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COnTEXTES

n°1  (2006)
Discours en contexte

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Paul Aron
Sur les pastiches de Proust
L’ethos et le champ
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Référence électronique
Paul Aron, « Sur les pastiches de Proust », COnTEXTES [En ligne], n°1 | 2006, mis en ligne le 15 septembre 2006,
consulté le 18 mai 2012. URL : http://contextes.revues.org/59 ; DOI : 10.4000/contextes.59

Éditeur : Groupe de contact F.N.R.S. COnTEXTES


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Sur les pastiches de Proust 2

Paul Aron

Sur les pastiches de Proust


L’ethos et le champ
1 Le pastiche peut être défini comme l’imitation, parodique ou non, du style d’un auteur ou
d’un courant littéraire. Cette définition implique qu’on ne pastiche généralement pas un texte
singulier mais les traits typiques d’un ensemble de textes (sauf dans le cas où l’œuvre d’un
auteur se confond avec un seul texte, comme par exemple le célèbre sonnet de Félix Arvers
dont il existe des centaines de pastiches). Elle implique par ailleurs que le pastiche, activité
imitative, peut relever du registre parodique, mais qu’il ne s’y inscrit pas nécessairement ;
d’autre part, il existe bien entendu des parodies qui ne sont pas des pastiches.
2 Marcel Proust a pratiqué le pastiche dès ses années d’étude, mais également tout au long de
sa carrière. On connaît de lui une quarantaine de pastiches, la plupart publiés ou au moins
rendus publics dans sa correspondance et dans son œuvre de fiction même. Ces pastiches sont
relativement bien connus. Ceux de L’Affaire Lemoine ont été étudiés méticuleusement par Jean
Milly (1970) et le pastiche des Goncourt dans La Recherche a fait l’objet de plusieurs études
(Bouillaguet). Ces travaux philologiques et de commentaire interne ne prennent toutefois pas
la mesure des phénomènes que je voudrais souligner.
3 Il faut insister à la fois sur la permanence et la régularité de l’activité pastichante de Marcel
Proust.
4 Son tout premier projet littéraire destiné à la publication est une imitation des « Pronostics pour
l’année 1887 » que Jules Lemaitre publie dans le Figaro. Il l’envoie à son ami Robert Dreyfus
pour paraître dans La revue lilas dans le courant de l’année 1888, avant même la publication
de son modèle en volume. C’est au même moment que ses amis réalisent que le délicat Marcel
n’était pas dépourvu d’ambitions académiques1. Paraît ensuite « Violante ou la Mondanité »,
dans la revue Le Banquet2, récit « pastiché des contes de Voltaire » d’après Dreyfus3, puis,
dans La revue blanche, « Mondanité de Bouvard et Pécuchet4 », pastiche de Gustave Flaubert
et, brièvement, de Maurice Maeterlinck. À l’autre bout de sa carrière littéraire, il imite encore
Paul Souday dans une lettre à celui-ci en mai 19225. Son premier livre publié, Les Plaisirs et
les jours (1893) contient plusieurs pastiches. Le recueil des Pastiches et mélanges publiés chez
Grasset en 1919 en comporte de nombreux autres. Entre les deux, des contributions au Figaro,
à la Presse, de très nombreuses notations dans la correspondance et des essais divers restés
longtemps inédits notamment indiquent que Proust n’a pas été un pasticheur régulier et non pas
occasionnel, et surtout, on y reviendra, qu’il a tenu à faire connaître son goût de l’imitation à
ses intimes et aussi à un cercle plus large de lecteurs. Le pastiche est donc inséparable à la fois
d’un discours sur cette pratique et d’un discours sur soi. Cette attitude lui permet de construire
ce que j’appellerai un ethos de pasticheur. Mais pour comprendre ce fait, il nous faut faire
un détour. Son activité prend en effet sens dès lors qu’on la lie au statut de l’art du pastiche
à la fin du XIXe siècle. Il nous faut donc nous interroger sur le genre, ses motivations, mais
aussi sur son « image de marque » littéraire. C’est ainsi que le trait discursif qui nous intéresse
révélera ses implications dans l’usage concret qu’en font des écrivains en concurrence dans
le champ littéraire français.
5 Le pastiche est un exercice scolaire assez commun. L’imitation des grands auteurs, latins
et français, est au centre de l’apprentissage littéraire depuis le XVIIe siècle. Il se décline en
exercices variés comme les applications, les amplifications, les transpositions, etc. Au moment
où Proust rédige ses premiers pastiches, son presque contemporain Antoine Albalat affirme :
La lecture bien faite comprend non seulement des fiches, des notes, des analyses, mais une foule
d’autres exercices profitables comme les comparaisons, le pastiche, la transposition. […] On fait
ainsi du bon Rousseau, du bon Bossuet, du bon La Bruyère, du bon Montesquieu. Savoir imiter,
c’est apprendre à ne plus imiter, parce que c’est s’habituer à reconnaître l’imitation, et à s’en
passer quand on y sera rompu. Le danseur de corde use du balancier pour le quitter6.

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6 Cet usage est d’autant plus important que la France connaît depuis 1880 une série de réformes
de l’enseignement visant à substituer à la rhétorique traditionnelle et à la connaissance du
latin une meilleure compréhension du style des auteurs français modernes. Dans son discours
en latin, lors de la remise des prix aux lauréats du concours général, Jules Ferry annonce
la disparition de la composition latine au Baccalauréat et du discours latin au Concours
général. Cet enseignement est désormais conçu comme vecteur de culture plutôt que comme
apprentissage linguistique. Disparaît en conséquence le parallèle entre l’Antiquité et le monde
moderne qui nourrissait nombre d’exercices. Les lycéens qui écrivaient au nom de Cicéron,
d’Auguste ou de César étaient censés apprendre du même geste la langue, l’histoire et la
morale. Les récits des Anciens étaient des recueils de faits exemplaires. L’altérité, qu’assurait
l’allégorie antique, doit désormais être prise en charge par l’étude des textes modernes. Le
décret du 19 juin 1880 impose la Composition française sur un sujet de littérature ou d’histoire
en lieu et place de la composition latine. Françoise Douay-Soublin constate ainsi que les
thèmes à sujets littéraires (du type : Lettre de Fénelon à La Motte sur la querelle des Anciens
et des Modernes), inconnus avant 1859, en viennent à occuper les quatre cinquièmes des
exercices proposés dans les années 1880-1890. Les sujets dits historiques (du type : Réponse
du Conseiller Portalis au tsar Alexandre qui lui demandait d’établir un code de justice, en
1804) s’effondrent en proportion, même si la distinction entre les deux genres d’exercices n’est
pas toujours aisée à établir7.
7 Rétablie en 1808, la classe de rhétorique s’était maintenue tout au long du siècle. Le rapport
de Gustave Merlet en 1889 (Rapport sur l’Enseignement du français) insiste sur le fait qu’on
peut se dispenser de l’enseignement de la rhétorique pour former les élèves à l’art d’inventer,
de composer et d’écrire  : c’est à l’étude des textes français que sera confié cet objectif
pédagogique. La réforme de 1902, dans laquelle Gustave Lanson joue un grand rôle, rendra
cette suppression effective. Entre ces deux dates, l’évolution est sensible. Les autorités sont
amenées à revoir le «  canon  » des auteurs mobilisés à des fins pédagogiques. Bossuet et
Corneille sont présents à chacun des trois niveaux de l’enseignement des lettres, Molière,
Fénelon, Voltaire, Racine et La Bruyère viennent ensuite. Le premier auteur «  moderne  »
est Chateaubriand, suivi immédiatement par Hugo, Lamartine, Musset, Vigny8. En parallèle,
se développe l’exercice de l’explication française, qui doit assurer l’apprentissage pratique
des règles de l’expression écrite. Une série d’exercices sont recommandés : l’élève rédigera
des lettres, dialogues, discours, dissertations, parallèles, portraits, tableaux voire testaments
en imitant les modèles qu’on lui propose. La plupart des consignes inscrivent ces pratiques
narratives dans un contexte de référence ancien, qui mobilise le savoir historique des élèves.
On leur demande d’écrire une «  Lettre de Boileau à Colbert en faveur du vieux Corneille
délaissé et réduit presque à la misère  » (1881, Grenoble)9; une «  Lettre de Madame de
Sévigné à sa fille après la représentation du Misanthrope », un « dialogue entre Scudéry et
Rotrou, après la première représentation du Cid ». Le dialogue des morts est mis en valeur :
«  Vous supposerez un dialogue aux enfers entre l’Iphigénie d’Euripide et l’Iphigénie de
Racine » (1883, Aix). La suite d’une œuvre possède également des vertus pédagogiques autant
que morales : on demande ainsi à Bordeaux en 1891 de raconter la visite de Chimène et de
Rodrigue, jeunes mariés, sur la tombe de Don Gormas : la jeune épouse « sans rien conseiller à
son époux d’indigne de lui, espère que son épée ne sortira plus du fourreau que pour la défense
du Roi et de l’Espagne ». Cette diversité d’exercices se réduit toutefois peu à peu tout au long
de la période, au profit de la seule dissertation.
8 L’influence de ces pratiques sur les auteurs est incontestable. Le cas de Jean Giraudoux
le montre bien. Son premier texte est publié le 27  septembre 1908 dans Le Matin sous le
pseudonyme de J.-E. Manière. Il s’agit d’une réécriture de l’histoire homérique du Cyclope :
plutôt qu’un pastiche (le style d’Homère n’est pas imité), il s’agit d’une amplification comme
celles que le jeune boursier brillant avait apprises au lycée de Châteauroux, une réécriture, qui
incorpore des éléments comiques dans le courant du texte, qui modifie le statut des personnages
(Ulysse y est burlesque) ; Giraudoux mêle également dans son texte des allusions pastichantes
à Pindare, Théocrite, aux philosophes présocratiques, à Claudel et à l’helléniste Croiset, voire

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à Verlaine et à Franc-Nohain. On connaît par ailleurs certains intitulés des devoirs proposés
par le professeur Gain au lycée de Châteauroux avant 1902 :
Composition française
Lettre de Boileau au libraire Denis Thierry pour lui recommander La Fontaine.
Monsieur, Vous allez, m’écrivez-vous, imprimer les rondeaux de M. Benserade et les sonnets de
Mme. Deshoulières sur papier de luxe, avec une reliure d’un dessin splendide, et des vignettes
de Nanteuil. C’est leur rendre un bon service, et tous ces vers ne pouvaient trouver un meilleur
tombeau ; mais je vous avoue qu’il faut avoir toute votre bonté d’âme pour écouter les prières
de pareils poètes, et tout votre courage pour mettre, comme le dit Furetière, un si méchant vin
en de pareils flacons…10
9 L’élève était censé continuer…
10 Comme les auteurs de sa génération, Proust était ainsi particulièrement bien préparé à
l’exercice du pastiche. Il entre en cinquième au Lycée Condorcet, le 2 octobre 1882, après un
séjour au cours Pape-Carpentier. Il y suit un enseignement de haute qualité et essentiellement
littéraire. Il y fait des exercices de création, mais aussi d’imitation latine comme le « Procès de
Pison devant le Sénat Romain » ou une « Lettre de Cicéron à Atticus », à la manière de Tacite,
mais les modèles sont également français et modernes : Salammbô, Thaïs ou Aphrodite11.
11 Un second aspect de cette fortune du pastiche tient à son acclimatation dans les mœurs
littéraires. Celle-ci se manifeste de deux manières. D’abord, dans la presse périodique, des
pastiches parodiques accompagnent presque toutes les nouveautés, théâtrales ou fictionnelles.
Ainsi dans La Vie parisienne paraissent deux remarquables séries. C’est la « Bibliothèque de
l’homme du monde », en 1864, présentée dans les termes suivants :
Stendhal, pour s’épargner l’ennui, énorme selon lui, d’avoir à faire trois repas tous les jours,
désirait qu’on inventât une sorte de boulette nutritive qu’on pût avaler le matin, pour être
débarrassé tout le jour de ce vulgaire souci. Les gens du monde ont aujourd’hui, et plus que les
autres, trop d’affaires et de soucis d’argent pour avoir le loisir de lire les trop nombreux chefs-
d’œuvre de notre littérature. Il est pourtant de bon goût d’avoir au moins l’air de les connaître.
Voici donc une série de boulettes littéraires où l’homme du monde trouvera condensés en quelques
lignes les traits saillants des ouvrages les plus connus. Il suffira d’en avaler une de temps en temps
et de s’en souvenir à propos pour se donner l’air le plus fin connaisseur.
12 En 1888, Robida rédige et illustre «  Les auteurs concentrés  » en donnant la justification
suivante  : «  Plus le temps de lire tous les chefs-d’œuvre, plus de place dans les maisons.
La Vie parisienne croit rendre service en créant une bibliothèque des auteurs concentrés,
réduits en galettes comprimées ». Il s’agira de Pierre Loti, « Mademoiselle Morue-fraiche » ;
Zola, « Doux rêve » ; Ohnet, « Aurore de Nivette » ; Theuriet, « Fleur des bois » ; Halévy,
« L’Aumônier de la danse » ; Paul Bourget, « L’insondable ». Tout aussi brillante est la série
des « Chefs-d’œuvre en abrégé » publiés par Outis dans La Caricature (à partir du n° 560,
20 septembre 1890, pp. 298-9), qui comprend des pastiches de « La Femme, par Michelet »,
« Monseigneur Myriel-Jean Valjean-Fantine » par Victor Hugo, « Le Maître de forges par
Georges Ohnet », « La Montagne, nouvelle inédite de Catulle Mendès » ainsi que l’année
suivante, un « Sonnet Murger », « Sonnet Ponchon », « Sonnet Villon », « Sonnet Richepin ».
Le terme «  pastiche  » apparaît, assez rarement dans ces transformations parodiques. Une
exception de qualité est la « La Bibliothèque de M. Pastiche » signée Louis Lemaigre qui paraît
de février à juin 1875 dans le Don Quichotte.
13 Ce développement quantitatif du genre va de pair avec une présence importante dans les
organes littéraires du champ restreint ainsi que les lieux de sociabilité des jeunes écrivains.
L’exemple le plus remarquable en est l’Album zutique. Bien connu aujourd’hui grâce à la
réédition de Pascal Pia, ce dernier recueil est un admirable exemple des effets produits par
la création de pastiches satiriques. Pour une part, les membres du groupe dit des Vilains
Bonshommes apprennent collectivement à se débarrasser de l’esthétique parnassienne tardive
en prenant pour cible en particulier François Coppée, et ils forgent entre eux des liens de
complicité en se gaussant les uns des autres. Les textes sont signés par dérision de noms tels
que Léon Dirx, Armand Silvestre, Paul Bourget ou François Coppée, mais également de Paul
Verlaine ou d’Arthur Rimbaud. Rimbaud signe ainsi une « Fête galante » à la manière de Paul
Verlaine et 23 autres pièces, Germain Nouveau y publie 7 poésies, Léon Valade 24, etc. Les

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études de génétique rimbaldienne, qui sont extrêmement précises, indiquent également que
son œuvre incorpore maints textes sur le mode du pastiche. Son premier texte publié, « Les
Étrennes des orphelins » imite le ton et la phrase du Hugo des « Pauvres gens » : destiné à
la Revue pour tous, on peut penser que la référence au poète le plus lu du siècle était censée
ouvrir quelques portes au débutant12.
14 Comme nombre de poètes contemporains, Paul Verlaine collabore à la petite presse satirique.
Il donne des poèmes en prose à La Parodie d’André Gill, et sa signature se retrouve dans
les colonnes du Hanneton, que dirige son ami Eugène Vermersch, dans La Cravache, dans
le supplément littéraire du Figaro ou dans Le Chat noir. Mais il est un des premiers poètes
chez qui l’imitation, le pastiche et la parodie sont signalés comme tels tout en contaminant
progressivement l’œuvre entière à laquelle ils donnent le « ton » mi-ironique mi-sérieux qui
en fait le prix13. Deux ensembles de textes relèvent explicitement du pastiche. Il s’agit d’abord
des poèmes que Verlaine envoie à Léon Valade et à Émile Blémont vers 1871  : «  sonnet
façon Heredia », « dizains genre Coppée », des imitations de Banville, de Glatigny ou même
d’Anatole France. Des dizains à la manière de Coppée, Verlaine continue par ailleurs à en
rédiger tout au long de la décennie, même en prison, à Mons ; certains seront publiés sous le
titre de « Vieux Coppées ». Un second ensemble est la section « À la manière de plusieurs »
du recueil Jadis et Naguère (1885)14. Elle rassemble des textes d’époques différentes, dont
le statut est variable comme en témoigne les glissements qui surviennent entre les recueils.
Ainsi, comme le montre Olivier Bivort, le VIe des « Vieux Coppées » de Cellulairement est
devenu « Dizain mil huit cent trente », gommant ainsi toute allusion au pastiche initial, tandis
que « La dernière fête galante », qui devait figurer initialement dans la section « À la manière
de plusieurs » a été rééditée de manière moins explicite dans Parallèlement (1885). Dans ce
dernier recueil figure aussi le célèbre « À la manière de Paul Verlaine » qui révèle l’extrême
labilité du pastiche verlainien.
15 Pourtant, même s’il est ainsi répandu, le pastiche reste peu valorisant. Les écrivains tendent
encore souvent à dissimuler ce qui était un exercice scolaire, ou à borner le plaisir du pastiche
à une activité divertissante sans grande ambition. C’est bien ce point que Proust va modifier, et
cette modification est rendue possible par le fait que, avant lui, deux auteurs dont il est proche
ont donné une visibilité nouvelle au genre.
16 Le premier est Jules Lemaitre. Normalien, professeur de lettres, critique, bientôt académicien
(il sera élu en 1895), Lemaitre n’a pas le profil sociologique des collaborateurs de l’Album
zutique. Il a publié des contes et des nouvelles, un roman, des poésies et plusieurs pièces de
théâtre. Les pastiches s’inscrivent dans son activité d’essayiste, mais il les reprend dans les
volumes critiques des Contemporains qui scandent sa carrière littéraire. Il est donc le premier
auteur doté d’une grande réputation, bien éloigné des errements de la bohème (il fait partie
des fondateurs de la Ligue pour la patrie française en 1899), à pratiquer publiquement le
pastiche comme un divertissement de bon aloi. Il adopte ainsi le ton de la causerie mondaine
pour présenter ses «  Pronostics pour l’année 1887  », confessant que ses critiques ne sont
pas infaillibles et qu’elles seront d’autant plus assurées qu’il n’y mettra que des prévisions.
Il annonce donc la parution d’un nouveau roman de Zola, intitulé La Terre, qu’il résume
plaisamment, et dont il prévoit l’incipit :
Le soleil tombait d’aplomb sur les labours… L’odeur forte de la terre fraîchement écorchée se
mêlait aux exhalaisons des corps en sueur… La grande fille, chatouillée par la bonne chaleur, riait
vaguement, s’attardait, ses seins crevant son corsage… — N… de D… ! fit l’homme ; arriveras-
tu, s… pe15 ?
17 Il faudrait commenter longuement cet extrait. Pour une part, il donne à Zola le statut que le
romancier espérait depuis longtemps : le pastiche qui le concerne est mis sur le même plan
que ceux de Renan ou de Bourget qui suivent. Mais par ailleurs, Lemaitre reste soigneusement
à l’intérieur d’un code mondain acceptable. La grossièreté de la citation est contenue par sa
brièveté, elle offre un petit côté canaille, frisant la gaudriole, qui ne va pas déplaire aux dames
qu’il fréquente. Lemaitre condense un certain nombre de traits caractéristiques du naturalisme
en quelques lignes, manière de dire « vous voyez, ce n’est pas bien difficile », et l’aisance avec

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laquelle il passe d’un auteur à l’autre a la grâce d’une conversation de salon. Le pasticheur
peut être un homme du meilleur monde, semble dire Lemaitre.
18 Après Zola et Renan, Lemaitre annonce le prochain livre de Paul Bourget, Péché d’Islande
dont le héros, Robert d’Ancelys, se donnera pour mission d’être le dernier amant de trois
femmes «  qui approchent de l’âge où l’on n’en a plus  ». «  Et il y aura un grand appareil
d’analyse psychologique, et comme une trousse de chirurgien étalée ; et, dans les appartements
et dans les écuries, un grand confort anglais  ». Une dizaine de lignes donnent l’incipit
du roman. Suivent les prochaines œuvres de Pierre Loti, de Georges Ohnet, et quelques
commentaires sur Alphonse Daudet, Maupassant ou Henri Meilhac. L’histoire est évoquée
avec Taine, la poésie avec Sully Prudhomme et Coppée, et ce dernier a droit aussi au bref
pastiche d’un poème intitulé « La Crémière » :
C’était une humble femme, une simple crémière
De Montmartre. Elle était vaillante. La première
Du quartier, quand pointait l’aube aux cieux violets,
De sa pauvre boutique elle ôtait les volets…
19 La platitude du sujet recoupe ici celle de la versification dont les enjambements soulignent
ironiquement le découpage hasardeux. Ils dénoncent de la prose mise en vers.
20 Lemaitre poursuit sur sa lancée avec des « Contes de Noël ». Il résume et commente les contes
que donneront au Figaro Paul Bourget, Pierre Loti, Guy de Maupassant (dont le conte « Le
boudin  » commence avec le «  préambule ordinaire  »  : «… Mon ami secoua dans le foyer
les cendres de sa pipe, et tout à coup : — Veux-tu que je te raconte mon premier réveillon à
Paris ? »), Ferdinand Fabre et Zola à nouveau, avec « Une farce de Buteau » et enfin 7 lignes
de points entrecoupées de quelques mots et titrées « Le Noël de Jo » qui sont un pastiche de
Catulle Mendès.
21 Pastiches de chroniqueur, mais jugés dignes de figurer dans les Contemporains au côté des
textes de critique qui font sa notoriété, pastiches d’un écrivain qui a des ambitions d’homme
du monde, les textes de Lemaitre traduisent le statut auquel parvient le genre du pastiche à la
fin du siècle. Il est désormais digne de figurer au rang des activités d’un digne académicien
et on comprend mieux l’allusion perfide de Robert Dreyfus à propos des premiers pastiches
de Proust.
22 Le second auteur dont Proust peut se prévaloir est Anatole France. Il écrit par exemple
des «  Nouveaux dialogues des morts. Une gageure  », dialogue dans lequel interviennent
Ménippe, Saint-Evremond, Barbey d’Aurévilly et un petit-cousin de M. Nisard (Le Temps,
16 mars 1890). Il rédige surtout une « Apologie pour le plagiat » (Le Temps, 4 janvier 1891,
repris dans La Vie littéraire, quatrième série) dans laquelle il fait l’éloge de l’absence
d’originalité :
Nous attribuons follement des vertus créatrices que les plus beaux génies n’eurent jamais ; car ce
qu’ils ont ajouté d’eux-mêmes au trésor commun, bien qu’infiniment précieux, est peu de chose
au prix de ce qu’ils ont reçu des hommes. L’individualisme développé au point où nous le voyons
est un mal dangereux. On songe, malgré soi, à ces temps où l’art n’était pas personnel, où l’artiste
sans nom n’avait que le souci de bien faire, où chacun travaillait à l’immense cathédrale, sans
autre désir que d’élever harmonieusement vers le ciel la pensée unanime du siècle16.
23 Nanti de cette double caution, Proust peut révéler, comme je l’ai indiqué, son goût du pastiche
à toutes les occasions possibles. Il est le premier grand écrivain qui ait fait de ce goût un
argument essentiel de sa carrière littéraire.
24 Il y a là un fait essentiel dont on n’a pas mesuré toute l’importance. J’y verrais une image
de soi d’un type inédit. Donc, un ethos nouveau. Pour la première fois en effet un auteur en
voie de légitimation exhibe cette part de sa formation qu’est le pastiche comme une clé de
sa compétence d’écrivain. Il en fait un code que ses amis connaissent et apprécient (ils lui
demandent régulièrement ce qu’il advient de ses pastiches) et c’est avec une incontestable
complaisance que Proust s’étend sur ses déconvenues éditoriales en la manière. À la fois
mondain et professionnel, le pastiche lie un plaisir de bon goût avec l’art d’écrire. Il se situe
donc sur les deux terrains que Proust investit, et sur les deux dessine une position compatible
avec ce qu’il est et ce qu’il veut être.

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25 Dans les nombreuses lettres qu’il envoie à ses amis, Proust s’est souvent expliqué sur son goût
du pastiche. Il donne généralement deux raisons d’en écrire. Il y voit d’abord une manière
privilégiée de connaître le style d’un écrivain. L’imitation met en lumière les défauts et les
qualités d’une langue, et chaque écrivain doit « faire sa langue comme chaque violoniste est
obligé de faire son son » écrit-il à Madame Straus17. Il est, à cet égard, parfaitement en accord
avec Albalat et la tradition rhétorique : le pastiche assouplit le style et permet à un écrivain
de devenir soi-même « au lieu de faire sournoisement du Michelet ou du Goncourt en signant
(ici les noms de tels ou tels de nos contemporains les plus aimables), d’en faire ouvertement
sous forme de pastiches, pour redescendre à ne plus être que Marcel Proust quand j’écris mes
romans » (Lettre de 1919 à Fernandez, cité par Milly, p. 37). Il ajoute un second argument.
Le pastiche peut aussi déboucher sur une critique constructive. Proust explique à Ramon
Fernandez que ses pastiches auraient dû paraître « avec des études critiques parallèles sur les
mêmes écrivains, les études annonçant d’une façon analytique ce que les pastiches figuraient
instinctivement (et vice-versa), sans donner la priorité ni à l’intelligence qui explique, ni à
l’instinct qui reproduit18 ». C’est alors renouer avec la tradition bien établie des « pastiches
critiques ». On peut effectivement considérer, comme le fait Milly, que Proust a dispersé cette
ambition critique dans le Contre Sainte-Beuve, dans les Nouveaux Mélanges, voire dans la
Recherche. Mais il est de fait que l’on n’a pas conservé les écrits critiques parallèles aux
pastiches et datant de la même époque, ce qui rend peu crédible le dispositif décrit par Proust
a posteriori.
26 Même si Milly semble s’en satisfaire, ces propos de Proust n’expliquent pas le souci de l’auteur
de se faire connaître par et pour son activité de pasticheur. Outre l’Affaire Lemoine qu’il publie
en première page du supplément littéraire du Figaro à partir du 22 février 1908 et jusqu’en
1909, il tente en vain de trouver un éditeur à ce moment pour un recueil de pastiches19. Il
reviendra à la charge en 1913 sans plus de succès, et, comme je l’ai dit, il lui faut attendre
1919 pour faire paraître les Pastiches et mélanges.
27 Il y a donc ici quelque chose de l’ordre de l’échec. Traduit en prise de position dans le champ
littéraire, l’ethos nouveau de l’écrivain pasticheur semble se heurter à un blocage. Celui-ci,
pourtant, tient moins à la position défendue par Proust qu’à l’état du rapport de forces dans le
champ littéraire contemporain. Et c’est ici que les « proustiens », tout au culte de leur auteur
fétiche, n’ont pas poussé l’analyse, et que l’ethos, pour être compté comme prise de position
pertinente, doit être mis en relation avec l’état du champ littéraire20.
28 Proust n’est en effet pas le seul écrivain pasticheur de son temps. Deux de ses contemporains
l’ont précédé dans la même voie, et leur rivalité me semble patente. Charles Müller
(1877-1914), né à Elbeuf en Normandie, était journaliste. Il a laissé le souvenir de ses
talents d’imitateur au lycée de Rouen, puis il a travaillé au Journal21. Il sera tué en 1914
sur la Marne. Paul Reboux (pseudonyme de Paul-Henri Amilet, 1877-1963), fils de Caroline
Reboux, modiste d’origine belge devenue directrice d’une grande maison de couture à Paris,
a grandi dans un milieu mondain de la rive droite. Reçu bachelier de justesse, il bénéficie
de l’enseignement de précepteurs divers (dont le peu conformiste abbé Charbonnel). Il est
familier des salons parisiens, en particulier ceux où s’élabore l’Action française. Il fréquente
aussi les cabarets littéraires, notamment Le Chat noir. Chroniqueur et journaliste, il travaille
également pour le Journal où il rencontre Müller, et il se lie avec des auteurs comme Catulle
Mendès et Ernest La Jeunesse.
29 Le premier recueil de poèmes de Reboux paraît chez Lemerre en 1897  ; le second, Les
Iris noirs, recueille un succès d’estime l’année suivante. Il publie ensuite Poèmes d’amitié
(1898) et Missel d’amitié (1900), trois romans (Josette, 1903 ; La Maison de danse, 1904 ;
Le Phare, 1907) ainsi qu’un recueil de critiques littéraires  : Vient de paraître (1906) que
nourrissent ses critiques du Journal. On notera que, dans une certaine mesure, Reboux réalise
précisément le parallèle souhaité par Proust : il pastiche et critique en même temps des auteurs
comme Anna de Noailles ou Charles-Louis Philippe – pour sa part, le troisième larron des
célèbres À la manière de… de Reboux et Müller, Fernand  Gregh, s’est contenté de faire
connaître la part critique de ses réflexions, dans  : Étude sur Victor Hugo, suivie de Pages

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sur Verlaine, l’humanisme, Schumann, Massenet, Claude Debussy, Maurice Maeterlinck, etc.
(Paris, E. Fasquelle, 1905).
30 La revue Les Lettres, fondée en mars 1906 par Fernand Gregh, à laquelle Reboux et Müller
participent d’emblée, n’était pas dépourvue d’ambition. Financée pour partie par Caroline
Reboux et pour partie par Gregh, elle ambitionnait de rivaliser avec le Mercure de France.
Elle se manifeste par un grand banquet le 15  juin 1907 au cours duquel Anatole France,
Georg Brandès, Reboux et Gregh prononcent des toasts. Peu après la parution de leur premier
recueil de pastiches, dont le succès est immédiat, les rédacteurs de la revue tentent de
transformer leur essai en s’imposant dans le monde littéraire. Ils fondent «  Les 45  », une
réunion du même nombre d’hommes de lettres et d’artistes n’ayant pas dépassé 45 ans. Un
comité d’initiative, composé d’Abel Bonnard, Henri Barbusse, Francis de Croisset, Émile
Fabre, Pierre Mortier, Fernand Nozière, rassemble des artistes peintres (Caro-Delvaille, Lévy-
Dhurmer…), des romanciers (René Boylesve, Marcel Boulenger, Charles-Henry Hirsch, Paul
Acker, Fernand Vandérem…), des auteurs dramatiques (Henri Bernstein, Tristan Bernard,
Edmond Sée, Romain Coolus, G.-A. de Caillavet, Robert de Flers, Henri Bataille, Pierre
Veber, Miguel Zamacoïs, Jacques Richepin), des journalistes (Pierre Mille, Albert Sarraut,
Albert Flament, Paul-Bocour, Franc-Nohain…), des poètes comme Abel Bonnard, Fernand
Rivoire, Henri de Régnier, Pierre Louÿs, des savants enfin et des musiciens comme Reynaldo
Hahn et Paul Dukas22. Cette réunion d’auteurs souvent recrutés parmi les collaborateurs des
Lettres fut sans avenir mais non sans enseignements. Elle montre que l’ambition de Reboux
et Gregh se bornait à rassembler une sorte d’Académie générationnelle, ce qui est à la fois
très ambitieux et peu efficace sur le plan littéraire. Elle indique également un habitus commun
à plusieurs des 45 : parmi eux, outre Reboux et Gregh, René Boylesve, Marcel Boulenger,
Tristan Bernard, Pierre Veber, Miguel Zamacoïs, Franc-Nohain, Pierre Louÿs, Pierre Mille et
Henri de Régnier ont écrit et publié des pastiches…23
31 Après avoir publié leurs pastiches par eux-mêmes en décembre  1907 (la couverture porte
1908), pour dédommager leurs abonnés de la disparition des Lettres, Reboux et Müller se
mettent en quête d’un éditeur professionnel. Comme Proust, ils essuient d’abord les refus
des éditeurs traditionnels, peu enclins à faire confiance à ce genre inhabituel. En 1910,
Reboux remet alors l’affaire dans les mains du jeune Bernard Grasset qui fait passer des
annonces dans la grande presse et parle du livre comme du « plus grand succès de librairie de
l’année ». Il affirme même que vingt mille exemplaires en ont été vendus. Les chiffres exacts
importent peu : il est certain que le succès fut au rendez-vous. Le pastiche de Maeterlinck,
« Idrofile et Filigrane » est même adapté pour la scène, avec une musique de Marcel Fournier
parodiant Debussy, au Théâtre de verdure de l’Oasis, dirigé par Paul Poiret au Théâtre des
arts, en juin 191324. L’audience du recueil croîtra encore pendant la Grande Guerre. Les deux
premières séries du livre furent envoyées dans les colis destinés aux soldats et aux officiers
du Front pour les divertir. Des dizaines de milliers d’exemplaires furent ainsi diffusées. Après
guerre, Reboux écrivit encore trois autres séries, qui ont été souvent rééditées.
32 La concurrence entre Proust et Reboux dans le champ littéraire et mondain était d’autant plus
vive que les deux hommes se connaissaient bien, au moins de réputation, et ils fréquentaient
pour une part les mêmes milieux. Proust n’a pu manquer de lire les comptes rendus favorables
suscités par le recueil de poésies Les Iris noirs paru chez Lemerre en 1898 ; il lui écrit d’ailleurs
une lettre amicale et complice vers la mi-mai 189825. Reboux était l’ami de Fernand Gregh
qui, pour sa part, était « l’homme de lettres » du petit groupe du lycée Condorcet, selon les
mots de Robert Dreyfus, et le véritable rédacteur en chef du Banquet où Proust publia ses
premiers articles. On n’a pas assez souligné que cette revue, comme il est d’usage courant dans
les périodiques animés par des étudiants, faisait montre, avec une certaine suffisance, de la
culture des impétrants. On y pouvait lire un faux texte attribué à Schopenhauer, dont l’auteur
était sans doute Léon Blum, ainsi que quatre curieux poèmes verlainiens titrés « Pastiches
sentimentaux », et signés Perdican (mai 1892, pp. 80-83)26.
33 Après leurs études, Proust est resté lié à Fernand Gregh. Celui-ci lui envoyait très probablement
ses essais littéraires et la revue Les Lettres qu’il dirigeait avec Paul Reboux. C’est dans cette
revue que Gregh publia les pastiches parus sous le nom de Sosie ; il a raconté dans ses souvenirs

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Sur les pastiches de Proust 9

que l’expression « À la manière de… » lui était venue en pensant au « À la manière de Paul
Verlaine  » de Paul Verlaine27. Il était aussi l’auteur des pastiches de Heredia et de Henry
Bataille et avec son épouse, Harlette, de Delarue-Mardrus et de Noailles, rédigés en une nuit
après avoir bu quelques bouteilles d’un «  Pommard incomparable  ». Gregh ne voulut pas
signer les textes lorsqu’ils parurent en recueil en décembre de la même année parce qu’il avait
des ambitions académiques ; Gregh lui-même a dit qu’il les sentait indignes de sa « dignité
lyrique ». Toujours est-il que Proust ne devait ignorer grand-chose de la « cuisine » des Lettres
et des pastiches qui y étaient concoctés.
34 Par ailleurs, Proust savait que son ami et correspondant Reynaldo Hahn, qui avait orné Les
Plaisirs et les Jours de compositions de son cru, écrivait la musique du Prométhée triomphant,
poème de Reboux, qui sera créé aux Concert Lamoureux les 1er et 8  mars 1908. Les vers
inspirés de Corneille qu’il envoie à Hahn le 16 novembre 1906 expriment, sur le mode allusif,
une rivalité qui n’est pas très éloignée de la jalousie amoureuse. Il regrette de n’être pas l’auteur
du livret :
Mais non, Reboux l’emporte et la faveur du Buncht
L’intronise en un rang qui n’était dû qu’à Guncht28.
35 Buncht était le nom familier que Proust donne souvent au musicien, tandis qu’il se désigne
parfois lui-même sous celui de Guncht. Comble de provocation, un des pastiches de Reboux
paraît dans Le Figaro le 26 janvier 1908 (« Discours sur la société future » de Jaurès). Même la
presse ne peut éviter de comparer les deux pasticheurs. Dans Le Gaulois, le 30 mars 1908, un
autre ami de Proust, Lucien Chantal (pseudonyme de Lucien Daudet), note que « les pastiches
se portent beaucoup cette année » et il met en parallèle le « petit livre [qui] a fait fureur »
de Reboux et la « démoniaque et spirituelle férocité » de Proust. Deux auteurs au moins sont
communs aux pasticheurs : Anna de Noailles et Maurice Maeterlinck, Proust compte écrire sur
un troisième, Paul Adam, et dans la seconde édition des À la manière de…, en 1910, Reboux et
Müller imitent Henri de Régnier et les Goncourt, deux auteurs traités dans L’Affaire Lemoine.
On comprend mieux dès lors que Proust a songé dès 1908 à réunir ses pastiches en un volume29.
On comprend aussi qu’il refuse de prendre directement contact avec Reboux, même pour
obliger un ami, car, dit-il, « je suis avec Reboux en rivalité de pastiches »30. C’est – revanche
délicate – chez Grasset qu’il fera paraître en 1913 le premier volume de la Recherche, l’année
même où paraît la seconde série d’À la manière de…
36 À travers un même ethos de pasticheurs, Proust et Reboux occupent néanmoins des positions
différentes dans le champ littéraire. Le premier, comme Fernand Gregh, est dreyfusard, le
second est violemment hostile au Capitaine. Mais c’est surtout dans leur activité même
d’écrivains que s’accusent les différences. Les réponses qu’ils donnent à la «  crise du
symbolisme » divergent, même si, dans les années 1908-1910 ils semblent également hésiter
sur des choix de formes et de genres. Du point de vue de certains contemporains, ils semblent
tous les deux pratiquer des pastiches peu parodiques, qui témoignent de leur bon goût et de
leur culture. Ainsi Marcel Ballot les classe-t-il dans le même groupe dans un article du Figaro
du 27 juin 191031. Pourtant c’est bien dans la lettre même de leurs pastiches que se révèlent
les différences. Celles-ci permettent de comprendre les motifs de leur rivalité et elles mettent
en relief le jeu de « qui perd gagne » que viendra confirmer la valeur littéraire qui leur est
actuellement reconnue.
37 Le pastiche de Proust ne vise pas au comique, encore moins à la parodie. Il privilégie des
écrivains qu’il admire, et ses pastiches tendent à l’inscrire dans une série de grands noms :
Saint-Simon, Balzac, Flaubert ou Renan. Inversement, Reboux et Müller mettent l’accent sur
l’autonomie de leur texte à l’égard du modèle initial. La charge comique y est forte, très lourde
diront certains, ce qui permet à un lecteur relativement peu au fait des subtilités stylistiques,
d’apprécier les jeux de mots ou l’esprit gaulois des auteurs. Aucune recherche d’identification
n’est d’ailleurs exigée puisque l’on renseigne complaisamment le lecteur sur le nom, voire
sur l’œuvre, qui est pastichée. On peut dire qu’en ce sens, ce parangon du pastiche renoue
paradoxalement avec l’esprit de la parodie. Il faut par ailleurs considérer la signification des
notes scolaires ou érudites qui accompagnent le Racine ou le Mallarmé, l’enquête «  Que

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Sur les pastiches de Proust 10

pensez-vous de l’automobile  ?  » ou la présence d’un discours politique (Jaurès)  : il s’agit


chaque fois d’éléments a priori non littéraires, qui renvoient au cadre institutionnel de la
littérature – l’école, les enquêtes chères aux revues, voire au café du Commerce – et s’adressent
donc à un public plus large que le premier cercle des pairs32. Ainsi constitué, À la manière de…
réalise un nouvel objet littéraire : une série de pastiches réunis sous la forme d’un livre, dotés
d’une certaine autonomie humoristique et adressés à un lectorat étendu.
38 La plupart des pastiches de Reboux et Müller obéissent au principe de composition que les
auteurs ont eux-mêmes expliqué. Il faut que l’écrivain choisi soit connu du grand public  ;
qu’il soit imitable, donc que son écriture montre des « caractéristiques franches, des tics, des
spécialités » et que ces tics soient connus du public. Les pasticheurs prennent ensuite un « texte
bouffon ou jugé tel de l’écrivain qu’ils vont imiter, ils lisent ses autres ouvrages en répertoriant
les fautes, les erreurs, les obsessions de l’auteur, et ils développent le thème principal en
«  semant «  çà et là le poivre rouge de mots grossiers  » dans un esprit de bonne humeur
divertissante. « Substance, condiment et manipulation, voilà la recette33 ». Cette cuisine est, on
le voit, tout entière orientée par la réception immédiate. Le choix des auteurs cibles et le registre
de la caricature sont moins hasardeux qu’on peut le penser. Politiquement et littérairement,
Reboux se situe sur la rive droite et il est fier de l’être. Il y a chez lui une haine de la littérature
moderne, une revanche du conservatisme mondain sur les succès symboliques des écrivains
les plus audacieux. Les pastiches illustrent les positions critiques de Vient de paraître  :
dénonciation de « l’accès de délire » de Stéphane Mallarmé, « l’allure ataxique » introduite
par les Goncourt, refus de ceux qui « ont le souci de renouveler le style et la langue34 ». Reboux
y proclame son goût de la simplicité, de la clarté, la soumission volontaire aux jugements du
public, bref, le parti pris du « bon sens » contre toute forme d’avant-gardisme. S’il admire
Fernand Gregh ou Paul Bilhaud, et, curieusement, Raymond Roussel dont il est un des premiers
critiques, il condamne les « balbutiements », les « rêvasseries inintelligibles » de Verlaine.
Des pastiches de Proust, il dira qu’ils sont intelligents mais ratés car trop longs et pas assez
autonomes. Il n’apprécie d’ailleurs pas l’écrivain Proust ; il juge ses livres « sédatifs » : « Ce
fut une des plus précieuses intelligences de l’époque. Il la symbolise. Il s’est démodé avec
elle35 ». Ses préférences stylistiques sont claires et il les exprimera encore sans avoir évolué
en commentant un recueil de Georges-Armand Masson :
Le pastiche est une forme de la critique littéraire, et non la moins efficace […]. Il nous fait
comprendre, en se moquant des prétentieux et des voyous, qu’on n’écrit pas seulement pour soi,
par jeu, pour exprimer les émotions qu’on a eues. On doit écrire pour se faire comprendre, pour
communiquer aux autres ce que l’on a ressenti. […] Puissiez-vous contribuer à ramener dans les
lettres françaises un peu de cette grâce, de ce charme, de cette ampleur harmonieuse qui ont fait
rayonner à travers le monde la gloire et le génie d’un pays où sont nés Candide, Manon Lescaut,
Adolphe, Dominique, Madame Bovary.
39 Écrites au lendemain de la seconde guerre mondiale, au moment où «  nous avons mis en
prison les plus brillants de nos écrivains  » (il s’agit de Brasillach et consorts), ces lignes
révèlent la dimension normative du pastiche. Elles sont l’aveu d’un « bon sens » traditionnel,
à l’aune duquel toutes les audaces littéraires devraient être jugées. Ultime retour de la lutte de
la formation rhétorique contre l’évolution de l’enseignement littéraire, l’art poétique le plus
classique (« ce qui se conçoit bien s’énonce clairement ») guide les traits de l’ironiste.
40 Chez Proust au contraire, et peut-être en raison même de sa rivalité avec Reboux et de l’échec
éditorial qui s’en suit, le pastiche sera reversé dans l’œuvre de fiction, dont elle devient un
des principes de la composition. On sait en effet que l’écrivain se lance dans le projet de La
recherche « vers 1906 » comme il l’écrit à Rosny aîné, à la suite d’une phase d’incertitudes
dont il est sorti « avant la fin de 190736 ». Son « Carnet 1908 » mêle ainsi pastiches, critiques
et construction de ce qui sera le vecteur principal de son œuvre nouvelle : le narrateur actif,
témoin et modulateur des voix de l’auteur et du corps social. De nombreux travaux ont mis en
lumière la façon dont le narrateur s’approprie les discours sociaux et littéraires et en restitue les
traits les plus caractéristiques. Il n’est pas faux d’affirmer que la Recherche est un gigantesque
pastiche du discours social fin de siècle. Son phrasé imite des styles de vie (voir ce que
Jacques Dubois écrit du personnage d’Albertine), des manières d’être à la fois mondaines et

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Sur les pastiches de Proust 11

artistiques37. Ce n’est sans doute pas un hasard si les principaux auteurs pastichés par Proust
– Saint-Simon, Balzac, Flaubert ou Zola – ont été eux aussi de grands observateurs du social.
41 Proust ira même jusqu’à l’autopastiche. Rappelons le passage célèbre de la recherche où
Albertine utilise les mots caractéristiques du narrateur, «  des images si écrites et qui me
semblaient réservées pour un autre usage plus sacré et que j’ignorais encore  », ce qu’il
commente avec ironie en insistant sur le fait que cette captation stylistique du créateur par sa
créature est un gage d’amour : « sans moi, elle ne parlerait pas ainsi, elle a subi profondément
mon influence, elle ne peut donc pas ne pas m’aimer, elle est mon œuvre38 ». Cette phrase
indique la troisième compréhension du pastiche par Proust. Outre la critique et la découverte
de son style personnel, le mimétisme crée un lien inaliénable entre le sujet et l’objet. Or la
relation d’Albertine avec le narrateur dans cet extrait est identique à la relation de l’auteur-
Proust avec les auteurs et les discours sociaux qu’il imite. Pasticher, c’est incorporer les
mots de l’autre  ; pasticher les écrivains, c’est donc incorporer la littérature. Le pastiche
proustien dans La recherche désigne ainsi cette position typique du champ littéraire prétendant
à l’autonomisation absolue : le monde entier aboutit à l’œuvre et celle-ci devient le siège et le
médiateur des passions, puisque c’est d’amour et de langage dont parle le narrateur.
42 Le champ littéraire a sanctionné très précisément les positions divergentes des deux
pasticheurs. Là où Reboux place les écrivains sous le jet des lazzis mondains, Proust
au contraire en fait le matériau dans lequel sa grande œuvre vient se mirer. Reboux en
conséquence a été voué sinon à l’oubli, du moins au rang subalterne de l’amuseur public tandis
que Proust était accueilli au Panthéon des Lettres. On n’ose imaginer ce qui serait advenu si
Bernard Grasset avait publié L’Affaire Lemoine en 1910, à la place d’À la manière de…

Bibliographie
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Sur les pastiches de Proust 12

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« Bibliothèque de la Pléiade », 1954.
Reboux (Paul) & Müller (Charles), À la manière de…, Paris, édition de la Revue des lettres, 1908.
Reboux (Paul) & Müller (Charles), À la manière de…, 2e et 1re séries réunies en une édition complète,
Paris, Grasset, 1910.
Tadié (Jean-Yves), Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1996.
Tessier (Guy), « Sirènes homériques “à la Giraudoux”», Cahiers Jean Giraudoux, n° 27 : « Giraudoux
pasticheur et pastiché i », 1999.

Notes
1 Dreyfus (Robert), Souvenirs sur Marcel Proust, Paris, Grasset, 1926, p. 112.
2 Proust (Marcel), « Violante ou la Mondanité », Le Banquet, n° 7, février 1888, pp. 201-208.
3 Proust (Marcel), Les Plaisirs et les jours, Paris, 1924 (2e édition), pp. 49-65.
4 Proust (Marcel), « Mondanité de Bouvard et Pécuchet », La Revue blanche, 1888, pp. 62-68 ;
id. « Mondanité et Mélomanie de Bouvard et Pécuchet », dans Les Plaisirs et les jours, Paris,
1924 (2e édition), pp. 99-108.
5 Proust (Marcel), Correspondance générale, iii, Paris, Plon, 1930-1936, pp. 98-101.
6 Albalat (Antoine), L’art d’écrire, Paris, Armand Colin, 1992 (1re éd. 1899), pp. 41-42.
7  Douay-Soublin (Françoise), «  La rhétorique en France au xixe siècle  », dans Fumaroli
(Marc) (dir.), Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne : 1450-1950, Paris, PUF, 1999,
p. 1143.
8  Jey (Martine), La littérature au lycée, Metz, Université de Metz, 1998, p.  234. Sur ces
sujets, voir aussi Chervel (André), Les auteurs français, grecs et latins au programme de
l’enseignement secondaire de 1800 à nos jours, Paris, INRP, 1986 ; Compère (M.), Du collège
au lycée (1500-1850) : généalogie de l’enseignement secondaire français, Paris, Gallimard-
Julliard, 1985, et notre synthèse dans Aron (Paul ) & Viala (Alain), L’Enseignement littéraire,
Paris, PUF, « Que-sais-je ? », 2005.
9 Jey (Martine), op. cit., p. 105.
10  Voir Tessier (Guy), «  Sirènes homériques “à la Giraudoux”» et Allègre (Christian),
« L’imaginaire idyllique de Giraudoux et le modèle des Syracusaines de Théocrite », dans
Cahiers Jean Giraudoux, n° 27 : « Giraudoux pasticheur et pastiché i », 1999, p. 36.
11 Voir Tadié (Jean-Yves), Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1996, et André Ferré, Les Années
de collège de Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1959.
12 Voir l’édition des Classiques Garnier par Bernard (Suzanne), Guyaux (André) et Murphy
(Stève), « Détours et détournements : Rimbaud et le parodique », Parade sauvage, n° 4, 2004,
pp. 77-126.
13  Bivort (Olivier), «  Verlaine à la manière de Paul Verlaine  », dans Bercot (M.) (dir.),
Verlaine, 1896-1996, Paris, Klincksieck, 1998, pp. 289-299. Sur les « Vieux Coppées », voir
aussi Jean-Louis Aroui, «  Quand Verlaine écrit des dizains  : les “coppées”  », L’École des
lettres, n° 14, juillet 1996, pp. 137-152.
14  Certains ont paru dans le Chat noir des 26  mai, 14  juillet et 18  août 1883 avant d’être
rassemblés dans Jadis et naguère : autre rapprochement avec la petite presse.
15 Les Contemporains, 4e série, Paris, H. Lecène et H. Oudin, 1889.
16 Chez moi, p. 539.
17  Proust (Marcel), Correspondance générale, Paris, Plon, 1930-1936, lettre xlvii, p.  94,
ca. janvier 1908, cité par Jean Milly, p. 18.
18 Le Divan, octobre-décembre 1948, p. 433, cité par Jean Milly, p. 20.
19 Voir sa lettre à Fernand Gregh dans Correspondance de Marcel Proust, éd. par Ph. Kolb,
ix, p. 70.
20 Ainsi la magistrale biographie de Proust par Jean-Yves Tadié ne mentionne qu’une seule
fois le nom de Reboux.

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Sur les pastiches de Proust 13

21  Voir la brochure d’hommage À la mémoire de Charles Müller, extrait de Notre Vieux
Lycée, Rouen, imprimérie Wolf, sd., p. 48. Elle comporte des « Souvenirs et témoignages », un
discours inédit et, pp. 42-46, « Charlemagne Franc-joueur (Discours de Saint-Charlemagne) » ;
enfin, un éloge du football en alexandrins à la manière de la Chanson de Roland et de Hugo
qui sont des œuvres de jeunesse.
22 Le Figaro, 8 mai 1908, p. 1.
23 Ils se séparaient toutefois nettement sur le plan politique : Gregh avait inauguré en 1906 le
« dîner des Quinze-Vingt » qui réunissait des dreyfusards ; ami de Léon Blum et de Gustave
Lanson, il se séparait sur ce plan de Reboux. Peut-être est-ce une des raisons de leur refus de
collaborer plus avant. Il ne parle pas non plus des « 45 » dans ses Mémoires.
24 Il y sera repris en 1921 (compte-rendu dans Comœdia, 14 juin 1921).
25 Correspondance de Marcel Proust, éd. par Philip Kolb, vol. ii, pp. 232-233.
26  Voir Gregh (Fernand), L’Âge d’or. Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, Bernard
Grasset, 1947, pp. 151, 159 sq. La revue Le Banquet est disponible en format électronique
sur Gallica.
27 Gregh (Fernand), L’Âge d’airain. Souvenirs 1905-1925, Paris, Grasset, 1951, p. 80.
28 LRH, p. 108. Ils collaboreront aussi à la réalisation d’un livre de luxe à petit tirage : La
Création du monde revue et corrigée selon l’esprit du siècle par René Peter. Exégèse de Paul
Reboux et Charles Müller. Préface en musique de Reynaldo Hahn, Devambez 1912. Très beau
recueil de dessins en couleurs de René Peter accompagnés de « gloses » où Reboux et Müller
tentent de « pasticher les critiques d’art d’aujourd’hui, qui mêlent une si lourde documentation
à leurs formules d’esthétique. » (Préambule).
29 Il s’est, dit-il à Gregh, heurté aux refus des éditeurs Le Mercure [de France], Calmann,
Fasquelle. Les raisins étant trop verts, il en conclut : « C’est très bien ainsi ». Voir Mon amitié
avec Marcel Proust, Paris, Grasset, 1958.
30 Correspondance de Marcel Proust, éd. par Ph. Kolb, Lettre à Max Daireau, juillet 1910,
vol.  x, p.  126. On pourrait sans doute encore approfondir le lien entre Proust et Reboux.
Ainsi on ne peut manquer d’être surpris par le peu de place que prennent les chapeaux dans
la description des costumes féminins. Proust n’hésite pas à citer un couturier (Fortuny), il
s’abstient sur les modistes. Or Caroline Reboux, un des trois principales modistes de son temps,
a une clientèle que le romancier ne peut ignorer. Ainsi la Princesse Marthe Bibesco rédige-t-
elle en 1939 un petit texte de promotion de ses chapeaux (P., La mode et la tradition, Caroline
Reboux) à titre promotionnel. Détail, certes, hypothétique mais peut-être significatif.
31 Correspondance de Marcel Proust, éd. par Philip Kolb, vol. x, p. 122.
32 Faux en écriture, Paris, Julliard, Sequana, 1947.
33  Masson (Georges-Armand), À la façon de Jean Anouilh, Louis Aragon, Marcel Aymé,
Germaine Beaumont, Francis Carco, Louis-Ferdinand Céline…, préface de P. Reboux, Paris,
P. Ducray, 1949, p. 14.
34 Voir en particulier le premier chapitre, « L’Impressionnisme littéraire ».
35 Mémoires, op. cit., p. 88.
36 Lettre à Rosny Aîné, Correspondance de Marcel Proust, éd. par Ph. Kolb, vol. xviii, p. 546,
citée et commentée par Duchêne (Roger), L’impossible Marcel Proust, Paris, Laffont, 1994,
pp. 573-574.
37 Cette analyse n’est pas nouvelle. Il faut reconnaître à Louis Carette, patronyme du futur
Félicien Marceau, de l’avoir formulée en termes excellents dans son analyse de la littérature
du début du xxe siècle : « Il semble bien que Proust soit le seul romancier véritable de cette
génération. C’est aussi le seul qui ait pratiqué le pastiche. Ce n’est pas une simple coïncidence.
Qu’on lise l’un après l’autre son “à la manière de” de Saint-Simon et les discours qu’il prête au
baron de Charlus. Le mécanisme est le même. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’un
pastiche, c’est-à-dire d’une certaine faculté d’observation doublée d’une certaine faculté de se
mettre dans la peau d’autrui, laquelle n’est qu’une des formes de l’imagination » (Naissance
de Minerve, Bruxelles, Éditions du Houblon, 1943, p. 81).
38  Proust (Marcel), La Prisonnière, dans À la recherche du temps perdu, éd.  Clarac, Paris,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 129.

Pour citer cet article

Référence électronique

COnTEXTES, n°1 | 2006


Sur les pastiches de Proust 14

Paul Aron, « Sur les pastiches de Proust », COnTEXTES [En ligne], n°1 | 2006, mis en ligne le 15
septembre 2006, consulté le 18 mai 2012. URL : http://contextes.revues.org/59 ; DOI : 10.4000/
contextes.59

À propos de l'auteur
Paul Aron
Fnrs, Université Libre de Bruxelles

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COnTEXTES, n°1 | 2006

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