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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Toulouse

S522 Le projet à l'épreuve de la ville


La réflexion sur la manière contemporaine de faire face aux problèmes urbains et de
répondre aux exigences posées par le besoin d'adaptabilité et de requalification de
l'environnement urbain en mouvement et en transformation constante constitue l'une des
questions les plus importantes mises en évidence au cours de ce cours. Outre la manière
dont nous opérons face aux défis des villes contemporaines, je m'intéresse à la
compréhension de la manière dont les phénomènes issus de nos actions s'articulent et
impactent le comportement du corps social qui les habite.

Nous savons que tout ce qui existe obéit aux lois du mouvement qui opèrent sur le monde
matériel. C'est-à-dire la logique définie par la concentration, suivie de la fusion, de la
synthèse et de l'expansion. A partir de la compréhension de cette dynamique
omniprésente, je me demande quels processus et outils nous pouvons utiliser pour que nos
actions soient plus cohérentes avec un développement réellement durable.

Lorsque l'on considère le développement durable comme une manière de concevoir et


d'agir sur la réalité qui repose sur trois axes (environnemental, social et économique), on se
rend compte des failles dans les processus d'orientation de la croissance et du
renouvellement de nos villes, car la plupart de ces efforts ne tiennent pas compte de l'axe
social.

Ces processus finissent par devenir rapidement obsolètes et précaires, et par miner la
résilience d'un territoire donné, que ce soit en raison d'un manque de mixité sociale, d'un
manque d'animation ou d'un manque d'adhésion de la part de ses utilisateurs dans les
processus d'identification et d'appropriation qui sont cruciaux pour maintenir le bon
fonctionnement d'une ville.

Comme le soulignait Simone Weil dans son ouvrage de 1943, "L'enracinement", le


sentiment d'être utile, indispensable, qui habite ceux qui prennent des initiatives et portent
des responsabilités dans leurs lieux sociaux, est un besoin de l'âme humaine, et ce besoin
nous amène à prendre des décisions, que ce soit face à des questions complexes ou à des
questions plus simples. Indépendamment de notre capacité à résoudre les problèmes,
avec plus ou moins de technique, nous sommes poussés à chercher des solutions et
naturellement aptes aux processus participatifs.

En réfléchissant à la planification urbaine, je m'interroge constamment sur les limites de nos


a prioris théoriques et même sur les limites de la planification telle qu'elle a été définie au
cours des derniers siècles après la révolution industrielle. La distinction entre le temps et
l'espace, issue de cette tradition post-industrielle et donc artificielle, me semble être l'un
des terrains fertiles où se développent les problèmes auxquels nous sommes confrontés
lorsque nous concevons l'espace urbain.
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S522 Le projet à l'épreuve de la ville
En considérant la proposition de ce cours, le projet mis à l'épreuve de la ville, et la
dialectique possible à travers cette affirmation, je pense aux différentes dimensions qu'un
projet urbain doit couvrir pour être réalisé. Surtout dans les sociétés qui souffrent d'une
faible stabilité politique, voire de l'absence d'un projet politique fondé sur le bien commun
du corps social, comme c'est le cas de mon pays, le Brésil.

Malgré les progrès réalisés ces dernières années par notre fragile démocratie, nous avons
sombré au niveau fédéral, régional et dans de nombreux cas au niveau municipal, dans un
abîme politique qui guide les actions urbaines selon une logique néolibérale sauvage et
cruelle. De cette façon, la ville mise à l'épreuve du projet met en évidence des problèmes
qui n'ont pas été résolus par (manque de) volonté politique, au niveau institutionnel, mais
qui ont été résolus au niveau des communautés, à travers des associations civiles et des
organisations collectives populaires autour d'un objectif commun.

Dans ma région, il existe deux initiatives qui illustrent bien certaines des bases qui devraient
composer une approche visant le développement durable de nos villes.Le premier d'entre
eux, le parc Sitiê, une décharge irrégulière à ciel ouvert dans une zone de favela (un groupe
de maisons construites de manière irrégulière et parfois privées d'accès aux réseaux
officiels d'assainissement, d'eau et d'électricité), a été converti par l'action populaire en la
première agroforesterie urbaine de l'État de Rio de Janeiro, et génère un revenu annuel de
50 000 reais.

Le second, un collectif appelé Urbi-i, conçoit des interventions à court, moyen et long
terme, d'une complexité variable, dans toutes les régions du pays. Ces interventions sont
principalement axées sur des processus pédagogiques de sensibilisation aux questions
critiques liées au contexte urbain et aux conflits qui ont lieu dans la ville en tant que
territoire de dispute - ce qui est récurrent au Brésil.

Ces actions d'urbanisme tactique fonctionnent comme des possibilités de réponses aux
problèmes les plus variés présents dans les villes et, étant donné leur caractère éphémère,
leur réalisation rapide et leur fort impact, le format fonctionne très bien pour les types de
villes les plus variés. En autre, l'invitation à participer et le dynamisme imprimé aux actions
suscitent chez les habitants le désir d'établir un rapport différent avec leur environnement,
et présentent de manière rapide et didactique des pistes pour des changements plus
durables.

Ces deux exemples brésiliens me semblent proches de l'important dialogue entre unité et
multiplicité et d'une relation plus intime et cohérente entre architecture et urbanisme. Des
interventions à court et moyen terme, capables de lancer des lignes directrices et de révéler
les bases de politiques publiques pérennes, afin de réorganiser les relations urbanistiques,
en reconvertissant l'ordre d'importance des choses à partir d'un processus "bottom top".
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S522 Le projet à l'épreuve de la ville
Le phénomène urbain, qui apparaît et se manifeste "naturellement", est différent du projet,
qui est un ensemble d'actions conformes à une composition consciente, rationnelle et
concrète. Grâce à ces intersections et à cette participation, il me semble que la ville, qui
doit être l'expression d'une société dans son ensemble et non pas seulement une
représentation du mode de production de cette société, peut enfin reprendre sa position
d'organisme temporel, formé par lui-même.

Dans les cas où il y a un croisement et une collaboration entre les paradigmes naturels et
techniques, nous pouvons voir la manifestation d'une ville - phénomène urbain - qui est à la
fois objet et sujet d'elle-même, indistinctement, étant moyen et fin et gardant en elle les
dimensions naturelles et techniques, ensemble, inséparables et se contribuant
mutuellement. Elle sera donc plus résiliente, cohérente et saine, car elle sera enfin
véritablement durable.

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