. Ils sont, pour la
plupart d'entre eux, assez bien connus, comme lettrés et copistes.
Certains travaillaient pour Bessarion comme Jean Rossos ou Michel
Apostolis, réfugié en Crète après la chute de Constantinople. La
lettre de Pie II au cardinal Bessarion, faisant état des dispositions
qu'il avait prises en leur faveur, montre clairement cet isolement122.
Comme la famille Rampani, ils étaient non seulement persécutés
par les Cretois orthodoxes mais aussi par les clercs latins123. En effet,
le pape dit à Bessarion qu'il a écrit à l'archevêque de Crète et à son
vicaire afin qu'ils respectent les rites et usages des prêtres uniates,
qu'ils ne les relèguent pas au dernier rang, avec les schismatiques,
dans les processions, qu'ils ne les empêchent pas de baptiser les en-
fants,des Latins, que les chanoines leur donnent en priorité les dons
reçus des églises qu'ils desservent et que ceux-ci ont en prébende,
qu'on laisse ces prêtres administrer les sacrements aux laïcs grecs
catholiques afin qu'ils évitent de s'adresser à des prêtres
schismatiques124. Ce document montre donc l'existence de convertis en
Crète. Une nouvelle fois l'attitude du clergé latin est dénoncée par le
pape : ces clercs voient, en effet, dans les prêtres uniates des
concurrents dans la collecte des dons et prébendes, de revenus qu'ils
considèrent comme leur appartenant. Les lettres que Michel Apostolis
écrivait à Bessarion, expriment les tensions quotidiennes entre
partisans et opposants de l'Union. Lorsqu'il sortait de sa maison, il était
injurié et conspué, ses élèves l'abandonnaient. Il fut obligé de
dénoncer deux moines orthodoxes. Ceux-ci furent exilés et Michel
Apostolis dut alors affronter les représailles de la population, qui lui
interdisait les prières publiques. Il ne supportait plus cette haine et se
sentait exilé parmi ses compatriotes125. Les démarches du cardinal
Bessarion montrent donc que la «greffe» ne voulait décidément pas

122 Édition et analyse de cette bulle du 11 mai 1463, par H.D. Saffrey, op. cit.,
p. 46-51.
123 Zacharias N. Tsirpanlès, // Decreto fiorentino di Unione e la sua
applicazione nell'Arcipelago greco, il caso di Creta e di Rodi, dans Thesaurismata, 21, 1991,
p. 43-88.
124 G. Hofmann, Papst Pius II und die Kircheneinheit des Ostens, dans OCP
12, 1946, p. 217-223.
125 Z.N. Tsirpanlès, // Decreto fiorentino di Unione e la sua applicazione
nell'Arcipelago greco, op. cit.
LE CONCILE D'UNION 385

prendre en terre Cretoise, et la chute de Constantinople, en 1453,


avait rendu cette Eglise uniate encore plus minoritaire et isolée.
En effet, l'arrivée des réfugiés de Constantinople avait
considérablement accru les difficultés, renforçant la composante hellène,
très largement majoritaire dès le début de la colonisation vénitienne.
La tension entre les deux communautés provoquaient des troubles
graves. Une nouvelle fois, Venise dut procéder à l'expulsion des
propagandistes orthodoxes. Ainsi en 1454, le rapport sur les incidents
qui avaient éclaté à Rethimno, l'année précédente, concluait au rôle
moteur du clergé grec dans la rébellion. Il fut alors décidé
d'interdire pour cinq ans toute ordination de papas et le refoulement des
prêtres schismatiques venus de l'extérieur. En 1458, un hiérodiacre,
venu de Constantinople, prêchait la désobéissance aux décrets de
l'Union, ce qui provoqua des désordres : il fut expulsé. Des réfugiés
le furent également à d'autres occasions126. Toutefois la menace
turque obligea Venise à assouplir son attitude à l'égard de la
population grecque et de son clergé. Il ne fallait en effet pas l'inciter à
choisir le turban contre la mitre. Le renforcement de la cohésion de la
communauté grecque, autour de son clergé, était indispensable à la
défense de la Crète.

* Après l'Union à Constantinople.

Selon des formes différentes, la ligne politique des autres


puissances coloniales latines est très comparable. La paix sociale était
indispensable à la prospérité économique et à la cohésion face au
danger turc. Elle primait donc la cause de l'extension de l'Eglise
catholique en Orient pour les autorités civiles.
Les résistances étaient encore plus vives à Constantinople. Le
pape dut y envoyer plusieurs missions afin d'aider l'empereur à faire
admettre l'Union par les Grecs. Les atermoiements de Manuel II, au
début du siècle, face aux pressions du parti pro-latin de la cour
encouragées par le Saint Siège, s'explique par son réalisme politique. Il
savait son peuple, dans sa grande majorité, hostile au retour à
l'obédience romaine. La tendance qui y était favorable, était réduite à
une minorité. Mais celle-ci pouvait avoir une influence importante
sur le pouvoir car elle était fortement implantée dans l'entourage de
l'empereur depuis le milieu du siècle précédent. Manuel II avait
suivi l'enseignement de Démétrios Cydonès et avait entretenu et une
correspondance régulière avec des Grecs convertis comme Manuel

126 F. Thiriet, La Romanie vénitienne, op. cit., La crise des années 50, p. 429-
433.
386 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Calécas O.P.. Les négociations, qui se poursuivirent entre Rome et


Constantinople montrent des familles entières au service de la
politique d'Union, les Chrysoloras, puis les Chrysobergès et les Dishypa-
tos. Mais il existait un véritable fossé entre cette élite, gravitant
autour du pouvoir, et la masse du peuple grec. Ce divorce avait été
provoqué par l'influence culturelle de l'Occident qui n'avait cessé de se
développer tout au long du XIVe siècle. L'élite byzantine avait été
séduite par la modernité de la pensée occidentale, construite par la
scolastique dans les universités, et répandue par les clercs latins, les
Dominicains du couvent de Péra, en particulier, dont le Studium
jouissait d'une véritable renommée à Constantinople. N'avait-il pas
donné à Démétrios Cydonès son professeur de latin? Si Jean VIII Pa-
léologue s'était laissé gagner à l'idée d'accepter une discussion sur le
différend doctrinal entre son Eglise et celle de Rome, différend, qui
n'avait cessé de croître depuis le IXe siècle et le schisme de Photios,
c'est en raison de l'imminence du danger turc. Mais il était
parfaitement conscient des difficultés qu'il aurait à imposer l'Union à son
peuple. C'est pourquoi il avait choisi d'aller en Italie avec les
représentants de son Eglise afin de pouvoir profiter du patronage
pontifical moins contestable, aux yeux des Grecs, que celui du concile
de Bâle.
Malgré cette précaution, l'affaire s'était révélée aussi délicate
qu'on avait pu le prévoir. Une partie de la délégation grecque avait
quitté l'Italie avant même la fin des travaux. Marc d'Ephèse était
resté sur ses positions et avait refusé de souscrire à l'Union. Ces faits
auguraient mal de l'avenir.
Le pape envoya donc plusieurs missions pour convaincre les
Grecs de leur erreur. Bartolomeo Lapacci se rendit deux fois à
Constantinople127. C'était un Frère de sainte Marie Nouvelle, un des
théologiens éminents de son temps, témoins de la vigueur du
Studium de ce couvent. Il y obtint le grade de maître en théologie en
1428, puis partit à Bologne comme vicaire de l'inquisiteur et lecteur
au Studium. Il succéda à André Chrysobergès à la tête de l'université
pontificale en 1432, lorsqu'André fut nommé archevêque de Rhodes.
Cette rapide carrière montre à quel point sa compétence était
reconnue parmi ses Frères comme à la curie. En 1434, il fut élevé sur
le siège d'Argos, en Grèce, en raison de sa connaissance de la langue.
C'est pourquoi il est étonnant que les sources ne révèlent pas sa
présence au concile. On imagine mal, alors que l'Ordre des Prêcheurs
avait mis au service de l'Union l'essentiel de ses meilleurs théolo-

127 Voir Index des Prêcheurs; Th. Kaeppeli, Bartolomeo Lapacci de Rimberti-
ni (1402-1466), vescovo, legato pontificio, scrittore, dans AFP 9, 1939, p. 86-117;
G. Mercati, Scritti d'Isidoro il cardinale ruteno e codici a lui appartenuti, in Studi e
Testi, t. 46, Rome, 1926, p. 122-126.
LE CONCILE D'UNION 387

giens, qu'il n'ait pas participé aux travaux du concile. Comme Jean
Ley, Frère de la province romaine, mais il était de plus Frère de
sainte Marie Nouvelle, il ne devait pas payer de pension, donc il
n'apparaît pas dans le livre de comptes du couvent. Il ne participait
pas aux sessions publiques et son nom n'est pas mentionné dans les
actes. Mais sans doute, au même titre que Jean Ley, collabora-t-il à
la préparation des séances de discussion avec les Grecs. Son œuvre,
comme celle de ce dernier révèle qu'il travailla les questions
controversées : il écrivit, en effet, un traité sur la procession du Saint
Esprit. Transféré sur le siège de Coitone en septembre 1439, il restait à
proximité du lieu où se déroulaient les travaux du concile et il est à
sainte Marie Nouvelle au moment où est conclue l'union des Coptes,
dont il souscrit le décret, en 1442.
Deux ans plus tard, il partait pour sa première mission à
Constantinople. Le pape l'avait choisi en raison de sa connaissance
du grec et du dossier de l'Union. Plus jeune que Jean de Montenero,
qui mourut en 1445-1446, il était parfaitement apte à prendre sa
succession sur ce dossier. L'empereur demanda que frère Bartolomeo
participât à une discussion publique avec Marc d'Ephèse. Si cette
discussion eut lieu, ce fut peu avant la mort de ce dernier, un 23
juin, sans doute de l'année 1444. Le chroniqueur sicilien Pietro Ran-
zano O.P. lie ces deux événements par une relation de cause à
effet128. Il est difficile d'accorder un crédit sans condition à cette
source car Bartolomeo Lapacci ne sera nommé évêque de Coron
qu'après le décès de son titulaire Christophoros Garatoni, survenue
en 1448. De plus, cette chronique permettant à son auteur de
glorifier l'œuvre de son Ordre, on ne peut que la suspecter d'une certaine
subjectivité. Pietro Ranzano a célébré les nombreuses victoires de
Jean de Montenero à Florence et il fait de celle de Bartolomeo la
cause directe de la mort de Marc d'Ephèse. Il n'est donc pas
impossible que cette dispute n'ait pas eu lieu car le cardinal Condulmer
n'est arrivé à Constantinople qu'en juillet de cette année là. Il
faudrait donc supposer que frère Bartolomeo soit arrivé avant lui. Ce
qui n'est pas impossible non plus. En revanche, ce qui est certain
c'est qu'une série de débats contradictoires eut lieu entre notre
Dominicain et Georges Scholarios, au palais impérial, en présence de

128 «Ille tarnen Ephesinus acerrimus disputator permanens in perfidia sua ... in
eius [cardinalis venetus, Francisco Condulmer] societate esset venerabilis episco-
pus coronensis, dominus Bartholomeus de Florentia, sacre théologie professor egre-
gius et greci idiomatis non ignarus, placuit eidem imperatori Grecorum et proceri-
bus eius, ut fieret publica concertatio inter episcopum Ephesinum prefatum et Co-
ronensem episcopum, iam fama ibi celebrem. Quo facto Ephesinus prefatus iterum
ab eo superatus et confusus est, tanta ex eo absorptus tristitia, ut infra paucos dies
expiravit cum sua perfidia.», Pietro Ranzano, Annales Omnium Temporum,
op. cit.
388 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Jean VIII Paléologue, du despote Théodore, du patriarche Grégoire


Mammas et du cardinal Condulmer.
Georges Scholarios était l'un des philosophes qui conseillaient
les clercs de la délégation grecque au concile129. Il partit de Florence
dès le 25 juin 1439, en compagnie du Despote Démétrios et de
Georges Gémisthos. Ce départ peut laisser à penser qu'il avait- pris^
un certain recul par rapport aux thèses latines, qu'il avait pourtant
soutenues un temps. Il avait écrit, au moment du transfert du
concile à Florence, à Ambroise Traversari qu'il désirait un coin
d'abri dans son monastère. Ce qui témoigne, d'une part de relations
avec le général des Camaldules, et d'autre part, d'une certaine
sympathie pour la culture occidentale, dont on trouve de nombreuses
traces dans son œuvre : «Grâce à la connaissance que j'avais de la
langue latine, soupçonnant que la science étrangère, je veux dire
celle des Latins, me serait d'un grand secours pour le but que je me
proposais, je parcourus de nombreux ouvrages latins, beaucoup de
la période ancienne, un certain nombre de la moyenne, le plus grand
nombre de la période récente, où l'on trouve plus de rigueur et
d'exactitude ... mais ils ont encore traduit en leur langue les écrits
d'Averroès et d'Avicenne et de beaucoup d'autres Arabes et de
Perses. Je lus aussi ces traductions. Personne, je pense, n'ignore
qu'Averroès est le meilleur commentateur d'Aristote; et il n'a pas été
qu'un simple commentateur... En utilisant les sources variées
d'information, les Latins ont fait eux-mêmes de nombreuses
découvertes. Ils ont donné à la philosophie d'Aristote des accroissements
considérables. Par des questions et des recherches d'un ordre
supérieur, par des distinctions pleines de finesse, ils ont dépassé l'exégèse
de nos premiers commentateurs. Bien plus, il leur est arrivé de se
dépasser eux-mêmes...»130. Peut-on rêver d'une plus grande
admiration de la part d'un Grec pour la culture latine? Il savait
parfaitement utiliser le syllogisme. Georges Scholarios était un admirateur
de saint Thomas, dont il traduisit et commenta le De Ente et Essen-
tia. Entre 1438 et 1444, il est donc difficile de se faire une opinion
exacte de la position prise par Georges Scholarios sur la question de
l'Union. Ce qui est certain, en revanche, c'est qu'à la mort de Marc
d'Ephèse, il prit sa succession à la tête du parti anti-unioniste. C'est
donc en tant que tel qu'il dispute avec Bartolomeo Lapacci. On ne
donnera pas le nom du vainqueur de ces joutes oratoires comme en

129 M. Jugie : L'unionisme de Georges Scholarios, dans Echos d'Orient, 36,


1937, p. 65-86; id., Georges Scholarios, professeur de philosophie, dans Atti del V
Congresso internazionale di Studi Byzantini, 1936, in Studi Bizantini e Neoellenici,
5, 1939, p. 483-494.
130 traduction de M. Jugie, Georges Scholarios, professeur de philosophie,
op. cit.
LE CONCILE D'UNION 389

avait l'habitude le chroniqueur sicilien. Mais notre Dominicain fut


obligé de revenir à Constantinople en 1449, nommé légat du pape,
avec mission de continuer les négociations avec les Grecs pour
qu'enfin le décret d'Union soit appliqué131.
En même temps, le pape mobilise les Prêcheurs de la province
de Grèce. Il permet à Thomas, le vicaire général de la Société des
Frères Peregrinante de développer le Studium de Péra afin qu'il
puisse conférer le grade de bachelier et même de maître132. L'œuvre
de prédication des Dominicains avait toujours été conçue ainsi,
soutenue par de puissantes structures d'enseignement. L'influence du
couvent de Péra dans la vie intellectuelle constantinopolitaine du
XIVe siècle ne s'explique que par cela. Son efficacité dans la mise en
œuvre de l'Union dépendait du dynamisme de son Studium et de la
formation de prêcheurs qualifiés.
A ce moment là aussi, Nicolas V envoie des instructions aux
inquisiteurs et au provincial, dominicains de la province de Grèce,
afin qu'ils empêchent le retour des Grecs, déjà convertis avant
l'Union, aux anciens rites133. En effet le pape demande que les
Dominicains fassent observer le rite de façon plus stricte134. Ainsi le
souverain pontife cherche-t-il à faire en sorte que le décret d'Union
maintenant adopté soit plus strictement observé; la souplesse de la
politique romaine, caractéristique de la période antérieure, est
désormais abandonnée. Dix ans après Florence, même dans les
communautés grecques qui s'étaient senties proches du
Catholicisme, l'application de l'Union posait toujours problème. On peut
imaginer que dans la capitale byzantine on était encore loin de
pouvoir faire observer le décret même partiellement, d'où la mission de
Bartolomeo Lapacci.
Celui-ci affronta donc de nouveau les arguments de Georges et
se vanta de lui avoir imposé le silence en citant le Contra Eunomium
de saint Grégoire de Nysse135, un des auteurs très souvent mis à

131 Le pape Nicolas V lui donna des précisions sur la procession du Saint
Esprit d'après les définitions du décret d'Union, G. Hofmann, Epistolae, op. cit., t. 3,
n° 298.
132 « . . .in tuo vicariatu très personas dicti ordinis ad itlud idoneos usque ad gra-
dum bacallariatus inclusive pro forma magisterii promovendi officialesque studii
necnon studentes secundum formam studii Bononiensis creandi plenam et liberam
apostolica auctoritate tenore presencium damus ... facultatem.», Loc. cit., note 2,
p. 202.
133 «Pervenit ad aures nostras, quod in locis, que catholicis in Grecia subiecta
sunt, multi catholici unionis pretextu ad Grecos impudenter transeunt ritus»,
G. Hofmann, Epistolae pontificiae, op. cit., t. 3, n° 297.
134 «.mandamus, ut authoritate apostolica in omnibus locis predictis, cum ea ex
officio vestro visitabitis, permixionem rituum omnino prohibeatis » , ibid.
us Venise, bibl. San Marco, cod. 137, f. 16 : «Et concordat ista ratio cum ilia
autoritate eiusdem sancii Gregorii Nisseni per quam recolo me silentium impo-
390 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

contribution au cours du concile. Cependant ce n'était qu'une


victoire de circonstance car le parti anti-unioniste, profondément
enraciné dans le peuple constantinopolitain, était assez puissant pour
empêcher l'Union de se réaliser. En 1452, Isidore de Kiev,
accompagné de Léonard de Chios O.P.136, arrivait dans la capitale grecque
pour proclamer le décret d'Union. En vain : il fut fait prisonnier par
les Turcs lors de la prise de la ville, l'année suivante. Il réussit à
échapper aux Turcs et se réfugia à Péra, où il enseigna un temps.
Rentré à Mitylène, il écrivit sa célèbre relation du siège et de la prise
de Constantinople. Alors que sa patrie est menacée, à son tour, par
les Turcs, il est envoyé par le seigneur de Lesbos, Nicolas Gattilusi,
chercher le secours de l'Occident. C'est au cours de cette mission
que Léonard de Chios mourut à Gênes en 1459.
Un autre sujet du duc de Gênes assista vraisemblablement à la
chute de Constantinople : l'évêque de Caffa, Jacques de Campora.
Après l'échec de sa mission en Orient, c'est-à-dire la mise en œuvre
de l'Union depuis Caffa jusqu'en Arménie, Géorgie et Perse, il était
rentré à Gênes pour protester contre la politique turque de la
banque de Saint Georges, qu'il jugeait trop souple, comme nous
l'avons vu plus haut137. Le pape Callixte III l'avait alors chargé
d'organiser une croisade contre les Turcs et, dans ce but, de demander l'aide
des cours européennes. C'est la raison de ses visites à l'empereur et
au roi de Hongrie en 1455-1456138. Pour Léonard de Chios, comme
pour Jacques Campora, l'heure n'était donc plus aux discussions
théologiques, mais à la croisade contre les Turcs. Après l'échec de
l'Union et la prise de Constantinople, les années 1450 constituent
donc un tournant pour la politique des évêques dominicains en
Orient.

7 - La théologie dominicaine au XVe siècle :


du Thomisme à l'Humanisme

Hommes d'action, mais aussi hommes de pensée, les


Dominicains en mission en Orient furent, au XVe siècle, impliqués dans le
mouvement humaniste. Nous avons vu les relations d'André Chry-
sobergès avec le milieu humaniste romain, mais le De vera nobilitate

suisse Scolano in urbe Constantinopolitana coram imperatore Constantino sena-


tuque et clero», cité par Th. Kaeppeli, Bartolomeo Lapacci de Rimbertini (1402-
1466), op. cit., p. 99, note 52.
»β Yojr index des Prêcheurs; A. Pertusi, La caduta di Costantinopoli. Le
testimonianze dei contemporanei, 1, Milan, 1976.
137 Voir p. 102.
138 A. Pertusi, La caduta di Costantinopoli. Le testimonianze dei
contemporanei, 1, op. cit.
LE CONCILE D'UNION 391

de Léonard de Chios et le traité sur l'immortalité de l'âme de


Jacques Campora en témoignent également. Les interventions des
Dominicains au cours des sessions du concile, telles que les ont
rapportées les actes officiels et leurs ouvrages, écrits dans
l'environnement direct du concile, permettent d'appréhender l'importance du
thomisme dans leur argumentaire, mais aussi l'influence de
l'atmosphère intellectuelle de leur époque. Les ouvrages écrits à la
demande de Bessarion par André Chrysobergès, avant le concile et
Bartolomeo Lapacci, après, en constituent deux très bons exemples.
André écrivit une lettre à Bessarion à la fin de l'année 1437 ou au
début de la suivante139. Bessarion est alors métropolite de Nicée et se
trouve à Modon, avec la délégation grecque, qui s'apprête à se
rendre au concile. Elle avait fait escale dans cette possession
vénitienne en attendant de meilleures conditions de navigation et y
passa Noël. Dans son prologue, l'auteur indique qu'il écrit à la suite de
demandes réitérées de Bessarion. Il voulait savoir ce que disait saint
Thomas au sujet de l'essence et de l'opération de Dieu. C'était, en
effet, une question fort débattue à Byzance depuis le siècle précédent
car la réponse permettait soit de justifier le Palamisme, soit de
l'infirmer.
Cette lettre se compose de deux ensembles. Le premier est une
longue introduction, comprenant trois paragraphes, dans laquelle il
expose les circonstances de sa rédaction et les problèmes qu'il va
aborder. Dans le premier, André Chrysobergès s'excuse d'abord de
son retard à répondre en expliquant à Bessarion que la réponse à ses
questions était délicate, qu'elle exigeait une argumentation précise
et qu'il ne se sentait pas assez habile à manier la grammaire grecque
pour la rédiger.
Dans le second paragraphe, il expose les questions de son
interlocuteur, auxquelles il va répondre. Le métropolite de Nicée est, en
effet, troublé par deux faits. Dans l'Eglise grecque, plusieurs théories
existèrent à propos de l'essence et de l'opération divines. La doctrine
fut d'abord que rien n'était incréé en dehors de la trinité divine mais,
maintenant, on prône le contraire et il est décrété que l'essence
divine est différente de l'opération. Or il faut savoir où est la vérité car
Dieu ne peut demeurer dans une Eglise qui erre. D'autre part, saint
Thomas dit qu'il y a identité entre essence et opération. Cependant
Bessarion a trouvé une contradiction dans l'œuvre du saint docteur.
En effet, saint Thomas dit aussi qu'il faut distinguer entre puissance
et volonté divine car Dieu peut faire plus de choses qu'il ne veut. Ain-

139 E. Candal, Andreae Rodhiensis O.P. inedita ad Bessarìonem epistula, dans


OCP 4, 1938, p. 329-371.
392 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

si doit-on faire la distinction entre puissance (c'est à dire opération)


et essence divine et réciproquement. Alors, comment concilier cette
distinction avec l'identité : essence et opération divines?
Dans le troisième paragraphe, André Chrysobergès explique à
son correspondant qu'avant de répondre à ces questions, il doit
démontrer l'identité de l'essence divine et de son opération. La suite du
texte se compose de deux parties : la première (4-16) est un exposé
de la théorie de saint Thomas sur l'essence et l'opération divines;
dans la seconde (17 '-22), il répond aux questions de Bessarion.
L'intérêt de ce texte est donc multiple. D'une part il montre
l'esprit très troublé du métropolite de Nicée, à la veille du concile;
d'autre part, c'est à André, un Prêcheur grec, qu'il s'adresse pour
résoudre une contradiction qu'il a décelée dans l'œuvre du grand
docteur dominicain que fut saint Thomas.
Bessarion a donc dû chercher, seul, la réponse à sa question sur
l'identité de l'essence et de l'opération divines dans la littérature
grecque. Or cette thèse de l'identité avait été développée depuis la
crise palamite du milieu du XIVe siècle dans le cercle des lettrés
prolatins de Constantinople. Il faut, en effet, citer plusieurs auteurs de
traités sur cette question. On rappellera tout d'abord celui de Pro-
choros Cydonès, dont on a vu qu'il avait été fortement influencé par
saint Thomas. Il faut également mentionner celui de Manuel Calé-
cas, écrit avant sa conversion et son entrée dans l'ordre des
Prêcheurs. Ils étaient tous les deux opposés à la doctrine palamite et
lecteurs attentifs de saint Thomas, et Bessarion avait dû lire ces
deux ouvrages. D'autre part ce texte montre qu'il connaissait bien
l'œuvre du docteur angélique, l'un de ses professeurs ayant été Gé-
misthos Pléthon, un philosophe très ouvert à la pensée
occidentale140. Il fit de son élève un ardent défenseur de Platon et le
fondateur d'un important courant néoplatonicien à Florence. Nous avons
vu que, depuis les traductions de Démétrios Cydonès et de son frère
Prochoros, la pensée de saint Thomas s'était largement répandue
dans l'élite intellectuelle constantinopolitaine. Mais sans doute
avait-il besoin d'un spécialiste du Thomisme et qui parlât grec.
Bessarion n'apprit le latin qu'après sa conversion, lorsqu'il s'établit en
Italie.
Il avait dû rencontrer André Chrysobergès puisque ce dernier
séjourna à plusieurs reprises en Orient, s'occupant des missions
dominicaines, de prédication et de polémique contre les Grecs. André
était donc le consultant idéal.
Il faut cependant se demander pourquoi le métropolite de Nicée

140 A. Kazhdan, dir., Oxford dictionary of Byzantium 3, op. cit., p. 1685.


LE CONCILE D'UNION 393

l'interroge sur cette question de l'identité de l'essence et de


l'opération divines. En effet, le débat au concile tourna essentiellement sur
la procession du Saint Esprit. Mais cette question était le problème
de fond que soulevait le Palamisme, qui avait éloigné, encore un peu
plus, la doctrine de l'Eglise grecque de celle des Latins. Elle touchait
aussi à la polémique sur les rapports entre théologie et philosophie.
Or Bessarion préparait le concile et cette question devrait être posée
et, afin de pouvoir répondre, il lui fallait connaître la position des
Latins.
André Chrysobergès, en rédigeant sa réponse, avait, lui aussi,
affûté ses arguments et tenta de proposer ce sujet devant le concile
pendant les conférences privées, au cours desquelles on discutait sur
le purgatoire, comme le rapporte Sylvestre Syropoulos dans ses
Mémoires : «II y eut sur ce point [la question du purgatoire] de part et
d'autre de longues explications en différentes séances. L'évêque de
Rhodes passa ensuite, après beaucoup d'autres sujets, à l'essence et
au mode d'opération (divines). Il demandait à connaître notre
doctrine sur ce point et incitait l'évêque d'Ephèse à lui répondre... Or
l'empereur avait dès le début proclamé et ordonné qu'à pareille
question on ne devrait pas répondre»141. Sa proposition fut éludée,
sans doute en raison de la difficulté qu'il y aurait à trouver un
accord sur cette question, comme nous l'avons vu plus haut. Il faut
constater encore une fois la prudence de l'empereur qui évite à sa
délégation les questions de fond. D'autant plus que celle-ci risquait
de réveiller des divisions entre palamites et antipalamites.
Cependant, tels que nous les a transmis André Chrysobergès, les
doutes de Bessarion semblent le troubler personnellement. Il ne
comprend pas pourquoi son Eglise a changé de doctrine sur ce point
et il craint pour le salut de ses fidèles car, dit-il, Dieu ne peut
demeurer dans une Eglise qui est dans l'erreur. Ainsi ce texte le montre-t-il
critique par rapport à la doctrine officielle de l'Eglise, dont il est
l'une des principales figures. La préparation du concile l'a sans
doute conduit à se poser des questions. Qui de l'Eglise byzantine ou
de l'Eglise latine détient la vérité? Critique à l'égard du Palamisme,
écoutant l'argumentation thomiste, n'était-il pas déjà, comme
d'autres Grecs lettrés du siècle précédent, Démétrios Cydonès et son
cercle pro-latin, sur la voie du Catholicisme? Les discussions et
contacts qu'il eut, en privé, avec Ambroise Traversari et les
Dominicains présents au concile achèveront son évolution. Mais il faut
croire que l'argumentation de Chrysobergès ébranla, chez lui, une

141 Mémoires du grand ecclésiarque Sylvestre Syropoulos , V. Laurent, éd.,


op. cit., p. 293.
394 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

conviction déjà chancelante; les Grecs évitèrent la question sur


l'essence et l'opération divines et ils n'en furent pas mécontents, sentant
leur position peu solide.
L'argumentation du Dominicain, véritable apologie du
thomisme, peut se résumer ainsi. Essence et opération divines sont
identiques, selon saint Thomas et les philosophes. Mais, si Dieu a
engendré le Fils c'est par la nature, les créatures, il les fait naître par
sa volonté. Il faut donc distinguer nature et volonté divine, qui sont
deux moyens de l'opération. Mais, comme le saint docteur dit que
Dieu peut faire plus qu'il ne veut, doit-on aussi distinguer puissance
et volonté? Il récuse alors cette objection en s'appuyant sur Aristote,
selon lequel on ne peut distinguer entre la puissance qui opère un
nombre déterminé de choses et celle qui en produit plus. Il conclut
en disant que, comme il est impossible de prouver la différence
entre essence et opération, ni par la terminologie, ni par l'étude des
moyens de l'opération, il faut donc dire qu'elles sont identiques.
Ainsi, en répondant aux questions de Bessarion, a-t-il démonté la base
de la doctrine palamite, pour laquelle il faut distinguer essence et
opération. Mais il a montré aussi, et ce n'était pas le moins
important, qu'il n'y avait pas de contradiction dans la pensée de Saint
Thomas, puisque distinguer entre les moyens de l'opération (nature et
volonté ou puissance) n'est pas distinguer entre essence et
opération.
Cette démonstration porte la marque de l'éducation scolastique
de ce frère prêcheur par l'organisation logique de ses arguments.
André Chrysobergès se montre un fin connaisseur des termes propres
en usage dans l'université occidentale, même s'il va rechercher
certaines de ses citations dans la patrologie grecque. Il montre
également une parfaite maîtrise de la méthode occidentale présentant
souvent ses arguments dans une forme scolastique pratiquement
pure. De plus, il a soin d'étayer sa démonstration théologique sur les
fondements de la philosophie, utilisant la pensée d'Aristote.
Ses références littéraires sont avant tout puisées dans l'œuvre de
saint Thomas puisque sa lettre a non seulement pour but de prouver
que le Palamisme est une doctrine erronée mais surtout de
démontrer que saint Thomas ne se contredit pas. Même lorsqu'il utilise
Aristote, il ne le cite que d'après les commentaires du théologien
dominicain. Cependant sa lettre est parsemée de citations prises dans
la patrologie grecque. Là aussi ses références sont généralement de
seconde main. Il dépend, en effet de Manuel Calécas ou de Procho-
ros Cydonès lorsqu'il cite Jean Damascène ou saint Anastase. Il
reprend la citation du De Divinis Nominibus du Pseudo Denys d'après
Manuel. Il avait ces deux ouvrages sous la main lorsqu'il rédigea son
texte. Mais il a pris soin de vérifier ses sources, ce qui lui permet de
corriger son confrère grec, lorsqu'il dit citer Anastase de Jérusalem
LE CONCILE D'UNION 395

alors qu'il s'agissait de Anastase d'Antioche142. Les auteurs grecs où il


puisa le plus souvent étaient Denys l'Aréopagite, Grégoire de Nysse
et Grégoire de Nazianze. Les ouvrages de ces trois écrivains furent
les sources privilégiées des polémistes antipalamites, Jean Kyparis-
siotès, par exemple, dans son traité sur la distinction réelle entre
l'essence divine et les propriétés personnelles de la Trinité. Mais ce
sont aussi les auteurs que l'on retrouve dans les recueils de
patrologie préparés pour le concile, comme dans le cod. conv. soppr. 603 de
la bibliothèque laurentienne, recueil de textes confectionné pour le
concile.
Donc, en plus des œuvres de saint Thomas, sa principale source,
il utilise essentiellement des ouvrages de langue grecque, référence
patristique qu'il avait en commun avec son interlocuteur, comme il
l'avait fait pour son dialogue contre Marc d'Ephèse. Ainsi son
argumentation n'aura-t-elle que plus de poids. Il montre, de cette façon,
que les Pères de l'Eglise grecque concevaient, déjà, à leur époque,
l'essence et l'opération divines, comme saint Thomas, plus
récemment. Les Dominicains construisirent leurs démonstrations de la
même façon au concile.
Comme dans le discours de Bâle, les références à la culture
antique ont pratiquement disparu; il ne reste plus qu'Aristote. Mais ce
dernier est complètement intégré dans la pensée scolastique depuis
saint Thomas. Comme à Bâle, il lui fallait utiliser les sources
littéraires du parti qu'il devait convaincre. André Chrysobergès semble
ici bien loin des distingués humanistes qu'il avait fréquentés
lorsqu'il était à la curie. Il est cependant, dans ce texte, des indices de
préoccupations bien de son temps, comme la vérification de ses
sources ou son inquiétude pour sa connaissance insuffisante de la
grammaire grecque. Nous retrouverons cette synthèse entre le
Thomisme et l'apport des méthodes humanistes, en étudiant certains
extraits des actes sur les discussions du concile.
Mais, depuis Bâle, il s'était complètement impliqué dans sa
tâche de prédication, dirigeant les missions d'Orient, mettant toute
son énergie dans la réalisation de l'Union qui consacrerait le retour
de son Eglise d'origine dans l'obédience romaine.
Un autre théologien, Bartolomeo Lapacci, répondit aux
interrogations de Bessarion sur le Thomisme. Il écrivit un traité : De
Spiritus Sancii distinctione a Filio, qu'il dédia à ce dernier. Cet ouvrage
fait suite à une discussion qu'il eut avec un adepte de John Duns
Scott, devant Bessarion, à Rome, sans doute vers 1462-1463. Barto-

142 II est vraisemblable que ce soit la lecture du De Processione de Philippe de


Péra qui lui ait permis de faire cette correction, voir p. 230.
396 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

lomeo rentra à Florence afin d'approfondir la question et mieux le


convaincre de la vérité de la doctrine de saint Thomas sur la
distinction des personnes de la Trinité, réfutant ainsi celle de John Duns
Scott143. Les Prêcheurs avaient donc dû intervenir deux fois pour
convaincre Bessarion de la validité du Thomisme, de sensibilité plus
platonicienne, il avait sans doute plus d'affinité pour le Scotisme, et
acceptait mal la rationalité des démonstrations des Dominicains.
Depuis saint Thomas, on a parfaitement pris conscience que
l'un des problèmes essentiels à résoudre, pour ramener les Grecs
dans l'obédience romaine, était le transfert des concepts d'une
langue dans l'autre. Dans le Proemium du Contra errores Graecorum,
celui-ci souligne les difficultés de traduction. Sans doute en avait-il
discuté avec Guillaume de Moerbeke, auquel il avait demandé la
version de plusieurs ouvrages grecs, dans la perspective du concile de
Lyon. Le texte de saint Thomas suggère des conversations entre eux
sur ce sujet. Ce dernier dit, en effet, qu'il faut se garder de calquer
exactement les mots lorsqu'on les traduit dans une autre langue144.
La règle est donc, selon lui, qu'il faut tenir compte de la logique
interne propre à chaque langue145. C'est pourquoi, dans le livre des
Sentences, il montre qu'il est possible de concilier les formules
grecques et latines de la procession du Saint Esprit. Les Grecs
expriment la procession du Saint Esprit par la préposition «dia», qui est
traduite en Latin par «per». Les Latins eux utilisent la préposition
«ex». Le docteur angélique pense que les deux formes
grammaticales de la même formule se complètent et, donc, ne s'opposent pas;
tout dépend de la valeur que l'on donne à «per». Ce mot peut
exprimer deux formes de relation causale. Ou bien il désigne une cause
instrumentale, ou bien la cause de l'action, sa finalité. Sur le plan
doctrinal, la première signification est incorrecte car le Fils ne peut
être l'intermédiaire du Père, son instrument. Le Père et le Fils
possèdent, en effet, la même vertu spirative. Ainsi la formule latine «ex
Filio» empêche «per Filium» de signifier une cause instrumentale,
mais, en même temps, «per Filium» empêche «ex Filio» de signifier
un second principe, ce qui n'est pas correct, non plus.

143 De spiritus sancii distinctione a Filio, bibl. San Marco, cod. 137; Florence,
B.N.C.F., cod. G. 1. 646.
144 «multa quae bene sonant in lingua graeca in latina fortassis bene sonant,
propter quod eamdem fidet veritatem aliis verbis Latini confitentur...», puis il
prend l'exemple de la terminologie trinitaire : l'hypostasis des Grecs doit se
traduire par «persona» et non «substantia» et il ajoute : «Nec est dubium quin etiam
simile sit in aliis multis. », V. Grummel, Saint Thomas et la doctrine des Grecs sur
le Saint Esprit, dans Echos d'Orient, 25, 1926, p. 268-280.
145 «Ad officium boni translatoris pertinet ut, ea quae sunt catholicae fidei
transferens, servet sententiam, mutet autem modum loquendi secundum proprieta-
tem linguae in quant transfert». Ibid.
LE CONCILE D'UNION 397

Philippe de Péra O.P., lui aussi, dans son traité sur la procession
du Saint Esprit, met en garde sur ce problème de vocabulaire146. Les
théologiens latins travaillant sur la question grecque sont donc très
attentifs à ces problèmes de vocabulaire et de grammaire, la valeur
d'une préposition pouvant être différente suivant les langues.
Ce genre de préoccupation n'était pas non plus étranger aux
Grecs. Ainsi Georges Scholarios, dans la Première introduction à la
grammaire, analyse la valeur de «dia». Pour lui, cette préposition
doit être utilisée surtout pour exprimer une cause intermédiaire,
instrumentale, alors que «ek» exprime la cause première. Lorsqu'il
écrivit ce livre, Scholarios était encore tout jeune, et il semblait déjà
acquis à l'exégèse du «dia tou ftou» des Pères grecs, telle qu'elle était
donnée par les théologiens antipalamites. Nous avons déjà vu
Georges Scholarios, lecteur et traducteur de saint Thomas147; il
étudia aussi YAdversus Graecos de Manuel Calécas O.P., comme le
montrent les annotations autographes du codex vaticanus graecus
1112, où il critique l'interprétation de Nil Cabasilas pour adhérer à
celle du Dominicain grec. Ainsi, selon les partisans de l'Union, les
Pères grecs avaient enseigné la procession éternelle du Saint Esprit
«ex Pâtre per Filium», voire même la procession du même «ex Filio»,
et il était possible d'adopter la formule des Latins, ainsi complétée :
«Ex Pâtre Fïlioque procedit tanquam ab uno principio». Lorsque
Georges Scholarios partit pour participer aux discussions avec les
Latins, en Italie, il semble donc tout à fait prêt à accepter le Filioque.
La question ne manqua donc pas de se poser au moment du
concile. André Chrysobergès souleva un problème de traduction
pour un passage de saint Basile, au cours de la session du 5 mars
1439. Il avait remarqué que Nicolas Sagundinos avait mal interprété
certains termes148. Nous retrouvons, ici, l'opinion de Saint Thomas,

146 «ergO opportet primo videre significationes vocabuli per et qualiter sancti
theologi istam propositam accipiunt. Et quod est in Htteris eorum grammaticalibus
functuntur. Quia quamonque ista propositio per hanc significationem propriam
quamque autem transit in signiftcatione aliarum propositionum scilicet vel ex vel
de vel aliter». De processione Spiritus Sancti, 1359, BNCF, ms. C. 7. 419, f° 96.
147 S. G. Papadopoulos, Thomas in Byzanz, Thomas rezeption und Thomas
Kritik im Byzanz zwischen 1354 und 1435, dans Theologie und Philosophie, 49, 1974,
p. 274-305.
148 «Quia interprètes non bene exponebat, Collocens [is] dixit in Greco. Postea
dixit : propter equivocationem vos duo non potestis convenire in theologia
communi Latinorum et Grecorum. Differì dicere divinam essentiam, et essentiam patris et
filii, nec intellegatis differentiam realem, sed solam differentiam [rationis]. Cum
itaque audimus doctores loquentes «divina essentia» intellegimus qu[i]d commune
patri et filio et spiritui sancto, cum dicamus «substantiam vel essentiam primam»,
intellegimus personam patris. «...» nos habemus doctores qui dicunt, quod essentia
patris intelligitur patris personna», Acta latina, G. Hofmann, éd., p. 148.
398 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

dans le proemium du Contra Graecos, telle qu'elle a été vue plus


haut.
Mais cette question du transfert des termes du grec en latin
apparut surtout dans la phase finale des discussions à Florence, au
moment où les deux délégations cherchèrent des formules
communes de rédaction. Leur mise au point fit l'objet de
nombreuses réunions privées du 21 mai au 8 juin 1439, chaque parti
discutant de son côté. Le 21 mai, le pape envoya trois cardinaux,
Condulmer, Cesarini, Capranica, chez Jean VIII Paléologue, afin que
les Grecs donnent des explications sur ce qu'ils entendaient par
«dia». Il répondit qu'il existait un désaccord entre eux à ce sujet sauf
pour rejeter «ex Filio». Les dissensions de la délégation grecque ont
déjà été évoquées à plusieurs reprises. Il faut noter toutefois que,
lors de la réunion synodale chez le patriarche, le 28 mai, un accord
se dessinait pour accepter le corpus d'autorités réuni par les Latins,
contre l'avis de Marc d'Ephèse, qui en contestait l'authenticité. Le
30, lors d'un nouveau synode, tous les Grecs, Scholarios, le
patriarche Joseph II, Isidore de Kiev, Bessarion, Dorothée de Mitylène,
à l'exception de Marc, se dirent prêts à accepter les demandes des
Latins, et ils adoptèrent, le 3 juin, une formule avec le «per Fïlium»,
«per» ayant un sens causal explicite. Ensuite les Latins discutèrent
sur la définition de cette préposition et l'accord survint entre les
deux partis un semaine plus tard. La définition du décret d'Union du
6 juillet est conforme à la formule sur laquelle l'accord était
intervenu, le mois précédent. Il faut noter que la terminologie de Saint
Thomas fut étroitement suivie par les Latins lorsqu'ils rédigèrent
leurs propositions de même que Jean de Montenero, qui y avait fait
de nombreuses références au cours des sessions publiques du mois
de mars.
Ainsi peut-on dire que Saint Thomas, qui avait préparé le
concile de Lyon II, avec Guillaume de Moerbeke, même si son décès,
en chemin, l'avait empêché d'y participer, fut l'un des grands
inspirateurs de l'Union de Florence. Les Prêcheurs, dont le rôle fut si
important pendant les sessions, on l'a vu, avaient institutionnellement
recueilli son héritage. Mais son influence avait été très importante
aussi à Constantinople, préparant nombre de lettrés grecs à accepter
sa synthèse des formules grecque et latine. Il avait sensibilisé tous
ceux qui étudiaient les divergences doctrinales entre les deux Eglises
au problème posé par la traduction, c'est à dire le transfert de
notions, devant exprimer la même doctrine, du grec en latin.
L'influence de Thomas d'Aquin peut aussi être appréhendée
lorsqu'on étudie l'argumentaire des Latins au concile. On a évoqué
plus haut l'usage que Jean de Montenero avait fait de sa
terminologie au cours des sessions de mars 1439, celle du 2 en particulier.
Mais l'analyse des sessions publiques de novembre 1438, à Ferrare,
LE CONCILE D'UNION 399

montre aussi, dans les interventions d'André Chrysobergès, une


grande maîtrise de la scolastique.
Au cours de la septième session, le 4 novembre, André discute
avec Bessarion de la légitimité de l'addition du Filioque par les
Latins. Ce dernier dut d'abord terminer le discours commencé au
cours de la session précédente et André Chrysobergès lui répondit.
Les Mémoires de Syropoulos rapportent le déroulement de la
discussion ainsi : l'évêque de Nicée démonta complètement
l'argumentation d'André, grâce à l'exposé préparé par Georges Scholarios;
puis il pressa son interlocuteur de questions délicates qui obligèrent
les Latins à se concerter afin de décider s'ils devaient quitter la
séance ou non. Alors ils éludèrent les questions puis André reprit la
parole, occupa tout le reste du temps imparti au débat par un flot de
paroles, qui ne fit que jeter la confusion dans l'auditoire149. On ne
peut demander à cet auteur une quelconque indulgence pour le
Dominicain. Ce qui est vrai c'est que le discours de Bessarion était très
habile et que l'orateur fit preuve d'une réelle aisance dans le
maniement du syllogisme. On ne s'en étonnera pas si l'on se souvient que
Scholarios était un admirateur de la pensée occidentale. Il
revendique la paternité de cette argumentation150 de même que Bessarion,
mais sans doute y travaillèrent-ils ensemble. A la base de ce
discours, l'auteur formule le syllogisme suivant : «Omne additamentum
extrìnsecus fit. Declaratio autem non est extrìnsecus. Ergo declaratio
non est additamentum». Avant de voir comment André y répond, il
faut noter que Syropoulos, qui reflète l'opinion de la majorité de la
délégation grecque, est hostile à cette forme, très occidentale,
d'argumentation. Il rapporte à ce sujet les paroles de Gémisthos, alors
que les Latins présentent des manuscrits anciens pour prouver qu'ils
ont raison : «Si l'Eglise romaine pouvait prouver ce que vous
avancez présentement sur la foi de certains livres ... ils auraient donc
dans ce cas fait œuvre superflue ceux qui ont écrit en faveur des
Latins, je veux parler de Thomas et de ceux qui avant lui se sont
efforcés de démontrer, dans une foule de traités ... que votre Eglise a fait
l'addition avec raison ... Il leur eût en effet suffi, au lieu de tous ces
arguments et syllogismes qu'ils ont inventés, d'affirmer que
l'addition se trouvait anciennement dans le symbole...»151. Les Mémoires
dénoncent en effet très souvent l'abondance de l'argumentation des

149 Mémoires du grand ecclésiarque Sylvestre Syropoulos, V. Laurent, éd.,


op. cit., p. 337-339.
150 Oeuvres de Georges Scholarios, éd. L. Petit, X.A. Sideridès, M. Jugie, t. 2,
1928-1936, p. 258.
151 Mémoires du grand ecclésiarque, V. Laurent, éd., op. cit., p. 331-333.
Syropoulos parle évidemment de Thomas d'Aquin.
400 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XV' SIÈCLE

Latins, disant qu'elle était vaine et freinait les débats. Syropoulos


semble se faire l'interprète des Grecs, qui sont comme
imperméables au mode de discussion des Occidentaux. Malgré l'évolution
culturelle accélérée de la capitale byzantine depuis le siècle
précédent, il existe toujours une cassure fondamentale entre Grecs et
Latins, que seule une petite partie de l'élite parvient à dépasser.
André Chrysobergès explique que le Filioque n'est pas une
addition mais une explicitation, répondant au syllogisme de Bessarion. Il
démontre ensuite que le Filioque n'est pas extrinsèque puisque c'est
une extrapolation de «quecumque habet Pater, habet Filius», il
provient donc de l'Evangile. Il en fait la majeure d'un autre syllogisme :
tout ce qu'a le Père, le Fils l'a, puisque le Père peut procéder le Saint
Esprit, le Fils aussi152. L'Evangile est le principe de cette proposition
comme de son extrapolation; venant du même principe, elle ne peut
être extrinsèque. Ainsi le Filioque n'est pas une addition. Les deux
protagonistes usent donc des mêmes procédés, se répondant
syllogisme contre syllogisme. André prend soin de souligner que toutes
ses références sont grecques153. En effet son argumentation s'appuie
sur Aristote pour montrer que ce qui vient d'un même principe ne
peut être extrinsèque154. D'autre part, il choisit ses citations patris-
tiques chez les Grecs : Epiphane dans YAdversus haereses ou saint
Basile, Epistola 38, ad Gregorium Nyssenum. Nous retrouvons, là, les
mêmes bases d'argumentation que dans sa lettre à Bessarion en
1437. Dans le discours de Louis de Forli O.F.M., qui lui succède lors
de la session suivante, les références sont plus variées avec une
orientation plus platonicienne : le De divinis nominibus du Pseudo-
Denys et deux citations de Platon, qu'il ajoute à des citations d'
Aristote : l'Ethique à Nicomaque et Analytica posteriora155. Il donne aussi
des références, puisées dans la patrologie latine : saint Augustin et
saint Bonaventure, ce sont celles qui attirèrent l'attention de
Sylvestre Syropoulos, sans doute étaient-elles nouvelles pour lui. Dans
son résumé de cette session, il ne mentionne que cela, en dehors du
fait que l'évêque de Forli lisait ses notes et qu'il était assisté d'un
interprète. On peut donc imaginer les deux orateurs latins lors des
discussions : André Chrysobergès s'exprimant aisément, dans les deux
langues, sans support documentaire, et Louis de Forli lisant son pa-

152 «Nam hoc solo brevi discursu luce clarius patet : «quecumque habet poter»,
habet fìlius, sed producere spirìtum habet pater, ergo et filius. Sillogismus hic est in
prima figura et tento modo; antecedens et maior concessa est, Iohannis XV° cap°»,
Acta latina, G. Hofmann éd., op. cit., p. 55, 1. 2-5.
153 «Hoc habeo ex doctrìna vestre Grecie», ibid., p. 53, 1. 9.
154 Analytica posteriora, lib. I, C. 28; Metaphysica, lib. X et lib. V.
155 «scriptum est in ore philosophorum : Amicus Piato, magis amica veritas»,
«et Piato dubitavit et quesivit...», Acta latina, op. cit., p. 65, p. 69.
LE CONCILE D'UNION 401

pier en latin. Il faut aussi noter des différences assez sensibles entre
l'argumentaire du Franciscain et celui du Dominicain. Si le
patrimoine philosophique commun et incontournable est l'Aristotélisme,
leur système de références atteste des formes de pensée assez
différentes, les Prêcheurs, depuis saint Thomas, étaient plus tournés
vers les doctrines aristotéliciennes, alors que les Frères Mineurs, se
contentant souvent de n'en prendre que le langage, se sentaient plus
attirés vers saint Augustin et la tradition liée à son nom. On retrouve
ici l'opposition de Bartolomeo Lapacci O.P. au Scotisme dans son
traité sur la distinction des personnes de la Trinité, cité plus haut.
Cet exemple, même très ponctuel, du contenu des discussions
doctrinales montre donc qu'il existait bien une théologie propre aux
Prêcheurs. Plus ouverts aux nouvelles tendances de la culture
philosophique, depuis saint Thomas et Guillaume de Moerbeke, ils
avaient épuré le corpus aristotélicien de l'Averroïsme et réussi à
substituer à l'inspiration platonisante de la théologie traditionnelle
le principe rationnel et scientifique de l'Aristotélisme156. Cette
tendance rendait la théologie dominicaine plus efficace soit en raison
d'une effective supériorité théorique soit parce qu'elle était plus en
phase avec son temps.
Ainsi l'analyse du contenu des discussions doctrinales du
concile de Ferrare - Florence donne-t-elle une image vivante et
pénétrante du déroulement des sessions, image comparable à une
photographie prise de l'intérieur. Le travail des Dominicains sur le texte,
à la lumière des mêmes sources, dans les mêmes circonstances,
complète cette vision.
Reprenons les sessions publiques de Ferrare. Dans la troisième,
du 16 octobre 1438, les Latins cherchent, donc, à prouver que
l'addition du Filioque est licite. Alors, ils présentent à la délégation
grecque, le texte des actes du VIIe concile. Sylvestre Syropoulos
relate les faits ainsi : «Lorsqu'eut été lu le décret du septième concile,
les Latins produisirent un volume contenant en Grec les Actes qui
étaient censés être de cette assemblée et où figurait dans le symbole
la formule : Procédant du Père et du Fils ! Ils le présentèrent comme
ancien et fait de parchemin, car ces gens accordent le plus grand
crédit au parchemin, et ils s'efforcèrent, à partir des signatures et de
quelques autres particularités, de prouver la conformité de cette
expression avec nos dogmes, insistant sur le fait qu'on avait lu dans cet
état le symbole au septième concile»157. Nous ferons deux remarques

156 C. Vasoli, La cultura dei mendicanti, p. 446-451, in Le scuole degli ordini


mendicanti sec. XLLL-XLV, convegni del centro di studi sulla spiritualità medievale,
t. 17, Todi 1978, p. 439-470.
157 Mémoires du grand ecclésiarque Sylvestre Syropoulos, V. Laurent, éd.,
op. cit., p. 330-331, voir aussi les notes 5-8.
402 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

sur ce témoignage. Les Latins ont apporté des documents pour


appuyer leur thèse et, par la critique interne du manuscrit, l'étude des
signatures, entre autres, ils cherchent à montrer son authenticité.
Cette approche du texte ancien par la délégation latine est une
preuve de la modernité des méthodes qu'elle mit en œuvre au
concile. La seconde remarque concerne le regard du mémorialiste
grec sur cette manière de procéder. Il trouve d'abord étrange que les
Latins accordent autant de prix à ces vieux parchemins, et tout ce
qu'il retient de l'examen qu'ils font du manuscrit, c'est l'étude des
signatures, le reste est qualifié «d'autres particularités», auxquelles il
semble n'avoir rien compris. Il peut s'agir d'une analyse
paléographique. Ceci montre, encore une fois, le décalage entre le mode de
pensée des Grecs et celui des Latins. L'approche scientifique du
texte par la délégation latine au concile de Ferrare, comme celle des
problèmes de traduction, montre les Prêcheurs, à la fois héritiers de
l'école polémiste de Péra et précurseurs des méthodes humanistes.
Il faut encore ajouter, à propos de ce texte que Syropoulos fait
erreur lorsqu'il dit que le document était en grec, comme le
remarque l'éditeur de ses mémoires. Julien Cesarini, rapportant la
même scène à Ambroise Traversari, indique qu'il était en latin. Il
devait s'agir d'un manuscrit du couvent des Prêcheurs de Rimini.
André Chrysobergès dut en faire la traduction en grec, et, selon le
témoignage de Scholarios, le fait que l'on insiste sur l'authenticité de
l'état du texte fit rire les Grecs aux éclats et rendit cet argument
totalement inefficace. Au contraire, il renforça, chez eux, l'idée que les
Latins falsifiaient les textes. Mais ceux-ci en avaient autant à leur
encontre, à la suite des Prêcheurs de Péra qui les avaient mis en
garde à ce sujet dans leurs traités. Scholarios indique, par ailleurs,
que Chrysobergès fut exclu du nombre des orateurs à cause de cet
incident : c'est faux puisqu'il interviendra tout le mois de novembre,
mais cette assertion peut indiquer qu'il en fut peut-être question.
André fut, en effet, à l'origine d'un autre fait du même genre au
cours de la sixième session, ce qui lui valut de s'attirer les foudres de
la délégation grecque. Ces incidents et des tensions croissantes entre
André et ses compatriotes expliquent qu'il fut remplacé à Florence
par Jean de Montenero, au grand soulagement, on s'en doute, des
Grecs.
Cependant, ainsi qu'il a été dit plus haut, André est toujours
présent aux sessions publiques, et s'il n'est plus le principal orateur,
il participe activement au travail sur les textes. Reprenons ce que
disent les actes à propos de la session du 10 mars 1439 158. Il s'agit de

l58Acta latina, op. cit., p. 165-170; Acta graeca, J. Gill, éd., Rome, 1953,
p. 326-327.
LE CONCILE D'UNION 403

la tradition manuscrite du Contra Eunomium de saint Basile. Les


Latins veulent montrer que la patristique grecque est en accord avec
l'addition du Filioque. Marc d'Ephèse a accusé, au cours de la
troisième session publique de Florence, la partie adverse d'utiliser des
textes falsifiés159 : il s'agissait du manuscrit grec rapporté de
Constantinople par Nicolas de Cuse, lors de sa mission de 1437.
C'était un très vieil ouvrage d'au moins six cents ans, que Jean de Mon-
tenero fit examiner par tous afin que chacun se rende compte qu'il
n'avait pas été raturé. Au cours de la suivante, la délégation latine
continue son attaque en disant qu'à Constantinople, il existe aussi
des manuscrits qui comportent l'addition, puisque Dorothée de Mi-
tylène en possède un. Et André Chrysobergès précise qu'il l'a vu. Ce
fait montre les relations privées entre les membres des deux
délégations, car Dorothée lui a montré son livre. Il a déjà été fait état de
liens semblables entre Ambroise Traversali et la délégation grecque,
Georges Scholarios et Isidore de Kiev160, en particulier.
Alors Julien Cesarini demande que Dorothée montre son livre.
Les actes latins disent que l'empereur éluda cette requête. Mais les
livres furent apportés. Celui de l'archevêque de Mitylène fut
examiné, c'était un très vieux manuscrit et la comparaison montra que le
texte était identique à celui des livres qui étaient en possession de la
délégation latine. On retrouve, là, son souci constant du choix de la
source qui appuie l'argumentation, l'ancienneté du livre étant une
garantie d'authenticité. Marc d'Ephèse le regarda et dit que son livre
était de la même main, mais on lui fit remarquer que le contenu
était très différent. Le cardinal Cesarini demanda alors à l'empereur
s'il avait apporté d'autres exemplaires du texte afin d'élargir le
champ de la comparaison. Mais Marc répondit que non. La
conclusion du cardinal fut donc que les Latins avaient raison puisque sur
trois exemplaires, qui se trouvaient là, deux d'entre eux
comportaient l'addition. Alors Jean de Montenero fit état de sources
complémentaires : une traduction, vieille de trois cents ans, de cette
autorité et une lettre de saint Basile extraite d'un livre apporté par le
chancelier Leonardo Aretino. Le Dominicain insiste, là encore, sur
le fait que le manuscrit est ancien161. Ces remarques sur le travail de
recherche du texte authentique ne sont pas sans rappeler les travaux
des Prêcheurs de Péra et plus particulièrement celui de Philippe de

159 Acta graeca, op. cit., p. 296.


160 Jan Krajcar, Ruteni a Santa Maria degli Angeli, in Ambrogio Traversarì nel
VI centenarìo della nascita (convegno intemazionale di studi, Florence, 15-18
septembre 1986), Florence, 1988, p. 189-192.
161 « . . .allegatus fuit quidam liber Grecus valde antiquus et in membranis...»,
Acta latina, op. cit., p. 168-169.
I

neoellenici,
404
Bindo
Sancii,
André
Marc
position
partie
effet,
lanthropinum
un
comme
premières
positions
t.éd.
Florence,
monastères
traitant
dans
qui
authentique
œuvre
une
texte
peut
rassemblé
Dominicains
développait
tradition
dominicaine,
capacités
l'contraste
que
l'examen
temps.
dissensions
eux
avait
empereur
7/2,
E.accord
sont
dans
Ainsi
Sur
162
163
à
méthode
Chrysobergès
latine
lorsqu'il
est
penser
1961,
les
pris
minimales
Candal,
d'Ephèse,
ancien,
De
appréhender
E.
Incontri,
le
qu'il
après
étudié
Cette
sessions,
par
àinévitable.
l'empereur
le
de
Mioni,
toujours
récents,
exemplaires
Spiritus
ralliement
le
n.s.
l'analyse
polémique
des
s'adapter
le
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LE CONCILE D'UNION 405

pourquoi le débat sur l'essence et l'opération divines ne fut abordé


par André Chrysobergès qu'avant le concile avec Bessarion, puis
après, avec Marc d'Ephèse. Le Prêcheur grec ne put le convaincre de
l'orthodoxie de la doctrine catholique et il en alla de même sur la
seconde question de fond. Pour Marc d'Ephèse en effet les Pères,
réunis en concile œcuménique, et seulement à ce moment là, sont
source de la doctrine. Pour lui ce n'était pas, comme on le dit
souvent, un problème canonique mais un élément du dogme. Marc
se révélait donc irréductible à tout compromis car il était
profondément attaché à la doctrine grecque. Celle-ci s'était peu à peu
élaborée au fil des querelles christologiques qui avaient déchiré l'Eglise
grecque, et elle s'était sensiblement éloignée de celle de Rome au
point de produire le schisme de Photios. Une tentative de réunion
avait alors eu lieu mais le fossé dogmatique séparant Rome et
Constantinople ne fit que se creuser provoquant le schisme définitif
de Michel Cérulaire. Le refus du primat du pape n'est qu'un
symptôme de la crise dogmatique. Au XIVe siècle, Grégoire Palamas,
devant la montée de l'influence catholique, dans laquelle les Prêcheurs
de Péra ont une réelle responsabilité, réagit en réaffirmant la
doctrine grecque. Entre Grecs et Latins, la contradiction est
irréductible : pour les premiers, l'intelligence humaine ne peut approcher
Dieu, pour les seconds, nourris par le Thomisme, elle le peut au
contraire. Malgré l'habileté du compromis signé à Florence, une
réelle union était encore moins possible que lors du concile de 880
car les circonstances politiques avaient nécessité qu'on fit
l'économie des divergences théologiques les plus profondes.
406 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Peut-on pour autant réduire l'action des Prêcheurs auprès de la


Chrétienté grecque aux XIVe et XVe siècles à un constat d'échec?
Les effectifs des Dominicains en Orient furent sans nul doute
inférieurs à ceux des Franciscains. Il faut cependant constater que les
Prêcheurs s'implantèrent solidement dans certaines régions, où les
couvents fondés furent plus nombreux qu'on le dit généralement. Il
faudra à l'avenir recourir à de nouvelles sources, des actes notariés
par exemple, pour compléter la liste de ces couvents ou vérifier
l'existence de ceux de Vosporo ou de Cimbalo. De plus, à l'inverse de
ce qui est habituellement dit, les missions dominicaines connurent
un dynamisme remarquable pendant la seconde moitié du XIVe
siècle et jusqu'à la prise de Constantinople. Cet essor est à mettre au
crédit de la congrégation des Frères Pérégrinants qui a eu la faculté
de s'adapter aux nouvelles données de la géopolitique de l'Orient.
Ceux-ci furent ainsi à l'origine de noyaux de résistance catholique
malgré l'islamisation massive qui suivit la conquête turque, à Chios
et en Grande Arménie par exemple. Ce tableau de l'action
dominicaine en Orient corrige aussi l'image traditionnelle des inquisiteurs.
Les sources ne les montrent jamais poursuivant tout chrétien ne
respectant pas la doctrine catholique et ils ne furent pas à l'origine des
heurts entre les communautés grecques et latines car, s'ils en avaient
eu le dessein, les autorités civiles ne leur auraient pas permis de le
faire. En effet celles-ci, tant vénitiennes que génoises ou chypriotes,
avaient pour priorité la paix sociale et le bon fonctionnement de
l'économie de leur domaine et, contrôlant étroitement la hiérarchie
ecclésiastique, elles s'étaient données les moyens d'empêcher tout
prosélytisme intempestif. C'est ainsi qu'elles ont laissé se dérouler,
parfois à leur corps défendant, comme en Crète vénitienne, un
processus d'acculturation, dont a bénéficié la majorité grecque. Là,
comme à Chypre ou à Chios, la cohabitation religieuse se faisait
naturellement. Dans les cités de la Romanie génoise, la situation était
différente mais les officiels ont toujours protégé les communautés
indigènes.
Paradoxalement, c'est en dehors du domaine contrôlé par les
autorités latines que les Prêcheurs ont pu réaliser des conversions,
LE CONCILE D'UNION 407

ainsi en Arménie et à Constantinople. Leur action fut, dans ces


régions, essentiellement dirigée en direction de l'élite, celle-ci devant
amener le reste de la population au catholicisme. Les raisons de ces
succès certains de la prédication dominicaine sont nombreuses. La
stratégie des missionnaires était fondée sur la solidité de la
formation intellectuelle des Frères, des études linguistiques en particulier.
Cette fermeté et cette modernité de la pensée occidentale apportée
par les Dominicains séduisit un certain nombre de personnalités,
comme celle de Démétrios Cydonès pour ne parler que du plus
illustre. Mais les Prêcheurs étaient aussi des diplomates et savaient
faire jouer le ressort de la politique comme nous l'avons vu à By-
zance, où la défense de l'empire était en jeu, ou en Ruthénie et en
Moldavie, où se constituaient des états indépendants. Les
missionnaires de l'Ordre de Saint Dominique furent ainsi les agents fidèles
du Saint Siège. Ils étaient toujours présents dans les négociations
entre Rome et Constantinople, agissant aussi sur la monarchie polo-
no-hongroise, la puissance catholique la plus orientale. Auxiliaires
politiques, les Prêcheurs ne manquèrent pas de soutenir le pape
dans sa lutte contre les conciliaires. Mais celui-ci les soutint
toujours fermement et, avec constance, répondit favorablement à leurs
requêtes lorsqu'il s'agissait de renforcer les missions d'Orient, soit
en appuyant leurs demandes de renforts, soit en réorganisant à leur
profit la hiérarchie latine d'Orient. La raison de ce soutien
inconditionnel est double. D'une part, le pape est confiant dans leur solide
orthodoxie, ce qui ne fut pas toujours son cas à l'égard de certains
groupes de Franciscains. D'autre part, ancrés en milieu indigène, et,
grâce à un recrutement de plus en plus local, ils réussirent à lui faire
partager leur appréhension des réalités orientales. Ils donnèrent
ainsi à la politique pontificale plus de souplesse. La croisade contre les
Grecs n'est plus à l'ordre du jour mais la défense de ceux-ci contre
les Turcs. La négociation et la discussion sont les méthodes
désormais employées pour ramener les Grecs dans l'obédience romaine.
Le cadre de celles-ci devient peu à peu le concile œcuménique, qui
était un projet grec dès l'origine. Dans le même temps, l'arme
dominicaine par excellence, la polémique dogmatique, s'est constamment
perfectionnée, ancrée, à Péra, en milieu grec, où elle put s'enrichir
considérablement.
Pour conclure, doit-on dire que la méthode dominicaine fut
efficace mais inopérante? Efficace, elle le fut car on ne peut expliquer le
cheminement vers le concile de Florence sans l'action des
Dominicains d'Orient. Mais inopérante, elle le fut également, car on ne peut
que constater que la mise en place de l'Union fut impossible à
réaliser. Le point faible de cette méthode était sans doute de trop
s'appuyer sur la conjoncture politique et que celle-ci était contraire. Le
mouvement général de l'histoire allait vers une occidentalisation de
408 LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

l'Europe. L'aide de l'Occident ne vint jamais en raison de la


construction des états modernes, ce fut le cas du souverain français
comme de son rival l'Anglais, mais aussi celui de Louis d'Anjou, que
nous avons vu trop occupé à assurer l'avenir de son domaine pour
venir en aide à l'empereur de Byzance. Cependant les Dominicains,
entre tradition et modernité, avaient, au cours de ces conciles du
XVe siècle, conforté l'avenir : une puissante papauté et le
dépassement de la scolastique, qui avait pourtant fortement marqué la
pensée de l'Ordre, vers le mouvement humaniste.
LISTE DES ABBREVIATIONS

AFP : Archivwn Fratrum Praedicatorum.


BEFAR : Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome.
BAV : Biblioteca Apostolica Vaticana.
Beck : H. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich,
Munich 1959.
BNCF : Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze.
BOP : Bullarìum Ordinis FF. Praedicatorum.
CICO : Pontificia Commissio ad redigendum Codicem Iurìs Canonici
Orientalis, 15 vol., Rome, 1943-1990.
DECA : Dictionnaire encyclopédique du Christianisme Antique, 2 vol., Paris,
1990.
DHGE : Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, 25 vol.,
Paris, 1912 sq.
DTC : Dictionnaire de Théologie Catholique, 16 vol., Paris, 1903-1972.
EEBS : Epeteris Etaireias Byzantinon Studon.
EO : Echos d'Orient.
JOB : Jahrbuch der Österreichischen Byzantinistik.
Mansi : J.D. Mansi, Sacrorum Conciliorum nova et amplissima collectio, 53
vol., Paris, 1901-1927.
MEFR : Mélanges de l'Ecole française de Rome.
MOPH : Monumenta Ordinis Praedicatorum historica, B.M. Reichert et alii,
Rome et Paris, 1896-1966.
OCA : Orientalia Christiana Analecta.
OCP : Orientalia Christiana Periodica.
PG : Patrologia Graeca, J.B. Migne éd., 168 vol., Paris, 1857 sq.
PLP : Prosopographisches Lexikon der Palaiologenzeit , 12 fase, Vienne, 1976-
1994.
REB : Revue des Etudes Byzantines.
RHE : Revue d'Histoire Ecclésiastique.
SOP : J. Quétif et J. Echard éd., Scriptores Ordinis Praedicatorum, 2 vol.,
Paris, 1719-1721.
SOP MA : Th. Kaeppeli et E. Panella éd., Scriptores Ordinis Praedicatorum
Medii Aevi, 4 vol., Rome, 1970-1993.
TRE : Theologische Realenzyklopädie, 24 vol., Berlin, 1976-1994.
INVENTAIRE DES SOURCES

I - AUTEURS DOMINICAINS

A - Écrits contre les Grecs

1) Le Contra Graecos anonyme de 1252, P.G., t. 140.

2) Thomas d'Aquin O.P.

Contra Graecos, éd. Commission léonine, t. 9, Rome, 1969.

3) Bonaccursius de Bologne O.P.

- Thesaurus verìtatis fìdei, De errorìbus Graecorum, éd. partielle de la


recension d'Andréa Doto O.P. (1326), S.O.P., t. 1, p. 156-158 (prologue et table).
- Contra Graecos (1292), attribué au même par A. Dondaine et édité par
F. Stegmüller, Bonaccursius contra Graecos. Ein Beitrag zur
Kontroverstheologie des XIII. Jahrhunderts, dans Vitae et ventati, Festgabe für Karl Adam,
Düsseldorf, 1956, p. 57-82.

4) Simon de Constantinople O.P.


- Lettres à des officiels de Byzance (avant 1320), éd. et trad, partielles
par Léon Allatius, Hottinger fraudis et imposturae convictus, Rome, 1661,
p. 347-358; De octava synodo photiana, Rome, 1662, p. 453-458. Il existe
aussi une édition manuscrite en latin : Opuscula 5 Contra Graecos, trans, lot.
opusculi primi, Siena bibl. com. F.X.28, 47-109, Joh. D. Strafico, interprete,
1759. Th. Kaepelli, SOP Medii Aevi, t. 3, Rome, 1980, p. 345.

5) Deux traités anonymes attribués à Guillaume Bernard de Gaillac


O.P. (1305/07).
- Tractatus contra errores Orìentalium et Graecorum, éd. F. Stegmüller,
[Guillelmus Bernardi de Gaillac, O.P.], Tractatus..., dans Uppsala Universtät
Arsskrift 1953 : 7 (= Analecta Uppsaliensia Theologiam Medii Aevi illustrantia,
412 INVENTAIRE DES SOURCES

t. I, 447 p., Uppsala-Wiesbaden, 1953), p. 323 sq. (édition ex ms. Uppsala


C. 55).
- Tractatus de Obiectionibus Graecorum contra processionem Spiritus
Sancii a Filio, éd. F. Stegmüller, Ein lateinischer Kontroverstraktat gegen die
Griechen, Universitätsbibliothek Uppsala, Kyrkohistorisk Arsskrift, 1954,
p. 123-150 (édition ex ms. Uppsala C. 685).
6) Deux lettres rédigées en grec pendant la première moitié du XIVe siècle.
- Ioannis de Fontibus ord. Praedicatorum, epistula ad abbatem et
conventum, éd. RJ. Loenertz, dans AFP, 30, 1960, p. 163-195.
- Jacobi Praedicatoris ad Andronicum Paleologum maiorem epistula, éd.
RJ. Loenertz, dans AFP, 29, 1959, p. 73-88.
7) Philippe de Péra O.P. (textes inédits, Ms. B.N.C.F., Conv. Sopp., C 7.419).
- Actus sancte universalis octave synodi (1355/56)
- Libellus qualiter Graeci recesserunt ab oboedientia ecclesiae Romanae
(1356/57).
- De oboedientia Ecclesiae Romanae debita (1359).
- De processione Spiritus Sancii (1359).
8) Maxime Chrysobergès O.P.
- Ad Cretenses De processione Spiritus Sancii oratio, éd. L. Allatius,
Graecia orthodoxa, t. 2, Rome 1659, p. 1074-88; P.G., t. 154, col. 1217-29.
9) Manuel Calécas O.P.
- Adversus Graecos. De controversiis Graecos inter et Latinos circa
processionem Spiritus Sancii, édition de la traduction en latin d'Ambroise Tra-
versari en vue du concile d'Union (1423), P.G., t. 152, col. 11-258.
10) Petrus O.P. (texte inédit, Ms. Bale, Univ. Bibl. A I 32, f° 1-39).
- Tractatus per modum dialogt inter Latinum et Graecum contra errores
Graecorum (1438 c).
11) André Chrysobergès O.P.
- Andreae Rodhiensis O.P. inedita ad Bessarionem epistula, E. Candal,
éd., dans OCP t. 4, 1938, p. 329-371.
- Dialogus in Marcum, Ephesiorum pontiftcem, damnantem ritus et sa-
crificia Romanae ecclesie (1439/40), (texte inédit, Ms. Vat., Pal. Lat. 604, f° 1-
59).

Β - Écrits sur le primat du pape

1) Jean Ley O.P. (texte inédit)


- De synodis et ecclesiastica potestate libri VI ad Eugenium IV, Cod.
Barb. lat. 1487 (XVe s.), f° 1-38; Cod. Vat. lat. 4127 (XVe s.), f° 1-104.
2) Jean de Raguse O.P.
- Tractatus de Ecclesia, éd. F. Sanjek, Rome 1986.
INVENTAIRE DES SOURCES 413

3) Jean de Montenero O.P. et Jean de Torquemada O.P.


- G. Hofmann, éd., Papato, conciliarismo, patriarcato (1438-1439)
teologi e deliberazioni del concilio di Firenze, Due discorsi di Giovanni di
Montenero O.P. nel concilio di Firenze, Due discorsi del legato pontifìcio G. de
Torquemada O.P., in Miscellanea Historiae Pontificiae, t. II, 2, Rome 1940.

C - Sources narratives

1) Correspondance :
Manuel Calécas O.P.
- Correspondance, éd. R.J. Loenertz, Studi e Testi, t. 152, Rome, 1950.
André Chrysobergès O.P.
- Epistula ad Fantinum Vallaressum, lettre inédite, Cod. Barb. lat. 1809
(XVe s.), f° 628-629.
- Epistula ad Bartolomeum Fazium (1447-1451), Inc. : Andreas, archiep.
Nicosiensis, Bartholomeo Faczio, civi Ianuensi, s.p.d. Cum has, Bartholomee
optime, legeris, lettre inédite, Ms. Ravenne, Bibl. Ciassense 23 (XV), f° 91-93.
2) Chroniques et récits :
- Vincenzo Borghigiani O.P., Cronaca analistica del convento di Santa
Maria Novella, (XVIIIe s.), chronique inédite, Archivio S.M.N.
- Pietro Ranzano O.P., Annales omnium temporum, texte inédit, Ms.
Bibl. communale de Palerme, 3 Qq. C. 54-60, vol. VIII.
- Jean de Sultanieh O.P., A. Kern, éd., Der Libellus «.De notitia orbis»,
dans AFP, 8, 1938, p. 82-123.
- A. Eszer O.P., éd., Die «Beschreibung des Schwarzen Meeres und der
Tartarei» des Emidio Portelli d'Ascoli O.P., dans AFP, 42, 1972, p. 199-249.

II - LES POLÉMISTES GRECS, AUTRES QUE DOMINICAINS

1) Démétrios Cydonès.
- Correspondance, R.J. Loenertz, éd., 2 vol., Studi e Testi, t. 186 et 208,
Rome, 1956, 1960; F. Tinnefeld, éd., Demetrios Kydones Briefe, dans
Bibliothek der Griechische Literatur, 3 vol., t. 12, 16, 33, Stuttgart, 1981-1991.
2) Jean Cantacuzène.
- E. Voordeckers et F. Tinnefeld, éd. Iohannis Cantacuzeni Refutationes
Duae Prochori Cydonii et Disputatio cum Paulo Patriarca latino Epistulis sep-
tem tradita, dans Corpus Christianorum Series Graeca, t. 16, Louvain, 1987.
3) Georges Scholarios.
- Œuvres, éd. L. Petit, X. A. Sidéridès, M. Jugie, 8 vol., Paris 1928-1936.
414 INVENTAIRE DES SOURCES

4) Bessarion.
- Bessarion Nicaenus, De Spiritus Sancii processione... ad Älexiwn Las-
carìn Philanthropinum, éd. E. Candal, dans Concilium Florentinum
Documenta et Scriptores, series Β, t. 7/2, 1961.

Ill - SOURCES RELATIVES AUX CONCILES DU XVe SIÈCLE

A - Actes des conciles

1) Ouvrages généraux :
- G. Alberigo, Conciles œcuméniques, vol. 2 et 3, Paris, 1993.
- C. Leonardi, J. Alberigo et alii, Conciliorum Oecumenicorum Decreta
(C.O.D.), Fribourg, 1973.
- J.D. Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, Paris,
53 vol., Paris, 1901-1927.
2) Editions particulières.
- Concile de Constance :
H. Finke, H. Heimpel, J. Hollnsteiner, Acta concilii Constanciensis , 4
vol., Munster, 1896-1928.
- Concile de Pavie-Sienne :
J.D. Mansi, Sacrorum conciliorum..., XXVIII, op. cit.
W. Brandmüller, Das Konzil von Pavia-Siena (1423-1424), 2 vol.,
Munster, 1968-1974.
- Concile de Bale :
J. D. Mansi, Sacrorum conciliorum..., XXIX, op. cit.
E. Cecconi, Studi storici del concilio di Firenze, Florence, 1869.
J. Haller, Concilium Basiliense, Studien und Quellen zur Geschichte des
Konzils von Basel, 8 vol., Bale, 1896-1936.
Fr. Palacky, E Birk, R. Beer, C. Stehlin, C. G. Hieronimus, G. Boner,
Monumenta conciliorum generalium saeculi XV, Vienne-Bâle, 1857-1935.
- Concile de Ferrare-Florence :
Outre la collection éditée par J.D. Mansi et Studi storici... de E.
Cecconi, déjà cités :
- Quae supersunt actorum graecorum Concilii Florentini {Acta graeca),
éd. J. Gill, Rome, 1953.
- Andreas de Santacroce, advocatus consistorialis. Acta Latina Concilii
Florentini {Acta latina), éd. G. Hofmann, Rome, 1955.
- Ο. Giustiniani, Acta sacri oecumenici concilii Fiorentini, ab Horatio
Justiniano collecta, disposita, illustrata, Rome, 1638.
INVENTAIRE DES SOURCES 415

Dans la collection : «Concilium Florentinum Documenta et Scriptores» :


- Orationes Georgii Scholarii in concilio Florentino habitae, éd. J. Gill,
Rome, 1964.
- Fragmenta protocolli, diaria privata, sermones, éd. G. Hofmann,
Rome, 1951.
- Orìentalium documenta minora, éd. G. Hofmann, Rome, 1953.
- Apparatus super decretum Florentinum Unionis Graecorum, éd.
E. Candal, Rome, 1942.
- Iohannes de Torquemada O.P., Oratio synodalis de primatu, éd.
E. Candal, series Β, t. 4/2, Rome, 1954.
- Concilium oecumenicum Florentinum 1439-1445, De purgatorio dispu-
tationes, éd. G. Hofmann, L. Petit, Rome, 1962.
- Documents relatifs au concile de Florence, L. Petit, éd., Patrologia
orientalis, vol. 17, 1923.

Β - Sources narratives
- Piero di Matteo di Piero di Fastello Petroboni (le prioriste florentin),
texte inédit, Ms. BNCF, conv. soppr. C. 4. 895.
- Les Mémoires du grand ecclésiarque, Sylvestre Syropoulos , éd.
V. Laurent, Rome, 1971.
- Correspondance d'Ambroise Traversali.
L. Mehus éd., Ambrosii Traversari latinae epistolae, Florence, 1759.
G. Mercati, Ultimi contributi alla storia degli umanisti, 1, Traversariana,
Studi e Testi, t. 90, Rome, 1939.
C. Somigli, Un amico dei Greci : Ambrogio Traversari Camaldoli, Arezzo,
1964.

IV - SOURCES DIPLOMATIQUES

A - Archives pontificales
1) Pontificia commissio ad redigendum codicem iuris canonici orientalis,
Fontes III : CICO, t. 4-15, en particulier,
- Acta Gregorii XI, CICO 12, éd. A. Tautu, Rome, 1966.
- Acta Martini V, CICO 14, 1-2, éd. A. Tautu, Rome, 1980.
- Acta Eugenii IV, CICO 15, éd. G. Fedalto, Rome, 1991.
2) Registres et lettres des papes du XIIIe s. et du XIVe s., Bibliothèque de
l'Ecole française de Rome, 2e et 3e séries (BEFAR), depuis 1883, en
particulier :
- Jean XXII (1316-1334), Lettres communes, éd., G. Mollat-G. de Les-
quen.
- Lettres secrètes et curiales du pape Grégoire XI (1370-1378) intéressant
les pays autres que la France, éd. G. Mollat.
3) Epistolae pontificia^ ad concilium Florentinum spectantes, éd. G.
Hofmann, 3 vol. Rome, 1940-1946.
416 INVENTAIRE DES SOURCES

4) Acta Camerae Apostolicae et Civitatum Venetiarum, Ferrariae, Ianuae de


Concilio Florentino (A.C.A.), éd. G. Hofmann, Rome, 1950.

Β - Regestes du Patriarcat de Constantinople,


éd. J. Darrouzès, t. 1, fase. 5-7, Paris, 1977-1991

C - Archives dominicaines

1) Bullarium Ordinis FF. Praedicatorum, éd. Th. Ripoll, 8 vol., Rome, 1729-
1740.
2) Monumenta Ordinis Praedicatorum histonca, éd. B.M. Reichert et alii, 25
vol., Rome et Paris, 1896-1966.
3) Editions d'archives locales :
- R. J. Loenertz, Documents pour servir à l'histoire de la province
dominicaine de Grèce (1474-1669), dans AFP, t. 14, 1944, p. 72-115.
- C. Longo, / domenicani a Cipro (1451-1587), dans AFP, t. 59, 1989,
p. 149-211.

IV - DOCUMENTS POUR L'HISTOIRE RÉGIONALE

A - Les archives de Romanie génoise

- Atti della Società ligure di stona patria, nuova serie, t. 5-7 : Codice
diplomatico delle colonie Tauro-Liguri (1453-1475), éd. A. Vigna, Gênes, 1881.
- Collana storica dell'Oltremare ligure, t. 1, 2, 5, Bordighera, 1971-1974.
- Collana storica di fonti e studi, dir. G. Pistarino, t. 14, 31, 32, 33, 34,
35, 39, 43, 49, Gênes, 1973-1987.
- M. Balard éd., Gênes et l'Outre-mer, 2 vol., Paris, 1973-1980.
- O. Iliescu, Nouvelles éditions d'actes notariés instrumentés aux XIIIe-
XIVe s. dans les colonies génoises de la Mer Noire. Actes de Caffa, dans Revue
des études Sud-Est européennes, 14, 1976.

Β - Les archives de Romanie vénitienne

- H. Noiret, Documents inédits pour servir à l'histoire de la domination


vénitienne en Crète, dans BEFAR, t. 61, Paris, 1892.
- P. Ratti, Duca di Candia, 1313-1329, dans Bandi, Venise, 1965.
- F. Thiriet, Régestes des délibérations du Sénat de Venise concernant la
Romanie, 3 vol. (1329-1463), Paris-La Haye, 1958-1961.
- Id., Délibérations des Assemblées vénitiennes concernant la Romanie, 2
vol. (1160-1363)-(1329-1463), Paris-La Haye, 1966-1971.
- Id., Ducali e lettere ricevute, Venise, 1978.
INVENTAIRE DES SOURCES 417

C - Sources pour l'histoire de Chypre

- Francesco Amadi, Chroniques d'Amadi et de Strambaldi, éd. R. de Mas


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- Florio Bustron, Chronique, éd. R. de Mas Latrie, Mélanges historiques,
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- J. La Monte éd., Cartulaire de Sainte-Sophie de Nicosie, Bruxelles,
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- J. Smet éd., The Life of St. Peter Thomas by Philippe de Mézières,
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D - Sources polonaises

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- W. Abraham, Powstanie organisacyi kosciola lacinskiego na Rusi,
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- A. Czolowski, Kwartalnik historyczny, t. 5, 1891.
- Id. Pomniki Dziejowe Lwowa Z. Archivum Miasta, t. 1, Lwow, 1892.
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- Id., Rys dziejow zakonu kaznodziejskiego w Polsce, t. 2, Lwow, 1860.
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E - Documents pour l'histoire de l'Orient mongol

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Sagesses chrétiennes, Paris, 1993.
G. Weiss, Joannes Kantakuzenos - Aristokrat, Staatsman, Kaiser und Mönch
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Wiesbaden, 1969.
G. Wyss Morigi, Contributo allo studio del dialogo (XIV-XVI s.) , Berne, 1950.
ANNEXES

LISTE DES FRÈRES PRÊCHEURS

Abréviations :

AFP : Archivum fratrum praedicatorum.


Diz. Bio. degli It. : Dizionario biografico degli Italiani, publication italienne en
cours.
Liguae Haicanae : M.A. van den Oudenrijn, Linguae Haicanae Scriptores O.P.,
Berne, 1960.
La Société : R.J. Loenertz, La Société des Frères Peregrinante, 2 vol., I, Rome
1937, II, AFP 45, 1975. Le Père Loenertz n'a pas eu le temps d'achever cet
ouvrage et a laissé des papiers inédits concernant en particulier la mission
dominicaine de Pologne. J'ai pu les utiliser grâce à la complaisance du Père
Duval, archiviste des Prêcheurs de Paris.
SOP.MA. : Th. Kaeppeli, Scriptores Ordinis Praedicatorum Medii Aevi, 4 vol.,
Rome, 1970-1993. Le dernier volume est l'édition des notes du Père Kaeppeli
sur les Prêcheurs de la fin de l'alphabet (S-Z) par E. Panella O.P., il contient,
en outre, des additions et des corrections faites par ce dernier sur l'ensemble
de l'ouvrage.

André : Arménien, inquisiteur de Caffa, vicaire de la Société des Frères


Peregrinante pour la Romanie, Tartane, Gazarie, Arménie et Géorgie entre
1390 et 1393. La Société, I, p. 34.
André Chrysobergès : Fils cadet d'une famille grecque de
Constantinople, sans doute illustre car on connaît plusieurs patriarche de ce nom :
Nicolas II (980-992), Lucas (1157-1169/70). Il se convertit au catholicisme
en même temps que ses frères, Maxime et Théodore, et son père. Il entra
dans l'ordre des Prêcheurs, au couvent de Péra très certainement. Il fit ses
études au couvent de Padoue et obtint sa maîtrise en théologie en 1418. Au
cours des conciles du XVe siècle, ses interventions soutinrent toujours deux
points de vue conjointement, celui de l'Union et celui du primat de Rome
sur l'Eglise universelle. C'est pourquoi il soutint la candidature de Martin V
en 1417 au concile de Constance. Il prononça deux sermons, puis intervint
comme interprète et participa aux négociations entre Martin V et la
délégation grecque. André Chrysobergès prononça un autre sermon à Bâle afin
d'empêcher un nouveau schisme entre le concile et le pape en 1432. Il fut
l'un des principaux théologiens catholiques à intervenir au concile de Fer-
rare-Florence 1438/39. Dans les mois qui précédèrent ce concile, il répondit
à Bessarion, métropolite de Nicée, qui avait sollicité une explication sur la
doctrine catholique. Sa lettre fut, en fait, une apologie du Thomisme, qui
ouvrit à ce dernier la voie de l'Eglise romaine. Mais son protagoniste le
plus tenace fut Marc d'Ephèse, tant pendant le concile que dans les mois
qui suivirent l'Union. Sa connaissance de l'Europe centrale et orientale en
fit l'un des agents diplomatiques du Saint Siège auprès de l'empereur
432 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

Jean VIII Paléologue et des souverains catholiques de Hongrie, Pologne et


Lituanie, Ladislas et Vitold Jagellon. Ses services rendus furent
récompensés par de nombreux bénéfices mais surtout une brillante carrière dans la
hiérarchie catholique en Orient, où il fut chargé de mettre en place les
décrets d'Union de Florence. Maître du Sacré palais, il était très lié au cercle
d'humanistes de la curie à Rome. Ami de Poggio Bracciolini, sa
correspondance atteste des relations durables avec Bartolomeo Fazzio et Antonio Pa-
normitain. Vicaire de la Société des Frères Peregrinante (1426-1432), il fut
nommé évêque de Sutri (1430) puis archevêque de Rhodes (1432-1447), il
termina sa carrière comme archevêque de Nicosie, légat apostolique à
Chypre et Rhodes. Il mourut à Famagouste en février 1451. La Société I,
p. 87-88; La Société II, p. 124-127; SOPMA, 1, p. 64-67, 4, p. 23; La Chiesa 2,
p. 88, p. 174; L. Gargan, Lo studio teologico e la biblioteca dei domenicani a
Padova nel Tre e Quattrocento, p. 59; Dizionario Biografico degli Italiani, 30,
1984, p. 776-779.
Andrea d'Oria : frère du couvent Saint-Dominique de Gênes, évêque
d'Andros (1427-1436), sa connaissance des sciences sacrées lui valut d'être
envoyé par Eugène ΓΥ au concile de Bàie. Vigna, Vescovi, p. 120-121, La
Chiesa, 2, p. 38.
Andrea Doto : inquisiteur en Crète, au cours d'un voyage dans la
province de Grèce, il se rendit au couvent de Negroponte, où il découvrit le
manuscrit du traité de Bonaccursius de Bologne. Il en recomposa le texte et le
dédia au pape Jean XXII en 1326 avec le titre de Thesaurus veritatis fidei. Il
l'apporta à la curie alors qu'il était procurateur de l'empereur Andronic IL
D. Jacoby, Venice, the Inquisition and the Jewish Communities of Crete,
Miscellanea R.J. Loenertz, 1971; A. Dondaine, Contra Graecos, p. 407-408;
SOPMA, 1, p. 68.
Andrea della Terza : frère du couvent d'Orvieto, fondateur du couvent
de Trébizonde, après 1315, il succéda à Franco de Pérouse (ou à Jean de
Cori?) à la tête de la Société des Frères Peregrinante. Fit in voyage à la curie, en
1322, et fut chargé d'un échange de lettres entre le pape et l'empereur
Andronic II, il recruta des missionnaires en Occident. Il mourut dans son couvent
de Trébizonde en 1343. La Société, I, p. 36, p. 98.
Andriolo Sybono de Albenga : Ligure, frère du couvent
Saint-Dominique de Gênes dans la province de Lombardie supérieure, il fut nommé en
1393 vicaire général de la Société des Frères Peregrinante, excepté le
domaine égéen, Chios, Mitylène, les deux Phocées, conservé par frère Elie
Petit. La Société II, p. 120.
Antoine : inquisiteur en Crète, 1420, CICO XIV, 1, n° 168.
Antoine de Levanto : né d'une famille de colons ligures, il fut nommé
évêque de la Tana, au Nord de la mer d'Azov (1422). Il savait les langues de la
région, au moins le tartare sans doute. La Société I, p. 98, p. 124; La Chiesa,
2, p. 216.
Antoine de Péra : issu de la noblesse franque d'outre-mer, la famille de
Mimars, il accomplit son noviciat au couvent de Péra. Nonce apostolique,
collecteur en Crète et dans l'Archipel (1418), il avait été nommé vicaire
général du patriarche latin de Constantinople, Jean de Rochetaillée, en 1417. Il
fut envoyé par le concile de Bâle auprès de l'empereur et du patriarche grec
de Constantinople en 1433. Il est mort après 1440. La Société I, p. 58.
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 433

A. Krchnak, De vita et operibus Ioannis de Ragusio, p. 29; SOPMA 1, p. 117,


4, p. 33.
Augustin (de Nero) de Caffa : issu d'une famille ancienne et noble de
Gênes, ayant donné des consuls à Caffa et des podestats à Péra, évêque de
Soldaïa (1432-1455). La Société I, p. 121-122; R.A. Vigna, Vescovi, p. 130-134;
La Chiesa, 2, p. 210.
Baldassare Vegio Dominicain génois, vicaire de Saint-Dominique de
Péra. Lors de son dép? rt pour Chios, Thomas de Gubbio le choisit pour le
remplacer à la tête de la Société et pour se charger de la paroisse Saint-
Michel et de l'hospice Saint- Antoine. La Société I, p. 46, p. 61; La Société II,
p. 130.
Baptiste d'Isola : Dominicain italien, dont la famille était originaire
d'Isola, dans l'Apennin au Nord de Gênes, fut nommé archevêque de Saint-
Thaddée (Maku) en 1400, La Société I, p. 193; La Chiesa, 2, p. 197.
Barthélémy Abagliati : issu d'une famille noble de Sienne, il fut le
premier évêque de Tabriz (1318). Il mourut avant 1329, date de la nomination de
son successeur. Il semble avoir participé à la traduction du traité des
sacrements de Saint Thomas en arménien (1324). La Société I, p. 155-156, p. 162;
La Chiesa, 2, p. 219; M.A. van den Oudenrijn, Linguae Haicanae, n° 20;
SOPMA, 1, p. 143, 4, p. 41.
Barthélémy de Constantinople : son nom indique sa naissance dans la
capitale byzantine mais on ne sait rien de lui, en particulier quand il entra
dans l'ordre des Prêcheurs. Il fut l'auteur, en 1305, d'une édition remaniée du
Contra Graecos anonyme de 1252. La Société I, p. 77; A. Dondaine, Contra
Graecos, p. 423-424; SOPMA, 1, p. 147-148, 4, p. 41.
Barthélémy Poggio (de Podio) : évêque de Maraghah (1328), consulté,
en 1330, par le vardapet arménien Jean de Qrna, il l'incita à la fondation
d'une congrégation catholique, alliée aux Dominicains de la Société des
Frères Peregrinante : la congrégation des Frères Uniteurs d'Arménie. Il fut
l'auteur de nombreux sermons et ouvrages théologiques et didactiques qui
furent traduits en arménien par Jean de Qrna et Jacques Targmann. La
Société I, p. 142, p. 144, p. 162, p. 189, p. 193, p. 198; La Chiesa, 2, p. 148;
Linguae Haicanae, n° 15; SOPMA, 1, p. 154-155, 4, p. 43.
Barthélémy de Rimbertinis de Florence : Issu d'une famille de
marchands florentins, il entra au couvent de Sainte-Marie-Nouvelle, maître en
théologie en 1428, lecteur du Sacré Palais, évêque de Coron (1439). Il
n'intervint pas directement dans les disputes théologiques du concile mais fut
envoyé à Constantinople afin de faire accepter la mise en place de l'Union
(1444/5-6). Il mourut au couvent San Marco de Florence (21 VI 1466).
SOPMA, 1, p. 155-156, 4, p. 43.
Barthélémy Ventura : Génois, évêque de Caffa (1391/98), transféré à
Surgat (1399). La Société I, p. 114, p. 131; Vigna, Vescovi, p. 90-93; La Chiesa,
2, p. 62, p. 216.
Bonaccursius de Bologne : né à Bologne avant 1230 et entré tôt chez les
Prêcheurs, il passa une quarantaine d'années dans la province dominicaine
de Grèce, principalement au couvent de Negroponte, en Eubée, où il
composa un traité polémique contre les «erreurs» des Grecs. Cet ouvrage fut
recomposé par Andrea Doto sous le titre Thesaurus verìtatis fidei. Un second
traité anonyme De erroribus Graecorum lui est attribué. La Société I, p. 77;
434 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

A. Dondaine, Contra Graecos, p. 406-418; SOPMA, 1, p. 247-249; Dizionario


Biografico degli Italiani, 11, p. 460.
Christophe de Viterbe : frère de Santa-Maria-dei-Gradi de Viterbe, il fut
nommé vicaire général de la Société des Frères Peregrinante et inquisiteur
au moment de sa seconde restauration en 1464. La Société II, p. 140-141.
Dominique : Arménien, frère Uniteur, successeur de Nersès Balientz
sur le siège métropolitain de Manazguerd (Grande Arménie), nommé en
1363. La Chiesa, 2, p. 147.
Dominique de Caffa : frère originaire de Caffa, vicaire substitut de la
Société des Frères Peregrinante pour le couvent de Caffa et la Crimée à
partir de 1389, en raison de l'âge du vicaire général, fr. Elie Petit. La Société I,
p. 94; La Société II, p. 120.
Dominique Michaelis de Péra : Né à Péra d'une ancienne famille
patricienne de Gênes. La Banque Saint-Georges, patronne de Famagouste avait
choisi Bernard Salvago mais comme il ne supportait pas l'air de la région,
elle demanda Jérôme Panissari de Santa Maria del Castello. On ne sait pour
quelle raison ce ne fut pas lui mais Dominique Michaelis qui fut nommé
évêque de Famagouste en 1455. Jean-Baptiste Fattinanti fut nommé sur le
siège de Caffa. Vigna, Vescovi, p. 166-168; La Chiesa, 2, p. 122.
Dominique de Pise : fut nommé vicaire général des Peregrinante en
1475 par le maître général de l'Ordre Léonard de Mansuetis. La Société I,
p. 119; La Société II, p. 144.
Dominique de Pologne : missionnaire à Tana sur la mer d'Azov, il
traduisit du persan en latin le traité signé par Usbek pour l'établissement des
Vénitiens à Tana. La Société I, p. 97, p. 102; SOPMA, 1, p. 335.
Elie Petit : frère originaire du Languedoc, il contribua à la restauration
de la Société des Frères Peregrinante, qu'il dirigea une vingtaine d'années.
Son ressort fut réduit à partir de 1390 et il n'avait plus à sa charge que Chios,
Mitylène et les Deux-Phocées entre 1393 et 1396. Trèe âgé, il donna en effet
sa démission en 1396. C'est à Frère Elie que s'est adressé Manuel Calecas
lorsqu'il se convertit et demanda refuge au couvent de Mitylène. La Société I,
p. 94; La Société II, p. 111, p. 115, p. 119-120.
Elie Raymond : frère de la province de Toulouse, maître général de
l'Ordre (1367-1379), il contribua au recrutement d'un groupe de frères ca-
pablee de redonner vigueur aux couvente d'Orient, particulièrement en
Arménie (1374). SOPMA, 1, p. 365-366.
Franciscus Cinquini de Piee : novice au couvent de Pise, il étudia la
philosophie au couvent de Pérouse. Il partit pour l'Orient avec Jourdain Catha-
la. Il se trouvait à Sultanieh lorsqu'il correspondit avec ce dernier, c'est grâce
à cette correspondance qu'il écrivit des lettres relatant le martyr de Frères
Mineurs en Peree. Il était aeeesseur de Guillaume de Cigiis au procès des
Spirituels de Tabriz. Il fut nommé vicaire de la Société des Frères
Peregrinante en 1333 et évêque de Tabriz à une date inconnue. Il est mort de la
peste à Pise en 1348. La Société I, p. 156-157, p. 178, p. 181, p. 195; SOPMA, 1,
p. 386-387.
Franciscus Pipinus de Bologne : vicaire général de la Société des Frères
Peregrinante (première moitié du XIVe siècle), géographe et voyageur il est
l'auteur d'une version latine du récit de voyage de Marco Polo, d'une
description de la Terre Sainte (1320) et d'une table des privilèges des Prêcheurs
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 435

(1327/28), où Jean de Cori est mentionné vicaire général des Pérégrinants en


1325. SOPMA, 1, p. 392-395, 14, p. 85; D. Planzer, Die Tabula privilegiorum
O.F.P. des Franciscus Pipinus OP, AFP 10, 1940, p. 222-257.
Franco de Pérouse : II fut lecteur au couvent Sainte-Marie-Nouvelle de
Florence (1292), puis au Studium generale de Naples (1293), enfin à Orvieto
et à Pérouse. Il partit pour l'Orient et fonda le couvent de Caffa en 1298. Il
fut le premier vicaire général de la Société des Frères Pérégrinants jusqu'en
1318, date à laquelle il fut nommé pour être le premier archevêque de Sulta-
nieh (1318-1322). R.A. Vigna indique qu'il résidait généralement à Caffa,
sans doute depuis sa démission en 1322. C'est là aussi qu'il mourut en 1333.
La Société I, p. 2, p. 12, p. 18, p. 35-36, p. 72, p. 92-94, p. 101, p. 138, p. 140,
p. 141, p. 165-167, p. 172; Vigna, Vescovi, p. 50.
François : archevêque de Sultanieh (1389) fut privé de toutes les grâces
dont jouissaient les Frères Pérégrinants par le maître général Raymond de
Capoue. Il était probablement Arménien car son nom apparaît dans une
série d'actes qui ne concernent que les Frères arméniens. La Société I, p. 170.
François de Camerino : à la curie afin de demander des renforts pour
les missions, il fut nommé évêque de Vospro en 1333. De retour à
Constantinople, il sollicita une dispute théologique sur la procession du Saint Esprit
avec des représentants de l'Eglise grecque. La Société I, p. 127-129; La
Chiesa, 2, p. 239; AFP, 30, 1960, p. 165-169.
François de Tabriz alias Ssathrou : frère Uniteur, originaire de Tabriz,
sans doute compagnon de Jean de Castamonu, archevêque de Sultanieh,
lors de sa venue à la curie en 1398. Il fut nommé à cette date évêque de Naxi-
van, devant ainsi succéder à Jean, mais il n'envoya pas ses lettres de
provision. La Société I, p. 159; La Chiesa, 2, p. 162.
Georges de Carystos : Grec, originaire de Carystos en Eubée, il était le
chapelain de Léonard de Chios, archevêque de Mitylène. La Société I, p. 67.
Gérard de Podio : Frère d'origine génoise, inquisiteur en Arménie et
Géorgie (1393). La Société I, p. 75.
Guillaume Adam : Dominicain sans doute originaire du Languedoc,
missionnaire en Perse, son rapport à la curie fut à l'origine de la mise en
place de la province ecclésiastique de Sultanieh, en 1318. Evêque de Smyrne
(1318-1322), il fut promu archevêque de Sultahieh (1322-1324), il termina sa
carrière sur le siège d'Antibar (1324-1341). Le rapport, que Guillaume Adam
fit à la curie sur l'état des missions, après un voyage en Perse et en Ethiopie
(1312-1317) porte le titre de De modo Saracenos extirpandi. Le Directorium ad
passagium de Raymond Etienne lui fut longtemps attribué à tort. La Société
I, p. 47, p. 56, p. 63, p. 72, p. 104, p. 110, p. 131, p. 138, p. 164, p. 166, p. 167-
168, p. 188; La Chiesa, 2, p. 209, p. 211; SOPMA, 2, p. 81-82, 4, p. 98.
Guillaume Bernard de Gaillac : originaire de la province de Toulouse, il
fonda deux couvents à Péra, Saint-Dominique et Sainte-Catherine, dans les
toutes premières années du XIVe siècle. Il est connu pour ses traductions en
grec de la Somme théologique de Saint Thomas et il travailla en
collaboration avec Simon de Constantinople. Deux traités polémiques de 1305/07 lui
sont attribués : le Tractatus de obiectionibus Graecorum contra processionem
Spiritus Sancii a Filio et le Tractatus contra errores Orientalium et
Graecorum. La Société I, p. 39-42; A. Dondaine, Contra Graecos, p. 418-422;
SOPMA, 2, p. 91-92.
436 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

Guillaume de Cigiis : évêque de Tabriz (1329-1348) et, en cette qualité,


instruisit le procès des Spirituels de Tabriz. Il fut ensuite promu sur le
siège de Sultanieh (1348) car Guillaume, archevêque de Sultanieh, peut lui
être identifié. La Société I, p. 156-157, p. 169-170; La Chiesa, 2, p. 212,
p. 220.
Guillaume de Moerbeke : Prêcheur originaire du Brabant, séjourna à
Nicée et à Thèbes en 1260, traducteur d'Aristote. Il participa au concile de
Lyon II (1274) et fut nommé archevêque de Corinthe en 1278. Il mourut en
1286. La Société I, p. 77; La Chiesa, 2, p. 98; SOPMA, 2, p. 122-129, 4, p. 103-
105.
Jacques : recteur de la Société des Frères Peregrinante (1318-1325), il
écrivit une lettre en grec à l'empereur Andronic II vers 1320, où il traitait
surtout du primat du pape sur l'Eglise universelle. La Société I, p. 80-81;
SOPMA, 2, p. 295.
Jacques Campora de Gênes : du couvent de Gênes, il était originaire
d'Albenga, en Ligurie. Il obtint son doctorat en théologie à Oxford et écrivit
son Dialogue sur l'immortalité de l'âme à Bruges, transcription en Italien d'un
dialogue avec un noble vénitien Bernardo Giustiniani. La faveur dont il
jouissait auprès du Duc de Gênes, Thomas Campofregoso, orienta sa
carrière en Orient. Il fut nommé évêque de Caffa (1441-1459) afin d'appliquer le
décret d'Union. Il entra en conflit à plusieurs reprises avec les autorités
génoises de Caffa surtout dans les années 1450. En 1455, il décida de rentrer en
Occident. Puis fut envoyé en mission diplomatique par le pape Callixte III à
Buda et à Graz en 1456. Conscient de l'extrême gravité des menaces qui
pesaient alors sur la chrétienté orientale, il cherchait à obtenir l'aide militaire
du roi de Hongrie, Ladislas et de l'empereur romain germanique, Frédéric
III. Il nous reste de ces démarches deux discours. Il mourut à Gênes en 1458/
59 au plus tard. La Société I, p. 108, p. 114-117; Vigna, Vescovi, p. 141-153;
SOPMA, 2, p. 310-311, 4, p. 131-132.
Jacques Castodengo : Frère de Savone, sans doute Ligure. Il enseignait
au Studium de Florence au moment du concile d'Union et participa à la
préparation des discussions dogmatiques. Il fut nommé évêque de Famagouste
en 1441 par Eugène IV, en remerciement des services rendus au concile. Il
mourut l'année suivante extra curiam. La Chiesa, 2, p. 122.
Jacques de Fossano : d'une famille originaire de Fossano, dans la plaine
du Pô, peut-être de la branche, qui s'était établie à Caffa, à la fin du
XIIIe siècle. Il était religieux du couvent de Gênes et fut nommé vicaire
général de la Société des Frères Pérégrinants en 1340. La Société I, p. 36-37.
Jacques Targman de Qrna : Frère Uniteur, son surnom vient de son
intense activité de traducteur au couvent de Qrna. La Société I, p. 144; Linguae
Haicanae, n° 15, 19.
Jacques l'Italien de Caffa : Fils d'une famille italienne, né à Caffa,
archevêque de Pékin (1426) résidant à Caffa. La Société I, p. 112; La Chiesa, 2,
p. 67.
Jean : frère Uniteur, évêque de Naxivan et archevêque de Sultanieh en
1431. CICO XIV, 2, n° 527; CICO XV, 1.
Jean Arménien : episcopus Vahrnatensis (siège impossible à identifier
de manière certaine), vicaire des Frères Uniteurs dans les régions d'Arménie,
de Perse et de Géorgie (1389). Linguae Haicanae, n° 33.
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 437

Jean de Chiari : Arménien, frère Uniteur, originaire de Chiari ou fils du


couvent de Qrna, succéda à Jean de Castamonu à la tête de la province de
Sultanieh, élu par les frères de sa congrégation en 1423. La Chiesa, 2, p. 212.
Jean de Cori : frère du couvent de Terracina, «Fr. Iohannes de castro
quod dicitur Chore Champanie» ex nécrologe d'Orvieto. Il est attesté vicaire
de la Société des Frères Peregrinante en 1325, il fut promu archevêque de
Sultanieh en 1329. La Société I, p. 168-169; La Chiesa, 2, p. 211.
Jean Dominici de Florence : Frère de Sainte-Marie-Nouvelle,
archevêque de Raguse. Il fut sensibilisé à la question de l'Union des Eglises par
Maxime Chrysobergès qu'il dut rencontrer lorsqu'il était lecteur au
couvent Saint-Pierre et Saint-Paul de Venise et par Jean Stoïkovic de
Raguse, dont il patronna les études. Il soutint la candidature de Martin V au
concile de Constance en 1417 et dut y rencontrer André Chrysobergès.
Nommé cardinal de Saint Sixte, il fut envoyé en mission par Martin V en
Hongrie et à Constantinople pour mettre en œuvre un processus
diplomatique devant préparer un concile d'Union. Il mourut à Buda en 1419. Il fut
par ailleurs un promoteur de l'observance chez les Prêcheurs et un
écrivain prolixe. G. Cracco, Banchini, Giovanni di Domenico, in Dizionario
Biografico degli Italiani, 2, Rome, 1973, p. 657-664; SOPMA, 2, p. 406-413,
4, p. 148-149.
Jean de Florence : évêque de Tiflis (1330-1347). Il fut tout d'abord
convers au couvent Sainte-Marie-Nouvelle, puis partit missionnaire en
Géorgie. Mais il continua l'œuvre de Barthélémy Poggio en Arménie et reçut
les vœux de Jean de Qrna et des Frères Uniteurs vers 1340. Il traduisit
plusieurs ouvrages du latin en géorgien et en arménien. Il mourut à Péra en
1347. La Société I, p. 144-145, p. 173-175; Linguae Haicanae, n° 438; SOPMA,
2, p. 422-423.
Jean de Fontibus : Italien, émissaire du pape à Constantinople et sans
doute de Jean Cantacuzène à Rome, au moment de la reprise du dialogue
entre les deux capitales, il écrivit en grec à l'abbé et aux moines d'un
monastère de Constantinople, vers 1350, pour les inciter à reprendre les
discussions théologiques avec les Latins. Il écrivit également un traité
polémique contre les Grecs aujourd'hui perdu. La Société I, p. 82-83; SOPMA, 2,
p. 423.
Jean de Gaillefontaine : Dominicain normand, il faisait partie du
groupe de Prêcheurs partis en Orient avec Jean de Rouen, au moment de la
restauration de la Société des Frères Peregrinante. Nommé évêque de Naxi-
van en 1377, il semble être mort avant 1387. La Société I, p. 111-112, p. 170-
171; La Chiesa, 2, p. 162.
Jean Gallo ou de Gallo : inquisiteur sur tout le territoire de la Société
des Frères Peregrinante (1381). Il est difficile de déterminer son origine sur
son seul patronyme. Il faut cependant remarquer que Paganino Doria
envoya à Caffa un messager du nom de Galeotto Gallo en 1352. La Société I,
p. 75, La Romanie génoise, 1, p. 476.
Jean Strenue, alias Janitor : de nationalité inconnue, peut-être Ruthène
de Moldavie. Il fut nommé vicaire de la société des Frères Peregrinante en
Ruthénie, Moldavie et Valachie par le maître général Raymond de Capoue
en 1390. Il résidait principalement au couvent Saint- Jean-Baptiete de Seret
où il dépoea une relique miraculeuse, qu'il avait ramené de eon pèlerinage
438 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

en Terre Sainte. Il est vraisemblablement le frère Prêcheur qui convertit


Marguerite, la mère du voïvode de Moldavie, Pierre, (ex papiers inédits de
R.J. Loenertz).
Jean de Leominster : Anglais, il était missionnaire en Orient lorsqu'il fut
envoyé à la curie par Jean Lumbello de Plaisance en 1348/49 afin de
demander des renforts, la peste ayant décimé les missions. La Société I, p. 195-196.
Jean Ley : Dominicain de la province de Rome, il fut sans doute l'un des
théologiens collaborateur de Jean de Montenero au concile de Florence,
spécialiste de la question du primat romain et donc un partisan d'un pouvoir
pontifical supérieur au concile. Il dédia deux traités au pape Eugène IV.
SOPMA, 2, p. 469-470, 4, p. 157.
Jean Lunbello de Plaisance : Dominicain italien, vicaire général de la
Société des Frères Peregrinante en 1347. Il envoya Jean de Leominster OP à
la curie demander des renforts pour les missions d'Arménie en 1349 et fut
promu archevêque de Sultanieh. La Société I, p. 169-170, p. 195-196; La
Chiesa, 2, p. 212.
Jean de Montenero : Certains biographes le disent né à Montenero en
Toscane, mais Bartolomeo Fazio le dit «ex Monte Nigro Jenuensis». Il fit ses
études au Studium de Sainte-Marie-Nouvelle à Florence et devint lecteur pro
forma et gradu (1422-1423). Maître en théologie, il fut nommé provincial de
Lombardie supérieure (1430-1445). Il défendit les ordres mendiants et la
primauté du pape au concile de Bâle, où il avait été envoyé par le pape Eugène
IV (1431-1437). Il accompagna le concile lors de son transfert à Ferrare puis
à Florence, où il fut le principal orateur des Latins dans les discussions
théologiques qui amenèrent les Grecs à signer le décret d'Union en juillet 1439.
B. Fazio, De vins illustrious, éd. L. Mehus, Florence 1745, p. 41; M. Mincuz-
zi, Giovanni di Montenero, thèse soutenue à l'Università Gregoriana de
Rome, 1938; SOPMA, 1, p. 184, 4, p. 162-163; S.S. Manna, L'autorità del Papa
negli interventi del Giovanni di Montenero, in Christian Unity, dir. G. Alberi-
go, Louvain, 1991, p. 445-469.
Jean de Péra : évêque de Soldaïa en 1456. La Société I, p. 122; La Chiesa,
2, p. 211; SOPMA, 2, p. 526.
Jean de Qrna : moine arménien, converti au catholicisme par
Barthélémy Poggio OP, fut le fondateur de la congrégation des Frères Unis
d'Arménie. Il se rendit à la curie pour faire approuver les statuts de sa congrégation
en 1342. Il prononça ses vœux devant Jean de Florence OP dans les années
1340. Il fit du monastère de Qrna en Grande Arménie le centre d'une
importante mission catholique. La Société I, p. 142-146, p. 162, p. 163, p. 175,
p. 189, p. 193; Linguae Haicanae, n° 30.
Jean de Rouen : dominicain français, il faisait partie du groupe de
Prêcheurs venu renforcer la mission d'Arménie, lors de la restauration de la
Société des Frères Peregrinante . Arrivé à Constantinople en 1374, il participa à
des discussions entre Grecs et Latins et fut chargé l'année suivante de porter
des lettres à la curie de la part de l'empereur Jean V Paléologue. Il avait été
nommé évêque de Tabriz en 1374, puis fut transféré à Caffa en 1382,
succédant à Jean de Tabriz. La Société I, p. 114, p. 158-159, p. 170; La Chiesa, 2,
p. 62, p. 220.
Jean de Rubeis de Péra (alias de Rossi) : peut-être Russe, originaire de
Péra, le maître général Raymond de Capoue l'autorisa à quitter la province
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 439

de Lombardie supérieure sans doute pour retourner en Orient car il fut alors
désigné comme successeur de fr. Elie Petit en 1396 à la tête de la Société. Il
peut être identifié à l'évêque de Phocée nommé en 1417. La Société I, p. 45,
p. 64, p. 96, II, p. 121; La Chiesa, 2, p. 125.
Jean de Saint-Michel : Frère Uniteur, nommé évêque de Tiflis le 19
décembre 1425, le même jour que son confrère Thomas d'Aparan sur la
métropole de Sultanieh. Il était probablement originaire de Caffa. La Société I,
p. 175; La Chiesa, 2, p. 221.
Jean Stoikovic de Raguse : né à Raguse entre 1390 et 1395, il est issu
d'une famille slave. C'était un protégé de Jean Dominici OP, archevêque
de cette cité, sur la côte illyrienne, à la charnière des mondes latin et grec.
Ce dernier l'envoya faire ses études de théologie au Studium de Padoue,
grâce aux subsides de la cité de Raguse. Puis il fut envoyé ensuite à Paris
par le maître général Leonardo Dati, et y obtint son doctorat en 1420.
C'est une des personnalités majeures de l'ordre des Dominicains pendant
la première moitié du XVe siècle en raison de son implication dans les
grandes questions de l'Eglise de son temps. Ce fut un promoteur de
l'observance dans les couvents d'Italie. Mais il s'attacha essentiellement à
l'unité de l'Eglise universelle : la question hussite, la fin du schisme grec.
Partisan de la théorie conciliaire s'opposa au transfert du concile en Italie,
décidée par Eugène IV et participa à l'élection de l'anti-pape Félix V. Il
mourut à Lausanne en 1444. Outre les comptes-rendus de ses discussion
avec les Hussites et de sa légation à Constantinople, il a laissé un ouvrage
majeur, synthèse de ses idées sur l'organisation de l'Eglise : Tractatus de
Ecclesia, rédigé pendant les dernières années de sa vie. A. Krchnak, De
vita et operibus Ioannis de Ragusio, Rome, 1960; SOPMA, 2, p. 532-533, 4,
p. 169-170; L. Gargan, Lo studio teologico e la biblioteca dei domenicani a
Padova nel Tre e Quattrocento, p. 58.
Jean de Sultanieh : originaire de Castamonou en Paphlagonie, il était
Italien. Evêque de Naxivan, il fut promu archevêque de Sultanieh en 1398,
lors d'un voyage à la curie. Il fréquenta alors la cour de Tamerlan, qui
l'envoya auprès des puissances occidentales, Venise et Gênes, les rois de
France et d'Angleterre (1402-1404). Il rentra en Orient par l'Allemagne et
la Hongrie. Il fit un second voyage en Italie en 1407-1409. Il fut nommé
administrateur de l'archevêché de Pékin en 1410. Il est mort après 1412. Il
nous a laissé deux témoignages sur l'Orient de son temps : une histoire de
Tamerlan, dont on n'a qu'une version en français (1403) et un description
des régions qu'il avait parcourues, le Libellus de notifia orbis (1404).
SOPMA, 3, p. 18-19, 4, p. 172.
Jean de Swinford : Dominicain anglais, il contribua à l'élaboration
d'un corpus de textes dogmatiques et liturgiques à l'usage des Frères Uni-
teurs d'Arménie. Il compila au couvent de Qrna, vers 1337, une série de
traités, en collaboration avec Jacques Targman (le traducteur), qui était
un frère arménien. La Société I, p. 144, p. 194; Linguae Haicanae, n° 19;
SOPMA, 3, p. 19.
Jean de Tabriz : originaire de Tabriz, sans doute Arménien. Il fut le
troisième évêque de Naxivan (1374-1377), il fut ensuite transféré sur le
siège de Caffa (1377-1382). La Société I, p. 113-114, p. 159, p. 170; La
Chiesa, 2, p. 162.
440 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

Jean de Torquemada : Maître du Sacré Palais (1435). Délégué du roi


de Castille puis du pape au concile de Bàie, il participa à une mission
diplomatique en Allemagne (1438/39) afin d'obtenir un soutien des princes
allemands en faveur d'Eugène IV. Il participa aux discussions avec les
Grecs, au concile de Florence où il traita en juillet 1438, du feu du
purgatoire et, en juin 1439, de l'Eucharistie et du primat de Rome. Il fut
élevé au cardinalat au titre de Saint-Sixte après le concile. Il écrivit de
nombreux traités, en particulier pour soutenir l'autorité suprême du pape
sur l'Eglise. Il est mort à Rome en 1468. SOPMA, 3, p. 24-42, 4, p. 173-
176.
Jean-Baptiste Fattinanti : frère du couvent observant Santa-Maria-di-
Castello de Gênes, il fit renouveler le décret de restauration de la Société en
y faisant réintégrer le couvent de Chios en 1473, date à laquelle il portait les
titres de vicaire des Peregrinante et d'inquisiteur. La Société I, p. 52, p. 76,
p. 95, p. 119; La Société II, p. 142-143.
Jérôme Panissari : né à Gênes, prieur du couvent observant Santa-
Maria-del-Castello de Gênes, inquisiteur dans les diocèses de Verceil, No-
vare, Corne et Ivrée en 1452, il fut proposé par les protecteurs de la Banque
Saint-Georges pour le siège de Famagouste mais il succéda à Jacques Cam-
pora sur celui de Caffa, cité dont il fut l'évêque de 1459 à 1469. La Société I,
p. 108, p. 114, p. 117-119; Vigna, Vescovi, p. 175-182; La Chiesa, 2, p. 62.
Job de Maku : Arménien, frère Uniteur, fut nommé archevêque de
Saint-Thaddée (Maku) en 1424. La Société I, p. 193; La Chiesa, 2, p. 197.
Joseph d'Aparan : maître en théologie, gubernator des Uniteurs
d'Arménie. La Société I, p. 149; Linguae Haicanae, n° 36.
Joseph d'Arménie majeure : Frère Uniteur, évêque de Cimbalo (1386-
1403). La Société I, p. 123; La Chiesa, 2, p. 85.
Joseph de Sahapoun : gubernator des Frères Uniteurs d'Arménie, se
rendit à plusieurs reprises auprès de Martin V pour faire confirmer les
privilèges de sa congrégation. La Société I, p. 149; Linguae Haicanae, n° 35.
Jourdain Cathala de Séverac : missionnaire en Perse depuis plusieurs
années déjà en 1321, il vint à la curie en 1329/30 et fut à ce moment nommé
évêque de Quilon en Inde. Il est l'auteur d'une relation du martyr de frères
Mineurs à Thâna et du récit de son voyage en Asie, Mirabilia descripta
(Avignon, 1329). SOPMA, 3, p. 51-52, 4, p. 177.
Laurent Cardi : frère de Sainte-Marie-Nouvelle à Florence, il suivit ses
études de théologie à Saint- Augustin de Padoue de 1413 à 1418. Il fut
diplômé de ce Studium la même année qu'André Chrysobergès. Il rejoignit alors le
Studium de son couvent, dont il fut prieur de 1422 à 1425. Vicaire général de
la Société des Frères Peregrinante en 1432, puis nommé évêque de Sagona,
en Corse en 1434, il mourut à Florence en 1438. La Société II, 128; S. Orlandi,
// necrologio di Santa Maria Novella, 2, p. 192-196, p. 643; L. Gargan, Lo
studio teologico e la biblioteca dei domenicani a Padova nel Tre e Quattrocento,
p. 57.
Léonard de Chios : né vers 1395, d'une famille mahonaise de Chios, il fit
une partie de ses études en Italie et devint lecteur au couvent de Gênes puis
maître en théologie à Pérouse. Il fut nommé vicaire général de la Société des
Frères Peregrinante (1429), puis inquisiteur dans l'ensemble du territoire de
la Société, enfin il fut promu archevêque de Mitylène en 1444. Il était très lié
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 441

à la famille des Gattilusi, qui gouvernait Chios et en partageait le goût pour


la culture grecque. Il écrivit son principal ouvrage pour Luchino, frère de
Dorino Ier. C'était un traité en réponse au De nobilitate de Poggio Bracciolini,
ayant la forme d'un dialogue platonicien, le De vera nobilitate (1446). Il
accompagna le cardinal Isidore de Kiev dans une légation pontificale, qui
proclama le décret de l'Union de Florence en 1452, à Sainte-Sophie de
Constantinople. Il s'y trouvait encore lors de la prise de la ville par les Turcs, dont il
fit le récit. La faveur des Gattilusi, celle du cardinal Dominique Capranica et
son action en faveur de l'Union lui valurent de nombreux bénéfices : les
revenus de Saints-Pierre-et-Paul des Pisans à Constantinople (1449),
l'administration du diocèse d'Andros, dans l'Archipel et celle de la province de Mé-
thymne (1456). Il est mort à Gênes en 1459, lors d'un voyage en Occident,
envoyé par Nicolas Gattilusi pour demander une aide militaire, les Turcs
préparant une nouvelle offensive. La Société I, p. 66-70, p. 75-76, II, p. 126-
127; SOPMA, 3, p. 71-73, 4, p. 188.
Louis de Pise : fut nommé en même temps vicaire général des
Peregrinante et inquisiteur en Orient en 1439. La Société I, p. 76, II, p. 129.
Louis de Saint-Pierre : Arménien, sans doute originaire de la paroisse
Saint-Pierre de Caffa, évêque de Soldaïa, en Crimée, pendant une trentaine
d'années. Il fut en effet nommé par Boniface IX puis transféré sur le siège de
Cimbalo en 1427. Il n'est pas certain qu'il ait accepté ce transfert. La Société
l, p. 121-123.
Louis de Tabriz (alias de Caffa) : Arménien, frère Uniteur du couvent de
Tabriz, il fut assigné au couvent Saint-Dominique de Venise en 1389 puis
obtint son passage dans l'ordre des Prêcheurs et devint frère du couvent de
Caffa en 1396. Il dirigea pendant de très nombreuses années la chapelle et
l'hospice Saint-Antoine de Péra (1400-1434-) malgré plusieurs conflits avec les
autorités ecclésiastiques locales. Soutenu par le podestat et le conseil de la
ville et arguant de sa connaissance dans les langues parlées par les pèlerins
et marchands de passage dans cet hospice, il obtint toujours gain de cause.
La Société I, p. 59-60, p. 95, p. 102, p. 159-160.
Luc de Bozzolo : issu d'une famille ligure installée en Romanie génoise,
frère du couvent de Péra, il succéda à Frère André, en 1400, comme
inquisiteur en Romanie et Gazarie (Grèce et Tartarie). La Société I, p. 75.
Luc Michaelis de Pise : Frère originaire de la paroisse Saint-Laurent de
Pise, élu évêque d'Eresos, le 18 janvier 1374. L'archevêque de Mitylène,
André, lui conféra solennellement ses pouvoirs dans l'église Saint-Antoine de
Péra. La Société I, p. 70-71.
Luchino de Mari : Dominicain génois, il est issu d'une des familles
nobles de Gênes, dont certains membres s'installèrent en Romanie dès le
XIIIe siècle. Il fut nommé vicaire des Peregrinante pour les couvents de Péra,
Chios, Caffa et Trébizonde. Cette nomination, en 1374, constitue la première
étape de la restauration de la Société. La Société I, p. 45, II, p. 107-109.
Manuel Calecas : Neveu du patriarche de Constantinople, Jean XIV
Calecas, dont il avait épousé les idées. Jean Calecas avait été déposé en 1347 en
raison de son opposition à Grégoire Palamas et de son soutien à la cause
unioniste; il mourut en prison. Manuel Calecas avait fondé, en 1390, à
Constantinople, une école de grammaire et de rhétorique dans la tradition
byzantine héritée de l'Antiquité. Après avoir fait la connaissance de Deme-
442 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

trios Cydonès et de Maxime Chrysobergès, il se tourna vers la théologie


occidentale et se perfectionna en latin auprès de l'humaniste italien Jacopo
Angeli, qui apprenait le grec dans l'école de Manuel Chrysoloras. L'influence de
ce cercle d'amis et la reprise des persécutions hâtèrent son évolution de l'an-
ti-palamisme vers le catholicisme. Traduit devant le tribunal synodal, il se
réfugia au couvent des Prêcheurs de Péra en 1396. Il rejoignit ses amis De-
metrios Cydonès et Manuel Chrysoloras en Italie et séjourna au monastère
Saint-Ambroise de Milan de 1401 à 1403, où il traduisit en grec le De Trinitate
de Boèce. De retour en Orient, il prit l'habit des Prêcheurs au couvent de Mi-
tylène, ainsi qu'il en avait fait le projet et obtenu la permission du vicaire
général des Peregrinante, fr. Elie Petit, dès 1398. Il mourut à Mitylène en 1410.
Il est l'auteur de plusieurs traités de théologie : De Fide deque prìncipiis ca-
tholicae fidei (c. 1395), De processione Spiritus sancii, De essentia et opera-
tione (c. 1396), Adversus Graecos (1410). La Société I, p. 56, p. 75, p. 82,
p. 83-84, p. 86; SOP.MA, 3, p. 102-104.
Martin de Chiari : Arménien, frère Uniteur originaire de Chiari dans le
diocèse de Naxivan, ou fils du couvent de Qrna. Il fut nommé évêque de
Naxivan en 1419. A sa mort en 1423, un autre Uniteur fut élu, Pierre de Qrna.
La Société I, p. 149; La Chiesa, 2, p. 162.
Matthieu (avenicensis) : devait être Arménien et frère Uniteur. Gradué
en théologie, il porta le titre d'archevêque de Naxivan et mourut à Chypre en
1438. M.A. van den Oudenrijn, Bishops and Archbishops of Naxivan, dans
AFP 6, 1936, p. 161-216.
Matthieu de Pontremoli : Frère issu d'une famille originaire de Lunigia-
na (terre d'émigration située au Nord de la Riviera du Levant),
probablement installée en Romanie. Il fut le dernier évêque résident de Tana (1464).
La Société I, p. 125; La Chiesa, 2, p. 217.
Maxime Chrysobergès : Frère aîné d'André, disciple de Demetrios
Cydonès, compagnon d'exil de Manuel II à Lemnos (1387/89), il se convertit et
prit l'habit des Prêcheurs au couvent de Péra vers 1390. Il compléta ses
études de théologie à Pavie et à Venise jusqu'en 1398. Abbé du monastère de
rite grec Saint-Pierre et saint-Paul de Agro en Sicile, il s'installa ensuite en
Crète (vers 1400). Il chercha à mettre en place une liturgie catholique en
langue grecque. Il se rendit à Chios puis à Mitylène, où il mourut avant 1430.
Il est l'auteur d'un traité sur la procession du Saint Esprit, Orano ad Cre-
tenses (PG 154), qu'il écrivit après une discussion avec Joseph Bryennios en
Crète. La Société I, p. 82, p. 83, p. 84-87; SOPMA, 3, p. 133.
Mxitaric : Frère Uniteur du couvent d'Asparan, auteur d'un traité de
théologie (1410), qui est aussi une source importante pour l'histoire des Uni-
teurs d'Arménie : Book of Argumentation of the Orthodox according to the
Holy Catholic Church (titre traduit de l'arménien en anglais par M.A. van
den Oudenrjin). Linguae Haicanae, n° 24-25.
Mxitaric : Arménien, frère Uniteur, évêque de Naxivan. Il est mort en
1417, on ne connaît son nom que par la bulle de son successeur. Il ne semble
pas identifiable avec le précédent car les colophons de manuscrits du traité
de ce dernier ne manqueraient pas de mentionner le titre d'évêque s'il l'avait
porté. Linguae Haicanae, n° 68.
Nersès Balientz : Arménien converti, entré dans l'ordre des Prêcheurs
comme le dit Jean Dardel OFM dans sa chronique. Evêque d'Urmia en Perse
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 443

occidentale, il fut promu archevêque de Manazguerd, en Grande Arménie, le


7 décembre 1338. Nersès avait été élu par les clercs et le peuple de la ville,
consacré et confirmé par le catholicos. Il fut confirmé par Benoît XII et
consacré sous condition dans le rite de l'Eglise romaine. Il restera sur ce
siège au moins jusqu'en 1355, dernière date à laquelle il apparaît dans les
sources pontificales. Il accomplit de nombreux voyages à la curie dans le but
de ramener l'Eglise arménienne dans l'obédience de Rome. Il est l'auteur
d'un Libelle dénonçant 117 erreurs des Arméniens. Il développa l'action des
Frères Uniteurs en Cili : ie. Il enseigna l'arménien à la curie. Son ardeur à
défendre l'union avec Rome fut telle qu'il passe, avec son compagnon Siméon
Bey, évêque de Garin (Erzéroum), pour un Frère Uniteur fanatique. La
Société, p. 188, p. 193. Linguae Haicanae, n° 41; SOPMA, 4, p. 201.
Nicolas, provincial de Terre Sainte : auteur d'une réfutation des écrits
anti-latins d'Eustrate de Nicée (1250 c). SOPMA, 3, p. 141.
Nicolas d'Adrianopolis : évêque, puis vicaire de l'archevêque de Rhodes
(1384). Interprète de Jean V Paléologue en 1369, il ne savait cependant pas
lire le grec classique. Mais il collabora à la traduction d'un ouvrage de Plu-
tarque. Un scribe de la chancellerie, Dimitri Calodiqui de Saloniqui,
philosophe grec de Thessalonique, traduisit d'abord en démotique le manuscrit
grec, puis Nicolas d'Adrianopolis en fit une version en catalan, sans doute.
A. Luttrell, Greeks, Latins and Turks on the Late Medieval Rhodes, dans
Byzantinische Forschungen, 11, 1987, p. 357-374; SOPMA, 3, p. 140.
Nicolas de Ferrare : vicaire général des Peregrinante (1437-1439). La
Société I, p. 46, II, p. 128-129.
Nicolas Goldberg : inquisiteur en Ruthénie et Moldavie, il authentifia le
miracle de Seret (1392). La Société I, p. 75.
Nicolas de Tende : originaire de Tende sur la côte ligure, il était frère du
couvent de Savone. Il fut nommé évêque de Famagouste (1417). Rudt de Col-
lenberg, Le Royaume et l'Eglise latine..., op. cit., p. 101-102; Vigna, Vescovi,
p. 107-113; La Chiesa, 2, p. 122.
Nicolas de Tuderto (Todi), «autrement dit de Chios» : vicaire de l'église
de Chios après la destitution de Léonard Pallavicini, il fut nommé évêque
des Deux-Phocées en 1427. La Société I, p. 64; La Chiesa, 2, p. 125.
Nicolas de Venise : fit ses études de théologie au couvent
Saint-Augustin de Padoue, bachelier en théologie (1410-1411). Maître en théologie
en 1412, il fut assigné régent du Studium de ce même couvent l'année
suivante. Il fut ensuite prieur des couvents de Venise (1414-1417) et de
Bologne (1419) avant d'être nommé provincial de Lombardie (1420-1429). Il
est membre du collège de théologie de Padoue en 1424. Nicolas Medicis
de Venise était donc un théologien renommé de l'ordre des Prêcheurs, et,
en cette qualité, il rejoignit le concile à Ferrare en 1438. Il mourut en 1441
après avoir légué sa bibliothèque au couvent Saint- Jean-et-Paul de Venise.
G. Meersseman, Les Dominicains présents au concile de Florence jusqu'au
décret pour les Grecs, dans AFP, 9, 1939, p. 62-75; L. Gargan, Lo studio
teologico e la biblioteca dei domenicani a Padova nel Tre e Quattrocento, p. 55;
A. Manfredi, La dispersione dei codici di umanisti a Pomposa tra Quattro e
Cinquecento, in La biblioteca di Pomposa, éd. G. Billanovich, Padoue, 1994,
p. 319-349.
Philippe de Bindo Incontri alias de Péra : Issu sans doute d'une des
444 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

nombreuses branches d'une noble famille de Sienne. Celle-ci était très liée
aux Dominicains de Sienne. Il entra au couvent de Péra en 1312, où il
était novice pendant les dernières années de la vie de fr. Simon de
Constantinople. Il continua l'œuvre polémique de ce dernier et participa à
des entreprises diplomatiques et des discussions théologiques afin de
mettre un terme au schisme grec. Sa collaboration avec Demetrios Cydo-
nès fut fructueuse car elle favorisa sans doute la conversion de ce dernier
et conduisit fr. Philippe à écrire quatre ouvrages rendant compte des
recherches qu'il avait effectuées pendant plus de trente ans sur les origines
du schisme. Dans le cadre de ces activités il se rendit plusieurs fois à la
curie avignonaise : en 1343, il participa à l'organisation de la croisade
contre les Turcs, en 1351, il fut nommé inquisiteur en Romanie et
chapelain du pape, puis en 1359, son ressort fut étendu à la Coumanie, à la
Perse et à la Tartarie, c'est à dire à l'ensemble du territoire de la Société
des Frères Pérégrinants. En 1356, le pape Innocent VI lui recommandait
ses deux nonces Pierre Thomas, Carme, et Guillaume Conti OP, évêque de
Sozopolis, envoyés à Byzance pour négocier un projet d'union. P.D.
Eugenio Gamurrini, Storia genealogica delle famiglie nobili Toscane, et Umbre,
voi. IV, Florence, 1679, Bologne2, 1972; La Société I, p. 74, p. 78-79, p. 81-
82; SOPMA, 3, p. 274-275.
Pierre d'Aragon : Dominicain espagnol (1331-1347), il collabora, avec
Jean de Swinford et Jacques Targman, à l'élaboration d'un corpus de
textes latins traduits en arménien au centre d'études de Qrna. Linguae Haica-
nae, n° 19; SOP.MA, 3, p. 216.
Pierre de Qrna : Arménien, frère Uniteur, fils du couvent de Qrna, élu
évêque de Naxivan en 1423. La Chiesa, 2, p. 162.
Pierre de Terrena : Dominicain italien, il est attesté comme vicaire
général de la Société des Frères Pérégrinants dans les archives de Lwow en
1406. La Société II, p. 121-122.
Raymond Etienne : Prêcheur de la province de Toulouse, envoyé en
Arménie en 1318, il tenta de développer l'influence dominicaine en Cilicie.
Il fut promu archevêque de Corinthe en 1322. Excellent connaisseur de la
Terre Sainte, il est, semble t-il, l'auteur du Directorium ad passagium
faciendum. Ce texte est un projet anonyme de croisade adressé au roi de
France, Philippe VI, en 1332, par un religieux dominicain. La Société I,
p. 63, p. 167, p. 188; SOPMA, 3, p. 287-288.
Simon de Candie : frère né à Candie, provincial de Grèce dans un
acte de Martin V de 1429.
Simon de Crète : né à Candie, abbé du couvent Saint-Antoine de
Candie, il fut nommé inquisiteur en Grèce par le pape Callixte III en 1451 et
fut chargé par ce même pape d'une mission spéciale en 1455/58, il
contribua ainsi au développement du mouvement uniate dans son île natale.
R.J. Loenertz, Fr. Simon de Crète, inquisiteur en Grèce et sa mission en
Crète, dans AFP 6, 1936, p. 372-378.
Simon de Constantinople : frère du couvent de Constantinople sans
doute d'origine grecque, il mourut nonagénaire au couvent de Péra vers
1325. Il avait suivi ses frères à Negroponte après la conquête de la capitale
byzantine par Michel VIII Paléologue, puis revint à Constantinople et
enfin il suivit Guillaume Bernard à Péra. Il contribua par ses travaux de re-
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 445

cherche à l'évolution de l'œuvre polémique des prêcheurs de Péra. Il reste


peu de ses écrits mais cette œuvre transparaît à travers celles de
Guillaume Bernard et de Philippe de Péra, qui faisait son noviciat lorsqu'il
était très âgé. Il ne reste de son œuvre que quatre lettres, envoyées à
différentes personnalités byzantines : Andronic II, Manuel Holobolos, le
moine Sophonias, le nomophylax Jean. A. Dondaine, Contra Graecos,
p. 405-406; SOPMA, 3, p. 345.
Thaddée de Caffa : Evêque latin de Caffa (1334-1357) considérant
comme plus que probable l'hypothèse du P. Loenertz faisant de Thaddée,
souscripteur du Vidimus de la bulle de canonisation de Saint Thomas, et
Thaddée, promu évêque de Caffa, en 1334, une seule et même personne.
Thaddée était un arménien converti, entré dans l'ordre des Dominicains. Il
apparaît dans les sources pontificales comme étant évêque arménien de
Caffa dès les années 1320. Evêque arménien de Korikos en Petite Arménie, il
emigra à Caffa, où il continua à porter ce titre après sa conversion. Il se
rendit à la curie et bénéficia à plusieurs reprises de subsides. R.A. Vigna le dit
par erreur Génois, fils de notre couvent de Saint-Dominique, mais sans
doute séjourna t-il plusieurs fois au couvent des Prêcheurs de Gênes lors de
ses voyages à la curie. En 1323, il accompagnait Guillaume Adam et ils
signèrent ensemble le Vidimus susdit. En 1327, il signe une lettre
d'indulgences avec Jérôme OFM, évêque latin de Caffa. Il enseigna sans doute le
latin à l'Ayas. Il traduisit en arménien les heures diurnes de l'office divin selon
le rite des Frères Prêcheurs en 1343. Il signa ainsi son ouvrage : «Thaddée,
frère de l'ordre de Saint Dominique et par la miséricorde de Dieu évêque de la
cité de Caffa». En 1346, il était de nouveau à Avignon, où il signait une lettre
d'indulgences avec Nicolas de l'Ayas, Nersès Balientz et Benoît OP, évêque
d'Amissos. Vigna, Vescovi, p. 49-54; Linguae Haicanae, n° 22; SOPMA, 4,
p. 285-286.
Théodore Chrysobergès : Frère d'André et de Maxime, il accompagna
son frère aîné durant sa jeunesse, au couvent des Prêcheurs, à Pavie et à
Venise, mais il s'impliqua ensuite totalement dans la cause de l'Union.
Plénipotentiaire du roi de Pologne Ladislas Jagello au concile de Constance, il
participa aux premières négociations avec Martin V en 1417, puis à celles qui
furent menées par Nicolas Eudemonoioannès en 1420, en tant que porte-
parole des empereurs Manuel II et Jean VIII Paléologue. Il fut récompensé
de ses services par une brillante carrière : un canonicat à Patras, puis il fut
nommé vicaire de la Société des Frères Peregrinante (1415-1418) avant d'être
promu évêque d'Olena, dans le Péloponnèse (1418-1429) et inquisiteur
général dans la région d'Athènes (1421). Il mourut en 1429. La Société II, p. 122-
123.
Thomas d'Aparan : Arménien, frère Uniteur, fils du couvent d'Aparan,
succéda à Jean de Chiari à la tête de la métropole de Sultanieh en 1425. La
Chiesa, 2, p. 212.
Thomas de Gubbio : Dominicain issu d'une famille originaire d'Italie
centrale, près de Pérouse, installée à Caffa à la fin du XIIIe siècle, il fut
nommé vicaire général des Peregrinante en 1448 et fit un séjour à Chios en 1449.
Il était également recteur de l'église Saint-Michel, paroisse des Génois de
Péra. La Société I, p. 115, II, p. 129-130.
Thomas de Jahouk : Arménien, frère Uniteur, nommé évêque de Naxi-
446 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

van lors d'un voyage à la curie en 1356. Il fut le second évêque de Naxivan; le
premier, Jean, n'est connu que par la bulle de la nomination de Thomas. Ce
dernier était accompagné de son frère Eleuthère, qui fut nommé à la tête de
la congrégation des Frères Uniteurs mais ils périrent en mer Noire en 1358,
lors de leur retour en Arménie. Linguae Haicanae, n° 23.
Thomas de Tabriz : Arménien, évêque de Galata (1355), il fut ensuite
transféré sur la métropole de Sultanieh (1368-1374). La Société I, p. 197; La
Chiesa, 2, p. 212.
Vincent Robini de Chypre : il fut nommé vicaire général des Pérégri-
nants et inquisiteur sur tout le ressort de la Société des Frères Peregrinante
par un acte du maître général en 1488. Par cet acte la Société était de
nouveau rétablie dans son intégralité. C. Longo, / domenicani a Cipro.
Documenti (1451-1587), AFP 59, 1989, p. 149-211.
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 447

LES VICAIRES GÉNÉRAUX DE LA SOCIÉTÉ


DES FRÈRES PÉRÉGRINANTS

Nationalité-
Date Couvent Ressort Sources

Franco de 1318 Italien


Pérouse
Jean de Cori 1325 Italien, Terracina A.F.P., 10, 255-257
Andréa della 1340 Italien, Orvieto A.F.P., 2, 69
Terza
Jacques de 1340-1347 Italien, Gènes M.O.P.H. IV. 208
Fossano
Jean Lumbello 1347-1349 Italien, Plaisance M.O.P.H. IV, 318
de Plaisance

Première suppression de la Société des Frères Pérégrinants (1363-1375)

Luchino de 1347 Italien, Gènes Pera- A.F.P., 3, 40-41


Mari Chios-
Caffa-
Trébizonde
Elie Petit 1375-1393 Français La Société B.O.P. II, 283
1393-1396 Chios- M.O.P.H. XIX, 224
Mythilène-
Phocée
Dominique de 1389 Crimée, Caffa Substitut M.O.P.H. XIX, 221
Caffa du
précèdent
Jean Strenue, 1390-1393 Ruthène Ruthénie- M.O.P.H. XIX, 222
alias Janitor Valachie
André 1390-1393 Arménien, Caffa Romanie- M.O.P.H. XIX, 222
Gazarie-
Arménie-
Géorgie
Andreolo Sibono 1393 Albenga, Gènes M.O.P.H. XIX, 224%
Jean de Rossi 1393-1399 Russe?, Péra M.O.P.H. XLX, 225
Pierre de 1406 Italien W. Abraham, Jakob
Terrena Strepa, 110-111
Théodore 1415-1418 Grec A.F.P. 9, 1939, 17-18
Chrysobergès
André 1426-1429 Grec E.O. 34, 429-430

(à suivre)
448 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

Nationalité-
Date Couvent Ressort Sources

Chrysobergès 1431-1432
Léonard de 1429-1431 Colon italien, E.O. 34, 436-438
Chios Chios
Laurent Cardi 1432-1434 Florence, Sainte M.O.P.H. VIII, 197
Marie Nouvelle
Nicolas de 1437 Italien CICO XV, no 550
Ferrare B.O.P. III, 65
Louis de Pise 1439 Italien CICO XV, no 807-
807n
B.O.P. III, 108-109
Tomas de 1448-1449 Italien, Caffa G. Hofmann, Epistu-
Gubbio lae III, 120, no 294
Baldassare Vegio 1444 Italien, Gènes Substitut Atti XIII, 215
du
précédent
Seconde suppression de la Société des Frères Pérégrinants (1456-1464)

Christophe de 1464 Italien, Santa B.O.P. III, 498


Viterbe Maria dei Gradi
Jean-Baptiste 1473 Italien, Santa B.O.P. III, 498
Fattinanti Maria di Castello
Dominique de 1475 Italien A.G.O.P., Reg. IV, f.
Pise 67r
Vincent Robini 1488 Chypre A.F.P. 59, 1989, 164

LES DOMINICAINS, INQUISITEURS EN ORIENT

Nationalité- Vicaire
Date Couvent Ressort général Sources

Andréas Doto 1314 Crète A.S.V., éd. D. Jacoby,


Miscellanea Loenertz,
1971
Philippe de 1351 Colon italien, La Société CICO X, no 127
Péra Péra
Jean de Gallo 1381 Génois? La Société +
Nicolas 1381 Allemand, Ruthénie- A.F.P. 4, 6, 33, 42
Goldberg Lwow Vulachie Ruthénie
André 1390 Arménien, Romanie- + B.O.P. II, 310
Caffa Gazarie

(à suivre)
LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT 449

Nationalité- Vicaire
Date Couvent Ressort général Sources

Gérard de 1393 Arménie- M.O.P. II. XEK, 224


Podio Géorgie
Luc Bozzolo 1400 Colon italien, Grèce- CICO XIII, 1, no 79
Péra Gazarie
Antoine 1420 Crète CICO XIV, 1, no 168
Théodore 1429 Grec Achaïe + CICO XIV, 1, no 73k
Chrysobergès
Léonard de 1431 Colon italien, La Société + B.O.P. III, 9-10
Chios Chios
Louis de Pise 1439 Italien, Pise La Société + B.O.P. III, 109-111
CICO XV, no 78
Simon de 1451 Candie Crète
Candie
Christophe de 1464 Italien, La Société + B.O.P. III, 432
Viterbe Viterbe
Jean-Baptiste 1473 Italien, Gènes La Société + B.O.P. III, 468
Fattimanti
Vincent 1488 Chypre La Société + A.F.P. 59, 1989, 164
Robini

LES FRÈRES UNITEURS DANS


LA HIÉRARCHIE LATINE D'ARMÉNIE ENTRE 1350 ET 1440

Diocèse de Naxivan Diocèse de Saint-Thaddee Archidiocèse de Sultanieh


Thomas 12-IV-1356 Zacharia 29-IV-1353 Jean O.P. de 09-1-1349
O.F.U. S. Marchait Plaisance
de Djahouk O.P.?
Jean O.F.U. 07-IV-1374 Thomas 28-11-1368-
de Tabriz 09-III-1377 O.F.U. 1374
de Tabriz
Jean O.P. de 07-III-1377 Herigetus 28-11-1368
Gaillefontaine
Jean O.P. de 20-VII-1398 François
Castamon
François 27-VIII-1398 Jean O.P. 20-VII-1398
O.F.U. de Castamon
de Tabriz
(à suivre)
450 LISTE DES DOMINICAINS EN ORIENT

Diocèse de Naxivan Diocèse de Saint-Thaddee Archidiocèse de Sultanieh


Stéphane 20-X-1400 Baptiste O.P. 05-V-1400
O.F.M. de de Insula
Seczhew*
Frédéric Ol-V-1401
Pawknecht*
Jean O.P. 26-VII-1402
Lyoens de
Bruges*
Louis O.P. 02-III-1403 Jérôme
Gometii*
Jérôme de
Tarvisio*
Mxtaric 02-III-1403
O.F.U. 1417
Martin 09-X-1419
O.F.U. de
Chiari
Georges*
Ladislas*
Pierre 13-X-1423 Job O.F.U. 13-III-1424
O.F.U. de Maku
de Qrna
Jean O.F.U. 10-1-1431 Jean O.F.U. 12-XII-1423
de Chiari
Mattheu 1438 Thomas 19-XII-1425
O.F.U. O.F.U.
d'Aparan
Jean O.F.U. 1431

O.P. = Ordre des Prêcheurs


O.F.U. = Ordre des Frères Uniteurs
* = Évêques titulares non résidents
ANDRÉ CHRYSOBERGÈS
À BARTOLOMEO FAZIO (1448)

Andreas archiepiscopus nicosiensis bartholomeo faczio civi Januensi


viro doctissimo s.p.d.[salutem plurimam dicit] Cum has, bartholomee optime,
legeris, quod ut sospes facias, scies nos post diem secundum quo ex neapoli
solvimus ponormum appulisse. Quod si nauta noster, quem ipse iupiter
conterat celi optimo beneficio uti voluisset, nihil est quo nunc peloponen-
sium fines non attigisset, sed velut insatiabilis quaestor de portu in portu sti-
pitem queritat, ex marinis fluctibus committimus1 quo neptunnus hospiti-
bus suis inexorabilis esse solet. Exorandus est igitur deus ut ipsum nobis mi-
tem secundumque faciat, sed de hoc satis. Fasciculus, quem his litteris
colligatum cernis, adeo mihi oportunissimus est, quo deferatur tutus in
curiam, ut nihil mihi gratius. Quare te oro, bartholomee humanissime, ac
summum in modum obtestor ut is summa fide ac celeritate ad
reverendis imi patris domini cardinalis niceni aut antonii manus deferatur. Hoc cum fe-
ceris, probabis omnino te talem ad me fore, qualem te mihi pollicitus es fu-
turum. Vale et me, ut cepisti, ita et diligas. Vale iterum, et scias deum in hac
mea asperrima navigatione quoddam inopinatum mihi solatium reservasse.
Siquidem nicolaus Italianus concivis tuus, cuius clarissimum ingenium
multiplex virtus ac ornatissimi mores in suas laudes proprium opus deside-
rant, ex britaniis nuper adveniens statuii esse comes huius nostri itineris,
quo fiet ut quottidie accedamus te etiam absentem de fine et felicitate homi-
num acutissime uisserentem. Vale tertio, et antonio panormitano poetarum
principi, viro doctissimo, plurimas salutes meo nomine impartiare obsecro.

Il faut sans doute lire «committimur» .


COUVENTS ET MAISONS APPARTENANT À LA SOCIÉTÉ DES FRÈRES PÉRIGRINANTS
ET DES FRÈRES UNITEURS (FIN DU XIVe SIÈCLE-DÉBUT DU XVe SIÈCLE)

MER BALTIQUE

Tana
La Mer Noire |

Licostomo

jCherson
— Cimbalo?{
? A?SoIdaTa

Péra-
Constantinople^

■ Frères Prêcheurs
ο Frères Uniteurs
COUVENTS ET MAISONS DES FRÈRES PÉRIGRINANTS ET DES FRÈRES UNITEURS
(FIN DU XIVe SIÈCLE-DÉBUT DU XVe SIÈCLE)

MARE MAJUS

J^a^r

ICIarenza

ΛΈ MER EGÉE

-La Canèe-
Candie -
Nicosie ^Famagouste

-MER MEDITERRANEE- Limasso 100km

0e ia Mer Noire à la mer Caspienne

■ Frères Prêcheurs
O Frères Uniteurs
INDEX DES NOMS DE LIEUX

43; 50; 51; 53; 58; 70; 71; 79-81; 95;


97; 99-105; 115; 122; 124-127; 128;
Abkhazie 20; 49; 58 130; 131; 134; 136; 137 (note 74); 147;
Achaie 3; 6; 34; 41-42; 60; 62-63; 68; 150; 152; 158; 160; 162-163; 201; 204-
75; 77; 119; 135; 140 205; 297; 362; 366-367; 390
Acre 7; 65 Candie 6-7; 36; 41; 62; 78; 81; 85-86;
Akhalzikhé 22 88; 167 (note 74); 381; 382
Andravida 6; 120 Castamon 132
Aparan 21; 162 (note 60) Caucase 17-20; 42; 45-46; 48-49; 55;
Arezzo 346-347 139; 146
Argos 62; 386 Ceneda 154; 215
Arménie 17-18; 20-21; 24-25; 42-43; 46; Chelm 108
61; 64; 102; 106; 125; 129-132; 134; Cherson 24-25; 130; 147; 245
139; 146; 150; 154; 158-160; 162-163; Chersonese 244
164-165; 169; 185; 197; 202; 203; 205; Chine 12; 19; 20; 45; 55; 172-173
244; 248; 390; 406 Chios 3; 14-17; 30; 37-38; 51; 72-74; 79;
Athènes 41
85; 87; 96; 122-124; 128; 136-139;
Avignon 3 (note 2); 125; 145; 148-149; 157-158; 346; 349; 366; 406
154 (note 28); 155; 284; 304; 329 Chypre XII; 3-5; 7-8; 34; 38-41; 43; 46;
Ayas 20; 125 (note 29); 202 60-62; 64-69; 71-72; 74; 75; 77; 82;
Azerbaïdjan 17; 22 85; 86; 89-94; 119; 120-122; 128; 135;
140; 153; 169; 187; 192; 366; 379-381;
Β 406
Bale 295; 304; 312-313; 315; 319; 324; Cilicie 5; 8; 20; 46; 70; 125; 202; 310
325-326; 328; 329; 330; 331; 333; Cimbalo 24; 27; 70; 80; 99; 125; 134
339; 351; 359; 362; 382; 395 (note 64); 405
Baraverio 22; 160 Constance 191; 192; 285; 286; 289; 294;
Beiz 32; 107; 111 295; 304; 306; 319; 326; 336; 381
Bohème 178; 307; 326; 330 Constantinople 9-10; 16; 62; 65; 78; 83;
Bologne 202; 318; 325; 335; 339; 354; 123; 143; 144; 147; 154; 157; 168; 169;
362; 386 170; 171; 188; 189; 190; 196; 197; 201;
Brasov 29; 171-172 204; 207; 208; 212; 224; 234; 236;
Buda 29; 102; 115; 152; 168; 175; 187; 245; 246; 248; 256; 278; 285; 286;
293; 319 287; 292; 293; 295; 296; 297; 304;
Byzance 29; 144; 152; 168; 178; 186; 307; 310; 317; 318; 321; 326-328;
196; 246; 284-285; 297; 391 330-331; 335; 340; 343; 349; 360;
Byzance (empire) 3; 9; 35; 56; 74 (note 377; 386; 387; 389; 398; 403; 406
43); 115; 140; 153; 155 (note 32); 163; Constantinople (centre de pouvoir) 46;
167 (note 74); 174; 179; 187; 189; 193; 86; 112; 114; 153; 155; 186; 187; 215;
207; 215; 216; 222; 234; 235; 237; 296; 303; 304; 315; 386
245; 259-260; 264; 279; 283; 284; Constantinople (prise de 1204) 3
296; 303-304; 307; 310; 319; 342; 406 Constantinople (prise de 1453) 5; 33;
51; 93-94; 101; 102; 202; 384; 385;
C 390; 405
Constantinople (reconquête de 1261) 9;
Caffa XII; 11-14; 22; 25; 26; 27; 31; 42- 78; 187; 206; 277
456 INDEX DES NOMS DE LIEUX

Coron 62; 84-85; 304; 380; 382; 387 H


Cozia 113
Cracovie 177 Halicz (archevêque de) 31; 52
Crète 3; 6; 34-38; 41-42; 43; 61; 62-63; Halicz (métropole) 109
71; 72; 74-75; 77; 81-88; 95-96; 120; Hongrie 28-29; 30; 33; 51; 54; 112; 113;
135; 186; 191; 196; 206; 314; 380; 381- 159 (note 44); 161; 172; 178; 197; 293;
385; 406 327
Crimée XII; 12; 21; 23-25; 45; 49; 55; Horodto 110
80; 99; 101; 124-128; 130; 134, 147;
201; 245; 366
Cucuse 219 Κ
Kamieniec 31; 32 (note 109); 59; 110
D Khambaliq 19; 25; 129, 131; 133-134
Kiev 45 (note 40); 174 (note 93)
Dehikerkan 17; 19; 145-146; 149 Kilia 27-28; 70-71
Djagataï 19; 22; 54; 55; 145 Korikos 125
Djahouk 21; 149

La Canèe 6; 7; 62; 384


Eubée 6; 61; 62; 82; 123; 380 La Copa 26
l'Ayas (voir Ayas)
Lazique 49; 245
Lemnos 191; 287
Lesbos 14; 16; 72-73; 87; 123; 266; 366;
Famagouste 7 (note 15); 8; 39; 40; 64; 390
65; 67; 68; 72; 92 (note 51); 93 121- Ligurie 70; 73; 129
122; 292; 366; 380 Limassol 8; 39; 64; 65; 67; 68; 120; 121
Ferrare 268; 284; 286; 295; 302; 304; Lituanie 31(note 106); 32-33; 107; 109;
321; 329; 341; 343; 344; 348 (note 110 (note 111); 113-114; 153-154 (note
30); 351; 353; 355-356; 357; 360-362; 25); 172; 175-177; 198
363; 399; 401 Lunigiana 70; 128
Florence 66; 88; 94; 95; 121; 174; 192; Lwow 31-33; 42; 52; 59; 108-109; 171-
197; 204; 268; 283; 286; 294; 296; 173; 199-200
300; 301; 304; 321; 324; 329; 331;
335-341; 342; 345-346; 350; 352;
353-358; 361; 362; 363; 365-367; M
376; 378; 382; 388; 392; 396; 398;
402-403; 405 Maina 84
Maku 20-21; 70; 130; 160
Manasguerd 130; 150
Maraghah 17; 20; 130; 151; 157
Matrega 25-27; 57 (note 80); 70; 163
Gênes 26; 65; 97; 100 (note 76); 121; Maurocastro 28-29
123; 124; 127; 128; 168; 366; 390 Mistra 193; 295
Gênes (archevêché) 11; 78; 80 (note Mitylène 16; 72; 85; 122-123; 157; 191;
14); 100 (note 76); 151 196; 267; 292; 390
Gênes (République) 11; 12 (note 27); Modon 62; 314; 368-369; 380; 391
28; 78-81; 96-105; 114; 127 (note 40); Moldavie 28; 30; 32-33; 51; 52-53; 59;
163; 165; 168 (note 79) 60; 106; 107; 111-113; 137 (note 72);
Géorgie 21; 46-49; 58; 130; 139; 146; 170; 172; 174-175; 177-178; 198; 406
148; 164; 165; 169; 185; 202; 390 Mongolie 55
Graz 102; 178 Morée 6; 61; 77; 84; 168; 295
INDEX DES NOMS DE LIEUX 457

Ν 259; 296; 297; 298; 301; 303; 313;


Naples 300; 301 319; 320; 322; 325; 336; 341; 350;
358; 380; 396
Naxivan 20-22; 102; 131-133; 136; 150- Rome (Province O.P.) 131
152; 157-164; 166 (note 73) Rome (Saint-Siège) 45-46; 68; 82; 85;
Négrepont 6; 9; 62; 78; 82; 206; 380 86; 90; 111; 114; 115; 126; 143 sq; 186-
Nicée 187; 206; 255; 271
Nicopolis 112 190; 193; 207; 213-218; 224; 234-237;
Nicosie XI; 7-8; 16; 39-40; 62; 64; 66- 245; 259-261; 265; 274; 281; 295;
68; 89-91; 94; 121; 129; 380 303; 307; 310; 329; 381-382; 386;
405-406
Nymphée 206; 271 Russie 22; 33; 108 (note 99); 109; 139;
310; 328
Ο Ruthénie 30; 42; 45 (note 40); 51-52;
Olena 6; 120 59-60; 106; 108-109; 112; 137; 152-
Orvieto 144 153; 174; 178; 198; 406

Padoue 151; 201; 288; 291; 293; 314;


319; 343 Samarkande 22; 44; 54-56; 130; 146;
Padoue (studium) 123; 201 166 (note 72)
Pagropoli 27 Sarai 26; 129 (note 47); 130; 165 (note
Palerme XI; 300 69)
Palestine 3; 5; 7; 46; 62; 92 (note 52) Savastopoli 20; 25; 58-59; 70; 102; 145;
Paphos 67; 68; 121 147
Patras 63; 120; 154; 156 Savone (voir couvent O.P.)
Pékin 50; 102; 171; 173 Seret (voir couvent O.P.)
Péra XIII; 9-12; 25; 42; 50-51; 55; 57; Sienne 131; 323-325; 332-333; 338
69-71; 79; 99; 103-104; 121-122; 126; Sinope 62; 70; 132 (note 58)
131; 139; 147; 166; 201; 206-207; 211; Siwas 18; 20
212; 260; 263; 267; 291; 366; 390; Smyrne 20; 143; 145; 155; 156 (note
402; 407 34); 214
Perse XI; 17-20; 22; 25; 42; 140; 145; Sogdiane 54
148-149; 152; 161-164; 169; 185; 380; Soldaïa 23; 24; 27; 70-71; 79-80; 97-99;
390 101; 126-127
Phocée 14; 16; 122; 124; 157; 366 Solgat (Surgat) 27-80
Pise 170; 171; 172 (note 88) Sultanieh 17-19; 25; 102 (note 83) 132-
Podolie 30-32; 51; 59-60; 106; 107 (note 133; 144-146; 148-149; 158; 160-163;
95); 110; 112; 153 (note 25); 174; 178 164-165; 169; 172-173
Pologne XII; 28-33; 51-52; 105-115; Syrie 5; 44; 46; 62; 310
135; 137; 143; 152; 172; 173-179; 313-
314
Przemysl 30 (note 103); 31; 52; 108

Q Tabriz 17; 20-22; 24-25; 57; 102; 131;


Orna 21; 105 (note 89); 185; 203 136; 145; 149; 151; 165; 166 (note 72)
Tana 23-24; 26-27; 56; 62; 104; 128;
R 129 (note 47); 165 (note 69); 203
Thèbes 5-6; 122; 154; 156; 204
Rethimno 7; 385 Tiflis 18; 20-22; 56; 102; 130-131; 145;
Rhodes 8; 18; 61; 89; 94-95; 140; 301; 148-149
305; 313-314; 365; 367-368 Togni 92-93
Rome 143; 152; 153; 156-159; 164; 168; Trébizonde 11; 13; 20; 25; 49; 62; 70;
176; 178; 190; 194; 202; 208; 215; 104; 126; 129; 144; 146-147; 169
230; 242-244; 247; 253; 255-256; Trembowla 33
458 INDEX DES NOMS DE LIEUX

Venise (studium) 123


Vosporo 23-27; 130; 147; 405
Valachie 30; 33; 42; 60; 112-113; 139;
170-172; 198 W
Valachie mineure (voir Moldavie)
Venise 82 (note 17); 168; 169-170; 201 Wlodzimierz 108
Venise (République) 23; 36; 62-63; 72;
74; 78; 81-89; 114; 120; 153; 165; 168
(note 79); 170 (note 83); 172 (note
87); 303; 339; 382; 385 Zante 6
INDEX DES MATIERES

A concile de Constance 88 (note 38); 109;


Alains 25· 45· 46· 49· 54· 55· 104· 147 Π0; 173'174; 192; 286; 288'289; 292~
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207-208; 258; 269; 271; 286; 345;
396; 398
bailli 62; 89-90 concile de Nicée I 218; 220; 230 (note
113)î 241> 252
baptême
242- 249;54;252·
97-98;
253*147-148;
259 197; 199; concile de Nicée II 222; 258
baptême (nom de) 71 concile de Pavie-Sienne 317-318; 322;
battuti, voir flagellants 324' 333' 362
bibliothèque 196; 203; 206; 208; 238; concile de Pise 165 (note 68); 170; 171
concile de Sardique 252-253 (notel78)
260;
340-350"
283;368·
290-293;
395· 404321; 331; 337; concile de Tolède 225 (et note 93); 234;
'
blé, voir céréales 245> 254
Bulle 18; 19; 25; 30; 31; 32; 41-56; 104 concile œcuménique 154-156; 174; 194
(note 86); 108 (note 98); 122; 125; (note 34)^ 2i0> 248: 258: 27e> 2^·
128; 131; 134; 140; 148; 150-152; 155; 295-297; 304; 313; 320; 328; 341;
159; 165; 201-202; 303; 367; 380; 384 349Î 377Î 381: 405> 407
conciles (les premiers) 311
conseil des Dix 84 (note 26); 87-88
(note 39)
céréales 23; 132 (note 58); 174 constitutions O.P. 140
Chevaliers teutoniques 107; 109; 110; consul 13; 20; 26; 28; 62; 79 (note 11);
175; 177 81; 97-104; 115; 362; 366
Chora 187; 188 (note 7); 278 consulat génois 27; 102
Chrétiens bosniaques 326-327 conversion(s) 22; 25; 47; 55; 65; 85;
concile d'Aix la Chapelle 258 90; 108; 109-110; 134 (note 65); 137;
concile de Bâle 68; 121; 177-178; 260; 143; 153; 169; 184; 185-200; 240; 241;
286; 295; 303-304; 317-319; 325; 267; 280-282; 288; 327; 329; 392;
327-328; 330; 338-339; 354; 357; 406
359-361; 363; 364; 367; 381; 386 Coptes 40; 46; 47; 365; 387
concile de Chalcédoine 45-46; 222; Corpus Christi 192
230; 244; 370 (note 89) Coumans 46; 59
460 INDEX DES MATIÈRES

couvent des Camaldules (Florence) La Canèe (Saint-Nicolas) 7


336; 342; 347; 348 La Canèe (Sainte-Marie) 7
couvents O.F.M. : Lancut 31; 107
Caffa 59 Licostomo 27; 139; 172
Candie 87-88 Luck 33; 106-107
Raguse 321 Lwow (Corpus Christi) XII; 31-32;
Tabriz 25 52; 106; 172; 199
couvents O.P. 17; 33; 51; 105-106; 108; Lwow (Sainte-Marie) 108; 152; 172;
111; 137; 143; 152; 163; 178; 198; 204; 198
314; 366; 405 Maku 20
couvents O.P. (Europe) : Maraghah 17; 19
Bâle 326; 331 Mitylène 16
Chambéry 358; 362 Modon 6; 368
Constance 192; 295 Mosciska 33; 106
Fiesole 336 Naxivan 20-21
Florence (San-Marco) 336; 341 Négrepont 6
Florence (Sainte-Marie-Nouvelle) Péra 202; 206-207. 212; 215; 242;
143 (note 1); 286; 320; 324; 336; 262; 267; 281; 287; 328; 331; 386;
350; 353; 362; 386 389
Gênes 29 Péra (Saint-Antoine), voir église
Gênes (Saint-Dominique) 126; 129 Péra (Saint-Dominique) 10; 57;
Gênes (Santa Maria del Castello) 80; 124; 148-149; 154; 187; 189; 191;
103; 126 193
Horodno 33; 110 Przemysl 31
Hrubrieszow 33; 106; 110 Rethimno 7
Orvieto XI; 13; 144 Sambor 33; 106
Padoue 191; 288; 291; 321; 343; 344 Seret 32; 53; 107-108; 111; 137; 198-
Pise 149 200
Rimini 402 Smotrycz 31; 110
Rome 358 Tabriz 19; 131
Savone 121 Tana 24
Venise 58; 168; 170; 191; 284; 344 Thèbes 5; 6
couvents O.P. (missions d'Orient) : Tiflis 17
Acre 7 Trébizonde 11; 13; 144
Belz 32; 107; 110 Trembowla 33
Caffa (Saint-Dominique) 11-12; 24; Tripoli 8
58; 122 Zante 6
Candie 6; 7; 382 couvents O.S.B. :
Céphalonie 6 Badia de Florence 345
Chios 14-16; 53; 75; 138 La Citerne de Péra 129
Chios (Panagia Incoronata) 15 Saint- Ambroise de Milan 191
Chios (Sainte-Marie) 14-15; 138 couvents, Uniteurs
Clarentza 6 Aparan 21
Constantinople 5; 9-10; 53; 157; 246; Caffa 13; 137; 158; 162
248; 255 Caffa (Saint-Nicolas) 13; 130
Chypre (Nicosie) 7-8; 38-40 Caffa (Saint-Pierre-et-Paul) 13
Chypre (Pediada) 7 Caffa (Saint-jacques-hors-les-murs)
Chypre (Saint-Nicolas de Garrades) 13
8 Djahouk 21; 149
Chypre (Vavla) 8 Naxivan, voir couvents O.P.
Dehikerkan 18; 19 Qrna 21; 133
Kamieniec-Podolsk 31; 107; 198 Sahapons 21
Karakiliss (Saint-Thaddée) 20 Saltai 21
Kolomya 33; 106 Xoskasen 21
La Canèe 6 Zorzor 21
INDEX DES MATIÈRES 461

croisade(s) 3; 41 (note 27); 50; 58; 73; Église de Constantinople, voir Église
102; 109; 143 (et note 1); 153; 156; orthodoxe
164; 167-168; 178; 214; 265; 328; 330; Église de Crète 81; 85; 86; 383-385
331; 390; 407 églises de Crète 81; 88
curie 10; 18; 21; 24; 25; 30; 45; 47-48; église de Famagouste 122
50; 57; 77; 81; 83; 85; 86; 125; 127; Église de Géorgie 48
133 (note 61); 136; 137; 143; 144 (et églises de Licostomo 29
note 2); 145-153; 156-158; 160 (et églises de Limassol 65
note 52); 161-162; 164; 185; 193; 194 églises de Mitylène 16
(note 34); 204; 208; 214; 249; 284- églises de Péra-Constantinople 78-79
285; 295-302; 309; 320-322; 325; églises de Péra :
338; 347; 352; 364; 383 (note 121); Saint-Antoine 11; 57; 78-79; 122
386; 395 Saint-Georges 78
Saint- Jean 78
D Saint-Michel 11; 78; 79; 139
église de Sultanieh 165
diocèse(s) 12; 20; 21; 22; 25-27; 50; 53; églises de Tana 23
56; 58; 67; 68; 79; 80; 82; 91 (note églises :
47); 97; 98; 100; 108; 111; 120; 124- Sainte-Marie d'Akhalzikhé 21
134; 137 (note 72); 145-152; 159 Sainte-Marie de Baraverio 22; 160
(notes 44 et 49); 160-161; 164; 179; Saint-Pierre des Pisans 78
198; 367 Sainte-Sophie d'Andravida 6
diocèse latin de Constantinople 79 Sainte-Sophie de Nicosie 90
disciplinati, voir flagellants Église grecque de Rhodes 94-96
Doge de Gênes 101; 129; 151; 366 Église grecque uniate 186; 384-385
Doge de Venise 36; 83; 154; 156; 169 églises grecques 66; 70; 84
196 églises grecques de Chypre 91-92
Donation de Constantin 235; 357 églises grecques de Soldaïa 98
Église latine, voir Église catholique
E églises latines 66
Églises arméniennes : Église maronite 380
de rite arménien 70; 97; 159; 362 Église nestorienne 17
uniate 185 Églises orientales 217; 218; 221; 328;
Église bosniaque, voir Chrétiens 364; 367; 378
bosniaques Église orthodoxe 11; 35; 45-46; 48; 55;
Église bulgare 216 59; 65; 72; 81; 89; 107; 150; 152; 184;
Église byzantine, voir Église orthodoxe 187; 191; 194; 196; 197; 206; 211; 214;
Église catholique romaine 3; 10; 22; 218; 220; 222; 224; 228; 232-234;
25; 27; 33; 44; 55; 61; 65-66; 68; 81; 241; 245; 250; 253; 257; 259; 261;
83; 86; 88; 91; 95; 102; 109; 110; 114; 264; 269; 271; 278-279; 282; 284;
132; 134; 157; 167; 170; 171; 179; 195; 287; 296-297; 304; 310; 312; 329;
197; 216; 217; 225; 253; 264; 266; 351; 355; 365; 371-372; 391; 393; 405
284; 286; 295; 327; 332; 333; 354; Église russe 114
375; 399; 404 empereur de Byzance 86; 112; 154; 168;
Église chaldéenne 380 169; 192; 193; 212; 407
Église copte, voir Coptes empereur de Trébizonde 167; 169
Église d'Occident, voir Église Éthiopiens 45-47; 50 (note 61); 365
catholique Eucharistie 208; 307; 351; 353; 361;
églises de Caffa : 369; 370
Notre-Dame de la Couronne 12
Sainte-Catherine infra burgos 12-13
Saint-Laurent 162
Saint-Michel 131; 162
églises de Chios 74-124 Filioque 203; 218; 223-225; 233-235;
Église de Chypre 92; 94; 120 241-242; 245; 247; 249; 255-257;
462 INDEX DES MATIÈRES

259; 261; 264; 268-269; 282; 308;


343; 344; 345; 348; 349; 351-352;
365; 383; 397-403 langue(s) 48; 56-57; 64; 67; 71; 80; 128;
Flagellants 138 144; 201-206; 233-234; 308; 318; 342;
Franciscains, voir frères mineurs 356; 388; 396-397; 401
Francs 3; 40; 61; 63; 65; 77; 170; 258; langues :
260 arménien 20
Fraticelles 41-42 géorgien 56
Frères Mineurs XIII; 6 (note 6); 9; 11; grec 69; 87-88; 191; 192; 216; 226;
17; 19; 23-29; 34; 41 (note 27); 42; 239; 262; 270; 288; 308-310; 342;
46-48; 55; 80; 88; 99; 111; 125; 126; 386; 395
128; 129; 130; 134; 136; 163-164; 204; Lazes 48-49
291; 296; 298; 299; 319; 321; 346; Lesghiens 49
356; 366; 400-401; 405; 407
Frères Prêcheurs 54-55; 105; 108 (note M
98); 125; 131; 147; 158
Frères Uniteurs 13; 21-22; 26 (note 89); Mahone 3; 15 (note 39); 72 (et note
31; 43; 57; 97; 106 (note 89); 130-134; 36); 124; 138
140-141; 148-150; 158-163; 185 Maronites 40; 45-46; 380; 381
Melkites 44; 46-48; 50; 55
Monastères grecs XI; 64; 92; 93; 225
Gazars 45-46 Monastères grecs :
Goths 45; 46; 225 Kyr Meletios 238
Gubernator 150 Pantocrator 194; 303
Saint-Georges des Manganes 94; 224
H Saint-Jean de Pétra 216
Stoudiou 302
Hérésie 35; 41; 42; 60; 89; 90; 100 monophysisme 45-47; 218; 222
(note 75); 175; 177; 218; 220; 222; Musulmans 44; 46; 70; 103; 161 (note
225; 228 (note 105); 231 (note 121); 55); 166; 167 (note 74)
234; 236; 241; 243; 247; 253; 256-
257; 260; 264; 265; 269 (note 230); Ν
299; 305; 306-308; 309; 311; 326-
327; 329; 330; 354; 371; 372 Nestoriens 40; 45-46; 50; 380
Hospitaliers 94-96; 153-154; 156 Normands 69; 136
Humanisme 123; 192; 291-293; 337; Nubiens 45-47; 49
341; 343; 353 (note 40); 404
Humanistes 298-302
Hussite 174-178; 286; 306-307; 309;
317; 318; 325-326; 329; 330; 331 Palamisme 191; 194; 196-197; 263; 278-
280; 282; 284-285; 372; 374; 391;
393-394
Ibères 45-49 Panagia Angeloktistos 91
Infaillibilité 265; 379 Panagia Incoronata 15
Inquisition 36 (note 1); 41 (note 26); 43 Patriarcat grec 27; 45; 47; 49; 81; 84;
(note 33); 139 86; 96; 112-113; 216; 218; 219; 221;
Italiens 26; 75; 101 (note 80); 102 (note 223-224; 235; 310
83); 119; 131; 132 (note 58); 133-136; Patriarcat latin 25; 63; 78; 81; 381; 383
137 (note 74); 140; 346; 360; 364 Patriarche d'Antioche 44; 93
(note 68); 380 podestat 16; 57; 72; 79(et note 8); 99
procession du Saint Esprit 87; 148;
206; 212; 214; 215; 223-224; 227;
Jacobites 40; 45-47 228; 230; 231; 234-235; 237; 241-
Judaïsme 36-37; 45 242; 246-247; 249; 252; 255; 256-
Juifs 35-38; 40; 58-59; 64; 68; 71; 100 257; 258; 262; 264; 265; 266; 267-
INDEX DES MATIÈRES 463

270; 282; 283; 307; 349-353; 358; Spirituels franciscains 25; 41 (note 28);
365; 370-374; 378; 387; 393; 396- 42
397; 404 Studium (studia) 11; 121; 123; 158; 185;
Province O.P. XII; 5; 6; 7; 16-17; 18; 30; 201; 203; 205-206; 288; 297; 298; 313;
33; 35; 37; 38; 43; 46; 51-52; 74-75; 321; 344; 354; 357; 372; 386; 389
106; 131; 136; 137; 149; 152; 198; 199; Symbole (de foi) 221-224; 227; 228
362; 363; 364; 366; 389 (note 105); 231; 233; 235; 241-243;
245; 247; 248; 255; 256; 264; 323;
Q 332; 365; 379; 399; 401-402
Quicumque vult 227; 255 Synode de Sardes, voir concile de Sar-
dique
R
Regimen 83-86
règle O.P. 152; 292; 324; 358 Tartares 19Γ22; 47; 54; 60; 70-71; 107
résidence(s) O.P. 9; 10; 14; 16; 20; 21; (note 93); 110; 165-166
24; 27; 33; 144; 157 Templiers 39
résidence episcopale 6; 40; 77; 83; 128; traducteur 125 (note 27); 185; 193; 281;
162 362; 382; 397
rite grec XII; 27; 35; 49; 53; 54; 55; 59; 62; traduction 5; 47; 48; 172 (note 88);
64; 74; 78 (note 6); 84; 86; 88; 91; 93; 185; 190; 202 (note 31); 203-204;
94; 112; 137; 184; 199; 200; 383; 389 208; 210; 214 (note 52); 216; 223
rites 36; 53; 86; 88; 91; 98; 146; 197; (note 89); 229; 232; 239; 242; 261;
265; 268; 270; 314; 369-370; 381; 266; 277; 281-282; 284; 294; 311;
384; 389 342-343; 346; 348; 388; 392; 396-
rite arménien 70 398; 402; 403
rite géorgien 48 Turcs 5; 10; 20; 51; 68; 73; 83; 97; 102;
rite romain 44; 53; 63; 65; 66; 72; 74; 106; 107 (note 92); 113 (note 125);
85; 91; 98; 104 123; 153; 155; 157; 166-167; 168; 173;
russe (langue) 80 175; 178-179; 187; 281; 282; 290; 295;
Russes 45; 104; 124 296; 303; 304; 325; 327; 390; 407
ruthène (langue) 80
Ruthène 45-46; 137; 173; 198; 199 U
S Université 186; 204; 278; 283; 289;
297; 298; 313; 319; 322; 324; 354;
San Marco 324; 334 360; 367; 386; 394
Sarrasin(s) 3; 13; 58-59; 225 Université de Bologne 202
Schisme, voir discours de Bâle SOS- Université de Florence 362
SU; 334 Université de Padoue 66 (note 11); 191;
Schisme (grand) 83; 94; 120; 132; 170; 354
175; 179; 187; 286; 289; 295; 313; Université de Paris 204; 260; 293; 325
324; 382
Schisme arménien 125
Schisme grec XII; 53; 59; 89; 98; 111;
112; 186; 202; 203; 212. 213; 216-218; vicaire général de l'archevêque de
224; 232; 234-236; 257; 259; 263- Crète 85
264; 266; 267; 269; 271; 277; 281; vicaire général O.F.M. 299
286; 295; 297; 307; 320; 343; 349; vicaire général O.P. 14; 16; 32; 50; 51;
364; 365; 372; 378; 382; 405 52; 79; 136-141; 144; 145; 149; 151;
Société des Frères Pérégrinants XI; 152; 158; 173; 178; 185; 202; 302;
XII; 5; 9; 11; 14; 16; 17; 18; 30; 33; 314; 337; 389
43; 50; 51; 53; 56; 60; 61; 74; 105;
106; 111; 115; 119; 135; 139; 140; 144;
150; 151; 152; 171; 172; 173; 178; 185;
198; 201; 314; 366 Ziques 45-46; 48-50; 104
INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Andronic Cantacuzène 327-328


Ange (famille)189
Albert le Grand 208; 292; 374 (note 97) Ange (voir Demetrios, Manuel)
Alexandre III 78 Angelo O.P. 39
Alexandre IV 89 Angelus Fortis O.P. 122
Alexandre V 88, 171 (note 86) Angevin de Naples 239
Alexandre VI 66 Anselme (saint) 251; 252; 281
Alexandre, prince de Podolie 31-32, 110 Antoine O.P. 36
Alexandre le Bon 28; 53; 112-113; 171; Antoine Ballester O.F.M. 195
200 Antoine de Gaieté O.P. 79 (note 7)
Alexandre O.F.M. 126 Antoine de Levante O.P. 56; 128
Alexandre O.P. 102 (note 83); 131 Antoine de Massa O.F.M. 86; 296; 360
Alexandre de Monteacuto O.F.M. 128 Antoine de Troia O.F.M. 380
Alexis Dishypatos 328 Antoine de Vite 360
Alix d'Ibelin 8; 38 Antonio Beccadelli 301
Alice d'Ibelin 40; 93 Arabiet 13; 152 (note 24)
Ambroise Traversari 210 (note 33); Aragon de Naples 301
232; 291; 311; 336; 339; 340-348; Aristote 6; 187; 204; 205; 239; 278;
349; 350; 352; 353; 355; 358; 360; 282; 289-294; 301; 388; 394-395; 400
388; 393; 402; 403; 404 Arsace 221, 234, 237
Anastase d'Antioche 230; 232; 267; Athanase 194
347; 394-395 Athanase d'Alexandrie 218-219; 226;
André de Caffa O.P. 43; 135; 137; 139; 227; 228; 230; 231; 232; 236; 255;
158 266; 267; 268
André Cantareno 83; 85 Augustin (saint) 187; 246; 248; 252;
André Chrysobergès XI; 43; 68; 94-95; 277; 281; 343; 348; 400; 401
120; 121; 140; 163; 173-178; 191; 196; Augustin de Caffa O.P. (di Negro) 98
201; 232; 268; 270; 285; 286; 287- (note 68); 99 (et note 71); 127
315; 330; 335; 336; 338; 344; 346;
347; 352; 353; 354; 355; 356; 357;
358; 359; 360; 361; 363; 364; 365;
367; 368-381; 390; 391-403; 405 Bajazet 112; 166; 169; 170
André Lascaris 323 Baldassare Vegio O.P. 79; 136; 139
Andrea della Terza O.P. XI; 11; 14; 144 Baptiste d'Isola O.P. 130
Andrea de Santa Croce 328 Bardas (César) 216; 234; 257-258
Andrea Doto O.P. 35-36; 40; 135; 206; Barlaam le Calabrais 147; 154; 188;
209 (note 25); 249; 254 204; 278-279; 280; 284; 329; 374
Andrea Zulian 192 (note 27) Barthélémy de Constantinople O.P.
Andreolo Giustiniani 346; 349 211; 237; 247
Andreolo Sibono O.P. 136 Barthélémy de Podio O.P. 19; 130; 185;
Andres de Escobar 364 203
Andronic II 9; 10 (note 21); 144; 187; Barthélémy Abagliati O.P. 19; 131
188; 189; 193; 212-213; 229; 236; 239; Barthélémy Texier O.P. 32; 324; 325;
245; 251; 261 357; 358; 362
Andronic III 11 (note 24); 213; 236; Barthélémy Ventura O.P. 80; 126
277-278 Bartolomeo Cherracio O.F.M. 156
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 465

Bartolomeo da Montepulciano 299; Christophe de Viterbe O.P. 43 (note


342 35); 50-51; 140
Bartolomeo Fazio 289; 290 Christophore Garatoni 304; 317; 328;
Bartolomeo Lapacci de Rimbertini 331; 353; 387
O.P. 297; 299; 386-389; 391; 395- Chrysoloras (famille) 283; 286
396; 401 Chrysoloras (voir Demetrios, Jean,
Basile O.F.M. 128; 366 Manuel)
Basile Ier 250 Cicala (famille) 126
Basile de Cesaree 227; 228; 238; 266; Cincio Romano 299-300
346; 348; 349; 350; 370; 378; 397; Clavijo Ruiz Gonzales 20-21
400; 403 Clément V 47; 49
Benedetto Dei 12 (note 25) Clément VI 26; 56; 143 (note 1); 148-
Benedetto Zaccaria 124 149; 154-155; 214-215
Benoît XI 18 Clément VII 22; 120
Benoît XII 12; 312; 328 Còme Zique O.F.M. 129
Benoît Asinago de Còme O.P. 193 (note Conrad de Pregrance O.F.M. 125
30); 212-213; 215; 236 Constance, empereur, 218
Bernard de Guardiola O.P. 146; 149 Constant II 244
Bernard Moreti O.P. 19-20; 59 Constantin le Grand 92; 218; 253; 290;
Bernard Gui O.P. 5; 6; 7; 8; 9 332
Bernardin de Plaisance O.P. 19-20 Constantin III 244
Bernardin de Sienne O.F.M. 299 Constantin VI 222
Berthold de Rottweil O.P. 59 Constantin IX Monomaque 217; 223-
Bessarion 35; 81; 105; 232; 284; 288; 224; 264
292; 300-301; 314; 347 (note 28); Constantin, prince de Podolie 32
348-349; 351-353; 356; 361; 364; Constantin Asen 192
374-375; 381 (note 117); 383-384; Constantin Chabibi 314; 380
391-396; 398; 400; 404-405 Constantin Meliteniotès 229; 246
Boccace 294 Constantin de Chio O.P. 14
Boleslas Swridrigiello 107 Contostephanos (famille) 65; 66 (note
Bonaccursius de Bologne O.P. 206- 11)
207; 209; 231; 248; 251-254; 259-261; Contostephanos (voir Théodore)
269; 348 Cosme de Médicis 337; 339-340
Boniface VIII 53 Cyrille d'Alexandrie 214; 221; 226; 228-
Boniface IX 13; 57; 79; 80 (note 14); 232; 236; 238; 248; 266-267; 347-
104 (note 86); 128; 164 349; 371
Boucicaut, maréchal 168 Cyrille de Jérusalem 228
Brigitte (sainte) 40; 67

Damase 220; 225; 245; 247; 254-255;


Callistos Angelikoudès 283 257
Callixte III 42; 102; 104; 123 (note 15); Démétrios Ange 190
382; 390 Démétrios Chrysoloras 283
Campofregoso Pietro 101 Démétrios Cydonès 62 (note 2); 69; 85;
Campofregoso Thomas 99-100; 366 153; 189-196; 215-216; 227; 233; 240;
Cantacuzène (voir Andronic, Jean VI) 245; 265; 279-285; 287; 292; 295;
Carlo Cicala 99 329; 342; 385-386; 392-393; 406
Casimir le Grand 31-32; 110; 114 Démétrios Scaranos 342
Charles de France O.F.M. 173 Denys l'Aréopagite 269-270; 322; 371-
Charles IV 212-213 374; 394-395; 400
Charles V 153 Dishypatos (famille) 285; 329; 386
Charles VI 166 Dishypatos (voir Alexis, Georges, Jean,
Charles VII 351; 353; 361; 364; 367 Manuel)
466 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Domenico Gattiluso 123 (note 15) Frédéric II 7


Dominique, Uniteur 130; 150 Frédéric III 102; 339
Dominique Corella O.P. 362
Dominique de Caffa O.P. 137; 158
Dominique de Péra O.P. 30
Dominique de Pologne O.P. 23; 203
Dominique Mariana O.F.M. 80; 99 Gasbert d'Orgueil 154; 215
Dominique Michaelis O.P. 122 Gattilusi (famille) 16; 73; 123
Dorothée de Mitylène 122; 352; 398; Geoffroy Ier 6
403 Georges, le philosophe 69
Georges Boustronios 39
Georges Brankovic 327-328
Georges de Carystos 123
Elgigaday, khan 22; 54; 145 Georges de Saint-Nicolas 160-162
Élie Petit O.P. 16; 17; 51; 136-138; 150- Georges Dishypatos 329
152; 157; 158
Élie Raymond de Toulouse O.P. 136- Georges Gémistos Pléthon 356; 388
Georges Lapithès 69
151
Emidio Portelli d'Ascoli O.P. 205 Georges Métochitès 188; 212-213; 229;
246
Emmanuel Diogenis 79 Georges Rampani 85
Emmanuel Lascaris 86; 153 Georges Scholarios 283; 352; 387-389;
Épiphane de Chypre 228; 400 397; 399; 403
Etienne Thomas 327 Georges Stella 167 (note 74)
Etienne de Lusignan O.P. 94 Georges Trapezuntios 214 (note 52);
Eudoxie 221; 234
Eugène IV 57 (note 82); 78; 94 (note 232; 368; 382
Gérard Calvet O.P. 19
59); 95; 99; 100 (note 76); 120; 133; Gérard d'Abbeville 293
158 (note 41); 177; 286; 300; 303- Gérard de Podio O.P. 139
305; 307; 310-311; 314; 317; 320; 324; Germanos 45; 46; 47; 48
327; 329; 331; 333; 335; 337-338; Gioffredo Cicala O.F.M. 79; 126
340-342; 347; 350; 352-365; 379-381 Giovanni d'Arezzo 346-347
Eusèbe d'Antioche 218; 230 (note 113) Giovanni da Pontremoli 128
Eusèbe de Nicomédie 218; 220; 230 Giovanni Tortelli 347
(note 113); 234 Giuliano de Ubaldinis O.P. 95
Eustrate de Nicée 206; 269 Grégoire, l'Illuminateur 140
Eutychès 222 Grégoire Akyndinos 282
Grégoire Camblak 174
Grégoire Corsanego O.S.B. 129
Fantino Vallaresso 120; 353; 364; 381 Grégoire de Chypre 229-230
Fattinanti Nicolo 72 Grégoire de Nazianze 220-221; 254;
Félix V 121; 322; 332; 354 268; 343; 345; 348; 349; 371; 373;
Florio Boustron 38 (note 5); 40; 90 374; 395
(note 43) Grégoire de Nysse 238; 375 (note 101);
Francesco Amadi 38 (note 5); 40; 90 389; 395
(note 43) Grégoire Giustiniani Longo 16
Francesco Gattiluso 72 Grégoire Hypertamos 214 (note 51)
Franco de Pérouse O.P. 11; 14; 19-20; Grégoire Mammas 382 (note 117); 388
125; 133; 134 (note 65) Grégoire Palamas 226 (note 97); 267;
François de Cinquinis O.P. 131; 149 278; 284; 348; 372-375; 376; 379;
François de Camerino O.P. 25; 147; 405
154; 194; 374 Grégoire IX 45; 48
François de Tabriz O.P. (alias Ssa- Grégoire XI 13; 16; 48; 65; 83; 85; 86;
throu) 133; 166; 167 (note 74) 106; 109; 111; 151-154; 157; 342; 383
François Filelfe 204; 294; 296; 300; Grégoire XII 358
340; 360 Guillaume O.P. (de Maraghah) 151
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 467

Guillaume O.P. (de Sozopolis) 155; 215 Jacques Castodengo O.P. 121
Guillaume Adam O.P. 18-20; 48 (note Jacques de Caffa O.P. 134; 162
53); 125; 133; 136; 143; 145; 167; 331 Jacques de Fossano O.P. 136
Guillaume Bernard de Gaillac O.P. 9; Jacques de Géorgie O.P. 148
10; 136; 186; 187; 189; 204; 209; 211; Jacques de Imola O.P. 78
241-248; 250; 256; 257; 261; 263; Jacques de Lusignan 66
264; 281 Jacques de Milan O.P. 6; 206
Guillaume de Cigiis O.P. 25; 131; 146; Jacques de Primadizi O.F.M. 366
148 Jacques de Regno O.P. 357
Guillaume de Moerbeke O.P. 5; 202; Jacques de Vérone 64; 67
204; 396; 398 Jacques Strepa 52
Guillaume de Rubrouck O.P. 18; 48 Jacques Targman, Uniteur 185
(note 53); 55 Jacques Ier de Chypre 65; 69; 192
Guillaume Emergani O.F.M. 154; 215 Jacques II de Chypre 39; 66
Guillaume Saurati O.F.M. 163 Jan Biskupiec O.P. 33
Guillaume II Villehardouin 6 Janus de Chypre 8 (note 19); 39; 94
Guy d'Ibelin O.P. 39; 120 (note 59); 121 (note 5)
Guy de la Tremolile 168 (note 79) Jean, nomophylax 189; 238-239; 241-
242; 247; 255
H Jean O.P., de Nicosie 40
Hélène 92 Jean, Uniteur 157
Hélène Paléologine 8 (note 19); 93 Jean Aurispa 296; 360
Henri II, de Chypre 8 (note 19); 39 Jean Beccos 188; 212; 229-232; 238;
Henri IV, d'Angleterre 169 267; 269; 345; 348; 349
Henri de Kosbein O.P. 204 Jean Calécas 147; 191; 279
Hugues de Lusignan 38 Jean Casanova O.P. 338
Hugues de Lusignan, cardinal, 39; 68; Jean Chrysoloras 168; 283
94; 120; 121 (note 5) Jean Chrysostome 221; 228; 234; 236;
Hugues Ethérien 207 250; 254; 264; 268; 299; 343; 348;
Hugues Podocataro 65 370; 371
Hugues IV, de Chypre, 8 (note 19); 40; Jean Damascène 228; 373; 374; 394
69 (note 23); 93 Jean de Brieg O.P. 30
Humbert, cardinal, 235 Jean de Caffa 130
Humbert de Romans O.P. 203; 205 Jean de Castamon O.P. XI; 30; 49; 50;
131-134; 158; 161; 163; 164-173; 196;
206; 331
Jean de Chiari, Uniteur 163
Ignace 216-217; 238; 257; 266; 268; Jean de Colonia O.P. 364
349 Jean de Cori O.P. 54; 55; 133; 145; 261
Ignace II, d'Antioche 93 (note 55) Jean de Florence O.P. 56; 131; 148; 185;
Ioannis de Fontibus O.P. 209; 262-265 203
Irène 222 Jean de Gaillefontaine O.P. 131-132;
Isidore de Kiev 35; 121-122; 123; 292; 136
328; 352; 356; 381 (note 117); 383 Jean de Leominster O.P. 148-149
(note 121); 390; 398; 403 Jean de Lusignan 90
Jean de Montenero O.P. 286; 346; 348;
349; 354; 356; 357-358; 365; 366-
Jacopo Angeli 204 367; 387; 398-399; 402-403
Jacopo da Rieti O.P. 336 Jean de Moulins 149
Jacques O.P. 17 Jean de Péra O.P. 80; 127
Jacques O.P. (Chypre) 39 Jean de Plan Carpin O.F.M. 47-48
Jacques O.P., recteur, 193, 261 Jean de Qrna, Uniteur 21; 140; 148
Jacques Blacden O.P. 298 Jean de Raguse O.P. (Stoikovic) 286;
Jacques Campora O.P. 79-80; 97; 99- 304; 313; 315; 317-334; 338; 339;
103; 126-127; 134; 178; 390-391 354; 365
468 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Jean de Rochetaillée 78 47; 50; 54-56; 63; 78; 89; 144-148;


Jean de Rokyçana 286; 326 202; 149; 202; 249; 329; 383
Jean de Rossi (Rubei) O.P. 124; 136 Jean XXIII 88; 109; 171; 172 (note 88)
Jean de Rouen O.P. 125-126; 131; 134; Jean-Baptiste Fattinanti O.P. 43 (note
136; 151-152; 157; 193 35); 51; 136; 140
Jean de Ryza O.P. 52 Jérôme (saint) 248; 291; 306; 343; 348
Jean de Saint-Michel, Uniteur 131 Jérôme, abbé 343
Jean de Saint-Thomas O.E.S.A. 356 Jérôme Cathala O.F.M. 24; 27; 125
Jean de Saulo O.F.M. 80; 126 Jérôme de Camogli O.F.M. 124
Jean de Sur 90 Jérôme de Gênes O.P. 12 (note 27); 126
Jean de Swinford O.P. 185 Jérôme Jean de Florence O.P. 324; 362
Jean de Tabriz O.P. 125-126; 131; 151- Jérôme Panissari O.P. 80-81; 103; 121;
152 126; 127; 134; 178
Jean de Tarente 359 Job de Maku, Uniteur 130; 140-141
Jean de Torquemada O.P. 286; 297; (note 84); 160
305; 354; 356; 358-362; 365; 367; Joseph, métropolite de Moldavie 113
381 Joseph, Uniteur 162
Jean de Trani 235 Joseph, maître des Uniteurs 160
Jean de Verceil O.P. 362 Joseph, vardapet 201
Jean de Ziquie O.F.M. 26; 50 (note 58); Joseph Bladyntéros 296; 341
57 (note 80); 163 Joseph Bryennios 86-87; 90-91; 265;
Jean Dishypatos 329; 330; 341; 360 283
Jean Dominici de Florence O.P. 137; Joseph de Grande Arménie 128
293; 296; 310; 319-320; 336; 358 Joseph II 35; 302; 318; 352; 369; 376;
Jean Elemosina O.F.M. 17 382; 398
Jean Fouchier O.F.M. 298 Jourdain Cathala de Séverac O.P. 5
Jean Gallo O.P. 43; 139 (note 2); 17; 18; 19; 54; 136; 145-146
Jean Gerson 322 Julien, empereur 228; 349
Jean Huss 319; 326; 330; 332; 336 Julien Angeli O.P. 35; 85-86
Jean Janitor (alias Strenue) O.P. 32; Julien Cesarini 176-178; 305; 325; 333;
111; 137; 158; 198-199 343-344; 346; 350; 354-355; 356;
Jean Kosmas 246 361; 402; 403
Jean Kyparissiotès 282; 395
Jean Lascaris Calophéros 65; 86; 153;
342
Jean Ley O.P. 359; 363-364; 365; 387
Jean Lumbello de Plaisance O.P. 133 Ladislas O.F.M. 161
Jean Nider O.P. 326 Ladislas d'Opole 106; 107 (note 97);
Jean Rossos 384 108; 153
Jean Sancii O.P. 362 Ladislas Jagellon 28; 33; 102; 106; 107;
Jean Wyclif 286; 332 109; 111; 112; 114; 173-177; 198
Jean II de Chypre 8 (note 19); 40; 93; Latzco 53; 111-112
121 (note 10) Laurent Cardi O.P. 314
Jean II de Castille 359 Laurent de Hongrie 48
Jean V Paléologue 38 (note 5); 65; 72; Laurent de Médicis 339; 347
86; 143; 148; 153-157; 187; 189-190; Laurent Valla 300-301
194; 197; 215; 279; 281; 311 Lascaris (famille) 153
Jean VI Cantacuzène 14-15 (note 39); Lascaris, voir Emmanuel, Jean et
154-157; 187; 189-190; 193-196; 197; Maxime
213; 215; 263; 265; 278-280; 284-285 Léon III, pape 225; 242; 259
Jean VII Paléologue 167; 283 Léon VI, empereur 250
Jean VIII Paléologue 29; 35; 68; 197; Léon IX, pape 235
297; 303; 304; 307; 310; 327; 340; Léon Allatius 266
351; 353; 382; 386; 388; 398; 405 Léon d'Ochrida 235
Jean XXII 18; 20; 24; 36 (note 1); 41; Léon Toscan 207; 252
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 469

Léonard de Chios O.P.51; 73; 122-123; Marc d'Éphèse 290; 346; 348; 351-353;
136; 139; 314; 390; 391 355; 356; 368-379; 386; 387; 395;
Léonard Matteo d'Udine O.P. 362 398; 403-405
Leonardo Bruni (Aretino) 339; 346- Marc Giustiniani 74
347; 403 Marc Iagaris 303
Leonardo Dati O.P. 319; 320; 324; 336; Marco Paulopoulos 88
362 Marco Polo 23
Leonardo Mansuetis O.P. 52 Marco Sciavo O.F.M. 87-88
Leonardo Pallavicini 16; 37; 124 Marguerite de Seret 32; 107-108; 111;
Louis d'Anjou 29; 32; 34; 112-114; 152- 199
153; 157; 187; 281; 407 Maria Giustiniani 123
Louis de Forli O.F.M. 361; 364; 400- Marin, prêtre 231
401 Marino Sanudo 61; 167 (note 74)
Louis de Pise O.P. 50; 364 Marsile de Padoue 293
Louis de Saint-Pierre O.P. 80; 97-99; Martin de Chiari, Uniteur 133; 158-159;
127-128 161
Louis de Tabriz O.P. 57; 69; 78 Martin Ier 244-245
Louis Podocataro 66 Martin IV 354
Luc Chrysobergès 287 Martin V 7 (note 15); 16; 36; 37; 52; 56;
Luc de Bozzolo O.P. 43; 139 68; 74; 78; 104; 109; 124 (notes 21,
Luc de Sahapouniq 158 24); 133; 159; 161-163; 174-175; 191;
Luc Michaelis de Pise O.P. 122 286; 288; 289; 292; 293; 295-297;
Luchino de Caffa, Uniteur 201 298; 302; 303; 306; 309; 311-313;
Luchino de Mari O.P. 136 319-320; 322-324; 325; 333; 336-338;
Lusignan (famille) 66 (note 12); 69 341-342; 358; 381; 382
(note 26); 121 (note 10); 129 Mathias de Przemysl 52
Matthieu, Uniteur 163
Matthieu d'Aquasparta O.F.M. 208
M Matthieu de Pontremoli O.P. 128
Matthieu Manni de Coitone O.P. 42
Macedonius 218-220; 241; 256 (note 30); 125
Manuel, despote 213 Maxime Chrysobergès 85; 86-88; 168;
Manuel Ange 189-190 191; 195; 196; 209; 265-266; 284;
Manuel Calécas O.P. 16; 73; 136; 168; 287; 288; 292; 295; 314
191; 192; 195; 196; 201; 209; 227; Maxime Lascaris 153
267-270; 282; 292; 295; 311; 331; Maxime le Confesseur 230; 237; 244-
342; 350; 374; 375; 386; 392; 394; 245; 267; 371
397 Maxime Planude 187; 277; 281; 348
Manuel Cantacuzène 193 Médicis (famille) 339-340; 347
Manuel Chrysoloras 87; 168-170; 189- Médicis, voir Còme, Laurent
190; 192; 195-196; 204; 283; 294; Métochitès (famille) 188
295; 301; 312; 340; 342; 347; 374 Métochitès, voir Georges, Théodore
Manuel Comnène 26; 187 Méthode 225
Manuel III Comnène 167 Michael Strongilo 190; 195
Manuel Dishypatos 328-329 Michel Apostolis 384
Manuel Paléologue 73 Michel Cérullaire 45 (note 40); 224;
Manuel II Paléologue 69; 136; 167; 168- 235; 264 (note 215); 269; 343; 349;
169; 171; 174; 189; 190; 192; 195; 196; 405
197; 204; 283; 287; 292; 295; 296; Michel de Synades 240
297; 328; 341; 385 Michel III 216; 258
Manuel Raoul 69; 192; 195 Michel VIII Paléologue 9-10; 187-188;
Manuel Sgouropoulos 157; 193 206; 208; 229; 261; 277
Manuel Tarchaniotès 362; 382 Michele, moine 347
Manuel-Maxime Holobolos 239 Michele Steno 169
Marc O.P. 93 Michelozzo 337
470 INDEX DES NOMS DE PERSONNES

Miranshah, khan 169 Paul (saint) 215; 253; 289; 308; 309;
Mircea 112-113; 171 310
Mxitaric, Uniteur 133; 159 Paul Ier, le Confesseur 219-220; 268
Paul II 244; 245
Ν Paul de Moneglia O.P. 124
Nektarios 220-221 (note 77) Paul Francisci O.F.M. 59
Nersès 367 Paul le Calabrais 155-156; 194; 195;
Nersès Balientz O.P. 125; 130; 150; 204 284; 299
Petrus O.P. 210; 211; 251-261
Nestorius 218; 221-223; 242; 268 Petrus Perquerii O.F.M. 356
Niccolo Fattinanti 72 Philippe Cycandilès 190; 195
Niccolo Niccoli 299-300; 337; 340-341; Philippe de Bindo Incontri (alias de
347 Péra) O.P. 42; 139; 188; 190; 197;
Nicéphore Blemnydès 269
Nicéphore Grégoras 147; 278; 279; 284 207; 209; 210; 211-237; 238-241; 243;
Nicétas, évêque 350 245-246; 248; 249; 257; 259; 264-
Nicétas de Paphlagonie 238; 240 265; 266-268; 271; 348; 350; 372;
Nicodème de Prilep 113 397; 404
Philippe de Chambarlhac 91
Nicolas O.P. 57 Philippe de Mézières 41; 65; 153
Nicolas O.P., évêque d'Adrianopolis Philippe Maréchal 322
194 Philippe Podocataro 66
Nicolas, Génois 301
Nicolas, provincial O.P. 206 Photios 216-217; 223-224; 234; 236;
Nicolas Albergati 350 238; 240; 257; 264; 266-269; 276;
297; 349; 378; 379; 386; 405
Nicolas Alexandre, voïvode 113
Nicolas de l'Ayas 125 Pierre, apôtre 157; 332
Pierre Cisper 53
Nicolas de Caffa O.P. 81 Pierre d'Abano 293
Nicolas de Cotrone 207-208; 248 Pierre d'Antioche 235
Nicolas de Cuse 343; 349; 403 Pierre d'Aragon O.P. 185
Nicolas de Marsilly O.P. 39 Pierre de Aginerco O.P. 120
Nicolas de Méthone 269 Pierre de Caffa 201
Nicolas de Tende O.P. 121 Pierre de Qrna, Uniteur 133; 160-161
Nicolas de Todi O.P. 124 Pierre de Ranzano O.P. 364
Nicolas de Venise O.P. 343-344; 350; Pierre de Sezana 5
363; 364 Pierre de Terrena O.P. 52
Nicolas Eudaimonoioannès 295-296; Pierre del Monte 364
341 Pierre Géraldi O.P. 58-59; 102
Nicolas Gattilusi 390 Pierre Lombard 207; 243
Nicolas Goldberg O.P. 139; 198 Pierre Mussata, voïvode 32; 53; 107;
Nicolas Mystikos 250 111; 113; 199
Nicolas Passek O.P. 59 Pierre Thomas, Carme 38; 40-41; 90;
Nicolas Podocataro 65 143; 155-156; 190; 194; 215
Nicolas Sagundinos 285; 362; 397
Nicolas Sigeros 155; 194 Pierre Ier 39-41; 90; 93; 143; 153; 168
(note 79)
Nicolas V 42; 66; 202; 232; 292; 301; Pierre II 39; 40
347; 350; 364; 366; 380; 389 Platon 123; 187; 196; 278; 282; 301; 373
Nil Cabasilas 282-283; 397 (note 91); 374; 392; 400
Nil Damilas 87 Podocataro (famille) 65; 66 (note 11)
Podocataro, voir Hugues, Louis,
Nicolas et Philippe
Pacôme, évêque 81; 105 Poggio Bracciolini 123; 294; 298-299;
Pallavicini (famille) 124 314; 347; 364 (note 68)
Pallavicini, voir Leonardo Prochoros Cydonès 196; 265; 279-282;;
Panormitain, voir Antonio Beccadelli 284; 392; 394
Parentucelli, Tommaso, voir Nicolas V Pyrrhos 244
INDEX DES NOMS DE PERSONNES 471

Théodore Paléologue 195


Théodoret 214
Raymond de Capoue O.P. XII; 13; 17; Théodose Ier 219 (note 72); 220; 221
58; 137; 157; 185 (note 3); 201; 358
Raymond Etienne O.P. 18; 143; 202 (note 77); 256
Raymond Lulle 204 Théodose II 229
Richard l'Anglais O.P. 25; 130; 147; Théophile d'Alexandrie 221
Thomas Barech 66 (note 12)
154; 194; 374 Thomas Belfarage 66 (note 12)
Ringoia 53; 112
Roman, voïvode 29 (note 97) Thomas Caffarini O.P. 170
Thomas d'Aquin O.P. 40; 125; 185-186;
187; 190; 202; 204; 208; 210; 223;
232; 242; 249; 251; 252; 254; 261-
Sigismond de Luxembourg 28-29; 106- 262; 269; 281-283; 308; 313; 314;
107 (note 92); 112-114; 170; 174; 175- 331; 348; 361; 367; 374 (note 97);
177; 295; 319; 322; 325; 326; 339 375; 388; 391-392; 394-399; 401
Simon O.P. 40-41 Thomas de Bozzolasco O.P. 156
Simon Attumanos 156; 204 Thomas de Campofregoso 99-100; 366
Simon d'Oria 212-213 Thomas de Gubbio 14; 79; 137-139;
Simon de Constantinople O.P. 189; 202; 388
207; 209; 211; 212; 223; 231; 233; Thomas de Djahouk, Uniteur 149-150
237-240; 241; 243; 245-248; 250-252; Thomas de Mancasole O.P. 22; 25; 54;
255-257; 260; 261; 263; 265; 270; 55; 145-146
372 Thomas de Tabriz O.P. 26; 133
Simon de Crète (alias de Candie) O.P. Thomas de Torquemada O.P. 359
42-43; 135; 362; 381-383 Thomas Narducci 364
Simon de saint-Quentin 18 Thomas Parentucelli, voir Nicolas V
Simone Vignoso 96; 124 Thomas Simonian de Caphasta O.P.
Sophonias 189; 239; 241-242 362; 366
Sozomenos 65-66 Thomas Tommasini 327
Spytek de Mebsztyn 106-107 Tommaso Giustiniani 72
Sylvestre 253 Toqtamich 23
Sylvestre Syropoulos 288; 297; 302;
317; 318; 327; 328; 360; 393; 400;
401 U
Urbain IV 89-90; 208
Urbain V 32; 42; 91 (note 47); 111; 153;
Tamerlan XIII; 22; 28; 47; 57; 70; 133 189 (note 13); 281
(note 60); 158; 164-169; 172 (note 88) Urbain VI 139
Tarasios 222; 223 Usbek, khan 23-24; 203
Théodore, despote 388
Théodore, pape 244
Théodore, skévophylax 356 V
Théodore Balsamon 356 Vincent Robini O.P. 43 (note 35); 140
Théodore Calécas 78
Théodore Chrysobergès 6; 41; 120; 135;
140; 173-174; 191; 196; 285; 287; 288; W
292; 295-296; 341
Théodore Contostephanos 65 Witold 33; 107; 109-110; 113-114; 174-
Théodore de Raithu 229; 231 178; 198
Théodore Dexios 282
Théodore Kalliopas 244
Théodore Koriatowicz 31 (note 107);
110 (note 111) Zacharias 146
Théodore Lascaris 208; 269; 281 Zbigniew Olesnicki 175; 177
Théodore Métochitès 187-188; 212; 278 Ziemovit de Masovie 107; 111
TABLE DES MATIERES

Remerciements Vili
Avant-propos Χ

Première partie
LES DOMINICAINS EN ORIENT

Chapitre I - Trois provinces 5


1 - Provinces de Grèce et de Terre Sainte 5
2 - La Société des Frères Peregrinante 8
a) Péra 9
b) Caffa et Trébizonde 11
c) La Mer Egée orientale 14
d) La mission de Perse 17
e) L'essor de la Mer Noire 23
f) La voie moldave 27

Chapitre II - Les Prêcheurs en Orient, une mission? 35


1 - Les Dominicains, inquisiteurs en pays grec 35
2 - Les Dominicains en pays de mission 43
a) Pour une définition du rôle des missionnaires : les
bulles pontificales 44
b) Schismatiques, païens et infidèles dans le ressort de la
Société des Frères Pérégrinants 54

Chapitre III - Romanie génoise, Romanie vénitienne 61


1 - Ilots de latinité en Romanie vénitienne et Achaïe 62
2 - Le cas de Chypre 64
3 - Cosmopolitisme et communautés latines de Romanie
noise 69
4 - Les grandes îles de l'Egée orientale 71

Chapitre IV - Pouvoirs civils et présence dominicaine .... 77


1 - Le contrôle de la nomination des prélats 77
2 - La politique religieuse de Venise 81
474 TABLE DES MATIÈRES

3 - A Chypre et à Rhodes, les deux hiérarchies coexistaient 89


4 - La politique religieuse de Gênes 96
5 - Un exemple original : les relations entre les Dominicains
et les princes de la mouvance territoriale polonaise 105

Seconde partie
POLITIQUE PONTIFICALE ET INITIATIVES MISSIONNAIRES

Chapitre I - Recrutement et origine des Prêcheurs


missionnaires 119
1 - Les évêques dominicains 120
a) En Crète vénitienne 120
b) A Chypre, Nicosie et Famagouste 120
c) Chios et Mitylène 122
d) Les diocèses de Crimée 124
e) Les évêques de Géorgie et d'Arménie 129
2 - Les inquisiteurs en Orient 135
3 - Les vicaires généraux de la Société des Frères Pérégri-
nants 135

Chapitre II - Les Dominicains dans les relations Rome-


Byzance 143
1 - Les Peregrinante et le renforcement des missions
d'Orient 144
2 - Jean, archevêque de Sultanieh 164
3 - Théodore et André Chrysobergès 173

Troisième partie
UNE MÉTHODE DOMINICAINE

Chapitre I - La conversion des élites 185


1 - Conversions constantinopolitaines 1 86
2 - Les limites de la méthode : conversions et soutien d'un
projet politique en Europe centrale 197

Chapitre II - L'écrit polémique, l'arme favorite 201


1 - Une infrastructure scolaire 201
2 - Les premiers ouvrages 207
3 - Le corpus des traités 208
TABLE DES MATIÈRES 475

4 - L'œuvre de Philippe de Péra 211


a) Philippe de Péra et les « Grecs modernes » 212
b) L'œuvre 216
e) Le De processione Spiritus Sancii 217
5 - L'œuvre des prédécesseurs de Fr. Philippe depuis
nyme de 1252 237
a) Frère Simon de Constantinople 237
b) Les manuscrits anonymes d'Uppsala 240
c) Bonaccursius de Bologne 249
6 - Le dialogue Contra Graecos de Petrus Ο. Ρ 250
7 - Deux lettres des Dominicains de Péra 261
8 - Les Prêcheurs grecs 265
a) Maxime Chrysobergès 266
b) Manuel Calécas 267

Quatrième partie
LES DOMINICAINS ET LES CONCILES DU XVe SIÈCLE

Chapitre I - Démétrios Cydonès et l'évolution de la


théologie byzantine de 1350 À 1439 277

Chapitre II - André Chrysobergès entre Constance et


Bâle, un humaniste au service de l'Union 287
1 - Un Dominicain originaire de Constantinople 288
2 - André, au concile de Constance 289
3 - Des négociations pour l'Union 295
4 - André Chrysobergès à la curie 297
5 - La mission de 1426 à Constantinople 302
6 - Le sermon de Bâle, 22 août 1432 305
7 - André Chrysobergès, polémiste en Orient 313

Chapitre III - Jean de Raguse, un dominicain au service de


l'Église universelle 317
1 - Jean de Raguse, ses années de formation 318
2 - Jean de Raguse, de Pavie à Bâle (1423-1431), un concilia-
riste? 322
3 - Jean de Raguse à la curie 325
4 - Jean de Raguse à Bâle et l'Union de tous les Chrétiens
(1431-1439) 325
5 - Le Tractatus de Ecclesia 331
476 TABLE DES MATIÈRES

Chapitre IV - Le concile d'Union : Ferrare-Florence


(1438-1439) 335

1 - Florence, la cité de l'Union de 1439 335


2 - Réunir une documentation patristique 341
3 - Des manuscrits pour le concile 348
4 - Le déroulement du concile d'Union 351
5 - Les Dominicains au concile 353
6 - Après l'Union des Grecs 366
7 - Une théologie dominicaine au XVe siècle : du Thomisme
à l'Humanisme 390

Liste des abréviations 409

Inventaire des sources 411

Bibliographie 419

Annexes 431
Liste des Frères Prêcheurs 431
Les vicaires généraux de la Société des Frères Pérégri-
nants 447
Dominicains, inquisiteurs en Orient 448
Frères Uniteurs dans la hiérarchie latine d'Arménie
entre 1350 et 1440 449
Lettre d'André Chrysobergès à Bartolomeo Fazio, ms.
Ravenne, biblioteca classense, 23, f° 91-93 451
Couvents et maisons des Frères Pérégrinants et des
Frères Uniteurs (fin du XIVe siècle-début du XVe
siècle) :
La voie moldave, p. 452. - La mer Noire, p. 452. - L'Orient
méditerranéen, p. 453. - De la mer Noire à la mer Caspienne,
p. 453.

Index des noms de lieux 455


Index des matières 459
Index des noms de personnes 464

Table des matières 473

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